Mais nous savons tous ici que les dispositifs réglementaires existent pour interdire le port de ce vêtement qui n'obéit à aucune prescription religieuse. Ainsi, on ne peut obtenir une carte d'identité ou un passeport si on cache son visage. Dans l'étude relative aux possibilités juridiques du port du voile intégral, dont le rapport a été adopté en assemblée générale plénière, le 25 mars 2010, le Conseil d'État rappelle que de nombreuses législations, réglementations et instructions conduisent d'ores et déjà à prohiber ou à dissuader, dans de nombreux cas, des pratiques de port du voile intégral et, plus généralement, de dissimulation du visage. Et que de fait, le port du voile intégral, en tant que tel, est interdit.
Les principes de laïcité et de neutralité des services publics s'opposent à ce que les agents publics manifestent leurs croyances religieuses dans le cadre de leurs fonctions. La loi du 15 mars 2004 interdit dans les écoles, collèges et lycées publics le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Un employeur peut interdire à un salarié de porter une tenue incompatible avec l'exercice de son activité professionnelle. Bref, de nombreux dispositifs interdisent plus généralement la dissimulation volontaire du visage dans des circonstances et des lieux déterminés.
Mais nous savons bien qu'en l'espèce, malgré l'hypocrisie de l'intitulé, le projet de loi ne concerne en définitive que le port du voile intégral et son interdiction générale. Nous savons que toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d'identité effectué par les autorités de police . Nous savons aussi qu'en matière de documents d'identité, la photo tête nue s'impose. Nous savons encore que, pour l'accès à certains lieux, pour l'accomplissement ou l'authenticité de certaines démarches, il n'est pas possible de dissimuler son visage. Nous savons enfin que le port du voile intégral reste marginal, qu'il fait l'objet de la désapprobation générale, notamment chez nos compatriotes musulmans pratiquants.
Pourquoi donc vouloir légiférer sur une interdiction générale, pourquoi vouloir passer outre aux avertissements du Conseil d'État ? Pourquoi prendre le risque d'une censure du Conseil constitutionnel ou d'une condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme ?
Nous voyons bien ici que l'objectif gouvernemental n'est pas l'adoption d'une législation efficace et applicable mais relève bien d'une politique d'affichage et de diversion, quitte à tordre le cou au droit.
Dans son rapport, notre collègue Jean-Paul Garraud qualifie le projet de loi de « juridiquement solide ».