Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cela fait plus d'un an que le port du voile intégral occupe notre assemblée. C'est à croire que le sujet est d'une importance cruciale, que nos concitoyens en font une priorité par-dessus toutes les autres, que les électeurs exigent que le Gouvernement et la majorité agissent fermement. À cet égard, l'acharnement dont vous avez fait preuve est révélateur de la manière dont vous concevez la politique : tout semble désormais permis.
Lorsque, le 17 juin 2009, André Gerin fit la demande d'une commission d'enquête parlementaire sur le port de la burqa ou du niqab, il semblait clair que les jeux étaient faits avant même que le prétendu débat n'ait lieu. La mise en place, une semaine plus tard, de la mission parlementaire d'information, composée de trente-deux députés et placée sous la présidence de M. Gerin, et le rapport rendu six mois plus tard, préconisant une résolution parlementaire condamnant le port du voile intégral, « contraire aux valeurs de la République », ainsi qu'une loi d'interdiction limitée aux services publics et des mesures visant à protéger les femmes victimes de contraintes, n'ont pas dissipé le malaise. En effet, entre-temps, sous la houlette du ministère de l'immigration et de l'identité nationale, le pouvoir, en mal d'idées, a lancé un grand débat sur l'identité nationale.
Rien de mieux qu'un débat qui divise, qui oppose, qui stigmatise et qui, par le brouhaha qu'il provoque, fait oublier les questions sociales et écologiques. À la trappe, l'augmentation de la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite décente ! Oubliée, la trahison du Grenelle ! L'atmosphère est devenue irrespirable. Aux dérapages anonymes sont venus s'ajouter ceux des responsables politiques, au plus haut niveau. C'est ainsi que s'est construit, à coups de déclarations insidieuses où la xénophobie et le racisme ne sont jamais loin, une sorte d'imaginaire où le musulman est à la fois l'étranger et le danger.
Rappelons-nous la tribune du Président de la République, parue dans un quotidien du soir quelques jours seulement après le vote suisse contre l'érection de minarets, invitant les musulmans français à une certaine discrétion dans la pratique de leur culte. « Respecter ceux qui arrivent, respecter ceux qui accueillent », la formule renvoie nos compatriotes de religion musulmane à un ailleurs, elle les transforme en étrangers permanents, même lorsqu'ils sont français comme vous et moi.
Le débat sur l'identité nationale transforma donc une partie de la population en bouc émissaire. Car, pour reprendre les propos de notre collègue Pascal Clément, pour une partie de nos responsables politiques, « le jour où il y aura autant de minarets que de cathédrales en France, ça ne sera plus la France ».
Le 29 mars, au lendemain de la débâcle de l'UMP aux régionales, le Premier ministre, François Fillon, souhaite une loi qui aille « le plus loin possible sur la voie de l'interdiction générale », annonçant ainsi le cap – à droite toute – choisi par l'exécutif. Il faut persister, continuer, enfoncer le clou. Peu importe si, au final, seul le Front national tire un bénéfice d'un débat et de déclarations où les amalgames succèdent aux discours de stigmatisation.