La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures quarante-cinq.)
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, en adoptant, le 11 mai dernier, à l'unanimité, ou du moins sans opposition, la résolution sur le respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, votre assemblée a exprimé, d'une façon exemplaire, son attachement aux valeurs qui fondent notre pacte républicain.
Le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public est dans la droite ligne de cette expression de la vigilance de la représentation nationale au regard de l'application des principes.
Je voudrais en commençant saluer tout particulièrement la qualité du travail qui a été effectué par votre rapporteur…
…et, d'une façon plus générale, par l'ensemble de la commission des lois.
La recherche de l'intérêt général, de la cohésion, a prévalu sur les considérations de tendances et de partis et je crois que le débat parlementaire, en commission et, je l'espère, ce soir, fait une nouvelle fois honneur à notre démocratie.
Mesdames, messieurs les députés, la volonté de vivre ensemble, qui est la base de notre pacte républicain, dépend de notre capacité à nous rassembler autour de valeurs communes et de la volonté de partager un destin commun.
Vivre ensemble, cela veut dire refuser le repli sur soi, refuser dans le même temps le rejet de l'autre, bref, c'est refuser tout ce qui caractérise le communautarisme. La volonté de vivre ensemble suppose l'acceptation du regard de l'autre, cela suppose de pouvoir voir celui à qui on s'adresse et d'accepter qu'il vous voie.
Ce problème n'est pas une question de sécurité. Ce n'est pas une question de religion. D'ailleurs, terre de laïcité, la France assure le respect de toutes les religions et garantit à chacun le libre exercice du culte de son choix. Nous l'avons rappelé lors de la concertation que nous avons menée, le Premier ministre et moi-même, avec les responsables religieux, de toutes les religions, et les représentants des partis politiques.
D'ailleurs, pour bien montrer que le problème n'est pas un problème religieux, le projet de loi vise toutes les formes de dissimulation du visage dans les lieux publics.
Ce n'est donc ni un problème de sécurité, ni un problème de religion. C'est un problème de conception de la République. La République se vit à visage découvert, c'est une question de dignité et d'égalité, c'est une question de transparence.
L'importance de ces valeurs que nous défendons tous, sur tous les bancs, exclut toute hésitation et toute demi-mesure.
Le principe d'une interdiction générale de la dissimulation du visage dans l'espace public est donc assorti de sanctions, vous y avez veillé, à la fois dissuasives et pédagogiques.
« Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. » La règle est simple, claire, logique. La portée de l'interdiction se déduit de son fondement juridique lui-même. L'interdiction est générale dans tout l'espace public. Elle repose sur un fondement constitutionnel, l'ordre public social.
La notion d'ordre public inclut traditionnellement trois composantes matérielles : la sécurité, la tranquillité et la salubrité. Mais elle peut comprendre aussi une composante sociale ou immatérielle – on peut l'appeler sociale, sociétale, immatérielle, peu importe – qui n'est pas moins importante.
Si l'ordre public matériel implique la proportionnalité entre le but visé et la contrainte imposée, l'ordre public social, exprimant les valeurs fondamentales du pacte social, permet, lui, de prendre des mesures d'interdiction générales.
Cette notion est explicite dans la jurisprudence du Conseil d'État, même si elle demeure plus implicite dans celle du Conseil constitutionnel.
Plusieurs arrêts du Conseil d'État ont précisé les contours de cet ordre public social ou immatériel. Je citerai l'arrêt Société Les Films Lutétia dès 1959 ou l'arrêt Commune de Morsang-sur-Orge en 1995.
La notion d'ordre public social est présente également, même si elle n'est pas explicite, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. La décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993 sur une loi relative à la maîtrise de l'immigration ou la décision du 9 novembre 1999 relative au PACS illustrent cette idée d'ordre public immatériel. En l'espèce, pour juger constitutionnelles les interdictions de la polygamie et de l'inceste, le Conseil constitutionnel s'appuie sur les valeurs fondamentales du vivre-ensemble.
La dissimulation du visage sous un masque ou un voile intégral est contraire à l'ordre public social, qu'elle soit contrainte ou volontaire.
Contrainte, la dissimulation du visage porte atteinte à la dignité de la personne. L'asservissement ou la dégradation de la personne humaine sont strictement incompatibles avec notre Constitution, avec nos valeurs constitutionnelles.
Volontaire, le port d'un masque ou d'un voile intégral revient à se retrancher de la société nationale, à rejeter l'esprit même de la République qui est fondé sur le désir de vivre ensemble.
Le voile intégral dissout l'identité d'une personne dans celle d'une communauté. Il remet en cause l'idée d'intégration fondée sur l'acceptation des valeurs de notre société. Il exprime la volonté de mettre en oeuvre une vision communautariste de la société. Il est donc contraire à nos principes constitutionnels qui, eux, reposent sur l'égalité de chacun à l'égard de la loi, à l'égard du service public, à l'égard de la Constitution.
La portée générale et absolue de l'interdiction qui préside au texte dont nous discutons ce soir découle de ce fondement constitutionnel.
Toute mesure de police visant une atteinte à la sécurité, à la salubrité ou à la tranquillité publique doit être strictement limitée et proportionnée au trouble. En revanche, une mesure visant une atteinte à l'ordre public social peut, elle, être de portée générale et absolue. La jurisprudence du Conseil constitutionnel, que j'évoquais à l'instant, l'a reconnu, comme le Conseil d'État dans l'arrêt Commune de Morsang-sur-Orge.
Première remarque : une interdiction partielle, limitée à certains lieux, à certaines époques ou à certains services, soulèverait, outre une incohérence juridique, des difficultés d'ordre pratique. Elle affecterait la portée et la lisibilité même de notre message. Comment affirmer que le masque ou le voile intégral ne respecte ni la liberté, ni la dignité, ni l'égalité, si nous limitons l'interdiction aux services publics ?
C'est remettre en cause la crédibilité même de notre action. Comment convaincre les Français que la liberté, l'égalité et le respect de la dignité des femmes commencent dans la gare et s'arrêtent à sa sortie ?
Ce n'est pas compréhensible, ni dans notre ordre juridique ni dans notre ordre logique.
Je précise que le Conseil d'État, lorsqu'il a été consulté, n'a pas dit qu'il n'existait pas de fondement juridique pour une interdiction générale. Il a simplement relevé que le Conseil constitutionnel n'avait pas, à ce jour, reconnu explicitement la notion d'ordre public social. Mais, comme je le disais tout à l'heure, à mes yeux il l'a reconnue implicitement et, de toute façon, ce n'est pas parce que quelque chose n'a pas été affirmé explicitement préalablement que l'on doit y renoncer s'agissant des valeurs qui sont celles de la République.
Deuxième remarque, si l'interdiction est générale et absolue, elle n'est pas pour autant dépourvue d'exceptions, qui se justifient dans l'esprit de l'interdiction. Certaines activités nécessitent la dissimulation du visage dans l'espace public, sans pour autant porter atteinte à l'ordre public social. Dans un certain nombre de cas, il s'agit même de préserver l'ordre public social.
Des raisons de santé, ou des motifs professionnels, peuvent également obliger à se masquer le visage, ainsi que des pratiques sportives. Sur ces bancs, il est probable que quelques-uns pratiquent l'escrime ; nous n'allons pas dire qu'il est interdit de se dissimuler le visage avec un masque d'escrime ! Des fêtes ou des manifestations artistiques ou traditionnelles, de nature religieuse ou non, peuvent également faire exception.
Il est évident que l'interdiction ne s'appliquera pas à l'ensemble de ces situations, dès lors qu'elles sont compatibles avec les principes du vivre-ensemble, voire en constituent une expression.
Ainsi, il résulte aussi bien des textes que de la logique de la démarche que l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public soit générale et absolue.
Bien entendu, à partir du moment où l'on affirme un principe, son effectivité doit être garantie. Il y aura donc des sanctions.
Mais l'enjeu est autant de convaincre et de dissuader que de réprimer. Cela a été l'état d'esprit de la commission des lois lorsqu'elle a examiné ce texte, ainsi que du Gouvernement. Nous voulons convaincre les femmes de renoncer d'elles-mêmes à porter le voile intégral. En revanche, nous voulons contraindre ceux qui les y obligent à accepter les règles de la vie en commun, et les principes du vivre-ensemble.
Une distinction est donc faite selon que l'infraction résulte d'un choix volontaire ou est commise sous la contrainte. L'infraction commise par un choix volontaire appelle une réponse adaptée. C'est pourquoi le texte repose sur un équilibre entre pédagogie et fermeté.
Pédagogie, tout d'abord. Nous pensons que le dialogue dans le temps doit primer sur la sanction. C'est la raison pour laquelle le texte prévoit un délai de six mois avant l'application des sanctions aux personnes qui se masquent le visage volontairement, de façon à développer un effort de pédagogie. Nous espérons que les femmes qui portent volontairement le voile intégral y renonceront spontanément. À défaut, après ces six mois, la méconnaissance de la loi devient constitutive d'une contravention de deuxième classe, sanctionnée par une amende d'un montant maximum de 150 euros. Un stage de citoyenneté peut être substitué ou prescrit en complément à la peine d'amende par le juge, car nous ne renonçons pas à l'aspect pédagogique. Le juge a donc à sa disposition, en fonction de son analyse de la situation, un arsenal de sanctions possibles pour laisser ouverte la possibilité de la pédagogie.
En revanche, notre attitude est différente, et beaucoup plus ferme, lorsque nous nous trouvons devant une dissimulation forcée du visage. La République n'accepte pas les atteintes à la dignité humaine. Elle ne tolère pas l'abus de la vulnérabilité des personnes.
Votre commission a amélioré le texte initial en ce sens. Vous avez prévu unanimement, puisqu'il s'agit d'un amendement du rapporteur ainsi que du groupe socialiste, un durcissement par rapport au texte initial, afin de prévoir des sanctions plus fermes et plus dissuasives à l'égard de ceux qui contraignent les femmes à dissimuler leur visage.
Le fait de contraindre une personne à dissimuler son visage devient un délit, et non une contravention. Il sera puni d'une peine d'emprisonnement d'un an et d'une amende pouvant s'élever jusqu'à 30 000 euros. Vous avez également souhaité que si la personne contrainte est mineure au moment des faits, ces peines puissent être doublées. Bien entendu, j'ai donné mon accord à ces propositions.
À l'heure de la mondialisation et de la complexification de nos sociétés, alors que nos concitoyens sont à la recherche d'un certain nombre de repères pour le vivre-ensemble, pour la volonté de présenter un destin commun, au moment où les Français s'interrogent sur le devenir de notre nation, notre responsabilité commune est de faire preuve de vigilance à l'égard de la mise en oeuvre des principes de la démocratie et de la République, pour réaffirmer les valeurs que nous avons en partage.
Je crois, lorsque nous regardons ce qui se passe dans le monde entier, que nous pouvons être fiers de ce modèle qui fonde notre pacte social, forge notre identité et nous fait porter, au-delà de nos frontières, les idées de respect des hommes et des femmes, de dignité de la personne humaine. J'espère qu'au cours de ce débat nous montrerons ensemble cette volonté qui fait partie de notre héritage et que nous avons la responsabilité de porter pour le futur. Soyons dignes des exigences attachées à l'honneur d'être Français, au privilège de vivre en France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Avec le débat qui commence ce soir, nous parvenons à la conclusion de plus d'une année de travail de notre assemblée sur cette question majeure de la dissimulation du visage dans l'espace public.
À l'initiative de notre collègue André Gerin, soutenu par des députés de toutes tendances politiques, a été créée une mission d'information parlementaire à laquelle j'ai participé et qui, auditionnant plus de 200 personnes, a permis de dresser un état des lieux complet de la question.
Dès le mois de février 2010, une proposition de loi signée par Jean-François Copé et cosignée par nombre de ses collègues était déposée sur le bureau de l'Assemblée. Le rapport de la mission d'information, publié en janvier 2010, a posé un diagnostic partagé sur le plan des faits. Celui-ci s'est prolongé sur le plan des valeurs, le 11 mai dernier, avec le vote d'une résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, à l'unanimité des suffrages exprimés.
Fort de ce constat partagé et de cet accord unanime sur nos valeurs, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui peut et doit faire consensus.
Nous nous accordons en effet tous sur l'essentiel : le fait de dissimuler de manière permanente son visage dans l'espace public est inacceptable et contraire à nos valeurs les plus fondamentales.
Je souhaiterais insister, tout d'abord, sur tout ce que finalement nous partageons. Nous partageons un même constat, nous partageons les mêmes valeurs et nous partageons donc une même condamnation d'une pratique qui heurte au plus profond d'elle-même notre démocratie.
Nous sommes tous d'accord sur le constat établi avec force par le rapport de la mission d'information parlementaire. Ce constat nous enseigne que près de 2 000 femmes dissimulent de manière permanente leur visage dans l'espace public à l'aide d'un voile intégral, certaines d'entre elles étant mineures.
Il nous enseigne également que ces femmes, même si elles revendiquent le port de cette tenue, sont souvent sous l'emprise de prédicateurs fondamentalistes, victimes de violences au sein de leur famille ou contraintes de dissimuler leur visage par les pressions qu'elles subissent dans leur environnement.
Il nous enseigne enfin que cette pratique s'est beaucoup développée au cours des dix dernières années, tant en France que dans les pays comparables. Alors que le voile intégral était le symbole, au début des années 2000, d'une théocratie unanimement condamnée sur la scène internationale, le régime taliban, alors que la libération des femmes afghanes de cette emprise a été l'un des arguments employés pour justifier la guerre menée par les démocraties en Afghanistan, qui aurait pu dire que, dix ans plus tard, la France compterait près de 2 000 femmes intégralement voilées ? Ce constat doit nous alerter.
Face à cette pratique, nous devons tous être unis derrière nos valeurs fondamentales. Ces valeurs, ce sont les valeurs fondatrices de notre République et de notre démocratie. Ce sont les valeurs sur lesquelles nous ne pouvons pas transiger : la liberté, l'égalité, la fraternité et la dignité de la personne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Toutes ces valeurs sont bafouées lorsque la dissimulation du visage est imposée à autrui, mais elles peuvent également être mises à mal lorsque cette dissimulation est revendiquée par la personne qui la pratique.
Comment ne pas ressentir un malaise face à une personne qui affirme porter librement une tenue qui la dissimule et l'isole entièrement ? Comment ne pas constater que la pratique consistant à dissimuler son visage n'est le fait que de femmes, contredisant ainsi notre conception de l'égalité des sexes ? Comment ne pas y voir un évident refus de toute forme de civilité et, a fortiori, de fraternité ?
À ces questions, la représentation nationale a apporté une réponse ferme, en votant une résolution le 11 mai dernier à l'unanimité des députés présents. Je cite cette résolution :
« L'Assemblée nationale considère que les pratiques radicales attentatoires à la dignité et à l'égalité entre les hommes et les femmes, parmi lesquelles le port d'un voile intégral, sont contraires aux valeurs de la République. »
Il existe donc maintenant une réelle unanimité, au sein de notre assemblée, pour considérer que la dissimulation permanente du visage est incompatible avec nos valeurs.
Vous l'avez d'ailleurs clairement indiqué, monsieur Glavany, au cours du débat que nous avons eu en commission, en déclarant : « Nous sommes tous d'accord pour empêcher ce type de pratique dans notre République. »
Vous avez en cela finalement repris la position solennellement affirmée par le Président de la République devant le Congrès réuni à Versailles le 22 juin 2009. C'est cette condamnation solennelle que le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis entend traduire dans le droit.
Nous sommes donc rassemblés sur l'essentiel. Dans ce contexte, pourquoi cette unanimité ne pourrait-elle pas être préservée lors du vote de ce projet de loi ?
À vrai dire, trois arguments servent habituellement à justifier le refus d'une interdiction générale. Je vais vous démontrer qu'aucun n'est vraiment pertinent.
Le premier tient au risque de stigmatisation des personnes de confession musulmane, la plupart de celles qui dissimulent leur visage se réclamant de cette religion. Il faut s'opposer de la manière la plus ferme qui soit à cette idée.
Si le projet de loi est issu d'une réflexion entamée par la représentation nationale au sujet de la pratique du port du voile intégral, aucun vêtement ni aucune religion ne sont mentionnés dans le projet de loi, qui porte sur l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public. Le port du voile intégral n'a été qu'un révélateur confirmant la place éminemment centrale du visage dans la vie sociale.
De surcroît, à chaque étape de leur réflexion, les pouvoirs publics ont eu le souci de consulter les institutions représentatives des musulmans de France qui, unanimement, ont estimé que le port du voile intégral ne résulte d'aucune prescription religieuse. Tel a été le cas du Président de la République, du Premier ministre et de la garde des sceaux, ainsi que de la mission d'information. Ils ont rappelé à chaque occasion qu'il ne saurait être question d'assimiler la population de confession musulmane vivant en France avec le port du voile intégral, qui est un phénomène marginal, et ont condamné les discriminations dont sont victimes nos compatriotes musulmans alors même qu'ils vivent très majoritairement leur culte dans le plus entier respect des principes et des lois de la République.
Le second argument tient au fait que le projet de loi, s'il était adopté, serait totalement inapplicable.
Cette conception repose sur une fausse évidence selon laquelle plus le nombre de lieux où l'interdiction prévaudra sera restreint, plus elle sera facile à faire appliquer. Pourtant, tel n'est pas le cas.
En premier lieu, il résulterait d'une interdiction limitée à certains lieux une forme de pointillisme pénal. Il serait dès lors difficile de différencier les lieux où l'interdiction est valable de ceux où elle ne s'applique pas.
En second lieu, le fait de n'édicter qu'une interdiction circonscrite à certains lieux et à certaines circonstances fait peser, en dernier ressort, la responsabilité de l'application de la loi sur les simples citoyens et les agents publics de première ligne.
En effet, le choix d'une interdiction circonscrite conduirait, a contrario, à autoriser et à légaliser la dissimulation permanente du visage dans l'espace public. Dès lors, s'il est autorisé de dissimuler de manière permanente son visage dans l'espace public, c'est à l'entrée des services publics et autres lieux où l'interdiction prévaudra que celle-ci devra prendre fin et la responsabilité reposera donc sur les simples particuliers, qu'il soient commerçants ou agents publics.
Enfin, les maires sont très favorables à l'édiction d'une règle unique, valable sur l'ensemble du territoire national, Il semble d'ailleurs impossible, pour les forces de l'ordre, de faire appliquer une interdiction dont le champ d'application différerait d'une commune à l'autre.
Pour toutes ces raisons, je suis certain qu'une interdiction générale, qui s'accompagnera, je le rappelle, d'efforts de médiation et d'information, serait totalement applicable.
Tous les moyens juridiques existent d'ores et déjà pour faire appliquer cette interdiction. Je l'expose avec précision dans mon rapport et j'y reviendrai lors de la discussion des articles.
Enfin, l'argument le plus fréquemment utilisé à l'encontre du projet de loi tient à sa contradiction supposée avec la Constitution et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. J'ai déjà largement développé ce point en commission, mais j'y reviens succinctement.
Pour moi, il existe un fondement juridique solide pour une interdiction générale, à savoir la notion d'ordre public immatériel ou sociétal, que le Conseil d'Etat, dans son étude consacrée au voile intégral, définit comme « un socle minimal d'exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société ».
Cette notion fonde des interdictions générales, telle celle de l'exhibition sexuelle, qui est en vigueur dans tous les lieux accessibles aux regards du public.
Elle n'est pas nouvelle, mais figure dans nos textes les plus fondamentaux, qui ont valeur constitutionnelle. On la retrouve dans la notion de « société », présente dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dans celle de « fraternité », qui fait partie de notre devise, ainsi que dans celle d'« intérêt général », qui a été employée par le Conseil constitutionnel quand il a jugé que « les conditions d'une vie familiale normale sont celles qui prévalent en France, lesquelles excluent la polygamie », et qu'il existe un « intérêt général tenant à la prohibition de l'inceste ».
En ce qui concerne le respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme par le projet de loi, pour les juristes que j'ai entendus, le risque de non-conformité avec la convention est fortement atténué par trois éléments : le principe de subsidiarité, que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme respecte, garantissant aux États une « marge d'appréciation » ; le fait que la loi ne vise aucune croyance de manière spécifique mais la dissimulation du visage en général ; et l'évolution de la législation en vigueur dans les autres pays européens, où se dessine un mouvement de plus en plus large en faveur d'une interdiction, tant en Belgique qu'en Espagne ou aux Pays-Bas.
Tous les juristes que j'ai entendus témoignent du fait que l'opinion majoritaire de la doctrine est en train d'évoluer sensiblement, tendant à considérer qu'une interdiction générale est tout à fait possible tant constitutionnellement que conventionnellement.
Et si, malgré tout, il subsistait un risque juridique, nous devons l'assumer pleinement. C'est à nous d'assumer cette charge, c'est à nous de prendre cette responsabilité, la décision politique nous appartient.
Le risque serait encore plus grand à laisser se développer cette pratique sur le territoire de la République ; il serait encore plus grand à voter une interdiction ciblée qui reviendrait à autoriser la dissimulation du visage sur la voie publique et à entrer en contradiction avec la résolution que nous avons nous-même votée.
Cette interdiction, de surcroît, serait peu applicable, ainsi que je viens de le montrer.
J'estime en mon âme qu'il est du devoir des responsables politiques d'assumer leurs choix, d'affirmer nos valeurs, de rappeler notre histoire, notre identité, notre culture.
Pendant plus d'un an, j'ai étudié toutes les possibilités juridiques qui s'offrent à nous. J'ai réfléchi, j'ai pris mes responsabilités.
Sur le fondement des multiples apports au débat public que j'ai mentionnés et des auditions que j'ai réalisées, j'en ai conclu, comme le Gouvernement et comme une part de plus en plus grande de la doctrine, qu'une interdiction générale est non seulement possible mais qu'elle est la seule solution juridique et politique pour préserver notre modèle démocratique et républicain.
J'ai évidemment mis en balance cette question juridique avec la situation que vivent certaines femmes qui dissimulent leur visage sous la pression de leur entourage, sans y être à proprement parler contraintes.
J'ai pensé à l'étudiante qu'évoquait Antoine Sfeir devant la mission, qui, à l'entrée de sa cité, « recouvrait ses cheveux d'un fichu afin [...] d'échapper aux sarcasmes des bandes, ainsi qu'aux remarques de son père qui craignait le qu'en dira-t-on ».
J'ai pensé aux jeunes femmes citées par Sihem Habchi, présidente de Ni Putes ni Soumises, qui nous a dit : « En vous déplaçant dans votre ghetto ambulant, vous avez le respect de tous. Personne ne vous harcèle. On vous valorise même. Ainsi se dessine, petit à petit, pour une partie des filles, une solution pour échapper à l'oppression quotidienne. »
J'ai pensé à celles pour qui l'imposition du voile intégral est la première marche d'une descente aux enfers marquée par l'enfermement et les violences conjugales.
J'ai pensé à toutes celles qui attendent de pouvoir invoquer la loi pour ne plus être contraintes par leur entourage ou par la pression sociale de dissimuler leur visage.
Pour elles, cette interdiction sera un point d'appui formidable. Elles pourront invoquer la loi de la République pour se libérer de la pression croissante qui pèse sur elles.
C'est en pensant à elles que j'assume tous les risques.
À tous ceux qui redouteraient une éventuelle censure du Conseil constitutionnel ou une condamnation par la Cour européenne, ce que je n'imagine en aucune façon, je dis : prenez ce risque avec moi car la loi aura d'autant plus de poids, devant ces instances, qu'elle sera votée largement. C'est pourquoi je vous demande d'adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
La parole est à Mme Bérengère Poletti au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les hommes et les femmes.
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, lorsque vous croisez une de ces femmes intégralement voilées, gantées de noir, chaussées de noir, que ressentez-vous ?
Bien évidemment, chacun d'entre nous a la sensation de croiser une personne emprisonnée, inaccessible et même victime. Ces femmes qui portent ce signe d'aliénation sur leur visage doivent être libérées, même si elles se disent consentantes. Comme l'a souligné Simone de Beauvoir, « le consentement des victimes ne légitime rien » car il n'est souvent qu'apparent, il est le fruit pervers d'un lavage de cerveau. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Le projet de loi poursuit un triple objectif : protéger le pacte républicain, maintenir l'ordre public et libérer, parfois malgré elles, les femmes qui dissimulent leur visage aux yeux de leurs semblables.
Il s'agit bel et bien de préserver notre héritage humaniste. Nous ne le répéterons jamais assez : les promoteurs du voile intégral portent atteinte à la devise de la République – liberté, égalité, fraternité – et j'ajouterai à la dignité. Ils tentent subrepticement d'imposer dans l'espace public leur loi particulière, leur loi ségrégationniste, à la place de la loi commune.
La délégation aux droits des femmes a donc souhaité se saisir pour avis du projet de loi sur l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public car il s'agit d'un sujet qui touche en premier lieu les femmes.
L'ancien ministre André Rossinot affirmait avec force : « Que signifie la burqa ? Elle manifeste qu'une femme est la propriété de son mari, de son père ou de son frère et qu'elle ne doit pas être vue par d'autres hommes [...], la burqa est un uniforme qui réduit les femmes à l'anonymat. »
Le visage constitue, par les émotions qu'il exprime, le vecteur privilégié du sentiment de fraternité. Dérober son visage au regard des autres revient à nier sa propre identité et à prendre le risque d'être traité sans dignité, comme un objet.
Le voile intégral symbolise des valeurs contraires à celles de la République, il menace également l'ordre public.
Ce motif peut à lui seul fonder une interdiction de tout vêtement masquant le visage. Le premier devoir du législateur et des maires, est-il besoin de le rappeler, est de protéger l'ordre public.
J'appelle votre attention sur le fait que des fillettes de moins de 10 ans portent le voile intégral. C'est précisément ce fait qui a conduit notre collègue André Gerin, maire de Vénissieux, à réagir car, au-delà de l'augmentation du phénomène dans sa commune, il n'a pas supporté, et je le comprends, de voir apparaître des fillettes voilées.
Comment peut-on, dans notre pays, militer pour la libre accession au travail, à l'éducation, aux soins, à l'égalité de traitement pour les femmes, et ne pas se donner les moyens de lutter contre ce qui symbolise l'interdiction de toutes ces libertés ?
Symbole de l'intolérance, le voile intégral nous donne l'occasion de démasquer les fondamentalismes et l'obscurantisme. Il est temps de mettre un nouveau coup d'arrêt à l'offensive politique de l'intégrisme et aux dérives sectaires ! J'ai constaté avec inquiétude que plusieurs municipalités ont cédé à la tentation du communautarisme et institutionnalisé une forme d'apartheid sexué.
Des créneaux horaires sont réservés aux femmes dans certaines piscines et des substituts de voile intégral y sont même autorisés. L'aménagement d'horaires s'étend aux gymnases, aux salons de coiffure, pour que le regard des hommes ne croise plus celui des femmes.
Quelques-uns vont faire semblant de croire que le texte que nous examinons traduit l'islamophobie et l'intolérance de la société française. Cette accusation est ignoble.
La loi ne stigmatise en aucun cas l'islam, qui a bien sûr toute sa place parmi les religions présentes sur notre sol. Elle condamne la burqa, qui n'est pas un vêtement religieux mais bel et bien un symbole d'oppression. J'ajoute que l'immense majorité des musulmans rejette le port du voile intégral car cette pratique, qui n'est en rien une obligation religieuse, nourrit les amalgames. Elle peut conduire à jeter l'opprobre sur nos compatriotes musulmans qui vivent sereinement leur foi et respectent les lois. Condamner le voile intégral, c'est précisément aider à lutter contre l'islamophobie.
L'étude menée par le ministère de l'intérieur fin 2009 a permis de dresser un portrait sociologique des personnes qui portent le voile intégral. Ce sont en très grande majorité des femmes jeunes : la moitié d'entre elles ont moins de 30 ans et 90 % moins de 40 ans ; un quart des femmes intégralement voilées seraient nées dans des familles de culture, de tradition, ou de religion non musulmane et se seraient par la suite converties à l'islam.
Une interdiction générale de dissimuler son visage dans l'espace public ne peut reposer que sur un fondement juridique unique : la notion d'ordre public.
Le projet de loi est parvenu à un bon équilibre avec l'énoncé d'une interdiction claire assortie d'une sanction raisonnable tout en laissant une large place à la pédagogie.
Nous devons éviter toute mauvaise conscience au nom de l'argument selon lequel interdire le voile intégral aurait pour conséquence de contraindre les femmes à ne plus sortir de chez elles. Accepter de voir se développer ce phénomène le banalise, laisse penser que la République l'accepte et finalement entraîne un nombre plus important de femmes dans cet enfermement.
Le recours à la loi, j'ose le dire, va dans le sens de l'histoire. J'en veux pour preuve la récente décision de l'État égyptien d'interdire le port du voile intégral dans les universités.
En légiférant, nous enverrons une bouffée d'espoir à ces femmes fantômes d'Afghanistan, emprisonnées dans leur burqa, victimes d'humiliations que l'on croyait d'un temps révolu. Des millions de femmes dans le monde attendent de montrer leur visage. Luttons contre l'obscurantisme qui cherche à voiler la moitié de l'humanité en immolant sa dignité !
Aussi, je vous demande solennellement à tous – oui, tous – de vous rassembler autour de ce texte, et, ce faisant, de montrer le vrai visage de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Jean Glavany.
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, à ce stade d'un débat qui dure depuis de longs mois, je voudrais commencer par ce qui nous rassemble – c'est ce qui vient avant tout. Je le dis au nom du groupe socialiste avec autant de clarté, de solennité et de fermeté que possible : nous n'avons aucune espèce d'indulgence pour les pratiques intégristes et fondamentalistes ; nous condamnons comme vous,…
Je dis ce que je veux et ce que je pense.
Nous condamnons comme vous le port du voile intégral au nom de la République, de ses principes, de la liberté, et en particulier de la liberté des femmes. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Il est vrai qu'il y a des journées où l'énervement monte…
Nous condamnons comme vous, disais-je, ces pratiques contraires au principe de liberté, en particulier la liberté des femmes. Nous devons surtout protéger la liberté des femmes de ne pas porter le voile ; celle de ces millions de femmes qui, dans le monde, se battent pour ne pas porter le voile intégral. Cette liberté-là mérite notre combat républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Ces pratiques portent aussi atteinte au principe d'égalité : vous avez tous constaté qu'on ne demande qu'aux femmes de porter le voile intégral, pas aux hommes. Nous condamnons aussi fermement que vous cette violence qui leur est faite.
Le port du voile intégral est également contraire au principe de fraternité. Madame la garde des sceaux, je reconnais volontiers que vous avez à juste titre évoqué tout à l'heure la notion du vivre-ensemble. Elle suppose un respect de l'autre qui impose de découvrir son visage, car nous ne parlons pas de n'importe quelle partie du corps. Élisabeth Badinter l'a dit devant la mission d'information parlementaire, le visage permet de voir et d'être vu, ce qui constitue la base du respect dans un dialogue et un échange citoyens. La notion de respect est essentielle dans ce débat.
Sur la base de ce constat, nous avons affirmé que, n'ayant aucune indulgence à l'égard de ces pratiques, nous voulions les empêcher, voire les interdire. Il n'est nul besoin d'avoir le moindre complexe par rapport aux interdits. Ils ont fait progresser les droits et les libertés individuels dans notre République à plusieurs étapes de notre histoire. Pour manifester notre volonté d'aller vers un consensus républicain, nous avons donc voté la résolution présentée dans cet hémicycle il y a quelques semaines, et nous avons dit notre volonté de poursuivre le dialogue avec le Gouvernement.
Pourquoi n'a-t-il pas été possible de trouver un consensus à ce stade de nos échanges ?
C'est d'abord parce que ce débat se déroule dans un contexte politique donné. Vous me direz ce que vous voulez, mais, ce soir, les Français qui sont chez eux ont mille autres choses en tête que le débat qui nous occupe. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Les préoccupations des Français depuis des semaines, et pour les mois qui viennent, ce sont la crise économique et sociale, le chômage, leur revenu et leur pouvoir d'achat, l'avenir de leur retraite…
…et, accessoirement, cette crise morale et politique qui ronge tout sur son passage. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Il y a quelque chose d'étonnant à voir, ce soir, l'Assemblée nationale traiter, toutes affaires cessantes, de ce dossier majeur et prioritaire, comme s'il n'y avait pas d'autres sujets essentiels pour les Français. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Pourquoi n'assumez-vous pas votre position ? Nous avons clairement une divergence sur ce point. Mais ce n'est pas la seule. Nous pensons aussi que le Gouvernement et sa majorité ont joué avec le feu en entretenant des débats qui, à la suite de nombreux dérapages, ont provoqué des réflexes de peur dans la société. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Nous pensons tout simplement que le présent débat vient prendre la suite logique du détestable débat sur l'identité nationale. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Depuis des mois, on ressasse sur l'identité nationale, la peur du minaret et celle de la burqa, ce qui n'est rien d'autre que la peur de l'autre, celui qui vient de l'étranger, celui qui ne pense pas comme nous, qui ne partage pas toutes nos valeurs (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) …
Chère madame, on a le droit de penser différemment de vous. Cela vous choque peut-être, mais c'est une des libertés fondamentales des parlementaires, et ceux de l'opposition n'ont pas encore l'obligation d'être au garde-à-vous devant les diktats de l'UMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Nous pensons que ces débats n'ont été ni sains ni bons pour le consensus républicain.
J'ajouterai enfin une dernière raison qui explique que nous n'ayons pas été en mesure de trouver avec vous ce consensus républicain. L'UMP et le président de son groupe à l'Assemblée ont employé la pire des méthodes s'ils voulaient y parvenir : l'oukase. (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Je me souviens des travaux de la mission d'information conduite et animée par André Gerin et Éric Raoult, qui ne sont pas en cause dans cette affaire et qui ont fait tout ce qui leur était possible : elle n'a pas bien travaillé.
Je le sais, j'y ai participé assidûment. Elle n'a pas bien travaillé, d'abord en raison du contexte : le débat sur l'identité nationale pesait. Ensuite, il y avait cet oukase du président du groupe UMP qui est intervenu d'entrée de jeu. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Certes, semblait-il dire, trente-deux députés travaillent au sein d'une mission parlementaire, mais moi je suis plus intelligent qu'eux, je sais tout mieux, ils perdent du temps, ils devraient faire ce que je leur dis, moi, président du groupe UMP.
Il n'y avait pas pire arrogance ni pire négation des droits du Parlement et du travail parlementaire. Monsieur Copé, je vous écoutais hier à la télévision, vous aviez repris votre discours : « moi je ; moi, j'avais raison ; moi, j'obtiens gain de cause ; moi, je l'avais bien dit, moi je, moi je ! » Non, monsieur Copé, je ne considère pas que vous ayez été un bon républicain dans ce dossier. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Car, par vos oukases, vous avez empêché le consensus républicain de se faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La démocratie n'a pas besoin d'être excitée ou énervée. Au contraire, elle a besoin de sérénité. Or vous l'avez excitée inutilement, et ce n'est pas être un homme d'État que d'exciter inutilement la démocratie. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Je reconnais, madame la garde des sceaux, que, depuis que vous avez pris ce dossier en charge, votre recherche du consensus républicain a été à la fois plus convaincante et plus respectable. Seulement, vous arriviez bien tard, et les dégâts étaient déjà faits.
Finalement, et nous arrivons au coeur de cette motion de rejet, le consensus républicain n'a pas été possible parce que vous avez choisi un chemin juridiquement fragile et donc politiquement dangereux.
Le Gouvernement a demandé son avis au Conseil d'État. On peut raconter ce que l'on veut sur le Conseil d'État. J'ai entendu dans cet hémicycle et ailleurs, dans les couloirs de l'Assemblée et en commission, mais aussi au plus haut niveau de l'État, des anathèmes contre le Conseil d'État, qui aurait voulu empêcher que le Président de la République fût élu au suffrage universel. Le Conseil d'État a seulement évalué des risques juridiques, puis il a éclairé le Gouvernement à partir de cette évaluation. Avec une spontanéité relativement modérée, il a considéré que les risques en question n'étaient pas négligeables. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Vous mélangez tout ! Cela n'a rien à voir avec le voile. En 1989, le Conseil d'État a donné un avis sur l'état du droit positif. Il s'est contenté de dire qu'une interdiction n'était pas possible dans le cadre du droit en vigueur à l'époque, et qu'il fallait voter une loi pour interdire le port du voile à l'école. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, je suis interrompu, j'ai bien le droit de répondre !
Certes, mais disons que vous provoquez aussi ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, vous portez des jugements sur mes propos. Où allons-nous ?
Le Gouvernement demande un avis au Conseil d'État, puis il s'assoit sur cet avis, prenant un risque juridique, et donc politique. Et c'est bien là que se situe notre divergence principale : elle est à la fois juridique et politique. En effet, si ce risque juridique devait devenir une réalité, soit devant le Conseil constitutionnel, soit devant la Cour européenne des droits de l'homme, et que votre texte soit censuré, alors le résultat politique serait désastreux. Ce serait une victoire inespérée pour les intégristes fondamentalistes.
Vous seriez parvenus à l'inverse du résultat recherché. Avouez tout de même qu'une telle issue serait bien pitoyable !
Pourtant, c'est bien cela que nous risquons.
Venons-en donc à la fragilité juridique de votre projet de loi. Reconnaissons d'abord qu'il y a des voies juridiques que vous avez eu raison de ne pas emprunter. Je pense en particulier au principe de laïcité.
J'entends hors de ces murs et même, hélas, à l'intérieur de l'Assemblée, des laïques de la dernière heure invoquer la laïcité pour justifier l'interdiction.
Monsieur le rapporteur, ne vous sentez pas visé. Peut-être vous êtes vous reconnu quand j'ai parlé des laïques de la dernière heure, mais je ne pensais pas à vous.
Cela dit, l'argument n'a aucun sens. D'abord sur le fond, dans la mesure où ces pratiques ne sont pas religieuses mais politiques.
Tous les responsables du Conseil français du culte musulman nous l'ont dit et, madame la ministre, vous l'avez rappelé : le port du voile intégral n'a rien à voir avec l'islam, ce n'est pas une prescription du Coran. En conséquence, invoquer la liberté de conscience n'a aucun sens.
Ensuite, l'argument n'a pas de sens sur la forme. En effet, la traduction juridique de la laïcité s'organise autour de trois principes : la neutralité de l'État, dont il n'est pas question ici ; la protection de la liberté de conscience, et donc notamment de la liberté religieuse, qui n'est pas concernée, comme je viens de le rappeler ; enfin, le pluralisme des cultes, qui ne peut pas plus être invoqué dans le cas qui nous occupe. Il est donc clair que la laïcité n'est en rien concernée, et vous avez bien fait de ne pas utiliser cet argument.
Mais alors, quel principe juridique invoquer pour fonder votre loi ?
La dignité serait sans doute l'argument le plus juste philosophiquement, mais c'est peut être aussi le plus fragile juridiquement. Premier paradoxe de votre projet de loi : vous dites que vous n'invoquez pas le principe de dignité, mais c'est finalement le seul qui est inscrit dans votre texte.
L'ordre public est sans doute l'argument le moins glorieux politiquement, mais aussi le plus solide juridiquement. Deuxième paradoxe : vous dites que vous l'invoquez, mais il n'est pas cité dans votre texte.
La vérité, c'est qu'au terme de vos recherches vous avez été amené à invoquer l'ordre public social ou ordre public immatériel.
Il faut surtout retenir que M. Glavany a dit que l'ordre public n'était pas glorieux !
Il faut suivre : j'ai seulement expliqué la position du Gouvernement ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Si, comme cela a été dit, l'ordre public matériel repose, en droit, sur la sécurité, la tranquillité et la salubrité – qui ne peuvent être invoquées –, l'ordre public immatériel repose sur la moralité publique et le respect de la dignité de la personne humaine. La dignité de la personne humaine : nous y revoilà.
Or il faut savoir que la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la dignité de la personne humaine est construite à partir d'un principe de droit fondamental : la liberté est la règle, l'interdiction est l'exception. J'ajoute que l'interdiction générale en tout lieu et en tout temps n'a jamais existé dans notre droit administratif. Jamais !
Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la conciliation entre le principe d'ordre public et le droit au respect de la vie privée est très exigeante, plus exigeante encore depuis la récente décision du le 25 février 2010 sur la vidéosurveillance dans des parties non ouvertes au public des immeubles d'habitation, qui restreint encore les possibilités de dérogation au principe de liberté. Vous courez donc un risque considérable en vous fondant sur la notion d'ordre public immatériel.
Par ailleurs, nous voulons aussi éviter la condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme. Or nous connaissons, comme vous, la jurisprudence de la CEDH, fondée sur l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui encadre de façon très sourcilleuse les restrictions aux libertés individuelles, en particulier la liberté de se vêtir. La jurisprudence de la Cour européenne est d'ailleurs précise sur ce point. En la matière, l'arrêt Ahmet Arslan et autres contre Turquie a donné lieu à une condamnation de ce pays pour avoir limité le port de certains vêtements.
La CEDH a-t-elle bien fait ? Sans doute pas d'un point de vue philosophique. Il reste que le droit érige une barrière…
…qui fait courir à votre projet de loi un risque considérable.
Parce que nous considérons que vous prenez un risque juridique tant par rapport au Conseil constitutionnel que par rapport à la CEDH, nous estimons que vous prenez aussi un risque politique que la République ne doit pas courir. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) A la première condamnation d'une femme portant le voile intégral, il y aura un recours et, par le jeu de la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel sera saisi. Les juristes fondamentalistes sont déjà prêts. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Le recours devant la CEDH viendra aussi.
…mais si l'État français et la République sont condamnés, vous porterez la responsabilité politique de cette victoire donnée aux intégristes et aux fondamentalistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Face à de tels risques politiques et juridiques, nous avons fait une contre-proposition, sous la forme d'une proposition de loi qui vise à interdire le port du voile intégral partout et aussi loin que le droit constitutionnel et la convention européenne le permettent, ainsi qu'à déployer une pédagogie consensuelle et républicaine contre ces pratiques. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Vous êtes très énervés, mes chers collègues ! Ne croyez-vous pas qu'il aurait été possible de mobiliser quelques centaines de médiateurs sociaux, des jeunes effectuant leur service civique, par exemple, pour qu'ils fassent de la médiation sociale et aillent vers ces femmes portant le voile intégral pour leur expliquer ce que sont les traditions républicaines ? (Mêmes mouvements.)
Ne croyez-vous pas que cette démarche pédagogique de médiation sociale aurait été plus efficace et moins dangereuse politiquement ? En tout cas, nous, nous le croyons.
C'est pourquoi nous avons transformé notre proposition de loi en amendements, que nous défendrons sereinement, raisonnablement, lors de la discussion des articles. Je vous le répète, nous restons disponibles pour le consensus républicain. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
En tout cas, moi, je n'ai pas insulté le pouvoir du Parlement, ni l'intelligence collective de trente députés réunis au sein d'une mission parlementaire, qui avaient le droit de réfléchir en toute autonomie, sans se soumettre à vos oukases et à vos diktats ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Nous sommes disponibles, disais-je, pour le consensus républicain,…
…pour chercher avec vous, madame la ministre – qui me paraissez beaucoup plus raisonnable que certains sur ces bancs –, la voie d'une solution consensuelle. Nous le resterons jusqu'au bout de cette discussion, forts de nos convictions politiques.
C'est au nom de ces convictions que nous vous disons que ce risque juridique entraîne un risque politique trop grave pour que vous le preniez aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, les attaques personnelles qui ont été proférées à l'encontre de notre collègue et président de groupe, Jean-François Copé, sont tout à fait inadmissibles.
Monsieur Glavany, ces attaques sont indignes de vous. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) En réalité, l'agressivité dont vous avez fait preuve vise à masquer, si j'ose dire,…
…les carences juridiques de votre démonstration. C'est proprement scandaleux, et je veux le dénoncer.
Sur le fond, sans reprendre la démonstration juridique que Mme la garde des sceaux et moi-même avons exposée, je ne comprends pas le raisonnement qui vous conduit à affirmer : « Il y a un risque juridique, donc ne faisons rien ! »
Monsieur Glavany, lors de la mission d'information, dont nous faisions tous deux partie, nous avons constaté qu'un problème de même nature se posait dans tous les pays européens. Vous prétendez que ce projet de loi est la suite du débat sur l'identité nationale ; je le conteste. Je me permets de vous rappeler en effet que c'est M. Gerin, député-maire communiste de Vénissieux, qui est à l'origine de la discussion que nous avons ce soir. Ce n'est donc pas un bon argument.
S'agissant des interdictions générales, je le dis et je le répète, avec l'ordre public social, immatériel,…
…nous avons puisé aux racines de nos textes fondamentaux l'explication de cette évolution juridique. Au reste, ce type d'interdiction s'applique à d'autres comportements. Il est ainsi interdit de s'exhiber et de se promener nu dans la rue.
Mais cela n'a rien à voir. Comment un ancien magistrat peut-il faire un tel amalgame ?
Cette interdiction générale participe du vivre-ensemble.
Monsieur Glavany, j'ai bien remarqué votre difficulté à vous exprimer. Encore une fois, elle s'explique par le fait que vous n'aviez pas d'arguments juridiques à nous opposer. Vous vous êtes donc livré à une attaque personnelle tout à fait inadmissible.
C'est fort dommage, car j'ai participé à cette mission parlementaire avec vous, et nous avions de nombreux points d'accord. Vous avez du reste commencé votre discours en indiquant que vous approuviez l'interdiction. Je rappelle à ce propos que, le 11 mai dernier, nous avons tous voté une proposition de résolution affirmant que le fait de masquer son visage était indigne des valeurs de notre République. (« Et alors ? » sur les bancs du groupe SRC.) Eh bien, tirez-en toutes les conséquences : ne restez pas au milieu du gué !
Pour ces différentes raisons, il convient de repousser la motion de rejet préalable que vous avez défendue. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur Glavany, j'ai un peu de mal à cerner la logique de votre position. (« Nous aussi ! » sur les bancs du groupe UMP.) Vous rappelez en effet que vous êtes pour l'interdiction et que vous partagez – comme tous, sur ces bancs – les valeurs républicaines, mais, dans le même temps, vous demandez le rejet du texte qui affirme ces valeurs et en tire toutes les conséquences.
Vous estimez, et je le comprends tout à fait, que des sujets très importants mobilisent actuellement l'attention de nos concitoyens. Mais, ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire lors du vote de la proposition de résolution, peut-être est-ce précisément au moment où beaucoup de choses perturbent la vie en commun qu'il faut rappeler les valeurs qui nous font vivre en commun.
Par ailleurs – M. Garraud l'a évoqué –, je vous ai entendu prétexter, pour justifier votre rejet, que le projet de loi a été déposé au moment du débat sur l'identité nationale, alors qu'il a pour origine des questions qui ont été soulevées il y a plus d'un an, sur tous les bancs de cette assemblée.
Passons sur cette logique qui m'échappe quelque peu et venons-en au problème juridique. Vous indiquez que le Conseil d'État a rendu un avis évaluant des risques juridiques. En effet, il a donné un avis, mais un avis n'est pas une décision. Le Gouvernement a demandé un avis, et c'est lui qui prend la décision. Je rappelle également que la notion de risque n'est pas une notion juridique. Le Conseil d'État nous a éclairés sur certains aspects, mais il est resté – et je ne reviendrai pas sur les conditions dans lesquelles il s'est prononcé pour la deuxième fois – dans une logique qui était celle de l'ordre public matériel, alors que nous invoquions une autre notion.
Si, c'est vrai. Depuis que j'exerce les fonctions de garde des sceaux, vous avez pu constater que je veille à ce qu'aucun texte n'encoure le risque d'être censuré par le Conseil constitutionnel. Je ne sais pas si j'irai jusqu'au bout mais, jusqu'à présent, aucun ne l'a été.
Vous affirmez que, si elle intervenait, une telle censure serait un résultat inespéré pour les fondamentalistes. Mais ne pensez-vous pas que l'adoption de votre motion serait, pour ces fondamentalistes, un résultat encore plus inespéré ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Le véritable problème est celui-là : nous devons avancer. Dans le cadre de la mission d'information, puis lors des réunions de la commission des lois, nous avons tenté d'élaborer le meilleur texte possible. Et soyez assuré qu'à la chancellerie nous avons adopté la même démarche, avec l'aide d'experts juridiques dont je pense qu'ils sont de grande qualité. Maintenant, éliminons tout ce qui pourrait retarder l'adoption d'un texte dont chacun, sur ces bancs, est bien conscient de l'urgence, et ne prolongeons pas nos débats outre mesure, car d'autres sujets doivent être débattus. En tout cas, réaffirmer nos valeurs est un sujet essentiel.
Nous avons examiné vos amendements en commission, notamment ceux qui visent à proposer une médiation ou une action pédagogique. Nous sommes tous d'accord sur ces points, et le texte comporte des dispositions qui permettent ce type d'actions. Monsieur Glavany, il est bon que nous abordions ce soir, sereinement, sans excitation…
…ni agressivité, une question sérieuse qui doit nous permettre de nous rassembler autour de l'idée selon laquelle vivre ensemble implique de rappeler un certain nombre de nos valeurs essentielles. Telle est la raison pour laquelle je demande que votre motion soit rejetée. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à M. Noël Mamère, pour le groupe GDR. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur Garraud, j'ai le sentiment qu'il y a une mode, actuellement, dans la majorité et au Gouvernement : chaque fois que nous posons des questions sérieuses, elles sont prises pour des attaques personnelles. Peut-être faudrait-il que vous acceptiez que, dans ce pays, la démocratie soit encore vivante et que l'opposition pose de véritables questions.
Madame la ministre, vous invoquez les valeurs, mais vous semblez oublier que le problème qui se pose depuis quelques semaines est précisément celui de la crise des valeurs. Les Français ne se reconnaissent pas dans les informations dont on nous abreuve quotidiennement et qui ne font que miner un peu plus la parole politique, les fondements de la démocratie et, surtout, la confiance que les Français devraient avoir dans leurs représentants politiques. Je ne le dis pas avec jouissance (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), je m'en plains comme nous tous car cela rejaillit sur l'ensemble du personnel politique. Notre devoir est de remettre la pyramide républicaine à l'endroit.
Pardonnez-moi, madame la ministre, vous vous référez aux valeurs, mais pourquoi ne reconnaissez-vous pas que le Gouvernement a abandonné un certain nombre de territoires de la République, passés par pertes et profits, laissant ouvertes des brèches dans lesquelles s'engouffrent ceux qui défendent l'intégrisme et qui choisissent la religion et la compassion contre les principes de solidarité ? Pourquoi ne reconnaissez-vous pas qu'un certain nombre de vos collègues et le Président de la République se rendent dans les banlieues et nous font croire qu'elles seraient toutes habitées par des intégristes, des terroristes, des délinquants et des trafiquants de drogue ? C'est en vous comportant ainsi que vous laissez le champ libre à ceux qui s'engouffrent dans la brèche.
Par ailleurs, madame la ministre,…
…lorsque l'on examine le plan de rigueur, on s'aperçoit qu'un certain nombre des dispositifs qui s'adressent aux plus menacés sont abandonnés.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le président, le groupe GDR approuve pleinement la motion de rejet préalable, brillamment défendue par notre collègue Jean Glavany. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, le projet de loi qui nous est proposé est un pas important dans la bonne direction. Il vise à interdire, dans l'espace public, la dissimulation du visage afin d'assurer les conditions élémentaires du vivre-ensemble républicain. Aucune stigmatisation religieuse ne figure dans ce texte, pour autant qu'une religion imposerait le port du voile intégral. Or le port de la burqa en Afghanistan est une pratique pachtoune bien antérieure à l'islamisation de ce pays. L'interdiction générale de la dissimulation du visage dans l'espace public touche aussi bien le port d'un voile que celui d'un casque intégral, d'un masque ou d'une cagoule. En revanche, nous savons bien que le port du voile intégral est souvent imposé à des femmes qui ne l'ont ni demandé ni souhaité. C'est là une forme de violence dont les auteurs devront encourir des sanctions pénales sévères.
J'ai eu l'occasion de dire à la tribune du Conseil de l'Europe, il y a quinze jours, ma détermination à soutenir l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public, lors d'un débat fort intéressant qui distinguait l'islam, religion qui offre un message de paix, de l'islamisme, doctrine ayant pour objet de combattre les valeurs occidentales et universelles des droits de l'homme dans le but d'exercer un pouvoir tyrannique.
C'est pourquoi je m'étonne de la position qui consisterait à dire qu'il faut défendre les droits de l'homme, les droits des femmes, la liberté et l'égalité des hommes et des femmes dans notre pays, tout en refusant de voter un texte qui vient se porter garant de ces droits. Je tiens à souligner cette confusion qui tend à conforter les positions de ceux qui obligent les femmes à se voiler, comme l'a très justement rappelé Mme la garde des sceaux. C'est pourquoi j'estime, avec le groupe Nouveau Centre, qu'il n'y a pas une minute à perdre et qu'il faut sans délai discuter et voter ce texte, et avoir le courage de défendre les valeurs humanistes auxquelles nous sommes attachés. Nous rejetterons donc cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur le président, ce débat est l'aboutissement d'un an de discussion, mais aussi de conviction. Pour beaucoup d'entre nous, c'est un moment important. Cette loi qui vise à interdire le port du voile intégral dans notre République est un acte de courage. Nous avons, depuis le début, clairement expliqué notre préoccupation de tout faire pour qu'à aucun moment, nos compatriotes de confession musulmane ne se sentent stigmatisés. Cela a été dit : le port du voile intégral n'est pas une prescription religieuse, mais la volonté des extrémistes de tester la république ! C'est le sens de ce texte, que les députés de l'UMP voteront dans un esprit de consensus.
Les propos qui ont été tenus par M. Glavany sont un charabia masquant difficilement une réalité, celle de l'hypocrisie d'un certain nombre de députés de l'opposition qui feignent de croire à l'existence d'un risque juridique pour ne pas assumer un vote collectif sur un texte de cette importance. Ce charabia traduit la difficulté épouvantable, pour les socialistes, d'avoir à voter avec la droite un texte auquel les élus de gauche pourraient fondamentalement adhérer, et qu'ils n'ont d'ailleurs pas le courage de rejeter totalement en votant contre, ayant compris que les Français nous soutiennent !
Il me semble qu'un tel débat mérite mieux et, si les députés socialistes sont si convaincus que cela des arguments de M. Glavany, je les invite à en tirer la conclusion logique et à voter contre ce texte, plutôt que de se cacher derrière je ne sais quelle abstention. Si ce texte a vraiment tous les défauts dénoncés par M. Glavany, votez contre, ce sera plus simple et plus clair pour tout le monde ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Abandonnons, pour une fois, le billard à trois bandes !
Pour ce qui est de la motion de rejet préalable, j'invite mes collègues à la rejeter. Je voudrais, par ailleurs, remercier notre rapporteur, M. Garraud, d'être venu à mon secours…
…mais aussi le détromper, puisqu'il a dit à M. Glavany que les insultes qu'il avait proférées à mon endroit n'étaient pas dignes de lui. Je crois au contraire que ces insultes, c'est tout lui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, je vais m'efforcer de ramener un peu de calme dans ce débat, car ce n'est pas parce que l'on parle fort que l'on parle juste. Le groupe SRC votera naturellement la motion de rejet préalable défendue par Jean Glavany, pour trois raisons : ce projet de loi est un texte en trompe-l'oeil, reposant sur un fondement juridique hasardeux, ce qui rendra son application aléatoire.
Premièrement, vous utilisez toujours la même méthode, la seule en laquelle vous croyiez, à savoir la sanction. (« Vous n'avez qu'à voter contre ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Il est évident que l'adoption de ce texte sera de peu d'effet si nous ne cherchons pas à traiter les racines du mal dont le port du voile ne constitue qu'un symptôme. Aucun interdit n'aura jamais le moindre impact face à l'abandon par la République de certaines de nos cités où ce sont le chômage massif, l'échec scolaire et la violence qui font le lit de l'obscurantisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Deuxièmement, cette loi a, en l'état, un fondement juridique hasardeux. Nous ne sommes pas convaincus, monsieur le rapporteur, par l'amplitude que vous cherchez à donner à cette nouvelle conception de l'ordre public. Contrairement à ce que vous affirmez, elle est loin d'être stabilisée. Vous avez entendu les juristes, qui ne cessent de vous mettre en garde contre le caractère insaisissable, l'aspect immatériel de l'ordre public dans sa dimension constitutionnelle.
Le Conseil d'État vous l'a dit, ainsi que Denys de Béchillon durant la mission parlementaire, et vous avez tout loisir de consulter les articles de Robert Hanicotte, maître de conférence à l'université de Lille, ou de Marie-Caroline Vincent-Legoux – qui a fait sa thèse sur l'ordre public –, où vous trouverez des éléments importants.
Par ailleurs, cette loi aboutirait à restreindre l'exercice de certains droits et libertés dont la jouissance est garantie par la Constitution. Rien ne dit, en outre, que le Conseil constitutionnel ferait prévaloir cette conception de l'ordre public non matériel sur les autres libertés constitutionnelles.
Troisièmement, enfin, ce texte est d'une application aléatoire. Il recèle quelques curiosités juridiques qui rendront délicate son application. Alors que vous ne cessez de dire que les femmes voilées sont des victimes, vous proposez de les punir, ce qui constitue une contradiction de taille. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – « Vous n'avez qu'à voter contre ! » sur les bancs du groupe UMP.)
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
J'ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Noël Mamère.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cela fait plus d'un an que le port du voile intégral occupe notre assemblée. C'est à croire que le sujet est d'une importance cruciale, que nos concitoyens en font une priorité par-dessus toutes les autres, que les électeurs exigent que le Gouvernement et la majorité agissent fermement. À cet égard, l'acharnement dont vous avez fait preuve est révélateur de la manière dont vous concevez la politique : tout semble désormais permis.
Lorsque, le 17 juin 2009, André Gerin fit la demande d'une commission d'enquête parlementaire sur le port de la burqa ou du niqab, il semblait clair que les jeux étaient faits avant même que le prétendu débat n'ait lieu. La mise en place, une semaine plus tard, de la mission parlementaire d'information, composée de trente-deux députés et placée sous la présidence de M. Gerin, et le rapport rendu six mois plus tard, préconisant une résolution parlementaire condamnant le port du voile intégral, « contraire aux valeurs de la République », ainsi qu'une loi d'interdiction limitée aux services publics et des mesures visant à protéger les femmes victimes de contraintes, n'ont pas dissipé le malaise. En effet, entre-temps, sous la houlette du ministère de l'immigration et de l'identité nationale, le pouvoir, en mal d'idées, a lancé un grand débat sur l'identité nationale.
Rien de mieux qu'un débat qui divise, qui oppose, qui stigmatise et qui, par le brouhaha qu'il provoque, fait oublier les questions sociales et écologiques. À la trappe, l'augmentation de la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite décente ! Oubliée, la trahison du Grenelle ! L'atmosphère est devenue irrespirable. Aux dérapages anonymes sont venus s'ajouter ceux des responsables politiques, au plus haut niveau. C'est ainsi que s'est construit, à coups de déclarations insidieuses où la xénophobie et le racisme ne sont jamais loin, une sorte d'imaginaire où le musulman est à la fois l'étranger et le danger.
Rappelons-nous la tribune du Président de la République, parue dans un quotidien du soir quelques jours seulement après le vote suisse contre l'érection de minarets, invitant les musulmans français à une certaine discrétion dans la pratique de leur culte. « Respecter ceux qui arrivent, respecter ceux qui accueillent », la formule renvoie nos compatriotes de religion musulmane à un ailleurs, elle les transforme en étrangers permanents, même lorsqu'ils sont français comme vous et moi.
Le débat sur l'identité nationale transforma donc une partie de la population en bouc émissaire. Car, pour reprendre les propos de notre collègue Pascal Clément, pour une partie de nos responsables politiques, « le jour où il y aura autant de minarets que de cathédrales en France, ça ne sera plus la France ».
Le 29 mars, au lendemain de la débâcle de l'UMP aux régionales, le Premier ministre, François Fillon, souhaite une loi qui aille « le plus loin possible sur la voie de l'interdiction générale », annonçant ainsi le cap – à droite toute – choisi par l'exécutif. Il faut persister, continuer, enfoncer le clou. Peu importe si, au final, seul le Front national tire un bénéfice d'un débat et de déclarations où les amalgames succèdent aux discours de stigmatisation.
Peu importe si le Conseil d'État prévient le Gouvernement qu'une interdiction générale et absolue du voile intégral pourrait être juridiquement contestable, reprenant ce que nombre de juristes avaient affirmé devant la mission d'information.
Le 11 mai, notre assemblée adopte une résolution présentée par l'UMP contre le port du voile intégral. Le lendemain de ce vote, le Conseil d'État réaffirme qu'une interdiction globale du voile intégral ne reposerait sur « aucun fondement juridique incontestable » et serait « exposée à de fortes incertitudes constitutionnelles et conventionnelles ».
Les avertissements n'ont donc pas manqué sur la route législative du projet aujourd'hui soumis à notre vote, mais rien n'y a fait. C'est au nom, nous dit-on, des valeurs et des fondements mêmes de la République qu'il faudrait aujourd'hui légiférer. Cette République irréprochable, promise par le Président de la République et que sa politique ne cesse de mettre à mal, a bon dos.
Mes chers collègues, je crois que ce qui met à mal la santé de notre République tient davantage au spectacle ahurissant donné par des membres de l'exécutif dans l'exercice de leurs fonctions et que des démissions forcées ne sauraient faire oublier. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je crois que ce sont les conflits d'intérêts, éclatante démonstration du syndrome du Fouquet's, désormais marque de fabrique du sarkozysme, qui fragilisent les valeurs de notre République. Je crois aussi que maintenir en poste un ministre condamné pour des propos racistes est faire peu de cas de nos valeurs.
Le temps politique semble s'être arrêté. Le pays serait tétanisé devant la menace que représentent des femmes portant niqab ou burqa, qui seraient le bras armé d'un nouveau fascisme.
Ces femmes seraient la manifestation unique du développement de pratiques radicales, comme l'affirmait la résolution votée ici même. Leur nombre serait même suffisant pour mettre en danger les fondements de la République.
Pourtant, la France est loin de vivre dans les peurs que vous ne cessez d'attiser. Certes, notre pays connaît des difficultés, avec l'école, qui reproduit les inégalités ; avec un ascenseur social en panne ; avec la persistance de discriminations intolérables. Mais la société française ne vit pas dans la hantise d'une déferlante islamiste. Notre pays est ouvert, tolérant, la diversité y est souvent vécue comme un enrichissement. C'est un pays où l'islam, devenu deuxième religion de France, se pratique dans le calme et la modération, sous l'effet d'une sécularisation rapide. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
En revanche, la France est un pays qui souffre de la crispation d'une partie de ses élites et, manifestement, de sa classe politique. Depuis le débat sur l'identité nationale et l'échec de votre majorité aux élections régionales, on n'ignore plus rien des motivations réelles qui président à la présentation de ce projet de loi.
Votre prétendu attachement à la défense des droits des femmes ne trompe personne. Ainsi, alors que le futur projet de réforme des collectivités territoriales est une attaque en règle contre la parité et la représentation des femmes dans les assemblées locales, cela ne semble aucunement vous poser problème. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Recréer les conditions d'un ralliement des électeurs du Front national semble être devenu une priorité chez les responsables de la majorité.
Que les électeurs finissent toujours par préférer l'original à la copie ne semble guère vous affecter ! Comme je l'ai dit lors du débat sur la résolution, l'héritière Le Pen amalgame mieux que vous la souffrance sociale et la supposée islamisation de la France, le minaret et les dégâts de la mondialisation, le voile intégral et les interrogations identitaires.
La diversion semble être devenue un pilier de votre politique. Rien de mieux, dans ces conditions, qu'un débat qui divise, qui oppose, qui stigmatise. Le stéréotype du musulman, objet de rejet, s'est construit et prospère grâce à deux figures repoussoirs, la fille voilée et le garçon arabe, des figures qui reposent elles-mêmes sur deux interprétations simplistes : la fille voilée, toujours aliénée, toujours soumise, que l'on va émanciper en l'enfermant dans l'espace domestique ou en l'excluant de l'école, et le garçon arabe, sexiste et violent, qu'il faudrait mater, devenu le barbu intégriste.
L'islamophobie – puisque c'est de cela que l'on parle – est donc désormais un thème porteur. Elle semble même être le secours possible d'une droite en mal de projet. Un moyen d'apprenti sorcier pour récupérer un électeur déçu, en colère, à qui l'on avait promis qu'en travaillant plus il gagnerait plus, devant lequel le Président s'était engagé à gouverner autrement, dans une République supposée irréprochable. Que de promesses et que de gâchis !
Alors que le chômage s'envole, votre projet de loi sur les retraites va creuser davantage encore les injustices et les inégalités. Avec vous, en effet, ce sont toujours les mêmes qui trinquent, les plus humbles, les femmes, et toujours les mêmes qui sont les bénéficiaires de votre politique, les nantis du bouclier fiscal, comme Mme Bettencourt qui a reçu, il y a peu, 30 millions d'euros. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Comme l'immense majorité de mes concitoyens, je suis contre cette prison qu'est le voile intégral. Il isole, désocialise, met à l'écart.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Où est le problème, alors ?
Mais nous savons tous ici que les dispositifs réglementaires existent pour interdire le port de ce vêtement qui n'obéit à aucune prescription religieuse. Ainsi, on ne peut obtenir une carte d'identité ou un passeport si on cache son visage. Dans l'étude relative aux possibilités juridiques du port du voile intégral, dont le rapport a été adopté en assemblée générale plénière, le 25 mars 2010, le Conseil d'État rappelle que de nombreuses législations, réglementations et instructions conduisent d'ores et déjà à prohiber ou à dissuader, dans de nombreux cas, des pratiques de port du voile intégral et, plus généralement, de dissimulation du visage. Et que de fait, le port du voile intégral, en tant que tel, est interdit.
Les principes de laïcité et de neutralité des services publics s'opposent à ce que les agents publics manifestent leurs croyances religieuses dans le cadre de leurs fonctions. La loi du 15 mars 2004 interdit dans les écoles, collèges et lycées publics le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Un employeur peut interdire à un salarié de porter une tenue incompatible avec l'exercice de son activité professionnelle. Bref, de nombreux dispositifs interdisent plus généralement la dissimulation volontaire du visage dans des circonstances et des lieux déterminés.
Mais nous savons bien qu'en l'espèce, malgré l'hypocrisie de l'intitulé, le projet de loi ne concerne en définitive que le port du voile intégral et son interdiction générale. Nous savons que toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d'identité effectué par les autorités de police . Nous savons aussi qu'en matière de documents d'identité, la photo tête nue s'impose. Nous savons encore que, pour l'accès à certains lieux, pour l'accomplissement ou l'authenticité de certaines démarches, il n'est pas possible de dissimuler son visage. Nous savons enfin que le port du voile intégral reste marginal, qu'il fait l'objet de la désapprobation générale, notamment chez nos compatriotes musulmans pratiquants.
Pourquoi donc vouloir légiférer sur une interdiction générale, pourquoi vouloir passer outre aux avertissements du Conseil d'État ? Pourquoi prendre le risque d'une censure du Conseil constitutionnel ou d'une condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme ?
Nous voyons bien ici que l'objectif gouvernemental n'est pas l'adoption d'une législation efficace et applicable mais relève bien d'une politique d'affichage et de diversion, quitte à tordre le cou au droit.
Dans son rapport, notre collègue Jean-Paul Garraud qualifie le projet de loi de « juridiquement solide ».
Il me semble que les travaux en commission ont démontré tout le contraire quant aux risques d'inconstitutionnalité et d'inconventionnalité.
Devant la fragilité des fondements juridiques de ce projet de loi, il eût été sage et raisonnable que le Premier ministre saisisse lui-même le Conseil constitutionnel pour éviter l'adoption d'une loi qui pourrait être censurée ou qui pourrait faire condamner notre pays par la Cour européenne des droits de l'homme, offrant ainsi une victoire facile aux intégristes, que vous prétendez vouloir combattre.
Devant la commission des lois, madame la ministre, vous avez parlé de l'ordre public comme fondement juridique d'une interdiction générale ; le texte n'y fait pas allusion. Vous avez invoqué tantôt l'ordre public, tantôt la dignité, sans que l'on sache très bien, devant une telle hésitation, quel est le fondement juridique du projet puisque aucune des deux notions ne figure dans le texte. Vous avez même parlé de l'ordre public social, qui existe certes dans la jurisprudence, mais dont le fondement juridique n'est pas d'une clarté évidente : nous savons qu'en matière de libertés, toute la tradition juridique veut que l'autorisation soit la règle et l'interdiction l'exception.
Quant à la notion d'espace public, qui détermine le champ d'application de cette interdiction générale, il est indiqué qu'elle recouvre les voies publiques, les lieux ouverts au public et les lieux affectés à un service public. Rappelons que, si la notion de voie publique est employée dans de nombreuses législations, elle n'est pas définie en tant que telle.
Les lieux ouverts au public ne sont pas mieux traités dans l'étude d'impact qui accompagne désormais tout projet de loi. Cette étude précise les contours de la notion de « lieu qui accueille du public ». Il s'agit, dit-elle, de lieux « dont plusieurs personnes, étrangères les unes aux autres, ne peuvent revendiquer l'exclusivité de la fréquentation ». Or la jurisprudence a défini la notion de lieu ouvert au public comme un « lieu accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l'accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions ». Ainsi, le caractère public ou privé d'un lieu n'a pas de conséquence sur le fait qu'il puisse être, ou non, ouvert au public. Cette interdiction viserait donc également les lieux de culte : églises, synagogues, mosquées. L'État deviendrait d'une certaine manière le grand ordonnateur des pratiques religieuses.
Je m'étonne également que, face à un danger paraît-il si grand pour notre vivre-ensemble et pour les fondements mêmes de notre République, seules des peines conventionnelles soient prévues. Il semble qu'on puisse être un danger majeur pour notre pays et finalement s'en tirer à moindre frais que si l'on brûle un feu rouge !
Comme l'écrivait le Conseil d'État, il est plus que probable que les peines conventionnelles prévues ne soient aucunement adaptées à la nature de l'infraction et au but poursuivi.
Les peines contraventionnelles !
Vous ne me donnerez pas de leçon de droit ce soir, madame ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je suis en droit de faire une telle remarque à une ministre qui, lorsqu'on l'interrogeait sur Tarnac nous disait qu'on était face à l'ultra-gauche. J'attends qu'on nous explique les fondements juridiques de l'arrestation de ces gens.
Cela n'a rien à voir ! J'ai interprété le code civil au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et, en la circonstance, je pense, pour ma part, ne pas avoir privé de droits un certain nombre de Français. J'ai au contraire permis à d'autres d'accéder à un droit qu'on ne veut toujours pas leur donner. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je vous recommande de tourner vos regards vers des pays dont on nous dit qu'ils sont beaucoup plus chrétiens que nous, le Portugal, l'Espagne ou la Belgique, qui, eux, ont reconnu le mariage de personnes du même sexe sans que cela ait troublé l'ordre social ni constitué une menace pour l'ordre public de ces pays.
À cet égard, mon cher collègue, vu le présent débat dans cet hémicycle et le débat politique dans le pays, je vous recommande vivement de faire preuve de la plus grande prudence, car vous risquez de connaître quelques déconvenues. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Contraventionnelle !
… est d'une portée inégale en fonction des revenus des personnes, sévère pour les uns ou quasiment indifférente pour les autres, avec une portée pédagogique contestable et limitée. Le Conseil d'État avait tendu une perche, que vous n'avez pas voulu saisir. Il proposait en effet l'instauration d'une nouvelle catégorie de peine conventionnelle : l'injonction d'avoir un entretien avec un représentant d'un organisme de médiation agréé ou de participer aux actions de cet organisme pour une durée limitée. Cette injonction de médiation sociale aurait pu figurer dans le texte, comme preuve du nécessaire dialogue pour faire reculer la pratique du voile intégral. Vous n'avez pas souhaité reprendre cette proposition, qui aurait permis de respecter le principe de proportionnalité et de personnalisation par l'intervention du juge.
Vous n'êtes pas à une contradiction près. Au cours des débats qui ont occupé cette assemblée depuis plus d'un an, les femmes portant le voile intégral ont été présentées indistinctement comme des victimes. Victimes que le projet de loi prévoit de sanctionner indistinctement. Victimes qui ne bénéficieront d'aucune médiation. Il est vrai qu'il était difficile de faire intervenir dans un dispositif législatif des organismes associatifs dont vous n'avez de cesse de réduire les moyens financiers, comme le prouve le plan de rigueur qui nous a été présenté cet après-midi.
Si l'État a l'obligation de protéger les femmes contre des pressions exercées par des membres de leur famille ou de leur communauté visant à leur faire porter le voile intégral, il n'en reste pas moins que le port du voile peut être consenti. De ce fait, une interdiction générale reviendrait à limiter les droits de celles qui choisissent de le porter, tout en punissant celles qui le font contre leur gré. Le résultat le plus probable de la loi sera le confinement des femmes dans l'espace domestique. Quelle avancée !
On peut trouver le port du voile intégral discutable ou contraire aux coutumes sociales établies. Toutefois, cela ne saurait justifier une restriction à la liberté d'expression d'une autre. Dans cet esprit, la liberté, l'égalité et la fraternité, que ce projet de loi met à mal, sont des fondements plus solides de notre République.
La difficulté que ce projet de loi ne résout pas, c'est celle du consentement. Notre société démocratique repose sur ce principe du libre consentement, confirmé par la Cour européenne des droits de l'homme. Peut-on interdire à quelqu'un de choisir la manière dont il se présente à autrui ?
Ce projet de loi est un pas supplémentaire dans l'ostracisme dont l'islam est l'objet, alors même qu'il entend traiter d'une pratique à la fois marginale et unanimement condamnée.
Le Gouvernement a choisi de passer outre aux avertissements du Conseil d'État. Aux interdictions précises et solidement établies, il a préféré une interdiction générale aux fondements juridiques fragiles et contestables. Au dialogue, il a préféré la sanction. Je regrette que le principal parti d'opposition ne marque pas plus fermement son opposition à une telle stratégie de diversion politique, de stigmatisation et de division. Elle a été très ferme tout à l'heure de la part de Jean Glavany. J'aurais donc souhaité que le groupe SRC vote contre, à l'image de ce que feront les Verts. Je pense que nous serons les seuls à voter contre, et c'est pour nous une sorte de fierté.
Je n'ose croire qu'en cas de censure, le Gouvernement s'engage dans la voie périlleuse du référendum. Certes, ce serait un outil de polarisation idéal à la vielle d'une présidentielle qui s'annonce très difficile pour mobiliser un électorat séduit aujourd'hui par des sirènes extrémistes, et dégoûté par le spectacle que lui offre ce pouvoir décadent. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Ce projet de loi n'est pas solide juridiquement, c'est même une erreur politique. C'est pourquoi, je vous appelle, chers collègues, à voter le renvoi en commission. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SRC et GDR.)
Je serai bref. En effet, quels que soient les sujets, les projets ou les propositions de loi, vous utilisez toujours, monsieur Mamère, les mêmes arguments, que vous accommodez à la sauce du jour. Une fois de plus, vous avez fait du Noël Mamère. Cela en devient presque amusant.
J'ai cependant noté que vos notions juridiques n'étaient pas très précises puisque vous avez fait une confusion grossière entre les peines conventionnelles et contraventionnelles.
D'ailleurs, pourquoi souhaitez-vous tant renvoyer ce texte en commission ? Peut-être est-ce dû au fait que vous n'avez jamais pris la parole en commission des lois sur ce texte…
Plusieurs députés du groupe UMP. Eh oui !
Plusieurs députés du groupe UMP Eh non !
Nous sommes dans l'hémicycle et je demande le rejet de votre motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Dans les explications de vote, la parole est à M. Pierre Gosnat, pour le groupe GDR.
Noël Mamère a bien résumé la situation. Je ne sais s'il faut renvoyer le texte en commission mais je soutiens sa proposition. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Je vous trouve bien nerveux en ce moment, mes chers collègues !
On ne peut pas accepter ce projet de loi pour au moins deux raisons. Vous cherchez depuis un an à faire passer ce texte avec acharnement tout en clamant qu'on ne doit y voir aucune stigmatisation vis-à-vis de nos compatriotes musulmans.
Mais – cela a bien été rappelé par Noël Mamère et par d'autres – c'est quand même dans un contexte tout à fait singulier, avec le débat sur l'identité nationale ; avec la chasse aux sans-papiers, dans laquelle il faut faire du chiffre ; avec les propos de Brice Hortefeux, qui a été condamné. C'est dans ce contexte que vous présentez ce projet de loi.
Alors, on s'interroge. Pour quelle raison ? Y avait-il urgence ? Y avait-il un besoin, une demande des électeurs, comme l'a demandé Noël Mamère à l'instant ?
En réalité, vous le savez bien : vous êtes englués dans un marasme politique extraordinaire et ce texte est un écran de fumée pour faire oublier tout cela. (« Rien à voir ! » sur les bancs du groupe UMP.)
La deuxième raison est fondamentale : au bout du compte, qui seront les victimes ? Ce seront les femmes elles-mêmes. Ainsi, on aurait pu faire passer des mesures lors de la discussion sur…
Je vous ai laissé parler, monsieur Gosnat, mais vous avez dépassé votre temps.
Faites donc la police parmi nos collègues de droite, monsieur le président !
On aurait pu légiférer, disais-je, dans le cadre du texte sur les violences faites aux femmes. Il y avait alors la possibilité de le faire sans stigmatiser une catégorie de la population. En conclusion, je voterai cette motion de renvoi en commission.
Le 11 mai dernier, avec le vote unanime d'une résolution disant que la burqa et le voile intégral n'étaient pas les bienvenus en France, la République s'est honorée. Il en a été de même avec le travail de fond mené par la mission parlementaire de nos collègues Gerin et Raoult : chaque fois que la République est unanime pour défendre ses principes fondateurs, elle se grandit.
Je constate que personne, au sein de cet hémicycle, n'a défendu le voile.
Personne non plus n'a défendu le droit de quiconque à se promener dans l'espace public le visage couvert, quel que soit du reste l'ustensile utilisé pour se cacher le visage.
L'« ustensile » ! Pourquoi pas une casserole ? Ou bien ce truc avec des trous qu'on appelle une passoire ? (Rires sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Quand la République est provoquée, quand elle est choquée, quand elle est révoltée, elle a le droit et le devoir de se défendre. Mais elle le fait par le droit.
Nous devons faire face à des pratiques qui sont marginales. Force est de constater que, face à ces pratiques, qui visent finalement à provoquer et à stigmatiser, nous devons, en complétant notre législation, faire en sorte qu'elles soient dorénavant interdites au sein de la République.
Finalement, se promener dans l'espace public couvert de la tête aux pieds, visage compris, est quelque chose d'aussi choquant que de se promener nu !
Notre collègue Noël Mamère a parlé de beaucoup de choses qui n'ont absolument rien à voir avec le sujet.
En conclusion, monsieur le président, je voudrais simplement rappeler un élément.
Je conclus. Il y a quelques années, en 2008, je suis allé en Afghanistan. J'ai pu voir….
Je voudrais revenir à quelques considérations juridiques car, après tout, c'est le lieu d'en parler : le législateur fait la loi (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP), ce débat est donc parfaitement légitime et il nous revient de le poursuivre dans les heures qui viennent.
Premièrement, vous instituez une interdiction générale, non pas de la burqa ou du voile intégral, mais de tout « ustensile », comme vient de dire M. Folliot, servant à se couvrir, à dissimuler le visage. Cela correspond à ce qu'avait recommandé le Conseil d'État, à la nuance près qu'il avait, quant à lui, recommandé une interdiction partielle.
Vous, vous la généralisez à l'ensemble de l'espace public. Vous créez ainsi une évidente restriction à la liberté. Qu'est-ce qui justifierait d'empêcher quelqu'un d'aller se promener en forêt avec une cagoule ? Où serait le problème ? (Rires et quolibets sur les bancs du groupe UMP.)
Deuxièmement, M. Garraud s'est appuyé sur un fondement que Mme la ministre a elle aussi invoqué : celui de l'ordre public immatériel. Sur ce plan, je veux vous rappeler ce que dit très précisément le Conseil d'État. Il a été conduit à écarter ce fondement au motif qu'une telle définition n'a jamais fait l'objet d'une quelconque formulation juridique et serait de ce fait sans précédent ; elle serait également contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui retient une définition traditionnelle de l'ordre public, y compris dans ses décisions les plus récentes ; enfin, elle ouvrirait un espace de contrainte collective aux conséquences incertaines.
La position du Conseil d'État est extrêmement nette : elle récuse le fondement que vous avez retenu pour justifier l'interdiction.
Vous ne pouvez donc vous en prévaloir. À l'évidence, il y a une grande fragilité dans le dispositif que vous nous proposez. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
L'excès, l'outrance et le caractère bien sûr provocateur du propos de M. Mamère justifieraient en eux-mêmes que l'on rejette cette motion de renvoi en commission, ce que le groupe UMP fera évidemment.
Mais je voudrais en appeler au témoignage d'une militante féministe et associative…
…pour étayer, s'il en était encore besoin, mon argumentation.
« Féministe et militante associative, j'ai toujours milité pour une loi pour l'interdiction de la burqa en France. Le voile intégral est pour moi l'étendard d'une idéologie sectaire et intégriste, attentatoire à la dignité humaine.
« Il heurte les valeurs républicaines de liberté, d'égalité et de fraternité. Peu importe que certaines femmes affirment le porter librement : nul ne peut consentir à sa propre dégradation. »
Monsieur Mamère, cette militante associative, vous la connaissez très bien : c'est votre suppléante, Naïma Charaï. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Elle ajoute : « Noël Mamère me présente comme sa députée suppléante musulmane et étant contre la loi sur la burqa. Militante féministe, laïque et socialiste, je n'accepte pas que mon député titulaire me présente comme une élue musulmane. » (Applaudissements puis huées sur les bancs du groupe UMP, dont plusieurs membres scandent « On veut la suppléante ! »
Mme Naïma Charaï conclut : « C'est pour cela que je demande à Noël Mamère de retirer ses propos et l'invite à ne plus parler à ma place. »
Voilà notre réponse, monsieur Mamère. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Gosnat. (De nombreux membres du groupe UMP se lèvent et quittent l'hémicycle.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au nom des députés communistes, républicains et du Parti de gauche, je tiens à exprimer solennellement notre refus de participer au débat et au vote sur ce projet de loi – et je m'en explique.
Mon intervention fera d'ailleurs écho à celle prononcée ici par mon collègue Alain Bocquet lors de la discussion sur la résolution concernant le respect des valeurs républicaines. À cet égard, je conteste fortement ce que vous avez dit, madame la ministre, sur le consensus général, puisque Alain Bocquet s'était catégoriquement opposé à cette résolution.
Nous ne participerons donc pas, mes chers collègues, à cette entreprise d'instrumentalisation du débat politique par une droite qui cherche à sortir – et ses membres ont d'ailleurs presque tous quitté l'hémicycle ! – du marasme dans lequel elle est engluée. Nous refusons de cautionner un texte de loi qui divise, qui stigmatise et qui joue avec les peurs.
Les communistes ont toujours combattu l'intégrisme et l'obscurantisme, où qu'ils se nichent. Nous dénonçons toutes les dérives sectaires, toutes les aliénations. Nous condamnons sans appel le port de la burqa ou du niqab, car c'est une insulte à la femme. Lutter contre une prison de tissu qui enchaîne les corps et les esprits est pour nous un combat permanent. Pour preuve, nous avons toujours voté les textes qui mettaient les droits des femmes au coeur de l'évolution de notre société. Et j'ai en tête cette belle phrase d'Aragon : « La femme est l'avenir de l'homme. »
Or tel n'est pas le cas dans ce texte. La preuve est flagrante : l'article 3, premier dispositif coercitif créé, ne vise ni les hommes qui imposent le voile, ni les fondamentalistes, mais bien les femmes ! Premières victimes jugées ici, elles sont aussi les premières coupables. Il est évident que leur sort n'est pas la préoccupation réelle du Gouvernement. Si tel avait été le cas, il aurait suffi d'ajouter un article sur la burqa à la loi contre les violences faites aux femmes et la question aurait été réglée. Or Marie-George Buffet a déposé un amendement en ce sens, qui a été rejeté par le Gouvernement.
Nous sommes donc confrontés à une volonté délibérée de la majorité d'orienter le débat politique, de mobiliser l'opinion publique, non pas sur le sort de ces femmes masquées par un voile intégral, mais bien sur l'imaginaire, sur les raccourcis et sur les amalgames qu'il attise. En outre, ce débat intervient bien entendu dans un contexte marqué par une révolte de plus en plus grande de notre peuple contre votre politique, ses injustices et je dirai même ses scandales.
Face à cette urgence, le Gouvernement a réagi. Il s'est empressé de lancer le débat sur l'interdiction du port de la burqa, sans prendre en compte sa légalité. Pour lui, les fondements juridiques de la loi étaient négligeables. C'est ainsi qu'il soumet à l'Assemblée nationale un texte mal rédigé et juridiquement très contestable, ce qui a été démontré en particulier par Noël Mamère et Jean Glavany.
Je l'affirme sans détour : le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public est un texte dangereux, stigmatisant et qui se révélera à l'usage totalement inapplicable.
Oui, cette loi est dangereuse, car comment la comprendre sans la rapprocher du débat malsain sur l'identité nationale, mais aussi des politiques d'immigration et de la chasse aux sans-papiers orchestrés par le ministère de la honte de M. Besson ? Et que penser de la surmédiatisation des événements de Nantes ?
Le Gouvernement s'est mué en apprenti sorcier. Alors, vous ne cessez de brandir les symboles de notre République : liberté, égalité, fraternité ; mais c'est pour mieux les fouler au pied. Quant à la laïcité, qui, lors de sa création et dans son évolution, fut un progrès fondamental de la société française, elle est aujourd'hui devenue par détournement un instrument idéologique au service de votre entreprise de division du peuple.
N'avez-vous donc pas tiré les conséquences du fiasco du débat sur l'identité nationale ? Si ce n'était pas aussi grave, je parlerais même du ridicule de ce débat. En réalité, ce sont des coups politiques et des calculs électoraux à courte vue, qui ne font qu'affaiblir le pacte républicain et l'unité de notre société. Le débat sur l'identité nationale, que vous prolongez aujourd'hui, a ouvert la boîte de Pandore, et lorsque vous affirmez officiellement lutter contre l'intégrisme religieux, vous ne faites que nourrir l'extrémisme politique dans lequel, évidemment, s'engouffre le Front national.
Oui, cette loi est dangereuse. Elle ouvre une brèche sans précédent, car face aux réserves du Conseil d'État, vous agitez la notion de sécurité publique afin de justifier l'interdiction du voile intégral. De fait, cette loi instaure un contrôle resserré de l'espace public. Auparavant, les restrictions vestimentaires se justifiaient uniquement par la lutte contre la fraude. Avec ce texte, vous créez un nouveau régime coercitif dont les contours flous ne feront qu'entraîner de redoutables dérives.
Cette loi est d'autant plus dangereuse qu'elle est profondément stigmatisante. Songez, mes chers collègues, qu'il vous est demandé de voter une loi pour moins de 2 000 femmes portant un voile intégral, essentiellement en Île-de-France et dans quelques grandes agglomérations, soit moins de 0,003 % de la population !
Face à cette pratique – dont nous voyons bien qu'elle reste isolée – n'y a-t-il pas d'autres moyens d'action à notre portée. Au premier rang de ceux-ci, il y a la médiation et le dialogue ; mais vous ne proposez pas de moyens nouveaux pour la médiation. En faisant le choix de la loi, vous pointez du doigt ces femmes ; vous les mettez au ban de la société sans leur offrir d'alternatives – elles qui en auraient tant besoin !
Enfin, à l'usage, cette loi se révélera inapplicable. Je vous rappelle que le Conseil d'État relevait le risque réel d'inconstitutionnalité de ce projet et mettait l'accent sur l'existence d'outils juridiques permettant déjà d'encadrer cette pratique dans l'espace public. Vous l'avez d'ailleurs rappelé, madame la garde des sceaux.
Mais le Gouvernement n'en a que faire, car il s'obstine à centrer le débat politique sur la question du voile intégral, quand des millions de Français l'interpellent en ce moment même sur le droit à la retraite à soixante ans, sur l'augmentation des salaires, sur la sécurité de l'emploi, sur la lutte sans complaisance contre les inégalités sociales et – que sais-je encore ? – sur le bouclier fiscal ou les paradis fiscaux.
Au fond, ce projet de loi signe l'échec de votre politique ; il montre votre incapacité à appréhender et gérer un phénomène social, somme toute marginal, autrement que par l'interdiction juridique. C'est absurde : la loi ne fait pas tout ! Si l'objectif est que plus aucune femme en France ne porte le voile intégral, alors il nous faut faire appel à la force de la politique, celle qui au-delà des lois et des règlements assied son autorité et sa légitimité sur l'ensemble de la société.
Absurde, en effet : prenons deux situations auxquelles cette loi s'appliquera : celle où la femme est contrainte de porter le voile intégral ; celle où elle se déclare volontaire et le revendique – si tant est que nous puissions établir une distinction aussi manichéenne.
Dans le premier cas, la loi condamnera une femme victime — soit par l'amende, soit par le fait qu'on lui interdira de s'exposer aux regards d'autrui en la contraignant à rester enfermée chez elle. On appelle cela la double peine !
Dans le second cas, 1'interdiction du niqab ne fera que renforcer les convictions de la personne concernée, et offrira même une tribune médiatique à l'extrémisme religieux. C'est bien ce que nous avons constaté dans l'affaire de Nantes.
Pour conclure, permettez-moi d'exprimer mon profond sentiment d'injustice : en votant cette loi, le Parlement affaiblira durablement la lutte politique contre les intégrismes quels qu'ils soient. En aucune manière, ce texte ne constituera un point d'appui pour le respect et la dignité des femmes.
Face à ces phénomènes, il nous faut au contraire favoriser la médiation et l'action locale. J'ai d'ailleurs été très étonné de la réaction d'un certain nombre de nos collègues de droite lorsque Jean Glavany a évoqué ces démarches : certains ont dit que cela ne servait à rien, l'ont accusé de ne pas y croire lui-même. Ainsi, alors que vous avez reconnu l'utilité de ces outils, madame la garde des sceaux, nos collègues de droite ne leur font aucune confiance. C'était franchement surprenant.
Il faut favoriser la médiation et l'action locale, car nous pensons que le port du voile intégral n'est que l'expression d'un phénomène beaucoup plus large qui puise ces racines dans le délitement économique et social de notre société, en particulier dans les quartiers défavorisés, où l'État est aujourd'hui bien souvent absent.
La politique échoue quand le seul horizon possible pour certaines et certains de nos concitoyens est celui de l'intégrisme, notamment religieux. Il revient donc à l'État et à la nation tout entière de créer les conditions de leur émancipation. Or, tel n'est pas le cas dans ce texte.
Pour toutes ces raisons, nous ne participerons ni à la discussion ni au vote sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
« Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. » Près d'un an après que le Président de la République eut estimé devant le Parlement réuni en Congrès que « la burqa ne [serait] pas la bienvenue en France », près d'un an après la création au sein de notre assemblée d'une mission d'information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, c'est en nous apprêtant, mes chers collègues, à inscrire cette courte phrase dans les lois de la République que nous abordons ce soir l'ultime étape d'un débat en tous points exemplaire, un débat où le Parlement aura été en mesure de jouer tout son rôle, un débat, aussi, qui aura laissé toute sa place au consensus républicain.
Y aurait-il eu dans notre assemblée, voici un an, une majorité pour adopter ce texte ? Une pratique au fond marginale, limitée sur notre territoire à quelque 1 900 femmes, et par ailleurs difficile à appréhender dans sa globalité, méritait-elle ou justifiait-elle vraiment une réponse du législateur ? N'était-ce pas là stigmatiser inutilement, dans une société ébranlée par la crise économique, un grand nombre de nos concitoyens ? Nous aurions été nombreux, alors, sur tous les bancs de cette assemblée, à exprimer nos doutes et nos réserves.
Pour autant, et en dépit de certaines apparences, ce débat ne fut pas une simple répétition de celui qui avait, voici quelques années, accompagné l'adoption de la loi sur le port de signes religieux à l'école. Ce n'était pas un débat sur la laïcité, et l'intitulé du projet dont nous discutons en atteste.
Au fil des travaux conduits par nos collègues André Gerin et Éric Raoult, ce sont d'autres questions qui sont apparues : celle, d'abord, de la place et du rôle de la femme dans notre pays ; celle, ensuite, de ses droits dans la République, mais également celle, tout aussi cruciale, de l'idéal de société qui sous-tend le projet républicain lui-même.
Grâce au débat, nous avons été nombreux à voir évoluer nos positions respectives. Voici quelques semaines, nous avons vu majorité et opposition s'accorder sur le diagnostic comme sur le sens de la réponse qu'il appartenait à la République d'adresser au développement de la pratique du port du voile intégral.
En adoptant à l'unanimité la résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, nous avons choisi, ensemble, de proclamer cet idéal républicain, ces valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité qui nous rassemblent et s'opposent à ce que des femmes puissent, sur notre territoire, porter ou subir la loi du voile intégral.
Au-delà des opinions de chacun, ce sont les termes du débat eux-mêmes qui ont évolué ; il ne s'agit plus désormais de s'interroger sur l'opportunité d'une mesure d'interdiction mais bien plus sur ses modalités pratiques – interdiction générale ou non – ainsi que sur la viabilité juridique d'un tel instrument devant le Conseil constitutionnel ou devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Dans son avis rendu public au mois de mars dernier, le Conseil d'État estimait ainsi qu'une interdiction du port du voile intégral ne pourrait trouver de fondement juridique incontestable. En d'autres termes, le fait de contraindre une femme à porter le voile intégral pouvait certes être élevé en infraction par le législateur, mais rien ne pouvait, au regard notamment des droits et libertés garantis par la Constitution, empêcher une femme de le porter de son plein gré.
Dès lors, mes chers collègues, c'est une question bien plus fondamentale encore qui nous est posée ce soir et qui sera sans doute, tôt ou tard, posée au Conseil constitutionnel. Offrir à chacun la possibilité de reconnaître celui ou celle avec qui il échange, discute ou entre en contact était jusqu'alors une convenance sociale tacitement admise par tous – en d'autres termes, un contrat social tacite qu'il n'était pas nécessaire de formaliser dans un texte. Ce contrat social se trouvant remis en cause, la puissance publique peut-elle encore défendre et garantir, dans une société moderne, ce seuil minimal de valeurs partagées en deçà duquel des individus se trouvant sur un même territoire cessent de former une société ?
Tous ici, mes chers collègues, nous sommes attachés à ces principes intangibles qui veulent que l'État ne dispose pas sur ses citoyens d'un pouvoir sans limites ; tous ici nous sommes attachés à la garantie, dans un État de droit, des libertés individuelles. Mais nous ne saurions, à peine de renoncer à tout projet de société, à peine de renoncer à tout idéal de fraternité, les confondre avec un quelconque droit à la souveraineté individuelle.
C'est pourquoi, mes chers collègues, nous estimons que le législateur est bel et bien légitime pour garantir et protéger ces règles minimales qui fondent et structurent notre vivre-ensemble républicain ; et c'est à ce titre que les députés du Nouveau Centre apporteront leur soutien à ce projet de loi.
Il ne s'agit pas de déclarer ce soir brusquement hors-la-loi ces quelque 1 900 femmes, de les bannir définitivement de l'espace public pour les condamner à une seconde mort sociale. Ce projet prévoit une période transitoire de médiation et d'explication : plus qu'une simple mesure d'interdiction, il constitue bien une réponse globale au problème du voile intégral, une réponse équilibrée qui prend en compte les besoins de sanction, de prévention et de pédagogie.
Ainsi, si la peine sanctionnant le fait d'imposer, par menace, violence, contrainte, abus d'autorité, à une ou plusieurs personnes, de dissimuler leur visage se veut sévère, et par là dissuasive – un an d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende, et le double en cas de victime mineure –, la peine sanctionnant le fait de porter de son propre chef une tenue destinée à dissimuler son visage ne s'élève, pour sa part, qu'à 150 euros, un stage de citoyenneté pouvant être prescrit sur décision du juge, en complément voire en substitution de cette peine principale. Autrement dit, c'est le dialogue et la pédagogie qui primeront dans ce cas précis sur la sanction.
Mes chers collègues, cette loi en sera-t-elle pour autant applicable ? Ne risque-t-elle pas plutôt de révéler au grand jour de nouvelles zones de non-droit, celles où l'on ne se hasardera pas à faire appliquer cette interdiction ?
Convenons-en, l'interdiction générale pose en réalité moins de difficultés que ne le ferait une interdiction partielle, mesure qui souffrirait par ailleurs d'un manque flagrant de cohérence : comment une pratique pourrait-elle être contraire à la dignité de la personne humaine et aux valeurs de la République dans certains lieux, et totalement neutre dans d'autres ?
Pour autant, l'application de cette loi ne sera pas aisée et nous ne négligeons en rien le poids de la mission dont nous chargeons nos forces de sécurité.
L'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public passera avant tout par un important travail de dialogue et de médiation, et il appartiendra à ce titre au ministère de l'intérieur d'organiser en direction de ses agents des formations dédiées.
Mes chers collègues, ce débat ne prend pas fin ce soir ; il ne cessera en réalité que lorsque cesseront ces pratiques radicales que nous nous accordons tous à condamner.
Ce qui importe aujourd'hui, c'est qu'enfin valeurs et principes coïncident sur ce point avec les lois de notre République. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi est toujours dans son rôle lorsqu'elle modernise la société, lorsqu'elle fait progresser les consciences et lorsqu'elle renforce notre acquis républicain.
Après la résolution que nous avons votée, ce texte conclut un travail parlementaire remarquable, conduit par nos collègues André Gerin et Éric Raoult, que je veux saluer ici.
Ils ont rempli leur mission dans un esprit de respect et de dialogue – un esprit qui a parfois singulièrement manqué à la tribune ce soir.
Le groupe UMP est résolument engagé en faveur de ce projet de loi parfaitement équilibré, synthèse réussie de l'ensemble de nos travaux.
Comment, dès lors, pourrions-nous avoir la moindre hésitation, nous qui, sous la conduite déterminée de Jean-François Copé, avons très tôt pris parti et défini notre choix d'une option législative et de ses premiers contours ?
Comment pourrions-nous ne pas soutenir un texte qui est le fruit d'une concertation élargie, notamment aux représentants de la communauté musulmane, dont l'apport a été particulièrement précieux ?
Il n'y a pas de communauté musulmane ! Il n'y a qu'une communauté nationale dans la République ! Vos propos sont le début du communautarisme !
Mes chers collègues, nous devons aujourd'hui assumer nos choix avec responsabilité et clarté. On ne peut pas considérer le port du voile comme une atteinte aux libertés et aux droits des femmes et ne pas accepter ce projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public. Renoncer serait une faiblesse. Et je n'accepte pas, monsieur Glavany, que vous disiez, une fois encore, que ce sujet, qui intéresse directement des milliers de femmes, n'en est pas un vrai et n'est pas aussi important !
M. Caresche a soutenu que cette interdiction pouvait être considérée comme une restriction à la liberté. On ne peut pas admettre pareil jugement dans une République moderne, dans une République qui fait de l'égalité et de la dignité de la femme des principes primordiaux !
Réduire ce texte à la seule question des violences serait également une erreur, car il intéresse très directement, vous l'avez rappelé, madame la garde des sceaux, les principes fondamentaux de la République et l'ordre public.
Enfin, s'il y a stigmatisation, c'est celle qui vise des femmes discriminées parce qu'elles portent un vêtement synonyme de soumission, inspiré par une radicalité protestataire, voire par un conditionnement idéologique et psychologique allant jusqu'à l'intériorisation par certaines d'entre elles de leur propre infériorité.
L'ordre public est un fondement juridique clair qui, dans la dimension immatérielle que vous avez évoquée, recouvre le socle minimal d'exigences liées à la vie en société. Nous sommes d'accord avec la référence à l'ordre public sociétal. Si, en 1789, cet ensemble de règles se définissait par le concept de société, il prit au fil de l'histoire le sens de « vivre ensemble » ou, mieux encore, de fraternité. Il revient au législateur d'en définir les contours. C'est notre responsabilité et nous l'assumerons.
Le droit international nous y invite également, car l'article 5 de la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes engage l'ensemble des États parties à combattre tous les stéréotypes, toutes les pratiques culturelles qui créent directement ou indirectement des discriminations.
Enfin, ce texte ne doit pas être seulement un aboutissement, mais aussi une étape. Il faut l'enrichir par une démarche sociale, afin que toutes les femmes concernées bénéficient d'une pédagogie et d'un accompagnement social qui les conduisent à l'autonomie. Je connais vos convictions, madame la garde des sceaux. Je pense que l'autonomie est aujourd'hui la clé de la transformation sociale et culturelle de nos sociétés. Nous devons, dès l'école, par une pédagogie adaptée, faire en sorte que les jeunes filles et les femmes connaissent ce chemin de liberté, d'égalité et d'autonomie qui, seul, peut leur donner le rôle légitime qui est le leur dans la famille, dans la rue, comme dans l'emploi.
Pour conclure, je citerai Amartya Sen qui dit très précisément que c'est lorsqu'une personne met l'accent sur un seul paramètre de son identité qu'elle devient vulnérable à la manipulation de la part des partisans du chauvinisme ethnique.
Nous donnons, ce soir, grâce à ce texte, l'illustration d'une France sûre d'elle-même et de son choix, qui conjugue la liberté individuelle et le pacte républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Prochaine séance, mercredi 7 juillet 2010 à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public ;
Discussion du projet de loi complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008.
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma