Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de George Pau-Langevin

Réunion du 4 juillet 2011 à 17h30
Répartition du contentieux et allégement de certaines procédures juridictionnelles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorge Pau-Langevin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce texte dont on nous dit qu'il a pour objet de désengorger les tribunaux et de simplifier l'organisation judiciaire non seulement ne réglera pas grand-chose, mais, surtout, permettra de multiplier les procédures expéditives. Ainsi que l'a indiqué M. Brard, nous ne croyons guère à une simplification de la procédure judiciaire : en général, lorsque l'on affiche ce type d'objectifs, on aboutit à compliquer significativement l'organisation des tribunaux. Ainsi la quasi-suppression de la juridiction de proximité confirme ce que nous avions dit lors de sa création, à savoir qu'elle risquait de perturber l'organisation des tribunaux et d'échouer. Nous allons rencontrer les mêmes problèmes avec le texte qui nous est soumis aujourd'hui.

Ce projet de loi est le quatrième qui s'inspire du rapport Guinchard et vise à alléger les procédures. Or, une fois de plus, il va aboutir à éloigner les citoyens de la justice et rendre celle-ci encore moins compréhensible.

Certaines idées du texte sont intéressantes, notamment la spécialisation de certaines juridictions en matière de contentieux collectifs, de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre. Cependant, il me paraît dommage de procéder à une réforme d'une telle ampleur de cette manière, c'est-à-dire au détour d'un texte général, sans que l'on ait procédé à l'évaluation du système actuel et tenté d'identifier les causes de ses dysfonctionnements. En 1987, personne n'a mis en cause la qualité du procès Barbie, organisé à Lyon. On peut, dès lors, se demander en quoi le fait que les procès de ce genre se tiennent systématiquement à Paris va constituer un progrès.

Il est également proposé de supprimer les juges de proximité pour les rattacher aux tribunaux de grande instance. Il s'agit là, de toute évidence, d'un artifice visant à remédier au manque de magistrats sans procéder aux recrutements qui seraient nécessaires. Surtout, on se demande comment vous allez mettre en oeuvre la coordination et l'articulation des deux réformes que sont la suppression partielle des juges de proximité et l'instauration des assesseurs citoyens. Lorsque nous avons posé cette question en commission, M. le rapporteur nous a répondu que la coordination était une « notion philosophique », sans plus de précisions – ce qui montre bien que l'on n'a pas suffisamment réfléchi à la question.

De la même manière, après avoir imposé au forceps des dispositions concernant la multipostulation pour Libourne et Alès – dispositions dont nous affirmions que personne ne voulait – vous les supprimez quelques mois plus tard, vous étant rendu compte qu'elles ne sont pas les bienvenues. La multiplication de textes expéditifs et souvent contradictoires ne donne guère l'impression que nous contribuons à l'amélioration de la loi !

Pour ce qui est de l'extension du champ de l'ordonnance pénale aux délits relevant du tribunal correctionnel statuant à juge unique, nous sommes, par principe, opposés à l'ordonnance pénale, qui réduit les droits de la défense et fait disparaître la vertu pédagogique de la comparution devant un tribunal. En outre, l'extension de l'ordonnance pénale est en contradiction avec le but affiché du texte relatif aux jurys populaires. Vous nous proposiez en effet d'associer les citoyens à la justice pour une série de petits délits présentés comme particulièrement pénibles, à savoir les petits vols, les destructions et dégradations de biens publics ou privés, les délits d'occupation de hall d'immeuble et ceux relatifs aux chèques et cartes bancaires. Dans tous ces cas où le parquet aura recours à l'ordonnance pénale, l'amende sera fixée par écrit sans comparution du prévenu ni de la victime. Alors qu'on crée un tribunal correctionnel pour les mineurs en excipant du fait qu'une procédure plus solennelle a une vertu pédagogique pour les auteurs et joue le rôle d'un exorcisme pour les victimes, avec l'ordonnance pénale, il n'y aura plus d'audience du tout ! Les jeunes majeurs recevront simplement par la poste l'indication du montant de l'amende à payer, ce qui sera d'un effet quasi nul sur des personnes le plus souvent sans ressources. La victime sera, elle aussi, constamment tenue en dehors de la procédure et, même si des dommages et intérêts lui sont accordés, ce sera en son absence. On se demande bien où est la logique quand on considère ces deux réformes contradictoires.

En matière familiale, afin de rendre la justice plus expéditive, vous proposez de supprimer la comparution devant le juge pour les divorces par consentement mutuel – la seule comparution qui subsistait en matière de divorce. C'est pour le moins surprenant, car la majorité nous a habitués à des arguments sacralisant quasiment le lien matrimonial, notamment lorsque nous avons suggéré de permettre le mariage entre personnes du même sexe. Si vous accordez tant d'importance à l'institution du mariage, comment pouvez-vous proposer que le divorce soit prononcé sans même que les personnes concernées aient à faire l'effort de se déplacer pour rencontrer un magistrat ?

La suppression de l'intervention du rapporteur en matière de contentieux administratif est encore une manière de traiter cette question de manière expéditive, alors que les conclusions du rapporteur public constituent souvent le moment le plus intéressant et le plus instructif de l'audience devant une juridiction administrative.

Je n'insisterai pas sur la réforme des juridictions financières, que notre collègue René Dosière a longuement évoquée – et à laquelle nous pourrions d'ailleurs adhérer sur certains points. Je veux simplement souligner que le fait d'introduire des dispositions importantes au moyen d'amendements déposés tardivement constitue une façon quelque peu cavalière de faire la loi.

Votre texte contient de nombreuses dispositions, justifiées en grande partie par votre volonté de retirer des réformes que vous avez instituées précédemment en dépit de nos avertissements – ce qui constitue l'aveu implicite de leur échec. Faire une loi et, trois mois plus tard, en faire une autre qui dit le contraire, complique la tâche des magistrats et contribue à décrédibiliser la loi aux yeux des justiciables.

Pour ce qui est de la consommation de stupéfiants, nous avons entendu la majorité pousser des cris d'orfraie quand Daniel Vaillant a proposé d'adapter les poursuites en la matière à la réalité et à la modestie des moyens dont dispose la justice. Or, entre l'ordonnance pénale qui supprime la comparution de l'auteur et la simple injonction thérapeutique qui permettra au consommateur d'échapper à l'action publique, vous réduisez considérablement les poursuites en matière d'usage de stupéfiants. Si la majorité a, dans ses discours, une position très ferme, il n'en est pas de même dans la réalité, où elle est bien obligée de tenir compte des faibles moyens des tribunaux et de l'évolution de la société !

Ce texte, qui suit d'assez loin les préconisations du rapport Guinchard, ne sera pas un grand texte. On comprend mal votre volonté de le faire adopter en urgence, avec une convocation de la commission mixte paritaire fixée à mercredi matin. C'est là une singulière façon de légiférer qui, en tout état de cause, ne permet pas au Parlement de faire usage des droits qui lui sont reconnus en vertu de la Constitution. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion