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Intervention de Philippe Folliot

Réunion du 13 janvier 2010 à 21h30
Délimitation des circonscriptions des députés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Folliot :

Sur de tels terrains juridiques, il faut être précis.

Force est de constater, monsieur le secrétaire d'État, un manque de diligence en la matière. La décision de référé ne m'a pas été favorable, le commissaire du Gouvernement ayant estimé que le Conseil d'État aurait tout son temps pour se prononcer au fond. Plusieurs mois plus tard, le Conseil ne s'est toujours pas prononcé ; ce qui doit nous amener, chers collègues, à nous interroger sur les limites de la capacité d'un citoyen à contester un texte qui lui est opposable devant les juridictions administratives.

Après avoir établi ce constat, je voudrais vous rappeler en quoi, selon moi, sur un plan juridique et contentieux, ce projet gouvernemental de redécoupage des circonscriptions n'est pas conforme à la Constitution et mérite d'être remis en cause.

Aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, le Conseil d'État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets.

La légalité des ordonnances signées par le Président de la République, prises sur habilitation selon l'article 38 de la Constitution, relève donc directement du Conseil d'État, qui examine notamment leur conformité par rapport à la loi d'habilitation telle qu'interprétée – et il importe ici d'avoir à l'esprit les décisions du Conseil constitutionnel : à cet égard, avant de déterminer la nature du contrôle susceptible d'être opéré par le Conseil d'État en matière de découpage électoral, un bref rappel du contrôle opéré par la haute juridiction en la matière me paraît utile.

Lorsqu'il est saisi de la conformité à la Constitution d'une loi remodelant des circonscriptions législatives, le Conseil constitutionnel opère un contrôle dit « à double détente » qui distingue entre l'équilibre démocratique, d'une part, et l'équilibre politique, d'autre part : confer à cet égard Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, sixième édition, spécialement les pages 702 et suivantes, et les observations de Louis Favoreu et Loïc Philip, plus particulièrement les commentaires sur les décisions nos 86-208 DC du 2 juillet 1986 et 86-218 DC du 18 novembre 1986.

Le principe d'équilibre démographique, tel que dégagé par le Conseil constitutionnel, postule que la délimitation des circonscriptions électorales doit être effectuée en respectant la règle d'égale représentation des populations de chacune des circonscriptions, sans pourtant être astreinte à une stricte proportionnalité : confer la décision n° 86-208 DC du 2 juillet 1986.

Le principe d'équilibre politique, tel qu'il ressort de la décision n° 86-208 DC, paragraphe 24, traduit une préoccupation majeure, celle d'assurer l'égalité dans l'exercice du droit de suffrage dans le souci d'éviter que l'électeur ne soit dépouillé de son droit de choisir par un aménagement approprié des circonscriptions électorales ; on peut parler ici d'un véritable « principe de loyauté électorale ».

Lorsqu'il examine la mise en oeuvre de ces principes par la loi qui lui est déférée, le Conseil constitutionnel exerce, il est vrai, un contrôle qui s'apparente à celui de l'erreur manifeste d'appréciation en vérifiant que « les divers impératifs d'intérêt général que le Parlement a pris en compte n'aient pas abouti, surtout quand ils sont cumulés, à ruiner la règle fondamentale du critère démographique ; que les atténuations et aménagements apportés à ce dernier n'ont pas dépassé manifestement la “mesure limitée” ; que les écarts de représentation ne sont pas disproportionnés de manière excessive » ; « quelle que puisse être la pertinence de certaines critiques adressées par les députés […] à l'encontre de la délimitation des circonscriptions opérée par la loi, il n'apparaît pas […] que les choix opérés par le législateur aient manifestement méconnu les exigences constitutionnelles » : confer la décision précitée n° 86-218 DC du 18 novembre 1986, aux paragraphes 8 et 12.

Que dire s'agissant du Conseil constitutionnel qui devait se prononcer en 2009 sur la légalité d'une ordonnance portant délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés ?

Le juge administratif a eu l'occasion de se prononcer en matière de découpage de circonscriptions électorales, en particulier sur la légalité des modifications des cantons au regard du critère démographique. Les choses sont liées. Dans les conclusions qu'il a prononcées pour l'affaire de la commune de Fontenay-sous-Bois – Conseil d'État du 13 novembre 1977, page 448 – le commissaire du Gouvernement, M. Franc, avait réservé l'hypothèse d'un contrôle de l'erreur manifeste permettant de censurer à l'aune des disparités démographiques des découpages manifestement inégalitaires ou délibérément arbitraires – Confer AJDA avril 1978, page 209.

Dans cette affaire particulière, il a été jugé que l'objectif de diminuer les disparités quantitatives de population entre les cantons les plus peuplés et les cantons les moins peuplés d'un département était un motif d'intérêt général justifiant légalement un nouveau découpage.

Pour le Conseil d'État, l'aggravation des disparités démographiques se mesure corrélativement au regard de deux critères : d'une part, celui de la moyenne départementale, de sorte que tout découpage qui a pour effet d'éloigner davantage les cantons du département de cette moyenne est censuré par le juge administratif – Conseil d'État, 13 décembre 1991, département de Loir-et-Cher, requête n° 125-161, page 442 – ; d'autre part, celui des effets relatif du découpage. Le maintien d'une moyenne départementale à l'identique peut en effet camoufler des transferts de populations entre cantons ayant pour effet d'accroître les disparités ponctuelles.

Le Conseil d'État a ainsi sanctionné des découpages qui avaient pour effet d'augmenter les disparités, soit entre des cantons de la zone remodelée, Conseil d'État du 12 juillet 1979, commune de Sarcelles, soit des cantons d'une même zone géographique du département, Conseil d'État du 23 octobre 1985, commune d'Allos, page 298.

Il apparaît, à l'examen de cette jurisprudence, que le Conseil d'État ne s'intéresse qu'à l'aggravation des disparités démographiques pour apprécier la légalité d'une modification des limites d'un canton. Mais le juge administratif a eu également à se prononcer dans un contentieux propre au redécoupage et ce dans la perspective de garantir le principe de l'équilibre territorial des circonscriptions.

Ce faisant, le Conseil d'État apporte sa pierre s'agissant du contrôle de la sanction qu'il convient d'apporter à l'inégale représentation du suffrage – Confer la note de M. Bernard Maligner, ingénieur d'études au CNRS, droit administratif d'avril 1992.

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