La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à dix-sept heures trente.)
En application des articles 29 et 30 de la Constitution, je déclare ouverte la session extraordinaire de 2010-2011, convoquée par décrets du Président de la République en date des 21 et 27 juin 2011.
Répartition du contentieux et allégement de certaines procédures juridictionnelles
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles (n°s 3373, 3604, 3530).
La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
Madame la présidente, mesdames, messieurs, le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui s'inscrit dans un mouvement initié en 2009 et destiné à mettre en oeuvre les propositions de la commission sur la répartition des contentieux présidée par le recteur Serge Guinchard. Venant après la loi du 22 décembre 2010, relative à l'exécution des décisions de justice et à l'exercice de certaines professions réglementées, et la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques, et après un certain nombre de décrets, il parachève l'inscription dans notre droit des préconisations de cette commission, à laquelle mandat avait été donné de simplifier, d'alléger et de rendre plus efficace le traitement des procédures judiciaires.
Le texte dont nous débattons porte à cet effet sur des aspects très divers de l'activité judiciaire, qu'il s'agisse des juridictions de proximité, de la réforme de la justice militaire, de la médiation familiale ou de l'extension des domaines d'application de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou bien encore de l'ordonnance pénale.
Cette démarche de modernisation est aussi le pendant de la réforme de la carte judiciaire qui s'est achevée en décembre 2010. Disposer d'une carte judiciaire plus cohérente et mieux structurée constituait une première étape indispensable, mais elle devait s'accompagner d'une répartition plus claire et rationalisée des compétences.
Le premier objectif du texte est de simplifier et d'améliorer la répartition des contentieux.
Le projet offre tout d'abord une plus grande lisibilité des juridictions de première instance, en clarifiant les compétences respectives des tribunaux d'instance et des tribunaux de grande instance.
Cette dualité retrouvée passe en particulier par la suppression de la juridiction de proximité. Créé par la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, ce troisième ordre de juridiction introduisait, pour les justiciables et les praticiens, une confusion et une complexité d'ailleurs soulignées par la commission Guinchard.
L'apport des 581 juges de proximité est cependant indéniable, et le Gouvernement a donc choisi de les maintenir, en les intégrant au sein des tribunaux de grande instance et en redéfinissant leur périmètre d'intervention. Je remercie à cet égard votre commission des lois, qui a simplifié l'organisation entre juges d'instance et juges de proximité en revenant sur la compétence reconnue à ces derniers par le Sénat en matière de contentieux civils inférieurs à 4 000 euros. Les juges de proximité participeront désormais aux audiences collégiales non plus seulement au pénal mais également au civil. Ils pourront en outre se voir confier la procédure non contradictoire d'injonction de payer. Ils conserveront enfin leur compétence s'agissant des contraventions des quatre premières classes.
L'équilibre que traduit le projet de loi est donc clair, la volonté du Gouvernement n'a jamais été de supprimer les juges de proximité, il souhaitait seulement clarifier leurs missions.
Le texte poursuit par ailleurs le mouvement de spécialisation pour les contentieux les plus complexes, afin de renforcer l'efficacité de la justice pénale dans des contentieux qui se distinguent par leur technicité. Le projet de loi crée ainsi, au sein du tribunal de grande instance de Paris, un pôle judiciaire spécialisé compétent pour les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Il sera aussi compétent pour les crimes de torture visés par la Convention de New York. Il crée également des pôles régionaux compétents pour les accidents collectifs, qui permettront une meilleure prise en charge de ces affaires sensibles, souvent techniques et de grande ampleur.
Le texte, tel qu'il ressort des travaux de la commission des lois, renforce aussi les capacités d'enquête. Ainsi, le juge d'instruction et le procureur de la République pourront procéder à des auditions sur le territoire d'un État étranger avec l'accord des autorités de celui-ci.
Enfin, le projet réforme la justice militaire en supprimant le tribunal aux armées de Paris et en attribuant à la juridiction parisienne la compétence pour les infractions commises en temps de paix hors du territoire de la République par les membres des forces armées ou à l'encontre de celles-ci. Cette mesure de cohérence et de simplification parachève l'intégration, en temps de paix, de la justice militaire dans la justice de droit commun.
Second objectif, l'effort de clarification de notre organisation judiciaire se double d'un effort d'allégement des procédures. Le texte ouvre ainsi de nouvelles perspectives pour un règlement rapide et efficace des contentieux civils et pénaux qui ne présentent pas de difficultés particulières.
C'est d'abord le cas en matière civile et notamment familiale. Outre que le texte tire les conséquences de deux règlements communautaires instaurant une procédure d'injonction de payer européenne et une procédure de règlement des petits litiges, de nombreuses améliorations sont apportées par le projet de loi :
Les futurs époux pourront célébrer leur union dans la mairie de résidence de leurs parents, mettant ainsi un terme aux difficultés pratiques difficilement justifiables que nombre d'entre nous connaissent ;
En matière de divorce, le texte introduit une plus grande transparence sur les prix pratiqués par les avocats en instaurant, d'une part, une obligation d'établir dans tous les cas de divorce une convention d'honoraires et, d'autre part, un barème indicatif qui sera établi par la Chancellerie après avis du Conseil national des barreaux. Nous sommes parvenus à un point d'équilibre qui doit, je le crois, être préservé dans l'intérêt des justiciables ;
Afin de prendre acte d'un récent arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, le texte introduit des dispositions relatives à l'inscription des experts sur les listes des juridictions ;
En matière de changement de prénom des enfants faisant l'objet d'une adoption simple, il est prévu de permettre au tribunal de grande instance, seul compétent pour prononcer une adoption, de statuer également sur le changement de prénom de l'enfant, alors que les parents doivent aujourd'hui saisir un autre juge, le juge aux affaires familiales, de cette question spécifique. Une telle dualité de procédure n'apparaît pas opportune et je remercie votre commission d'y avoir porté remède ;
Enfin, il est apparu nécessaire de rendre plus efficace la procédure de saisie des rémunérations. Des modifications ont là aussi été adoptées par votre commission pour y parvenir.
Le texte étend par ailleurs le champ des procédures pénales simplifiées afin de réduire les délais de jugement et, par là même, de renforcer la pédagogie de la sanction pénale.
Ainsi que l'avait proposé la commission Guinchard, le projet de loi prévoit de développer le recours à l'ordonnance pénale, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité – CRPC –, la procédure d'amende forfaitaire ou encore la transaction pénale : la CRPC sera possible pour tous les délits, à l'exception des violences volontaires et involontaires contre les personnes, des menaces et des agressions sexuelles aggravées ; l'ordonnance pénale pourra être utilisée pour de nombreux délits d'une gravité modérée autres que ceux portant atteinte aux personnes ; l'amende forfaitaire sera étendue à certaines contraventions de cinquième classe, et la transaction à certaines infractions en droit pénal de la santé publique, en droit de la consommation et en droit de la concurrence.
À ceux qui émettent des réserves sur l'extension de ces procédures, je veux dire qu'elles sont entourées de nombreuses garanties, que le présent projet de loi renforce par ailleurs, notamment en ce qui concerne l'ordonnance pénale. Elles ont en outre fait la preuve de leur efficacité et du souci constant du respect des droits des personnes. De plus, si ces procédures sont habituellement désignées sous le terme de procédures simplifiées, je les qualifierai pour ma part de procédures acceptées. En effet, leur caractéristique commune est de ne pouvoir prospérer que si la personne poursuivie accepte la peine proposée par le procureur de la République, dans la CRPC, décidée par le juge dans l'ordonnance pénale, ou prévue par la loi en cas d'amende forfaitaire. Quand cela est possible, une peine acceptée est préférable à une peine imposée.
Je voudrais maintenant aborder les dispositions, introduites à l'initiative de M. le président Warsmann, relatives aux juridictions financières.
Un certain nombre d'amendements ont été déposés à la commission des lois la semaine dernière. Lorsque je suis venu devant la commission, je ne me suis pas exprimé très clairement, je le reconnais, puisque je les ai découverts en m'asseyant. N'en connaissant pas le contenu, je ne pouvais pas donner d'avis.
Ils étaient sur le site internet de l'Assemblée depuis vingt et une heures quarante la veille, et votre cabinet avait été prévenu.
Je n'en doute pas. Pour ma part, je siégeais au conseil des ministres, comme chaque mercredi. Je suis venu immédiatement après.
Les administrateurs de la commission vous ont envoyé un message, j'en tiens une copie à votre disposition. Vous ne pouvez pas les mettre en cause, ce n'est pas correct.
Je n'ai pas du tout mis en cause les administrateurs, j'étais en train d'avouer que j'avais fait une faute, ce n'était pas utile de me la rappeler.
J'ai fait une faute, cela ne me gêne pas de le reconnaître. J'utilise un moyen moins moderne qui est le téléphone, c'est la raison pour laquelle j'ai souvent essayé de vous téléphoner ces derniers temps.
N'ayant pas lu les amendements, je n'avais pas pu demander l'arbitrage du Gouvernement. C'est ma faute, c'est clair. Je n'accuse personne d'autre. Je ne dis même pas que je n'ai pas eu le temps de suivre les débats, parce que je ne suis pas assez malin, mais je le souligne également, pour que ce soit très clair.
Cela étant, je peux maintenant vous donner la position du Gouvernement.
Les amendements qui ont été déposés sont inspirés par un projet de loi qui avait été déposé en octobre 2009 et dont le contenu traduisait les orientations portées à l'époque par Philippe Séguin. Ils reprennent plus exactement la version, à bien des égards différente, qu'en avait retenue la commission des lois de votre assemblée alors qu'à la suite de sa nomination comme premier président de la Cour des comptes, M. Migaud avait commencé à engager une nouvelle concertation.
Le Gouvernement avait souhaité approfondir la réflexion sur cette réforme. Après quelques mois de concertation, cette démarche l'a conduit à opter, s'agissant des dispositions les plus consensuelles, pour une mise en oeuvre par blocs, qui est d'ores et déjà en cours.
Plusieurs dispositions relatives à l'évaluation des politiques publiques ont été reprises dans la proposition de loi déposée par M. Accoyer et sont entrées en vigueur. Elles renforcent en ce domaine les liens entre le Parlement et la Cour des comptes, et c'est à l'évidence une bonne chose.
Le Gouvernement a, de même, inséré dans le projet de loi de finances rectificative qui sera définitivement adopté cette semaine une disposition ouvrant la possibilité d'organiser un concours complémentaire pour le recrutement de magistrats des chambres régionales des comptes. Deux amendements de M. Michel Bouvard à ce même texte ont permis d'affermir la mission de certification des comptes des administrations publiques par la Cour des comptes et de renforcer le suivi des recommandations formulées par la Cour.
Une disposition confiant à la Cour la mission de certification des comptes des grands hôpitaux a par ailleurs été insérée dans la proposition de loi de M. Jean-Pierre Fourcade modifiant la loi Hôpital, patients, santé et territoires.
En outre, le Gouvernement et la Cour des comptes mènent actuellement une réflexion sur des dispositions statutaires visant notamment à diversifier les modes de recrutement des juridictions financières afin de permettre à ces dernières de faire face à leurs nouvelles missions. Ces dispositions pourraient aboutir à brève échéance et être reprises dans un texte adéquat.
Le Gouvernement a ainsi fait le choix pragmatique d'une mise en oeuvre rapide du coeur de la réforme destinée à moderniser les juridictions financières.
Je sais, monsieur le président Warsmann, que vous partagez cet objectif de modernisation,…
…ce dont témoignent certaines dispositions que vous avez fait introduire en commission et qui peuvent se rattacher au texte quant à l'objectif de simplification. C'est le cas, en particulier, des dispositions permettant à la Cour des comptes de mieux coordonner les enquêtes des chambres régionales des comptes, de celles modifiant les règles de détermination du ressort de ces chambres régionales, ou encore de celles donnant au Gouvernement la possibilité de saisir la Cour des comptes dans le cadre de la nouvelle procédure d'évaluation des politiques publiques prévue à l'article 47-2 introduit par la révision constitutionnelle de 2008.
C'est dans le même esprit que le Gouvernement approuve la plupart des dispositions introduites par le président Warsmann intéressant les juridictions administratives.
En revanche, plusieurs dispositions relatives aux juridictions financières introduites en commission sortent de la logique technique, organisationnelle et procédurale du projet de loi, et refondent entièrement le régime de responsabilité des gestionnaires publics, qu'ils soient fonctionnaires ou agents publics, membres du Gouvernement ou élus locaux. Elles soulèvent de lourdes questions de principe, qui sont loin d'être toutes réglées. La rédaction retenue à ce stade s'écarte d'ailleurs très sensiblement de l'équilibre voulu à l'origine par le Gouvernement. Le Gouvernement prendra donc ses responsabilités en vous demandant de retirer ces amendements.
Mesdames et messieurs les députés, par ses avancées nombreuses, le texte soumis à votre examen contribue significativement à l'amélioration de notre justice civile et pénale, et donc à un meilleur service rendu aux justiciables, avec une justice plus efficace, mieux organisée, moins lente parfois. Je forme le voeu que, tous ensemble, nous donnions toutes ses chances au processus ainsi engagé, en restant concentrés sur cet objectif dont je me réjouis de constater le caractère très largement consensuel. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Marcel Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd'hui saisie du projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles, adopté par le Sénat le 14 avril dernier, après que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée. Ce projet de loi s'inscrit dans la démarche globale de modernisation de notre organisation judiciaire engagée depuis plusieurs années, notamment sur le fondement de plusieurs réflexions associant juristes et praticiens.
Après des mois de travail, la commission sur la répartition des contentieux présidée par le recteur Serge Guinchard a, ainsi que cela vient d'être rappelé, remis au garde des sceaux, en juin 2008, un rapport contenant soixante-cinq propositions relatives à l'organisation judiciaire, à l'accès à la justice, à la déjudiciarisation et à l'allégement des procédures.
Le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis reprend nombre de propositions faites par cet excellent rapport, dont je rappelle que certaines préconisations ont d'ores et déjà été prises en compte dans d'autres textes promulgués : la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit, celle du 22 décembre 2010 relative à l'exécution des décisions de justice, celle du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, notamment.
Le projet de loi poursuit deux objectifs : d'une part, simplifier et rationaliser notre organisation judiciaire, et, d'autre part, alléger certaines procédures juridictionnelles. Il couvre des aspects très divers de l'activité judiciaire.
En premier lieu, il ambitionne de simplifier l'articulation des contentieux civils de première instance, notamment grâce à la suppression de la juridiction de proximité en tant qu'ordre de juridiction distinct – devenue une source de complexité pour les justiciables –, tout en maintenant les juges de proximité, désormais rattachés aux TGI. Je n'ignore pas que cette mesure suscite des interrogations. Pourtant, j'y insiste, il ne s'agit pas de supprimer les juges de proximité, mais bien de mieux les intégrer dans notre organisation judiciaire.
Le texte procède également à une meilleure répartition de certains contentieux entre TI et TGI, retenant pour ligne de partage le montant du litige en cause ou un rattachement matériel. Ainsi, le contentieux douanier relèvera désormais entièrement du TGI, par cohérence avec le fait que le TGI connaît du contentieux fiscal, dont ce contentieux est très proche.
En deuxième lieu, le projet de loi regroupe certains contentieux techniques au sein de juridictions spécialisées. C'est ainsi qu'il porte création d'un pôle spécialisé en matière de crimes contre l'humanité, crimes et délits de guerre et actes de torture, et qu'il instaure des pôles compétents en matière d'accidents collectifs, pour améliorer l'enquête et le traitement judiciaire des grandes catastrophes, telles que, par exemple, celle du tunnel du Mont-Blanc, l'explosion de l'usine AZF ou encore les accidents aériens, comme celui du Mont Sainte-Odile.
En troisième lieu, le projet de loi favorise le développement des modes alternatifs de règlement des litiges. En matière civile, une expérimentation d'une durée de trois ans est prévue pour privilégier la médiation familiale avant la saisine du juge aux affaires familiales en vue d'une modification des modalités d'exercice de l'autorité parentale. Je suis pour ma part favorable aux modifications apportées par le Sénat consistant à écarter la médiation lorsque celle-ci serait de nature à trop retarder le jugement au fond par le juge.
De même, en matière pénale, le recours à la transaction pénale se trouve étendu, tant dans ses domaines actuels d'application, droits de la concurrence et de la consommation, qu'à des domaines où elle n'intervient pas encore, s'agissant des infractions relatives au tabac et à la commercialisation d'alcool.
En quatrième lieu, ce projet de loi étend les procédures pénales simplifiées. Il en va ainsi de l'ordonnance pénale, dont le domaine sera élargi aux délits pouvant aujourd'hui faire l'objet d'un jugement par le tribunal correctionnel statuant à juge unique, sous réserve de quelques exceptions. Par ailleurs, alors que le recours à l'ordonnance pénale était jusqu'à présent exclu lorsque la victime avait formé une demande en dommages et intérêts, le texte permettra à la victime d'exercer l'action civile dans le cadre de cette procédure.
Il en va ainsi également de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Il sera désormais possible d'y recourir, d'une part, à l'issue d'une instruction et, d'autre part, pour tous les délits, quel que soit le niveau de peine encourue, à l'exclusion toutefois des atteintes volontaires ou involontaires à l'intégrité des personnes, des menaces et des agressions sexuelles.
Enfin, le champ d'application de l'amende forfaitaire, aujourd'hui limité aux contraventions des quatre premières classes, est étendu aux contraventions de la cinquième classe, à l'exclusion toutefois des contraventions de cinquième classe qui deviennent un délit lorsqu'elles sont commises en récidive.
En cinquième et dernier lieu, le projet de loi rationalise et simplifie les règles procédurales applicables aux militaires. Sur ce point, je laisserai le rapporteur pour avis de la commission de la défense éclairer plus avant notre assemblée. Tout au plus me permettrai-je d'insister sur la suppression du tribunal aux armées de Paris, créé par la loi du 10 novembre 1999 et compétent pour connaître des infractions commises par les membres des forces armées hors du territoire national, avec comme corollaire le transfert de sa compétence au tribunal de grande instance de Paris, ainsi que sur la suppression du caractère automatique de la perte de grade à l'occasion d'une condamnation pénale. Ces dispositions consensuelles parachèvent le processus, engagé en 1982, de normalisation de la justice applicable aux militaires, sans pour autant nier les spécificités de la condition et du statut de nos forces armées.
À l'instar du Sénat, la commission des lois a conforté de nombreuses dispositions de ce texte, le jugeant utile et bienvenu. Néanmoins, elle y a aussi apporté de nombreux enrichissements : une quarantaine d'articles additionnels ont ainsi été adoptés, sur lesquels j'aimerais à présent dire un mot.
La commission des lois est tout d'abord revenue sur le maintien par le Sénat des compétences des juges de proximité pour statuer à juge unique sur les affaires civiles d'un montant inférieur à 4 000 euros. En dépit d'une intention louable, les conséquences pratiques d'une telle disposition auraient posé problème.
Sur proposition du Gouvernement, la commission a aussi décidé d'apporter divers aménagements à la procédure de saisie sur rémunération, afin de la rendre plus attractive et efficace. Elle a également étendu les compétences du tribunal saisi d'une demande d'adoption simple à la demande de modification des prénoms du mineur adopté. Elle est aussi revenue sur le vote intervenu dans le cadre de la loi du 28 mars 2011 sur les professions juridiques et judiciaires réglementées qui autorisait la multipostulation des avocats inscrits aux barreaux des tribunaux de grande instance de Bordeaux et Libourne, en Gironde, et de Nîmes et Alès, dans le Gard.
D'autre part, à l'initiative de notre collègue Étienne Blanc, la commission des lois a adopté deux articles additionnels visant, d'une part, à permettre au juge d'instance chargé de constater la résiliation du bail de statuer sur le sort des meubles meublants éventuellement abandonnés dans les locaux et, d'autre part, à réduire de trois à un mois le délai minimal autorisant les parents de victimes à saisir le juge pour obtenir une déclaration judiciaire de décès à la suite d'une catastrophe aérienne.
Dans le domaine de la procédure pénale, la commission a notamment souhaité que puissent être adjoints au pôle nouvellement créé en matière de crimes internationaux des assistants spécialisés, à l'image des juridictions spécialisées en matière économique et financière ainsi qu'en matière sanitaire.
Elle a aussi, à l'initiative de son président Jean-Luc Warsmann, renforcé les garanties entourant la procédure de l'ordonnance pénale, en rendant possible l'opposition au jugement rendu par défaut sur une opposition formée à l'encontre d'une ordonnance pénale délictuelle.
La commission a encore, à l'initiative du Gouvernement, complété les règles applicables en matière de responsabilité pénale du vendeur et de l'acquéreur d'un véhicule d'occasion, en créant un nouveau délit de déclaration mensongère de cession de véhicule, et en permettant au propriétaire d'un véhicule qui avait été confisqué d'obtenir le remboursement des frais de garde en fourrière lorsqu'il bénéficie d'une relaxe.
Par ailleurs, toujours à l'initiative du président Jean-Luc Warsmann, plusieurs articles additionnels ont été adoptés afin de transcrire dans la loi des propositions de réforme formulées par la Cour de cassation dans ses rapports annuels, qu'il s'agisse de la possibilité pour une personne condamnée pour une contravention de former opposition contre le jugement rendu par défaut sur son opposition à l'ordonnance pénale, de l'introduction d'un délai d'examen par la chambre de l'instruction de l'appel d'une ordonnance de placement sous contrôle judiciaire, de l'information du prévenu comparaissant sans avocat devant le tribunal correctionnel de son droit à bénéficier d'un avocat commis d'office, ou encore de l'application du principe du contradictoire aux requêtes en renvoi d'une affaire dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
De même, à l'initiative de notre collègue Patrice Verchère, des articles relatifs aux actes d'enquête judiciaire et à l'instruction ont été adoptés, tandis que les dispositions du code de la santé publique relatives à l'injonction thérapeutique ont été améliorées à l'initiative du Gouvernement.
Enfin, deux nouveaux chapitres ont été insérés dans le projet de loi, sur proposition du président Jean-Luc Warsmann.
L'un traite des juridictions financières. Il reprend les dispositions adoptées, le 15 septembre 2010, par la commission des lois à l'occasion de l'examen du projet de loi portant réforme des juridictions financières.
Les articles votés correspondent aux dispositions relatives à l'organisation des juridictions financières et aux règles de procédure applicables. En revanche, les dispositions de nature statutaire, qui ne semblaient pas avoir un lien, même indirect, avec le présent projet de loi, n'ont pas été reprises ; la disposition concernant la responsabilité des comptables publics n'a pas non plus été introduite dans le projet de loi.
L'autre chapitre additionnel concerne les juridictions administratives. Les dispositions adoptées visent à étendre aux présidents adjoints de la section du contentieux du Conseil d'État la possibilité de régler certaines affaires par ordonnance, de procéder à un aménagement des règles de répartition des compétences entre les différents niveaux de juridictions, de supprimer des dispositions en voie de désuétude ou encore d'améliorer la procédure de référé fiscal.
J'en viens à ma conclusion. Le texte qui résulte des travaux de la commission des lois a donc davantage évolué du fait de l'ajout de dispositions nouvelles que par des modifications de fond des dispositions initiales ; c'est dire la qualité du travail préparatoire accompli par la commission présidée par le recteur Guinchard. Je vous propose donc, mes chers collègues, d'adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Alain Marty, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui comporte six articles relatifs à la justice militaire, notamment à la suppression du tribunal aux armées de Paris. Ils ont été enrichis de façon significative par le travail réalisé, au Sénat, par Marcel-Pierre Cléach, qui avait lui-même déposé une proposition de loi particulièrement travaillée. L'objectif est de s'inscrire dans la continuité de la réforme de 1982, notamment pour les militaires en opérations extérieures.
Je rappelle que, depuis trente ans, l'ensemble des crimes et délit commis à l'encontre de militaires ou par des militaires dépendent de juridictions de droit commun spécialisées. Certaines ont acquis une véritable expérience en ce domaine – je pense notamment au tribunal de grande instance de Marseille. La réforme de 1982, le rapporteur vient de le rappeler, avait maintenu un régime spécifique pour les actes intervenus à l'étranger et, en 1999, a été créé à cet effet le tribunal aux armées de Paris. Je rends ici hommage à ce tribunal, qui a fonctionné de façon tout à fait satisfaisante et avec compétence pour juger des affaires militaires. Mais il traite, depuis dix ans, 1 600 dossiers par an. Certes, le fait d'avoir une juridiction spécialisée peut se comprendre dans un certain nombre de dossiers complexes qui demandent des compétences en droit international mais surtout une bonne connaissance des règles d'engagement des militaires. Cependant, la majorité des dossiers correspondent à des affaires de droit commun : atteintes aux biens ou atteintes aux personnes ; seules 14 % à 17 % des affaires sont des infractions militaires à proprement parler. Nous vous proposerons donc la suppression du tribunal aux armées et l'instauration d'une chambre spécialisée au tribunal de grande instance de Paris. Un tel transfert ne pose pas aux yeux de la commission de la défense de problèmes particuliers.
Néanmoins, je ferai quatre remarques.
La première, monsieur le garde des sceaux, c'est qu'il faut que le président du tribunal de grande instance de Paris et le procureur de la République aient les moyens d'organiser une chambre spécialisée en raison de tout l'intérêt que mérite le traitement des affaires militaires.
La deuxième concerne la formation des magistrats. Actuellement, il existe une formation sur une semaine, dispensée par le ministère de la défense. Cela nous paraît un peu léger, et sans doute faut-il envisager une meilleure prise en compte de la formation afin que ces magistrats connaissent bien les spécificités de l'engagement militaire.
Je veux aussi insister sur l'utilité du corps des greffiers militaires, qui assurent une assistance importante. Leur statut doit être conservé car il constitue une passerelle intéressante entre le monde judiciaire et le monde militaire.
Enfin, j'insiste, monsieur le garde des sceaux, sur la question des moyens dont dispose le tribunal aux armées en matière de communications. Il a à sa disposition aujourd'hui les moyens de communication militaires, et peut donc intervenir sur les théâtres d'opération en étant en communication directement avec les unités. La perte de ces moyens rendrait plus difficile l'accomplissement de la justice parce que les moyens civils ne seront pas, à eux seuls, à la hauteur.
Le Sénat a complété le dispositif en clarifiant un certain nombre de règles, s'agissant notamment des infractions commises à bord des navires et des aéronefs militaires, clarification nécessaire et qui va dans le bon sens. Il a également prévu que le ministre pourrait être saisi pour avis, même en cours de procédure : cette extension de l'avis ministériel est une garantie importante pour l'ensemble des affaires militaires. De plus, il a aligné les sanctions dont sont passibles les militaires sur celles des autres fonctionnaires. Enfin, le Sénat a adopté un article important sur la redéfinition de la désertion, selon qu'elle a lieu à l'intérieur ou à l'extérieur de nos frontières, avec les délais d'absence et les sanctions prévus.
Je conclus en rappelant que le projet de loi répond à la demande de l'autorité militaire, qui souhaitait la suppression du tribunal aux armées de Paris et l'alignement du traitement judiciaire des opérations extérieures sur ce qui se passe au sein de notre territoire. Il est néanmoins important de maintenir la spécificité de l'engagement militaire car il n'est pas tout à fait comparable à celui des autres fonctionnaires, puisqu'il peut aller jusqu'au sacrifice suprême. Cette singularité mérite d'être respectée. Il faut éviter une judiciarisation extrême qui pourrait mettre en difficulté nos armées. Il nous paraît donc important de maintenir les garanties procédurales spécifiques dans les futures juridictions de droit commun spécialisées.
La commission de la défense a émis, à l'unanimité, un avis favorable sur les six articles concernant les affaires judiciaires militaires.
La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d'abord saluer le débat qui s'ouvre sur ce texte relatif à la répartition des contentieux, ainsi que la qualité et l'intensité du travail de notre rapporteur, Marcel Bonnot, qui a procédé à de très nombreuses auditions. Je salue aussi le travail très important accompli en commission puisque de nombreux amendements ont été adoptés, au premier titre d'entre eux, onze du Gouvernement. Pour notre part, nous avons ajouté deux nouveaux chapitres.
Le premier concerne les juridictions administratives. Je me suis enquis auprès du vice-président du Conseil d'État si les dispositions que nous envisagions allaient bien dans le sens d'une meilleure organisation et d'un meilleur travail de ces juridictions ; puis elles ont été présentées à la commission : ces dispositions permettent un certain nombre d'avancées en matière de conciliation et de référé fiscal.
Le second réunit plusieurs dispositions sur les juridictions financières. Un projet de loi a été déposé le 28 octobre 2009 devant notre assemblée, j'ai eu l'honneur d'en être désigné rapporteur et mon rapport, présenté le 15 septembre 2010, a abouti à l'adoption de plusieurs amendements. Depuis, je me suis manifesté à de très nombreuses reprises auprès du Gouvernement – je sais que je ne suis pas le seul – pour connaître la date à laquelle le texte de la commission allait venir dans l'hémicycle, et j'ai reçu des réponses d'un silence certain, persistant et cohérent dans sa persistance. Devant une telle situation, j'ai pris la décision de déposer sous forme d'amendements la partie du projet de loi ayant trait aux juridictions financières sans reprendre ce qui concernait le statut des magistrats car cela n'avait pas lieu d'être ajouté dans le présent texte. Je l'ai fait avec une très grande loyauté vis-à-vis de chacune et de chacun d'entre vous, puisque j'ai déposé, au mot près, le texte qui avait été voté par la commission des lois le 15 septembre 2010. Nous nous trouvons ainsi exactement dans la situation qui aurait dû se produire il y a plusieurs mois, c'est-à-dire que notre assemblée est saisie, à la virgule près, des dispositions adoptées en commission. Elles tiennent en deux grandes parties.
La première partie consiste à mieux organiser nos juridictions financières. Mes chers collègues, depuis la LOLF, de nombreux textes sont intervenus, modifiant notre organisation financière, et la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a accru le rôle de la Cour des comptes, en matière notamment d'assistance au Parlement et au Gouvernement. Mais nous avions un problème d'articulation entre le travail des chambres régionales des comptes et celui de la Cour des comptes. Exemple concret : le Parlement demande à la Cour un rapport sur les hôpitaux, et celle-ci va évidemment demander la collaboration des chambres régionales. Or, aujourd'hui, un tel travail ne se fait que dans la discussion, rien ne le prévoit expressément. Il peut pourtant s'agir, c'est l'intérêt d'un travail national, de s'intéresser à des centres hospitaliers ruraux et urbains, de tailles différentes, et il nous semblait légitime que la désignation des établissements étudiés soit cohérente au niveau national. Le projet de loi initial, inspiré, comme l'a rappelé M. le ministre, par le premier président Séguin, prévoyait de résoudre de telles difficultés en fusionnant dans un corps unique les magistrats des chambres régionales et ceux de la Cour des comptes. La commission, après de très nombreuses auditions, a fait un autre choix : celui de permettre à la Cour des comptes d'avoir recours aux chambres régionales pour effectuer un travail en commun, dans le cadre d'une collaboration organisée et avec un seul contradictoire. En effet, une des difficultés, c'était non seulement d'organiser la coordination des travaux, mais aussi de réduire la longueur du dispositif. La chambre régionale qui, dans notre exemple, travaillait sur un centre hospitalier, devait assurer le contradictoire avec lui sur les propositions qu'elle allait transmettre à la Cour, et celle-ci devait à son tour assurer un contradictoire si elle en reprenait certaines, procédure beaucoup trop longue et lourde par rapport à la rapidité que le Parlement comme le Gouvernement étaient en droit d'attendre. Les dispositions que nous avons à l'époque adoptées à ce sujet n'ont recueilli aucun avis défavorable en commission des lois.
L'autre volet concerne la responsabilité financière des ordonnateurs. Pourquoi ce dossier a-t-il été ouvert ? Le Président de la République, dans son discours pour le bicentenaire de la Cour des comptes, a déclaré le 5 novembre 2007 : « Trop longtemps, on a considéré que le propre de l'argent public était d'être dépensé sans compter, qu'il était dans la nature du service public que son efficacité ne soit pas mesurable et que si l'on devait demander des comptes au comptable, il n'était pas légitime d'en demander à l'ordonnateur. » Le Président de la République poursuivait : « Je profite de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous aujourd'hui pour dire que cette époque est révolue. Notre État a besoin d'une révolution intellectuelle et morale. »
Je me réfère maintenant à une citation du Premier ministre, François Fillon, qui écrivait dans l'exposé des motifs du projet de loi déposé le 28 octobre 2009 : « La recherche de la performance, aussi légitime soit-elle, ne saurait faire oublier le premier impératif qui s'impose au gestionnaire : celui du respect de la règle de droit. La sanction des irrégularités et des fautes de gestion constitue à cet égard une dimension clé d'une bonne gestion publique. »
« Elle en conditionne tant l'efficacité que la probité. Une réforme du régime de responsabilité juridictionnelle des gestionnaires pour en faire un système efficace et effectif apparaît aujourd'hui plus urgente que jamais. ».
Nous sommes en octobre 2009. Le Premier ministre ajoutait : « Elle conditionne la légitimité de la démarche de la loi organique relative aux lois de finances – LOLF. Il ne saurait en effet y avoir plus de liberté sans responsabilité véritable. » Ce mouvement a recueilli le consensus de très nombreux observateurs parce que chacun voit bien que nous sommes dans une période où l'argent public n'a jamais été aussi rare et que nos concitoyens sont plus attentifs que jamais à ce que chaque euro qu'ils financent par leurs impôts soit bien dépensé et que les dérapages éventuels soient sanctionnés. Je pourrais multiplier les citations du premier président Philippe Séguin, mais je n'en retiendrai qu'une, qui contient une idée extrêmement importante : « On le sait, affirmait-il, faute de régime de responsabilité financière adapté, on court le risque d'une pénalisation excessive de l'action publique, ce qui n'est souhaité par personne. » L'enjeu est aussi là : à partir du moment où la responsabilité financière n'est pas établie dans les textes, le risque est que la marée du droit pénal envahisse toute l'action publique. Je le dis comme je le pense : ce ne serait pas sain.
Lorsqu'il y a une faute en matière de gestion publique, certaines règles doivent s'appliquer : la sanction n'est pas la prison, mais une amende.
Je vais conclure, madame la présidente.
Combien la Cour de discipline budgétaire et financière – que le Gouvernement nous propose à juste titre de supprimer – a-t-elle jugé d'affaires chaque année, depuis sa création en 1948 ? Trois, avec une pointe en 2009, année durant laquelle six affaires furent jugées. Évidemment, ce n'était pas satisfaisant.
Le Gouvernement a défini de manière très rigoureuse une liste d'infractions très limitée. La commission l'a suivi sur ce point, tout en introduisant les ministres dans la liste des ordonnateurs responsables par souci d'équité. Je n'y vois aucune contradiction avec les responsabilités du Gouvernement telles que définies dans la Constitution.
En qualité de président de la commission des lois, j'ai défendu ces dispositions. La commission a bien voulu les adopter, ce dont je la remercie. Je suis persuadé de leur nécessité pour notre pays et notre démocratie. Toutes les démocraties représentatives voisines ont des régimes de ce type.
Nous ne pouvons pas dire à nos concitoyens qu'en cas de faute commise par un gestionnaire public, il n'y a pas de sanction, ou bien un régime tellement en pointillés qu'il ne s'applique jamais.
C'est la raison pour laquelle ce texte me semble nécessaire. Chacun votera en conscience mais, en tout état de cause, j'aurai fait mon devoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Jean-Michel Clément.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, j'ai l'honneur de défendre devant vous une motion de rejet préalable que, mercredi encore avant d'entrer en commission, je n'avais à aucun moment imaginé déposer.
En effet, le texte initial qui nous avait été soumis semblait devoir procéder de la simple organisation de notre justice, pour une meilleure répartition des contentieux et un allégement de certaines procédures juridictionnelles. Cette louable intention, nous y aurions tous souscrit aux côtés du rapporteur, après avoir entendu, au cours des auditions, un certain nombre d'acquiescements au projet proposé.
Nous savons ce projet inspiré des réflexions du rapport Guinchard et des soixante-cinq propositions qu'il comportait - dont certaines ont déjà été mises en place dans d'autres textes précédemment votés - et auxquelles nous avions en partie adhéré.
Il restait encore à faire. Et même si nous devions ici ou là porter la critique, comme il se doit dans cette enceinte, c'est aussi avec le souci de parvenir à une meilleure administration de la justice, dans l'intérêt de ceux qui la rendent et des justiciables.
Nous aurions dû pourtant être prévenus : les textes de simplification du droit nous ont habitués à de telles expériences. Sur la forme, les textes passent et se ressemblent, la méthode aussi. Qu'on en juge.
D'abord, il y a le choix de la procédure accélérée pour un texte qui comporte autant d'articles nouveaux que d'articles prévus dans la version initiale, et dont les sénateurs ne prendront connaissance que lors de la réunion de la commission mixte paritaire, prévue mercredi prochain.
Tout à fait !
Ces conditions d'examen et de délais ne sont pas acceptables.
La liasse d'amendements déposée en commission comporte soixante-trois amendements dits rédactionnels, de cohérence, de précision, de rectification d'erreur matérielle, de coordination, d'harmonisation rédactionnelle, de conséquence, etc. Cela nous confirme que le texte a pour le moins été rédigé dans une certaine précipitation. Or faire vite n'a jamais été un avantage dans la manière d'élaborer la loi ; faire mal en est la conséquence hélas inévitable.
Mais il y a mieux : nous découvrons alors vingt-sept nouveaux amendements qui constituent à eux seuls un texte de loi à part entière sur les juridictions administratives et financières, déjà débattu dans d'autres lieux que le nôtre, en commission des finances, et adopté le 15 septembre 2010 par notre commission.
Cette initiative du président de notre commission des lois a d'abord été approuvée par M. le garde des sceaux, lors de l'examen en commission, la semaine passée. Il semble qu'elle soit désormais contestée par le Gouvernement : c'est ce que j'ai lu dans la presse du week-end et ce que vous venez de confirmer, monsieur le garde des sceaux. Je m'interroge sur l'équilibre du texte au sortir de ce débat, mais je laisserai mon collègue René Dosière nous éclairer sur ce point au cours de la discussion générale.
Onze nouveaux amendements sont déposés par le Gouvernement, amendements d'ordinaire objets de textes de simplification et de clarification du droit, et au détour desquels on trouve aussi bien la volonté d'abroger l'article 2279 du code civil – ce qu'a fort opportunément refusé la commission – que celle de revenir sur l'extension du régime de multipostulation déjà débattu lors de deux précédents textes de simplification.
Disons-le tout net : le travail législatif auquel nous nous sommes livrés la semaine passée n'honore pas notre assemblée. L'éparpillement des mesures est encore de mise, au risque de méconnaître l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires. Cette exigence, consacrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision 2005-512 du 21 avril 2005, est manifestement méconnue par ce projet de loi.
Comme si cet éparpillement ne suffisait pas, le Gouvernement a largement aggravé la physionomie de ce projet en insérant des articles sans aucun rapport avec le texte, et notamment un article visant à transposer une directive relative à la simplification des obligations comptables, afin d'éviter une condamnation de la France devant la Cour de justice de l'Union européenne.
Si l'ordre du jour de nos assemblées n'était pas encombré de textes de circonstance, inspirés par le seul souci de coller à l'actualité, le Gouvernement pourrait sans mal remplir ses responsabilités européennes en matière de transposition de directives. Faute de place, c'est par le biais de cavaliers législatifs que le Gouvernement trouve une issue.
Les règles constitutionnelles ont certes évolué puisque l'article 45 de la Constitution dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. » Précisément, la nouvelle disposition exige un lien, même indirect, qui n'existe pas en l'espèce. Une saisine du Conseil constitutionnel permettrait à coup sûr de faire censurer ces dispositions.
Il en va ainsi des dispositions concernant la loi Hadopi puisque le texte qui nous est soumis permet au Gouvernement d'esquiver un débat : celui qui aurait eu lieu au sein de la commission des affaires culturelles, laquelle n'a pas été saisie pour avis alors même qu'elle est principalement compétente sur ce sujet.
Le fond rejoint la forme lorsqu'il s'agit d'apprécier la philosophie du texte qui nous est soumis.
À travers les différentes dispositions relatives à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles, il s'agit encore de rationaliser celles-ci afin de pouvoir juger plus vite, au détriment de la qualité du service rendu aux justiciables, sans parler d'une dérive vers une justice sans procès et sans avocat.
Bien sûr, il importe de désengorger les tribunaux, mais cela ne peut se faire au détriment du justiciable, auquel les garanties d'un jugement équitable doivent être assurées. Le seul objectif légitime que doit poursuivre le législateur est celui de la qualité du service public rendu. Pour que la justice soit acceptée par nos concitoyens comme constituant la référence suprême à un fonctionnement démocratique, encore faut-il qu'elle soit rendue dans des conditions équitables et reconnues comme telles par le justiciable.
Le point noir de ce texte réside dans son article 20 qui étend bien plus que de raison le recours aux ordonnances pénales. Cette extension conduira – cela est prévisible – à une méconnaissance des droits de la défense consacrés par le Conseil constitutionnel dans sa décision 86-224 du 23 janvier 1987.
De la volonté quasi obsessionnelle de vouloir gagner du temps et de décharger les juges de certaines tâches, dès lors qu'il s'agit de fonctionner à budget constant, nous en arrivons à une justice à la sauvette qui affaiblit les droits de la défense, puisque l'avocat ne trouve plus sa place dans ces procédures. N'oublions pas non plus la préservation du droit des victimes et la symbolique de l'audience.
Par ailleurs, là où le travail du juge sera de plus en plus accompli par le parquet, et celui du parquet transmis aux officiers de police judiciaire, nous constaterons inévitablement un glissement condamnable qui éloignera l'avocat du juge, dès lors qu'il suffira d'une loi de simplification du droit, par exemple, pour augmenter de manière subreptice les seuils ou le montant des peines pour en arriver à une justice rendue sans débat. Voilà qui est contraire à nos principes républicains et à notre Constitution.
Il faut faire preuve d'un certain cynisme pour poser de nouveaux principes permettant d'encadrer le recours à cette procédure des ordonnances pénales expéditives et élargir, dans le même temps, les possibilités d'y recourir.
Avec ce texte, c'en est également fini du tribunal aux armées de Paris, une exception dans notre ordonnancement juridictionnel qu'il convient de saluer dès lors que le droit commun a vocation à s'appliquer à tous les citoyens, simples civils ou militaires. Si c'est un choix d'opportunité, est-ce pour autant un choix opportun au vu des conditions dans lesquelles il s'effectue ?
Contrairement à ce que les apparences pourraient laisser croire, les articles 23 et suivants du projet de loi ne concernent la justice militaire qu'à la marge mais ils ont tout à voir avec la révision générale des politiques publiques. En effet, la seule raison d'être de la suppression du tribunal aux armées de Paris est qu'il est localisé au sein de la caserne Reuilly, dans le 12e arrondissement de Paris, et que cette caserne doit être vendue.
Le raisonnement est donc bien fondé sur l'idée qu'il faut vider la caserne, et ensuite faire face à la suppression du tribunal. On supprime le tribunal aux armées de Paris et on transfère procédures et dossiers au tribunal de grande instance de Paris et à la cour d'assises.
Est-ce favorable à la bonne administration de la justice, aux mis en cause et aux victimes ? Sur ce point, il y a lieu d'avoir des craintes, M. le rapporteur pour avis de la commission de la défense nous l'a opportunément rappelé tout à l'heure au cours de son intervention.
En effet, le tribunal aux armées de Paris est petit, ne comptant en son sein que deux magistrats : le procureur, chef de juridiction, et le juge d'instruction. Ces magistrats sont cependant assistés par une quarantaine de militaires spécialisés – des effectifs faibles à l'échelle du ministère de la défense – et un tel ratio est très supérieur à ce qui existe au sein des autres tribunaux. Nombre de magistrats rêveraient de pareilles conditions de travail.
En l'occurrence, la RGPP reviendra principalement à faire moins bien avec moins de moyens, parce que les affaires seront désormais moins bien et moins vite traitées. Pourtant, il s'agit d'affaires le plus souvent complexes, notamment en raison de l'environnement opérationnel qui en constitue la toile de fond. Ce n'est pas une justice tout à fait comme les autres que celle qui traite des armées et l'on peut sourire du positionnement à front renversé qu'adopte aujourd'hui la majorité.
Lorsque la justice militaire fut réformée en 1982, Pierre Messmer accusa Robert Badinter, le garde des sceaux de l'époque, de vouloir détruire nos armées, tandis que Jean Foyer voyait dans cette réforme, « l'impossibilité dans laquelle la majorité parlementaire paraît être de comprendre l'armée, sa mission, sa nature et les exigences de sa mission et de sa nature. »
Avec le manque de nuances qui caractérise certains convertis de fraîche date, la majorité actuelle prône aujourd'hui sans nuances le contraire de ce qu'elle défendait à l'époque. Robert Badinter avait raison avec trente ans d'avance sur la droite en ce domaine-là aussi.
Attention ! S'agissant de décisions de justice concernant le monde militaire, deux risques apparaissent : mal juger ou ne pas juger en connaissance de cause ; creuser un fossé entre les militaires et la justice, qui conduira ces derniers à prendre des précautions, là où leur métier est de prendre des risques.
Ainsi, les militaires ne rempliraient plus leurs missions suivant les règles de l'art ; l'État y perdrait beaucoup. Il appartient donc au Gouvernement, dont on n'ignore pas qu'il a moins le souci de la bonne justice que des économies comptables, de prendre toutes mesures pour s'assurer que les compétences reconnues au tribunal aux armées ne se dissiperont pas avec la disparition de celui-ci.
S'agissant des juridictions spécialisées, tout un chacun en reconnaît le bien-fondé dès lors qu'il s'agit de contentieux civil, commercial ou administratif, là ou le contenu du litige et son arbitrage par la juridiction prévaut sur la personne même du demandeur et du défendeur.
En revanche, les juridictions spécialisées appelées à statuer en termes d'accidents collectifs doivent être organisées de telle manière que la proximité soit assurée, tant pour respecter les droits de la défense que pour faire accepter la décision de justice, dans laquelle la part de l'émotion doit être prise en compte. Le dépaysement du jugement ne viendrait qu'ajouter un sentiment de frustration pour les victimes dès lors qu'aucune décision ne viendra jamais réparer l'irréparable.
Quant à la justice de proximité, elle ne constituera plus un échelon de juridiction. Certes inégale et critiquée, elle est supprimée pour être intégrée à la juridiction de premier degré au moment où elle pouvait trouver sa place.
Cette intégration signifie aussi déclassement, le juge de proximité devenant simple assesseur, au moment même où l'expérience acquise pourrait faire taire les dernières critiques. Le transformer en assesseur est un bon moyen de tarir les candidatures. Après avoir fait entrer dans les tribunaux correctionnels des citoyens en qualité de jurés populaires et après avoir supprimé 270 tribunaux d'instance, on supprime les juges de proximité.
N'aurait-il pas fallu consolider cette juridiction en assurant une formation plus solide encore aux juges et en les dotant de moyens matériels, plutôt que de la remettre en cause ?
La justice de proximité avait trouvé sa place dans l'institution judiciaire parce qu'elle répondait au besoin permanent de rapprocher la justice des citoyens dans un environnement marqué à la fois par la judiciarisation de notre vie quotidienne, la complexité des procédures, le coût élevé des auxiliaires de justice, l'engorgement des tribunaux et l'allongement des délais de traitement des contentieux. Nous avons pourtant observé l'affaiblissement constant de l'identité même de la juridiction de proximité.
Quelles sont les raisons qui motivent aujourd'hui la décision de supprimer cet échelon de juridiction ? S'agit-il de calmer une profession en colère, qui a, pour la première fois, manifesté cette année de manière singulière sa désapprobation des réformes qui se sont succédé ?
Nous ne sommes pas convaincus par la démonstration.
Je conclurai mon propos en disant que ce texte est totalement inintelligible pour nos concitoyens. Voudraient-ils suivre nos travaux qu'ils ne seraient pas à même de comprendre notre manière de travailler et les textes que nous produisons. Il y va pourtant du premier échelon de notre démocratie, celui qui permet au citoyen d'apprécier ses représentants pour leur travail législatif, qui est leur tâche première et essentielle.
Pour toutes ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à voter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je répondrai en quelques mots à M. Clément.
Il reproche tout d'abord à ce texte son caractère disparate : ce serait une accumulation de mesures qui, prises séparément, ne suffisent pas à faire une grande réforme.
S'agissant des allègements et de la simplification, vous le savez aussi bien que moi, madame Pau-Langevin : ce qu'il faut, c'est être pragmatique. En l'occurrence, si les dispositions réunies dans ce projet de loi peuvent, prises individuellement, apparaître minimes, elles n'entraîneront pas moins un véritable allègement et une véritable simplification. Il est également vrai que ce texte comporte des dispositions diverses, mais ce sont les travaux de la commission Guinchard qui conduisent à ce type de texte. Les choses sont donc assez simples de ce point de vue.
S'agissant des critiques faites sur la suppression du tribunal aux armées de Paris, force est de reconnaître qu'il ne s'agit là que de la suite logique et de l'achèvement de la réforme voulue en 1982 par M. Badinter. Il s'agit, en temps de paix, de replacer la justice militaire dans le droit commun. Je souligne d'ailleurs que le tribunal de Paris ne compte pas quarante militaires : il compte seulement huit greffiers militaires. Je souligne également que les chefs d'état-major ont tous soutenu le projet et que la justice est actuellement rendue, au tribunal aux armées, par les juges de la cour d'appel de Paris, c'est-à-dire par des juges judiciaires.
Il convient donc de rejeter la motion qui vient d'être présentée par M. Clément et d'entrer dans le débat.
Dans les explications de vote, la parole est à M. Patrice Verchère, pour le groupe UMP.
Je serai très bref, car M. le ministre a expliqué pourquoi il n'y avait pas lieu d'adopter cette motion de rejet, en développant une argumentation qui me paraît suffisante.
Vous avez résumé, monsieur le ministre, tous les arguments qui devraient convaincre notre collègue Jean-Michel Clément de se rallier à ce projet de loi. Si celui-ci n'est pas la solution de tous les problèmes de la justice, il répond néanmoins à un certain nombre de demandes.
Voilà pourquoi il faut commencer la discussion des amendements. Le groupe UMP repoussera donc bien sûr cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Au moins, notre collègue Patrice Verchère a le mérite de la concision. Il est vrai que, quand on n'a rien à dire, il vaut mieux se taire ; je suis d'accord avec lui. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Comment a-t-il fait, d'ailleurs ? Le rapporteur s'en est, lui, sorti en ne disant rien à la suite de la défense de la motion de rejet. M. Verchère prétend que le ministre a résumé tous les arguments. Or qu'a dit M. le ministre ? Que, prises individuellement, ces mesures sont minimes. Autrement dit, si vous prenez chaque mesure séparément, ce n'est rien, et trois mesures ensemble c'est trois fois rien. Toutes les mesures prises ensemble, c'est toujours rien, du vide en plus. Jean-Michel Clément a finalement très bien expliqué la chose.
Monsieur le ministre, je suis sûr qu'en tant que garde des sceaux, vous êtes habité par l'esprit de Montesquieu, qui disait : « Il ne faut toucher à la loi que d'une main tremblante ».
C'est bien ce que je fais !
Vous, monsieur le ministre, le moins qu'on puisse dire, c'est que vous venez avec vos gros sabots ! Nous réunir en session extraordinaire pour si peu de chose, ce n'est pas du tout cohérent.
En outre, comme l'a fort bien dit M. Clément, votre texte est inintelligible. Vous y traitez même de l'HADOPI ; il est vrai que vous nourrissez pour l'HADOPI une obsession que vous ne partagez pas vraiment avec les internautes qui, eux, vous poursuivent de leurs convictions. Certes, maintenant, des lettres sont envoyées, et cela tombe bien : le chiffre d'affaires de La Poste baissait et, d'une certaine manière, avec la loi HADOPI, vous lui assurez la distribution de plis supplémentaires.
Jean-Michel Clément a affirmé que la justice serait, aux termes de ce texte, rendue sans débat, et l'on voit bien, monsieur le ministre, que vous n'aimez pas le contradictoire. Pourtant, entendre les arguments de l'autre en vue de rendre, dans ce domaine si délicat qu'est la justice, les verdicts les plus pertinents possibles, c'est aussi l'une des formes de la démocratie.
Surtout, vous vous en prenez aux chambres régionales des comptes, en invoquant les mânes de notre éminent ancien collègue et président Philippe Séguin. Las, une fois de plus, vous n'avez pas du tout été convaincant.
Le plus fort, monsieur le ministre, c'est que vous avez évoqué les réformes voulues par M. Badinter. Serait-ce, par hasard, que vous postuleriez déjà pour un poste dans le gouvernement d'après l'élection présidentielle de l'année prochaine ? Tout de même, se revendiquer de M. Badinter ! Il est vrai que vous êtes plutôt un centriste et que vous aimez rassembler les deux bords et grignoter des deux côtés, mais vous conviendrez qu'avec cela on ne fait pas une politique très claire, c'est de la bouillie pour les chats !
Pour toutes ces raisons, nous voterons la motion de procédure qui a été remarquablement défendue par notre collègue Jean-Michel Clément, si remarquablement qu'elle a laissé le rapporteur coi et le porte-parole de l'UMP quasiment muet.
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd'hui marque une nouvelle étape dans la mise en oeuvre des propositions de la commission sur la répartition des contentieux présidée par le recteur Serge Guinchard, qui avait rendu ses conclusions le 30 juin 2008.
Un grand nombre des soixante-cinq préconisations de ce rapport ont déjà été reprises dans des textes législatifs ou réglementaires, comme la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures ou, plus récemment, la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires et juridiques et de certaines professions réglementées.
À la suite de la restructuration de l'organisation judiciaire, qui a conduit à la suppression de vingt et un tribunaux de grande instance, une répartition plus claire et rationalisée des compétences devient indispensable. En effet, nombre de juridictions doivent gérer une pénurie de moyens humains et matériels et sont notamment conduites à supprimer, dans les derniers mois de l'année, les audiences des juges de proximité ou leur participation, en tant qu'assesseurs, aux formations collégiales des tribunaux correctionnels, faute de crédits pour payer les vacations. Par ailleurs, face à un système judiciaire de plus en plus incompréhensible et complexe pour nos concitoyens, il apparaît nécessaire d'envisager une justice rénovée, une justice porteuse de sens s'agissant de l'intervention du juge, une justice plus lisible et plus proche des justiciables.
Tel est bien l'objet de ce texte, qui entend compléter la démarche de modernisation entreprise depuis 2009 par le Gouvernement et notre majorité, en offrant, d'une part, une simplification et une clarification de l'institution judiciaire et, d'autre part, un allégement et une rationalisation des procédures. Bien que très technique, le texte opère des réformes fondamentales dans des domaines très variés, puisqu'il s'agit de faire évoluer, entre autres, la justice militaire, les juridictions de proximité et les juridictions spécialisées.
D'abord, le projet de loi comporte un ensemble de mesures visant à simplifier et à clarifier l'organisation judiciaire
En effet, la répartition de principe des compétences civiles entre le tribunal de grande instance, le tribunal d'instance et, depuis 2002, le juge de proximité, fondée sur les critères de la collégialité ou du juge unique, ainsi que sur la nature des contentieux et la représentation obligatoire ou non par un avocat a perdu de sa pertinence.
Dans ce cadre, le projet de loi prévoit, conformément aux recommandations du rapport Guinchard, la suppression des juridictions de proximité en tant qu'ordre de juridiction spécifique afin de donner plus de clarté et de visibilité aux citoyens sur l'organisation judiciaire.
Certains de nos collègues s'inquiètent de cette évolution. Il convient donc de souligner qu'il s'agit de supprimer les juridictions et non les juges. Le projet de loi prévoit en effet de rattacher les juges de proximité au tribunal de grande instance comme assesseurs. En effet, si les juridictions paraissent aujourd'hui inadaptées à l'évolution des contentieux et source de confusion pour les justiciables, les juges qui y sont affectés ont su trouver une place légitime et singulière dans notre fonctionnement judiciaire. Ils apportent une connaissance de terrain et un contact, ce qui est fondamental. C'est pourquoi leur maintien semble nécessaire.
Parallèlement, le texte qui nous est soumis a pour objet de rationaliser le traitement des contentieux et de spécialiser les juridictions dans les contentieux les plus complexes et les plus techniques, afin de renforcer l'efficacité de la justice pénale. Par exemple, un pôle judiciaire spécialisé sera créé au sein du TGI de Paris pour traiter des crimes contre l'humanité, des crimes et délits de guerre ainsi que des actes de torture. De la même manière, le projet de loi prévoit l'intervention de juridictions spécialisées pour les accidents collectifs ou le transfert des attributions du tribunal aux armées de Paris à une juridiction de droit commun.
L'objectif de ces dispositions est d'assurer une certaine harmonisation de la jurisprudence et d'éviter l'imprévisibilité du droit.
En second lieu, le présent projet de loi a pour objet d'alléger certaines procédures, l'essentiel des innovations concernant le civil et les procédures en matière familiale.
Pour répondre à l'objectif d'une plus grande efficacité de l'institution judiciaire et d'un meilleur accès de tous à la justice, le projet de loi étend le champ de trois procédures pénales simplifiées dans le souci d'améliorer l'efficacité du traitement des contentieux simples ou ne donnant pas lieu à contestation.
D'abord, le projet de loi prévoit d'élargir, de manière encadrée, le champ de l'ordonnance pénale délictuelle. Il s'agit d'une procédure rapide de jugement permettant de condamner l'auteur d'une infraction, par la voie d'une procédure écrite et non contradictoire, à une peine d'amende, ainsi, éventuellement, qu'à une ou plusieurs peines complémentaires, dès lors que les faits ont été établis par l'enquête de police et que le parquet dispose d'éléments suffisants sur la personnalité de l'intéressé pour permettre au juge de se prononcer sur la peine en pleine connaissance de cause.
C'est une procédure simple, rapide et peu coûteuse, particulièrement adaptée aux contentieux de masse.
Ensuite, le projet de loi prévoit d'étendre le champ de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Celle-ci permet au procureur de la République de proposer à une personne qui reconnaît avoir commis un délit, une peine qui, en cas d'accord de l'intéressé, pourra être homologuée par le président du tribunal. Cette procédure est un outil intéressant qui permet de réserver les audiences correctionnelles aux contentieux les plus complexes ou les plus sensibles, tout en favorisant la pédagogie de la sanction et une meilleure individualisation des peines.
Enfin, le projet de loi autorise le recours à la forfaitisation pour certaines contraventions de cinquième catégorie. Cette procédure simplifiée de l'amende forfaitaire permet, pour un certain nombre de contraventions, de déterminer forfaitairement, par voie réglementaire, le montant de l'amende que l'auteur d'une infraction devra acquitter entre les mains de l'agent verbalisateur ou auprès du service indiqué dans l'avis de contravention, l'action publique étant alors éteinte.
S'agissant de la procédure applicable devant le juge aux affaires familiales, les dispositions introduites dans le texte initial ont fait l'objet de modifications par les deux assemblées.
Le Sénat a considéré que les époux devaient continuer à se présenter devant le juge aux affaires familiales en cas de divorce par consentement mutuel en l'absence d'enfant. La commission des lois de notre assemblée a confirmé cette position : la séparation des époux doit rester marquée par une certaine solennité.
Par ailleurs, afin de remédier à la faible lisibilité des tarifs des avocats en matière de divorce, le Sénat a amendé le projet de loi initial. Les sénateurs ont rendu obligatoire la conclusion d'une convention d'honoraires pour toutes les procédures de divorce et prévu la diffusion d'un barème indicatif pour informer pleinement les justiciables des frais auxquels ils s'exposent. Ainsi, une prévisibilité des honoraires est garantie, tout en préservant la liberté de fixation de ceux-ci.
Avant de conclure, je souhaiterais revenir à certaines dispositions ajoutées lors de l'examen du texte en commission. Celle-ci a adopté plusieurs amendements permettant d'intégrer au texte du Gouvernement des dispositions qu'elle avait prévues, le 15 septembre 2010, au sujet des juridictions financières et de leur contentieux. En effet, le projet de loi portant réforme des juridictions financières n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour.
S'il apparaît opportun de profiter de ce véhicule législatif pour moderniser les juridictions financières – je pense notamment à l'adaptation du mode de fonctionnement des formations interjuridictions ou à la possibilité d'échanges d'informations réciproques entre les commissaires aux comptes et la Cour des comptes en matière de certification des comptes de la sécurité sociale –, il n'en reste pas moins que le texte soumis aujourd'hui à notre examen vise les juridictions judiciaires et non les juridictions financières.
Certaines dispositions introduites par voie d'amendements posent de réelles difficultés, notamment au Gouvernement, et méritent sans doute une réflexion plus approfondie et des engagements de la part du ministre.
Dans un tout autre domaine, notre commission a adopté un amendement du Gouvernement visant à rétablir l'équilibre entre les parties au procès pénal. L'article 618-1 du code de procédure pénale, déclaré inconstitutionnel par le Conseil constitutionnel le 1er avril dernier, prévoit la possibilité, pour la partie civile, d'obtenir le remboursement des frais qu'elle a engagés dans le cas où la personne poursuivie est reconnue auteur de l'infraction, alors qu'il prive la personne relaxée ou acquittée de la faculté d'obtenir de la partie civile le remboursement de tels frais. L'amendement adopté prévoit ce dernier cas.
Enfin, afin de répondre à l'objectif d'allégement des procédures, la commission des lois a adopté un amendement du Gouvernement ayant pour objet de faciliter le recours à l'injonction thérapeutique en permettant d'assouplir les conditions de sa mise en oeuvre. En effet, les procédures pour usage de produits stupéfiants, délit pour lequel les auteurs peuvent faire l'objet d'une injonction thérapeutique, constituent un contentieux relativement important devant les juridictions pénales et soulèvent actuellement des difficultés. C'est pourquoi un allégement des règles applicables semble nécessaire.
Vous l'aurez compris, chers collègues, le projet de loi soumis à notre examen permet de répondre de manière efficace et maîtrisée aux enjeux auxquels est aujourd'hui confrontée notre organisation judiciaire. Il s'inscrit dans la continuité des différentes réformes entreprises par le Gouvernement depuis plusieurs années afin de rendre notre justice plus lisible et plus compréhensible pour nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle le groupe UMP le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, je centrerai mon propos sur les ajouts apportés en commission des lois relativement aux juridictions financières.
J'ai beaucoup apprécié la position du garde des sceaux déclarant que, faute de pouvoir présenter un texte global sur les juridictions financières, le Gouvernement était favorable à ce qu'on puisse le voter par petits morceaux, comme ou a commencé à le faire dans la loi de finances rectificative. Je rappelle que c'est vers six heures vingt du matin que le Gouvernement a déposé en séance un amendement sur le recrutement des magistrats des chambres régionales des comptes…
Le président de la commission des lois a saisi de nouveau la commission d'amendements qu'elle avait déjà adoptés – c'était, il est vrai, en septembre 2010.
Avant d'aborder le fond de ces mesures, je veux souligner qu'il s'agit d'une procédure particulière, qui s'explique par la défaillance du Gouvernement et par le fait que, doté de nouveaux pouvoirs, le Parlement s'en saisit. Comme aurait pu le dire Jean-François Copé, c'est un processus de coproduction.
Monsieur le garde des sceaux, un projet de loi relatif aux juridictions financières avait été déposé en novembre 2009. Il prévoyait une nouvelle responsabilité des gestionnaires publics, à l'exception des ministres, une unité organique entre la Cour des comptes et les chambres régionales, et une réduction du nombre de chambres régionales. En outre, une série de dispositions devaient être prises par ordonnance.
Le contenu du texte étant en quelque sorte l'expression d'un passage en force – ce qui était tout à fait dans la nature du Premier président de la Cour des comptes de l'époque –, il a suscité de nombreuses observations, voire récriminations. Le décès prématuré de Philippe Séguin, que nous regrettons tous, a conduit à restreindre le cheminement ultérieur de ces propositions, d'autant que le nouveau président de la Cour des comptes est venu, le 7 juillet 2010, devant la commission des lois pour déclarer que s'il tenait, sur le fond, à ce texte, il acceptait de prendre en compte les observations formulées ici ou là. Ainsi, il renonçait à l'unité organique entre la Cour et les chambres régionales. En effet, il était prévu que la Cour absorbe les chambres régionales, mais celles-ci ne l'avaient pas accepté, et elles n'étaient pas les seules à manifester leur refus. Le Premier président a donc décidé de remettre la question sur le tapis. Par ailleurs, étant très soucieux du rôle du Parlement, il a renoncé à ce que des dispositions importantes soient prises par ordonnance. Voilà qui permettait d'aborder l'examen de ce texte dans un esprit plus constructif.
Toutefois, une difficulté demeurait : il fallait le réécrire. Or le Gouvernement n'a rien réécrit. C'est en septembre 2010 que nous avons pu adopter en commission un texte quasiment réécrit par le président de la commission des lois, alors que nous nous attendions à ce que le Gouvernement nous présente un nouveau projet.
Il n'était pas simple pour l'opposition de déposer des amendements sur un texte qu'elle avait découvert en réunion de commission – ce qui a été votre cas lors de la réunion de mercredi dernier, monsieur le ministre… En se fondant sur le texte adopté en commission des lois, l'opposition a rédigé des amendements, qu'elle n'a jamais eu l'occasion de déposer, pour la simple raison que l'article 88 du règlement n'a jamais pu être appliqué, le texte de septembre 2010 n'ayant jamais été inscrit à l'ordre du jour.
Le temps passant, et le Gouvernement s'obstinant à maintenir ce texte au frigidaire pour des raisons très simples, mais pas nécessairement admissibles, que j'essaierai d'éclaircir tout à l'heure, le Parlement joue pleinement son rôle en introduisant dans le présent projet de loi des dispositions que la commission des lois a déjà approuvées.
Si l'on ne peut refuser au Parlement de prendre des initiatives, ce n'est pas là une procédure habituelle et qui permette de travailler dans de bonnes conditions. Je tenais à vous faire part de mon sentiment sur la méthode ; il fallait que les choses soient dites.
Sur le fond, ce texte est nécessaire. Ainsi, à l'occasion de la révision constitutionnelle, nous avons confié à la Cour des comptes le soin d'assister le Parlement dans l'évaluation des politiques publiques. Cela ne pose aucun problème dès lors qu'il s'agit des politiques publiques nationales, qui relèvent de la Cour des comptes. Mais lorsque nous demandons une évaluation sur les services départementaux d'incendie et de secours, la Cour des comptes ne peut accéder à notre demande, car ce domaine relève des chambres régionales.
Naturellement, il y a des liens entre la Cour des comptes et les chambres régionales, mais les procédures ne sont pas les mêmes. Il fallait donc les harmoniser. On ne parle plus maintenant de soumission ni de hiérarchie, mais de coordination. Ainsi, une disposition permet désormais à la Cour des comptes de travailler en liaison avec les chambres régionales dans des domaines qui relèvent de la compétence de ces dernières, afin que la Cour puisse remplir pleinement la mission d'évaluation des politiques publiques que le Parlement est en droit de lui confier.
S'agissant, en second lieu, de la nouvelle responsabilité des gestionnaires publics, le président de la commission des lois a cité plusieurs textes. Je ne résiste pas non plus au plaisir de les citer, en particulier celui du Président de la République – vous savez l'intérêt que je lui porte, notamment pour ce qui est des questions budgétaires et financières…
Le Président de la République disait, à l'occasion du bicentenaire de la Cour des comptes : « Trop longtemps, on a considéré que le propre de l'argent public était d'être dépensé sans compter, qu'il était dans la nature du service public que son efficacité ne soit pas mesurable et que si l'on devait demander des comptes au comptable, il n'était pas légitime d'en demander à l'ordonnateur. Je profite de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous aujourd'hui pour dire que cette époque est révolue. Notre État a besoin d'une révolution intellectuelle et morale. »
Après cette citation, l'exposé des motifs du projet de loi de 2009 continue ainsi : « La recherche de la performance, aussi légitime soit-elle, ne saurait faire oublier le premier impératif qui s'impose au gestionnaire : celui du respect de la règle de droit. La sanction des irrégularités et des fautes de gestion constitue à cet égard une dimension clé d'une bonne gestion publique. Elle en conditionne tant l'efficacité que la probité. Une réforme du régime de responsabilité juridictionnelle des gestionnaires, pour en faire un système efficace et effectif, apparaît aujourd'hui plus urgente que jamais. » Je rappelle que nous sommes alors en 2009. « Elle conditionne la légitimité de la démarche de la loi organique relative aux lois de finances. Il ne saurait en effet y avoir plus de liberté sans responsabilité véritable. »
Je poursuis la lecture de l'exposé des motifs du Gouvernement, signé François Fillon :
« Le mécanisme de sanction des irrégularités et des fautes de gestion devant la Cour de discipline budgétaire et financière – mécanisme pourtant original et adapté aux spécificités de la gestion publique – est singulièrement limité. Aussi, l'alternative joue-t-elle actuellement entre l'absence de sanction, inacceptable pour nos concitoyens, ou la sanction pénale, souvent disproportionnée. »
J'arrête là ma lecture, mais je pourrais, en citant l'étude d'impact, continuer dans le même sens. Au fond, nous sommes tous d'accord sur ce point. La preuve en est que lorsque le Gouvernement a présenté son texte, il a fait en sorte que les ordonnateurs publics, tels que les membres des cabinets et les ordonnateurs des collectivités locales, soient désormais responsables juridiquement devant la Cour des comptes au plan financier. Il n'a oublié qu'une seule catégorie de personnes : les ministres.
Jusqu'à présent, les élus locaux n'étaient pas responsables devant la Cour des comptes, pas plus que devant la Cour de discipline budgétaire et financière, sauf dans certains cas. Les ministres ne sont pas non plus responsables devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Autrement dit, quand le Gouvernement, en application de ces dispositions, présente la liste des responsables, il y met tout le monde, sauf les ministres. Qu'a fait la commission des lois ? Elle a simplement, par cohérence, ajouté les ministres.
Monsieur le garde des sceaux, je vous donne un exemple. Le 13 juillet 2008 s'est tenue à Paris la première réunion de l'Union pour la Méditerranée. Le ministère des affaires étrangères a dépensé 16 millions d'euros pour organiser cette manifestation qui n'a duré que quelques heures, donc pour mettre en état le Grand Palais, construire, entre autres, des salles de réunions ou des douches, qui n'ont pas été utilisées, et pour servir au Petit Palais un repas pour 200 personnes qui s'est élevé à 7 000 euros par couvert, tous frais compris, dont la location du Petit Palais.
Tout cet argent a été dépensé dans le plus grand désordre. Ce sont à peu près les mots employés par Philippe Séguin. Il n'y a eu aucun appel d'offres. On a fait n'importe quoi, au point, d'ailleurs, que le comptable a refusé de payer. Le ministre du budget a trouvé une solution et a expliqué à son collègue des affaires étrangères qu'il suffisait de réquisitionner le comptable, qui, dès ce moment, ne pouvait plus être considéré comme responsable d'avoir couvert toutes les irrégularités afférentes à ces 16 millions d'euros. Le ministre n'étant de toute façon pas responsable financièrement, tout était réglé !
Comment, monsieur le garde des sceaux, peut-on accepter que, dans la moindre de nos collectivités, on puisse accuser l'ordonnateur d'avoir commis une petite malversation ou de ne pas avoir fait tel ou tel appel d'offres, mais que l'on ne puisse pas mettre en cause un ministre à l'origine d'une dépense de 16 millions sans aucun appel d'offres et sans aucun respect de la réglementation ? Les dépenses étaient engagées et les aménagements avaient même été détruits lorsque le paiement a été réclamé.
Voilà pourquoi il est tout à fait légitime que, dès lors que l'on modifie le système de responsabilité financière, les ministres soient également concernés. C'est, au fond, notre seul point de désaccord, semble-t-il, avec le Gouvernement. Nous avons le sentiment que c'est parce que la commission des lois, en septembre 2010, a ajouté les ministres que le Gouvernement n'a pas présenté son texte. Tout le monde doit être concerné ou personne ! Dans le système actuel, soit les élus ne sont jamais sanctionnés, ce qui n'est pas très bon aux yeux de l'opinion publique, soit ils sont traduits au pénal, ce qui n'est pas non plus totalement satisfaisant, alors qu'il s'agit là, j'y insiste, d'une responsabilité financière éventuellement justiciable d'une amende dont le coût pourrait aller, selon l'infraction, de 1 000 euros au double de leur traitement. Par exemple, ces 16 millions de dépenses irrégulières pourraient être passibles d'une forte amende, ce qui ne serait pas le cas pour des infractions de faible gravité.
Le troisième point sur lequel j'insisterai concerne le nombre des chambres régionales des comptes. Le président de la commission des lois a, là aussi, repris le dispositif adopté par la commission des lois, laquelle avait jugé souhaitable de réduire le nombre de chambres régionales. Un plafond de vingt a été fixé, sans que l'on sache exactement combien cela entraînera de regroupements des chambres régionales. Des précisions devront sans doute être apportées sur ce point. On ne sait toujours pas, en effet, s'il en restera, en métropole, six, huit ou dix à l'issue du processus dans lequel nous sommes engagés.
Or les socialistes sont attachés à ces chambres régionales, car créées en 1982, grâce à la grande loi de décentralisation de Gaston Defferre, loi qui a donné aux collectivités une considérable liberté d'action. Nous considérions alors qu'il ne pouvait pas y avoir de liberté d'action sans responsabilité, d'où la création de ces organes. La loi dispose ainsi qu'il y a une chambre des comptes dans chaque région, d'où leur nom actuel de chambres régionales des comptes.
Ces instances, je dois le dire, ont accompli depuis leur création un travail remarquable. Il est vrai qu'il avait alors fallu quelque peu improviser. À l'époque, les collectivités locales n'étaient pratiquement jamais contrôlées par la Cour des comptes ; dans ses rapports, que je collectionne depuis 1965, il y est très peu fait référence. Ce sont les chambres régionales – ultérieurement territoriales outre-mer – qui ont eu pour mission de contrôler les dépenses des collectivités locales. Après une période un peu difficiles, les chambres régionales et les élus ont appris à discuter et, finalement, tout se passe très bien aujourd'hui. Les chambres régionales ont un rôle d'évaluation et de conseil et ne deviennent des gendarmes que lorsque c'est nécessaire. La plupart des élus reconnaissent, aujourd'hui, l'intérêt de leur travail. Il convient, par conséquent, de leur rendre hommage et de veiller à ce qu'elles puissent continuer à remplir leurs fonctions.
Nous ne sommes pas hostiles, par principe, à des mutualisations qui permettraient aux chambres d'être un peu plus performantes, donc de mieux accomplir leurs missions et de participer davantage aux évaluations. Encore faut-il que l'on ait une garantie, ce qui n'est pas le cas. Monsieur le président de la commission des lois, vous vous êtes plus spécialement penché sur cette partie du texte. Le groupe socialiste souhaite qu'on lui dise combien il y aura de chambres régionales et que tout se stabilise. Il est proposé qu'un décret en fixe le nombre. Ce n'est pas satisfaisant parce qu'un décret peut être modifié par tout gouvernement, non pas au gré de ses humeurs, parce qu'aucun ne travaille ainsi, mais selon les circonstances, et ce sans que le Parlement n'ait de pouvoir décisionnel ni ne soit même informé. Je vous rappelle – mais vous le savez parfaitement, monsieur le garde des sceaux, parce que vous êtes un spécialiste de la décentralisation et que vos rapports, que je cite souvent à mes étudiants, font autorité – que les dépenses des collectivités locales s'élèvent à 210 milliards. Par conséquent, les vingt-six chambres régionales des comptes, dont on peut certes réduire le nombre, mais sans excès, ne sont pas de trop pour contrôler cette dépense et éviter les dérives.
Nous sommes donc globalement favorables à cette partie du texte et, en particulier, à l'article 24 sexies. Nous présenterons un certain nombre d'amendements et nous déciderons, en fonction du sort qui leur sera réservé, de notre vote final.
Voilà, monsieur le garde des sceaux, les quelques observations que je souhaitais faire sur cette partie importante du texte. Mais j'ai cru comprendre que d'autres aspects avaient été ajoutés en commission, si bien que ce projet de loi porte en fait diverses dispositions sur les juridictions en général. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je vous remercie, mon cher collègue, d'avoir scrupuleusement respecté votre temps de parole.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un maximum de dix minutes.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avant d'en venir au fond du projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles, je voudrais déplorer les conditions dans lesquelles notre assemblée est amenée à examiner ce texte. Ce projet de loi est brutalement sorti des cartons, le Gouvernement osant même engager la procédure accélérée, alors qu'il est resté en attente au Sénat pendant un an, car déposé le 3 mars 2010. C'est ce qui nous a valu cet échange à fleurets mouchetés au début de notre séance. Nous avons constaté que le président de la commission était quelque peu agacé de la façon dont le Gouvernement, et en l'occurrence M. le garde des sceaux, travaille. Je ne suis pas toujours d'accord avec M. Warsmann mais, puisqu'il faut les départager, c'est à lui que je donnerai raison. Vous étiez tellement impatient, voire fébrile, monsieur Warsmann, que vous n'avez même pas attendu que le garde des sceaux fasse une génuflexion devant vous pour vous demander de le pardonner de la façon dont cette affaire a été engagée ! (Sourires.)
C'est, du reste, le troisième texte sur la justice que la représentation nationale doit examiner en quelques semaines selon la procédure accélérée ou, plus exactement, à la va-vite. Après l'instauration, dans le cadre du PLFR, d'une justice payante via une contribution de 35 euros, après le projet de loi catastrophique sur le démantèlement de la justice des mineurs, voici celui sur « l'allégement des procédures ». Dès que le Gouvernement parle « d'allégement, de simplification, de modernisation » – puisque c'est toute la logorrhée gouvernementale et majoritaire – il faut toujours regarder où le bât blesse, parce que ce n'est pas si simple. En réalité, loin d'être un projet d'allégement, il s'agit d'un texte lourd, comme les deux précédents. Si j'osais le pléonasme, je ne parlerais pas de frénésie législative, mais de frénésie frénétique, comme celle qui caractérise le Président de la République qui, lorsqu'il approche de l'écurie et de l'avoine fraîche qu'il y sent – référence à ma Normandie natale – vibrionne de tous les côtés ! Et vous qui êtes un homme placide, plein d'onction et même de componction, monsieur le garde des sceaux, êtes en quelque sorte contaminé par de tels débordements ! Heureusement que des gens restent ici très sereins, n'est-ce pas, mon cher collègue de l'UMP, qui n'êtes pas contaminé, ce qui est heureux, puisque la sagesse accumulée au fil des ans vous protège de tous ces débordements !
Je ne fais pas de remplissage et je vous remercie de ne pas m'interrompre !
Cette frénésie législative a des répercussions gravissimes sur le fonctionnement de l'institution judiciaire. Il est inacceptable de réformer avec une telle légèreté, sans navette parlementaire, sans concertation. Alors que le garde des sceaux nous disait tout à l'heure que le travail ne se faisait que dans la discussion, c'est le contraire qui nous est imposé. Ainsi, les rapports ne nous ont-ils même pas été communiqués avant la clôture du délai de dépôt des amendements.
La situation de notre justice est critique. Les syndicats de magistrats s'accordent pour déplorer le traitement qui lui est réservé par cette majorité. Une mobilisation d'ampleur historique a eu lieu en mars dernier : l'ensemble des personnels du monde judiciaire réclame des moyens supplémentaires face à l'engorgement du système. Mais face à cette demande pressante de création de postes, le Gouvernement réduit la qualité du service public de la justice au détriment des justiciables, et ce pour réaliser des économies au nom de la RGPP ! Le choix idéologique qui est fait est donc celui d'une justice au rabais, à qui on ne donne pas les moyens de fonctionner correctement, mais qu'on rabote, comme aurait dit Christine Lagarde, pour en diminuer le coût !
Je concentrerai mon propos sur quelques points particulièrement problématiques de ce texte fourre-tout, dépourvu de la moindre cohérence, ce que le garde des sceaux a reconnu à sa manière. La seule ligne directrice semble être l'accompagnement de l'appauvrissement du service public de la justice, commencé par cette majorité avec la fermeture de 178 tribunaux d'instance et de 17 tribunaux de grande instance à l'occasion de la réforme de la carte judiciaire. Beaucoup des dispositions du présent catalogue n'ont, en effet, aucun autre objectif que de permettre l'application de la révision générale des politiques publiques et la réduction des investissements publics.
Pour commencer, le projet de loi supprime la juridiction de proximité et rattache les juges de proximité aux tribunaux de grande instance. Dès la création de cette juridiction, en 2002, notre groupe avait exprimé, avec les professionnels, son hostilité à cette complexification évidente du système. Le lieu judiciaire de la proximité est en effet, par essence, le tribunal d'instance.
Dans la foulée, le texte procède à une nouvelle répartition des contentieux dans un nombre étendu de domaines, ce qui complique considérablement la lisibilité de notre droit. Toujours dans une logique de gestion de la pénurie, il s'agit de faire de la spécialisation une règle et de réorganiser la justice selon des pôles d'expertise. Ainsi, le juge sera de moins en moins le représentant du peuple français et de plus en plus un technicien, au détriment de la compréhension du justiciable et de la lisibilité de l'oeuvre de justice.
Une seule disposition va dans le bon sens, en la matière : celle qui crée un pôle consacré aux crimes contre l'humanité. Mais une telle innovation méritait mieux que d'être noyée au milieu de ce fatras de dispositions composites. Encore faut-il, pour que ces mesures aient un impact positif, que les moyens humains et techniques de ces nouveaux pôles soient à la hauteur de leur mission ; le contexte actuel peut nous persuader du contraire.
Un autre pan, massif, de ce texte est consacré à la généralisation des procédures pénales simplifiées, tout particulièrement de l'ordonnance pénale et de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Comme lors de l'introduction de ces méthodes dans notre droit, nous voulons affirmer notre opposition totale à ces dispositifs d'accélération des procédures et de justice au rabais. De telles généralisations corrodent les principes du procès pénal : le droit à un débat contradictoire, à la publicité des audiences, à l'impartialité du juge et à l'individualisation de la peine. Tous les justiciables sont lésés par ces régressions, y compris les victimes, à la cause desquelles vous prétendez pourtant être totalement acquis. Rendre justice prend du temps ; les décisions collégiales devraient être la règle, et non l'exception.
À cet égard, les observations du Syndicat de la magistrature sont éclairantes. En effet, celui-ci « s'inquiète des glissements de compétences que ces dispositifs engendrent, aboutissant à transférer au parquet le pouvoir du juge et aux enquêteurs, par la généralisation du traitement en temps réel, celui du ministère public. » S'agissant plus particulièrement de l'élargissement de la procédure du plaider-coupable, le Syndicat de la magistrature note que « les juges du siège déplorent [...] l'organisation de ces audiences où le parquet peut les placer devant le fait accompli dans des procédures souvent contestées, tandis que les magistrats du ministère public font justement observer que cette voie procédurale est pour eux très chronophage. Quant à la défense, elle critique souvent cette pseudo-négociation dont elle est exclue. » Chacun sait aujourd'hui que ces nouveaux modes de comparution fragilisent les droits de la défense. Les justiciables peuvent en effet être « enclins à accepter aveuglément une peine présentée – parfois à tort ! – comme bien inférieure à celle qui pourrait leur être infligée à l'audience. » C'est donc un système fortement critiqué par les professionnels de la justice qui fait ici l'objet d'une généralisation massive.
Ainsi, la seule ambition de ce texte semble être de transformer les magistrats en distributeurs automatiques de peines, au mépris du droit au procès équitable, pourtant inscrit dans la Convention européenne des droits de l'homme, dont la France est signataire. Notre pays est régulièrement condamné par la Cour de Strasbourg pour le non-respect de ces principes, et le présent texte ne risque pas d'infléchir la tendance.
Madame la présidente, afin de ne pas susciter votre courroux…
Je suis très indulgente avec vous, monsieur Brard : tout à l'heure, vous avez doublé votre temps de parole.
Je vous remercie de votre compréhension et de votre mansuétude en cette session extraordinaire. Aussi vais-je conclure en citant l'appréciation que le Syndicat des juridictions financières porte sur l'offensive conduite par M. Warsmann – qui est moins onctueux que M. le ministre – mercredi dernier : « En procédant ainsi dans l'urgence et par détournement des procédures parlementaires, on refuse de soumettre à un vrai débat public une réforme qui, depuis plus de trois ans, suscite une opposition unanime des magistrats et agents de la Cour des comptes et des chambres régionales. [...] Elle va conduire à leur affaiblissement par le refus de leur confier le jugement de la responsabilité financière des élus locaux et par la réduction de leur présence sur le territoire. C'est ainsi que, de façon délibérée, on va porter un coup sévère au contrôle des finances publiques locales [...] »
Monsieur le président de la commission des lois, l'expérience nous a montré que, soucieux de bien faire, vous acceptez un rythme qui n'est pas supportable. Rappelez-vous ce qui s'est passé lorsque vous avez soumis à l'Assemblée un texte dit de « simplification du droit » : s'y trouvaient d'étranges dispositions, comme celle qui a permis à la scientologie de ne pouvoir être dissoute à l'issue de son procès. Voilà ce qui arrive lorsque l'on travaille comme un stakhanoviste et à mauvais escient ! Monsieur le ministre, vous ne devriez pas créer les conditions qui empêchent le président de la commission des lois de faire convenablement son ouvrage.
Monsieur le ministre, je souhaite évoquer à cette tribune les juges de proximité ; les personnes qui ont un peu de mémoire ne comprendraient pas que je ne le fasse pas. Vous nous proposez en effet de supprimer ces juges de proximité ou, plus exactement – car vous êtes plus habile que cela –de supprimer la juridiction de proximité et de faire de ces juges des assesseurs.
Permettez-moi de rappeler la manière dont ce dispositif est né, en 2002, après une campagne présidentielle qui avait déjà beaucoup porté sur les questions de sécurité, de justice, et sur la nécessité de rapprocher nos concitoyens de l'institution judiciaire. Dans des conditions parfois difficiles – M. Brard a rappelé son opposition à ce projet –, nous avions élaboré cette juridiction de proximité en l'ouvrant à des femmes et à des hommes qui, d'une façon ou d'une autre – le texte était assez précis sur ce point –, avaient pratiqué le droit au cours de leur vie professionnelle et connu la réalité de la vie économique, sociale, culturelle et associative de notre pays.
Une telle ouverture me paraissait positive à plus d'un titre. Tout d'abord, elle permettait à des femmes et à des hommes au profil différent de rejoindre la profession de magistrat – sans en être tout à fait – et donc d'apporter une autre expérience, une vision de la société qui pouvait être différente. Ensuite, les compétences qui leur étaient attribuées par la loi permettaient à ces hommes et à ces femmes ayant eu une expérience de terrain très concrète, notamment des responsabilités associatives importantes, de juger de petits litiges de la vie quotidienne. Cet objectif était tout à fait pertinent et le demeure aujourd'hui.
Bien entendu, comme toute réforme, celle-ci doit faire l'objet d'une évaluation. M. Guinchard estime l'avoir réalisée, mais il me semble qu'il a brassé tellement de sujets – il n'est pas là pour m'entendre, mais peut-être me lira-t-il – qu'il n'a pas pu étudier le fonctionnement de la justice de proximité avec toute l'attention qu'elle aurait méritée. Peut-être n'a-t-il pas non plus perçu l'importance des difficultés qu'elle a rencontrées pour se faire sa place. Je le dis avec amabilité et avec tout le respect que je dois aux magistrats professionnels, dont certains n'ont pas vu la juridiction de proximité d'un très bon oeil. La manière dont, dans un certain nombre de cours d'appel, les dossiers de candidature ont été filtrés au point d'éliminer tous les candidats, témoigne de cette résistance, que je juge dommageable pour l'intérêt de tous.
Nous savions, lorsque nous avons rédigé le projet de loi, que nous risquions d'introduire une certaine complexité. Toutefois, peut-être aurait-on pu trouver d'autres réponses que celle que vous nous proposez, monsieur le ministre. Il est vrai qu'en supprimant le problème, on règle une partie des difficultés. Mais, sans vouloir vous gêner, permettez-moi de souligner un paradoxe. Il y a deux semaines, vous nous avez proposé d'introduire des jurés dans les tribunaux correctionnels. J'ai voté votre texte, car je crois que cette réforme peut améliorer la qualité des débats. Néanmoins, cette mesure ne produira pas le résultat qu'attendent ceux qui pensent qu'elle permettra d'accroître la sévérité des jugements ; ceux-là se trompent totalement. Les débats seront plus longs, le poids des avocats dans le déroulement des délibérations s'en trouvera accru – je ne m'en plains pas –…
…et, comme me le souffle M. Dosière, cela coûtera plus cher. Quoi qu'il en soit, j'ai voté le texte. En revanche, j'aurais bien du mal à approuver l'article 1er du projet de loi que vous nous soumettez aujourd'hui, car nous allons trop vite. Encore une fois, j'aurais souhaité participer à une véritable évaluation, par notre assemblée, de la justice de proximité et à la recherche de solutions qui permettent de conserver les éléments incontestablement positifs de la réforme.
Ne vous attendez pas à ce que des femmes et des hommes fassent, pour devenir assesseurs dans les tribunaux de grande instance, les efforts qu'ont consentis ceux qui ont suivi le cursus pour devenir juges de proximité ; je n'y crois pas une minute. En réalité, vous allez tarir le recrutement, et une tentative d'ouvrir la magistrature sur l'extérieur, de rapprocher la justice de nos concitoyens dans le cadre des petites affaires, aura été purement et simplement écartée.
Le hasard veut que ce soit à vous que je m'adresse, monsieur Mercier, mais je tenais à dire combien je regrette profondément cette disposition. Je ne voterai donc pas l'article 1er. C'est une occasion perdue. Beaucoup de femmes et d'hommes avaient fait des efforts incontestables pour faire réussir la justice de proximité. Peut-être celle-ci était-elle imparfaite, mais il est dommage que l'on se résolve à la supprimer purement et simplement.
Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce texte dont on nous dit qu'il a pour objet de désengorger les tribunaux et de simplifier l'organisation judiciaire non seulement ne réglera pas grand-chose, mais, surtout, permettra de multiplier les procédures expéditives. Ainsi que l'a indiqué M. Brard, nous ne croyons guère à une simplification de la procédure judiciaire : en général, lorsque l'on affiche ce type d'objectifs, on aboutit à compliquer significativement l'organisation des tribunaux. Ainsi la quasi-suppression de la juridiction de proximité confirme ce que nous avions dit lors de sa création, à savoir qu'elle risquait de perturber l'organisation des tribunaux et d'échouer. Nous allons rencontrer les mêmes problèmes avec le texte qui nous est soumis aujourd'hui.
Ce projet de loi est le quatrième qui s'inspire du rapport Guinchard et vise à alléger les procédures. Or, une fois de plus, il va aboutir à éloigner les citoyens de la justice et rendre celle-ci encore moins compréhensible.
Certaines idées du texte sont intéressantes, notamment la spécialisation de certaines juridictions en matière de contentieux collectifs, de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre. Cependant, il me paraît dommage de procéder à une réforme d'une telle ampleur de cette manière, c'est-à-dire au détour d'un texte général, sans que l'on ait procédé à l'évaluation du système actuel et tenté d'identifier les causes de ses dysfonctionnements. En 1987, personne n'a mis en cause la qualité du procès Barbie, organisé à Lyon. On peut, dès lors, se demander en quoi le fait que les procès de ce genre se tiennent systématiquement à Paris va constituer un progrès.
Il est également proposé de supprimer les juges de proximité pour les rattacher aux tribunaux de grande instance. Il s'agit là, de toute évidence, d'un artifice visant à remédier au manque de magistrats sans procéder aux recrutements qui seraient nécessaires. Surtout, on se demande comment vous allez mettre en oeuvre la coordination et l'articulation des deux réformes que sont la suppression partielle des juges de proximité et l'instauration des assesseurs citoyens. Lorsque nous avons posé cette question en commission, M. le rapporteur nous a répondu que la coordination était une « notion philosophique », sans plus de précisions – ce qui montre bien que l'on n'a pas suffisamment réfléchi à la question.
De la même manière, après avoir imposé au forceps des dispositions concernant la multipostulation pour Libourne et Alès – dispositions dont nous affirmions que personne ne voulait – vous les supprimez quelques mois plus tard, vous étant rendu compte qu'elles ne sont pas les bienvenues. La multiplication de textes expéditifs et souvent contradictoires ne donne guère l'impression que nous contribuons à l'amélioration de la loi !
Pour ce qui est de l'extension du champ de l'ordonnance pénale aux délits relevant du tribunal correctionnel statuant à juge unique, nous sommes, par principe, opposés à l'ordonnance pénale, qui réduit les droits de la défense et fait disparaître la vertu pédagogique de la comparution devant un tribunal. En outre, l'extension de l'ordonnance pénale est en contradiction avec le but affiché du texte relatif aux jurys populaires. Vous nous proposiez en effet d'associer les citoyens à la justice pour une série de petits délits présentés comme particulièrement pénibles, à savoir les petits vols, les destructions et dégradations de biens publics ou privés, les délits d'occupation de hall d'immeuble et ceux relatifs aux chèques et cartes bancaires. Dans tous ces cas où le parquet aura recours à l'ordonnance pénale, l'amende sera fixée par écrit sans comparution du prévenu ni de la victime. Alors qu'on crée un tribunal correctionnel pour les mineurs en excipant du fait qu'une procédure plus solennelle a une vertu pédagogique pour les auteurs et joue le rôle d'un exorcisme pour les victimes, avec l'ordonnance pénale, il n'y aura plus d'audience du tout ! Les jeunes majeurs recevront simplement par la poste l'indication du montant de l'amende à payer, ce qui sera d'un effet quasi nul sur des personnes le plus souvent sans ressources. La victime sera, elle aussi, constamment tenue en dehors de la procédure et, même si des dommages et intérêts lui sont accordés, ce sera en son absence. On se demande bien où est la logique quand on considère ces deux réformes contradictoires.
En matière familiale, afin de rendre la justice plus expéditive, vous proposez de supprimer la comparution devant le juge pour les divorces par consentement mutuel – la seule comparution qui subsistait en matière de divorce. C'est pour le moins surprenant, car la majorité nous a habitués à des arguments sacralisant quasiment le lien matrimonial, notamment lorsque nous avons suggéré de permettre le mariage entre personnes du même sexe. Si vous accordez tant d'importance à l'institution du mariage, comment pouvez-vous proposer que le divorce soit prononcé sans même que les personnes concernées aient à faire l'effort de se déplacer pour rencontrer un magistrat ?
La suppression de l'intervention du rapporteur en matière de contentieux administratif est encore une manière de traiter cette question de manière expéditive, alors que les conclusions du rapporteur public constituent souvent le moment le plus intéressant et le plus instructif de l'audience devant une juridiction administrative.
Je n'insisterai pas sur la réforme des juridictions financières, que notre collègue René Dosière a longuement évoquée – et à laquelle nous pourrions d'ailleurs adhérer sur certains points. Je veux simplement souligner que le fait d'introduire des dispositions importantes au moyen d'amendements déposés tardivement constitue une façon quelque peu cavalière de faire la loi.
Votre texte contient de nombreuses dispositions, justifiées en grande partie par votre volonté de retirer des réformes que vous avez instituées précédemment en dépit de nos avertissements – ce qui constitue l'aveu implicite de leur échec. Faire une loi et, trois mois plus tard, en faire une autre qui dit le contraire, complique la tâche des magistrats et contribue à décrédibiliser la loi aux yeux des justiciables.
Pour ce qui est de la consommation de stupéfiants, nous avons entendu la majorité pousser des cris d'orfraie quand Daniel Vaillant a proposé d'adapter les poursuites en la matière à la réalité et à la modestie des moyens dont dispose la justice. Or, entre l'ordonnance pénale qui supprime la comparution de l'auteur et la simple injonction thérapeutique qui permettra au consommateur d'échapper à l'action publique, vous réduisez considérablement les poursuites en matière d'usage de stupéfiants. Si la majorité a, dans ses discours, une position très ferme, il n'en est pas de même dans la réalité, où elle est bien obligée de tenir compte des faibles moyens des tribunaux et de l'évolution de la société !
Ce texte, qui suit d'assez loin les préconisations du rapport Guinchard, ne sera pas un grand texte. On comprend mal votre volonté de le faire adopter en urgence, avec une convocation de la commission mixte paritaire fixée à mercredi matin. C'est là une singulière façon de légiférer qui, en tout état de cause, ne permet pas au Parlement de faire usage des droits qui lui sont reconnus en vertu de la Constitution. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, l'immensité de notre arsenal juridique, qui comprend plus de 8 000 lois et 400 000 textes, nous impose, en tant que législateurs, de veiller constamment à sa clarification. Le droit, matière vivante et qui épouse les évolutions de la société, doit répondre à la double exigence d'efficacité et d'intelligibilité, conformément aux recommandations de la Cour de cassation et du Conseil d'État.
L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 affirme : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui (...) Ses bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. » Sa lecture nous révèle à quel point la simplification du droit est essentielle pour notre démocratie. Cet impératif démocratique nous impose de nous acquitter résolument de cette mission que nous ont confiée ceux que nous représentons et qui, par leurs témoignages, apportent chaque jour leur contribution à ce processus collectif.
Le projet de loi qui nous est soumis s'inscrit pleinement dans la lignée des six textes de simplification portés depuis 2002 par notre majorité, qui ont considérablement toiletté le paysage juridique français. Il est ici question, dans le droit fil des conclusions du rapport Guinchard, rendu en juin 2008, de rationaliser l'organisation matérielle de la justice par une meilleure répartition des contentieux, mais aussi d'étendre le champ de certaines procédures de jugement simplifiées qui ont fait la preuve de leur efficacité, afin de désengorger les tribunaux.
Il s'agit également de rendre notre droit plus protecteur envers les victimes, ainsi que plus adapté en matière familiale. La prise en compte de ces préoccupations légitimes a conduit à augmenter le budget de la justice de 60 % en neuf ans, le faisant passer de 4,5 milliards d'euros en 2002 à 7 milliards en 2011.
Ce texte entend également rapprocher les juges de proximité des TGI. Néanmoins, le transfert de plus de 100 000 affaires de contentieux civil aux tribunaux de grande instance – je pense notamment au TGI de Privas – impliquera, monsieur le ministre, que les moyens ambitieux mis au service de la justice par le Gouvernement soient confortés dans les années à venir.
L'objectif de renforcer l'efficacité des jugements justifie l'extension du champ des procédures pénales simplifiées pour les affaires simples, notamment la procédure de divorce par consentement mutuel en l'absence d'enfants, en cohérence avec la loi du 26 mai 2004. Il justifie aussi l'expérimentation du recours obligatoire à la médiation familiale pour les actions tendant à modifier les modalités d'exercice de l'autorité parentale précédemment fixées par une décision de justice.
Je tiens également à saluer l'apport que représente ce texte pour les droits des victimes. Ainsi, les procédures de jugement simplifiées ne pourront concerner ni les faits commis en état de récidive légale, ni les atteintes graves aux personnes. La création de pôles régionaux compétents pour les accidents collectifs – qui surviennent parfois dans le ressort de petites juridictions – répond à un voeu des associations de victimes.
Les droits des justiciables se trouvent également améliorés par la publication d'un barème indicatif national des honoraires d'avocats en matière de divorce.
Sur le plan commercial, la sécurisation des entrepreneurs sera renforcée par la mise en cohérence du régime de la faillite civile avec celui de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée, permettant de rendre insaisissable leur patrimoine personnel.
Je conclurai en vous disant simplement que le maire que je suis se réjouit de l'action du législateur, qui assouplit les règles de détermination de la mairie compétente pour célébrer un mariage, ce qui devrait satisfaire de nombreux couples. Désormais, la mairie compétente pourra être la mairie de la commune de résidence ou de domicile de l'un des époux, mais aussi celle de l'un des parents des mariés, afin de prendre en compte le légitime attachement symbolique au berceau familial. C'est là l'une des nombreuses adaptations du droit permettant de répondre concrètement aux attentes de nos concitoyens.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma