La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt-deux heures.)
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, des projets de loi organique et ordinaire, modifiés par le Sénat, relatifs au Défenseur des droits (nos 3143, 3153, 3144, 3154).
La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, nous entamons ce soir la seconde lecture du projet de loi organique et du projet de loi ordinaire relatifs au Défenseur des droits.
Le Parlement a d'ores et déjà considérablement enrichi les textes. À ce stade de la discussion, le périmètre du Défenseur des droits est stabilisé ; il regroupe les compétences du Défenseur des enfants, du Médiateur de la République, de la Commission nationale de déontologie de la sécurité et de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.
Dès la première lecture, le Sénat a défini les contours de l'organisation interne de la nouvelle autorité constitutionnelle. Il a prévu des adjoints spécialisés dans les principaux domaines d'intervention du Défenseur des droits et il a développé les collèges placés auprès de lui pour l'éclairer. Le Défenseur des droits disposera ainsi de tous les moyens propres à garantir l'efficacité de son action.
Mais c'est l'Assemblée nationale qui a donné à cette organisation son équilibre en évitant de faire des adjoints et des collèges ce qu'ils ne peuvent être, d'un point de vue constitutionnel : des contre-pouvoirs internes. L'article 71-1 de la Constitution prévoit que les collèges « assistent » le Défenseur des droits dans ses missions.
Les textes soumis à votre examen ce soir feront probablement du Défenseur des droits l'ombudsman le plus puissant d'Europe. Après la question prioritaire de constitutionnalité, sa création constituera un nouveau et important renforcement de la protection des droits et libertés dans notre pays.
Pour que cette réforme soit pleinement réussie, je tiens à attirer votre attention sur plusieurs points. Tout d'abord, le Défenseur des droits est une autorité unique…
…et il est aussi une autorité unipersonnelle.
La Constitution est très claire : la loi organique détermine les conditions dans lesquelles le Défenseur des droits peut être assisté par un collège pour l'exercice de certaines de ses attributions. Les collèges sont là pour éclairer sa prise de décision, et non pour décider ou contraindre son action.
Si je prends l'exemple de la HALDE, il s'agit d'une autorité collégiale, au sein de laquelle le collège prend des décisions. Ce collège peut saisir le comité consultatif prévu à l'article 2 de la loi du 30 décembre 2004 pour éclairer ses travaux. Ce comité joue donc exactement le rôle des collèges auprès du Défenseur des droits.
Comme le montre le rapport annuel de cette autorité administrative indépendante, la majorité des affaires ne sont soumises ni au collège ni au comité consultatif. Le président décide donc seul, pour éviter un engorgement et un blocage complet de l'institution.
Il est donc nécessaire de laisser un peu de souplesse en permettant au Défenseur des droits de ne pas soumettre toutes les affaires au collège.
Concernant les points encore en suspens, j'ai déposé au nom du Gouvernement plusieurs amendements.
D'abord, il ne faut pas que le Défenseur des droits puisse se faire l'arbitre de litiges entre personnes publiques ou entre personnes publiques et personnes privées chargées d'une mission de service public. Le texte de la Constitution, clair à cet égard, dispose que « le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d'une mission de service public, ou à l'égard duquel la loi organique lui attribue des compétences ». Le Défenseur des droits n'a pas pour mission d'arbitrer des litiges entre personnes publiques. Contraire à la lettre du texte – et à la Constitution –, une telle orientation serait encore plus contraire à son esprit. Le Défenseur des droits a été créé pour renforcer la protection des droits et libertés des personnes. L'ériger en arbitre dans des litiges institutionnels reviendrait à brouiller son image dans l'opinion et l'exposerait à un risque évident de dévoiement et d'instrumentalisation. Le Gouvernement y est donc opposé.
Autre point que je souhaite aborder avec vous : la possibilité pour le Défenseur des droits de mener une action collective en contentieux administratif. Je veux redire les raisons pour lesquelles le Gouvernement est opposé à cette mesure.
Tout d'abord, l'action juridictionnelle n'est pas un terrain sur lequel le Défenseur des droits doit intervenir. Je rappelle qu'il a déjà la possibilité d'intervenir, sur demande ou d'office, pour présenter des observations devant toute juridiction. Le dispositif dont il est ici question fait de lui une partie devant le juge. Or, lorsqu'on est partie, il faut accepter l'idée qu'on puisse perdre et voir son action être rejetée. Veut-on vraiment voir une autorité constitutionnelle être déboutée par un tribunal administratif ?
Ensuite, la représentation des parties n'est pas le rôle du Défenseur des droits : l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose que nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit. En permettant au Défenseur des droits d'intervenir en lieu et place d'un avocat, vous ouvrirez une brèche dans laquelle d'autres autorités de défense des droits ne manqueront pas de s'engouffrer.
Enfin, comment ne pas voir le risque d'instrumentalisation de l'institution que lui fait courir cette action collective ? Le simple fait, pour le Défenseur des droits, d'engager une telle action aura quasiment le même effet qu'une sanction à l'égard de la personne publique dont la responsabilité sera mise en oeuvre. Or la mission du Défenseur des droits est de convaincre, d'inciter, même fermement, mais pas de sanctionner.
Cette mesure brouille la frontière nette qui doit exister entre l'action de la justice et celle du Défenseur des droits. Celui-ci n'a pas à s'engager pour la défense d'intérêts catégoriels ; il doit rester dans une position de retrait par rapport aux parties au litige, pour mieux pouvoir imposer la solution qui lui paraît la plus équitable ou la plus appropriée. Sa démarche ne doit pas être celle de la démonstration juridique, mais celle de l'apaisement social, de la résolution extra-contentieuse du litige.
Je ne méconnais pas l'intérêt que peut représenter la création d'un mécanisme d'action collective en contentieux administratif. Les juridictions administratives ont trop souvent été encombrées de requêtes identiques dont la solution était connue d'avance. Cette idée mérite d'être approfondie et de faire l'objet d'une étude d'impact détaillée. Cependant, malgré son intérêt, elle n'a pas sa place dans un texte relatif à une autorité constitutionnelle dont ce n'est pas la vocation de se présenter en tant que partie devant des juridictions.
Autre point sur lequel je souhaite attirer votre attention : le large pouvoir d'appréciation dont doit disposer le Défenseur des droits dans la mise en oeuvre de ses prérogatives.
Aussi, sur la question du rapport spécial prévu à l'article 21 du projet de loi organique, le Gouvernement a-t-il déposé un amendement visant à permettre au Défenseur des droits d'apprécier au cas par cas s'il est nécessaire d'établir un rapport spécial et de le publier lorsque l'injonction qu'il a adressée à la personne mise en cause n'a pas été suivie d'effet.
J'estime que l'obliger à procéder à de telles mesures serait contre-productif : ceci pourrait avoir pour effet paradoxal de dissuader le Défenseur des droits de prononcer des injonctions.
Enfin, concernant l'entrée en vigueur du Défenseur des droits, je crois qu'il convient de ne pas retarder le bénéfice pour nos concitoyens des progrès importants en matière de défense des droits et libertés que permet cette nouvelle autorité.
Aussi le Gouvernement propose-t-il, au travers de deux amendements, d'intégrer le plus rapidement possible les différentes autorités dont les attributions sont reprises par le Défenseur des droits. Cette intégration aura lieu en deux étapes : le lendemain de la promulgation de la loi pour le Médiateur de la République ; le premier jour du deuxième mois suivant la promulgation pour les autres autorités.
Voilà simplement, mesdames et messieurs, les quelques observations que je tenais à faire au moment où s'engage la deuxième lecture de ces deux textes.
Je souhaite que nous puissions en terminer l'étude le plus rapidement possible, pour que nos concitoyens aient enfin à leur disposition cette nouvelle autorité constitutionnelle.
La parole est à M. Pierre Morel-A-L'Huissier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'Assemblée nationale est aujourd'hui saisie, en deuxième lecture, d'une réforme essentielle pour la protection des droits fondamentaux.
Il s'agit d'instituer le Défenseur des droits, voulu par le Constituant en 2008 et prévu à l'article 71-1 de notre Constitution.
Deux textes de loi, l'un organique, l'autre ordinaire, sont nécessaires pour réaliser cette réforme.
En deuxième lecture, le Sénat a adopté conformes quinze articles du projet de loi organique et treize articles du projet de loi ordinaire. Compte tenu des dispositions adoptées en termes identiques par les deux assemblées dès la première lecture, trente articles du projet de loi organique et sept articles du projet de loi ordinaire demeurent désormais en discussion.
La discussion au Sénat a fait apparaître un certain nombre de points d'accord avec notre assemblée, sur lesquels la commission des lois ne vous proposera pas de revenir.
Il s'agit principalement des points suivants : les modalités de désignation des adjoints du Défenseur des droits, lesquels seront nommés par le Premier ministre, sur proposition du Défenseur ; des moyens d'information et du Défenseur des droits ; de la quasi-totalité des dispositions réformant le pouvoir de sanction de la CNIL, introduites par notre assemblée en première lecture dans le projet de loi ordinaire.
Parmi les points d'accord avec le Sénat, j'ajoute que la commission des lois, à mon initiative, a décidé de ne pas rétablir l'intégration dans le champ de compétence du Défenseur de la mission de contrôle des lieux privatifs de liberté.
Cette intégration n'est pas apparue suffisamment consensuelle. Cela ne signifie pas qu'il nous faille définitivement renoncer à ce que cette mission soit un jour assumée par le Défenseur des droits.
En première lecture, notre assemblée avait prévu que cette compétence ne serait transférée au Défenseur qu'à la fin du mandat de l'actuel contrôleur général des lieux de privation de liberté, c'est-à-dire en juin 2014. Rien ne nous empêchera donc, d'ici là, de revenir sur ce sujet et de poser de nouveau la question de l'élargissement des compétences du Défenseur des droits.
Pour ma part, je reste persuadé que si nous voulons faire oeuvre utile, il faut que le Défenseur ait le champ de compétence le plus large possible.
Au-delà de ces points d'accord, force est de constater qu'il reste quelques divergences importantes entre le texte du Sénat et celui que l'Assemblée nationale avait voté en première lecture.
Quatre principaux points demeurent en débat. Le premier – et de loin le plus important – porte sur le rôle des collèges chargés d'assister le Défenseur. Trois collèges sont prévus, chargés respectivement de la déontologie de la sécurité, de la protection des enfants et de la lutte contre les discriminations.
Le Sénat souhaite faire de ces collèges les réels détenteurs du pouvoir, au risque de marginaliser le Défenseur et de le réduire à un simple rôle de coordonnateur. Le Défenseur devrait systématiquement consulter les collèges sur toute question et il ne pourrait que difficilement s'écarter de leurs avis ; il lui faudrait, au préalable, obligatoirement exposer ses motivations.
Je ne partage pas une telle conception, qui reflète une grande méfiance à l'égard du futur Défenseur des droits. Juridiquement, le texte du Sénat est d'ailleurs très fragile. Rappelons que l'article 71-1 de la Constitution prévoit seulement que le Défenseur « peut être assisté par un collège pour l'exercice de certaines de ses attributions ». C'est pourquoi, sur ma proposition, la commission des lois a supprimé l'obligation faite au Défenseur d'indiquer les motifs pour lesquels il décide de s'écarter de l'avis d'un collège.
Au-delà des aspects juridiques, c'est aussi au regard de la pratique que le texte du Sénat paraît peu réaliste. Si l'on veut bien s'intéresser à la manière dont fonctionnent les autorités administratives indépendantes, on constate que l'examen des dossiers fait l'objet, au cas par cas, d'un degré d'approfondissement très variable, proportionné à la complexité de chaque affaire. Par exemple, seuls 16 % des dossiers examinés par la HALDE en 2009 ont nécessité une instruction approfondie. C'est pourquoi votre commission des lois a supprimé la systématicité de la consultation des collèges.
Le texte de la commission ne vise pas à affaiblir les collèges. Au contraire, il prévoit de leur réserver les dossiers les plus complexes et les questions de principe les plus essentielles.
Deuxième point en débat avec le Sénat : le partage des compétences entre le Défenseur et les autres autorités indépendantes chargées de la protection des droits et libertés. Le Sénat avait prévu un mécanisme contraignant de collaboration et de transmission des dossiers. Votre commission des lois est revenue à un texte plus souple, privilégiant une approche au cas par cas.
Troisième point en débat : le Défenseur est-il le protecteur des seules personnes physiques ? C'est la thèse du Sénat. Pour ma part, la rédaction de l'article 71-1 de la Constitution me paraît suffisamment large pour permettre au Défenseur de traiter certains litiges entre personnes morales, notamment entre une collectivité territoriale et certains établissements publics. C'est une position, d'ailleurs, très développée par M. Delevoye.
Quatrième et dernier point en débat : les pouvoirs du Défenseur des droits. Tout en adhérant assez largement aux dispositions votées au Sénat, votre commission des lois a procédé à quelques modifications.
Premièrement, elle a supprimé l'obligation faite au Défenseur d'indiquer les motifs pour lesquels il décide de ne pas donner suite à une saisine. En pratique, le Défenseur fournira les explications nécessaires aux requérants de bonne foi, comme le font les autorités existantes sans que la loi les y oblige, mais il ne paraît vraiment pas raisonnable de lui imposer de le faire systématiquement pour des saisines dépourvues de tout caractère sérieux.
Deuxièmement, la commission a rétabli l'automaticité de l'établissement d'un rapport spécial en cas d'injonction non suivie d'effet.
Troisièmement, elle a rétabli la procédure d'action collective devant la juridiction administrative, nonobstant ce que le ministre vient de dire. Nous ouvrirons le débat.
Pour conclure, je vous demande, mes chers collègues, d'adopter ces deux textes modifiés par la commission des lois : ils permettront – enfin ! – de mettre en oeuvre la réforme voulue par le constituant de 2008 et qui me semble une très bonne réforme.
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement, sur le projet de loi.
La parole est à Mme Patricia Adam.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, nous sommes témoins, depuis le début de l'examen de ce projet de loi, d'une certaine confusion au sein de la majorité. Le consensus qui régnait jusqu'alors entre le Gouvernement et les parlementaires des groupes majoritaires des deux assemblées sur les questions relatives à la protection de l'enfance a volé en éclats. Le Gouvernement s'est sans cesse levé contre les avancées proposées par une partie de sa majorité. Nous avons encore pu le constater lors de la dernière réunion de la commission des lois.
Vous me permettrez d'intervenir plus spécifiquement sur la suppression du Défenseur des enfants, ce qui me permettra de faire la démonstration de cette rupture.
Ayant l'honneur de présider le Groupement d'intérêt public « Enfance en danger » – GIPED – depuis quelque temps, je pense pouvoir parler au nom des différents acteurs de ce secteur.
Depuis sa création, en 2000, la notoriété du Défenseur des enfants auprès des associations et des professionnels, et surtout des enfants – j'insiste sur ce dernier point – n'a cessé de croître. La France a été encouragée par le comité des droits de l'enfant de l'ONU à conforter cette instance et s'est vue placée dans la catégorie des bons élèves de l'ONU. J'ai bien peur que ce ne soit plus le cas dans quelque temps.
Les amendements que nous avons déposés nous permettront, je l'espère, de défendre les deux principes qui, à mon sens, justifiaient l'excellence de cette institution.
Premier principe : la défense des droits de l'enfant exige des compétences spécifiques de la part de ceux qui en exercent la responsabilité. Nous exigerons que le futur défenseur des enfants ne se voie pas privé des compétences qu'il exerçait jusqu'à maintenant.
Deuxième principe : la défense des droits de l'enfant exige indépendance et autonomie de décision, principes cardinaux reconnus par les instances internationales.
Nous ne pouvons donc accepter de voter pour un défenseur des enfants doté d'un pouvoir de saisine a minima : ce dernier doit pouvoir être saisi par toute association, sans distinction. Il doit aussi pouvoir s'autosaisir dans toutes les situations mettant en cause l'interprétation de l'intérêt supérieur de l'enfant ou les droits de celui-ci.
Nous ne pouvons non plus accepter de voter pour un défenseur des enfants privé du droit de publier ses avis, lorsqu'il convoque les collèges, ni pour un défenseur des enfants doté d'un pouvoir uniquement consultatif au sein de la future institution. Sans cette condition, le défenseur des enfants se verrait privé de toute légitimité au sein de l'institution Défenseur des droits. Mais cette condition serait insuffisante si le défenseur ne pouvait émettre, librement, des avis et des recommandations visant à améliorer notre arsenal législatif et réglementaire. Or cette dernière possibilité, pourtant fondamentale, n'est pas satisfaite en l'état actuel du texte.
De la même façon, nous ne pouvons pas accepter que le défenseur des enfants devienne un simple collaborateur, privé de toute indépendance et de marge de manoeuvre. Notre pays, qui est l'un des plus jeunes d'Europe sur le plan démographique, doit pouvoir se doter d'un défenseur des enfants digne de ce nom.
Hélas, depuis 2007, lorsque nous parlons de jeunesse, nous y associons généralement les termes de délinquance ou de répression, et non plus celui de protection que les enfants sont en droit d'attendre de la société.
C'est peut-être une réalité qui choque aujourd'hui une partie de la majorité parlementaire, à ce qu'il semble des débats qui ont eu lieu dans cet hémicycle.
Regardons plutôt la chronologie des avancées réalisées en matière de protection de l'enfance.
En 1924, la Société des Nations proclame : « L'humanité doit donner à l'enfant ce qu'elle a de meilleur. »
En 1959, la Déclaration des droits de l'enfant est adoptée par les Nations unies.
En 1989, la Convention internationale des droits de l'enfant est ratifiée par les États membres de l'ONU.
En 1994, le Parlement des enfants se réunit pour la première fois, le 17 mai.
Le 9 avril 1996, une loi d'initiative parlementaire érige le 20 novembre en journée nationale des droits de l'enfant.
En 1997, une journée est établie grande cause nationale pour l'enfance maltraitée.
En 2000, une autorité administrative est créée : celle du défenseur des enfants.
En 2003, notre assemblée a voté à l'unanimité – il est bon de le souligner – une proposition de loi visant à la création d'une délégation parlementaire aux droits de l'enfant. Mais celle-ci n'a malheureusement jamais été examinée par le Sénat. Cette proposition était formulée par Mme Valérie Pécresse, alors rapporteure de la mission d'information sur la famille et les droits de l'enfant, dont le président était Patrick Bloche. Une autre proposition tendait à rendre obligatoire la consultation du défenseur des enfants sur tout projet de loi concernant les enfants ou leurs droits.
En janvier 2004, la majorité parlementaire vote, avec les voix de l'opposition, la création de l'Observatoire national de l'enfance en danger.
Enfin, en mars 2007, le GIPED est créé.
Le texte qui nous est présenté aujourd'hui marque, comme vous le voyez, une rupture dans l'évolution des droits de l'enfant dans notre société depuis près d'un siècle.
Autrefois érigée comme un socle législatif et consensuel, la protection des enfants est, malheureusement, laissée au second plan aujourd'hui.
Il appartiendra à la majorité parlementaire de nous démontrer le contraire.
J'espère qu'à l'issue de l'examen de ce texte en deuxième lecture, nous aboutirons à une nouvelle avancée, et non pas à une régression, comme c'est le cas pour l'instant. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Vous avez souligné, madame Adam, la notoriété du Défenseur des enfants auprès des institutions et des enfants et vous avez rappelé que la protection des enfants a été déclarée grande cause nationale. Personne ne remet en cause ces éléments. Personne ne remet en cause, d'ailleurs, la création même du Défenseur des enfants.
Vous niez la prise en considération des droits de l'enfant dans l'institution du Défenseur des droits. Dans votre motion, vous partez du postulat selon lequel la création du DDD s'accompagne de la disparition du défenseur des enfants.
Je veux insister sur tous les pouvoirs conférés au DDD que n'a pas le Défenseur des droits actuel.
Il ne dispose pas aujourd'hui du pouvoir d'autosaisine. Il l'aura demain.
Aujourd'hui, il ne peut pas demander des études au Conseil d'État, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes. Il le pourra demain.
Le Défenseur des droits ne peut pas aujourd'hui mettre en demeure l'institution défaillante lorsque ses demandes d'explication ou de communication de pièces restent sans effets. Il aura cette compétence demain.
Le Défenseur des enfants n'a aucun pouvoir de vérification sur place. Le DDD l'aura demain.
Lui seront également conférés le pouvoir d'injonction lorsque sa recommandation ne sera pas suivie d'effet, le pouvoir de médiation, le pouvoir d'apporter assistance aux victimes dans la constitution de leur dossier, le pouvoir de saisine de l'autorité compétente pour engager des poursuites disciplinaires. Il pourra consulter le Conseil d'État et il sera possible de le consulter sur les projets de loi entrant dans son champ de compétences.
Toutes ces prérogatives supplémentaires vont être conférées au Défenseur des droits, qui aura toutes possibilités d'examiner la problématique de la protection des droits de l'enfant.
Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. Pascal Clément.
Je serai très bref car M. le rapporteur vient de résumer d'une manière très synthétique tous les arguments qui devraient vous convaincre, chère madame Adam, de vous rallier à ce projet de loi.
Vous craignez de voir disparaître le défenseur des enfants au moment où il était arrivé à sa pleine maturité après tant d'années d'attente – peut-être trop d'années d'attente. Mais, comme l'a très bien expliqué le rapporteur, non seulement il n'est pas supprimé, mais encore il va être doté d'un statut d'autorité constitutionnelle.
Comment comptez-vous expliquer à l'opinion publique qu'est supprimé ce qui est considérablement renforcé ? C'est un contresens étonnant, à moins que ce ne soit un problème de bonne foi.
Un adjoint sera dédié à la défense des enfants et doté de pouvoirs beaucoup plus importants que le défenseur des enfants actuel. M. le rapporteur a énuméré les nouveaux pouvoirs dont il bénéficiera. Et vous venez nous expliquer qu'il est supprimé !
Tous les arguments sont recevables, mais le vôtre manque particulièrement de crédibilité !
Non seulement il n'y a pas suppression, mais encore il y a renforcement, constitutionnalisation et même reconnaissance beaucoup plus grande à l'international compte tenu de l'autorité constitutionnelle conférée au Défenseur des droits.
Honnêtement, votre motion de rejet préalable, madame Adam, non seulement est superfétatoire, alors que nous nous en étions déjà expliqués, mais encore n'est pas fondée.
Je serai, moi aussi, très bref. Le rapporteur a expliqué pourquoi il n'y avait pas lieu de voter cette motion de rejet en développant une argumentation remarquable, qu'est venu compléter l'ancien garde des sceaux Pascal Clément.
Simplement, je supplie le rapporteur, après le débat que nous avons eu dans l'après-midi sur le handicap, au cours duquel nous avons beaucoup parlé par abréviations, de ne pas employer le sigle DDD à la place de Défenseur des droits. Nous sommes nombreux à insister sur le fait que nous allons créer une institution très importante. De grâce, ne la réduisons pas à un sigle !
Je voudrais, à la suite de ce qu'a dit Patricia Adam, soutenir sa motion de rejet préalable.
Contrairement à ce que vient de dire le rapporteur, ce ne sont pas seulement les associations françaises qui dénoncent le projet. Ce ne sont pas seulement l'UNICEF-France ou les associations de protection de l'enfance, ce sont aussi de grands organismes internationaux qui mettent la France en garde contre la disparition visible du Défenseur des enfants.
Nous avons signé des conventions internationales. Il est d'ailleurs très curieux, très étonnant, mes chers collègues, qu'aucune de ces grandes conventions internationales ne soit mentionnée dans ce texte. Elles ne sont jamais prises comme référence ! Est-ce que cela veut dire que le Défenseur des droits n'aura, d'une manière générale, jamais à faire référence à ces conventions internationales, que nous avons signées après maintes réflexions, comme l'a rappelé Patricia Adam ?
Ces institutions internationales nous mettent en garde. La France ne peut être classée dans les derniers ! La réintégration de l'institution du Défenseur des enfants, auparavant bien identifiée et spécialisée dans la défense des droits fondamentaux des enfants – car c'est bien de la défense des enfants qu'il s'agit, monsieur le rapporteur, et non de celle des droits en général – au sein d'une institution généraliste où ne sera même pas identifiée une entité spécialisée pour les droits de l'enfant, apparaît comme un retour en arrière par rapport aux recommandations du Comité des droits de l'homme.
Rien que pour ces raisons, je pense que la France ne peut pas faire un tel bond en arrière. Il faut redonner une identité et une visibilité au Défenseur des enfants, ainsi qu'à l'ensemble des autorités administratives indépendantes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Nous apporterons bien sûr notre soutien à la motion de rejet préalable de nos collègues du groupe SRC, tout d'abord parce que la suppression du Défenseur des enfants comme autorité indépendante, alors que les travaux, la notoriété et l'autorité qu'a acquise cette institution ne sont plus à démontrer, suscite l'émotion de nos concitoyens, mais aussi celle des organisations françaises et internationales.
Nous faisons une grave erreur, et cela d'autant plus que nous sommes dans un moment où les enfants subissent les effets de la crise économique et sociale, comme l'a très justement montré Dominique Versini dans son rapport.
Il est donc plus que jamais d'actualité de maintenir le Défenseur des enfants ; c'est pour nous une question primordiale. Nous soutiendrons donc, bien évidemment, cette motion de rejet préalable.
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement, sur le projet de loi organique relatif au Défenseur des droits.
La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues, je vais défendre, au risque de vous déplaire, une nouvelle motion de procédure, non pas pour le plaisir de le faire, mais parce que nous avons le sentiment que ce texte a pris un mauvais chemin et qu'il convient d'alerter sur le risque. C'est une manière de prendre date, de mettre en garde et peut-être d'essayer d'éclairer des choix, afin de souligner des responsabilités.
Monsieur le ministre, vous nous avez dit pendant la première lecture – et il me semble d'ailleurs l'avoir entendu à nouveau dans votre propos introductif – que ce texte était équilibré, que ce vous nous présentiez relevait d'une subtile et donc fragile alchimie, et qu'au nom de cette fragilité, de cet équilibre atteint, il vous était impossible d'accepter nos amendements, de peur de mettre à bas l'édifice qui avait été, on l'imagine, patiemment et consciencieusement constitué avant que l'Assemblée nationale n'ait été saisie.
L'argument me paraît louable, tant la recherche de l'harmonie est une valeur qui n'est pas si souvent pratiquée par la majorité, notamment dans cet hémicycle ! Si tant est que ce texte soit équilibré, pourquoi ne pas l'admettre ? Malheureusement, en regardant le texte qui nous revient du Sénat, on peine à comprendre quels seraient les fondements de cet équilibre.
Est-ce que c'est équilibré de prévoir que le Président de la République nomme seul le Défenseur, et le Premier ministre ses adjoints ?
Est-ce que c'est équilibré de prévoir que les adjoints sont totalement tributaires du Défenseur, qui est libre de leur déléguer ou pas ses dossiers ? En dépit de leur titre, ils ne sont en réalité, comme l'a dit l'UNICEF, que des fantômes, privés de toute indépendance et de toute marge de manoeuvre.
Est-ce que c'est équilibré de prévoir que les collèges ne se réunissent que lorsque le Défenseur le décide et que leurs avis ne sont que consultatifs ?
Est-ce que c'est équilibré de prévoir que le Défenseur aura la possibilité de trier dans les saisines dont il fera l'objet – et de le faire seul –, sans même avoir l'obligation de justifier ses choix ?
Pardon, mais votre définition de l'équilibre se confond en réalité avec celle de l'arbitraire ! Comme souvent, avant même nos débats et pendant ceux-ci, vous avez fixé des limites qui correspondent aux seuls intérêts de l'UMP.
Ce n'était pas le cas au moment de la révision constitutionnelle, en tout cas sur ce point. Nous l'avons dit, mais je le répète : au moment des débats de 2008, il y avait un consensus sur la volonté de constitutionnaliser le Médiateur et d'en faire, comme le dit l'ancien garde des sceaux Pascal Clément, une autorité constitutionnelle.
Je vais citer à l'appui de ma démonstration les propos de Mme Dati, alors garde des sceaux ; c'était le 29 mai 2008. Elle nous présentait la réforme visant à créer l'article 71-1 de la Constitution. Que disait-elle ? « En France, le Médiateur de la République fait un travail remarquable. Il ne peut pas être saisi directement par les citoyens et ne dispose que d'une autorité morale. Inscrire l'existence d'un véritable Défenseur des droits des citoyens dans la Constitution permettra de renforcer la protection des droits. Le Défenseur pourra être saisi par toutes les personnes dont les droits auront été méconnus par l'administration. » Pas plus, mais pas moins !
Mme Dati disait, et personne ne l'avait d'ailleurs contredite dans nos débats de l'époque, qu'il s'agissait en réalité, avec le Défenseur des droits, d'élever le Médiateur de la République au rang constitutionnel.
Vous avez ainsi créé, dans le consensus, l'article 71-1. Il y avait trop peu de points qui bénéficiaient de ce consensus pour ne pas souligner celui-là ! Mais une fois que cet article a été écrit, vous en avez détourné le sens.
Vous avez entrepris de faire disparaître des autorités qui avaient osé marquer leur distance avec des projets gouvernementaux. Je ne reviens pas sur la suppression du Défenseur des enfants, car Patricia Adam l'a très bien fait et nous aurons l'occasion d'en reparler au moment de la défense des amendements.
Je voudrais vous parler de la HALDE, que vous allez probablement réussir à supprimer. En effet, vous avez montré votre détermination lors de la première lecture et j'imagine que vous allez la confirmer.
Pendant des années, avec une constance qui impressionne, vous avec d'abord cherché à lui rogner les moyens d'agir. J'ai repris, à cet égard, quelques-uns des débats dans cette assemblée depuis la création de la HALDE.
Dans le projet de budget pour 2006 – vous voyez que cela ne date pas d'hier ! –, Béatrice Pavy, qui était alors rapporteure spéciale, avait proposé de réduire les crédits de la HALDE de 2,7 millions d'euros.
Dans le budget pour 2009, le président de la commission des lois avait fait voter un amendement qui visait à amputer la HALDE de 527 000 euros par rapport aux crédits initialement prévus.
Mais non, monsieur le président de la commission, à les amputer !
C'était, disais-je, en 2009. En 2010, un nouvel amendement, présenté par Richard Mallié, était l'occasion d'envoyer – je cite ici Michel Diefenbacher, qui s'exprimait le 12 novembre 2009 – « un nouveau signal ». À quoi visait cet amendement ? À diminuer d'un million d'euros les crédits de la HALDE.
Dans le budget pour 2011, quinze collègues de l'UMP, dont ceux que je viens de citer, avaient proposé une nouvelle restriction de budget à hauteur de 344 358 euros.
Évidemment, chacune de ces initiatives lors des débats budgétaires avait reçu l'avis favorable du rapporteur général du budget. Il est assez légitime de conclure à une volonté de nuire à la HALDE, en tout cas de l'empêcher d'agir. Comment l'expliquer ? Sans doute faut-il chercher les raisons de cette détermination dans les quelques positions critiques adoptées par la HALDE.
On pense bien sûr, d'abord, à son opposition, en janvier 2008, à plusieurs dispositions de la loi sur l'immigration – que portait alors Brice Hortefeux –, dont elle avait souligné le « caractère discriminatoire », notamment à propos des tests ADN pour les candidats au regroupement familial.
On se rappelle aussi qu'en avril 2008 l'autorité indépendante avait adopté en urgence une délibération pour contester une proposition de loi dont le président de la commission des lois du Sénat, Jean-Jacques Hyest, était l'auteur et qui venait radicalement transformer la jurisprudence en matière de lutte contre les discriminations en créant un régime de prescription défavorable aux victimes.
On se souvient encore de sa contestation, en octobre 2008, d'une condition de résidence préalable de cinq ans pour l'octroi du RSA aux résidents étrangers non communautaires.
Je pourrais encore évoquer le rapport spécial, publié au Journal officiel en septembre 2009, demandant à ce que l'on mette fin aux diverses discriminations subies par les gens du voyage, ou celui publié en avril 2010 recommandant au Gouvernement d'ouvrir la pension de réversion aux couples pacsés.
Je pourrais continuer en évoquant sa contestation de la fermeture de certains emplois publics aux étrangers non communautaires, ou encore ses positions sur la non-reconnaissance d'équivalence de certains diplômes étrangers et sur le régime des pensions militaires de retraite et de réversion, dont certains aspects restent défavorables aux étrangers.
À l'évidence, l'insistance de la HALDE à mettre au tapis de tristes spécificités nationales par une analyse méticuleuse et juridiquement fondée sur le droit européen a agacé. D'ailleurs, dans cet hémicycle même, une proposition de loi signée, le 18 novembre 2010, par douze de nos collègues de la majorité visait à supprimer purement et simplement la HALDE, l'estimant non seulement inutile – ce dont on pourrait discuter –, mais même « illégitime ».
La charge de nos collègues était sans légèreté et sans aucune ambiguïté : « La HALDE, écrivaient-ils, agit au mépris des principes fondamentaux de la République, notamment l'unité et l'indivisibilité de celle-ci. D'autant que ses avis sont souvent infondés en droit et invérifiables en fait. » Voilà ce qu'écrivaient nos collègues de l'UMP,…
…alors que la HALDE ne fait que respecter la nécessaire mission qui lui a été confiée par le législateur.
Bien plus nombreuses sont les voix qui se sont élevées pour souligner son intérêt, non seulement pour les victimes qui, grâce à elle, ont été rétablies dans leurs droits, mais aussi pour la prise de conscience et la sensibilisation de la société française aux discriminations qui la traversent.
Hélas ! l'indépendance n'est pas la caractéristique la plus appréciée par le Président de la République. Vous avez donc décidé de faire taire cette voix, alors qu'il aurait, au contraire, fallu oeuvrer au renforcement des moyens de l'institution.
Un sort identique – c'est-à-dire la suppression – va être réservé à la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Première marque d'infamie, c'est un gouvernement de gauche qui avait osé l'inventer. Dès les débats de janvier et février 1998, alors dans l'opposition, vous en aviez combattu le principe.
Jean-Luc Warsmann résumait d'ailleurs le 24 février 2000 les raisons du vote négatif de son groupe en disant : « La création d'une autorité dite administrative indépendante ressemble fort à la fois à un constat d'échec, à un désaveu des autorités chargées aujourd'hui de contrôler la déontologie, et à une volonté de se débarrasser d'un problème difficile. » La France ne faisait pourtant que rattraper son retard.
Engagée dans un mouvement de promotion de la transparence dans les relations entre les services publics et leurs usagers depuis le début des années quatre-vingt, elle ne s'était encore pas dotée d'une instance spécifique ayant compétence pour définir et assurer le respect de règles déontologiques par les différents acteurs de la sécurité.
La Belgique l'avait fait en 1981, le Royaume-Uni en 1984, le Québec en 1990 ; en France, il a fallu attendre le gouvernement de Lionel Jospin, qui reprenait d'ailleurs une préoccupation constante des ministres de l'intérieur socialistes.
C'était en effet sous l'impulsion décisive de Pierre Joxe qu'avait été publié le décret du 18 mars 1986 fixant les règles de déontologie policière, toujours en vigueur.
C'est Paul Quilès qui créa, par décret du 16 février 1993, le Conseil supérieur de l'activité de la police nationale, ensuite remplacé en 1995 par le Haut Conseil de déontologie de la police nationale.
Depuis, la CNDS a tracé son chemin, au point d'être devenue la seule autorité administrative indépendante reconnue par la Cour européenne des droits de l'homme.
Évidemment, cette reconnaissance résulte de la qualité de ses avis, dont plusieurs ont soulevé des critiques, parfois même des tempêtes.
Je rappelle ainsi son rapport de 2003 dans lequel la CNDS déplorait une « méconnaissance manifeste des textes légaux » de la procédure pénale pour la garde à vue, les fouilles à corps et le menottage. C'était il y a huit ans.
Je rappelle aussi son étude, annexée au rapport 2008, sur la déontologie des forces de sécurité en présence de mineurs : la CNDS y appelait notamment l'attention sur la situation des mineurs en zone d'attente, et pointait les graves manquements qu'elle avait constatés.
Le 25 mai 2009, saisie par la Défenseure des enfants, la CNDS rendait un avis qui contestait vertement les pratiques observées lors d'une opération anti-drogue menée à l'intérieur du collège de Marciac, un an auparavant, lors de fouilles sur des élèves de quatrième et de troisième.
Je me garderai bien, enfin, d'oublier l'importante partie de son dernier rapport consacré à la pratique de la fouille à nu, procédure devenue quasi systématique dans certains commissariats ; cette pratique, je le rappelle, consiste à dénuder entièrement une personne gardée à vue puis à introduire un doigt dans ses parties intimes afin de s'assurer qu'elle n'y a rien caché. C'est la CNDS qui a dénoncé ces faits, et c'est grâce à son expertise que nous avons pu mettre fin à ces procédures.
Certains syndicats de police critiquent la CNDS, dénonçant ses remarques comme une atteinte à la réputation des services de sécurité ; selon eux, ses avis ne dénonceraient que des faits marginaux et non représentatifs.
C'est là une erreur d'appréciation fondée sur une ignorance à la fois du caractère méticuleux des méthodes appliquées et de la composition de la CNDS. Contrairement à ce que répètent les syndicats Synergie Officiers et Alliance Police nationale, la CNDS compte parmi ses membres un directeur des services actifs de la police nationale et un directeur de l'administration pénitentiaire.
En supprimant la CNDS, vous pensez peut-être faire plaisir à ces organisations syndicales, qui n'hésitent d'ailleurs pas à vous soutenir en de nombreuses occasions.
En réalité, c'est à l'ensemble des forces de sécurité que vous allez porter préjudice. Celles-ci ont, en effet, tout à gagner à l'existence d'une telle institution, spécifiquement chargée de s'assurer que leurs interventions ou leurs investigations ne souffrent – où que ce soit et de la part de quiconque – d'aucun procès en légitimité.
Vous seriez bien mieux inspiré, monsieur le garde des sceaux, de conseiller à votre collègue ministre de l'intérieur, s'il voulait répondre aux attentes des policiers sur leurs conditions de travail, de revoir la doctrine d'emploi de la police, aujourd'hui uniquement fondée sur la projection de forces et sur des méthodes d'interpellation massive.
Ces méthodes ont abouti à ce que, l'année dernière, 12 875 policiers et gendarmes – soit un sur huit – soient blessés dans l'exercice de leurs missions.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, que ce soit en matière de lutte contre les discriminations ou du respect de la déontologie – la science des devoirs –, la technicité est un atout. Se situant à la charnière du droit et de la morale, les avis de ces autorités ne relèvent pas du domaine de la norme. Non seulement ils ne concernent pas une profession unique, ou un secteur d'activité unique, mais surtout le non-respect de ces avis n'appelle pas nécessairement de sanction.
Voilà pourquoi l'expérience de la HALDE et de la CNDS sont des succès.
Voilà pourquoi votre obstination à vous en priver constitue indéniablement, comme le dit la Ligue des droits de l'homme, « un recul dangereux du dispositif français ».
Nous en sommes déjà à la deuxième lecture : renvoyons donc ce texte en commission, et ne commettons pas l'irréparable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
J'ai écouté le plaidoyer à charge de M. Urvoas contre ce texte ; à aucun moment, je n'ai entendu de critique du travail de la commission. Celle-ci – moi-même et M. Urvoas notamment – a réalisé de nombreuses auditions ; nous avons notamment entendu, plusieurs fois, tous les représentants des autorités administratives indépendantes, notamment Mme Versini, M. Schweitzer, Mme Bougrab, M. Molinié. Nous avons ainsi pu nous former une idée tout à fait objective de la situation.
Vous nous reprochez toujours la même chose : la suppression d'autorités. Je vous ferai remarquer qu'une étude d'opinion réalisée par l'UNICEF, sortie il y a quinze jours, montre que 60 % des Français ne connaissent pas le Défenseur des enfants. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Vous faites donc l'apologie d'une institution qui n'est pas vraiment connue des Français.
Vous partez d'une pétition de principes, et vous nous accusez de supprimer des autorités qui ont fait de très bonnes choses. Nous vous répondons que nous créons une institution d'assise constitutionnelle, avec des pouvoirs renforcés.
J'ai également écouté M. Urvoas avec beaucoup d'attention, et même avec d'autant plus d'attention que j'ai compris qu'il était sincère.
Je ne reviendrai que pour mémoire sur les arguments du début de son intervention. Je tenterai plutôt de lui répondre sur l'essentiel, ce qui n'est pas facile, puisqu'il y a dans cette affaire une sorte de procès d'intention, auquel il n'est pas facile de répondre.
Le Défenseur des droits sera nommé par un homme seul, dites-vous. Mais le Président de la République a tellement de pouvoirs ! Dois-je vous rappeler que, même sous la première cohabitation, M. Mitterrand s'en est beaucoup servi ?
Tous les principaux postes d'ambassadeurs et de préfets sont pourvus sur proposition du Président de la République. Mais, à l'époque, M. Mitterrand avait renforcé ce pouvoir de nomination.
J'irai même un peu plus loin.
Je vais remonter à une période que vous avez connue, monsieur Dosière, car je crois que vous étiez comme moi député pendant la guerre du Golfe. Eh bien nous avons voté après le déclenchement de la guerre : c'était le Président de la République, M. François Mitterrand, qui avait pris la décision ; c'était un homme seul qui avait décidé.
Cet argument, monsieur Urvoas, se détruit donc de lui-même.
Je suis en revanche plus sensible à vos arguments sur le fait que la CNDS a été créée alors que cette majorité, qui était alors l'opposition, y était hostile, car elle était sans doute plus sensible aux désirs des policiers. J'en prends acte.
Mais je constate – avec vous – que la HALDE a donné une tonalité, et que la CNDS a donné une tonalité.
Je fais le pari que, quelle que soit la personnalité qui sera nommée demain par le Président de la République et confortée par un vote des deux commissions parlementaires, elle ne pourra pas faire litière de ce qui s'est passé jusqu'à aujourd'hui. J'en suis tout à fait convaincu.
Le nouveau Défenseur des droits partira d'une situation connue, reconnue ; il pourra infléchir cet héritage, ou alors le développer ; en aucun cas, il ne pourra rayer d'un trait de plume ce qui a existé avec, je le crois, un certain bonheur.
Dès qu'il y a contrôle, cela déplaît aux gens, c'est vrai. Mais la police se félicite aujourd'hui de l'existence de la CNDS, à laquelle elle n'était pourtant pas favorable au départ.
Avec la CNDS, en réalité, la police se protège elle-même.
Vous parlez des luttes contre la discrimination et pour l'égalité. Mais tout le monde aspire à moins de discrimination, à plus d'égalité ! Et puis, il y a ici et là des dérapages.
Le rôle de la HALDE est d'abord pédagogique ; il est quelquefois aussi de déférer aux tribunaux les abus trop vifs. Comment voulez-vous que, demain, le Défenseur des droits puisse faire un autre métier que celui qui était fait par les responsables de la HALDE et de la CNDS ?
Il ne sera pas possible de faire autrement.
Si l'on réfléchit bien, et que l'on se rappelle l'origine du Défenseur des droits – l'ombudsman des pays du Nord –, on verra que son rôle est d'être le défenseur des petits, des sans-grades. Celui ou celle qui sera nommé sera ce défenseur-là : en aucun cas, il ne réduira ce qui existe aujourd'hui ; au contraire, il le développera. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
J'ai, moi aussi, écouté avec beaucoup d'attention M. Urvoas. Comme en première lecture, on a l'impression que l'opposition est bien mal à l'aise.
Vous étiez d'accord, vous l'avez rappelé, pour que soit créé un Défenseur des droits. C'était en 2008, un an après l'élection présidentielle ; aujourd'hui, nous sommes à un an de la prochaine élection présidentielle, et vous essayez de justifier votre opposition au Défenseur des droits.
Mais je vous rappelle que si nous débattons de ce projet, c'est parce que la Constitution a été modifiée ; et elle n'a pu l'être que grâce aux voix d'une partie de l'opposition.
Vous prétendez aujourd'hui qu'il y a un recul des libertés. Mais nous avons eu des discussions, en première lecture, y compris avec des collègues de la majorité, pour savoir s'il était bon de supprimer un certain nombre d'autorités indépendantes. Nous avons, je crois, fait progresser le texte ; je pense notamment à la question de la saisine et de l'identification du Défenseur des droits des enfants.
Nous avons travaillé pour que les autorités indépendantes qui vont être fondues dans la nouvelle institution qu'est le Défenseur des droits ne perdent pas leur spécificité.
Je ne vous permets donc pas de dire, monsieur Urvoas, que la majorité est contre le travail de la HALDE et de la CNDS. Nous avons au contraire dit en commission qu'elles avaient fourni un excellent travail.
Vous concluez en citant un organisme extérieur selon lequel il y aurait un recul des droits ; mais je vous rappelle que c'est cette majorité qui, au cours de cette législature, a fait passer un certain nombre de textes que le parti socialiste aurait bien aimé, mais n'a jamais osé, voter. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Nous avons voté la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la loi pénitentiaire, la question prioritaire de constitutionnalité. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Aujourd'hui, nous instituons le Défenseur des droits. Si vous appelez cela un recul des droits, alors nous n'avons pas la même lecture de ces textes.
C'est plutôt à l'honneur de cette majorité que de vous aider, monsieur le garde des sceaux, à faire voter cette loi organique, conséquence de la révision de la Constitution, comme l'a très bien dit le rapporteur.
Cette révision constitutionnelle a été adoptée grâce à vos voix.
À l'approche de l'élection présidentielle, vous regrettez votre vote. Mais cela n'y changera rien : le Défenseur des droits sera créé. Nous devons commencer la discussion, pour que cette institution nouvelle puisse se mettre au service de la défense des droits de nos concitoyens.
Ce n'est ni le lieu, ni le moment de refaire l'histoire, mais il ne faut tout de même pas oublier tout à fait l'histoire de la révision constitutionnelle ! Monsieur Hunault, aucun député présent ce soir sur les bancs de l'opposition ne l'a votée.
Sur le fond, comme l'a très justement dit Jean-Jacques Urvoas tout à l'heure, il y a tromperie sur la marchandise entre ce que vous avez proposé au moment de la révision constitutionnelle, c'est-à-dire la constitutionnalisation du Médiateur de la République et de ses prérogatives, et l'inclusion progressive dans la nouvelle institution de diverses autorités administratives indépendantes qui vous dérangeaient !
Les plus gênés, dans ce débat, c'est vous, et Jean-Jacques Urvoas l'a très bien démontré : sur chacune des institutions, vous avez voulu revenir en arrière et leur trouver un certain nombre de défauts qu'elles n'avaient pas.
La deuxième raison qui me fait soutenir la position de Jean-Jacques Urvoas, c'est que nous voulons vous mettre en garde. Vous pouvez prendre cela comme un procès d'intention, mais notre rôle d'opposant, ici, est aussi de vous mettre en garde contre vos errements.
Cette réforme, qui vise à remplacer des autorités administratives indépendantes – dont vous nous dites aujourd'hui, après avoir voulu les supprimer et rogner leurs moyens, qu'elles faisaient un très bon travail – est conforme à celles que vous avez développées sur beaucoup de sujets depuis l'avènement de ce Président de la République. C'est une réforme typiquement sarkoziste : fin de l'indépendance, avec la nomination directe, et de la collégialité, suppression de garde-fous et des corps intermédiaires. Cela a été le cas sur d'autres sujets, comme avec la loi concernant les universités où vous avez voulu agir de la même manière en installant un président d'université tout puissant et en supprimant la collégialité.
J'ai bien entendu ce qu'a dit notre collègue Clément, notamment les comparaisons qu'il a faites entre la nomination du Défenseur des droits et la nomination d'un ambassadeur. Nous y sommes !
Vous considérez ce futur Défenseur des droits comme un ambassadeur, donc à la botte – non, je retire ce mot – en tout cas sous la responsabilité du pouvoir actuel et des suivants.
Je dis que sur les conditions de nomination, finalement, on revient en arrière.
Je termine, monsieur le président.
On revient en arrière sur le rôle des adjoints, sur le rôle des collèges, sur les conditions de saisine, sur les conditions d'explication des jugements rendus.
Une dernière explication nous a été donnée par M. le rapporteur, à savoir le taux de popularité. Ce serait l'argument essentiel. Mais alors, il ne faut pas supprimer la HALDE puisque 54 % des Français portent sur elle un jugement favorable. Mais alors, il ne faut pas supprimer le Défenseur des enfants, puisque huit Français sur dix se déclarent favorables à son maintien et même six Français sur dix à des pouvoirs étendus. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Prévoir de faire nommer le Défenseur des droits par le Président de la République et ses adjoints par le Premier ministre, vous conviendrez qu'on pourrait mieux faire comme indépendance. Et vous aurez du mal à convaincre nos concitoyens que le Défenseur des droits sera indépendant. Quant aux adjoints, ils auront des pouvoirs limités, pour ne pas dire pas de pouvoirs.
En réalité, je crois que l'autorité acquise par les autorités administratives indépendantes vous gênait sur le fond parce qu'elle permettait de faire avancer les droits et les libertés fondamentales dans notre pays. En plus, ces autorités vous coûtaient trop cher, elles ne correspondaient plus à votre obsession de baisser les dépenses publiques au détriment des besoins essentiels de notre société et de nos concitoyens.
Pour toutes ces raisons, vous l'aurez compris, nous voterons pour cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Motion de renvoi en commission
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement, sur le projet de loi relatif au Défenseur des droits.
La parole est à M. René Dosière.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à la veille de la commission mixte paritaire qui se profile…
…et à la suite des lectures qui sont déjà intervenues, je voudrais formuler quelques observations supplémentaires qui pourraient faire l'objet d'un débat un peu plus approfondi en commission et vous faire part des informations que j'ai pu recueillir pendant l'année que j'ai passée à travailler, au nom du comité d'évaluation et de contrôle sur les autorités administratives indépendantes, avec mon collègue Vanneste, ainsi que des propositions sinon unanimes, en tout cas consensuelles auxquelles nous sommes parvenus.
Première question, fallait-il regrouper un certain nombre d'institutions d'autorités administratives indépendantes ? Oui, je le crois.
D'abord, parce que le travail que nous avons fait, Christian Vanneste et moi-même, a bien montré qu'il était temps, devant la dispersion des autorités administratives indépendantes, de rationaliser, d'éviter leur multiplication.
Ensuite, parce que l'existence constitutionnelle du Défenseur des droits à vocation globale, quelles que soient ses attributions, aurait eu tendance à effacer le rôle des autorités administratives indépendantes qui seraient restées en dehors. Il aurait en quelque sorte « cannibalisé » leur travail. Ce regroupement était susceptible de mieux protéger le citoyen, de mieux défendre ses droits en évitant les chevauchements de compétences qui peuvent parfois exister.
Enfin, parce qu'il était utile d'envisager la mutualisation des fonctions supports de manière à réduire les doubles emplois, qu'il s'agisse de la gestion des ressources humaines, des services comptables, du nombre de voitures, de salles de réunion ou de locaux.
Bref, je pense qu'il n'était pas absurde d'envisager un regroupement.
De quelle manière pouvait-on opérer ce regroupement, deuxième question ? Deux conceptions s'opposaient et se sont opposées jusqu'au bout.
La première conception de ce regroupement est une conception que je qualifierais de centralisatrice, de bonapartiste, d'archaïque en quelque sorte : un seul homme – si Mme de Panafieu était là, elle dirait peut-être une seule femme – dirige tout, fait tout, s'occupe de tout. Il devient le seul patron des AAI regroupées. Il est assisté de « collaborateurs » – je crois que c'est votre expression, monsieur le ministre.
Non.
Ou de « chefs de service », le terme a été utilisé au Sénat, qui sont choisis par lui seul et qui n'ont qu'à exécuter les ordres reçus. Bref, c'est une application du centralisme bureaucratique.
On construit, avec cette vision, une machine administrative qui fonctionne de haut en bas.
Il y avait une seconde conception, une conception décentralisatrice, managériale, moderne en quelque sorte, reposant sur autant d'adjoints que d'AAI regroupées, des adjoints bien identifiés, par exemple un adjoint à la sécurité, un adjoint à l'égalité…
Et surtout, des adjoints disposant d'une légitimité forte car nommés par les commissions des lois du Parlement.
On pouvait faire une construction administrative dynamique, laissant toute sa place à l'initiative individuelle.
Qu'a-t-on choisi ? La victoire du centralisme bureaucratique puisque c'est la première conception qui a été retenue. À la limite, cela ne nous surprend pas dans un système de « monocratie républicaine », pour reprendre la belle formule de Robert Badinter.
Ce système centralisé aboutit, quoi qu'en dise le ministre, à une quasi-fusion des AAI concernées, dont les attributions vont évoluer au gré des humeurs du Défenseur des droits – je m'appuie là sur un certain nombre de déclarations qui ont été faites récemment au Sénat. Le rapporteur du projet au Sénat, M. Gélard, n'a-t-il pas dit : « Les collaborateurs du Défenseur des droits ne peuvent pas être en opposition avec lui. C'est impossible ; s'ils manifestent leur opposition, ils seront virés ! Il n'y a pas d'autre terme… » Et M. Cointat n'a-t-il pas estimé : « Ce ne sont même plus des adjoints, ce sont des collaborateurs, des fonctionnaires. Au fur et à mesure que le débat avance, ils ont de moins en moins d'importance. » Voilà le système qui est mis en place.
Ce système suscite de ce fait des arrière-pensées et des suspicions qui sont tout à fait légitimes car on a bien vu, Jean-Jacques Urvoas l'a rappelé, toutes les positions qui dans cette majorité ont été prises contre telle ou telle de ces AAI que l'on veut fusionner pour des motifs d'indépendance excessive.
Bref, avec ce système, on a vraiment le sentiment – pour ma part c'est presque une certitude – que l'on veut mettre au pas des autorités aussi dérangeantes que la CNDS ou la HALDE. Jean-Jacques Urvoas a fait allusion à cette proposition de loi où l'on dit qu'il faut supprimer cette HALDE qui est « illégitime », qui constitue une « gabegie inutile et inefficace d'autant plus que le futur Défenseur des droits a vocation à inclure cette autorité ». CQFD !
L'alternative qui a été refusée, ce que je regrette, présentait plusieurs avantages. Elle garantissait, par le processus de nomination, de vrais adjoints, pas des chefs de service, et le maintien, dans le cadre d'un regroupement, d'approches spécifiques aux AAI dont les domaines d'activités sont différents, qu'il s'agisse de la défense des enfants, de la déontologie en matière de sécurité ou de la lutte contre les discriminations. Surtout, cette conception s'inscrivait dans une volonté qui aurait été démontrée, et non proclamée, de revaloriser le rôle du Parlement dont on ne cesse de nous dire qu'il est au coeur de la révision constitutionnelle. En effet, dès lors que la suggestion du comité Balladur n'a pas été retenue – je vous rappelle que le comité Balladur proposait que le Défenseur des droits soit désigné par le Parlement – et qu'on a choisi une nomination par le Président de la République, toujours la monocratie, dès lors que cette formule ne pouvait pas être remise en cause sans une révision constitutionnelle trop lourde, il n'était pas du tout illégitime de prévoir que les adjoints pouvaient, eux, être nommés par les commissions compétentes du Parlement. De cette manière, l'Assemblée et le Sénat auraient manifesté leur volonté de protéger l'indépendance de ce Défenseur des droits et les missions qui lui sont confiées.
On nous présente le processus actuel de nomination comme un progrès, alors que c'est un processus où la nature de l'opposition est tout à fait virtuelle : dans un système majoritaire, on ne trouvera pas deux tiers des membres d'une assemblée pour s'opposer à une décision du Président de la République.
Quand on nous présente ce système comme un progrès, je dois vous dire, mes chers collègues, que j'entends le sourire et même le rire éclatant de toutes ces démocraties – je pense au Québec, d'où je reviens – où le Parlement procède à ce type de désignation à l'unanimité.
Ça risque pas d'arriver en France. L'intéressé ne serait pas prêt d'être nommé !
Ils nous regardent un peu de loin.
Ce processus de nomination par le Parlement, c'est aussi la garantie d'un financement. Car, dans ce cadre, l'institution en cause a son budget en quelque sorte collé à celui du Parlement et donc dispose régulièrement des moyens.
Ce n'est pas le cas chez nous.
Lorsque le Sénat débattu de cette formule – ici, à l'Assemblée, nous en avons parlé en présentant des amendements que j'avais cosignés avec Christian Vanneste mais ceux-ci ont été repoussés d'un revers de main –, les meilleurs esprits ont proféré des bêtises incommensurables. Quand on lui propose cette alternative, M. Gélard, le rapporteur du texte au Sénat, répond : « Oui, cela permet de nommer les plus bêtes. » (Sourires.) Cela n'est pas très respectueux pour la compétence des autorités qui, à l'étranger, sont nommés par le Parlement. Ce type de réaction montre que nous avons bien des progrès à faire en matière de démocratie.
Le choix qui a été opéré témoigne d'un recul manifeste de l'indépendance des AAI. Pour apprécier l'indépendance d'une autorité – c'est le résultat des travaux que j'ai conduits avec Christian Vanneste – il y a trois critères principaux : la durée du mandat, les conditions de nomination et l'autonomie budgétaire. Le Défenseur des droits remplit l'un de ces conditions – il a un mandat non renouvelable –, mais aucune des deux autres. La nomination par l'exécutif, donc par la majorité, est naturellement moins légitime qu'une nomination par le Parlement, c'est-à-dire par le peuple dans sa diversité. En outre, le texte qui nous est soumis et les déclarations ministérielles ne nous donnent aucune précision sur l'autonomie et les moyens budgétaires dont disposera cette autorité alors qu'une nomination par le Parlement garantirait le financement.
L'indépendance de cette institution est donc pour le moins relative, mais les autorités administratives qui sont fusionnées dans ce monstre perdent, quant à elles, leur indépendance. En effet, aujourd'hui leurs responsables sont nommés dans les mêmes conditions que va l'être le Défenseur des droits, mais ils perdront demain complètement leur indépendance dans cette institution ; ils deviendront des collaborateurs dépendants de leur supérieur hiérarchique. Les citations que j'ai faites tout à l'heure sur leur rôle montrent bien quelle sera leur perte d'indépendance. De ce point de vue, il y a bien, monsieur Clément, une régression.
Et cette régression confirme la volonté de reprise en main. On a dû penser que ces autorités étaient trop indépendantes.
Pour conclure, je regrette que cette belle idée ait été gâchée. Elle a été gâchée parce que la commission Balladur, qui proposait une nomination par le Parlement, ce qui aurait constitué un progrès démocratique, n'a pas été suivie. Elle a été gâchée parce que les propositions consensuelles que j'avais formulées avec Christian Vanneste, à la suite des travaux que nous avions menés pour garantir l'indépendance de ces institutions, ont été repoussées.
Enfin, en raison du maintien du principe majoritaire, ce texte sera voté par la majorité, pas par l'opposition, ce qui, là encore, nous singularisera au regard des pays démocratiques où, lorsqu'il s'agit de libertés publiques, on fait en sorte que les textes soient votés par la majorité et par l'opposition. En effet, les clivages partisans ne devraient pas exister en la matière. Là, ils existent et vous les renforcez. À la suite du travail du CEC, nous avions pourtant la possibilité de les surmonter. Si des personnalités aussi différentes que Christian Vanneste et moi-même ont pu se mettre d'accord sur certaines propositions c'est bien qu'il est possible de surmonter les clivages partisans quand on travaille en faisant preuve d'honnêteté et de tolérance. Vous n'avez pas voulu qu'il en soit ainsi et c'est dommage. Nous resterons en retard en matière de libertés publiques sauf si, écoutant ce que je viens de dire, vous acceptez que nous reprenions ce débat en commission pour aboutir à un texte plus satisfaisant. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur Dosière, j'ai bien noté votre position. Vous êtes d'accord pour le regroupement des AAI, car vous estimez qu'une telle mutualisation pourrait améliorer la protection des citoyens, éviter le double emploi, et vous avez parlé de deux visions : une machine centralisatrice qui pourrait aboutir à une quasi-fusion – ce serait notre proposition – et une machine managériale avec des adjoints fonctionnellement indépendants.
Pour revenir sur l'idée même d'un renvoi en commission, je vous rappelle que vous avez fait un rapport au nom du Comité d'évaluation et de contrôle, que ce rapport a été présenté publiquement et que nous avons procédé à une audition ensemble. Vous avez déjà exposé votre vision à deux reprises en commission des lois et vous venez encore de le faire. Nous vous avons donc bien compris et souhaitons maintenant procéder à l'examen de ce texte en séance pour fixer une bonne fois pour toutes les règles concernant ce nouveau Défenseur des droits.
M. Dosière est d'habitude extrêmement précis, mais il me semble avoir eu une petite faiblesse dans sa démonstration. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Cela peut arriver à tout le monde ! Il préparait cela depuis tellement longtemps qu'il n'a pas eu le temps de voir tous les travaux de la commission.
Je vous rappelle, monsieur Dosière, que l'autonomie budgétaire du Défenseur des droits est prévue par l'article 3 de la loi ordinaire qui est devenu définitif puisqu'il a été voté conforme par l'Assemblée nationale et le Sénat.
Cela ne vous avait pas échappé, mais cela vous gênait ! C'est bien ce que j'avais compris ; nous sommes d'accord !
Nous avons probablement un point commun, monsieur Dosière : nous sommes convaincus qu'il y a beaucoup d'autorités administratives indépendantes et qu'il fallait donc trouver le moyen d'en mutualiser quelques-unes. Je suis de ceux qui pensent que c'est à chaque fois entamer l'autorité du Parlement que de multiplier les AAI.
En revanche, je suis profondément en désaccord avec vous s'agissant de ce que vous imaginez être l'adjoint idéal du Défenseur des droits. Vous nous suggérez que ces adjoints soient désignés par les commissions des lois des deux assemblées afin, dites-vous, de leur donner plus de légitimité. Mais donnez-moi un seul exemple d'un maire ou d'un président de collectivité qui rêverait de voir son adjoint avoir une légitimité comparable à la sienne !
Mais c'est un adjoint ! Que se passerait-il au cas où l'adjoint serait en désaccord avec le Défenseur des droits ? Ce que vous appelez une gouvernance moderne, c'est l'organisation du conflit larvé dans un premier temps et du conflit ouvert dans un deuxième temps.
C'est le contraire de ce qui est souhaitable pour ce type d'institution. On peut imaginer que le collège donne un avis consultatif, mais vous imaginez le Défenseur des droits se dire qu'il a raison contre tout le monde !
Ce n'est pas impossible, mais c'est peu probable ! C'est un procès d'intention que vous faites là – vous êtes très fort pour cela !
Tout cela est une suite de sympathiques abstractions qui ne peuvent en aucun cas se concrétiser dans la réalité. Je ne mets pas en cause votre sincérité, monsieur Dosière, mais votre beau rêve démocratique atteint des sommets lorsque vous dites que, comme au Québec, nous devrions désigner le Défenseur des droits à l'unanimité. Ce n'est pas une nuit qu'il nous faudrait pour cela, ce sont des années ! La France attend son Défenseur des droits et il vaut mieux une majorité qu'une unanimité qui serait fatalement de façade et peu probable en raison du tempérament français. Ce débat le montre : il devrait faire l'unanimité et ce n'est même pas le cas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Avant de répondre à M. Dosière, je voudrais dire à Daniel Goldberg que j'ai été très choqué de l'entendre dire que la personne qui serait nommée serait « à la botte ». (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
L'argumentation de la gauche consiste à remettre en cause l'indépendance de ceux qui sont nommés en fonction de la nature de la procédure de nomination.
Lorsque le Président de la République nous a proposé de nommer le contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Delarue, les commissions ont donné un accord conforme. Quelqu'un peut-il remettre en cause l'indépendance ou la qualité de M. Delarue ? Lorsque M. Migaud a été nommé à la tête de la Cour des comptes par le Président de la République a-t-on remis en cause sa qualité et son indépendance ? Et je pourrais aller plus loin. Vous faites un procès d'intention qui est inadmissible.
Cette procédure de nomination est en effet un progrès dans la mesure où il ne peut y avoir de nomination sans l'accord du Parlement. Faire le parallèle entre la nomination et l'indépendance, c'est faire injure aux personnalités qui ont été nommées.
Ensuite, vous dites, monsieur Dosière, qu'en matière de liberté les votes devraient dépasser les clivages politiques, mais je m'adresse à mes collègues du groupe socialiste : quel texte avez-vous voté au cours de cette législature en matière de progrès des libertés ? Sur la garde à vue, vous vous êtes abstenus il y a quinze jours. Vous avez voté contre la loi pénitentiaire et contre le texte instaurant le contrôleur des prisons. Vous n'avez voté aucun texte sur les libertés ! Votre argumentation est en retrait par rapport à la position du parti socialiste qui avait permis le vote de la réforme constitutionnelle.
Aujourd'hui, vous essayez de vous raccrocher à des arguments qui n'en valent pas la peine. C'est pourquoi nous allons voter contre votre motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
C'est pour le racheter que vous l'applaudissez ! Il ne mérite rien d'autre que le mépris !
Je veux dénoncer la centralisation excessive des pouvoirs dans les mains du Défenseur des droits qui sera nommé par le chef de l'État. Nous croyons que cela n'est pas la bonne solution. Les autorités administratives indépendantes seront finalement privées de leur indépendance et de leurs prérogatives, ce qui ressemble à s'y méprendre à une mise au pas. Ces autorités vous agacent certainement parce qu'elles font avancer les droits et les libertés, parce qu'elles sont parfois rebelles. Elles interpellent en effet les administrations, les institutions, les élus que nous sommes, mais c'est sain pour notre démocratie. Ce texte opère une régression démocratique. Nous voterons donc cette motion de renvoi en commission de nos collègues SRC. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
D'abord, je regrette que notre collègue du groupe Nouveau Centre, lorsqu'il est à court d'arguments, se mette à polémiquer contre le parti socialiste. (« Vous ne polémiquez jamais vous peut-être ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Nous parlons en effet d'un sujet important, sur lequel nous avons beaucoup de choses à dire et passer trois minutes sur le parti socialiste ne présente qu'un intérêt très limité dans cette discussion ! Ce n'est pas le PS ou le groupe SRC qui est gêné dans ce dossier. Voyons comment celui-ci est amené. Après avoir fait voter la révision constitutionnelle, le Gouvernement a attendu presque deux ans avant de nous présenter ce projet créant le Défenseur des droits. Et que voit-on aujourd'hui ? Qu'à chaque examen du texte, des modifications sont apportées ! C'est la raison pour laquelle nous pensons nécessaire de le renvoyer en commission.
Le périmètre du Défenseur des droits change, vous intégrez ou supprimez des institutions, vous modifiez son mode de désignation et celui de ses adjoints, et révisez les pouvoirs de ces derniers. Aussi se demande-t-on chaque fois ce qui va sortir de la discussion du jour !
Pas plus tard qu'aujourd'hui, la commission des lois a amendé des dispositions instaurées par le Sénat, où la majorité n'est pourtant pas à gauche. Or il n'y a aucune raison de défaire avec tant d'énergie ce qu'ont fait vos collègues.
Le Défenseur des droits était une très belle idée, mais vous en avez fait une machine de guerre contre des institutions qui avaient su prendre leur envol et asseoir leur autorité. Et nous sommes d'autant plus perplexes devant la rationalisation que vous invoquez qu'elle s'opère essentiellement au préjudice des autorités administratives indépendantes qui interviennent dans le champ des libertés publiques et non au détriment de la flopée d'entre elles qui sont créées en permanence pour tout et rien.
Nous ne sommes donc pas dupes et comprenons parfaitement pourquoi l'on s'attaque à ces institutions. Il nous semble que la majorité, en réexaminant son texte, pourrait se mettre d'accord avec elle-même, car c'est essentiellement en son sein que se font jour les divergence sur la définition du Défenseur des droits. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Nous en venons à la discussion générale, commune aux deux textes.
La parole est à M. Pascal Clément.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, l'article 71-1 de la Constitution prévoit que le Défenseur des droits « veille ». Monsieur Urvoas, c'est un présent, et je n'apprendrai pas au professeur de droit constitutionnel que vous êtes que, dans la Constitution française, le présent vaut impératif. Le Défenseur des droits – au singulier, uninominal et donc sans adjoint – veille, c'est-à-dire « doit veiller ».
C'est le texte de la Constitution qui, même si certains ne l'ont pas voté, s'impose à nous tous. Elle est la loi fondamentale, pour tous les Français.
« Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publiques, ainsi que par tout organisme investi d'une mission de service public ». Tel est l'énoncé de l'article 71-1 de la Constitution, qui crée le Défenseur des droits, autorité constitutionnelle et uninominale
À l'issue de la deuxième lecture, quinze articles du projet de loi organique et treize articles du projet de loi ordinaire ont été adoptés conformes par le Sénat. Mais, chère madame Pau-Langevin, il y a deux chambres dans notre République et, si elles étaient toujours d'accord, on se demanderait pourquoi elles sont deux. Ce bicamérisme est notre richesse. Il permet le dialogue, et les navettes permettent d'améliorer – du moins l'espérons-nous – les textes qui nous sont soumis. Vous avez l'air de vous en étonner, mais c'est la force de notre démocratie.
Compte tenu des dispositions adoptées en termes identiques par les deux assemblées, trente articles du projet de loi organique et sept articles du projet de loi ordinaire demeurent en discussion.
Les travaux du Sénat en deuxième lecture font d'ores et déjà apparaître de larges points d'accord entre les deux assemblées. Tout d'abord, en ce qui concerne le statut du Défenseur des droits et de ses adjoints, le Sénat a adopté conforme l'ensemble du titre Ier du projet de loi organique. Ainsi, par exemple, l'article 3 relatif au régime d'incompatibilités du Défenseur des droits a été adopté dans son intégralité.
Par ailleurs, les moyens d'information du Défenseur font l'objet d'un large accord des deux assemblées. Il s'agit notamment de l'obligation, pour les personnes physiques ou morales mises en cause, de communiquer au Défenseur des droits toutes informations ou pièces utiles à l'exercice de sa mission.
À l'issue de la deuxième lecture au Sénat, une large convergence entre les deux assemblées apparaît sur les dispositions relatives aux pouvoirs du Défenseur des droits. Il s'agit notamment des articles relatifs au pouvoir de médiation du Défenseur et de ceux liés à son pouvoir d'engager des poursuites disciplinaires.
Parmi les articles restant en discussion, seul l'article 24 bis fait apparaître une réelle divergence de fond entre les deux assemblées. Le Sénat a en effet supprimé cet article, qui créait au profit du Défenseur des droits une nouvelle procédure d'action collective devant la juridiction administrative. Suivant la proposition du rapporteur, notre commission a décidé de rétablir cet article, dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture. J'ai conscience, monsieur le garde des sceaux, que vous ne souhaitiez pas cet ajout, mais je pense être bon prophète en vous répondant qu'il faut savoir trouver une monnaie d'échange en vue de la CMP, et cette disposition pourrait en faire office.
Les modifications apportées par le Sénat aux autres articles du chapitre III du projet de loi organique ne remettent pas radicalement en cause l'équilibre du texte adopté par l'Assemblée nationale. En effet, la commission a supprimé, à l'article 20 du projet de loi organique, l'obligation faite au Défenseur des droits de motiver sa décision de ne pas donner suite à une saisine. Une telle obligation ne pèse à l'heure actuelle sur aucune des autorités auxquelles le Défenseur des droits se substitue. Elle risquerait en outre de se faire au détriment du traitement des réclamations méritant un examen approfondi.
Concernant l'article 21 du projet de loi organique, la Commission a rétabli l'automaticité de l'établissement d'un rapport spécial lorsqu'une injonction du Défenseur des droits n'est pas suivie d'effet.
Par ailleurs, en première lecture, l'Assemblée nationale avait considérablement réformé les pouvoirs de contrôle et de sanction de la CNIL. Ainsi, l'article 1 quater du projet de loi ordinaire rend la fonction de président de la Commission incompatible avec tout mandat électif national. En deuxième lecture, le Sénat a adopté sans les modifier la totalité de ces dispositions, excepté l'article 1er octies relatif aux sanctions susceptibles d'être prononcées par la formation restreinte de la CNIL auquel il a souhaité apporter quelques précisions.
Cependant certains points restent en débat. Tout d'abord, la question de l'intégration du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. En première lecture, l'Assemblée nationale avait ajouté aux compétences du Défenseur des droits la protection des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. À l'initiative de sa commission des lois, le Sénat a supprimé ces dispositions, préférant maintenir l'autonomie du Contrôleur général. Selon lui, son intégration dans le champ de compétences du Défenseur des droits ne se justifierait pas, en raison principalement de la singularité de sa mission ; cela valant pour toutes les missions, je trouve l'argument un peu faible. Quant à la seconde raison invoquée, selon laquelle l'institution est un peu récente, elle est encore plus faible : serait-il plus facile, en effet de supprimer quelque chose d'ancien ?
Cet élargissement des attributions du Défenseur des droits ne devant initialement intervenir qu'en 2014, il demeurera donc parfaitement possible de revenir sur ce sujet dans quelques années, c'est en tout cas ce que dit encore le Sénat. Mais permettez-moi, mes chers collègues, de faire ici un rappel qui me tient à coeur. Lorsque j'étais à votre place, monsieur le ministre, j'étais allé à Bapaume, chez M. Delevoye. J'avais alors constaté que le Médiateur de la République avait des représentants dans un certain nombre de prisons, et je m'étais dis que confier au Médiateur le contrôle de ces prisons était le bon sens même. J'avais donc fait une annonce en ce sens. Mon successeur s'est empressé de créer le Contrôleur des lieux de détention, oubliant cet engagement que j'avais pris. Vous permettrez donc au père de cette idée de déplorer que l'on revienne aujourd'hui au Contrôleur général des prisons. Je ne vois pas en effet ce qui s'oppose à un renforcement du rôle du Médiateur en la matière, alors qu'il hérite de la HALDE, dont le périmètre d'intervention est encore plus éloigné de ses fonctions initiales.
En outre, la question des différends entre personnes morales reste à débattre. En première lecture, l'Assemblée nationale avait doublement élargi le champ des litiges susceptibles d'être soumis au Défenseur des droits. D'une part, elle avait ouvert la possibilité de saisir le Défenseur d'un différend entre une personne publique et une personne privée chargée d'une mission de service public. D'autre part, elle avait ajouté aux compétences du Défenseur la faculté de trancher des litiges entre les collectivités territoriales et les établissements publics – ce qu'a d'ailleurs réclamé l'actuel médiateur. En deuxième lecture, le Sénat a supprimé ces deux dispositions. À l'initiative de son rapporteur, notre commission les a rétablies, afin d'offrir au Défenseur des droits un champ d'intervention aussi large que possible.
La composition et le rôle des collèges demeurent un point de désaccord important avec nos collègues sénateurs, ce dont je m'étonne, pour tout vous dire. Le projet de loi organique prévoit la création de trois collèges : un collège compétent en matière de déontologie de la sécurité, un collège compétent en matière de défense et de promotion des droits de l'enfant et un collège compétent en matière de lutte contre les discriminations et de promotion de l'égalité. À l'issue des travaux du Sénat en deuxième lecture, la composition des différents collèges ne fait toujours pas consensus, qu'il s'agisse du nombre de leurs membres ou de leurs qualités.
Sans modifier les effectifs résultant des travaux du Sénat, notre Commission a apporté deux séries de modifications à la composition des collèges. Tout d'abord, elle a supprimé du collège compétent en matière de déontologie de la sécurité les deux parlementaires désignés par les présidents des assemblées ; leur a été préférée la désignation de personnalités. Or il me déplaît de penser que « le parlementaire, c'est l'ennemi », a fortiori quand cela semble être pensé par les parlementaires eux-mêmes, trop enclins à cette forme d'autocritique. Ensuite, dans chacun des trois collèges, notre commission a rétabli la désignation de deux personnalités qualifiées par le Défenseur des droits – c'est bien le moins.
En deuxième lecture, le Sénat a rétabli le caractère obligatoire et systématique de la consultation des collèges, lorsque le Défenseur des droits intervient dans leur domaine d'expertise, ce qui est contraire à la lettre de la Constitution, et je m'étonne que la commission des lois du Sénat, peuplée de si grands juristes, ait pu commettre cette erreur. Le Sénat a également rétabli la possibilité pour le Défenseur des droits de demander une seconde délibération à un collège, ainsi que la nécessité pour le Défenseur d'exposer ses motifs avant de s'écarter de l'un de ses avis.
Notre Commission a rétabli le caractère facultatif de la consultation des collèges par le Défenseur des droits, considérant que la systématicité de cette consultation serait de nature à rigidifier le fonctionnement de cette institution. Elle a également supprimé la possibilité d'une seconde délibération et l'obligation pour le Défenseur de se justifier lorsqu'il s'écarte d'un avis.
Mes chers collègues, ces textes constituent une étape importante dans le renforcement de la protection des droits et libertés dans notre pays, et c'est la raison pour laquelle le groupe UMP les votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, chers collègues, au terme de l'examen des deux projets de lois créant le Défenseur des droits, une nouvelle autorité administrative doit regrouper, après bien des hésitations sur son périmètre qui a beaucoup fluctué, quatre autorités, aujourd'hui encore indépendantes : le Médiateur de la république, le Défenseur des enfants, la HALDE et la CNDS.
Les sénateurs, contre l'avis du Gouvernement, ont refusé d'y inclure le Contrôleur des prisons. Un sénateur UMP a plaidé ainsi sa cause : « Il constitue un élément important dans le combat mené par le Parlement pour que les prisons cessent, à tout jamais, d'être une humiliation ou une honte pour la République ».
Mais ne pourrait-on pas plaider de la sorte en faveur de la Défenseure des enfants, reconnue des enfants qui la saisissent directement, contrairement à ce que vous dites, monsieur le rapporteur ? Grâce à la visibilité qu'elle a acquise, elle permet de lutter pour et avec les enfants. Son travail s'appuyait sur la convention des Nations Unies relatives aux droits de l'enfant. Cette référence a disparu dans vos textes.
Ne pourrait-on pas en dire autant de la HALDE ? Son éphémère présidente, aujourd'hui secrétaire d'État, jurait de se battre « comme une tigresse » pour lui garder son autonomie. Alors que les discriminations et inégalités n'ont jamais été aussi nombreuses, « supprimer la HALDE serait un très mauvais signe politique » ajoutait-elle.
On pourrait s'interroger aussi sur la fusion – en fait la disparition – de la CNDS. Les abus et excès commis par des fonctionnaires dépositaires de l'ordre public ne disparaîtront pour autant.
Et pourtant le Défenseur des droits inscrit dans la Constitution en 2008 aurait pu être une très belle idée. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, que « le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que tout organisme investi d'une mission de service public ». Sa mission est donc assez large. Mais cette belle idée, vous l'avez gâchée parce que vous n'avez pas su, voulu ou souhaité consulter, concerter pour, à partir de là, améliorer le texte. Il est vrai que ce n'est pas tout à fait votre marque de fabrique.
Certes, vous avez auditionné les autorités administratives ; mais vous avez écarté leurs observations. Vous n'avez pas entendu les associations qui, depuis 2009, ont avancé des propositions constructives, de nombreux argumentaires, des comparatifs internationaux sur les droits des personnes, la dénonciation des discriminations, l'état des prisons, les abus de rétention, de garde à vue ou encore la défense des enfants.
Les analyses et les propositions issues de l'Unicef, de la commission nationale consultative des droits de l'homme, de l'observatoire international des prisons, de nombreuses autres organisations que je ne peux toutes citer, voire d'organismes internationaux, n'ont, semble-t-il pas, retenu votre attention pour amender le texte.
Au Parlement enfin, depuis juin 2010, lors des différents débats, des voix se sont élevées pour souligner les aspects inquiétants de votre projet.
La première inquiétude porte sur la concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul défenseur. Beaucoup d'orateurs l'ont dit avant moi, je n'y insiste pas. Je cite simplement le rapporteur du Sénat, pour qui « il ne faut pas que le Défenseur des droits se transforme en dictateur des droits ayant tous les pouvoirs. »
Pour éviter cela, le Sénat avait rétabli la consultation systématique des collèges, renforcé le rôle des adjoints et obligé le défenseur à motiver ses avis. Ces modifications rendaient votre texte moins dangereux. Vous avez rétabli le pouvoir absolu et solitaire de l'homme ou de la femme qui aura à traiter 90 000 dossiers par an et n'aura plus à justifier de ses refus ni à s'appuyer sur des décisions collégiales.
Nos concitoyens, qui considèrent qu'ils sont victimes d'abus ou d'injustices de la part d'établissements et de services publics, auront-ils la même confiance à l'égard du Défenseur ? Et trouveront-ils désormais des correspondants proches ? Leur existence est une possibilité, mais plus une obligation.
Après la concentration du pouvoir, une autre inquiétude porte sur la nomination du Défenseur des droits. Vous avez refusé d'asseoir son autorité et son indispensable indépendance en le faisant nommer par le Parlement.
Une troisième inquiétude porte sur la visibilité des contre-pouvoirs. Alors que les comités internationaux saluent les efforts faits en France pour entendre la voix des enfants, nous serons le premier pays à supprimer l'indépendance de leur défenseur. La HALDE aussi a été considérée comme une étape fondamentale pour notre pacte républicain. Les dispositions des deux textes affaiblissent ces autorités.
Au manque de collégialité, au manque d'indépendance, s'ajoutent donc des craintes sur la visibilité des différentes missions qui attendent le Défenseur des droits.
À l'heure où des peuples se battent de l'autre côté de la Méditerranée pour conquérir la démocratie, la France ne peut continuer à donner des signes de légèreté à l'égard des droits de l'homme et à l'égard de ce droit fondamental des citoyens à trouver des instances qui, par la médiation, l'enquête, l'interrogation, évitent et corrigent les abus.
S'agit-il ici, comme le disait Robert Badinter, « d'une reprise en main d'autorités indépendantes devenues trop indépendantes » ?
Les citoyens étaient en droit d'attendre que ce défenseur soit une autorité indépendante, impartiale, transparente. Le résultat est une nouvelle institution à la cote mal taillée qui entretient un sentiment de malaise et d'incompréhension.
Cette belle idée débouche sur une régression démocratique. Écoutons Montesquieu qui disait : « Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur chers collègues, avec ce projet de loi organique, nous abordons enfin le fameux volet citoyen de la réforme constitutionnelle. C'est en son nom, rappelez-vous, qu'il fallut avaler toutes les autres couleuvres, nombreuses et indigestes. Pas un amendement, pas un article n'était discuté en juillet 2007 sans qu'on brandisse en même temps cet argument : les citoyens auront plus de pouvoirs. On en attend encore les effets réels. À vrai dire, on commençait à s'impatienter.
En fait, le retard avec lequel ces outils citoyens ont été mis en place en dit long sur vos priorités. Les lois organiques découlant de la réforme constitutionnelle qui visaient à permettre au Président de la République de nommer les PDG des entreprises publiques, aux ministres de retrouver leur siège de député ou encore à réformer le travail parlementaire en muselant l'opposition…
Oh !
ont été présentées avec une rapidité suspecte ! Comme vous nous y avez habitués, il y a là deux poids, deux mesures !
Près de trois ans après l'instauration du droit de saisine du Conseil constitutionnel par les citoyens – droit au rabais – la promesse du référendum d'initiative populaire qui devrait bientôt arriver, nous abordons ce fameux Défenseur des droits qui nous été « vendu » comme l'organe mettant le citoyen au centre des débats.
Nous avons rappelé, tout au long des débats, que nous n'étions pas contre le principe d'un ombudsman à la française, mais que nous avions la crainte que ne se disperse l'essence même des autorités administratives existantes, aussi diverses dans leur fonctionnement que dans leurs missions. Cette crainte, à la lumière des différentes lectures qui ont été faites de ce texte, s'avère fondée tant leurs missions se retrouvent délayées dans un grand tout bien trop vaste. En lieu et place d'un outil intelligent et collégial, vous êtes en train de dessiner les contours d'une espèce de colosse administratif, d'une usine à gaz difficilement gérable.
Une seule question aurait dû sous-tendre nos travaux, à savoir : quels outils mettre en place afin que les droits fondamentaux et les libertés publiques de nos concitoyens soient le mieux respectés, voire défendus ? Au lieu de cela, le mode de nomination et le mode de fonctionnement choisis sont symptomatiques du fossé qui s'élargit entre citoyens et chose publique et de la mainmise du seul défenseur nommé par le chef de l'Etat. L'omnipotence qu'implique cette nomination aurait pu être, éventuellement, contrecarrée par une collégialité réelle, gage d'indépendance et de libertés. Il n'en est rien puisque les pouvoirs, les cadres d'action et les missions ne sont pas suffisamment partagés. Dans ces textes, au contraire, se dessine un pouvoir arbitraire du défenseur.
En bref, la constitutionnalisation de ce médiateur est la seule bonne nouvelle, même si le problème est pris à l'envers puisqu'on ne fixe que son cadre de travail et non les missions qui lui sont affectées. Comme l'a fait valoir le sénateur Badinter, cette constitutionnalisation a pour effet direct l'institutionnalisation du règne de l'arbitraire.
Nous restons dubitatifs face aux conclusions de cette deuxième lecture. Quid de la consultation, de la prise en compte des avis des collèges, de la réponse aux saisines et de la transmission à d'autres autorités administratives indépendantes ? Quid encore du droit de saisine ? Quid de cette collégialité qui n'a de collégiale que le nom puisque le défenseur détient tous les pouvoirs ? Quid enfin du rôle des adjoints quand il leur est interdit de rendre publiques leurs conclusions ?
Comme l'a justement rappelé René Dosière en commission des lois, la différence est grande entre regroupement et fusion.
D'une autorité au fonctionnement clairement collégial, on passe ainsi à une administration autocratique…
..qui pratiquera l'arbitraire alors que les autorités administratives indépendantes assumaient leur charge de manière très satisfaisante.
Il suffit de voir l'écho public et médiatique que suscitait chacun de leurs rapports. De même, le nombre de saisines dont ils faisaient l'objet ne cessait de croître de manière surprenante. Que ce soit la CNDS, la HALDE ou le défenseur des enfants, toutes ont connu une ascension indéniable, en qualité comme en quantité, et surtout, indispensable à la bonne santé de la démocratie.
Avec ce projet de loi, leurs missions sont diluées et elles perdent ainsi de leur impact. En fait, ces autorités par trop indépendantes sont surtout devenues trop encombrantes pour le pouvoir en place. Elles sont devenues des contre-pouvoirs actifs, productifs et empêchant les gouvernants de tourner en rond. Leurs rapports ont souvent été des pavés dans la mare obligeant les institutionnels, les politiques, les citoyens et les administrateurs à se remettre en cause. Celui que Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République, a présenté l'année dernière était particulièrement juste et a permis à la société de s'approprier un état des lieux pour faire avancer le débat politique et obliger à prendre en compte un certain nombre de réalités qu'il est souvent plus facile de cacher.
Toutes ces institutions ont fait la preuve de leur efficacité. Un champ de compétences réduit permettait en effet un travail de proximité en profondeur. Nulle autorité n'a su mieux que les autorités administratives indépendantes retranscrire la réalité que nous constations dans nos circonscriptions pourtant très différentes les unes des autres. Juxtaposés, les différents rapports annuels auxquels elles nous avaient habitués dressaient une indispensable cartographie sociale du territoire, un portrait sans complaisance, très juste et très concret, même s'il était parfois dur et inquiétant, de la France d'aujourd'hui, des Françaises et des Français, de leur rapport à l'institution, de leurs attentes... loin, très loin, des seules logiques de sondages auxquelles on s'est trop habitué.
La coupure entre la nouvelle autorité et les réalités du terrain sera réelle. À l'inverse, ces structures indépendantes avaient en commun un lien avec la réalité, plus ou moins fort en fonction de leur ancienneté, lié pour l'une au manquement des services de sécurité, pour les autres aux discriminations et aux violences envers les enfants, pour une autre encore aux conflits engageant une institution publique. Dans tous les cas, la réalité était couverte par des enquêtes de terrain longues, mais indispensables à la bonne tenue des investigations.
Cette valeur ajoutée que les autorités ont su acquérir tout au long de leur existence sera perdue au profit du seul rendement.
Jusqu'ici, dans nos circonscriptions, il n'était pas un jour sans que nous adressions une requête à ces autorités par téléphone, courriel ou courrier postal. Au passage, je m'interroge sur le devenir des délégués de ces autorités sur l'ensemble de notre territoire.
Nous étions attentifs au contenu d'un texte qui aurait pu révéler un véritable tournant dans votre manière de gérer les liens avec les citoyens, dans votre choix de réconcilier nos concitoyens avec la chose publique, avec leur environnement politique, et en particulier avec leur administration. Au contraire, nous avons affaire à un ogre administratif. Il s'est, certes, assagi depuis son passage au Sénat puisqu'il a délaissé le contrôleur des lieux de privation de libertés. Il n'en reste pas moins un géant goulu qui avance à tâtons sans vraiment être garant des missions qui seront pourtant les siennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le garde des sceaux, j'apporte le soutien du groupe Nouveau Centre à ce projet qui crée le Défenseur des droits.
Nos collègues de l'opposition ont émis des avis différents. Pourtant, en matière de libertés, nous devrions obtenir un consensus. Peut-être est-ce l'approche de certaines échéances électorales qui fait qu'aujourd'hui, on trouve des prétextes pour ne pas voter ce texte. Les députés du Nouveau Centre sont aussi attachés que d'autres ici à défendre le rôle d'un certain nombre d'autorités indépendantes, issues d'un excellent travail mené jusqu'ici. Je rappelle que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a été créé par la majorité actuelle, que le Médiateur de la République l'a été durant la présidence de Georges Pompidou et la HALDE durant celle de M. Jacques Chirac. Si nous devions faire un bilan en matière de création d'autorités administratives indépendantes et d'adoption de lois visant à améliorer les libertés individuelles et leurs garanties, je crois que cette majorité n'aurait pas à rougir de son action.
Ce projet de loi organique constitue en quelque sorte un défi car, après la révision de la Constitution instituant le Défenseur des droits, il appartient aujourd'hui au législateur de s'assurer que la mise en oeuvre de cette réforme, par la réunion de plusieurs autorités administratives indépendantes, constituera bien un progrès.
À cette tribune, je tiens à rendre hommage à tous ceux qui ont dirigé ces autorités administratives.
Certaines questions se posent et, avec d'autres collègues de la majorité, je soutiendrai des amendements concernant, par exemple, la saisine du Défenseur des enfants. Monsieur le garde des sceaux, en première lecture, vous nous avez apporté un certain nombre de garanties relatives à la visibilité du Défenseur des enfants et, déjà, à sa saisine. Cette fois, nous souhaitons obtenir de véritables assurances en la matière.
Je me réjouis que le maintien du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ait été garanti. Au début de cette discussion générale, M. Pascal Clément envisageait la possibilité de revoir le statut de cette autorité en 2014. En première lecture, nous étions déjà parvenus à un consensus tendant à permettre à l'actuel Contrôleur général d'achever son mandat. En tant que tel, le choix du Sénat de ne pas intégrer le Contrôleur général dans le champ de compétence du Défenseur des droits n'est pas choquant car il y a bien une spécificité de cette mission.
J'estime qu'il est inadmissible de remettre en cause le Défenseur des droits en se fondant sur son mode de nomination. À ce jour, toutes les personnalités nommées – et qui l'ont été après un avis du Parlement – ont démontré leur indépendance. Elles ont fait honneur à leur fonction et à leur responsabilité. Jeter ainsi la suspicion sur le Défenseur des droits ou mettre en cause son indépendance, est insultant non seulement pour lui mais encore pour toutes les personnes ainsi nommées jusqu'à aujourd'hui.
Il suffit de regarder les exemples étrangers. D'ailleurs, le Président de la République et le constituant ont voulu s'inspirer des expériences étrangères les plus réussies. Partout où il a été institué, l'ombudsman ou le défenseur des droits, est une haute autorité morale garante des droits des citoyens.
Le mode de saisine du Défenseur des droits constitue une garantie supplémentaire. Aujourd'hui, la saisine du Médiateur de la République s'opère par l'intermédiaire des parlementaires ; demain, celle du Défenseur des droits sera directe et simple. Cela lui donnera toute sa force.
Nous devons donc aborder avec confiance la nouvelle page qu'il nous appartient d'écrire. Nous pouvons avoir un regard objectif sur les autorités administratives indépendantes dont la fusion va donner naissance au Défenseur des droits, et rendre hommage à leur action en constatant les progrès pour les libertés qu'elles ont permis d'accomplir. Il suffit de se reporter aux rapports annuels de ces autorités pour se rendre compte qu'elles ont eu leur utilité. Elles ont protégé les plus faibles, et il s'agissait bien là de l'ambition du législateur qui les avait créées.
Le Défenseur des droits mérite mieux qu'un débat passionnel. Je m'étonne de certaines mises en cause. Nous devrions plutôt nous réunir sur les objectifs à atteindre. Il peut y avoir des interrogations ; c'est légitime. Il peut y avoir des garanties complémentaires à apporter en s'appuyant, notamment, sur le bilan des autorités indépendantes. Il reste, à mon sens, que nous devons aborder cette deuxième lecture avec confiance.
En tout cas, au nom de mes collègues du groupe Nouveau Centre, c'est dans cet esprit que j'aborde ce débat. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur le garde des sceaux, je crois que nous pouvons nous féliciter des débats riches et approfondis qui sont les nôtres au moment de l'instauration de la nouvelle institution du Défenseur des droits.
Initialement prévu pour remplacer à lui seul cinq de nos institutions garantes des droits de l'homme, chacune dans son domaine spécifique, il est apparu au cours des travaux parlementaires, à l'Assemblée nationale ainsi qu'au Sénat, qu'il fallait maintenir la « traçabilité » de certaines catégories de droits, ainsi que la considération de la situation des personnes directement concernées par des droits spécifiques.
Le cas du Contrôleur général des lieux de privation de liberté relève de cette problématique, et je pense qu'il était effectivement préférable que cette institution, encore récente, dont le champ d'action est vraiment spécifique, ne soit pas directement intégrée au Défenseur des droits,
Il en est de même de la question si particulière des droits de l'enfant. Je ne reviens pas sur tout ce que nous avons déjà dit au sujet de la nécessité de considérer l'intérêt supérieur de l'enfant, qui est la clef même du domaine particulier des droits de l'enfant.
Avec la création d'un Défenseur des droits aux pouvoirs élargis et renforcés, il peut paraître logique que la mission du Défenseur des enfants soit intégrée à celle de cette nouvelle institution. Cependant, le Défenseur des enfants doit garder une place particulière aux côtés du Défenseur des droits, et surtout, il doit pouvoir être saisi directement par les personnes concernées, à commencer par les enfants eux-mêmes.
Ce fut l'objet d'échanges fructueux lors de la première lecture à l'Assemblée nationale. Ainsi, un certain nombre d'amendements ont été adoptés permettant cette clarification. Ils ont été confirmés en seconde lecture au Sénat.
A ce stade, il apparaît néanmoins nécessaire de continuer à lisser le texte pour le rendre plus cohérent et pour donner davantage d'efficacité à l'action de l'adjoint désigné comme Défenseur des enfants. C'est le sens des amendements que j'ai déposés et que je défendrai. Monsieur le garde des sceaux, je ne développerai pas leur contenu mais je veux citer les principales propositions qui, je l'espère, recueilleront votre soutien.
Tout d'abord, il me semble très important d'élargir à toutes les associations la possibilité de saisir le Défenseur des enfants, même si ce champ d'action n'est pas cité de manière explicite dans leurs statuts.
Ensuite, parmi les adjoints du Défenseur des droits, le Défenseur des enfants, qui sera choisi pour ses compétences dans ce domaine bien particulier, doit être consulté systématiquement sur toutes les questions concernant son domaine dont le Défenseur des droits aura connaissance.
Je pense que le Défenseur des enfants doit présider le collège spécialisé dans ce domaine. La consultation de ce collège ne doit pas être laissée à la libre appréciation du Défenseur des droits, mais elle doit être obligatoire. Si le Défenseur des droits ne souhaite pas suivre l'avis donné par le collège, il devra motiver cette décision.
Sur ce sujet des droits de l'enfant, il faut également que soient créés des délégués territoriaux spécifiques et identifiés.
Par ailleurs, la mention des majeurs protégés, supprimée au Sénat, doit être rétablie. Ils doivent, en effet, bénéficier d'une protection particulière.
Il faut également rétablir les dispositions adoptées à l'Assemblée en première lecture à l'article 20, concernant la communication, à l'auteur de la saisine, des raisons pour lesquelles le Défenseur des droits ne donne pas suite à sa demande, ainsi que les conseils qu'il peut donner, dans cette hypothèse, pour résoudre la difficulté rencontrée.
Monsieur le garde des sceaux, comme vous le constatez, il ne s'agit que d'enrichir un texte important qui permettra, grâce à la création du Défenseur des droits, de donner un nouveau souffle à la défense des droits fondamentaux et universels que sont les droits de l'homme. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, NC et SRC.)
Ce projet de loi organique est pour nous une déception. Pourtant, la création en France d'un Défenseur des droits aurait pu être une très grande idée, mais il y a eu, au sein, de la majorité une lutte entre ceux qui voulaient sincèrement défendre les droits des individus – ce qui les a amenés à élargir le périmètre du droit – et ceux qui se méfiaient de ces nouveaux droits et qui voulaient surtout s'assurer de reprendre en main des autorités transformées en une institution qu'ils ne souhaitaient pas trop indépendante.
Au fur et à mesure des débats, nous avons donc vu le périmètre de la future institution et ses pouvoirs évoluer de manière assez surprenante.
Certes, la navette parlementaire doit permettre de confronter les points de vue mais, en général, elle permet aussi d'enrichir un texte en tenant compte des apports de chacune des chambres. Or, en l'espèce, il est clair que la commission des lois de l'Assemblée a freiné des quatre fers pour éviter que nous ne reprenions certains des amendements adoptés par le Sénat, qui, selon nous améliorent pourtant le texte.
Il s'agit donc d'abord d'un manque de considération pour le travail des assemblées parlementaires. Cette situation me semble ensuite inquiétante si l'on considère le sort qui est fait à la HALDE.
Je suis préoccupée car chacun sait que la loi sur les discriminations, domaine de compétence de la HALDE, même si elle est vieille de trente-huit ans, n'est appliquée que de manière homéopathique. Les plaintes pour discriminations, notamment celles liées aux origines, font pourtant partie de celles les plus fréquemment exprimées dans certains quartiers populaires. Au sein des maisons de la justice et du droit, la HALDE avait développé un grand nombre de consultations assurées par des correspondants bénévoles. Elles étaient très fréquentées car ces sujets touchent particulièrement les habitants de nos quartiers. Or cet acquis et ce travail sont aujourd'hui menacés. Même si cette institution était récente, une autorité avait véritablement vu le jour ; elle est aujourd'hui remise en question. En effet, en diluant la HALDE dans une grande structure, dont la préoccupation commune ne sera pas ce sujet précis, on ne développera pas la lutte contre les discriminations, déjà un peu en déshérence depuis trente-huit ans, alors qu'elle serait tellement nécessaire dans notre pays.
En s'appuyant sur la société civile et, en particulier, sur les associations et des experts juridiques, la HALDE avait développé une expertise qui permettait au droit de la discrimination de s'élaborer. Aujourd'hui, au gré de la navette parlementaire, le collège qui remplacera le comité consultatif n'a même pas d'existence définitive. En tout état de cause, il ne sera pas systématiquement consulté et, quand il aura donné un avis, ce dernier ne sera pas obligatoire.
C'est déjà le cas pour l'actuel comité consultatif !
Quant à l'adjoint chargé de la question des discriminations, le Défenseur des droits pourra passer outre son avis, même fondé sur des opinions autorisées, sans même motiver sa décision. Autant dire que cet avis n'aura aucune importance.
Nous sommes donc extrêmement inquiets du sort que vous réservez à la lutte contre les discriminations.
Je suis d'autant plus étonnée que la HALDE avait été créée, après de nombreuses réflexions, pour répondre à des injonctions précises des instances européennes. Alors que nous avons quasiment été contraints d'instaurer cette institution pour respecter la directive européenne visant à lutter contre la discrimination raciale, il me semble étonnant que vous puissiez revenir sur l'existant. J'ai relevé que cet argument avait parfaitement été développé au Sénat.
Et puis, que ferez-vous de tout ce qui a été mis sur pied en matière de médiation et de formulation de recommandations ?
Vous voulez diluer la HALDE dans une énorme institution qui ne pourra pas être attentive à ce qui constitue une souffrance réelle dans notre pays. En voulant noyer le poisson, vous donnez un très mauvais signal à tous ceux qui souffrent de discrimination.
Le Sénat a tenté d'atténuer l'orientation centralisatrice et soupçonneuse de votre réforme. Au cours de nos débats, je souhaite que nous parvenions au moins à maintenir les quelques améliorations qu'il avait pu introduire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, suite à la deuxième lecture au Sénat et en commission des lois ici même, des avancées ont pu être faites. Je pense en particulier à la possibilité pour les adjoints d'être vice-président de leur collège. C'était très important.
Toutefois, il reste des points fondamentaux à ajouter afin de garantir au mieux la défense des enfants. Remarquez que le défenseur des enfants qui nous est demandé par les instances internationales ne s'appelle pas « le défenseur des droits de l'enfant ». Il s'appelle « le défenseur des enfants ».
Je pense que notre ministre a été un enfant heureux.
On a fait ce qu'on a pu.
Parce que, quand on a été un enfant heureux, on a envie de servir ses concitoyens. Mais lorsqu'on a été un enfant malheureux, victime d'injustices, et qu'on s'est résigné à ces injustices parce que les grandes personnes ne nous entendaient pas, parce qu'il n'y avait aucune porte à laquelle frapper, aucune oreille pour nous écouter, on perd l'empathie, on devient rebelle, et on devient un danger pour la société.
Protéger les enfants, c'est protéger la société. Or de plus en plus d'enfants vont mal. De plus en plus d'enfants sont sous l'autorité des services sociaux, qu'ils soient repérés comme en danger, signalés, sous aide éducative en milieu ouvert, placés en foyer ou en famille d'accueil ; de plus en plus d'enfants sont des enfants en danger.
Pour un drame médiatique comme la décision incomprise de séparer une petite fille de sa famille d'accueil, combien de drames méconnus, de maltraitances institutionnelles non révélées parce que l'enfant ne sait pas auprès de qui demander assistance ? Alors, il se construit de façon boiteuse, de façon toxique pour son entourage et pour la société. C'est donc un sujet très important. Entre 2009 et début 2010, il y a déjà plus de 5 000 enfants qui se sont adressés au Défenseur des enfants. Ce n'est pas vrai qu'ils ne le connaissent pas. Ils ne le connaissent pas assez, mais le nombre d'appels a augmenté d'année en année depuis la création de cette institution.
Il est donc indispensable que le Défenseur des enfants puisse encore être directement interpellé. Il ne faut pas lui enlever cette possibilité. Monsieur le ministre, ce n'est pas ébranler la construction de votre texte. Les enfants doivent pouvoir saisir ce Défenseur des enfants. Ils ne savent pas qu'ils ont des droits, mais ils savent qu'ils sont des enfants. Ils doivent pouvoir le saisir directement. Vous pouvez organiser les choses pour que le Défenseur des droits soit lui aussi saisi, mais c'est le Défenseur des enfants qui sera l'interprète des problèmes de ceux-ci.
Cette interpellation directe doit aussi être complétée, pour la visibilité du Défenseur des enfants, par des possibilités de délégation. En particulier, il faut que le Défenseur des droits puisse lui déléguer la présentation annuelle aux autorités de la République du rapport concernant l'état de la protection de l'enfance, à l'occasion de la Journée internationale des droits de l'enfant, seule façon de faire savoir aux enfants qu'ils ont quelqu'un pour les défendre.
Il faut aussi que le Défenseur des enfants puisse se voir déléguer la possibilité de présenter son rapport aux institutions internationales, en particulier le Conseil de l'Europe. Ainsi, nos pratiques vis-à-vis des enfants pourront être validées. Quand on enlève un enfant à une famille d'accueil et que cela est mal compris, il faut pouvoir dire à quel protocole national cela répond, quelles sont les bonnes pratiques, et quelle est la traçabilité des enfants.
Beaucoup d'enfants sont malheureux. Une démocratie ne peut pas l'accepter. Rappelons que 300 000 enfants sont confiés à l'aide sociale à l'enfance. C'est un budget de 6 milliards d'euros. Parmi ces enfants, quelles sont nos pratiques, comment sont-elles validées ?
Voilà le gros travail qui attendra le Défenseur des enfants, sous la tutelle du Défenseur des droits. Grâce à votre projet de loi, il aura un pouvoir d'injonction. C'est très important, monsieur le ministre, et c'est pourquoi nous voterons ce texte. Mais nous allons proposer des amendements tendant à lui donner plus de visibilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC, et sur quelques bancs du groupe SRC.)
Nous voici donc arrivés à la deuxième lecture dans notre chambre, après deux lectures au Sénat. Les explications de notre position sur ce texte ont déjà été données.
La confusion continuer de régner sur les motivations réelles de votre projet de loi. La différence entre votre intention initiale et l'état actuel du texte montre bien que nos critiques étaient valables.
La question principale qui se pose, c'est de savoir si le Défenseur des droits sera plus efficace que les autorités indépendantes que vous souhaitez remplacer. J'ai bien entendu que la question ne se posait plus de savoir si la CNDS, la HALDE et les autres institutions concernées avaient bien fait leur travail ou pas, puisque vous dites, monsieur le ministre, qu'elles ont bien travaillé. Il s'agit bien de savoir si la nouvelle organisation sera meilleure par rapport à leur fonctionnement actuel et si elle contribuera au progrès de notre République.
S'agissant de la HALDE, la question qui se pose pour notre pays, chers collègues de la majorité – je m'adresse à vous parce que vous êtes encore nombreux à cette heure (Sourires), même si vous êtes moins nombreux que nous, de sorte que nous pourrions peut-être passer dès ce soir à la discussion des articles et aux votes –,…
…la question qui se pose, disais-je – et elle se pose particulièrement à vous, qui avez voulu mettre sur la table le sujet de l'identité nationale l'année dernière –, c'est une question qui concerne nombre de nos concitoyens victimes de discriminations, quelle qu'en soit la nature : en diluant la visibilité et, finalement, l'autorité de la HALDE telle qu'elle existe aujourd'hui, n'allez-vous pas en même temps diluer la lutte contre les discriminations et pour la promotion de l'égalité ?
Pour vous dire le fond de ma pensée, je pense que vous avez un problème avec ces questions-là. Depuis le début de la législature, à chaque fois que nous avons voulu réaliser des avancées, à travers des propositions de loi ou des amendements, vous nous avez dit : « Oui, nous avancerons ; oui, ce sera possible ». Et à chaque fois, nous n'avons rien vu venir, à part quelques mesures cosmétiques et quelques nominations – encore des nominations – de la part du Président de la République, et rien d'autre.
Aujourd'hui, la HALDE est une institution reconnue pour faire avancer des plaintes individuelles en même temps qu'elle réalise des avancées collectives, assez peu suivies d'effets par le Gouvernement. Cette institution fonctionne de manière collégiale. Grâce à elle, la société civile peut être consultée et étudiée.
Des institutions analogues existent, tant au Royaume-Uni qu'aux États-Unis. Elles ont des moyens et des pouvoirs beaucoup plus importants que ceux dont disposent la HALDE. Vous voulez renier tout cela.
Sur la question des emplois fermés, c'est-à-dire les emplois sous condition de nationalité, nous avons voulu avancer durant cette législature, et la HALDE avait délibéré sur ce sujet. Pensez-vous qu'avec votre dispositif, cela sera encore possible ? Honnêtement, vu les conditions de nomination, vu les conditions de discussion en interne, vu le rôle des collèges, je n'y crois pas.
Je vais vous citer un exemple qui a fait l'actualité de ces derniers jours, celui de cette femme qui s'est vu refuser un paiement par chèque en raison de son adresse. Il faut avancer sur ce qu'on appelle la discrimination à l'adresse. Il conviendrait que le domicile soit reconnu comme critère de discrimination. Pensez-vous que votre projet de loi permettra d'avancer sur ce sujet ? Nous avons déposé un amendement que vous avez choisi de rejeter, il y a quelques mois. Pensez-vous que dans le nouveau dispositif, le collège, l'adjoint – qui ne sera qu'un proche collaborateur du Défenseur des droits, lui-même nommé par le Président de la République – auront suffisamment d'indépendance pour proposer au législateur d'avancer sur cette question ? Permettez-moi d'en douter.
Oui, c'est ma conviction. Je suis là pour exprimer des convictions. Eh bien, nous verrons.
En tout cas, soyez sûrs que nous, nous voudrons faire avancer ce sujet, comme d'autres touchant à la lutte contre les discriminations et pour la promotion de l'égalité.
Je crois que c'est un mauvais service que nous rendons au pays que de diluer la volonté collective qui pourrait être la nôtre d'avancer sur ces questions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La discussion générale commune est close.
La parole est à M. le garde des sceaux.
À défaut, je peux être long, si vous voulez. (Rires.)
Ah ça, c'est plus difficile.
Merci beaucoup, monsieur le président, de me donner la parole au terme de cette longue séance, mais comme presque tous les orateurs ont tenu à rester jusqu'à la fin, c'est bien volontiers que je tenterai de leur répondre.
Monsieur Clément, vous avez à juste titre rappelé ce qui inspire le projet de loi relatif au Défenseur des droits. Ce n'est ni le centralisme bureaucratique ni une quelconque tendance bonapartiste, comme l'a dit M. Dosière.
Oui, mais s'il a fui la réponse, c'est qu'il ne devait pas être très sûr de lui. (Sourires )
Je le connais depuis plus longtemps que vous. Je peux donc soutenir cette affirmation sans aucun problème.
Ce qui inspire ce texte, et M. Urvoas, compte tenu de sa spécialité, voudra bien se rendre à cet argument, c'est simplement l'application de la Constitution.
La Constitution s'impose à tous, et notamment au législateur organique, qui n'a pas la possibilité d'aller au-delà des limites constitutionnelles.
Si les adjoints du Défenseur des droits, qui ne figuraient pas dans le projet initial du Gouvernement, ne disposent d'aucun pouvoir, c'est tout simplement parce qu'il n'existe aucune base constitutionnelle pour leur en donner. Ils ne peuvent donc pas en avoir. Doter un ou plusieurs adjoints de pouvoirs propres ferait courir au texte un risque certain de censure par le Conseil constitutionnel. Si le Défenseur des droits peut s'appuyer sur des adjoints, c'est à la condition qu'ils ne soient que des collaborateurs de la seule institution créée par la Constitution, c'est-à-dire le Défenseur des droits. Je remercie M. Clément du soutien constant qu'il a apporté à ce projet depuis qu'il est soumis à la discussion.
Je voudrais dire à Mme Coutelle que le Défenseur des droits ne sera pas tout seul. Il aura des collaborateurs, il travaillera avec des services, il aura des moyens.
Est-ce qu'il y a une collégialité pour le Médiateur, aujourd'hui ? Non, il n'y en a pas du tout.
Pour les autres autorités, y a-t-il une collégialité ? Bien sûr que non. C'est la loi. Relisez les textes.
Je vous remercie, monsieur le président, mais…
Oui, exactement. (Sourires.)
Ah, ça c'est vrai.
Le Défenseur des droits ne sera donc pas seul. Il aura beaucoup de moyens, il sera puissant, et disposera de vrais pouvoirs, reconnus par la Constitution. On peut raconter tout ce que l'on voudra, on ne pourra pas faire qu'il n'en soit pas ainsi.
Bien sûr, on peut avoir une opposition de principe dès le départ, après quoi on cherche tous les arguments, plus ou moins solides, pour montrer qu'on a raison d'être contre. Je dois dire que Mme Pau-Langevin a excellé dans cet exercice. Elle a essayé de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, mais elle n'y est pas arrivée. Ce qu'elle nous a dit manquait un peu de fondement.
Instaurer une autorité constitutionnelle, vous pouvez dire tout ce que vous voulez, mais on ne peut pas faire mieux, puisqu'il n'y a pas d'autorité supérieure à la Constitution. En cela, la réforme est un vrai progrès.
Le Défenseur des droits qui va être créé n'appartiendra qu'à lui-même et à la Constitution, il ne sera pas l'oeuvre de telle ou telle majorité. Et gageons que dans dix ans, quand il aura bien travaillé, tout le monde le revendiquera, ce qui sera le signe de son succès !
N'essayons donc pas de le rabaisser aujourd'hui, mais reconnaissons au contraire dès maintenant les avancées qu'il représente.
Le Défenseur des droits, qui va reprendre à la fois les services et les missions des autorités administratives indépendantes qu'il va absorber, assurera la continuité et le suivi des dossiers et la préservation du savoir-faire de l'ensemble de ces autorités.
Je veux dire à Mme Amiable que ses craintes sont l'expression d'une forme de conservatisme. Ainsi, il ne faudrait rien changer au seul motif que les autorités administratives indépendantes actuelles font correctement leur travail – ce qu'au demeurant, tout le monde reconnaît. En réalité, la question est de savoir si une organisation différente ne peut pas aboutir à un résultat encore meilleur.
Le défenseur des enfants s'est très bien acquitté de sa tâche, j'en veux pour preuve le soutien dont il bénéficie sur tous les bancs. Cependant, ses compétences et ses pouvoirs sont limités. Ainsi, dans un certain nombre de cas, il doit transmettre au Médiateur de la République les dossiers en sa possession, ce qui ne me semble pas constituer le gage d'une grande efficacité. Désormais, le Défenseur des droits, investi de pouvoirs plus étendus, conservera ses dossiers, ce qui le rendra plus efficace. Je répète par ailleurs que tous les pouvoirs des autorités administratives indépendantes actuelles seront repris par le Défenseur des droits. (« Et la saisine ? » sur les bancs du groupe SRC.)
Je remercie M. Hunault de la confiance et du soutien qu'il a apportés à la création du Défenseur des droits. Près de quarante ans après celle du Médiateur de la République, cette création marquera effectivement une nouvelle étape dans le renforcement de la protection des droits et libertés de nos concitoyens. Vous avez bien fait, monsieur Hunault, de replacer ce texte dans un ensemble d'autres textes afin de montrer que, sous l'impulsion du Président de la République et du Gouvernement, cette législature aura été celle d'une forte avancée en matière de protection des libertés publiques.
Je veux dire à Mme Hostalier que je comprends tout ce qu'elle a dit, même si je ne suis pas du tout d'accord avec elle.
Ce n'est pas grave, dans la mesure où nous poursuivons le même but. Pour ma part, j'estime qu'il vaut mieux protéger les enfants et leurs droits plutôt que les institutions qui, elles, doivent s'adapter pour être toujours plus efficaces. De ce point de vue, le Défenseur des droits constitue un progrès par rapport au défenseur des enfants.
L'argument avancé à plusieurs reprises, selon lequel la France aurait souscrit des engagements internationaux l'obligeant à créer le défenseur des enfants, constitue une affirmation tout à fait inexacte. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Je vous mets au défi de me citer un seul traité affirmant l'obligation de créer un défenseur des enfants ! L'obligation à notre charge est celle de créer une institution indépendante assurant la défense des droits des enfants et, de ce point de vue, le Défenseur des droits répond tout à fait à la définition des engagements internationaux que notre pays a souscrits.
Le fait de maintenir un adjoint portant le titre de défenseur des enfants aidera à la transition entre la situation actuelle et celle de demain : comme l'a dit Mme Antier, ceux qui connaissent déjà le défenseur des enfants continueront à l'identifier comme tel. L'institution chargée de défendre les droits des enfants le fera en conservant sa notoriété, mais en étant désormais investie de plus grands pouvoirs.
Parmi toutes les choses qu'elle a dites, Mme Pau-Langevin a affirmé que nous souhaitions faciliter la discrimination. Vous savez pourtant que ce n'est pas vrai, madame, je suis sûr que vous-même n'y croyez pas !
J'ai dit que vous ne luttiez pas efficacement contre la discrimination !
Votre affirmation est un peu exagérée et je suis persuadé que sur le fond, nous sommes d'accord. Vous savez bien que le Défenseur des droits aura une plus grande efficacité juridique, et que c'est bien là le plus important pour défendre les droits dans ce domaine !
Quand M. Goldberg évoque l'identité nationale, je me réfère pour ma part à une conférence célèbre, prononcée en 1872 à la Sorbonne par Auguste Comte, sur le thème : « Qu'est-ce qu'une nation ? »
Renan, effectivement. Qu'est-ce qu'une nation ? C'est le plébiscite du quotidien, c'est vouloir vivre ensemble…
…la volonté de vivre ensemble et de construire, chaque jour, un pays qui nous réunit aussi parce que avons eu un passé commun. C'est cela, la nation française, et pour moi, le Défenseur des droits concourra puissamment au maintien de cette définition française de la nation, à laquelle nous sommes tous attachés.
Je veux dire à Mme Antier que je connais et reconnais son engagement au service des enfants. C'est vrai qu'il y a dans notre pays des enfants malheureux, et que ceux qui s'en occupent le plus souvent sont les travailleurs sociaux des services d'aide à l'enfance, qui sont sur le terrain et connaissent bien les familles et les enfants confrontés à des difficultés. Vous avez évoqué un budget de six milliards d'euros, pour ma part je me demande si ce n'est pas plus, car rien que dans mon département, le budget de l'aide sociale à l'enfance s'élève à 185 millions d'euros : si on multiplie ce chiffre par cent, on aboutit à une somme bien supérieure à six milliards d'euros !
Disons plus généreux, monsieur Clément ! (Rires.)
C'est vrai, il y a parfois des conflits, notamment entre le service et la famille d'accueil, qui peuvent être réglés de différentes manières…
Les agents vérifient que les choses se passent bien et surtout, ils écoutent.
C'est bien pour cela qu'il faut une autorité administrative indépendante !
C'est bien pour cela qu'il faut un Défenseur des droits capable d'imposer le respect de la loi aux services des collectivités locales, et je vous remercie de le reconnaître.
Je crois, très honnêtement, monsieur Goldberg, que la création du Défenseur des droits est un vrai progrès, auquel nous devons tous apporter notre soutien. Nos concitoyens nous en seront reconnaissants.
Le Gouvernement m'a fait savoir que la suite de la discussion, en deuxième lecture, des projets de loi organique et ordinaire relatifs au Défenseur des droits aurait lieu le mardi 1er mars à vingt et une heures trente, en remplacement du projet de loi de modernisation des professions judiciaires ou juridiques, dont l'examen est reporté à une date ultérieure.
Prochaine séance, jeudi 17 février à neuf heures trente :
Proposition de loi relative à la neutralité de l'Internet ;
Débat sur les politiques du handicap ;
Proposition de loi relative à l'étiquetage nutritionnel.
La séance est levée.
(La séance est levée, le jeudi 17 février 2011, à zéro heure quarante.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma