La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi ratifiant l'ordonnance du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés.
Le temps restant pour la discussion de ce texte se décompose comme suit : huit heures vingt-quatre pour le groupe UMP, neuf heures cinquante-quatre pour le groupe SRC, cinq heures et une minute pour le groupe GDR, quatre heures et treize minutes pour le groupe Nouveau Centre et cinquante minutes pour les députés non-inscrits.
Monsieur le président, mon rappel au règlement a trait à l'organisation de nos travaux. Alors que nous discutons d'une réforme électorale, l'Agence France Presse nous informe à l'instant qu'un groupe de travail composé exclusivement de parlementaires UMP a été chargé, avec l'accord du Président de la République et du Premier ministre, de plancher sur le mode d'élection des futurs conseillers territoriaux.
Hier, lorsque nous avons entamé l'examen du projet de loi relatif au découpage des circonscriptions législatives, nous avons rappelé les principes qui, dans un État républicain, auraient dû présider à l'organisation d'une concertation entre les différents partis politiques représentés au sein de notre assemblée. Nous savons que le Gouvernement prépare une réforme territoriale et que nous allons examiner un texte à ce sujet la semaine prochaine. Mais charger, avec l'accord du Président de la République et du Premier ministre, un groupe de travail composé uniquement de députés UMP de plancher sur le prochain mode de scrutin, c'est confisquer la démocratie au profit, non pas d'un parti, mais d'un clan.
C'est pourquoi je demande à M. le secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales, à qui il reviendra de défendre, dans le texte qui nous sera présenté, un mode de scrutin, rappelons-le, totalement inédit en France, s'il a connaissance de l'existence de ce groupe de travail dont la composition exclut toutes les autres formations politiques de l'hexagone. J'ajoute qu'à ce jour, le mode de scrutin n'est donc toujours pas connu alors que nous allons débattre prochainement de la nouvelle date d'élection des conseillers généraux et régionaux.
Monsieur le président, ce point me semble important pour l'organisation de nos débats. Dans notre pays, tant à cause du redécoupage que des projets qui nous sont soumis, la démocratie semble confisquée par un clan.
Il vient seulement d'apprendre l'existence de ce groupe de travail ! Laissons-lui le temps de téléphoner à l'Élysée !
Hier soir l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
La parole est à M. Philippe Folliot.
Monsieur le secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales, au moment où reprend la discussion du projet de loi relatif au redécoupage des circonscriptions législatives, je souhaiterais vous poser une question.
À croire la rumeur, le Gouvernement s'apprêterait à demander une nouvelle fois la réserve des votes sur le projet de loi, de sorte que notre assemblée ne se prononcerait que par un seul vote sur l'ensemble du texte – évidemment rétabli dans sa version initiale. Permettez-moi de vous signifier ma très vive incompréhension face à l'éventuelle utilisation d'un tel procédé. Il en va ici non pas tant du redécoupage du département du Tarn que du rôle de notre assemblée et du sens de nos débats.
Le redécoupage du département du Tarn est particulièrement tarabiscoté !
En 1986, face au refus du Président Mitterrand de signer les ordonnances rétablissant le mode de scrutin majoritaire à deux tours pour l'élection des députés, le gouvernement de Jacques Chirac avait été contraint de passer par la voie législative pour déterminer la délimitation des circonscriptions. Conformément aux exigences constitutionnelles, qui ont déjà été rappelées, il nous revient de mettre à jour notre carte électorale, et c'est par voie d'ordonnance qu'il nous a été proposé de procéder. Dès lors, si cette rumeur se confirmait et si le Gouvernement demandait la réserve des votes – ainsi, du reste, qu'il l'a fait en première lecture –, que resterait-il du pouvoir d'appréciation reconnu au Parlement par la jurisprudence constitutionnelle ?
Force serait de reconnaître que, si nous avons fait bien du chemin depuis 1986, ce n'est certainement pas dans le sens de la revalorisation du rôle du Parlement, dont on nous parle tant !
Dans le cadre fixé par la loi d'habilitation et après consultation du Conseil d'État et de la commission Guéna, le Gouvernement a fait des choix ; c'est son droit. Il a ainsi arbitré, dans certains départements, entre plusieurs possibilités de redécoupage. Dans treize départements notamment, il a rejeté en bloc les propositions de la commission Guéna, en choisissant, sans que d'éventuelles questions d'équilibre démographique le justifient, des délimitations incohérentes au regard des bassins de vie – notion elle aussi reconnue par la jurisprudence constitutionnelle. Ces choix, le législateur ne pourrait plus qu'en prendre acte, sans véritable possibilité d'en discuter l'opportunité.
Aussi, monsieur le secrétaire d'État, qu'il me soit permis de vous interroger : vous apprêtez-vous à demander la réserve des votes sur ce projet de loi ainsi que sur les amendements s'y rattachant ?
Vous n'êtes pas président de séance ; vous n'avez pas à m'interroger.
Je suis libre de m'exprimer et d'interpeller le Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État. En tout état de cause, votre silence en dit long sur vos intentions. Où est la revalorisation du Parlement à laquelle vous vous dites si attaché si, dès qu'il s'agit de passer aux travaux pratiques, vous la niez purement et simplement en nous retirant de fait tout droit d'amender un texte ? C'est à se demander à quoi a servi la réforme constitutionnelle !
Le groupe Nouveau centre dispose encore d'un temps de parole de quatre heures et treize minutes. Je ne l'utiliserai certainement pas dans sa totalité, mais, compte tenu de votre silence – vous aviez du reste adopté la même attitude lors de la première lecture –, je développerai mes arguments en détail.
Pour commencer, je dresserai un constat, en insistant – mes collègues voudront bien m'en excuser –, sur le redécoupage du département du Tarn, exemple emblématique de ce qu'il ne faut pas faire dans la mesure où il n'obéit à aucune logique territoriale, historique, économique ou sociale. Je me livrerai ensuite à une analyse juridique détaillée, en citant force exemples, afin de vous démontrer l'incohérence de certaines dispositions de l'ordonnance. Par ailleurs, je dénoncerai un certain nombre d'erreurs et de mensonges contenus dans le rapport rédigé sur la base d'éléments et de propositions transmis par le Gouvernement : l'Assemblée nationale ne saurait se prononcer de manière sereine et juste en s'appuyant sur des informations erronées. Enfin, monsieur le secrétaire d'État, je vous poserai des questions précises, qui appelleront des réponses tout aussi précises.
Il importe de partir de la réalité géographique et historique du département du Tarn, car toute vie démocratique, quelle qu'elle soit, s'inscrit dans une histoire, des traditions, des coutumes qui façonnent les éléments structurants de la nation, qu'il s'agisse de l'État, des régions, des départements, des communes ou des intercommunalités appelées à se développer de plus en plus.
Sur un plan géographique et historique, le Tarn se compose de trois pôles. Le pôle Est, dit « la montagne », s'étend sur les contreforts sud du Massif Central ; l'activité principale y est une agriculture de moyenne montagne, en butte à des difficultés spécifiques ; il vient compléter harmonieusement l'entité sud-tarnaise, autour de l'agglomération de Castres-Mazamet, naguère berceau de l'industrie textile tarnaise et aujourd'hui en proie à des difficultés chroniques de reconversion industrielle. À l'inverse, le secteur des plaines et coteaux de l'Ouest, constitué par l'entité Gaillac-Graulhet-Lavaur et naturellement tourné vers la métropole toulousaine, bénéficie de ce fait d'une croissance démographique constante et soutenue, à l'exception du canton de Graulhet, qui a perdu un peu de sa population depuis 1999. Enfin, le pôle Nord, Albi-Carmaux-Ségala, longtemps structuré autour des houillères de Carmaux, des aciéries du Saut du Tarn et de la Verrerie ouvrière d'Albi, a été marqué par les luttes ouvrières qui ont jalonné son histoire.
À quelques exceptions près, les circonscriptions législatives du Tarn ont toujours été structurées autour de ces trois pôles : nord, Albi-Carmaux-Ségala, sud-est, Castres-Mazamet-montagne, et ouest, Gaillac-Graulhet-Lavaur.
Cette réalité géographique se double d'une réalité historique. Je pense aux grandes figures politiques tarnaises, de gauche comme de droite : Jean Jaurès, élu de la circonscription ouvrière d'Albi-Carmaux, le baron Reil Soult et, plus récemment, Jacques Limouzy, pour le pôle sud-est, Castres-Mazamet-Montagne, et Georges Spénale élu du secteur ouest.
Cette réalité forte explique que, de 1958 à 1986, le département du Tarn ait compté trois circonscriptions, qui s'inscrivaient parfaitement dans le schéma qui vient d'être évoqué. Il y avait une parfaite adéquation entre la réalité géographique, historique et démographique d'une part, la réalité électorale d'autre part. De ce fait, le département du Tarn pouvait être considéré comme exemplaire par rapport aux règles et principes présidant au découpage électoral dans une vie démocratique moderne, équilibrée et sereine.
Il est vrai que le département du Tarn, en l'état des dispositions de la loi n° 86-1197 du 24 novembre 1986, est passé de trois à quatre circonscriptions, ce nouveau découpage reposant sur un recensement de 1982. Comme chacun le sait – ce point étant source de nombreux débats –, un redécoupage des circonscriptions est actuellement en cours d'élaboration, avec un projet de loi dans la préparation duquel, monsieur le secrétaire d'État, vous avez joué un rôle central.
Le Conseil constitutionnel avait d'ailleurs souligné, dans ses observations du 15 mai 2003 et du 7 juillet 2005, relatives respectivement aux élections législatives de 2002 et aux échéances de 2007, l'importance et la nécessité de procéder, au regard du principe fondamental d'égalité du suffrage, à un remodelage des circonscriptions législatives. Il estimait notamment que des disparités importantes de représentation, résultant du découpage actuel, adopté en 1986 sur le fondement du recensement général de 1982, étaient « peu compatibles avec les dispositions combinées de l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des articles 2 et 24 de la Constitution », alors même que deux recensements généraux de population étaient intervenus en 1990 et 1999. Alerte réitérée en mai 2008 à l'occasion des observations relatives aux élections législatives de 2007 : le Conseil jugeait alors impératif de procéder à un redécoupage. C'est alors que le Gouvernement a décidé de procéder à un ajustement de la carte des circonscriptions législatives.
Par ailleurs, l'article 24 de la Constitution, tel qu'il résulte de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Ve République, a limité le nombre de députés à 577, c'est-à-dire au niveau arrêté en 1985. Cela étant, une procédure spécifique existe aujourd'hui, ce qui n'était le cas ni en 1958 ni en 1986 : l'article 25 de la Constitution, entré en vigueur dans les conditions fixées par les lois organiques nécessaires à son application – article 46-1 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 – précise dans son premier alinéa, qu'« une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leurs indemnités, les conditions d'éligibilité, le régime des inégalités et des incompatibilités ». Et le deuxième alinéa ajoute que cette même loi organique « fixe également les conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à assurer, en cas de vacance du siège, le remplacement des députés ou des sénateurs jusqu'au renouvellement général ou partiel de l'assemblée à laquelle ils appartenaient ou leur remplacement temporaire en cas d'acceptation par eux de fonctions gouvernementales ». Le troisième alinéa enfin dispose qu'« une commission indépendante, dont la loi fixe la composition et les règles d'organisation et de fonctionnement, se prononce par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi, délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs ».
Le Parlement a habilité le Gouvernement à procéder par la loi n° 2009-39 du 13 janvier 2009 relative à la commission sus-évoquée. Cette commission indépendante, chargée par la Constitution de donner un avis, notamment sur les projets de texte et propositions de lois délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés, a été installée par le Premier Ministre le 22 avril 2009. Présidée par M. Yves Guéna, elle est composée de personnalités éminentes, à l'autorité irréprochable : des professeurs, une présidente de section au Conseil d'État, un conseiller à la Cour de cassation et un conseiller maître à la Cour des comptes.
Saisie le 30 avril 2009 du projet d'ordonnance portant redécoupage des élections législatives pour l'élection des députés, la commission dite Guéna a accompli un travail extrêmement important et sérieux, puisqu'elle a tenu vingt-trois réunions en formation plénière dans le délai étroit de deux mois que la Constitution lui avait ouvert pour statuer.
Le cadre juridique des travaux de la commission a été fixé par la Constitution, par la loi organique du 13 avril 2009 et par la loi de la même date, respectivement éclairées par les décisions n° 2009-572 et n° 2009-573 DC, rendues le 8 janvier 2009 par le Conseil constitutionnel.
Comme en 1986, le découpage électoral provient d'une initiative du Gouvernement, sur une invite de plus en plus pressante du Conseil constitutionnel.
Ainsi, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, la loi n° 2009-39 du 13 janvier 2009, relative à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution précitée et à l'élection des députés, a autorisé le Gouvernement à mettre à jour les circonscriptions législatives sur la base du principe d'équilibre démographique, au regard des chiffres de la population authentifiés par le décret n° 2008-1477 du 30 décembre 2008, issus du dernier recensement. Cette loi a été déférée au contrôle du Conseil constitutionnel, d'où sa décision précitée n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009.
À la faveur de cette décision, les sages ont rappelé que l'Assemblée nationale « doit être élue sur des bases essentiellement démographiques »…
… « selon une répartition des sièges de députés et une délimitation des circonscriptions législatives respectant au mieux l'égalité devant le suffrage » – j'appelle votre attention sur ces mots, monsieur le secrétaire d'État.
Le Conseil constitutionnel a formulé plusieurs réserves d'interprétation destinées au Gouvernement qui, ici, intervient par le biais d'une ordonnance destinée à fixer les conditions d'un découpage électoral constitutionnellement sain – si l'on peut s'exprimer ainsi.
En effet, il ne faut jamais le perdre de vue, une opération de redécoupage électoral est toujours tentante pour une majorité au pouvoir, quelle qu'elle soit : ce peut être l'occasion de faire prévaloir plus ou moins consciemment des aspirations purement politiques, pour ne pas dire politiciennes, au mépris des exigences d'une démocratie digne de ce nom et qui s'expriment par la représentation nationale, laquelle se doit de transcender toute forme de clientélisme. Fort heureusement, les redécoupages électoraux sont rares ; aussi doivent-ils être particulièrement soignés pour éviter d'inscrire dans la durée ce qui ne pouvait avoir de sens pour le Gouvernement que dans l'instant ; cette durée doit être prise en compte, notamment, par le juge de la légalité et de la constitutionnalité – je reviendrai sur ce point.
Mais revenons à la décision du Conseil constitutionnel du 8 janvier 2009. Celle-ci se fonde déjà sur le fameux principe de l'égalité devant le suffrage. Le Conseil constitutionnel rappelle l'article 1er de la Constitution, aux termes duquel la République « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion ».
L'article 3 de la Constitution dispose, dans son premier alinéa, que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum » et, dans son troisième alinéa, que le suffrage « est toujours universel, égal et secret », étant également constant, conformément au troisième alinéa de l'article 24, que « les députés à l'Assemblée Nationale sont élus au suffrage direct ».
Le Conseil constitutionnel juge qu'il résulte de ces dispositions combinées que l'Assemblée nationale, désignée au suffrage universel direct, « doit être élue sur des bases essentiellement démographiques, selon une répartition des sièges de députés et une délimitation des circonscriptions législatives, respectant au mieux l'égalité devant le suffrage » ; et d'ajouter que « si le législateur peut tenir compte d'impératifs d'intérêt général susceptibles d'atténuer la portée de cette règle fondamentale, il ne saurait le faire que dans une mesure limitée » – et, serait-on tenté de préciser, objectivement justifiée.
En effet, toute marge de manoeuvre ne saurait être utilisée pour satisfaire des intérêts purement catégoriels, purement électoralistes, de clientélisme : il y aurait là une forme de détournement de pouvoir qui pourrait tenter le Gouvernement, d'où un contrôle, aussi bien par le Conseil d'État que par le Conseil constitutionnel, étant d'ailleurs observé que c'est justement pour éviter ces formes de dérive que la Constitution a déjà prévu une commission indépendante, étant observé que de surcroît – on voit ici à quel point la procédure est rigoureuse et minutieuse –, le Conseil d'État est également saisi pour avis sur les points les plus délicats, où un arbitrage peut encore être possible afin d'éviter toute forme de dérive antinomique avec nos principes républicains les mieux assurés, qui doivent être la référence absolue.
Le quatrième alinéa du II du 1° de l'article 2 de la loi du 13 janvier 2009 autorise, pour permettre la prise en compte d'impératifs d'intérêt général, des écarts de population entre les circonscriptions dans la limite de 20 % par rapport à la population moyenne des circonscriptions du département ou de la collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel estime dans son considérant 26 « qu'en elle-même, chacune de ces trois dispositions ne méconnaît pas la Constitution ; que les deux premières peuvent être utilement employées pour garantir l'égalité devant le suffrage ; qu'elles pourraient, toutefois, par leur cumul ou par les conditions de leur application, donner lieu à des délimitations arbitraires de circonscription ou aboutir à créer des situations où le principe d'égalité serait méconnu ; qu'en conséquence, la faculté de ne pas constituer une circonscription en un territoire continu, celle de ne pas respecter certaines limites communales ou cantonales lorsque les conditions précitées le permettent, ainsi que la mise en oeuvre de l'écart maximum mentionné au quatrième alinéa du 1° du II de l'article 2 doivent être réservées à des cas exceptionnels et dûment justifiés ; qu'il ne pourra y être recouru que dans une mesure limitée et en s'appuyant, au cas par cas, sur des impératifs précis d'intérêt général ; que leur mise en oeuvre devra être strictement proportionnée au but poursuivi ; que toute autre interprétation serait contraire à la Constitution ».
Ces motifs de l'arrêt donnent le ton, en quelque sorte, du respect des règles et principes qui s'appliquent à la matière. Tout d'abord, il faut examiner les situations au cas par cas ; il y a ici un principe de réalité qui s'impose. De plus, doivent être respectés des impératifs précis d'intérêt général, ce qui exclut toute autre considération qui ne serait pas tirée de l'intérêt général.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel rappelle un principe de proportion par rapport au but poursuivi. Là encore, on voit à quel point la matière est strictement encadrée, justement pour éviter toute forme de dérive, toute prise en compte d'intérêts qui seraient en total décalage avec ce que postule l'intérêt général.
Bref, le Conseil constitutionnel, dans sa grande sagesse, a donné en quelque sorte une feuille de route, un cadre d'interprétation pour que le redécoupage soit démocratiquement sain et durable.
La commission Guéna a raisonné en tenant compte de ces principes directeurs, dans la mesure où la Constitution, dans sa version issue de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, a limité le nombre de députés à 577 et prescrit que les Français établis hors de France seront désormais représentés à l'Assemblée nationale. La commission a travaillé par rapport à une répartition des sièges qui doit s'opérer sur des bases essentiellement démographiques, fondées sur les résultats du dernier recensement connu.
Compte tenu des principes ainsi rappelés, la commission a validé le nouveau chiffre de la population moyenne par circonscription, établi en divisant la population totale à représenter par le nombre de sièges à pourvoir et fixé par le Gouvernement à 127 000 habitants. Sur le plan de la méthode de travail, la commission Guéna a cherché à réaliser une synthèse harmonieuse entre une règle de calcul reposant sur des critères essentiellement démographiques et une approche tenant compte également de la réalité historique et humaine. Je vous renvoie à cet égard à la page 51 du Journal officiel, lois et décrets du samedi 27 juin 2009, annexe n° 147.
Il ressort encore de l'avis public de la commission consultative prévue par l'article 25 de la Constitution qu'elle s'est notamment souciée, même lorsque l'équilibre démographique pouvait apparaître satisfaisant, « de la pertinence et de l'objectivité des projets qui lui étaient soumis ». Ainsi, cette commission indépendante s'est montrée particulièrement rigoureuse dans sa méthode, justement dans le but d'éviter toute forme de clientélisme, mais aussi de subjectivité purement politique, dans la mesure où – faut-il le rappeler ? – la tentation peut être grande pour le Gouvernement de faire pencher çà et là le fléau au gré de considérations politiciennes parfaitement contraires aux exigences de l'intérêt général. Or, ces exigences doivent également être omniprésentes dans des opérations aussi délicates que le sont les redécoupages : un redécoupage – faut-il, là encore, le rappeler ? – a vocation à perdurer, cependant que les clientèles politiques passent.
Ayant eu connaissance des intentions du Gouvernement s'agissant du redécoupage des circonscriptions dans le département du Tarn, et n'ayant malheureusement pas pu me faire entendre, spécialement de vous-même, monsieur le secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales…
…j'ai écrit le 19 mai 2009 une lettre à caractère officiel, adressée au président de la commission de contrôle sur le redécoupage électoral, pour porter à sa connaissance, comme je l'avais fait à l'endroit de M. le préfet du Tarn dans la phase de concertation préalable, certains éléments pertinents se fondant sur des informations objectives et vérifiables.
Je ne vais pas, comme lors du débat d'octobre dernier, vous lire cette lettre, à laquelle je n'ai d'ailleurs obtenu aucune réponse. Je voudrais simplement vous assurer qu'il ne s'agissait nullement pour moi de tenter de faire pression sur la commission indépendante, mais seulement de contribuer à sa réflexion par le biais d'observations qui doivent être prises en compte avant de rendre un avis aussi important pour notre démocratie locale.
Plus précisément, j'avais fait valoir que la proposition du secrétaire d'État aux collectivités territoriales, telle qu'elle avait été transmise à la commission indépendante, « n'apparaissait pas correspondre aux logiques historiques, démocratiques, territoriales et politiques du département du Tarn et même à la méthodologie retenue par le Gouvernement. »
« Depuis 1815, soulignais-je, jamais les villes d'Albi et de Castres n'ont figuré dans une même circonscription. A fortiori, couper les communes de Castres et d'Albi en deux ou en réunir la moitié de chacune au sein d'une même circonscription constitue une option pour le moins originale qui ne s'appuie sur aucun précédent dans l'histoire de notre département ». Cela signifiait tout simplement qu'aucun impératif, aucun motif d'intérêt général ne permettait de prendre une telle décision, et ce d'autant plus qu'à quelques exceptions près, je le répète, les circonscriptions législatives du Tarn ont toujours été structurées autour de trois pôles : Nord – Albi, Carmaux et Ségala –, Sud-Est – Castres, Mazamet et Montagne – et Ouest – Gaillac, Graulhet et Lavaur.
En m'appuyant directement sur les principes essentiels qui gouvernent la matière, tels que le Conseil constitutionnel les a rappelés, je rappelais que de 1958 à 1986, les trois députés tarnais étaient élus dans cette configuration électorale. C'est une des raisons pour lesquelles la plupart des forces politiques du département étaient favorables à un retour, moyennant quelques aménagements à la marge, à une configuration qui s'appuie sur une réalité historique et qui a déjà fait ses preuves au fil de nos républiques. Qui plus est, et en l'état de données objectives, le fait que « l'argument démographique plaide également en faveur d'un tel redécoupage » est acquis. J'y reviendrai tout à l'heure.
En effet, la proposition retenue par le Gouvernement fait ressortir des différences de près de 15 000 et 20 000 habitants entre la circonscription la moins peuplée – Albi, Castres et la montagne – et les deux autres, plus peuplées – Castres-Lavaur-Mazamet et Albi-Carmaux-Graulhet –, soit un écart de respectivement 12 % et 16 %.
Cet écart va systématiquement et mécaniquement s'accentuer au fil des ans, pour passer très rapidement au-dessus de 20 %, puisque la dynamique démographique est clairement favorable au secteur Ouest, comme le montre la forte progression de la population entre 1999 et 2008 dans cette partie du département, principalement dans le secteur de Gaillac et Lavaur.
J'indiquais alors à la commission que l'un des principes législatifs du redécoupage, à savoir le rééquilibrage entre les circonscriptions d'un même département, n'était donc pas pleinement satisfait dans l'hypothèse retenue par le projet gouvernemental. À l'inverse, un retour, moyennant quelques adaptations, aux circonscriptions de 1958 et 1986 permettait de donner une légère avance démographique de 4 000 habitants à la circonscription Castres, Mazamet et Montagne sur les deux autres et de maintenir, selon toute probabilité, un écart inférieur à 20 % pour les vingt, trente voire quarante ans à venir, puisque, on le sait, le secteur Ouest notamment progresse en termes de population, de même que le secteur Nord, par rapport au secteur Est.
Obnubilé par le souci de satisfaire à des impératifs relevant de l'intérêt général et transcendant toute autre considération partisane, j'avais fait valoir que si, a priori, la loi ne retenait explicitement que les critères démographiques, il convenait toutefois de s'arrêter quelque peu aux logiques territoriales, administratives et politiques du redécoupage proposées par le Gouvernement.
« En effet, écrivais-je, la constitutionnalisation du principe de décentralisation, la mise en place de politiques de plus en plus territorialisées ou encore la volonté de rapprocher le citoyen de la décision politique, ne peuvent nous laisser ignorer la nécessité d'une organisation politique et administrative cohérente des territoires, et à travers elles, la satisfaction des attentes et besoins des citoyens en termes de services publics et d'identification de leurs responsabilités politiques. » Or la proposition que le Gouvernement avait adressée à la commission « aboutit à écarteler des communes entre deux circonscriptions, comme la préfecture Albi et la sous-préfecture Castres… Comment un citoyen castrais ou albigeois pourra-t-il identifier son député alors qu'il n'est pas le même d'un côté ou de l'autre de sa rue ou de son quartier ? Si, dans les grandes villes comme Paris, Lyon ou Marseille, ou même dans les métropoles régionales comme Toulouse, cette situation est facilement compréhensible et correspond a priori aux délimitations d'arrondissements ou de quartiers traditionnels, il n'en est rien dans le partage proposé pour Albi et Castres », qui comptent moins de 50 000 habitants.
Pour conforter encore, s'il en était besoin, la rigueur de cette analyse fondée sur des données géographiques, historiques et démographiques, je rappelais que jamais, dans son histoire, la ville de Castres n'avait été coupée en deux.
« Quand bien même faudrait-il absolument procéder à cette scission, il paraîtrait plus logique de le faire en basculant les cantons Ouest et Sud dans la circonscription de Lavaur puisque le canton Ouest de Castres est issu d'une scission du canton Sud intervenue il y a une dizaine d'années. » J'y reviendrai tout à l'heure dans le détail, monsieur le secrétaire d'État.
« Quant à Albi, si, en 1986, la préfecture a été coupée en deux, cela s'est fait avec un minimum de cohérence, c'est-à-dire à partir de la démarcation de la rive Nord et Sud du Tarn. En outre, le passage de trois à quatre circonscriptions ne laissait pas d'autres possibilités que de scinder la ville préfecture ».
Après avoir mis en relief les données objectives conformes à l'intérêt général et aux principes qui gouvernent la matière, j'ai mis le doigt sur la singularité du dossier et sur une certaine dérive qui, elle, n'est plus justifiée par des éléments objectifs. Le décrochage est dès lors avéré et le projet du Gouvernement, sur lequel celui-ci s'est arc-bouté du début à la fin, comme si tout avait été figé dès l'origine – circulez, il n'y a rien à voir –, s'éloigne, si on le considère dans son ensemble, des principes qui régissent notre matière, à savoir un intérêt général démocratique bien compris reposant sur l'égalité des citoyens au regard du critère démographique et des lignes directrices posées par le Conseil constitutionnel dans le but précisément d'éviter ces risques de dérives politiciennes.
Par ailleurs, pour conforter, s'il était encore besoin, cette démonstration, j'ai appelé tout particulièrement l'attention de la Commission Guéna sur le fait que le projet du Gouvernement « ignore totalement la dimension des intercommunalités existantes… Le territoire de la communauté d'agglomération de Castres-Mazamet, créée en 1999, se trouve scindé en deux ainsi que la communauté de communes de l'Albigeois, créée en 2002, devenue depuis lors communauté d'agglomération. »
« Cette orientation », écrivais-je, « va enfin à l'encontre des réformes préconisées par le rapport Balladur et envisagées par le Gouvernement afin de renforcer les pouvoirs de l'intercommunalité qui sont d'ores et déjà les lieux privilégiés des politiques en matière de transport, de logement ; de développement économique et d'aménagement du territoire. »
Ces observations s'inscrivent parfaitement dans la ligne de la poursuite de cet intérêt général démographique qui doit prendre en compte les situations de façon synthétique. En effet, les découpages ou redécoupages doivent être faits de façon cohérente et l'intercommunalité, à cet égard, a également un rôle à jouer afin d'éviter des éclatements que le citoyen ne peut comprendre et qui compliqueraient singulièrement la vie de tout un chacun à une époque où tout est mis en oeuvre pour rapprocher le citoyen des structures administratives. On songe notamment aux découpages communaux et intercommunaux, aux découpages propres aux circonscriptions législatives et sénatoriales, le tout s'inscrivant dans le cadre du département, qui reste une structure forte, elle-même inscrite dans une région. Tous ces éléments ne doit pas être perdus de vue au motif que l'on veut satisfaire des intérêts manifestement étrangers à ce qui est objectivement repérable et repéré.
Quand bien même le député n'est pas à proprement parler un élu local, mais évidemment un représentant de la nation dont la vocation première est de contribuer à la confection et au vote de la loi, il est certain – et un principe de réalisme le fait ressortir de façon éclatante – que cet élu est en contact régulier avec les exécutifs de sa circonscription, afin de les accompagner notamment dans leurs projets territoriaux, ne serait-ce que pour ce qui touche aux relations de ces exécutifs avec les services de l'État, au niveau préfectoral ou ministériel.
Aussi, et c'est la voie de la raison, car elle suit à la fois le bon sens et la nature des choses, « pour renforcer l'efficacité de la décision politique et de l'action publique, il faut donc préserver une unité territoriale, au moins au niveau communal entre le député et les autres élus », comme je l'écrivais encore au président Guéna.
Bien sûr ! C'est précisément ce que le secrétaire d'État n'a pas fait !
On se doit encore de préciser ici, pour bien prendre la mesure de la présente requête, que, dans la perspective du redécoupage électoral projeté, le Gouvernement – bien lui en a pris – avait donné mission au préfet d'organiser une consultation locale avec les députés et les responsables politiques des départements concernés.
Ainsi, dans votre discours du 22 janvier 2002, monsieur le secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales, vous déclariez aux préfets : « Votre point de vue constituera donc un élément essentiel des choix que je serai conduit à faire par la suite. »
On ne peut que se féliciter de cette attention que vous portez, monsieur le secrétaire d'État, aux informations venues du terrain par le canal des préfectures, particulièrement bien placées à cet égard.
Voici ce que j'ai écrit à M. Guéna à propos de cette consultation : « D'après nos informations, M. François Philizot, préfet du Tarn, a reçu très largement non seulement les quatre députés du département mais aussi les responsables locaux des autres partis politiques représentés à l'Assemblée nationale.
« Il en est résulté, semble-t-il, un consensus de la quasi-totalité des forces du département, à l'exception du député UMP de la quatrième circonscription, pour un retour aménagé aux trois grands pôles de 1958 à 1986.
« Je précise que cette information était confirmée par les députés responsables politiques que j'ai interrogés à ce sujet.
« La majorité des personnes consultées ayant partagé, à quelques détails près sans doute, la même position, il y a donc de quoi être surpris par la proposition du Gouvernement qui va à l'encontre de celle-ci » – c'est-à-dire la proposition relayée par M. le préfet.
C'est un élément à charge supplémentaire ! Vous êtes perdu, monsieur le secrétaire d'État !
L'avantage de la consultation d'une commission indépendante, c'est justement qu'elle permet de revenir à ce que la raison juridique commande, en l'état des principes et des règles qui en constituent les lignes directrices.
Il est d'ailleurs pertinent d'observer que mes remarques ne sont pas demeurées isolées : mes deux collègues Thierry Carcenac, par ailleurs président du conseil général, et Jacques Valax ont tous deux également fait parvenir à M. Yves Guéna, président de la commission de contrôle du redécoupage des circonscriptions électorales, des observations qui s'inscrivent exactement dans la même ligne que les miennes.
Ce sont donc bien des intérêts supérieurs, rassemblant la majorité et l'opposition, qui sont ici concernés, et non des intérêts partisans.
Je concluais ainsi ma missive du 19 mai 2009 : « Sans vouloir mettre en cause qui que ce soit, je pense que cette manière de procéder [celle du Gouvernement] qui ne s'appuie pas sur le consensus n'est pas conforme à la “tradition républicaine” que M. Marleix évoque dans le discours sus-cité…
…et ne va pas contribuer à rendre localement cet exercice moins délicat.
« Ainsi, au regard des arguments, tant de forme que de fond, que je viens d'exposer rapidement, il me semble que la proposition de redécoupage des circonscriptions tarnaises dont votre commission a été saisie procède de l'arbitraire. Un autre redécoupage, ajoutais-je, semble pour beaucoup à la fois possible et souhaitable, celui d'un retour rééquilibré aux trois circonscriptions de 1958-1986 : celui-ci respectera mieux et durablement les critères démographiques fixés par la loi d'habilitation tout en prenant en compte les réalités historiques des bassins de vie et les structures administratives communales et intercommunales. »
« Mais par-dessus tout, il sera mieux compris par nos concitoyens qui cherchent dans la démocratie représentative des repères et des réponses à leurs préoccupations quotidiennes ». Pouvait-on mieux dire ?
Une chose est certaine : la commission Guéna a eu à se prononcer notamment sur le département du Tarn.
Il est déterminant de relever que cette commission, en vertu du principe d'indépendance auquel elle doit se conformer en application de l'article 25 de la Constitution, n'ayant reçu aucune délégation de partis ou de groupements politiques mais ayant en revanche examiné les courriers et réclamations qui lui ont été adressés, ainsi que cela ressort de l'avis public lui-même, a, s'agissant du Tarn, rendu l'avis suivant – écoutez bien, monsieur le secrétaire d'État.
« Le projet de redécoupage détermine un écart démographique de 18 663 habitants entre la première et la deuxième circonscription qui, sans être considérable, s'avère significatif dans un département dont le nombre de circonscriptions est ramené à trois. »
« Proposition – il est bien écrit « proposition », et non « suggestion », je reviendrais tout à l'heure sur la différence existant entre ces deux termes…
« La commission propose d'approcher au mieux l'objectif d'équilibre démographique par un redécoupage qui, reprenant les grandes lignes de celui de 1958, repose sur la distinction traditionnelle des bassins de vie d'Albi et Carmaux, Castres et Mazamet et enfin Gaillac, Graulhet et Lavaur.
« Elle propose en conséquence le redécoupage suivant :
« - création d'une première circonscription centrée autour des deux cantons de Carmaux et des six cantons d'Albi et comprenant en outre les cantons de Cordes-sur-Ciel, de Monestiés, de Pampelonne, de Vaour, de Valderiès, de Valence-d'Albigeois et de Villefranche-d'Albigeois.
« - création d'une deuxième circonscription, réunissant les quatre cantons de Castres et les deux cantons de Mazamet ainsi que les cantons d'Alban, d'Anglès, de Brassac, de Labruguière, de Lacaune, de Montredon-Labessonnié, de Murat-sur-Vèbre, de Réalmont, de Roquecourbe, de Saint-Amans-Soult et de Vabre ;
« - création d'une troisième circonscription comprenant l'ensemble des autres cantons ».
Cette proposition est exactement en phase avec celles que j'ai exposées, relayant l'opinion de la quasi-totalité des élus du département.
Cette première observation fait ressortir à quel point cette proposition transcende toute considération partisane ou purement politique.
Par ailleurs, il est intéressant d'observer que la Commission a, en quelque sorte, totalement réécrit l'histoire des redécoupages pour le département du Tarn ; c'est certainement le seul département qui ait connu un tel sort – et pour cause : cette réécriture était une condition nécessaire pour satisfaire les principes constitutionnels sus-évoqués et éviter toute dérive partisane etou électorale.
On le sait, le Conseil d'État a été saisi pour avis. J'ai fait parvenir à la section de l'intérieur du Conseil d'État, à toutes fins utiles, une lettre d'où il résulte que j'adhérais totalement à la façon de voir de la commission indépendante Guéna.
L'avis rendu n'étant pas public, il est difficile de dire quel est son contenu ; mais il y a tout lieu de penser qu'en réalité il est très similaire, si ce n'est identique, à celui de la commission Guéna : si tel n'avait pas été le cas, le Gouvernement n'aurait certainement pas manqué de communiquer à cet égard. Or tel ne fut pas le cas, et le seul article qui a pu paraître dans Le Monde étonne, spécialement lorsque l'on observe qu'est justement cité mon nom. Mais alors, et c'est un comble, M. le secrétaire d'État ! vous croyez pouvoir dire qu'en réalité la proposition du Gouvernement serait en phase avec ce que je pense – alors que la vérité est totalement ailleurs, ainsi que cela a été démontré et ressort de façon éclatante du dossier. La communication a ses limites…
Mais les rédacteurs de l'ordonnance, s'agissant du département du Tarn, sont restés imperturbables et ont fait comme si la commission Guéna ni – selon toute vraisemblance – le Conseil d'État ne s'étaient pas prononcés : la proposition initiale a été retenue telle quelle sans le moindre changement, ce qui d'ailleurs correspond parfaitement à ce que je supputais, eu égard à la façon dont les choses se sont présentées.
Mes chers collègues, pour des raisons qui m'appartiennent et qui tiennent à ma conception rigoureuse et exigeante de la démocratie et de ses fonctionnements, j'ai déféré à la censure du Conseil d'État l'ordonnance examinée lors dernier du Conseil des ministres tenu avant la période estivale, le mercredi 29 juillet 2009. Cette ordonnance, après avoir notamment visé les avis des 23 et 30 juin 2009 de la commission prévue par l'article 25 de la Constitution publiés au Journal officiel de la République française des 27 juin et 3 juillet 2009, fait état de l'audition du Conseil d'État et du Conseil des ministres et précise que le tableau n° 1 annexé au code électoral en application de l'article L. 125 du même code est modifié conformément au tableau n° 2 annexé à la présente ordonnance ; que le tableau n° 1 bis annexé au code électoral en application de l'article L. 125 du même code est modifié conformément au tableau n° 3 annexé à la présente ordonnance ; que le tableau n° 1 ter annexé au code électoral en application de l'article L. 125 du même code est établi conformément au tableau n° 4 annexé à la présente ordonnance.
Sur de tels terrains juridiques, il faut être précis.
Force est de constater, monsieur le secrétaire d'État, un manque de diligence en la matière. La décision de référé ne m'a pas été favorable, le commissaire du Gouvernement ayant estimé que le Conseil d'État aurait tout son temps pour se prononcer au fond. Plusieurs mois plus tard, le Conseil ne s'est toujours pas prononcé ; ce qui doit nous amener, chers collègues, à nous interroger sur les limites de la capacité d'un citoyen à contester un texte qui lui est opposable devant les juridictions administratives.
Après avoir établi ce constat, je voudrais vous rappeler en quoi, selon moi, sur un plan juridique et contentieux, ce projet gouvernemental de redécoupage des circonscriptions n'est pas conforme à la Constitution et mérite d'être remis en cause.
Aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, le Conseil d'État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets.
La légalité des ordonnances signées par le Président de la République, prises sur habilitation selon l'article 38 de la Constitution, relève donc directement du Conseil d'État, qui examine notamment leur conformité par rapport à la loi d'habilitation telle qu'interprétée – et il importe ici d'avoir à l'esprit les décisions du Conseil constitutionnel : à cet égard, avant de déterminer la nature du contrôle susceptible d'être opéré par le Conseil d'État en matière de découpage électoral, un bref rappel du contrôle opéré par la haute juridiction en la matière me paraît utile.
Lorsqu'il est saisi de la conformité à la Constitution d'une loi remodelant des circonscriptions législatives, le Conseil constitutionnel opère un contrôle dit « à double détente » qui distingue entre l'équilibre démocratique, d'une part, et l'équilibre politique, d'autre part : confer à cet égard Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, sixième édition, spécialement les pages 702 et suivantes, et les observations de Louis Favoreu et Loïc Philip, plus particulièrement les commentaires sur les décisions nos 86-208 DC du 2 juillet 1986 et 86-218 DC du 18 novembre 1986.
Le principe d'équilibre démographique, tel que dégagé par le Conseil constitutionnel, postule que la délimitation des circonscriptions électorales doit être effectuée en respectant la règle d'égale représentation des populations de chacune des circonscriptions, sans pourtant être astreinte à une stricte proportionnalité : confer la décision n° 86-208 DC du 2 juillet 1986.
Le principe d'équilibre politique, tel qu'il ressort de la décision n° 86-208 DC, paragraphe 24, traduit une préoccupation majeure, celle d'assurer l'égalité dans l'exercice du droit de suffrage dans le souci d'éviter que l'électeur ne soit dépouillé de son droit de choisir par un aménagement approprié des circonscriptions électorales ; on peut parler ici d'un véritable « principe de loyauté électorale ».
Lorsqu'il examine la mise en oeuvre de ces principes par la loi qui lui est déférée, le Conseil constitutionnel exerce, il est vrai, un contrôle qui s'apparente à celui de l'erreur manifeste d'appréciation en vérifiant que « les divers impératifs d'intérêt général que le Parlement a pris en compte n'aient pas abouti, surtout quand ils sont cumulés, à ruiner la règle fondamentale du critère démographique ; que les atténuations et aménagements apportés à ce dernier n'ont pas dépassé manifestement la “mesure limitée” ; que les écarts de représentation ne sont pas disproportionnés de manière excessive » ; « quelle que puisse être la pertinence de certaines critiques adressées par les députés […] à l'encontre de la délimitation des circonscriptions opérée par la loi, il n'apparaît pas […] que les choix opérés par le législateur aient manifestement méconnu les exigences constitutionnelles » : confer la décision précitée n° 86-218 DC du 18 novembre 1986, aux paragraphes 8 et 12.
Que dire s'agissant du Conseil constitutionnel qui devait se prononcer en 2009 sur la légalité d'une ordonnance portant délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés ?
Le juge administratif a eu l'occasion de se prononcer en matière de découpage de circonscriptions électorales, en particulier sur la légalité des modifications des cantons au regard du critère démographique. Les choses sont liées. Dans les conclusions qu'il a prononcées pour l'affaire de la commune de Fontenay-sous-Bois – Conseil d'État du 13 novembre 1977, page 448 – le commissaire du Gouvernement, M. Franc, avait réservé l'hypothèse d'un contrôle de l'erreur manifeste permettant de censurer à l'aune des disparités démographiques des découpages manifestement inégalitaires ou délibérément arbitraires – Confer AJDA avril 1978, page 209.
Dans cette affaire particulière, il a été jugé que l'objectif de diminuer les disparités quantitatives de population entre les cantons les plus peuplés et les cantons les moins peuplés d'un département était un motif d'intérêt général justifiant légalement un nouveau découpage.
Pour le Conseil d'État, l'aggravation des disparités démographiques se mesure corrélativement au regard de deux critères : d'une part, celui de la moyenne départementale, de sorte que tout découpage qui a pour effet d'éloigner davantage les cantons du département de cette moyenne est censuré par le juge administratif – Conseil d'État, 13 décembre 1991, département de Loir-et-Cher, requête n° 125-161, page 442 – ; d'autre part, celui des effets relatif du découpage. Le maintien d'une moyenne départementale à l'identique peut en effet camoufler des transferts de populations entre cantons ayant pour effet d'accroître les disparités ponctuelles.
Le Conseil d'État a ainsi sanctionné des découpages qui avaient pour effet d'augmenter les disparités, soit entre des cantons de la zone remodelée, Conseil d'État du 12 juillet 1979, commune de Sarcelles, soit des cantons d'une même zone géographique du département, Conseil d'État du 23 octobre 1985, commune d'Allos, page 298.
Il apparaît, à l'examen de cette jurisprudence, que le Conseil d'État ne s'intéresse qu'à l'aggravation des disparités démographiques pour apprécier la légalité d'une modification des limites d'un canton. Mais le juge administratif a eu également à se prononcer dans un contentieux propre au redécoupage et ce dans la perspective de garantir le principe de l'équilibre territorial des circonscriptions.
Ce faisant, le Conseil d'État apporte sa pierre s'agissant du contrôle de la sanction qu'il convient d'apporter à l'inégale représentation du suffrage – Confer la note de M. Bernard Maligner, ingénieur d'études au CNRS, droit administratif d'avril 1992.
S'agissant plus particulièrement du principe de continuité territoriale des circonscriptions, statuant comme juge de l'élection, le Conseil d'État n'a pas hésité à considérer que la sincérité du scrutin avait été altérée et à prononcer l'annulation des opérations électorales dans des hypothèses où des sections électorales étaient composées de territoires non contigus suivant la disposition naturelle des lieux mais enclavés les uns dans les autres, soit en vue de grouper arbitrairement des électeurs – cf. Conseil d'État 6 juin 1891, élections de Pexiora, page 429 –, soit de telle sorte qu'aucune ligne de démarcation ne pouvait être tracée entre elles – Conseil d'État, 26 décembre 1884, élections municipales de Dions, page 986.
Monsieur Folliot, pardonnez-moi de vous interrompre un instant. Le règlement vous autorise parfaitement à continuer…
Cependant, chacun aura remarqué que vous aviez prévu de vous exprimer pendant trente minutes.
Ce serait faire preuve de correction à l'égard de vos collègues de respecter un tant soit peu cette prévision.
J'entends bien, monsieur le président ; mais, ainsi je l'ai rappelé au début de mon propos, le groupe Nouveau centre disposait encore, en début de séance, de quatre heures.
C'est bien pour cette raison que j'ai précisé que le règlement vous permettait de continuer, tout en faisant appel à votre sens de la correction, mon cher collègue.
J'entends bien. Mais les temps qui sont annoncés le sont à titre indicatif.
Dans sa décision du 18 novembre 1977 à propos de la commune de Fontenay-sous-Bois, le Conseil d'État a rappelé que « le principe de division du territoire implique que les limites extérieures de chaque catégorie de circonscriptions coïncident entre elles et ne saurait être dérogé à cette règle que pour des motifs d'intérêt général et à la condition qu'aucune disposition législative régissant l'organisation administrative n'y fasse obstacle ».
Aussi, d'après M. Bernard Maligner, il est exclu qu'un remodelage cantonal aboutisse à faire passer les limites d'un arrondissement à l'intérieur du territoire d'une autre commune et qu'il est fort improbable qu'une collectivité territoriale appartenant à un canton donné puisse être divisée entre deux cantons, ce qui serait d'ailleurs particulièrement contre-performant et contraire à toutes les règles et principes qui gouvernent la matière.
S'agissant du principe de loyauté politique ou d'équilibre politique, à notre connaissance, ce type de contrôle n'a pas encore été effectivement mis en oeuvre par le Conseil d'État mais l'idée particulièrement porteuse et procédant d'une belle clairvoyance de la situation a été évoquée par M. le commissaire du Gouvernement Franc lorsqu'il a pris ses conclusions sur l'affaire de la commune de Fontenay-sous-Bois du 18 novembre 1977.
Toutes ces observations pour dire que ce que le juge administratif a jugé, le juge constitutionnel ne saurait l'ignorer.
S'il est certain qu'une ordonnance de cette nature concerne une matière particulièrement sensible, au carrefour du juridique et du politique, il n'en demeure pas moins, et le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel sont particulièrement habitués à ce type de décision, que sa légalité doit être examinée avec une grande perspicacité par le juge administratif et le juge constitutionnel. C'est tout l'honneur d'un État de droit que de permettre de tels contrôles avec une diminution comme peau de chagrin de tout ce qui relève du domaine discrétionnaire de l'administration. Un contrôle normal s'impose.
Tout converge pour qu'il en aille mieux.
Pour commencer, comme cela a déjà été rappelé, l'article R. 311-1 du code de justice administrative, et la Constitution prévoient bien un contrôle de légalité de ces ordonnances sans aucune distinction particulière en raison de leur objet.
Ensuite, il a été jugé que le Conseil d'État était compétent pour connaître de la conformité d'une ordonnance à la loi d'habilitation et ce, jusqu'à sa ratification, selon l'ordonnance du 3 novembre 1961, Damiani, sans parler du Conseil Constitutionnel.
On le sait, s'agissant du calendrier parlementaire, il est fort possible que cette loi d'habilitation intervienne à la fin du mois de janvier 2010. J'avais donc déposé parallèlement une requête tendant à voir suspendre l'exécution de l'ordonnance. Malheureusement, elle n'a pas été retenue. Pour satisfaire les exigences d'un équilibre processuel, le Conseil constitutionnel aura l'occasion de rappeler que la faculté de saisir un juge pour qu'il suspende l'exécution d'un acte revêt un caractère de principe fondamental de procédure, cela ne doit évidemment pas être perdu de vue.
De plus, l'effectivité des droits d'accès au juge naturel d'un acte ou d'une situation est constamment rappelée par les juges de Strasbourg.
Par ailleurs, et dans le droit fil des précédentes observations, dans sa décision n° 196 DC du 8 août 1985, le Conseil constitutionnel a considéré que les ordonnances de l'article 38 de la Constitution relevaient du contrôle du juge de l'excès de pouvoir sans aucune autre distinction ni précision.
Une doctrine autorisée évoque également cette possibilité de contrôle, spécialement pour les ordonnances modifiant les circonscriptions législatives – Confer Louis Favoreu et Loïc Philip in « Les Grandes décisions du Conseil constitutionnel, commentaires sur les décisions n° 208 DC du 2 juillet 1986 et 218 DC du 18 novembre 1986.
Ce faisant, ce qui est en cause, c'est certainement l'avis donné par le Conseil d'État sans que, malheureusement, on puisse, en l'état actuel des choses, en savoir davantage sur la teneur de cet avis, comme je l'ai déjà indiqué, adressé à la section de l'intérieur, un simple message dans la mesure où ladite section n'entendait pas voir produire d'écritures spécifiques, contrairement à la Commission Guéna qui a souhaité recueillir des observations et qui, dans son avis, précise qu'elle a tenu compte des lettres qu'elle a pu recevoir, notamment de ma lettre du 19 mai 2009. Je rappelle que l'avis donné par la Commission reprend intégralement ce que, moi et deux autres députés du département du Tarn, avions proposé. L'ordonnance aurait donc dû viser « l'avis du Conseil d'État » plutôt que de dire que celui-ci a été entendu, ce qui postule une oralité.
Cette observation liminaire ayant été faite, j'indique que, parmi les très rares personnalités qui ont soutenu le projet gouvernemental, on compte le maire de la ville de Castres, M. Pascal Bugis, qui a pris fait et cause pour soutenir le député de la quatrième circonscription, lequel a été soutenu depuis l'origine par le projet gouvernemental dont l'objectif était manifestement de le favoriser, comme l'a souligné notre collègue Jacques Valax.
Cela dit, l'ordonnance attaquée, en tant qu'elle supprime une circonscription législative dans le département du Tarn et reformate le département autour de trois circonscriptions, n'est pas conforme à la loi d'habilitation n° 2009-39 du 13 janvier 2009, au regard des réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 8 janvier 2009 lors de l'examen de la conformité de ladite loi à la Constitution. Elle n'est pas conforme non plus au principe de loyauté qui veut que seules des considérations d'intérêt général puissent être retenues et qu'en aucun cas le redécoupage, notamment par rapport à la répartition des cantons, soit dicté par des considérations électoralistes etou politiciennes, ce qui est antinomique avec les règles et principes qui gouvernent la matière.
Plus précisément, l'ordonnance débouche sur un écart démographique qui est proche de la limite de 20 % fixée par la loi du 13 janvier 2009 alors que l'évolution démographique du département du Tarn, calculée d'après les chiffres du recensement de 2007, va probablement dépasser cette limite à très court terme. Cela traduit une méconnaissance du principe de l'égalité devant le suffrage, si l'on ne fait que se référer au dernier recensement qui poursuit et amplifie les tendances dans les déséquilibres induits par la proposition gouvernementale, j'y reviendrai.
En l'espèce, l'argument démographique susceptible d'être avancé par le Gouvernement pour justifier son choix, loin d'aller dans le sens de la solution retenue par l'ordonnance, fait en réalité apparaître une différence de près de 15 000 habitants dans un cas et 19 000 dans l'autre entre la circonscription la moins peuplée et les deux autres les plus peuplées, soit des écarts de 12 % et 16 %, comme je l'ai dit tout à l'heure.
Or cet écart, cela a été démontré, va inévitablement s'accentuer à très brève échéance au-delà des 20 % qui constituait pourtant le plafond prévu par la loi d'habilitation.
En effet, la dynamique démographique est nettement favorable au secteur ouest, comme le démontre la forte progression de la population dans cette partie du département entre 1999 et 2008, progression qui s'explique notamment par le développement de l'agglomération de Toulouse et l'augmentation grandissante de la population dans les secteurs de Gaillac et de Lavaur. D'ailleurs, sur ce point particulier, la commission prévue par l'article 25 de la Constitution a clairement indiqué les choses, comme je l'ai rappelé tout à l'heure.
La Commission Guéna a complètement réécrit la copie du Gouvernement, si l'on peut s'exprimer ainsi, proposant une rédaction qui rejoint, en tous points, celle que j'avais faite, je l'ai dit tout à l'heure.
Nous avons déjà entendu l'ensemble de vos arguments, me semble-t-il, monsieur Folliot.
Je n'ai pas tout à fait fini, monsieur le président. Si M. le secrétaire d'État avait daigné répondre lors de la première lecture aux questions que je lui avais posées…
…je ne serais certainement pas là à essayer de le convaincre, de lui expliquer en quoi sa proposition de redécoupage n'est pas conforme à la Constitution.
Et si j'en suis réduit à cette impérieuse nécessité d'expliciter les choses, en prenant le temps qu'il faut pour le faire, la responsabilité en revient au seul ministre Marleix, ici présent.
Je peux le faire si vous voulez ! (« Oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Oui, cela nous intéresse ! Il y a deux ou trois choses qui nous ont échappé !
Ce faisant, il apparaît clairement que le découpage des circonscriptions législatives du Tarn tel que retenu dans cette ordonnance n'est pas en phase avec la lettre et l'esprit de la loi d'habilitation du 13 janvier 2009 eu égard aux réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 8 janvier 2009. Ces propositions ne sont pas équilibrées démographiquement, mais ce n'est pas tout.
Un deuxième moyen vient de la circonstance que le redécoupage, tel qu'il ressort de l'ordonnance et de son annexe n° 2, s'agissant du département du Tarn, méconnaît le principe de l'équilibre politique, ensemble le principe de loyauté, car le redécoupage du Gouvernement a été réalisé en méconnaissance totale des réalités historiques, démographiques, administratives et politiques du département du Tarn, d'où une délimitation arbitraire des circonscriptions législatives.
C'est la faute à Urvoas qui lui a demandé de recommencer depuis le début !
Ce choix effectué en dépit des traditions du département du Tarn (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) ne respecte pas les propositions de la commission Guéna. Ce redécoupage n'est donc pas justifié, comme cela a été dit et précisé.
À ce stade, il conviendrait de recadrer le débat… De quoi parlions-nous ?
Je vais donc avancer, mes chers collègues ! Vous voyez que je vous épargne beaucoup de choses !
J'en viens à la conclusion – de ma première partie, je vous rassure ! Je voudrais en effet aller plus loin et me demander avec vous si, dans ce contexte, le redécoupage retenu par l'ordonnance reprenant mot pour mot le projet gouvernemental ne traduit pas en réalité un détournement de pouvoir. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Le président Odent écrivait, avec la perspicacité qui le caractérisait, que « le vice de détournement de pouvoir tient à ce qu'un pouvoir conféré à une autorité a été détourné par cette autorité de l'objet en vu duquel il lui a été attribué ; ce pouvoir a ainsi été utilisé à des fins autres que celles auxquelles il était destiné ».
« L'autorité qui commet un détournement de pouvoir accomplit un acte ou prend une décision qui relève de sa compétence ; elle respecte les formes prescrites mais elle use de son pouvoir pour des motifs ou dans une hypothèse autre que ceux en vu desquels ce pouvoir lui a été dévolu. » – président Odent, « Cours de contentieux administratif », réédition tome II, page 2010.
La notion de détournement de pouvoir est également à rapprocher de la théorie de l'abus de droit comme la concevait le doyen Josserand dans la mesure où un droit s'inscrit dans une perspective, dans une finalité, et sortir de cette perspective et de cette finalité, c'est en quelque sorte abuser d'un pouvoir, sortir des cadres de la loi, de sa finalité même car il y a une ontologie légale, en quelque sorte, et aujourd'hui plus que jamais, elle doit être restituée pour donner plus d'épaisseur à un État de droit à la recherche de valeurs nouvelles et confortées sous le contrôle du juge de la légalité dont le rôle est central dans la genèse et la perpétuelle jeunesse du droit – confer à cet égard Guy Canivet et Nicolas Molfessis dans La politique jurisprudentielle, Mélanges Bore Dalloz 2007, page 79, et Philippe Blondel dans Le justiciable à ne pas oublier, Mélanges Buffet Petites Affiches 2004.
En l'espèce, on l'a vu, le dossier le fait ressortir de façon éclatante, le redécoupage tel que proposé par le Gouvernement et finalement entériné par l'ordonnance, nonobstant l'avis de la commission Guéna et de la section de l'intérieur du Conseil d'État, procède justement, en certains de ses aspects, d'une recherche d'objectifs autres que ceux qui gouvernent en la matière, d'où un détournement de pouvoir.
…presque la conclusion. Je voudrais en effet attirer l'attention de la représentation nationale…
…sur certaines erreurs manifestes figurant dans le rapport qui lui a été soumis.
Un élément me paraît essentiel, monsieur le secrétaire d'État. Pour justifier le redécoupage du département du Tarn, vous indiquez qu'en toute logique le nouveau découpage a été effectué à partir des circonscriptions les plus peuplées : la deuxième – Albi-Gaillac-Graulhet – et la quatrième – Lavaur-Mazamet. Cela sous-entend la totalité de ces circonscriptions, or le canton d'Anglès, qui fait partie de la circonscription Lavaur-Mazamet, a été retranché de la future troisième circonscription : Mazamet-Lavaur-Castres.
C'est normal !
Vous nous expliquerez pourquoi !
Vous dites qu'il n'y avait pas lieu de reprendre les dispositions du redécoupage de 1958 en expliquant que le département du Tarn avait connu cinquante ans de transformations économiques, sociales et urbanistiques. Je vous ferai simplement remarquer que l'État, dans ses prises de position et dans ses éléments d'organisation, méconnaît le choix que vous avez fait et reconnaît les bassins de vie traditionnels du département. Je vous en donne trois exemples précis.
Écoutez bien, monsieur le secrétaire d'État, sinon il est capable de recommencer ! (Rires.)
Dans le département du Tarn – je parle sous le contrôle du président Carcenac –, il y a trois groupements de pompiers : Albi-Carmaux-Ségala, Castres-Mazamet-Montagne et Gaillac-Graulhet-Lavaur. Nous sommes actuellement en train de modifier la carte des compagnies de gendarmeries du département dont le nombre passera de quatre à trois. Que proposent les services de l'État en la matière ?
Ils proposent trois nouvelles compagnies qui correspondent exactement aux délimitations traditionnelles du département du Tarn dont j'ai parlé. Mieux encore, pour la fameuse grippe A, le département est divisé en trois zones avec trois centres de vaccination – Albi, Castres, Lavaur – correspondant aussi à ces critères traditionnels !
On ne peut donc accepter les contrevérités qui figurent dans ce rapport. Pour justifier votre projet, vous avancez que le maire de Castres y est favorable, mais j'ai ici la liste des cinquante maires et huit conseillers généraux qui se sont prononcés contre. Je peux vous la lire ! (« Oui ! Des noms ! Des noms ! » sur les bancs du groupe SRC.) Je la tiens à votre disposition.
C'est important, car il est malhonnête de mettre en avant un seul élu alors que plus de cinquante ne sont pas d'accord. Et le comble, c'est quand vous indiquez que le canton de Villefranche-d'Albigeois est en zone de montagne ! Cela traduit une méconnaissance totale des réalités géographiques et territoriales de mon département !
Et j'espère que ces huit questions recevront quelques réponses de votre part, monsieur le secrétaire d'État.
Tout d'abord, s'adressant aux préfets, le 22 janvier 2009, vous leur indiquiez : « Votre point de vue constituera donc un élément essentiel des choix que je serai conduit à faire pour la suite ». Pourquoi ne pas en avoir tenu compte, suite à la concertation avec les élus menée par le préfet Philizot pour le Tarn ?
Deuxième question, le 13 septembre 2009, vous indiquiez que la commission de l'article 25 de la Constitution était une « institution de la République à l'autorité incontestable ». Pourquoi ne suivez-vous pas ses propositions ?
Troisième question : quel est le motif d'intérêt général qui justifie un écart de près de 20 000 habitants dans votre découpage…
…alors qu'il est de 4 000 habitants dans la proposition de la commission Guéna ? En quoi votre proposition est-elle donc plus conforme avec la décision 2008-573 du 8 janvier 2009 : « Une délimitation des circonscriptions législatives représentant au mieux l'égalité devant les suffrages » ?
Quatrième question, vous justifiez votre découpage autour des deux circonscriptions les plus peuplées – Albi-Gaillac-Graulhet et Mazamet-Lavaur. Pourquoi retranchez-vous le canton d'Anglès de cette dernière ?
Sixième question, pour appuyer votre projet, vous mettez en avant une lettre du seul élu local favorable, le maire de Castres. Pourquoi ne tenez-vous pas compte de la cinquantaine de maires, de la dizaine de conseillers généraux et de la décision unanime, toutes tendances confondues, du conseil d'administration de l'Association des maires du Tarn, tous opposés à votre projet ?
Septième question, le 13 octobre dernier, vous déclariez à cette même tribune que « le retour au découpage de 1958 devait être privilégié lorsque la démographie le permettait ». Au regard de tout ce qui a été avancé, montrant le meilleur équilibre démographique du découpage de 1958 pour le Tarn, et de l'avis exprimé par la quasi-totalité des élus du département, pourquoi ne pas avoir privilégié ce découpage ?
Huitième et dernière question : à supposer qu'il faille couper la ville de Castres en deux,…
…pourquoi le faire de manière aussi incohérente ? Dans le département du Tarn, vous avez Albi au nord, Castres et Mazamet plus au sud. La proposition du Gouvernement consiste à raccrocher le canton de Castres Nord, qui est le plus proche d'Albi, à la circonscription Mazamet-Lavaur, qui est plus au sud, et le canton de Castres Sud, qui est le plus proche de Mazamet, à la circonscription d'Albi, qui est plus au nord. Pourquoi cette incohérence ?
Ils ont fait ça sur un ordinateur ! Il faut une carte précise pour faire cela !
Notre collègue Folliot a parfaitement raison et je pourrais reprendre ses propos, en les complétant par ce qu'il n'a pas eu le temps de dire !
Hier, à cette même tribune, le président de l'Assemblée nationale et le Premier ministre ont rendu un hommage particulièrement touchant à Philippe Séguin. Gaulliste social, républicain respecté par tous, celui-ci était caractérisé par un certain franc-parler et une capacité à défendre ses convictions, y compris parfois contre son camp. « Être républicain, disait-il, c'est s'opposer à l'arbitraire. » L'arbitraire peut frapper partout et à tout moment, et nul n'en est protégé, quel que soit le banc sur lequel il siège.
Si, dans ce redécoupage, l'objectif du Gouvernement était de faire taire les différences au sein de la majorité, cela se traduira par un échec. Échec pour vous, monsieur le secrétaire d'État, échec également pour la majorité tout entière, car c'est dans la diversité des opinions que l'on fait vivre les principes démocratiques.
Mon dernier mot reprendra la devise de la ville de Castres : « debout ». Je resterai toujours debout pour défendre les principes auxquels je crois, et je vous prie de m'excuser, chers collègues, si j'ai parfois été un peu long sur certains aspects.
C'est le mépris et l'arrogance qui m'ont été opposés qui m'ont obligé à faire cela.
Ce n'est pas excessif. J'ai écrit plusieurs fois au secrétaire d'État, je l'ai interpellé en séance, et il ne m'a jamais répondu. C'est pourquoi, avec tout le respect que je porte à sa personne, j'estime que ce comportement n'est pas républicain et je le regrette. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
L'incident de décembre dernier au Sénat me permet aujourd'hui de mieux expliquer devant la représentation nationale les anomalies qui ont entaché le redécoupage électoral en Moselle…
…et plus particulièrement à Metz. Pour faire le preuve de ces anomalies, je voudrais mettre en évidence cinq points.
Premièrement, la Moselle fait partie des treize départements dans lesquels le Gouvernement n'a absolument pas tenu compte des observations de la commission de contrôle du redécoupage électoral. Le Gouvernement l'a reconnu du reste en première lecture dans les observations figurant en bas de la page 95 du rapport n° 1949 de la commission des lois.
Deuxième point, la ville de Metz est l'une des vingt et une circonscriptions de France où le Gouvernement est passé outre à une double recommandation de la commission de contrôle et du Conseil d'État. Je me réfère pour cela aux propos tenus par le secrétaire d'État dans Le Monde du 26 juillet et dans Le Figaro du 29 juillet 2009.
Troisième point, le découpage à l'intérieur de la ville de Metz est cité par la presse nationale comme l'un des cinq cas les plus flagrants d'anomalie. Ainsi, après Le Monde du 1er août 2009, Le Canard Enchaîné écrivait par exemple : « En Moselle, les circonscriptions dessinées par Marleix prennent des allures de fjords norvégiens ou de carte des Balkans. Pour renforcer le député UMP de la première circonscription, ce travail de dentellière a été réalisé au détriment de la députée UMP de la troisième circonscription. »
Quatrième point, la ville de Metz est le seul cas en France où le Gouvernement a transmis à la commission de contrôle des chiffres de population inexacts. L'Assemblée Nationale a voté en première lecture sur la base de chiffres sous-estimés. J'ai posé au mois d'octobre une question signalée, et la réponse m'a confirmé que les chiffres n'étaient pas exacts.
Cinquième point, la ville de Metz est le seul cas en France où la commission des lois de l'Assemblée Nationale a rectifié les anomalies résultant de l'ordonnance du 29 juillet 2009. Plus précisément, elle a suivi mon argumentaire et rétabli les anciennes limites existant depuis le début de la Ve République.
Ces cinq constats ne sont pas le fruit d'une simple coïncidence. Ils confirment le caractère très particulier du découpage effectué à Metz, qui n'a ni justification démographique, ni géographique.
Ce découpage n'a aucune justification démographique : il se résume à permuter dans Metz, treize bureaux de vote très marqués à gauche qui constituent le canton de Metz I contre onze bureaux de vote très marqués à droite soigneusement sélectionnés à l'intérieur du canton de Metz III.
Vos finalités sont évidentes puisque le canton de Metz I qui passe de la première à la troisième circonscription est le plus à gauche de la ville. Son conseiller général est d'ailleurs le maire socialiste de Metz.
De même, les onze bureaux de vote du canton de Metz III transférés en sens inverse n'ont pas été choisis au hasard. Ils sont les plus à droite de Metz.
Cette permutation n'a aucune justification démographique puisque l'actuelle troisième circonscription ne compte que 9,66 % d'habitants de moins que la moyenne départementale. Elle entre donc très largement dans les critères fixés par le Conseil Constitutionnel.
Du reste, votre ordonnance laisse inchangée la circonscription de Sarreguemines, dont la population est pourtant inférieure de 13,03 % à la moyenne départementale. Monsieur le secrétaire d'État, comment pouvez-vous sérieusement prétendre qu'un écart de 9,66 % soit inacceptable à Metz alors que, dans le même département, un écart de 13,03 % vous paraît tout à fait normal ?
Évoquons maintenant les incohérences géographiques de ce découpage.
Historiquement, la limite entre les première et troisième circonscriptions a toujours coïncidé avec le lit de la Moselle, elle était donc parfaitement régulière. À l'avenir, les deux circonscriptions vont former des excroissances qui s'enchevêtrent de manière inextricable.
En particulier, les bureaux de vote du canton de Metz III transférés à la première circonscription formeront une hernie rattachée à celle-ci par une étroite bande de terrain d'environ deux cents mètres de large, un ancien chemin de halage. C'est ce que le Canard Enchaîné appelait « un travail de dentellière. »
Dans le rapport en première lecture de la commission des lois, vous souteniez, monsieur le secrétaire d'État, que ce découpage était pertinent au motif qu'il s'arrêtait sur une voie ferrée… Or le fait que le fond de la hernie s'arrête sur une voie ferrée ne justifie absolument pas la création de la hernie, ni, a fortiori, l'existence des nombreux autres tentacules que forment les deux circonscriptions. Et cela est d'autant moins justifié que de l'autre côté de ladite voie ferrée, les bureaux de vote sont politiquement très à gauche. À l'évidence, si vous avez arrêté le découpage sur la voie ferrée, c'est pour cette seule raison politique.
La troisième partie de mon propos sera consacrée à la sous-estimation de la population concernée par le démembrement du canton de Metz III.
Afin de sauver les apparences, vous deviez au moins instaurer une égalité quasi parfaite entre la population de la nouvelle troisième circonscription et la moyenne départementale. C'était d'autant plus facile que ce découpage passant à l'intérieur du canton de Metz III, il suffisait de ne rattacher que le nombre de bureaux de vote nécessaire. Cependant, dans la précipitation, ce sont tous les bureaux de vote de droite du troisième canton qui sont transférés.
De la sorte, vous avez recréé un écart démographique beaucoup plus important que ce qu'indiquaient les chiffres sous-évalués transmis par le gouvernement à la commission de contrôle du redécoupage électoral. C'était tellement énorme que cela sautait aux yeux.
En réponse à la question signalée évoquée précédemment, ce sont vos services qui ont fourni les chiffres. En effet, le découpage effectué est si bizarre que l'INSEE était incapable d'évaluer la population concernée. Le Gouvernement a de ce fait donné sa propre estimation. Quoi qu'il en soit, il est maintenant incontesté que la population transférée à l'intérieur du canton de Metz III n'est pas de 15 539 habitants, mais de 17 185, soit un écart de 16,5 %.
Finalement, la population de la nouvelle troisième circonscription reste donc inférieure à la moyenne départementale. Or le Gouvernement explique ce découpage extravagant par le souci de réduire l'écart avec la moyenne départementale. Si tel est le cas, il fallait ne transférer que les bureaux de vote nécessaires pour égaliser la population, soit sept bureaux et non onze.
Monsieur le secrétaire d'État, voilà une preuve supplémentaire que ce découpage est tout de même particulier.
Il n'est pas acceptable de fournir à la commission des chiffres sous-évalués. Lorsque l'on souhaite justifier d'un redécoupage, il faut être irréprochable sur les chiffres de population que l'on transfère d'une circonscription à une autre.
En conclusion, je déplore l'instrumentalisation de cette procédure. Le jour même de la publication de l'avis de la Commission de Contrôle au Journal officiel, en l'espèce le samedi 27 juin 2009, le député de Metz I convoquait une conférence de presse pour annoncer : « dès lundi, nous rectifierons les choses. Il est clair que le Gouvernement ne tiendra pas compte de la position de la commission ». Ce n'est pas acceptable. Je livre aujourd'hui ces éléments à votre réflexion et à celle de la représentation nationale. Ils m'ont amené à déposer un amendement en commission des lois qui a été adopté. Il était nécessaire aujourd'hui de présenter ces vérités à la représentation nationale.
S'il est une vertu honorée par cette treizième législature, c'est bien celle de la pédagogie. La pédagogie, c'est l'art de répéter. Et pour un député exerçant son premier mandat, reconnaissez que je suis gâté. L'apprentissage se fait d'autant plus vite que les textes nous sont soumis deux fois : la loi HADOPI qui revient devant l'Assemblée Nationale du fait d'un manque d'effectifs, la taxe carbone justement retoquée par le Conseil Constitutionnel, et maintenant cette deuxième lecture, inattendue, qui me permet de m'adresser de nouveau à vous.
Tout a été fait pour aguerrir les députés exerçant leur premier mandat, et avouez qu'il y a une certaine incohérence à vouloir qu'ils perdent leur circonscription malgré l'expérience acquise.
Cette intervention me permet de vous exprimer un message personnel, monsieur le secrétaire d'État. La cause semblait entendue, la loi était votée, et nous perdions, cher Yves Durand, trois circonscriptions de gauche dans le Nord. Iniquité, certes, mais l'affaire était faite.
Je tiens à vous rendre hommage, monsieur le secrétaire d'État : vous avez eu la courtoisie, me rencontrant dans les couloirs, de vous enquérir du devenir du « redécoupé ». Ce geste de gentleman, geste de cordialité républicaine, je voulais l'honorer. Pourtant, je n'ai pas été de ces « visiteurs du soir », pour reprendre un vocable mitterrandien, qui ont dû être nombreux à venir dans votre ministère. Ils ont dû beaucoup insister, beaucoup quémander – je ne pense pas aux deux orateurs qui m'ont précédé et qui, je pense, n'ont pas eu d'écho… Nous avons sommes ainsi abouti à des aberrations géopolitiques, des « fjords » comme on les a appelés. En 1905, le géopoliticien Halford Mackinder avait imaginé que la géographie politique était soumise aux forces telluriques et marines. C'est ce qui est arrivé avec les 12e et 13e circonscriptions du Nord : la Flandre est arrivée jusqu'à la mer !
Un bon exemple de ces aberrations est en effet celui qui concerne la 12e circonscription, dont je suis élu, la 13e, celle de Michel Delebarre, et la 14e, celle de Jean-Pierre Decool. Une simple question de numérotation a soudain pris de l'importance. Apparemment, on ne pouvait pas faire disparaître la 14e circonscription, détenue par l'UMP. Notre collègue Pérat, dans le sud du département, a donc vu la 12e circonscription, historiquement littorale, celle d'Albert Denvers, devenir celle de la frontière sud du département. Pro patria in frontibus, telle était la devise d'une ville voisine de Dunkerque, à l'époque où celle-ci était espagnole.
Puisque nous parlons de patrie, et comme M. Folliot a évoqué le vide laissé voici quelques jours par un grand républicain, je me permets aussi d'évoquer la sensibilité politique que je représente. Si je siège avec bonheur dans le groupe SRC, je suis un « républicain de l'autre rive », un gaulliste de gauche. Ma philosophie politique est celle de René Capitant, de Léo Hamon, de Jacques Delors écrivant le discours de la « nouvelle société » pour Jacques Chaban-Delmas. Cette sensibilité n'est représentée que par un député dans cette assemblée, et par Jean-Pierre Chevènement au Sénat. Au-delà de ma personne, il serait dommage qu'elle ne le soit plus dans notre hémicycle. Rendant hommage à Philippe Séguin à la télévision, notre collègue Étienne Pinte regrettait la disparition du gaullisme social et disait en substance qu'un gouvernement libéral est parfois oublieux du peuple. Il serait bon de ne pas l'oublier.
Médecin du club de football professionnel de Dunkerque à l'époque où il était en deuxième division, j'ai souvent vu des équipes réduites à dix joueurs gagner par un effort de volonté. Malgré les dix ou quinze députés que nous allons perdre, je souhaite que la gauche l'emporte en 2012 et j'espère pouvoir faire vivre encore ma sensibilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'état, mes chers collègues, je voudrais faire deux observations.
D'abord, je voudrais dire que le redécoupage des circonscriptions de la Haute-Saône, qui en comportait trois et en comportera deux si cette loi est votée, s'est déroulé de façon exemplaire. Le préfet a consulté, comme il se devait, les principaux responsables politiques, et le découpage a été fait en respectant au mieux l'écart de population entre les deux circonscriptions restantes. Le préfet a souhaité ensuite faire une dernière réunion de travail avec l'ensemble des parlementaires de Haute-Saône. Seuls les deux députés UMP s'y sont rendu. Les parlementaires de gauche n'ont pas souhaité y participer. Peut-être redoutaient-ils de cautionner la décision. Ou peut-être se sont-ils abstenus pour éviter d'avoir à dire qu'on avait fait du tripatouillage électoral. (« Oh ! » et rires sur les bancs du groupe SRC.)
En second lieu, je voudrais faire passer un message à propos de l'utilisation d'un ratio unique de population pour redécouper les circonscriptions. Beaucoup le savent bien, dans les départements ruraux faiblement peuplés, les circonscriptions comptent beaucoup de communes – 180 dans la mienne actuellement, 250 après le redécoupage. Loin des avions et des TGV, nous sommes également loin de Paris, que nous gagnons à bord de vieux trains qui tombent souvent en panne…
Nos vies sont donc plus difficiles. D'autre part, la réserve parlementaire est la même pour le député dont la circonscription compte 250 communes et pour celui dont la circonscription en a seulement vingt. Or, bien souvent, les citoyens de ces circonscriptions étendues exigent plus de services de leur député, qui y consacre plus de temps et de personnel, alors qu'il perd déjà un temps énorme dans les voyages. J'aimerais qu'on y pense en examinant la réforme des collectivités territoriales et que, pour définir la circonscription d'un conseiller territorial, on ne tienne pas compte uniquement de ce critère de population, mais également des kilomètres qu'il aura à faire et du travail qu'il aura à accomplir, en évitant l'erreur faite à propos des députés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, je vais essayer de « raison garder » (Sourires) et, comme je suis persuadé que vous avez toujours en mémoire mon intervention de première lecture, je ferai plus court que M. Folliot…
Au vu du découpage que vous avez effectué dans le Puy-de-Dôme, je reconnais, monsieur le secrétaire d'État, vos talents de charcutier. Au cours de la campagne pour les régionales, vous pourrez être l'invité d'honneur de la fête du cochon à Super-Besse : vous y avez toute votre place.
Ayant plusieurs cordes à votre arc au niveau régional, vous êtes aussi un expert incontesté de la dentelle, sans doute grâce à votre proximité avec M. Wauquiez...
Je vous avais dit, monsieur le secrétaire d'État, que nous aurions à nous revoir, car votre découpage est sectaire, arbitraire. C'est un déni de justice, quasiment un hold-up !
M. Folliot nous a expliqué en long, en large et en travers tous les reproches que l'on pouvait faire à ce découpage. Ce que je veux vous dire pour ma part, c'est que les choses ne se sont pas passées partout comme vient de le décrire M. Raison. Le préfet du Puy-de-Dôme de l'époque, M. Schmitt, avait demandé à tous les parlementaires de venir le voir. Nous avions répondu que nous voulions bien l'écouter, et il avait procédé à un premier découpage. C'était, nous a-t-il dit, celui qu'il allait adresser au ministère. Mais, surprise, c'est un autre découpage qui vous a été adressé, monsieur le secrétaire d'État. Et le comble, c'est que c'est un troisième qui a été officialisé ! Je ne sais pas où vous êtes allé prendre vos références, alors que le Conseil constitutionnel vous demandait de vous appuyer sur les rapports démographiques et sur les bassins de vie. Ce que vous nous avez fait n'y correspond en rien. Les cinq circonscriptions qui subsistent varient, en population, entre moins 14 % et plus 9 % par rapport à la moyenne, ce qui fait une fourchette de 23 %. Mais, entre gens d'une même région, on est là pour s'entraider. « Toi l'Auvergnat qui sans façon m'a donné quatre bouts de bois quand dans ma vie il faisait froid…. » Vous, vous allez bien nous donner une circonscription supplémentaire ! (Rires.)
Une fois acquise la décision qu'il n'y aurait que cinq circonscriptions, nous vous avons fait des propositions qui tiennent compte des bassins de vie, de la plus ou moins grande facilité à circuler dans le froid, et qui comportent des écarts entre circonscriptions allant de moins 0,98 % à plus 1 % par rapport à la moyenne.
Reconnaissez que notre travail est plus sérieux que celui que vous avez fait avec vos conseillers !
Il n'est jamais trop tard pour reconnaître ses erreurs : pour que cette deuxième lecture soit utile, prenez en compte cette proposition de redécoupage. Elle est sérieuse, elle tient compte des réalités géographiques et économiques, alors que vous avez surtout fait montre de vos talents de dentellière, et même de ciseleur. En effet, vous avez réussi à rattacher à la circonscription d'Issoire le canton de Vertaizon. Mais, vous qui en êtes voisin, vous savez bien qu'on rencontre à Issoire, à la foire de la Saint-Paul, plus de gens de Massiac, dans le Cantal, que de Vertaizon. Mme Zimmermann sera contente de savoir que ce n'est pas seulement en Moselle qu'il y a des fjords : il y en a aussi dans le Puy-de-Dôme ! Vous avez même réussi l'exploit de couper en deux le canton de Billom,…
…alors que vous aviez assuré à notre collègue Geoffroy, en commission, qu'en aucun cas vous ne scinderiez un canton de moins de 40 000 habitants.
Or, monsieur le secrétaire d'État, le canton de Billom est quatre fois moins peuplé : il compte 10 113 habitants. Je suis obligé de le dire : je vous prends en flagrant délit de mensonge. Cela m'embête vraiment, mais vous avez pu vous tromper de bonne foi, auquel cas vous le manifesterez en nous indiquant notre volonté de revenir sur ce découpage.
En outre, vous n'avez pas de chance, car il semble que le travail que nous avions fait, vous et nous, pour qu'il y ait cinq circonscriptions équilibrées n'ait servi à rien, l'INSEE s'étant manifestement trompé quant au nombre d'habitants de notre pays : nous ne serions pas 65 millions, mais seulement 63,6 millions.
S'agissant du département du Puy-de-Dôme, je vous avais alerté, lors de ma précédente intervention : sa population croît fortement. Un quotidien que vous connaissez bien, et que vous aurez souvent l'occasion de lire au cours de la campagne des élections régionales qui ne va pas tarder à vous accaparer, affirme qu'il gagne 2 800 habitants par an.
Vous nous aviez dit, monsieur le secrétaire d'État, que le Puy-de-Dôme comptait moins de 625 000 habitants. Or, selon le dernier recensement de l'INSEE, il en compte 626 639.
Je ne vais pas recommencer la leçon de vocabulaire que je vous avais dispensée la dernière fois et qui avait eu le don de vous irriter. Je vous propose, en revanche, une petite leçon de calcul, en appliquant la règle que vous vous êtes vous-même fixée, monsieur le secrétaire d'État ; ce n'est pas moi qui ai choisi la méthode Adams, méthode dite de la tranche, en retenant un diviseur de 125 000 habitants. Comme il s'agit d'une leçon du niveau du cours élémentaire, première année, tout le monde pourra suivre… Si l'on divise, donc, 626 639 par cinq, on obtient un quotient supérieur à 125 000, ce qui vous oblige, monsieur le secrétaire d'État, à recréer la sixième circonscription du Puy-de-Dôme.
Je ne voudrais pas être trop long, et je voudrais épargner des nuits blanches à vos conseillers. Par conséquent, avec mes collègues du Puy-de-Dôme, j'ai déposé un amendement tendant à maintenir les six circonscriptions actuelles du département. S'il était accepté, vous seriez absolument dans les normes, et nous pourrions considérer que vous avez fait amende honorable.
Ce ne serait pas sans intérêt pour vous non plus, car votre projet présente au moins deux motifs de censure par le Conseil constitutionnel, garant du respect des lois de la République et du suffrage universel, n'en déplaise à M. Devedjian.
Tout d'abord, vous découpez un canton de moins de 40 000 habitants pour créer un cordon ombilical de nature à rattacher Vertaizon à Issoire. Vous savez bien que c'est une aberration, qui a au moins le mérite de faire rire la moitié du département,…
…quitte à faire pleurer l'autre. Rattrapez-vous donc, puisque vous en avez l'occasion.
Ensuite, puisque vous prétendez appliquer la règle de la tranche, avec un quotient de 125 000 habitants, appliquez-la jusqu'au bout, en conservant les six circonscriptions. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez raté les épreuves écrites de votre examen. Grâce à M. Pignard,…
…vous avez la chance de pouvoir passer l'oral de rattrapage. Ne la manquez pas !
Je propose d'ailleurs, pour ma part, que M. Pignard soit fait citoyen d'honneur non seulement du Puy-de-Dôme mais de la République, car c'est grâce à lui que ce texte fait l'objet d'une deuxième lecture. Grâce à lui, nous allons peut-être sauver la Moselle, le Puy-de-Dôme, le Tarn ! Voyez donc : nous allons peut-être sauver M. Folliot, ce sera formidable !
M. Pignard a donc eu le mérite de se tromper de touche, comme notre collègue Lamour sur un autre texte. Faites en sorte, monsieur le secrétaire d'État, de ne pas vous retrouver dans la situation de Cyrano de Bergerac, faites que nous n'ayons pas finalement la touche victorieuse devant le Conseil constitutionnel. Je voudrais vraiment vous éviter ce camouflet… (Sourires.)
Vous avez une chance de vous rattraper, saisissez-la ! Nous vous faisons des propositions précises, claires et nettes, qui ont le mérite d'être conforme aux règles que vous vous êtes vous-même fixées. Il suffit de les appliquer !
À défaut, je serais attristé, monsieur le secrétaire d'État, de vous voir censuré par le Conseil constitutionnel, comme ce fut le cas pour la taxe carbone et pour la loi « HADOPI ».
Je vous en prie, faites un effort : montrez que « le temps de la réflexion et de la concertation » n'est pas, dans votre bouche, une vaine formule. Il n'y a pas de honte à reconnaître que l'on a commis une erreur. Au contraire, on se grandit en reconnaissant ses erreurs. Grandissez-vous donc, monsieur le secrétaire d'État, et tenez compte de nos observations et de nos propositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le secrétaire d'État, vous êtes un spécialiste en remodelage de circonscriptions et avez une connaissance experte de notre carte électorale. Aussi vais-je vous faire part de quelques observations concernant le découpage prévu pour le département du Tarn.
Je ne reprendrai pas l'intégralité du propos de M. Philippe Folliot, que je connais bien pour l'avoir côtoyé au conseil général.
Il convient, paraît-il, de ramener de quatre à trois le nombre total des circonscriptions du Tarn. Pour y parvenir, vous êtes tenu de proposer un découpage délimitant des circonscriptions sur des bases essentiellement démographiques, respectant au mieux l'égalité devant le suffrage.
Vous nous expliquez que la délimitation proposée tente de répondre à un équilibre démographique des populations. Ce devrait être simple à réaliser. Or Bruno Le Roux a démontré, hier, que votre découpage ne répond pas à ce simple critère d'équilibre démographique.
Le rapport de la commission des lois précise, page 195, les écarts démographiques entre circonscriptions. Les nouveaux écarts par rapport à la moyenne départementale vont de moins 9,27 % à plus 6,05 %. La différence entre la circonscription la plus peuplée et la circonscription la moins peuplée est de 18 663 habitants.
Ce n'est donc pas le critère démographique qui a motivé le remodelage proposé pour le Tarn.
Vous avez consulté, sous l'égide du préfet, les groupes politiques du département. Ils ne vous ont pas suggéré ce remodelage, à l'exception de l'UMP, mais j'y reviendrai.
Vous avez transmis pour avis votre projet à l'examen approfondi de la commission indépendante de contrôle sur le redécoupage électoral, dite « commission Guéna ».
Dans son avis public du 23 juin dernier, celle-ci déclare à propos de votre projet : « Le projet de redécoupage détermine un écart démographique […] qui, sans être considérable, s'avère significatif dans un département dont le nombre de circonscriptions est ramené à trois. […] La commission propose d'approcher au mieux l'objectif d'équilibre démographique par un redécoupage qui, reprenant les grandes lignes de celui de 1958, repose sur la distinction traditionnelle des bassins de vie d'Albi et Carmaux, Castres et Mazamet, et enfin Gaillac, Graulhet et Lavaur. » Je m'arrête là, monsieur le secrétaire d'État, car la commission énumère ensuite les cantons autour desquels s'articulerait le remodelage proposé.
Vous ne tenez pas compte de la proposition de la commission Guéna.
Avez-vous retenu, alors, des critères géographiques pour appuyer votre proposition ? Il n'en est rien, puisque vous rattachez le canton d'Albi-Ouest aux cantons d'Albi-Nord-Ouest et Albi-Nord-Est, antérieurement séparés par la rivière Tarn, frontière entre les deux circonscriptions. Il devient donc impossible de se repérer entre les deux nouvelles circonscriptions, puisque vous rattachez trois cantons d'Albi à deux cantons de Castres. Même votre prédécesseur M. Pasqua, qui était un expert, et dont vous étiez alors le collaborateur, n'avait pas osé faire cela !
Avez-vous retenu un critère historique ? Il n'en est rien. Le département du Tarn a été créé en 1790 en regroupant trois évêchés : Albi, Castres et Lavaur.
Avez-vous retenu un critère économique, respectant la cohérence des bassins de vie et des communautés d'agglomération ? Il n'en est rien. Vous partagez les deux communautés d'agglomération, distantes de 40 kilomètres, et regroupez une partie de celle d'Albi avec une partie de celle de Castres-Mazamet en retenant trois cantons d'Albi sur six et deux cantons de Castres sur quatre, qui ne sont même pas reliés par une route départementale, car vous avez rattaché les deux autres cantons de Castres – Castres-Nord et Castres-Ouest – à une autre circonscription, formant ainsi un barrage entre les circonscriptions nouvelles.
Alors, quelle a donc été votre logique? Elle est simple, même simpliste.
Vous avez maintenu la circonscription du seul député UMP du département, et avez cherché à l'équilibrer en lui adjoignant deux cantons de Castres détenus par deux conseillers généraux UMP, au mépris de toute cohérence géographique, historique ou économique, de l'avis de toute la classe politique à l'exception de l'UMP.
Par suite, vous êtes obligé de scinder les trois anciennes circonscriptions afin de parvenir à un semblant d'équilibre démographique, et vous n'y parvenez même pas. Pour justifier ce charcutage indigne, monsieur le secrétaire d'État, vous invoquez, ainsi qu'on peut le lire aux pages 118 et suivantes du rapport de la commission des lois, la relative stagnation démographique du bassin de Castres. C'est méconnaître les réalités économiques locales, c'est omettre en particulier le développement remarquable des laboratoires Pierre Fabre,…
…alors même que le Président de la République vient tout récemment de faire M. Fabre commandeur de la Légion d'honneur.
Vous ne retenez que le seul courrier adressé au Premier ministre par le maire de Castres, par ailleurs président de la communauté d'agglomération Castres-Mazamet, qui affirme cependant que « l'unité de représentation d'un territoire peut être aussi valablement défendue que son partage ».
Dans ces conditions, vous comprendrez aisément que nous ne défendons pas nos sièges mais une conception équitable transparente, juste, non partisane de la démocratie. Contrairement à vous, nous ne défendons pas un siège, fût-il celui du seul soldat UMP du département ou celui du président du conseil général, votre serviteur, dont la circonscription serait épargnée alors que celle de son collègue et ami Jacques Valax serait, elle, supprimée.
Vous ne pourrez glisser une feuille de papier entre nos positions. Avec d'autres, y compris sur les bancs mêmes de votre majorité, comme M. Lachaud hier, nous défendons la proposition de remodelage proposée par la commission Guéna, et souhaitons ardemment que le Conseil constitutionnel la retienne. Comme je l'ai déjà rappelé, elle vise à approcher au mieux l'objectif d'équilibre démographique par un redécoupage qui, reprenant les grandes lignes de celui de 1958, repose sur la distinction traditionnelle des bassins de vie d'Albi et Carmaux, de Castres et Mazamet, et, enfin, de Gaillac, Graulhet et Lavaur. En revanche, lorsque nous regardons sur une carte ce que donne votre proposition de découpage, nous voyons bien que, même en l'absence de « fjords », le charcutage est parfait. J'espère que la décision du Conseil constitutionnel rétablira davantage de justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, il y a des signes qui ont valeur d'encouragement, et il m'a semblé que le vote du Sénat du 14 décembre avait cette valeur d'encouragement. Encouragement à dire une fois de plus que, si un nouveau découpage électoral s'avérait utile, voire obligatoire, nous ne pouvons accepter le travail qui a été fait, ni sur la forme ni sur le fond.
Je ne sais pas quel sens vous donnez au mot « concertation », mais, sans aucun doute, nous n'en avons pas la même définition. Les dialogues qui se sont tenus dans de nombreux départements ont en fait ressemblé à une séance d'enregistrement, puisque les décisions se prenaient en d'autres lieux où l'on était plus enclin à parler de résultats électoraux, et ce avant même que les électeurs aient voté, ce qui est pour le moins surprenant. Cela s'appelle, au choix, de la manipulation ou du tripatouillage. Oui, monsieur le secrétaire d'État, il y a pour le moins suspicion.
Nous n'avons touché à rien !
Je parlerai d'abord de l'ensemble, puis je reviendrai aux cas particuliers, car il faut toujours considérer en premier lieu de l'intérêt général.
Avouez qu'il est difficile d'accepter, lorsqu'il s'agit de l'exercice de la démocratie aboutissant à la composition des futures assemblées, que les dés soient pipés ! Personne n'est propriétaire du pouvoir et tout le monde doit accepter de le partager et, le cas échéant, de le perdre, c'est-à-dire accepter le fait que 50 % des voix plus une donnent une majorité. Or les calculs qui ont été faits montrent qu'il n'en sera rien. Il y aura, à la suite de votre découpage, s'il est maintenu, des majorités plus faciles à obtenir que d'autres, et l'on a compris pour qui ce sera plus facile…
Ils veulent gagner par le redécoupage ce qu'ils ont perdu par les urnes !
Se constituer un « matelas » de plus de vingt sièges est une attitude qui, si elle est vérifiée, me gêne pour le moins.
Voilà pourquoi il n'était pas possible de rester sans réaction devant de tels agissements. Je n'ai donc aucun regret, en ce qui me concerne, pour ce qui est de la saisine du Conseil constitutionnel. Et pourtant, nous en sommes les victimes collatérales.
Alors que les départements de la Lozère et de la Creuse n'étaient absolument pas évoqués dans le mémoire produit en appui de la saisine, et qu'une tradition républicaine voulait que tout département soit représenté par deux députés au moins, le Conseil s'est autosaisi de cette question et a mis fin unilatéralement à cette tradition au nom de considérations strictement démographiques.
Cette décision n'est pas aussi simple et équitable qu'il y paraît. En effet, le mandat de député ne s'exerce pas simplement dans une permanence de la ville-préfecture, mais au plus près des électeurs. On peut se poser la question de savoir si l'éloignement de l'élu des électeurs qu'il représente est la meilleure façon d'exercer la démocratie. Convenez qu'il est plus facile de rencontrer 120 000 électeurs répartis entre cinq communes que 60 000 répartis entre 120 communes ! Je ne sais pas si la décision est inéluctable, mais je pense qu'il faudra trouver une occasion de changer ce dispositif.
Le Conseil constitutionnel a limité récemment « les exceptions à la règle fondamentale selon laquelle l'Assemblée Nationale doit être élue sur des bases essentiellement démographiques ». Il fonde sa décision du 8 janvier 2009 sur le principe intangible d'égalité des citoyens devant le suffrage.
Mais il reconnaît aussi que le législateur peut tenir compte d'impératifs d'intérêt général susceptibles d'atténuer la portée de cette règle fondamentale, à condition de ne le faire que dans une mesure limitée. Je crois, monsieur le secrétaire d'État, que nous sommes précisément dans ce cas : le maintien d'au moins deux circonscriptions, qui ne changerait les choses que pour deux départements, s'inscrirait tout à fait dans ce cadre. S'y refuser pénaliserait notamment les habitants de mon département, la Creuse, qui, avec un seul député pour un territoire de 5 565 kilomètres carrés, comportant 260 communes et 124 500 habitants, ne trouveraient pas leur juste représentation au sein du pouvoir législatif. J'ajoute que, gagnant 400 habitants par an depuis deux ans, nous serons en 2012 au-dessus de la barre des 125 000 habitants. En perdant un de ses deux députés, la Creuse serait très affectée, alors que les territoires les plus fragiles ont besoin d'être défendus. Je m'adresse au passage à mon ami Alain Néri pour lui dire que le seul bénéficiaire de cette situation sera Michelin : l'usure des pneus des voitures des parlementaires sera si importante qu'il faudra les changer deux ou trois fois par an ! (Sourires.) L'usine Michelin – où mon père a été ouvrier – y trouvera un grand intérêt !
Monsieur le secrétaire d'État, je veux prendre date avec vous. Aujourd'hui, les choses sont compliquées, mais si nous en avons l'occasion, par exemple lors d'une révision constitutionnelle, nous souhaitons que ce système soit revu. D'ailleurs, l'ensemble des élus de la Creuse, toutes tendances politiques confondues, le demande. Vous le savez, chacune des deux circonscriptions de la Creuse a été, au cours des vingt dernières années, tantôt à gauche et tantôt à droite. Personne ne peut donc prédire le résultat des élections dans ce département. Mais que la Creuse n'ait plus qu'un seul député me semble contestable, et devoir être revu. En tout cas, monsieur le secrétaire d'État, nous appuierions une telle démarche si vous l'engagiez, à l'occasion d'une révision constitutionnelle, avant 2012. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. Kléber Mesquida, qui sera le dernier orateur de cette séance.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, le Conseil constitutionnel avait souligné à plusieurs reprises la nécessité de procéder, au regard du principe d'égalité, à un remodelage des circonscriptions législatives. Il avait même estimé qu'il était devenu « impératif » d'y procéder.
Le Gouvernement a opté, non pour une véritable refonte de la carte électorale, mais pour un simple ajustement, afin, nous dit-il, de remédier aux écarts démographiques les plus importants entre les 577 circonscriptions actuelles.
Prenons le cas du département de l'Hérault. Actuellement divisé en sept circonscriptions, il en comptera désormais neuf.
Au premier abord, on peut se dire que l'idée même d'une meilleure représentation des citoyens grâce à un plus grand nombre de députés est une bonne chose. Cependant, lorsqu'on y regarde de plus près, une conclusion s'impose : il n'y a eu ni concertation ni transparence ni logique dans le redécoupage qui a été fait, ce qui, à mon sens, met en péril un principe fondamental de notre République : l'équité.
Un redécoupage fait en concertation avec les parties concernées est un enjeu essentiel pour notre démocratie. J'en veux pour preuve, monsieur le secrétaire d'État, que, lorsque vous avez reçu les parlementaires du sud de la France, vous nous avez déclaré, la main sur le coeur, que tout se ferait dans la concertation et dans la transparence. Las, il n'en a rien été.
Pour ce qui est de la concertation, vous avez demandé au préfet de consulter les parlementaires sans que ces derniers aient pu avoir préalablement connaissance des éléments du projet, ce qui leur interdisait de formuler valablement des observations.
S'agissant de la transparence, vous avez organisé un détricotage électoral au détriment d'une analyse rationnelle des territoires et des bassins de vie.
S'agissant de la logique, sous couvert de respecter le principe de l'égalité démographique en retenant le système des tranches, vous servez uniquement vos intérêts politiques et ne garantissez plus l'égalité du suffrage.
Dans le département de l'Hérault, la cohésion des circonscriptions, la cohérence des cantons et l'unité des bassins de vie n'ont pas été les critères retenus dans votre projet. Le dernier redécoupage a été fait sous l'égide de M. Pasqua, dont vous étiez un fidèle. On avait, à l'époque, qualifié son travail de « charcutage électoral » et c'en était un ! Vous avez conservé la méthode et réalisé un chef-d'oeuvre de dentellière, comme l'a rappelé Mme Zimmermann…
Monsieur le secrétaire d'État, je connais déjà votre réponse à mes remarques : à quelques exceptions près, le Gouvernement a suivi les avis de la commission de contrôle. Je dirais qu'au regard de la composition de celle-ci, on peut douter de son indépendance…Vous allez aussi nous rétorquer qu'un député légifère pour la nation. Il n'empêche qu'il représente aussi un territoire et sa population.
Le député UMP d'Agde-Sète, Gilles d'Ettore, avait déclaré dans la presse, la veille de votre venue en vacances sur les bords de la Méditerranée : « Ma circonscription doit englober mon agglomération, Agde-Pézenas. » Il a été entendu et suivi ! Il voyait en la personne du maire de Frontignan un rival dangereux ; vous rattachez donc ce canton à Montpellier-Nord. Le canton de Mèze n'était pas très favorable à ce même député ; vous n'hésitez pas à le transférer à la circonscription allant jusqu'au Larzac. De la Méditerranée au Larzac : quel grand écart pour satisfaire le député-maire d'Agde !
Le maire de la Grande-Motte, votre ami Rossignol, voulait une circonscription ; vous la lui avez taillée, assise sur la cité des Pyramides,
Le jeune président départemental de l'UMP réclamait un fief : vous lui offrez une citadelle !
Quant à la circonscription de mon ami André Vézinhet, qui n'a pu peut être là ce soir mais m'a chargé de vous dire sa grande contrariété, vous lui ajoutez deux cantons qui votent à gauche, au prix du pluralisme de sa circonscription, auquel il est très attaché.
Monsieur le secrétaire d'État, je peux comprendre votre volonté de laisser votre nom dans cet exercice, à l'instar de votre illustre prédécesseur – j'oserais dire votre professeur. Mais vos procédés partisans vous empêchent de recueillir notre adhésion.
Je puis aussi comprendre que le fait que la 5e circonscription, dont je suis l'élu, ait résisté à la vague bleue de 2002 et outrageusement récidivé en 2007, déplaise à vos amis de l'UMP.
Pour autant, je ne souhaite pas rester uniquement dans le cadre de la critique. C'est pourquoi, avec André Vézinhet, nous vous avons proposé un autre contour des circonscriptions, respectant la logique territoriale. Les députés UMP de l'Hérault, sans doute gênés par la pertinence de cette proposition, ne l'ont pas contestée. Vous-même n'avez pas daigné y répondre. Peut-être les explications à fournir vous gênaient-elles également…
Au regard de vos propositions, nous avons un sentiment amer. L'orientation générale qui a dicté votre travail est partisane et politique. Votre volonté affichée de transparence, de concertation et d'objectivité n'a été qu'un leurre.
En l'état actuel des choses, la proposition faite pour le département de l'Hérault n'est ni objective ni rationnelle, c'est le moins que l'on puisse dire. Monsieur le secrétaire d'État, les citoyens de l'Hérault ne sont pas les moutons de l'UMP ; ils sauront vous le dire lors de la prochaine consultation électorale. À vouloir le pouvoir à tout prix, vous êtes allés trop loin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Prochaine séance, jeudi 14 janvier à neuf heures trente :
Suite de la discussion du projet sur la délimitation des circonscriptions électorales.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma