Le Président de la République disait, à l'occasion du bicentenaire de la Cour des comptes : « Trop longtemps, on a considéré que le propre de l'argent public était d'être dépensé sans compter, qu'il était dans la nature du service public que son efficacité ne soit pas mesurable et que si l'on devait demander des comptes au comptable, il n'était pas légitime d'en demander à l'ordonnateur. Je profite de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous aujourd'hui pour dire que cette époque est révolue. Notre État a besoin d'une révolution intellectuelle et morale. »
Après cette citation, l'exposé des motifs du projet de loi de 2009 continue ainsi : « La recherche de la performance, aussi légitime soit-elle, ne saurait faire oublier le premier impératif qui s'impose au gestionnaire : celui du respect de la règle de droit. La sanction des irrégularités et des fautes de gestion constitue à cet égard une dimension clé d'une bonne gestion publique. Elle en conditionne tant l'efficacité que la probité. Une réforme du régime de responsabilité juridictionnelle des gestionnaires, pour en faire un système efficace et effectif, apparaît aujourd'hui plus urgente que jamais. » Je rappelle que nous sommes alors en 2009. « Elle conditionne la légitimité de la démarche de la loi organique relative aux lois de finances. Il ne saurait en effet y avoir plus de liberté sans responsabilité véritable. »
Je poursuis la lecture de l'exposé des motifs du Gouvernement, signé François Fillon :
« Le mécanisme de sanction des irrégularités et des fautes de gestion devant la Cour de discipline budgétaire et financière – mécanisme pourtant original et adapté aux spécificités de la gestion publique – est singulièrement limité. Aussi, l'alternative joue-t-elle actuellement entre l'absence de sanction, inacceptable pour nos concitoyens, ou la sanction pénale, souvent disproportionnée. »
J'arrête là ma lecture, mais je pourrais, en citant l'étude d'impact, continuer dans le même sens. Au fond, nous sommes tous d'accord sur ce point. La preuve en est que lorsque le Gouvernement a présenté son texte, il a fait en sorte que les ordonnateurs publics, tels que les membres des cabinets et les ordonnateurs des collectivités locales, soient désormais responsables juridiquement devant la Cour des comptes au plan financier. Il n'a oublié qu'une seule catégorie de personnes : les ministres.
Jusqu'à présent, les élus locaux n'étaient pas responsables devant la Cour des comptes, pas plus que devant la Cour de discipline budgétaire et financière, sauf dans certains cas. Les ministres ne sont pas non plus responsables devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Autrement dit, quand le Gouvernement, en application de ces dispositions, présente la liste des responsables, il y met tout le monde, sauf les ministres. Qu'a fait la commission des lois ? Elle a simplement, par cohérence, ajouté les ministres.
Monsieur le garde des sceaux, je vous donne un exemple. Le 13 juillet 2008 s'est tenue à Paris la première réunion de l'Union pour la Méditerranée. Le ministère des affaires étrangères a dépensé 16 millions d'euros pour organiser cette manifestation qui n'a duré que quelques heures, donc pour mettre en état le Grand Palais, construire, entre autres, des salles de réunions ou des douches, qui n'ont pas été utilisées, et pour servir au Petit Palais un repas pour 200 personnes qui s'est élevé à 7 000 euros par couvert, tous frais compris, dont la location du Petit Palais.
Tout cet argent a été dépensé dans le plus grand désordre. Ce sont à peu près les mots employés par Philippe Séguin. Il n'y a eu aucun appel d'offres. On a fait n'importe quoi, au point, d'ailleurs, que le comptable a refusé de payer. Le ministre du budget a trouvé une solution et a expliqué à son collègue des affaires étrangères qu'il suffisait de réquisitionner le comptable, qui, dès ce moment, ne pouvait plus être considéré comme responsable d'avoir couvert toutes les irrégularités afférentes à ces 16 millions d'euros. Le ministre n'étant de toute façon pas responsable financièrement, tout était réglé !
Comment, monsieur le garde des sceaux, peut-on accepter que, dans la moindre de nos collectivités, on puisse accuser l'ordonnateur d'avoir commis une petite malversation ou de ne pas avoir fait tel ou tel appel d'offres, mais que l'on ne puisse pas mettre en cause un ministre à l'origine d'une dépense de 16 millions sans aucun appel d'offres et sans aucun respect de la réglementation ? Les dépenses étaient engagées et les aménagements avaient même été détruits lorsque le paiement a été réclamé.
Voilà pourquoi il est tout à fait légitime que, dès lors que l'on modifie le système de responsabilité financière, les ministres soient également concernés. C'est, au fond, notre seul point de désaccord, semble-t-il, avec le Gouvernement. Nous avons le sentiment que c'est parce que la commission des lois, en septembre 2010, a ajouté les ministres que le Gouvernement n'a pas présenté son texte. Tout le monde doit être concerné ou personne ! Dans le système actuel, soit les élus ne sont jamais sanctionnés, ce qui n'est pas très bon aux yeux de l'opinion publique, soit ils sont traduits au pénal, ce qui n'est pas non plus totalement satisfaisant, alors qu'il s'agit là, j'y insiste, d'une responsabilité financière éventuellement justiciable d'une amende dont le coût pourrait aller, selon l'infraction, de 1 000 euros au double de leur traitement. Par exemple, ces 16 millions de dépenses irrégulières pourraient être passibles d'une forte amende, ce qui ne serait pas le cas pour des infractions de faible gravité.
Le troisième point sur lequel j'insisterai concerne le nombre des chambres régionales des comptes. Le président de la commission des lois a, là aussi, repris le dispositif adopté par la commission des lois, laquelle avait jugé souhaitable de réduire le nombre de chambres régionales. Un plafond de vingt a été fixé, sans que l'on sache exactement combien cela entraînera de regroupements des chambres régionales. Des précisions devront sans doute être apportées sur ce point. On ne sait toujours pas, en effet, s'il en restera, en métropole, six, huit ou dix à l'issue du processus dans lequel nous sommes engagés.
Or les socialistes sont attachés à ces chambres régionales, car créées en 1982, grâce à la grande loi de décentralisation de Gaston Defferre, loi qui a donné aux collectivités une considérable liberté d'action. Nous considérions alors qu'il ne pouvait pas y avoir de liberté d'action sans responsabilité, d'où la création de ces organes. La loi dispose ainsi qu'il y a une chambre des comptes dans chaque région, d'où leur nom actuel de chambres régionales des comptes.
Ces instances, je dois le dire, ont accompli depuis leur création un travail remarquable. Il est vrai qu'il avait alors fallu quelque peu improviser. À l'époque, les collectivités locales n'étaient pratiquement jamais contrôlées par la Cour des comptes ; dans ses rapports, que je collectionne depuis 1965, il y est très peu fait référence. Ce sont les chambres régionales – ultérieurement territoriales outre-mer – qui ont eu pour mission de contrôler les dépenses des collectivités locales. Après une période un peu difficiles, les chambres régionales et les élus ont appris à discuter et, finalement, tout se passe très bien aujourd'hui. Les chambres régionales ont un rôle d'évaluation et de conseil et ne deviennent des gendarmes que lorsque c'est nécessaire. La plupart des élus reconnaissent, aujourd'hui, l'intérêt de leur travail. Il convient, par conséquent, de leur rendre hommage et de veiller à ce qu'elles puissent continuer à remplir leurs fonctions.
Nous ne sommes pas hostiles, par principe, à des mutualisations qui permettraient aux chambres d'être un peu plus performantes, donc de mieux accomplir leurs missions et de participer davantage aux évaluations. Encore faut-il que l'on ait une garantie, ce qui n'est pas le cas. Monsieur le président de la commission des lois, vous vous êtes plus spécialement penché sur cette partie du texte. Le groupe socialiste souhaite qu'on lui dise combien il y aura de chambres régionales et que tout se stabilise. Il est proposé qu'un décret en fixe le nombre. Ce n'est pas satisfaisant parce qu'un décret peut être modifié par tout gouvernement, non pas au gré de ses humeurs, parce qu'aucun ne travaille ainsi, mais selon les circonstances, et ce sans que le Parlement n'ait de pouvoir décisionnel ni ne soit même informé. Je vous rappelle – mais vous le savez parfaitement, monsieur le garde des sceaux, parce que vous êtes un spécialiste de la décentralisation et que vos rapports, que je cite souvent à mes étudiants, font autorité – que les dépenses des collectivités locales s'élèvent à 210 milliards. Par conséquent, les vingt-six chambres régionales des comptes, dont on peut certes réduire le nombre, mais sans excès, ne sont pas de trop pour contrôler cette dépense et éviter les dérives.
Nous sommes donc globalement favorables à cette partie du texte et, en particulier, à l'article 24 sexies. Nous présenterons un certain nombre d'amendements et nous déciderons, en fonction du sort qui leur sera réservé, de notre vote final.
Voilà, monsieur le garde des sceaux, les quelques observations que je souhaitais faire sur cette partie importante du texte. Mais j'ai cru comprendre que d'autres aspects avaient été ajoutés en commission, si bien que ce projet de loi porte en fait diverses dispositions sur les juridictions en général. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)