Pour moi, il existe un fondement juridique solide pour une interdiction générale, à savoir la notion d'ordre public immatériel ou sociétal, que le Conseil d'Etat, dans son étude consacrée au voile intégral, définit comme « un socle minimal d'exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société ».
Cette notion fonde des interdictions générales, telle celle de l'exhibition sexuelle, qui est en vigueur dans tous les lieux accessibles aux regards du public.
Elle n'est pas nouvelle, mais figure dans nos textes les plus fondamentaux, qui ont valeur constitutionnelle. On la retrouve dans la notion de « société », présente dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dans celle de « fraternité », qui fait partie de notre devise, ainsi que dans celle d'« intérêt général », qui a été employée par le Conseil constitutionnel quand il a jugé que « les conditions d'une vie familiale normale sont celles qui prévalent en France, lesquelles excluent la polygamie », et qu'il existe un « intérêt général tenant à la prohibition de l'inceste ».
En ce qui concerne le respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme par le projet de loi, pour les juristes que j'ai entendus, le risque de non-conformité avec la convention est fortement atténué par trois éléments : le principe de subsidiarité, que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme respecte, garantissant aux États une « marge d'appréciation » ; le fait que la loi ne vise aucune croyance de manière spécifique mais la dissimulation du visage en général ; et l'évolution de la législation en vigueur dans les autres pays européens, où se dessine un mouvement de plus en plus large en faveur d'une interdiction, tant en Belgique qu'en Espagne ou aux Pays-Bas.
Tous les juristes que j'ai entendus témoignent du fait que l'opinion majoritaire de la doctrine est en train d'évoluer sensiblement, tendant à considérer qu'une interdiction générale est tout à fait possible tant constitutionnellement que conventionnellement.