Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République et de M. Christian Kert, vice-président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales
La séance est ouverte à 16 heures 15.
J'ai reçu de notre collègue M. Manuel Valls une lettre appelant mon attention sur la dégradation de la situation des candidats à l'immigration vers le Royaume-Uni depuis la fermeture du camp de Sangatte, en décembre 2002, qui aurait dû endiguer leur flux. Pour faire le point sur cette question, notre collègue demande qu'une mission d'information soit constituée, qui porterait sur les conditions d'existence mais aussi le respect et l'accès aux droits des migrants présents sur la zone littorale de la mer du Nord et de la Manche.
Notre commission des Lois depuis le début de la législature s'intéresse déjà de près aux problèmes liés à l'immigration. Elle consacre désormais un avis budgétaire à la mission « immigration, asile et intégration », elle a adopté deux résolutions dans le cadre de la procédure de l'article 88-4 de la Constitution, elle a procédé à plusieurs reprises à l'audition du ministre de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire, elle a constitué à la demande du groupe SRC, une mission d'information sur les centres de rétention administrative et les zones d'attente, qui a d'ores et déjà réalisé de nombreuses auditions et déplacements sur le terrain. Enfin, deux co-rapporteurs appartenant à la majorité et à l'opposition, M. Thierry Mariani et Mme George Pau-Langevin, ont été désignés pour évaluer l'application de la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration. Ils pourraient utilement lier à leurs travaux la question soulevée par notre collègue Manuel Valls et, le moment venu, en faire rapport à la commission au cours d'une séance durant laquelle nous entendrions, comme d'habitude, le ministre en charge du dossier, ce qui devrait satisfaire M. Christophe Caresche qui m'a demandé de procéder à son audition; telle est la solution que je vous propose.
La Commission décide de confier aux co-rapporteurs chargés d'évaluer l'application de la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration la question de la situation des candidats à l'immigration vers le Royaume-Uni, présents sur la zone littorale de la Mer du Nord et de la Manche.
Madame la ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir pour vous entendre, dans le cadre d'une audition conjointe avec la commission des affaires culturelles, sur le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.
Ce texte, déposé en juin dernier et adopté par le Sénat le 30 octobre, a fait l'objet d'une étude attentive de notre rapporteur, Franck Riester, qui a procédé à plus de cinquante auditions. Il constitue l'aboutissement d'une concertation de l'ensemble des professionnels concernés, amorcée dès l'été 2007 par la mission de réflexion confiée à Denis Olivennes. Il traduit le volet préventif de l'« accord de l'Élysée », signé le 23 novembre 2007, par lequel cinquante représentants des secteurs de la musique, du cinéma, de l'audiovisuel et des fournisseurs d'accès à Internet se sont engagés, aux côtés des pouvoirs publics, à favoriser le développement et la protection des oeuvres et programmes culturels sur les nouveaux réseaux. Il prolonge ainsi la démarche de régulation des réseaux numériques engagée par la loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information du 1er août 2006 – loi DADVSI. À cet effet, il crée une nouvelle autorité administrative indépendante, la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet, la HADOPI, qui se substitue à l'Autorité de régulation des mesures techniques, l'ARMT.
Madame la ministre, je pense que vous aurez à coeur de nous présenter le dispositif de ce projet de loi, attendu par les professionnels comme par les internautes, et d'exposer tout spécialement les garanties assurant sa pertinence juridique.
Ce projet de loi a une ambition : créer le cadre juridique indispensable au développement de l'offre légale de musique, de films, voire d'oeuvres littéraires sur les nouveaux réseaux de communication. Pour prévenir le piratage des oeuvres, il crée un dispositif gradué, essentiellement pédagogique, qui a vocation, en pratique, à se substituer aux poursuites pénales actuellement encourues par les internautes. Plus d'un Français sur deux a aujourd'hui accès à l'Internet haut débit. C'est une chance pour la diffusion de la culture, mais les conditions mêmes de création des oeuvres sont gravement menacées par le piratage.
Le marché du disque est le plus atteint. Il a baissé de 50 % au cours des cinq dernières années, avec un fort impact à la fois sur l'emploi et sur la création : chute de 30 % des effectifs des maisons de production, résiliation par les maisons de production de nombreux contrats d'artistes, et diminution de 40 % du nombre de nouveaux artistes « signés » annuellement.
Le cinéma commence à son tour à ressentir les premiers effets de ce changement des usages : le nombre d'actes de piratage de films équivaut désormais au nombre d'entrées en salle – de 450 000 à 500 000 par jour – et le marché du DVD a chuté d'un tiers en quatre ans.
Les ventes numériques dématérialisées de musique et de cinéma, qui devraient prendre le relais des ventes de supports physiques, CD ou DVD, demeurent plus faibles en France que dans la plupart des grands pays aux habitudes de consommation comparables : elles représentent à peine plus de 7 % de notre marché de la musique, alors que ce taux a dépassé 25 % aux États-Unis et 20 % en moyenne dans les autres pays comparables au nôtre.
Pourtant, la richesse de l'offre légale en ligne s'est considérablement développée ces dernières années. Plusieurs millions de titres musicaux y sont désormais disponibles et le coût pour le consommateur a fortement diminué, notamment grâce aux offres forfaitaires proposées par les fournisseurs d'accès à Internet, les FAI. Mais il est possible d'aller plus loin dans l'amélioration de cette offre. Le présent projet de loi vise justement à en créer les conditions. Car c'est bien la persistance d'un piratage massif qui demeure aujourd'hui le principal obstacle au décollage de la consommation légale de films ou de musique en ligne, et à la juste rémunération des créateurs et des industries culturelles. Il ne s'agit pas de sauver le support physique, dont la place ne sera plus jamais celle qu'elle a été, mais bien de permettre à de nouveaux modèles économiques d'apparaître et de se stabiliser.
Pour lutter contre le piratage, les pouvoirs publics se trouvent aujourd'hui dans une situation très paradoxale. Des sanctions existent, mais elles sont judiciaires et principalement pénales : peines d'amende, jusqu'à 300 000 euros, et de prison, jusqu'à trois ans, sur le fondement classique du délit de contrefaçon. Les ayants droit recourent à ces sanctions, mais prudemment, car celles-ci apparaissent inadaptées au piratage dit « ordinaire ». Ce piratage est commis sur une très grande échelle – un milliard de fichiers piratés en France en 2006 – par plusieurs millions d'internautes, dont nous ne pouvons plus dire qu'ils ne sont pas conscients du caractère répréhensible de leur geste. Notre pays détient d'ailleurs un triste record : l'internaute français passe deux fois plus de temps que ses homologues américains, anglais ou allemands à échanger des fichiers illégalement. Cela explique, par exemple, que le marché français de la musique, dont le volume était identique à celui de l'Allemagne en 2002, ne pèse plus que pour 70 % de ce dernier.
En revanche, les internautes n'ont pas toujours conscience de la gravité des conséquences et de la lourdeur des sanctions qu'ils encourent. Les procédures pénales sont rarement appliquées, notamment parce qu'une loi reposant sur une autre logique était en préparation. En Allemagne, au contraire, des dizaines des milliers d'actions pénales sont en cours à l'encontre d'internautes. C'est ce que nous voulons éviter, tout en protégeant les droits des créateurs et de nos industries culturelles.
En plus de ces sanctions pénales, la loi met à la charge de l'abonné à Internet une obligation de surveillance de son accès, prévue à l'actuel article L. 335-12 du code de la propriété intellectuelle. L'abonné est ainsi tenu de veiller à ce que son accès ne fasse pas l'objet d'une utilisation méconnaissant les droits de propriété littéraire et artistique. Le manquement à cette obligation n'est toutefois assorti d'aucune conséquence pratique. Il faut sortir de cette situation, dans l'intérêt des internautes, qui risquent des poursuites pénales, et afin de rétablir l'équilibre, rompu dans les faits, entre deux droits fondamentaux : le droit de propriété des créateurs et des entreprises, d'une part, et le droit au respect de la vie privée des internautes, d'autre part.
La méthode choisie par le Gouvernement a consisté à rechercher un large consensus préalable entre les acteurs de la culture et ceux d'Internet. C'est le sens de la mission qui a été confiée en septembre 2007 à Denis Olivennes, alors président-directeur général de la FNAC. Cette mission a permis d'aboutir à un accord historique, signé au Palais de l'Élysée, le 23 novembre 2007, par quarante-six entreprises ou organisations représentatives de la culture et de l'Internet. Cet accord définit un plan d'action en deux volets.
Premièrement, l'accès à l'offre légale sera rendu plus facile, plus riche, plus souple.
D'une part, les maisons de production de disques se sont engagées à retirer des productions françaises les « verrous numériques », ces fameuses mesures techniques de protection, ou DRM – digital rights management –, qui empêchent la lecture d'un même titre sur plusieurs matériels, comme l'ordinateur, le baladeur, l'autoradio, ou encore la duplication à usage privé. En vertu de l'accord, les DRM devaient disparaître un an après la mise en oeuvre du présent projet de loi. Toutefois, le mouvement initié par ces travaux et par le débat au Sénat a conduit l'industrie musicale française à prendre ses responsabilités : elle a décidé, dans son ensemble, de mettre cet engagement en oeuvre avant la fin du premier trimestre 2009. Conjugué à la même décision prise par la plateforme iTunes, leader du marché, le mouvement des maisons de disques aboutit à une transformation complète, en quelques semaines, du paysage de l'offre légale de musique.
D'autre part, le délai d'accès aux films en DVD et par les services de vidéo à la demande – VoD –, que l'on appelle la « chronologie des médias », devait être abaissé de façon conséquente par un accord interprofessionnel. Je souhaite évidemment que cet engagement soit mis en oeuvre le plus tôt possible. J'ai lancé en décembre une consultation de la filière du cinéma, qui laisse apparaître une forte convergence des acteurs, pour ramener à quatre mois les délais applicables au DVD et à la VoD, au lieu de six mois et sept mois et demi respectivement. Il est en effet important que les consommateurs puissent percevoir sans tarder la contrepartie de l'approche plus responsable d'Internet que nous voulons promouvoir.
Deuxièmement, la lutte contre le piratage de masse doit changer entièrement de logique. La nouvelle approche sera préventive, graduée, et une éventuelle sanction ne passera plus nécessairement par le juge, même si elle demeure placée sous son contrôle.
La base juridique sur laquelle repose ce dispositif existe déjà : il s'agit de l'obligation de surveillance de l'accès Internet, mise à la charge de l'abonné. Le projet du Gouvernement vise en fait à préciser le contenu de cette obligation et à mettre en place un mécanisme de réponse en cas de manquement de la part de l'abonné. La forme de cette réponse sera, dans un premier temps, purement pédagogique puis, dans un second temps, transactionnelle, et elle pourra, enfin, déboucher éventuellement sur une sanction de nature administrative, prononcée par une autorité administrative indépendante.
Que se passera-t-il pour l'internaute qui aura piraté une oeuvre ? La première phase, celle de la constatation des faits, ne connaîtra guère de changement par rapport à la situation actuelle. Aujourd'hui, il appartient aux ayants droit de repérer les actes de contrefaçon sur Internet, par l'intermédiaire des agents assermentés des SPRD, les sociétés de perception et de répartition de droits, et de leurs organisations professionnelles. Ces structures utilisent des traitements automatisés collectant les références des ordinateurs pirates, en général leurs adresses IP. Ces traitements automatisés sont autorisés par la CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, alors même que les adresses collectées ne sont pas des données personnelles.
Sur la base des constats dressés par les agents assermentés, les ayants droit pourront saisir le juge pénal ou une autorité administrative indépendante, sur le fondement du manquement à l'obligation de surveillance de l'abonné. L'objectif du Gouvernement est que l'efficacité du mécanisme pédagogique et gradué, géré par l'autorité administrative, dissuade les ayants droit de recourir à la voie pénale. Cette autorité administrative indépendante sera l'ARMT, créée à l'initiative du Sénat en 2006, actuellement compétente pour veiller à l'interopérabilité des mesures techniques de protection et au respect de l'exception pour copie privée. Elle sera rebaptisée HADOPI, de façon à mieux refléter ses compétences. Elle aura par ailleurs un rôle d'observation et d'encouragement du développement de l'offre légale. La HADOPI ne pourra agir qu'à partir des constats dressés par les représentants des ayants droit ; elle ne disposera donc d'aucune faculté d'autosaisine, ni a fortiori d'aucune compétence de surveillance généralisée des réseaux de communication électronique.
La Haute Autorité enverra d'abord au pirate des messages d'avertissement pédagogiques, dénommés « recommandations ». Le formalisme de ces messages sera gradué : après un courrier électronique, elle fera usage d'une lettre remise contre signature, de façon à s'assurer que l'abonné a bien pris connaissance du comportement qui lui est reproché. Aucune sanction ne pourra être prise sans l'envoi préalable d'un avertissement sous cette forme. Une phase préventive personnalisée précédera donc d'éventuelles sanctions, ce que le droit ne permettait pas jusqu'à présent : la condamnation pénale peut actuellement intervenir à la première infraction, l'abonné victime de l'utilisation frauduleuse de son accès par un tiers ne recevant aucun signal d'alerte.
La visée pédagogique et préventive constitue le coeur du projet du Gouvernement. Des études réalisées en Grande-Bretagne et en France au printemps 2008 font ressortir que 70 % des internautes cesseraient de pirater dès le premier avertissement. De telles mesures ont été mises en oeuvre par les universités américaines à l'égard de leurs étudiants, avec un succès notable puisque le piratage a diminué de 90 %.
La HADOPI pourra ensuite, en cas de manquement répété de l'abonné, prendre à l'encontre de celui-ci une sanction administrative consistant en une suspension de l'accès Internet. Le Sénat a souhaité que cette suspension puisse être partielle ou prendre la forme d'une réduction du débit, le jour où l'état de l'art permettra de mettre en oeuvre de telles mesures tout en faisant complètement obstacle au piratage. La suspension de l'abonnement sera assortie de l'impossibilité de souscrire un autre contrat auprès de tout opérateur, de façon à éviter la migration des abonnés d'un FAI à un autre. Il est en effet important d'éviter que les prestataires qui joueront le jeu ne soient pénalisés au bénéfice de ceux ayant une pratique plus laxiste. La suspension de l'abonnement sera en principe d'une durée d'un mois à un an, mais la HADOPI pourra proposer une transaction à l'abonné : en s'engageant à ne pas renouveler son comportement, celui-ci pourra ramener la suspension à une durée comprise entre un mois et trois mois. Cette phase transactionnelle, qui instaure un dialogue entre la HADOPI et l'abonné, accentue encore l'aspect pédagogique du mécanisme.
Nous sommes conscients des difficultés que pourrait poser ce dispositif aux entreprises ou à d'autres collectivités, comme les universités. Le projet de loi prévoit donc des mesures alternatives à la suspension de l'accès. L'employeur sera invité par la HADOPI à installer des dispositifs de type « pare-feu » pour éviter le piratage par les salariés à partir des postes de l'entreprise. C'est d'ailleurs ce que font déjà de nombreuses universités dans le monde, notamment aux États-Unis.
Afin de garantir le respect des mesures de suspension, les FAI seront tenus de vérifier, à l'occasion de la conclusion de tout nouveau contrat, que leur cocontractant ne figure pas dans le répertoire des personnes dont l'abonnement a été suspendu. La HADOPI pourra décider de prendre des sanctions pécuniaires à l'encontre des FAI qui n'effectueraient pas de telles vérifications ou qui ne mettraient pas en oeuvre les mesures de suspension, l'idée étant toujours de protéger les prestataires qui « jouent le jeu ».
Toutes les sanctions – la suspension de l'abonnement Internet comme les sanctions pécuniaires contre les FAI – seront bien entendu susceptibles de recours devant le juge judiciaire.
Enfin, le projet de loi précise les conditions dans lesquelles le titulaire de l'accès à Internet pourra s'exonérer de sa responsabilité. À cette occasion, il encourage les abonnés à prendre les mesures nécessaires de sécurisation de leur poste.
Le Sénat a encore renforcé la dimension pédagogique du texte en prévoyant une sensibilisation des élèves et des enseignants, notamment dans le cadre du brevet informatique
Dans ce nouveau cadre, le recours direct au juge s'inscrira en complémentarité avec le dispositif administratif pour traiter le cas des pirates les plus « endurcis ».
Un débat assez vif s'est d'ores et déjà engagé devant les médias et dans la blogosphère. Certaines revendications, de part et d'autre, sont légitimes ; nous devons les prendre en compte. Plusieurs arguments, en revanche, me semblent tout à fait infondés.
D'abord, certains affirment que la future loi serait celle des majors, accrochées à la défense de « privilèges ». Passons sur l'assimilation des droits d'auteur à un privilège. Pour le reste, cet argument dénote une profonde méconnaissance de nos industries culturelles, où les PME occupent une place considérable, eu égard à l'offre culturelle comme aux centaines de milliers d'emplois concernés. Les PME représentent en France 99 % des entreprises de la filière musicale, plus de 40 % des emplois et plus de 20 % des parts de marché, ce qui est unique au monde. Or ces PME sont évidemment les entreprises les plus fragiles et les plus menacées par le piratage.
J'entends aussi que ce texte serait « liberticide ». Le dernier avatar de cette thèse prend la forme d'une interprétation abracadabrante d'un vote intervenu en octobre dernier au Parlement européen.
Que nous dit-on ? D'abord que la suspension envisagée de l'accès Internet violerait les libertés fondamentales. À supposer que disposer du web à domicile constitue un droit fondamental – ce que rien, dans le droit positif français ou européen, ne vient confirmer –, aucune liberté, pour être fondamentale, n'est pour autant absolue. Invoquer la liberté de communiquer pour violer les droits de propriété des créateurs revient à un abus de droit.
Ensuite, la HADOPI violerait la vie privée, elle serait préposée au fichage des internautes et à la surveillance des réseaux. Quel paradoxe ! Dans les pays, de plus en plus nombreux, qui pratiquent l'envoi de messages d'avertissement aux internautes – les États-Unis, la Norvège, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et bientôt l'Irlande –, cette politique se passe entièrement de l'intervention publique : elle est purement contractuelle et résulte d'accords entre les FAI et les ayants droit.
La particularité de l'approche française consiste justement à interposer entre les parties en présence – ayants droit, FAI, internautes – une autorité indépendante assurant la prévention du piratage tout en protégeant le secret de la vie privée. Seule la HADOPI pourra se procurer les données personnelles de l'abonné – nom et coordonnées – strictement nécessaires à l'envoi des messages d'avertissement. L'identité du pirate demeurera donc cachée aux ayants droit. La procédure sera ainsi plus protectrice de la vie privée que celle qui se déroule dans le prétoire du juge. J'ajoute que la commission interne à la HADOPI qui traitera les dossiers présentera toutes les garanties d'impartialité et d'indépendance : elle sera exclusivement composée de magistrats et disposera d'agents publics dont l'absence de liens avec les intérêts économiques en cause aura été vérifiée par des enquêtes préalables. Quant aux données nécessaires pour mettre en oeuvre le mécanisme de prévention, elles sont d'ores et déjà collectées par les créateurs et les entreprises culturelles pour mener leurs actions judiciaires ; aucune donnée nouvelle ne sera relevée pour mettre en oeuvre le mécanisme de « réponse graduée ».
Ce projet de loi a reçu le soutien massif de l'ensemble du monde de la culture et de la création, des entreprises du cinéma, de la musique, mais aussi de l'Internet. Les Français sont prêts à partager sa philosophie préventive et mesurée. L'agitation entretenue par quelques groupuscules ne reflète en rien la perception de nos citoyens, qui pensent qu'Internet n'est pas une zone de non-droit et que les grands principes de la vie en société, à savoir la légalité et la responsabilité, y ont bien cours, comme ailleurs. Ce projet est adapté à l'évolution d'Internet. Le piratage est en quelque sorte une maladie infantile de l'Internet, qui doit désormais passer à l'âge adulte.
Le texte est donc équilibré à tous égards. D'abord, la prévention du piratage constitue la condition même de l'amélioration de l'offre légale, à laquelle se sont engagées les industries culturelles. Ensuite, il concilie la garantie du droit de propriété – aujourd'hui dépourvu de toute effectivité et complètement bafoué – avec la protection de la vie privée des internautes. Enfin, il prévoit des mesures préventives et pédagogiques, adaptées au comportement souvent « ludique » auquel il s'agit de mettre fin.
Le Sénat a compris la philosophie de ce texte puisqu'il l'a adopté à l'unanimité, hormis le groupe communiste, qui s'est abstenu. C'est maintenant à l'Assemblée nationale qu'il appartient de faire en sorte que les consommateurs, les créateurs et les centaines de milliers de salariés des industries culturelles puissent tirer parti des fabuleuses opportunités, culturelles aussi bien qu'économiques, d'un Internet plus « civilisé ».
L'apparition sur Internet d'une nouvelle presse pose le problème des droits d'auteur des journalistes. Le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet n'est-il pas le texte idéal pour traiter cette question préoccupante, par le biais d'un amendement ? Sinon, votre réflexion vous conduira-t-elle à proposer un texte spécifique ?
Ce texte, madame la ministre, fait en effet suite à l'« accord de l'Élysée » signé par des acteurs de l'Internet, de la culture, de l'économie numérique et des télécommunications, rassemblés pour travailler sur le développement des offres légales et la lutte contre le téléchargement illégal. Il correspond parfaitement à cet accord en améliorant nettement la réponse apportée pour lutter contre le téléchargement illégal, laquelle ne sera plus uniquement d'ordre pénal mais essentiellement fondée sur la prévention et la pédagogie. Des recommandations répétées seront adressées avant toute sanction. En outre, les sanctions ne seront pas des peines d'amende ou d'emprisonnement puisque le panel ira de la suspension de l'abonnement à la modulation du débit d'accès, en passant par l'injonction de mettre en place des mesures de sécurisation.
Vous avez commandé un rapport au Conseil général des technologies de l'information (CGTI), pour évaluer la faisabilité technique de ces sanctions. Pourriez-vous nous en livrer la teneur ?
À quelle date la HADOPI sera-t-elle en mesure de mettre en oeuvre les dispositions de la loi ?
Pour 2009, elle devrait recevoir de 6 à 7 millions d'euros de crédits. À terme, quel sera son budget ?
Quel sera le volume d'e-mails et de lettres recommandées envoyés ?
L'une des contreparties majeures de l'« accord de l'Élysée » est le développement de l'offre égale. Vous avez souligné les efforts considérables accomplis par les maisons de disques et, plus largement, par la filière culturelle, pour lever les mesures anti-copies. Pourriez-vous nous en dire davantage à propos de la chronologie des médias ? Il est essentiel que celle-ci soit raccourcie pour que les internautes accèdent plus rapidement aux oeuvres cinématographiques sur Internet.
La commission des affaires culturelles s'est saisie pour avis de ce texte fondamental pour l'avenir de la culture et de la création. Il s'agit de défendre des valeurs qui nous sont chères : le respect dû aux artistes, qui nous ouvrent les portes des oeuvres de l'esprit et du coeur, ainsi qu'à leurs soutiens financiers, sans lesquels ils ne seraient plus là.
La défense du droit des auteurs et des titulaires de droits voisins doit constituer une priorité pour les parlementaires. L'économie de la création repose sur le droit de la propriété littéraire et artistique. La question des conditions de vie et de travail des créateurs et des artistes n'est pas nouvelle. Internet, pour les auteurs, les artistes, les structures de spectacle vivant et les industries produisant et diffusant les contenus, constitue aujourd'hui un formidable atout, par l'audience qu'il génère ; cependant, mal maîtrisé, il peut contribuer à fragiliser une économie qui cherche perpétuellement son équilibre.
Après avoir, dans des délais très courts – depuis la fin de la semaine dernière –, auditionné l'ensemble des acteurs concernés, je reste persuadée que ce texte, fruit d'un travail de concertation long et abouti ainsi que d'une réflexion concertée impliquant les organisations représentatives du monde de la culture, est un bon signal, pour nos concitoyens internautes comme pour le secteur.
Ce texte envoie un bon signal à nos concitoyens internautes car il fait oeuvre de pédagogie et dissuadera probablement la très grande majorité d'entre eux de pirater les contenus protégés, s'ils veulent pouvoir à l'avenir continuer de bénéficier de contenus divers et de qualité. Il envoie également un bon signal à l'ensemble de nos concitoyens car il s'accompagnera d'un développement important, nécessairement concerté, de l'offre légale en ligne. Il envoie enfin un bon signal au secteur de la création, car la mise en place d'une autorité indépendante, dotée de la personnalité morale, permettra de répondre rapidement et graduellement aux atteintes aux droits de la propriété intellectuelle constatées par les ayants droit. La prise de conscience que vous voulez susciter, madame la ministre, est essentielle pour l'efficacité du système.
Pourriez-vous nous rappeler où en est la réflexion des instances européennes à ce sujet, afin de nous rassurer sur la compatibilité de votre projet de loi avec le droit communautaire ?
Quels moyens seront mis à la disposition de la HADOPI pour lui permettre de remplir ses missions ?
De nombreux interlocuteurs, FAI ou ingénieurs, nous ont fait part d'éventuelles difficultés techniques à la mise en oeuvre des sanctions : impossibilité, en zone non dégroupée, d'interrompre l'accès à Internet sans couper le téléphone et la télévision ; incertitude quant à la compatibilité du lien entre l'adresse IP et l'abonné ; absence de prise en compte de nouvelles pratiques comme le cryptage des réseaux, le nomadisme, le 3G ou la Wi-Fi. Que pouvez-vous répondre aux détracteurs du projet de loi sur ce point ?
Un sujet me tient particulièrement à coeur : la création artistique sur Internet. Le développement massif d'une oeuvre légale, attractive, lisible et plurielle est un prérequis indispensable pour éviter les actes de piratage. Le projet de loi va-t-il suffisamment loin en la matière ? Le CNC, le Centre national de la cinématographie, n'a-t-il pas, autant que la HADOPI, un rôle à jouer, à tout le moins pour les oeuvres cinématographiques et audiovisuelles ?
Où en sont les accords interprofessionnels relatifs à la chronologie des médias ?
D'autre part – et le sujet avait suscité bien des polémiques en 2006 –, comment garantissez-vous l'interopérabilité, afin que les internautes puissent lire sur n'importe quel support les oeuvres téléchargées légalement ?
Ne pensez-vous pas qu'il convienne de stimuler le développement de nouveaux modèles économiques pour la diffusion de la culture sur Internet ? Nous sommes aujourd'hui à l'intersection de deux mondes : l'ancien, celui du papier et des CD, où les canaux de diffusion étaient limités ; le nouveau, celui du numérique et des réseaux, multicanaux par essence, où la création doit pouvoir s'épanouir, se développer, à travers de nouveaux modèles économiques, de nouveaux formats. Un crédit d'impôt en faveur des auteurs et des producteurs qui investissent ce nouveau monde et ces nouveaux formats ne stimulerait-il pas l'offre légale de culture sur Internet ? Si tel était le cas, hommage serait rendu à ceux qui prennent des risques en faveur des innovateurs ?
Ne convient-il pas d'obliger les FAI à mettre à disposition, parallèlement aux offres légales qu'ils développent eux-mêmes, les offres légales des autres distributeurs, lorsqu'elles comportent majoritairement des oeuvres françaises et européennes ? C'est le système du must carry.
Enfin, la HADOPI sera-t-elle équipée pour labelliser les sites d'offres légales ? Visitera-t-elle régulièrement les sites pour vérifier leurs contenus ?
Monsieur Kert, la question des droits d'auteur des journalistes a été évoquée lors des états généraux de la presse. Par ailleurs, une réflexion informelle organisée à ce sujet par le ministère a abouti à un Livre blanc dont les propositions sont assez satisfaisantes. Il s'agit de combler un vide juridique en sanctuarisant par la loi le principe de la cession des droits d'auteur, ce qui sécuriserait les éditeurs, tout en affirmant les droits des journalistes sur leur production, au-delà d'une certaine temporalité, qu'ils travaillent dans la presse papier ou dans la presse Internet. L'introduction de ces mesures dans le présent projet de loi n'aurait pas été dénuée de sens car la réflexion est assez avancée, mais je crois préférable de la poursuivre avant de trancher définitivement, afin de s'assurer que les mesures proposées recueillent un accord suffisant.
Monsieur Riester, l'« accord de l'Élysée » a en effet été signé par toutes les professions concernées, ce qui est très rare. Le nombre de signataires s'est d'ailleurs accru – ils sont maintenant quarante-sept – et nous ne les perdons pas en chemin, bien au contraire. Cet accord est donc exemplaire et vivant. Pour le web 2.0, une mission d'étude a été confiée au professeur Pierre Sirinelli afin de parvenir à un accord avec les ayants droit et de mettre en place des dispositifs de reconnaissance des contenus.
Nous espérons que la future HADOPI sera installée avant l'été. Nous partons d'une hypothèse de fonctionnement de 10 000 courriels d'avertissement par jour, 3 000 lettres recommandées d'avertissement par jour et 1 000 décisions par jour. Le budget à la charge de l'État s'élève à environ 6,7 millions d'euros dans la loi de finances pour 2009. Ce budget ne comprend évidemment ni les coûts de signalement des manquements, à la charge des ayants droit, estimés entre 2,8 et 3 millions d'euros, ni les coûts d'établissement par les FAI de la correspondance entre les adresses IP et l'identité des internautes, valorisée à un montant équivalent, dont la prise en charge sera examinée dans le cadre de la rédaction des décrets d'application.
Monsieur Riester, madame Marland-Militello, les FAI ont validé le principe de la suspension de la seule connexion Internet et nous ont plusieurs fois confirmé la faisabilité de la chose. D'après les experts du CGTI, les modalités techniques varieront en fonction de l'architecture de chaque réseau et les opérateurs devront s'adapter. Il n'y a donc pas de problème de faisabilité, mais un problème de délai et de coût pour effectuer ces adaptations se pose, et c'est un point sur lequel nous sommes très ouverts. S'il s'avérait difficile de suspendre un accès Internet sans toucher à la télévision et au téléphone, la HADOPI pourrait enjoindre à l'abonné d'installer un logiciel de protection, ou « pare-feu », comme il en existe dans de très nombreuses entreprises.
À propos de l'offre légale, l'évolution est nette. Pendant longtemps, les débats sur la suppression des DRM et sur la chronologie des médias n'ont pas progressé. Des efforts considérables ont maintenant été accomplis puisque tous les producteurs de musique et les deux principales plates-formes françaises se sont engagés à retirer les verrous numériques. La question des DRM est donc dépassée : d'ici au mois de mars, il n'y en aura plus. S'agissant du cinéma, la concertation avec le CNC a vraiment été encourageante et nous nous dirigeons vers un accord pour ramener à quatre mois le délai de distribution des DVD et de la VoD. Le changement sera très important pour le consommateur. Les décrets d'application devront bien sûr prévoir une modulation de cette durée, en fonction du succès des films et de leur durée d'exploitation en salle.
L'amendement n° 138 au « Paquet télécom », dit « amendement Bono », a suscité un grand débat relatif aux libertés fondamentales des internautes. Une suspension temporaire de l'accès à Internet ne saurait être considérée comme une atteinte aux libertés fondamentales car l'accès reste possible chez un voisin, un ami ou un cybercafé – alors que quiconque est privé de son permis de conduire ne peut plus du tout prendre le volant. Et le recours au juge reste de toute façon possible. Les FAI prennent au demeurant très souvent une telle sanction à l'encontre de leurs clients qui ne règlent pas leur abonnement, sans que cela provoque de réaction. La confusion était cependant préjudiciable et nous avons été très satisfaits que les vingt-sept États membres décident, à l'unanimité, lors du Conseil des ministres « Télécom », de retirer cet amendement n° 138.
De même, lors du Conseil des ministres « Culture et audiovisuel » de novembre dernier, les vingt-sept États membres ont approuvé la démarche française, à travers certains principes : l'importance du droit d'auteur, la méthode de la concertation et la possibilité d'expérimenter des mesures. Les internautes français piratent avec plus d'ardeur que ceux des autres pays car notre potentiel technologique est le plus avancé – l'ADSL est plus développée ici qu'ailleurs –, mais le problème touche toute l'Europe.
Le nomadisme est possible, comme la possibilité de crypter et de dissimuler son adresse IP, mais il existe aussi des contre-logiciels. Du reste, ce n'est pas parce qu'une cause à laquelle on croit – en l'espèce, la défense des droits d'auteur – est attaquée qu'il faut cesser de la défendre. Et notre objectif n'est pas d'éradiquer complètement le piratage, mais de le faire baisser très sensiblement car il suscite une inquiétude extrême dans les milieux culturels, notamment celui de la musique et celui du cinéma. Depuis un an, l'atmosphère a beaucoup changé dans nombre de PME, qui perdent leurs emplois et coulent.
La question du nomadisme rejoint celle des bornes Wi-Fi mises à disposition par certaines structures, collectivités locales, universités ou entreprises. La HADOPI pourra enjoindre à ces structures de prendre des mesures préventives pour éviter l'utilisation des bornes Wi-Fi sans aucun frein. C'est ainsi que le CGTI a préconisé la mise en place d'un portail blanc, n'ouvrant l'accès, à partir des bornes Wi-Fi, qu'à certains sites dont la liste serait établie en concertation avec toutes les parties.
Madame Marland-Militello, un crédit d'impôt pour les auteurs et les producteurs investissant dans de nouveaux formats pourrait en effet stimuler l'offre légale sur Internet. Je suis tout à fait favorable au principe, mais la création de nouveaux crédits d'impôt est actuellement assez compliquée et nécessite de grandes batailles – on l'a vu récemment au sujet des films étrangers tournés en France. Par ailleurs, le CNC s'attache à étendre à la VoD les dispositifs en vigueur d'aide à l'écriture, à la production et à la diffusion.
L'accès au marché des petits labels est certes difficile mais le must carry toucherait à la liberté du commerce et de l'industrie. Ce projet de loi constitue une première étape cruciale ; une fois adopté, il faudra examiner les moyens de renforcer la place des petits labels et de favoriser la rémunération des indépendants via des systèmes forfaitaires.
Nous avons l'impression de revivre le débat sur la loi DADVSI, adoptée il y a trois ans. M. Donnedieu de Vabres nous avait alors expliqué que son texte ferait émigrer massivement les internautes vers les sites de téléchargement payant. Force est de constater que son pari est perdu. L'entêtement du Gouvernement actuel montre que vous persistez dans l'erreur.
Ce projet de loi traduit un pari perdu d'avance car il présente bien des inconvénients.
Il fait planer des menaces sérieuses sur les libertés publiques et la vie privée – je vous renvoie à l'avis de la CNIL, selon laquelle il n'a pas trouvé le bon équilibre entre la protection du droit d'auteur et la protection de la vie privée.
L'article 2, consacré à la HADOPI, crée un véritable régime d'exception : il rompt le principe d'égalité devant la loi, il ignore le principe fondamental de présomption d'innocence, il néglige les droits de la défense les plus élémentaires.
Ce projet de loi a fait l'objet de beaucoup de critiques. Les avis des associations d'internautes et de consommateurs sont connus. J'ai évoqué la CNIL à l'instant, mais je pourrais tout autant citer l'ARCEP, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, qui met le doigt sur les difficultés évidentes d'application. Le rapporteur a fait référence à une note du CGTI, dont il serait utile que les parlementaires aient connaissance. Pour 2,5 à 3 millions de nos concitoyens, habitant dans des zones dégroupées, il sera impossible de suspendre l'abonnement à Internet sans couper la ligne téléphonique. Le Wi-Fi étant un modèle ouvert, des internautes seront incriminés par erreur et il leur incombera de prouver leur bonne foi.
Par ailleurs, ce projet de loi s'oppose au développement du haut débit et à l'entrée de la France dans l'ère numérique, pourtant réaffirmée par le Gouvernement dans son plan « France numérique 2012 ».
Au surplus, il présente l'inconvénient majeur de diviser nos concitoyens. Les socialistes sont historiquement attachés à la défense du droit d'auteur et à la juste rémunération des créateurs. Depuis deux siècles, le droit d'auteur a toujours été destiné à défendre les petits contre les gros, c'est-à-dire les auteurs et les créateurs isolés, à travers leurs sociétés de gestion et de perception, contre les producteurs et les diffuseurs de l'industrie culturelle. Le droit d'auteur, ce n'est pas la défense des créateurs contre leur public. Or votre projet de loi divise les Français en opposant systématiquement les créateurs aux internautes.
Enfin, le texte n'aide aucunement à l'émergence d'un modèle économique nouveau, rémunérateur pour la création. Vous établissez un lien étonnant entre la situation actuelle en matière de piratage et celle de l'offre légale, mais celle-ci pourrait très bien se développer aujourd'hui.
Votre réponse à propos de la chronologie des médias est un peu courte. Personne ne peut affirmer qu'elle sera prochainement ramenée à quatre mois ; on annonce toujours des accords qui ne sont finalement jamais signés.
De même, les mesures techniques de protection sont tombées timidement et progressivement ces derniers temps.
Bref, ce projet de loi est illusoire car il ne crée aucune rémunération nouvelle pour les créateurs. Nous regrettons cette occasion manquée, qui fait perdre encore beaucoup de temps. Par nos amendements, nous proposerons évidemment de réduire ses effets néfastes, mais nous émettrons aussi des propositions pour que soient justement rémunérés les créateurs, auteurs et artistes à l'ère numérique. Ce sera la contribution positive du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Comme vient de l'indiquer Patrick Bloche, on a l'impression d'assister à un remake des débats sur la loi DADVSI. La question était déjà de défendre les droits d'auteur et les droits voisins sur Internet, et je rappelle que nous avions bataillé contre les mesures proposées par le Gouvernement, qui consistaient essentiellement à instaurer les DRM, les mesures techniques de protection. Le Gouvernement nous avait alors expliqué qu'il s'agissait de la seule solution possible, et il avait même fait adopter un article tendant à assurer une protection pénale des DRM, en dépit du large débat qui s'était engagé sur la question des logiciels libres. Je rappelle enfin que certains députés favorables à la loi dans son ensemble s'étaient prononcés contre cette mesure en particulier.
Deux ans et demi plus tard, les DRM ne sont quasiment plus utilisés ni sur les plateformes de téléchargement, ni sur les CD, et cela pour une raison très simple : du fait de l'incompatibilité des formats, les utilisateurs qui achetaient un CD ne pouvaient pas l'écouter sur tous les types d'appareils, si bien qu'ils étaient quasiment incités au piratage. Lorsque nous avons exposé ces difficultés, le Gouvernement nous a répondu que nous n'avions rien compris. Or je constate que l'on s'achemine vers la suppression de ce dispositif.
Vous nous expliquez aujourd'hui que la solution est de suivre les oeuvres, et non les internautes. Votre prédécesseur, M. Donnedieu de Vabres, défendait déjà cette idée, qui se heurte à plusieurs difficultés : quand on compresse un fichier, la signature de départ disparaît, ce qui complique singulièrement le suivi des oeuvres ; d'autre part, il me semble contradictoire de pousser au développement du haut débit et de la Wi-Fi, tout en appelant au verrouillage d'Internet.
La suspension des abonnements pose en outre problème. Il est en effet difficile d'établir qui a réellement utilisé une connexion pour télécharger illégalement des fichiers. Des innocents risquent d'être condamnés, car aucune disposition n'est prévue dans le texte pour permettre au titulaire d'un abonnement de prouver sa bonne foi. Les usagers dont la connexion aurait été piratée ne disposeront d'aucun moyen de faire appel, si bien que des abonnements pourraient être suspendus de façon totalement injuste.
Par ailleurs, même s'il n'existe pas aujourd'hui de droit à disposer d'une connexion, Internet devient de plus en plus indispensable, notamment pour les gens qui travaillent ou qui cherchent un emploi. On pourrait même craindre que des salariés ne se retrouvent au chômage si leur connexion à Internet était suspendue pendant plusieurs mois. Chacun sait en effet que la pression des employeurs en faveur du travail à domicile ne cesse de s'accroître.
Lors des débats sur la loi DADVSI, j'avais proposé, au nom des Verts, que l'on instaure un prélèvement sur les fournisseurs d'accès. Nous souhaitions que ce prélèvement soit modulable, notamment en fonction du débit, et qu'il serve à rémunérer la création. Le Gouvernement avait d'abord jugé scandaleux que l'on exige une contribution des fournisseurs d'accès à Internet, mais il a ensuite instauré un tel prélèvement en vue d'assurer le financement de la loi sur l'audiovisuel, voulue par le Président de la République. Pour ma part, j'aurais préféré que cette nouvelle ressource soit employée au profit de la création et pour la rémunération des auteurs.
Le débat n'a guère avancé depuis 2005, ce qui est tout de même très fâcheux compte tenu des évolutions notables des usages culturels. Bien que le projet de loi tire enfin un trait sur les DRM, que votre prédécesseur défendait avec une ferveur quasi religieuse, on a l'impression que vous ne voulez pas tenir compte des évolutions de notre société. Or, depuis 2005, il y a encore plus de raisons de chercher à élaborer une nouvelle conception du droit d'auteur, adaptée à l'ère numérique.
De nombreuses prédictions sur lesquelles reposait la loi DADVSI, et qui demeurent au coeur du nouveau texte, ont en effet été battues en brèche. Pour s'en convaincre, il suffit de songer au partage des fichiers musicaux à des fins non lucratives et à la place qui revient désormais à la gratuité dans les échanges culturels : on peut aujourd'hui accéder gratuitement à l'essentiel du patrimoine musical, y compris dans des conditions qui peuvent passer pour légales à vos propres yeux. Certains sites permettent, par exemple, d'écouter des catalogues entiers sous forme de flux, autrement appelé streaming. C'est grâce à cela que j'ai pu écouter gratuitement – et légalement – le dernier album de Mme Carla Bruni-Sarkozy, que je n'avais pas reçu en cadeau, n'étant pas membre du Gouvernement.
Contrairement à ce qu'affirmait M. Olivennes dans son rapport, j'ajoute que la gratuité n'est pas le vol dans la civilisation numérique. C'est plutôt le désintérêt de la puissance publique pour la rémunération des créateurs qui pourrait conduire à les spolier. En tout cas, leur rémunération n'est contradictoire ni avec l'existence d'échanges non marchands, à but non lucratif, ni avec la mise à disposition gratuite de catalogues entiers de musique. Le développement des objets nomades, tels que des smartphones permettant l'accès à des fichiers en flux continu, pourrait même rendre obsolète la notion de téléchargement.
Pour toutes ces raisons, ce texte fleure l'archaïsme, au point qu'on pourrait croire qu'il a été écrit avant le déploiement de l'Internet. C'est sur ce terrain-là que nous nous battrons, alors même que nous mènerons également le combat sur celui des libertés, en vue de limiter les effets néfastes de ce texte, qui ont notamment été dénoncés par la CNIL.
Comme l'indique une note récemment publiée par le ministère des finances – vous voyez que je suis très éclectique dans mon usage des sources –, il existe à Paris des centaines de bornes Wi-Fi, qui permettront de continuer à télécharger gratuitement des fichiers musicaux. Pour cela, il suffira de se rendre chez McDonald. Ce texte repose donc sur une illusion sécuritaire.
Il a également le défaut de ne pas apporter un euro supplémentaire aux artistes et aux créateurs. Vous manquez en effet une double occasion : tout d'abord, il aurait fallu aborder enfin la question des droits des artistes et des créateurs à l'âge numérique, qu'il faut veiller à bien distinguer de ceux qui reviennent aux autres ayants droit, notamment les producteurs et les éditeurs – lesquels se rémunèrent parfois grassement sur leur dos ! C'est ce débat qu'il faudrait ouvrir, au lieu d'opposer les artistes aux internautes ! Un tel oubli ne peut que rendre votre texte furieusement ringard.
Vous faites ensuite l'impasse sur le développement de nouvelles modalités de rémunération des artistes, alors qu'elles sont tout à fait envisageables. Comme Martine Billard vient de nous l'expliquer, la filière musicale française aurait pu bénéficier des dizaines de millions d'euros qui sont allés financer la nouvelle « ORTF » que le pouvoir exécutif appelle de ses voeux.
Sur ces différents sujets, nous ferons des propositions pour que les artistes puissent vivre dignement en France.
Ce qui me frappe, c'est que ce projet de loi soit étrangement inféodé aux intérêts d'une industrie musicale dont l'archaïsme n'est plus à démontrer. Souvenons-nous de la loi DADVSI : vous aviez refusé d'engager le débat sur la rémunération de la création, préférant vous concentrer sur d'autres questions : comment réprimer les internautes ? Comment les pénaliser ?
Il en est résulté un fiasco monumental, et les auteurs et créateurs ont perdu trois ans. Il est vrai que c'était peut-être autant d'années gagnées pour les industries musicales, qui sont parvenues à survivre en serrant énergiquement leurs coffres-forts contre leur corps, comme si l'on pouvait se prémunir contre le mouvement du temps et contre les évolutions technologiques en s'en remettant au pouvoir de la répression.
C'était bien sûr un choix stupide, dont l'origine n'est pas étrangère au rapport commandé à M. Olivennes. Il était d'ailleurs bien curieux de confier au plus gros marchand de disques de notre pays le soin de mener une réflexion sur le numérique. Autant demander au chef des dealers d'organiser la répression contre la toxicomanie.
Il y a quelques années, votre prédécesseur nous avait expliqué que la protection des DRM et le traçage des oeuvres constituaient l'alpha et l'oméga de toute solution. Un article de la loi DADVSI est allé jusqu'à réprimer pénalement le contournement des verrous numériques. Or les acteurs économiques ont eux-mêmes abandonné les DRM, car ils se sont rendus compte de la stupidité et de l'inefficacité de cette mesure, qui présente également un danger pour les libertés individuelles.
Pour ma part, je ne parviens pas m'expliquer pourquoi vous persistez dans un tel archaïsme : compte tenu des évolutions technologiques, chacun sait que votre pari est perdu d'avance. Au lieu de relever le défi qui consisterait à inventer un nouveau modèle économique pour la rémunération de la création à l'âge numérique, vous ne songez qu'à la taille du gourdin avec lequel vous voudriez frapper les internautes. Par incompréhension de notre époque, vous commettez un gigantesque contresens.
Comme l'a indiqué Patrick Bloche, les débats à venir seront pour nous l'occasion de militer en faveur d'une meilleure rémunération des auteurs et des créateurs, malheureusement oubliés par votre texte ; nous lutterons ensuite pour les libertés publiques, en nous opposant à cette loi liberticide, qui repose sur un flicage généralisé de l'Internet que nous ne saurions accepter. J'ai d'ailleurs sursauté, madame la ministre, lorsque vous avez suggéré que les collectivités territoriales sélectionnent les sites accessibles par l'intermédiaire de leurs bornes Wi-Fi. Allez donc jusqu'au bout de votre démarche : pourquoi ne pas restreindre l'éventail du choix aux seuls sites du Gouvernement et de l'UMP ?
Étant la proie de tels errements, le Gouvernement en vient à proposer des mesures dépourvues de rapport avec la véritable question : comment inventer un nouveau modèle économique adapté à l'ère numérique ? Il est vrai que certains des acteurs actuels, campant sur des positions héritées de l'âge analogique, ne peuvent pas s'adapter. Mais un tel constat ne saurait justifier que le Gouvernement prenne la défense des plus forts contre les plus faibles. Ce serait un contresens !
Certains d'entre nous ont vécu ces moments épiques qu'ont été les débats sur la loi DAVDSI, dont le souvenir devrait nous inciter à une plus grande modestie : sans doute ne serions-nous pas tous très fiers si l'on rappelait les propos que nous avons alors tenus. Tout change très vite, et les solutions ne s'imposent pas nécessairement avec la force de l'évidence.
C'est précisément pour cette raison qu'il faudrait commencer, madame la ministre, par procéder à une évaluation de la loi DAVDSI. Les propositions du Gouvernement étaient certes sincères, mais il faut ouvrir le questionnement sur ce qui a marché et sur ce qui a échoué. Si l'on fait l'impasse sur cette question, notre approche ne peut qu'être boiteuse.
D'autre part, je m'interroge sur la cohérence entre ce nouveau texte et la LCEN, la loi pour la confiance dans l'économie numérique, qui est le fondement du droit de l'Internet en France. Il me semble que l'article 5 du texte qui nous est proposé est contraire à cette loi car il prévoit une irresponsabilité générale des hébergeurs et des FAI. Comment envisagez-vous de régler ce problème juridique?
J'en viens au volet répressif de la future loi, dont la présence ne nous choque pas en tant que telle. Des mesures de cette nature nous semblent en effet nécessaires, et elles ne doivent pas rester de vains mots. Cela étant, nous devrons débattre des propositions du Gouvernement, et nous efforcer de l'aider, s'il le faut, à faire les bons choix.
Dans un grand moment d'enthousiasme collectif, le groupe UMP s'était d'abord prononcé en faveur du téléchargement libre, laïque, gratuit et obligatoire, dans la nuit du 22 décembre 2005, puis nous avons appelé de nos voeux le développement de l'offre légale. Or celle-ci demeure le point faible du présent texte, qui n'y consacre qu'un court article, relatif à la chronologie des médias. Je rappelle que ce sujet n'a pas fait l'objet d'un accord à la date initialement prévue, ce qui est tout de même humiliant pour le Gouvernement.
J'ajoute que je ferais volontiers miens certains des propos tenus par nos collègues socialistes, ainsi que plusieurs questions posées par le rapporteur. Il me semble en particulier que le modèle économique actuel reste beaucoup trop onéreux : un titre coûte 0,99 euro, soit bien plus que la fourchette retenue par les spécialistes de la question – entre 0,15 et 0,18 euro. J'aimerais savoir ce que le Gouvernement compte entreprendre à ce propos.
Comme l'a rappelé Christian Paul, il faudrait également prendre en compte les évolutions qui ont eu lieu au cours des trois dernières années. Je pense en particulier à l'apparition de sites tels que deezer.com, qui permettent d'écouter toute la musique que l'on veut, sans priver les auteurs d'une rémunération. C'est une percée conceptuelle, qui nous offre un nouveau modèle économique, et pourtant certains ayants droit sont en train d'asphyxier ce site. Qu'entendez-vous faire pour qu'il puisse continuer à vivre ? Je trouve tout de même dommage que ce texte fasse l'impasse sur de tels sujets.
La question essentielle est de savoir quel modèle économique nous devons retenir pour favoriser l'essor d'une offre légale moins chère, plus facile à utiliser et plus complète. Les mesures proposées restent malheureusement d'une grande faiblesse, ce qui rend cette loi boiteuse, je le répète : en dépit des évolutions constatées au cours des trois dernières années, le Gouvernement reste concentré sur le seul volet pénal.
Au seuil du débat, qui promet d'être passionnant, j'ai deux questions à vous poser, madame la ministre : s'agissant de la chronologie des médias, que pouvez-vous faire pour parvenir à un accord – il y a urgence ? Que ferez-vous pour les sites de streaming, qui constituent un modèle économique intéressant ?
On peut effectivement avoir l'impression d'être projeté quelques années en arrière, juste avant Noël 2005.
Pour ma part, j'essaierai d'être plus modeste que nos collègues socialistes, qui passent leur temps à invoquer la nécessité de défendre les auteurs et les créateurs, sans proposer pour autant des solutions pérennes. Le Gouvernement s'efforce, au contraire, de proposer des réponses à des questions qui sont particulièrement difficiles. C'est un effort qu'il faut saluer.
Si je suis favorable à l'instauration de sanctions, c'est qu'elles me semblent indispensables. Il reste qu'elles ne doivent s'appliquer qu'en bout de course : il faut également effectuer tout un travail en amont, notamment en ce qui concerne la chronologie des médias. Tout s'accélère en effet : certains trimestriels deviennent des mensuels, des mensuels des hebdomadaires, et des hebdomadaires des quotidiens. Et pourtant, on a l'impression que la situation reste figée. Afin de proposer une solution alternative au piratage, il faut accélérer la chronologie des médias.
J'ajoute que les éditeurs de CD et de DVD devront réaliser des efforts considérables, faute de quoi l'internaute sera effectivement poussé au piratage. Les éditeurs doivent en prendre conscience. Grâce aux techniques qui se sont développées au cours des dernières années, on peut maintenant éditer des CD musicaux à des prix tout à fait raisonnables ; pourtant, les prix restent exorbitants.
Il existe tout de même un domaine dans lequel des progrès significatifs ont été réalisés depuis trois ans : nous bénéficions désormais du soutien de l'Union européenne, qui est nécessaire pour ce type de problèmes. En effet, les solutions franco-françaises ne peuvent pas fonctionner. Les problèmes de fiscalité doivent notamment être traités sur le plan européen, de même que la lutte contre le piratage. Les avancées qui ont été réalisées à cet égard me semblent donc essentielles.
Bien que je n'aie pas participé aux débats sur la loi DADSVI, je voudrais dire que ce texte a eu le mérite de poser les vraies questions, alors que nous n'en étions qu'au début du « tsunami ». La situation des industries culturelles s'est en effet considérablement dégradée. La loi DADVSI a en outre tenté d'apporter des réponses, et elle a contribué à faire évoluer les mentalités.
Toutefois, ce qui vous est aujourd'hui proposé ne s'inspire pas de la même philosophie, ne serait-ce qu'en raison du changement de point de départ : nous nous appuyons aujourd'hui sur des accords interprofessionnels. Des acteurs qui ne se parlaient pas à l'époque où la loi DADVSI a été adoptée sont en effet parvenus à s'entendre. Les accords ont ainsi été signés par quarante-sept entreprises ou organisations représentant le monde de la musique et du cinéma, les fournisseurs d'accès à Internet, les diffuseurs, la télévision et les sociétés d'auteurs.
La démarche retenue aura un effet pédagogique. Grâce à l'instauration de ce nouveau cadre juridique, la situation devrait évoluer d'elle-même: chacun saura clairement qu'une identification est possible, et des mises en garde seront adressées en cas d'abus.
S'il est vrai que les pratiques culturelles ont évolué, il me semble que c'est dans le sens d'une consommation souvent aveugle. Des quantités de jeunes téléchargent en effet des millions de choses sans avoir vraiment l'intention de les consulter. Nous souhaitons à l'inverse promouvoir de véritables choix.
Avec l'apparition de sites tels que deezer.com, on peut aujourd'hui commencer par écouter de la musique, avant de finir par acheter le CD lui-même. C'est une évolution notable, qui est favorisée par l'action d'éditeurs misant sur l'excellence de leur offre. Ils peuvent par exemple proposer des contenus supplémentaires, notamment des makings of.
Face aux pratiques actuelles, il est vrai qu'une simple réponse pénale ne pouvait pas suffire. Toutefois, le dispositif mis en place par la loi DADVSI ne disparaîtra pas pour autant : en cas de piratage massif, le recours au juge pénal restera possible. Le présent texte tend seulement à compléter notre réponse en l'adaptant au développement du « petit piratage », quasi inconscient, mais constant, et dont les effets sont également très graves. Je le répète : ce texte ne se substitue pas à la loi DADVSI : il la complète.
Au demeurant, il serait faux de croire que le pari est perdu d'avance. On constate en effet que les téléchargements diminuent partout où un système d'avertissement ou de suspension des abonnements existe, notamment aux États-Unis ou en Nouvelle-Zélande.
En Allemagne, l'embouteillage des tribunaux conduit les autorités à envisager une réponse pénale quasi automatique. Il me paraît tout à fait légitime d'expérimenter l'approche pédagogique que nous vous proposons.
L'avis rendu par la CNIL a été attentivement pris en compte par le Conseil d'État, auquel ce texte a été soumis. Le fait qu'une autorité administrative prononce des sanctions ne pose pas de problème juridique tant que la procédure est encadrée par la loi. Ce type de solution régit déjà l'action de l'Autorité des marchés financiers et s'applique également en matière d'infractions au code de la route.
Sans revenir dans le détail sur la question de la suspension de l'accès à Internet, je rappellerai qu'il ne s'agit pas d'une atteinte à une liberté fondamentale : on peut en effet se connecter en dehors de son domicile. D'autre part, la suspension des abonnements sera de courte durée, et elle n'interviendra qu'en dernier recours. Cette mesure est au surplus assortie de garanties relatives au respect de la vie privée, qui sont bien plus poussées que dans d'autres pays, où tout se passe directement entre les ayants droit et les fournisseurs d'accès. Les observations de la CNIL ont donc été prises en compte, et nous ferons de même quand il s'agira de rédiger les décrets d'application.
En ce qui concerne les recommandations formulées par l'ARCEP, nous veillerons naturellement à ce qu'un délai raisonnable soit respecté avant l'application des sanctions, afin que les opérateurs puissent procéder aux adaptations des réseaux qui s'imposeraient.
S'agissant de la Wi-Fi, je répète que l'on pourra enjoindre aux personnes morales, universités ou collectivités territoriales, par exemple, de sécuriser l'accès à Internet, sans qu'une liste excessivement restreinte des sites autorisés soit dressée pour autant. Il est en effet possible de dresser un très large panel de sites, correspondant aux besoins des populations concernées, en veillant toutefois à interdire tout acte de piratage. Cela étant, je suis bien consciente que ce n'est pas nécessairement dans un jardin public que l'on ira s'installer pour se livrer à du piratage.
Quant à la Wi-Fi des particuliers, je rappelle qu'il est aisé de la sécuriser.
En matière économique, j'ai plutôt l'impression que cette loi favorisera l'essor d'un modèle nouveau en favorisant l'offre légale. En effet, comment les éditeurs pourraient-ils consacrer des efforts dans ce domaine si leur chiffre d'affaires s'effondre à cause du piratage ? Des investissements considérables sont nécessaires. D'autre part, on constate que l'offre légale n'a pas cessé de croître depuis deux ans, dans la perspective de l'adoption de ce texte. Le modèle économique que nous sommes en train d'adopter est tout sauf « ringard ».
Je rappelle également que les maisons de disques ont réalisé un geste d'ouverture très important en supprimant les DRM. L'interopérabilité permettra d'écouter de la musique sur différents supports, ce qui devrait rendre plus intéressante l'offre légale.
J'ai déjà répondu aux questions concernant le cryptage : on peut toujours inventer de nouveaux procédés pour contourner la loi, mais on peut également mettre au point de nouveaux contre-logiciels. De toute façon, nous ne visons pas un taux de réussite de 100 %, notre objectif étant de réduire significativement le piratage.
J'en viens aux sanctions encourues par l'abonné. Celui-ci encourt certes une responsabilité dans le cadre de son abonnement, cela va de soi, mais la sanction ne sera pas immédiate : il faudra au préalable qu'il reçoive une lettre recommandée, ce qui garantit qu'il sera conscient du problème de téléchargement. À cet égard, on n'est jamais certain qu'un mail parvienne à son destinataire, mais ce n'est pas le cas d'une lettre recommandée. L'abonné pourra donc prendre les mesures nécessaires si le téléchargement est en réalité le fait d'un tiers, par exemple de ses enfants.
Pour reprendre la comparaison avec le code de la route, il me paraît beaucoup plus grave d'être privé de son permis de conduire à la suite d'une infraction que de subir une suspension temporaire de son abonnement à Internet. Je précise également que l'usager pourra dialoguer avec la Haute Autorité, puis exercer un recours devant le juge.
L'usager sera en mesure d'établir sa bonne foi pendant la phase contractuelle s'il peut prouver, par exemple, qu'il n'était pas chez lui au moment des faits.
Quant à la proposition d'instaurer une licence globale, le problème n'a pas changé : il s'agit toujours d'un mécanisme d'expropriation des droits, dont on ne sait pas comment rémunérer le titulaire. J'ajoute que l'introduction d'un tel système aurait pour effet de décourager les éditeurs qui souhaiteraient développer l'offre légale.
Toutefois, je n'ai strictement rien contre les exemples de gratuité qui ont été évoqués, notamment le site deezer.com, à partir du moment où le modèle retenu permet la rémunération des ayants droit, de quelque façon que ce soit. Je peux d'ailleurs vous dire que M. Benassaya, l'un des dirigeants de deezer, est très favorable à ce texte. Je m'en suis aperçue en discutant avec lui lors du MIDEM. Le site, qui repose sur la technique du streaming, ne permet pas le téléchargement des oeuvres, et une rémunération est versée aux ayants droit grâce aux recettes publicitaires. Il est de plus tout à fait possible de savoir qui est écouté.
Mais la répartition existe. Comme je l'indiquais tout à l'heure à Mme la rapporteure pour avis, nous allons réfléchir, dans un second temps, à une meilleure rémunération des petits labels. Je répète toutefois que nous ne nous plaçons pas dans une logique d'expropriation des droits, laquelle est par ailleurs étrangère, dans son principe, au système des forfaits. Ceux-ci permettent en effet le téléchargement d'un certain nombre de titres en application d'accords conclus avec les sociétés d'auteurs.
M. Didier Mathus a parlé de M. Olivennes. Oserai-je lui rappeler que la FNAC réalise une plus grande part de son activité avec la vente d'ordinateurs qu'avec la vente de musique. Loin de représenter le secteur du disque, M. Olivennes était plutôt de l'autre côté du miroir.
À l'intention de M. Dionis du Séjour, je précise que ce texte ne contredit pas la LCEN. Seules seront modifiées les dispositions relatives aux responsabilités des hébergeurs, qui pourront recevoir l'injonction de mettre fin à l'hébergement de sites pirates localisés à l'étranger.
S'agissant de la chronologie des médias, je rappelle que de grands progrès ont déjà été réalisés. Le nombre des titres musicaux disponibles dans le cadre de l'offre légale s'est considérablement accru, de même que celui des films – on en compte aujourd'hui 3 200. Nous avons donc bien progressé, même si la question reste difficile : les exploitants sont en effet angoissés à l'idée que les oeuvres leur échappent. En application de la loi, telle qu'elle a été adoptée par le Sénat, nous avons prévu qu'un délai minimal de quatre mois avant toute vente ou location des oeuvres cinématographique pour l'usage privé serait fixé par décret avant le 31 mars prochain. Ce délai pourrait être réduit, avec l'accord de toutes les parties intéressées, si le film n'a fait qu'un passage fugitif dans les salles ; il pourrait en revanche être allongé pour les films remportant un grand succès.
En matière de prix, je reconnais qu'un problème global se pose. Toutefois, la question me semble indissociable de la TVA applicable aux biens culturels. Il y a aujourd'hui une très forte mobilisation en faveur de la réduction de son taux, car tout le monde y gagnerait.
J'ajoute, en dernier lieu, que je partage l'idée que la défense du droit d'auteur est un vrai sujet européen. Je me réjouis d'avoir pu inscrire cette question à l'ordre du jour de la présidence française de l'Union européenne, car cela a permis de faire évoluer les esprits.
L'audition s'achève à dix-huit heures et la séance est suspendue brièvement.
La séance est reprise à 18 h 5.
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président
La Commission examine, sur le rapport de Mme George Pau-Langevin, la proposition de loi de Mme George Pau-Langevin visant à lutter contre les discriminations liées à l'origine, réelle ou supposée (n° 1305).
Le groupe Socialiste, Radical et Citoyen a décidé d'inscrire à sa séance d'initiative parlementaire du 19 février prochain une proposition de loi visant à lutter contre les discriminations liées à l'origine, réelle ou supposée. Ce texte est issu des conclusions du groupe de travail interne au groupe SRC, constitué à la suite de la censure par le Conseil constitutionnel en novembre 2007 de l'article de la loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile qui légalisait les statistiques dites « ethniques ». Le débat d'alors sous-estimait l'ampleur des phénomènes discriminatoires. Nous sommes convaincus qu'il faut mieux connaître les discriminations pour mieux les combattre. C'est pourquoi le groupe de travail, que j'ai animé avec M. Christophe Caresche, a entendu de nombreuses personnes et mené une réflexion approfondie sur les contours de la politique publique devant être menée en matière de lutte contre les discriminations, élaborant 50 propositions, dont certaines, de nature législative, font l'objet de la présente proposition de loi.
Malgré les nombreuses lois qui ont renforcé notre arsenal répressif – songeons notamment à la loi de novembre 2001 qui a inversé la charge de la preuve dans le code du travail – les réalités restent préoccupantes, aussi bien en matière d'emploi que de logement. La proposition de loi vise donc à renforcer dans ses multiples composantes notre législation en matière de lutte contre les discriminations liées à l'origine et à apporter les garanties nécessaires pour l'évaluation de celles-ci. Elle comporte un ensemble de solutions concrètes pour faire avancer la cause de la lutte contre les discriminations, dans une démarche certes modeste, mais résolument pragmatique.
Premier thème : les marchés publics. L'article premier vise à intégrer dans les critères d'attribution des marchés publics la politique de lutte contre les discriminations menée par les entreprises candidates. Il s'agit d'inciter les entreprises à mener une action claire en la matière en les frappant sur leur chiffre d'affaires. Une telle disposition a d'ailleurs reçu le soutien du Cercle des jeunes entrepreneurs entendu par le groupe de travail interne au groupe SRC. L'article 2 prévoit quant à lui l'application d'une peine complémentaire d'exclusion des marchés publics pour les personnes morales condamnées pour discrimination. Cette peine, qui existe déjà, n'est en effet jamais appliquée.
Deuxième thème : les relations professionnelles au sein des entreprises. L'article 3 de la proposition de loi inscrit « la lutte contre les discriminations » dans les informations devant figurer au bilan social établi par l'employeur et soumis annuellement au comité d'entreprise dans les entreprises de trois cents salariés et plus. Les articles 4 et 5 visent parallèlement à accroître l'information dont doit bénéficier le comité d'entreprise en matière de lutte contre les discriminations, pour prévoir que les « actions menées en faveur de l'égalité des chances et de traitement dans l'entreprise » devront désormais faire partie du rapport remis au comité d'entreprise chaque année par l'employeur.
Troisième thème : le renforcement de l'action des associations. Par leurs revendications, certaines associations de défense des droits de l'homme ont fait progresser, en suscitant une prise de conscience, la lutte contre les différentes formes de discriminations. C'est pourquoi deux articles de la proposition de loi visent à renforcer leur action en ouvrant aux associations constituées depuis seulement trois ans (contre cinq aujourd'hui) ou habilitées par la HALDE le droit d'ester en justice contre les discriminations dans l'emploi.
Quatrième thème : le renforcement de la transparence dans l'attribution du logement social. L'article 6 de la proposition de loi prévoit qu'à titre expérimental et pour une durée limitée à deux ans, l'attribution des logements par les organismes HLM pourra se faire à partir de dossiers rendus anonymes. L'efficacité de ce dispositif dans la lutte contre les discriminations devra ensuite faire l'objet d'une évaluation en vue de son éventuelle généralisation. Trop de familles d'origine étrangère se voient systématiquement refuser un logement social. Il faut que notre pays prenne conscience du fait que la paix sociale est menacée si une partie de la population a le sentiment que le droit au logement social ne lui est pas reconnu en raison d'une couleur de peau ou d'un patronyme de consonance étrangère. Cette expérimentation leur donnera une chance d'accéder enfin au logement social. La proposition de loi fait par ailleurs obligation aux municipalités bénéficiant de conventions de réservation de logements sociaux de mettre en place une commission pluraliste de désignation et de rendre publics les critères retenus pour le choix des demandes de logement présentées aux organismes HLM.
Cinquième thème : l'égal accès de tous à l'enseignement supérieur. C'est un sujet crucial : si les minorités visibles dans notre pays n'ont pas accès à l'enseignement supérieur elles ne constitueront jamais les élites de notre société qui continueront de se perpétuer sur le même modèle. Lors de son audition, M. Richard Descoing, directeur de l'Institut d'Études politiques de Paris a exposé l'exemple concluant des conventions d'éducations prioritaires qu'il a mises en place en 2001. Suivant ce modèle, l'article 10 de la proposition de loi instaure au profit des meilleurs élèves de chaque lycée de France un droit d'accès aux classes préparatoires aux grandes écoles et aux premières années des établissements qui sélectionnent à l'entrée.
Sixième thème : le renforcement des prérogatives de la HALDE. La proposition de loi prévoit notamment que la haute autorité se dote de délégués régionaux. Le budget de la HALDE reste trop modeste pour que son action ait le retentissement qu'elle mérite. Elle s'est d'ailleurs dotée de correspondants locaux bénévoles, mais je ne pense pas que ceux-ci soient à même de réaliser la même tâche que des délégués régionaux dédiés à cette mission.
Septième thème :la représentation de l'opposition parlementaire à la CNIL. Nous pensons que l'opposition doit être représentée au sein du collège de la CNIL, composé de dix-sept commissaires dont deux sénateurs et deux députés. Du fait de l'importance des missions confiées à la CNIL, la majorité et l'opposition parlementaire doivent y être représentées à parité. Tel est l'objet de l'article 18 de la proposition de loi.
Dernier thème : le renforcement des outils de connaissance des discriminations. La décision du Conseil constitutionnel du 15 novembre 2007 a posé de manière abrupte la question de l'outil au service de la connaissance et de la preuve des discriminations. Le groupe SRC a souhaité avancer sur le terrain de la connaissance et de l'évaluation des discriminations en autorisant des études approfondies dans le respect des limites fixées par le Conseil constitutionnel.
L'article 16 de notre texte reprend les termes des commentaires aux Cahiers du Conseil Constitutionnel qui ont précisé le sens de la décision du 15 novembre 2007 (utilisation de données objectives, tel le patronyme ou la nationalité, mais aussi subjectives, tel le « ressenti d'appartenance »). Les enquêtes relatives à la discrimination devront s'accompagner en outre de nombreuses garanties : les réponses doivent être facultatives ; les enquêtes réalisées sur un mode auto-déclaratif, à partir de questions ouvertes ; la présentation des résultats du traitement de données ne doit en aucun cas permettre l'identification directe ou indirecte des personnes concernées ; aucun fichage de la population à partir de ces résultats ne doit être possible ; aucun référentiel ethnoracial ne doit pouvoir être constitué ; l'autorisation de la CNIL – et non une simple déclaration auprès d'elle – sera nécessaire.
Mes chers collègues, je vous invite vivement à adopter cette proposition de loi. Elle propose sur un sujet difficile, qui constitue un enjeu majeur pour notre société, des avancées concrètes, très largement attendues par les personnes que nous avons entendues.
Les questions de discrimination font l'objet d'un débat depuis longtemps. Le moment est venu que ce débat se concrétise. De nombreuses initiatives, notamment de la part du Président de la République, ont été prises récemment sur ce sujet. C'est le cas du rapport qu'il a commandé à Mme Simone Veil sur le préambule de la Constitution, qui définit le cadre constitutionnel dans lequel il est possible d'agir, sans qu'il soit besoin de modifier ce préambule.
C'est à partir de ces éléments qu'a été élaborée cette proposition de loi, dans le respect de nos principes et du cadre républicain. Son objectif est de combattre le plus efficacement possible les discriminations, dont l'importance aujourd'hui, notamment au travail, est incontestable.
Tout en ayant conscience que le Gouvernement travaille actuellement sur ce sujet des discriminations, je considère que notre commission a aujourd'hui le choix entre deux solutions : soit elle souhaite attendre que les travaux engagés par le Gouvernement aboutissent pour se prononcer, soit elle souhaite dès aujourd'hui voter certains des articles de cette proposition de loi, pour montrer que la représentation nationale est capable de se regrouper sur ce sujet et de lutter efficacement contre les dicriminations.
Sur la question des statistiques, je souhaite faire remarquer que la proposition de loi se contente d'inscrire dans la loi la décision du Conseil constitutionnel, ainsi que les éléments résultant de son commentaire aux cahiers du Conseil constitutionnel. Cette décision et son commentaire indiquent clairement que les statistiques peuvent porter sur des critères objectifs, mais aussi sur certains critères subjectifs tels que le « ressenti d'appartenance ». Cette inscription dans la loi de la jurisprudence constitutionnelle permettra aux chercheurs de travailler sur ces questions.
Je souhaite tout d'abord remercier les auteurs de cette proposition de loi de nous amener à nous pencher sur ce sujet important, qui constitue un enjeu de justice sociale et de cohésion nationale. Le 17 décembre dernier, le Président de la République a déclaré à l'École polytechnique à Palaiseau que « l'égalité des chances doit cesser d'être théorique pour devenir réelle » et a désigné M. Yazid Sabeg « commissaire à la diversité et à l'égalité des chances », chargé de préparer avec le Gouvernement un « plan d'action » sur le sujet d'ici au mois de mars 2009.
Cependant, j'éprouve trois regrets au sujet de cette proposition de loi. Tout d'abord, je regrette que ses auteurs aient choisi de ne pas attendre la remise par M. Yazid Sabeg de ses conclusions. Ensuite, je considère que la lutte contre les discriminations doit s'inscrire dans le cadre d'un plan plus global. Enfin, la proposition de loi soulève de réels problèmes rédactionnels et juridiques.
Article 1er (art. 53 du code des marchés publics) : Intégration dans les critères d'attribution des marchés publics de la politique des entreprises contre les discriminations :
Le code des marchés publics étant entièrement règlementaire, je suis défavorable à cet article.
La Commission rejette cet article.
Article 2 (art. 225-2 du code pénal) : Exclusion des marchés publics des entreprises condamnées pour discrimination :
Cet article introduit dans un article du code pénal une peine complémentaire tendant à l'exclusion des marchés publics pour les personnes morales condamnées pour des faits de discrimination ; or cette peine est déjà prévue par un des articles suivants. Je suis donc défavorable à cet article, qui conduit à prévoir, dans deux articles différents, la même peine pour la même infraction.
Le fait que cette peine n'ait jamais été prononcée démontre que cette disposition est mal rédigée et inconnue des magistrats.
Le fait que cette peine ne soit pas prononcée révèle plutôt qu'elle est généralement jugée disproportionnée par les juridictions.
La Commission rejette cet article.
Article 3 (art. L. 2323-70 du code du travail) : Inscription d'une information sur la lutte contre les discriminations au bilan social de l'entreprise :
La Commission est saisie d'un amendement de M. Sébastion Huyghe tendant à rendre facultative la mention des actions entreprises en faveur de la lutte contre les discriminations dans le bilan social de l'entreprise.
Cet amendement a pour objectif de rendre l'article 3 plus précis, en remplaçant les termes flous de « lutte contre les discriminations » par ceux « promotion de la diversité » et de « prévention des discriminations ». Il vise également à rendre la disposition plus positive, en permettant, et non en imposant, aux entreprises menant une politique volontariste en matière de prévention des discriminations d'en faire état dans le bilan social annuel qu'elles établissent. Cette disposition sera de nature à inciter les entreprises à s'engager résolument dans la prévention des discriminations.
La rapporteure ayant donné un avis favorable à cet amendement, la Commission l'adopte, puis adopte l'article 3 ainsi modifié.
Articles 4 et 5 (art. L. 2323-47 et L. 2323-56 du code du travail) : Information annuelle du comité d'entreprise :
La Commission est saisie d'un amendement à l'article 5 de M. Sébastien Huyghe tendant à rendre facultative la mention des actions entreprises en faveur de la lutte contre les discriminations dans le rapport annuel remis au comité d'entreprise.
Pour les raisons indiquées précédemment sur l'article 3, je suis défavorable à l'article 4. Quant à l'amendement que je présente sur l'article 5, il a la même philosophie que celui adopté à l'article 3.
A titre personnel, je suis également défavorable à l'article 4 qui concerne des entreprises de taille moyenne.
La Commission rejette l'article 4. Puis, après avoir adopté l'amendement de M. Sébastien Huyghe à l'article 5, elle adopte cet article ainsi modifié.
Article 6 (art. L. 441 du code de la construction et de l'habitation) : Expérimentation de l'attribution de logements sociaux sur dossiers anonymes :
La rédaction de cet article pose deux difficultés. Tout d'abord, il instaure une expérimentation d'une durée de deux ans sans préciser la date à partir de laquelle court ce délai de deux ans. Ensuite, il est rédigé dans des termes trop vagues. Pour ces deux raisons, je suis défavorable à cet article.
La Commission rejette cet article.
Article 7 (art. L. 441-1 du code de la construction et de l'habitation) : Mise en place de commissions pluralistes de désignation par les communes en matière d'attribution de logements sociaux :
La Commission rejette cet article.
Article 8 (art. L. 2511-20 du code général des collectivités territoriales) : Mise en place de commissions pluralistes de désignation par les communes de Paris, Lyon et Marseille en matière d'attribution de logements sociaux :
La Commission rejette cet article.
Article 9 (art. L. 1134-3 du code du travail) : Élargissement du droit des associations à ester en justice contre les discriminations :
Notre droit réserve, d'une manière générale, aux seules associations constituées depuis au moins cinq ans le droit d'ester en justice au nom des causes qu'elles défendent. Une telle durée est la nécessaire contrepartie à la liberté totale d'association qui prévaut dans notre pays. Je souhaite que nous en restions à ce principe général.
Pourtant, une directive européenne prévoit le contraire. Souhaitez-vous attendre d'être sanctionné par les juridictions européennes ?
La Commission rejette cet article.
Article 10 (art. L. 612-3 du code de l'éducation) : Amélioration de l'accessibilité à l'enseignement supérieur :
La Commission rejette cet article, la rapporteure le regrettant en soulignant que M. Richard Descoings a fait part de son intérêt pour le dispositif mis en place par cet article.
Article 11 (art. 2 de la loi du 30 décembre 2004) : Instauration de délégués régionaux de la HALDE :
La présence de délégués de la HALDE dans les différentes régions ne devra pas, en tout état de cause, se faire à budget constant.
Les correspondants bénévoles n'ont pas toujours le temps et les moyens nécessaires d'exercer pleinement leur action.
Peut-être que mentionner des « correspondants » et non des « délégués » de la HALDE permettrait à cette dernière d'avoir plus de souplesse pour s'organiser.
Le texte de la proposition impose qu'un délégué soit désigné dans chaque région administrative. J'ajoute que je ne regrette pas d'avoir déposé un amendement sur les crédits de la HALDE à l'occasion du débat sur le projet de loi de finances pour 2009. Contrairement à ce que certains affirment, les crédits de la HALDE sont stabilisés et non pas réduits. Enfin, je souligne que les bénévoles peuvent accomplir un travail remarquable. Il ne faut donc pas que l'instauration de délégués régionaux de la HALDE soit un prétexte à l'augmentation de son budget.
La question financière n'est pas anodine : un correspondant unique pour les Antilles et la Guyane peut coûter plus cher qu'un représentant dans chacun des trois départements concernés, si ce correspondant doit fréquemment prendre l'avion pour se déplacer…
Il ne faut peut-être pas imposer un délégué dans toutes les régions, mais plutôt permettre à la HALDE de concentrer son action là où elle la juge la plus utile.
Je suggère donc de prévoir que la HALDE « peut » être représentée par un représentant régional.
La Commission est saisie d'un amendement de M. Jean-Pierre Schosteck prévoyant que la désignation de délégués de la HALDE dans chaque région est facultative.
La Commission adopte cet amendement et l'article 11 ainsi modifié.
Article 12 (art. 2 de la loi du 30 décembre 2004) : Publicité des débats devant la HALDE :
Cet article précise que le collège de la HALDE « statue publiquement ». Je considère que le terme « statue » n'est pas assez précis, puisqu'il mélange délibération et décision ainsi que les différents types de décisions que peut prendre le collège. De plus, la rédaction proposée fera obstacle aux possibilités de transaction pénale et de médiation devant la HALDE.
La CNIL peut décider la publicité d'une sanction. Il est préférable que la HALDE puisse choisir de rendre publique sa décision. La publicité est, en soi, une sanction.
Il ne s'agit pas de supprimer la distinction entre la délibération de la HALDE et le recours à la médiation. La proposition de loi vise à rendre publiques les décisions. Par ailleurs, il est parfois trop commode pour les entreprises fautives de transiger. En effet, le caractère non public de la transaction empêche que leur cas serve d'exemple.
Même si aucune amende n'est infligée, le seul fait de rendre publique l'information selon laquelle une entreprise pratique la discrimination nuit à son image. Il faut que la HALDE ait le choix de rendre publiques ou non ses décisions.
La Commission rejette l'article 12.
Article 13 (art. 4 de la loi du 30 décembre 2004) : Élargissement des modalités de saisine de la HALDE par des associations :
Cet article vise à élargir les modalités de saisine par les associations, à l'image de l'article 9. J'observe que la HALDE dispose du droit de s'autosaisir de toute affaire, y compris si des informations étaient portées à sa connaissance par une jeune association. En outre, la HALDE pourrait désormais habiliter elle-même les associations susceptibles de la saisir de faits de discrimination…
La Commission rejette l'article 13.
Article 14 (art 5 de la loi du 30 décembre 2004) : Élargissement des prérogatives de la HALDE en matière de demandes d'explications :
La Commission rejette l'article 14.
Article 15 (art. 9-1 (nouveau) de la loi du 30 décembre 2004) : Institution d'un délit d'entrave devant la HALDE :
L'idée portée par cet article est intéressante. Elle méritera d'être creusée à l'occasion de l'examen d'un prochain texte d'ensemble sur les discriminations.
Je n'ai pas d'objection de fond, mais je crois qu'il faut que cette idée soit approfondie.
La Commission rejette l'article 15.
Articles 16 et 17 (art. 8 et 25 de la loi du 6 janvier 1978) : Instauration d'un outil de connaissance des discriminations :
La Commission est saisie de deux amendements de la rapporteure, le premier tendant à supprimer le recueil du « consentement exprès » des personnes interrogées et le second permettant le recueil d'un avis d'un comité consultatif scientifique.
Lors des auditions, une objection a été soulevée contre la rédaction proposée. En effet, exiger le consentement exprès de la personne interrogée implique de lui demander de signer un document, ce qui risque de la faire douter du caractère anonyme de l'enquête. Il convient donc de supprimer cette précision, tout en maintenant l'exigence du consentement.
La disposition de la loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, qui autorisait les statistiques dites « ethniques », qui a été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 novembre 2007, était issue d'un amendement que j'avais déposé avec Mme Michèle Tabarot. Il avait été « ciselé » par les services de la CNIL, après des travaux de l'INED. Manuel Valls était d'ailleurs favorable à ce dispositif. Cette question est particulièrement délicate. Il me semble plus sage d'attendre que soient connus les résultats des travaux demandés par le Président de la République.
Le Conseil constitutionnel s'est prononcé : une jurisprudence existe donc. Je ne comprends pas ce que le Président de la République attend de ce groupe de travail. En effet, il n'y a que deux solutions possibles : le statu quo ou bien la rédaction proposée, qui s'inspire d'un commentaire publié aux Cahiers du Conseil constitutionnel.
L'amendement que nous avions proposé faisait suite à des travaux d'expertise approfondis. Des propos plus que désagréables ont alors été entendus en séance publique. Le Président de la République souhaite simplement que les acteurs concernés puissent s'exprimer avant que la législation n'évolue.
Cet amendement était un cavalier législatif et je ne comprends pas que l'on reproche à l'opposition d'avoir saisi le Conseil constitutionnel puisque cette saisine a permis de clarifier le droit. D'ailleurs, la mise en oeuvre de l'exception d'inconstitutionnalité rendra caduc ce débat. L'avis de la CNIL sur l'enquête « TéO » reprend les termes de la décision du Conseil constitutionnel.
Nous étions contre cet amendement pour des raisons de fond. J'observe que l'attribution des « labels diversité » va être confiée à M. Éric Besson, ministre en charge de l'Immigration. Il s'agit là aussi d'une erreur politique de fond.
C'est le lien avec l'immigration qui vous gêne ? Je vous rappelle que M. Éric Besson n'est pas seulement ministre de l'Immigration…
La Commission rejette les deux amendements de la rapporteure et les articles 16 et 17.
Article 18 (art. 13 de la loi du 6 janvier 1978) : Représentation de l'opposition parlementaire à la CNIL :
Je suis surpris par cet article puisque lorsque l'actuelle opposition était majoritaire, elle n'a rien proposé de tel. Le Sénat a d'ailleurs désigné, en dehors de toute obligation légale, en décembre 2008, le sénateurClaude Domeizel du groupe Socialiste comme membre de la CNIL. Et la majorité n'a pas eu besoin d'un texte pour confier la présidence de la commission des Finances de notre assemblée à un membre de l'opposition. Nous savons faire preuve d'ouverture !
S'il y avait eu un représentant de l'opposition parmi les membres de la CNIL lors de la préparation de l'amendement dont nous avons discuté il y a quelques instants, la discussion aurait était plus constructive.
Cet argument n'est pas recevable. L'opposition a été clairement informée du sens et de la portée de notre amendement.
La rédaction proposée pose également la question de la définition même de ce que sont la majorité et l'opposition.
La Commission rejette l'article 18.
Je regrette une nouvelle fois qu'un travail plus dense n'ait pas pu être conduit et, avec les commissaires de la majorité, je m'abstiendrai sur le vote de la proposition.
La Commission adopte la proposition de loi ainsi modifiée.
La séance est levée à 19 heures