Ce n'est pas compréhensible, ni dans notre ordre juridique ni dans notre ordre logique.
Je précise que le Conseil d'État, lorsqu'il a été consulté, n'a pas dit qu'il n'existait pas de fondement juridique pour une interdiction générale. Il a simplement relevé que le Conseil constitutionnel n'avait pas, à ce jour, reconnu explicitement la notion d'ordre public social. Mais, comme je le disais tout à l'heure, à mes yeux il l'a reconnue implicitement et, de toute façon, ce n'est pas parce que quelque chose n'a pas été affirmé explicitement préalablement que l'on doit y renoncer s'agissant des valeurs qui sont celles de la République.
Deuxième remarque, si l'interdiction est générale et absolue, elle n'est pas pour autant dépourvue d'exceptions, qui se justifient dans l'esprit de l'interdiction. Certaines activités nécessitent la dissimulation du visage dans l'espace public, sans pour autant porter atteinte à l'ordre public social. Dans un certain nombre de cas, il s'agit même de préserver l'ordre public social.
Des raisons de santé, ou des motifs professionnels, peuvent également obliger à se masquer le visage, ainsi que des pratiques sportives. Sur ces bancs, il est probable que quelques-uns pratiquent l'escrime ; nous n'allons pas dire qu'il est interdit de se dissimuler le visage avec un masque d'escrime ! Des fêtes ou des manifestations artistiques ou traditionnelles, de nature religieuse ou non, peuvent également faire exception.
Il est évident que l'interdiction ne s'appliquera pas à l'ensemble de ces situations, dès lors qu'elles sont compatibles avec les principes du vivre-ensemble, voire en constituent une expression.
Ainsi, il résulte aussi bien des textes que de la logique de la démarche que l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public soit générale et absolue.
Bien entendu, à partir du moment où l'on affirme un principe, son effectivité doit être garantie. Il y aura donc des sanctions.
Mais l'enjeu est autant de convaincre et de dissuader que de réprimer. Cela a été l'état d'esprit de la commission des lois lorsqu'elle a examiné ce texte, ainsi que du Gouvernement. Nous voulons convaincre les femmes de renoncer d'elles-mêmes à porter le voile intégral. En revanche, nous voulons contraindre ceux qui les y obligent à accepter les règles de la vie en commun, et les principes du vivre-ensemble.
Une distinction est donc faite selon que l'infraction résulte d'un choix volontaire ou est commise sous la contrainte. L'infraction commise par un choix volontaire appelle une réponse adaptée. C'est pourquoi le texte repose sur un équilibre entre pédagogie et fermeté.
Pédagogie, tout d'abord. Nous pensons que le dialogue dans le temps doit primer sur la sanction. C'est la raison pour laquelle le texte prévoit un délai de six mois avant l'application des sanctions aux personnes qui se masquent le visage volontairement, de façon à développer un effort de pédagogie. Nous espérons que les femmes qui portent volontairement le voile intégral y renonceront spontanément. À défaut, après ces six mois, la méconnaissance de la loi devient constitutive d'une contravention de deuxième classe, sanctionnée par une amende d'un montant maximum de 150 euros. Un stage de citoyenneté peut être substitué ou prescrit en complément à la peine d'amende par le juge, car nous ne renonçons pas à l'aspect pédagogique. Le juge a donc à sa disposition, en fonction de son analyse de la situation, un arsenal de sanctions possibles pour laisser ouverte la possibilité de la pédagogie.
En revanche, notre attitude est différente, et beaucoup plus ferme, lorsque nous nous trouvons devant une dissimulation forcée du visage. La République n'accepte pas les atteintes à la dignité humaine. Elle ne tolère pas l'abus de la vulnérabilité des personnes.
Votre commission a amélioré le texte initial en ce sens. Vous avez prévu unanimement, puisqu'il s'agit d'un amendement du rapporteur ainsi que du groupe socialiste, un durcissement par rapport au texte initial, afin de prévoir des sanctions plus fermes et plus dissuasives à l'égard de ceux qui contraignent les femmes à dissimuler leur visage.
Le fait de contraindre une personne à dissimuler son visage devient un délit, et non une contravention. Il sera puni d'une peine d'emprisonnement d'un an et d'une amende pouvant s'élever jusqu'à 30 000 euros. Vous avez également souhaité que si la personne contrainte est mineure au moment des faits, ces peines puissent être doublées. Bien entendu, j'ai donné mon accord à ces propositions.
À l'heure de la mondialisation et de la complexification de nos sociétés, alors que nos concitoyens sont à la recherche d'un certain nombre de repères pour le vivre-ensemble, pour la volonté de présenter un destin commun, au moment où les Français s'interrogent sur le devenir de notre nation, notre responsabilité commune est de faire preuve de vigilance à l'égard de la mise en oeuvre des principes de la démocratie et de la République, pour réaffirmer les valeurs que nous avons en partage.
Je crois, lorsque nous regardons ce qui se passe dans le monde entier, que nous pouvons être fiers de ce modèle qui fonde notre pacte social, forge notre identité et nous fait porter, au-delà de nos frontières, les idées de respect des hommes et des femmes, de dignité de la personne humaine. J'espère qu'au cours de ce débat nous montrerons ensemble cette volonté qui fait partie de notre héritage et que nous avons la responsabilité de porter pour le futur. Soyons dignes des exigences attachées à l'honneur d'être Français, au privilège de vivre en France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)