Le groupe Socialiste, Radical et Citoyen a décidé d'inscrire à sa séance d'initiative parlementaire du 19 février prochain une proposition de loi visant à lutter contre les discriminations liées à l'origine, réelle ou supposée. Ce texte est issu des conclusions du groupe de travail interne au groupe SRC, constitué à la suite de la censure par le Conseil constitutionnel en novembre 2007 de l'article de la loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile qui légalisait les statistiques dites « ethniques ». Le débat d'alors sous-estimait l'ampleur des phénomènes discriminatoires. Nous sommes convaincus qu'il faut mieux connaître les discriminations pour mieux les combattre. C'est pourquoi le groupe de travail, que j'ai animé avec M. Christophe Caresche, a entendu de nombreuses personnes et mené une réflexion approfondie sur les contours de la politique publique devant être menée en matière de lutte contre les discriminations, élaborant 50 propositions, dont certaines, de nature législative, font l'objet de la présente proposition de loi.
Malgré les nombreuses lois qui ont renforcé notre arsenal répressif – songeons notamment à la loi de novembre 2001 qui a inversé la charge de la preuve dans le code du travail – les réalités restent préoccupantes, aussi bien en matière d'emploi que de logement. La proposition de loi vise donc à renforcer dans ses multiples composantes notre législation en matière de lutte contre les discriminations liées à l'origine et à apporter les garanties nécessaires pour l'évaluation de celles-ci. Elle comporte un ensemble de solutions concrètes pour faire avancer la cause de la lutte contre les discriminations, dans une démarche certes modeste, mais résolument pragmatique.
Premier thème : les marchés publics. L'article premier vise à intégrer dans les critères d'attribution des marchés publics la politique de lutte contre les discriminations menée par les entreprises candidates. Il s'agit d'inciter les entreprises à mener une action claire en la matière en les frappant sur leur chiffre d'affaires. Une telle disposition a d'ailleurs reçu le soutien du Cercle des jeunes entrepreneurs entendu par le groupe de travail interne au groupe SRC. L'article 2 prévoit quant à lui l'application d'une peine complémentaire d'exclusion des marchés publics pour les personnes morales condamnées pour discrimination. Cette peine, qui existe déjà, n'est en effet jamais appliquée.
Deuxième thème : les relations professionnelles au sein des entreprises. L'article 3 de la proposition de loi inscrit « la lutte contre les discriminations » dans les informations devant figurer au bilan social établi par l'employeur et soumis annuellement au comité d'entreprise dans les entreprises de trois cents salariés et plus. Les articles 4 et 5 visent parallèlement à accroître l'information dont doit bénéficier le comité d'entreprise en matière de lutte contre les discriminations, pour prévoir que les « actions menées en faveur de l'égalité des chances et de traitement dans l'entreprise » devront désormais faire partie du rapport remis au comité d'entreprise chaque année par l'employeur.
Troisième thème : le renforcement de l'action des associations. Par leurs revendications, certaines associations de défense des droits de l'homme ont fait progresser, en suscitant une prise de conscience, la lutte contre les différentes formes de discriminations. C'est pourquoi deux articles de la proposition de loi visent à renforcer leur action en ouvrant aux associations constituées depuis seulement trois ans (contre cinq aujourd'hui) ou habilitées par la HALDE le droit d'ester en justice contre les discriminations dans l'emploi.
Quatrième thème : le renforcement de la transparence dans l'attribution du logement social. L'article 6 de la proposition de loi prévoit qu'à titre expérimental et pour une durée limitée à deux ans, l'attribution des logements par les organismes HLM pourra se faire à partir de dossiers rendus anonymes. L'efficacité de ce dispositif dans la lutte contre les discriminations devra ensuite faire l'objet d'une évaluation en vue de son éventuelle généralisation. Trop de familles d'origine étrangère se voient systématiquement refuser un logement social. Il faut que notre pays prenne conscience du fait que la paix sociale est menacée si une partie de la population a le sentiment que le droit au logement social ne lui est pas reconnu en raison d'une couleur de peau ou d'un patronyme de consonance étrangère. Cette expérimentation leur donnera une chance d'accéder enfin au logement social. La proposition de loi fait par ailleurs obligation aux municipalités bénéficiant de conventions de réservation de logements sociaux de mettre en place une commission pluraliste de désignation et de rendre publics les critères retenus pour le choix des demandes de logement présentées aux organismes HLM.
Cinquième thème : l'égal accès de tous à l'enseignement supérieur. C'est un sujet crucial : si les minorités visibles dans notre pays n'ont pas accès à l'enseignement supérieur elles ne constitueront jamais les élites de notre société qui continueront de se perpétuer sur le même modèle. Lors de son audition, M. Richard Descoing, directeur de l'Institut d'Études politiques de Paris a exposé l'exemple concluant des conventions d'éducations prioritaires qu'il a mises en place en 2001. Suivant ce modèle, l'article 10 de la proposition de loi instaure au profit des meilleurs élèves de chaque lycée de France un droit d'accès aux classes préparatoires aux grandes écoles et aux premières années des établissements qui sélectionnent à l'entrée.
Sixième thème : le renforcement des prérogatives de la HALDE. La proposition de loi prévoit notamment que la haute autorité se dote de délégués régionaux. Le budget de la HALDE reste trop modeste pour que son action ait le retentissement qu'elle mérite. Elle s'est d'ailleurs dotée de correspondants locaux bénévoles, mais je ne pense pas que ceux-ci soient à même de réaliser la même tâche que des délégués régionaux dédiés à cette mission.
Septième thème :la représentation de l'opposition parlementaire à la CNIL. Nous pensons que l'opposition doit être représentée au sein du collège de la CNIL, composé de dix-sept commissaires dont deux sénateurs et deux députés. Du fait de l'importance des missions confiées à la CNIL, la majorité et l'opposition parlementaire doivent y être représentées à parité. Tel est l'objet de l'article 18 de la proposition de loi.
Dernier thème : le renforcement des outils de connaissance des discriminations. La décision du Conseil constitutionnel du 15 novembre 2007 a posé de manière abrupte la question de l'outil au service de la connaissance et de la preuve des discriminations. Le groupe SRC a souhaité avancer sur le terrain de la connaissance et de l'évaluation des discriminations en autorisant des études approfondies dans le respect des limites fixées par le Conseil constitutionnel.
L'article 16 de notre texte reprend les termes des commentaires aux Cahiers du Conseil Constitutionnel qui ont précisé le sens de la décision du 15 novembre 2007 (utilisation de données objectives, tel le patronyme ou la nationalité, mais aussi subjectives, tel le « ressenti d'appartenance »). Les enquêtes relatives à la discrimination devront s'accompagner en outre de nombreuses garanties : les réponses doivent être facultatives ; les enquêtes réalisées sur un mode auto-déclaratif, à partir de questions ouvertes ; la présentation des résultats du traitement de données ne doit en aucun cas permettre l'identification directe ou indirecte des personnes concernées ; aucun fichage de la population à partir de ces résultats ne doit être possible ; aucun référentiel ethnoracial ne doit pouvoir être constitué ; l'autorisation de la CNIL – et non une simple déclaration auprès d'elle – sera nécessaire.
Mes chers collègues, je vous invite vivement à adopter cette proposition de loi. Elle propose sur un sujet difficile, qui constitue un enjeu majeur pour notre société, des avancées concrètes, très largement attendues par les personnes que nous avons entendues.