…alors que la HALDE ne fait que respecter la nécessaire mission qui lui a été confiée par le législateur.
Bien plus nombreuses sont les voix qui se sont élevées pour souligner son intérêt, non seulement pour les victimes qui, grâce à elle, ont été rétablies dans leurs droits, mais aussi pour la prise de conscience et la sensibilisation de la société française aux discriminations qui la traversent.
Hélas ! l'indépendance n'est pas la caractéristique la plus appréciée par le Président de la République. Vous avez donc décidé de faire taire cette voix, alors qu'il aurait, au contraire, fallu oeuvrer au renforcement des moyens de l'institution.
Un sort identique – c'est-à-dire la suppression – va être réservé à la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Première marque d'infamie, c'est un gouvernement de gauche qui avait osé l'inventer. Dès les débats de janvier et février 1998, alors dans l'opposition, vous en aviez combattu le principe.
Jean-Luc Warsmann résumait d'ailleurs le 24 février 2000 les raisons du vote négatif de son groupe en disant : « La création d'une autorité dite administrative indépendante ressemble fort à la fois à un constat d'échec, à un désaveu des autorités chargées aujourd'hui de contrôler la déontologie, et à une volonté de se débarrasser d'un problème difficile. » La France ne faisait pourtant que rattraper son retard.
Engagée dans un mouvement de promotion de la transparence dans les relations entre les services publics et leurs usagers depuis le début des années quatre-vingt, elle ne s'était encore pas dotée d'une instance spécifique ayant compétence pour définir et assurer le respect de règles déontologiques par les différents acteurs de la sécurité.
La Belgique l'avait fait en 1981, le Royaume-Uni en 1984, le Québec en 1990 ; en France, il a fallu attendre le gouvernement de Lionel Jospin, qui reprenait d'ailleurs une préoccupation constante des ministres de l'intérieur socialistes.
C'était en effet sous l'impulsion décisive de Pierre Joxe qu'avait été publié le décret du 18 mars 1986 fixant les règles de déontologie policière, toujours en vigueur.
C'est Paul Quilès qui créa, par décret du 16 février 1993, le Conseil supérieur de l'activité de la police nationale, ensuite remplacé en 1995 par le Haut Conseil de déontologie de la police nationale.
Depuis, la CNDS a tracé son chemin, au point d'être devenue la seule autorité administrative indépendante reconnue par la Cour européenne des droits de l'homme.
Évidemment, cette reconnaissance résulte de la qualité de ses avis, dont plusieurs ont soulevé des critiques, parfois même des tempêtes.
Je rappelle ainsi son rapport de 2003 dans lequel la CNDS déplorait une « méconnaissance manifeste des textes légaux » de la procédure pénale pour la garde à vue, les fouilles à corps et le menottage. C'était il y a huit ans.
Je rappelle aussi son étude, annexée au rapport 2008, sur la déontologie des forces de sécurité en présence de mineurs : la CNDS y appelait notamment l'attention sur la situation des mineurs en zone d'attente, et pointait les graves manquements qu'elle avait constatés.
Le 25 mai 2009, saisie par la Défenseure des enfants, la CNDS rendait un avis qui contestait vertement les pratiques observées lors d'une opération anti-drogue menée à l'intérieur du collège de Marciac, un an auparavant, lors de fouilles sur des élèves de quatrième et de troisième.
Je me garderai bien, enfin, d'oublier l'importante partie de son dernier rapport consacré à la pratique de la fouille à nu, procédure devenue quasi systématique dans certains commissariats ; cette pratique, je le rappelle, consiste à dénuder entièrement une personne gardée à vue puis à introduire un doigt dans ses parties intimes afin de s'assurer qu'elle n'y a rien caché. C'est la CNDS qui a dénoncé ces faits, et c'est grâce à son expertise que nous avons pu mettre fin à ces procédures.
Certains syndicats de police critiquent la CNDS, dénonçant ses remarques comme une atteinte à la réputation des services de sécurité ; selon eux, ses avis ne dénonceraient que des faits marginaux et non représentatifs.
C'est là une erreur d'appréciation fondée sur une ignorance à la fois du caractère méticuleux des méthodes appliquées et de la composition de la CNDS. Contrairement à ce que répètent les syndicats Synergie Officiers et Alliance Police nationale, la CNDS compte parmi ses membres un directeur des services actifs de la police nationale et un directeur de l'administration pénitentiaire.
En supprimant la CNDS, vous pensez peut-être faire plaisir à ces organisations syndicales, qui n'hésitent d'ailleurs pas à vous soutenir en de nombreuses occasions.
En réalité, c'est à l'ensemble des forces de sécurité que vous allez porter préjudice. Celles-ci ont, en effet, tout à gagner à l'existence d'une telle institution, spécifiquement chargée de s'assurer que leurs interventions ou leurs investigations ne souffrent – où que ce soit et de la part de quiconque – d'aucun procès en légitimité.
Vous seriez bien mieux inspiré, monsieur le garde des sceaux, de conseiller à votre collègue ministre de l'intérieur, s'il voulait répondre aux attentes des policiers sur leurs conditions de travail, de revoir la doctrine d'emploi de la police, aujourd'hui uniquement fondée sur la projection de forces et sur des méthodes d'interpellation massive.
Ces méthodes ont abouti à ce que, l'année dernière, 12 875 policiers et gendarmes – soit un sur huit – soient blessés dans l'exercice de leurs missions.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, que ce soit en matière de lutte contre les discriminations ou du respect de la déontologie – la science des devoirs –, la technicité est un atout. Se situant à la charnière du droit et de la morale, les avis de ces autorités ne relèvent pas du domaine de la norme. Non seulement ils ne concernent pas une profession unique, ou un secteur d'activité unique, mais surtout le non-respect de ces avis n'appelle pas nécessairement de sanction.
Voilà pourquoi l'expérience de la HALDE et de la CNDS sont des succès.
Voilà pourquoi votre obstination à vous en priver constitue indéniablement, comme le dit la Ligue des droits de l'homme, « un recul dangereux du dispositif français ».
Nous en sommes déjà à la deuxième lecture : renvoyons donc ce texte en commission, et ne commettons pas l'irréparable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)