Mes chers collègues, notre rapporteur et moi-même avons souhaité entendre aujourd'hui des représentants du régulateur du secteur bancaire, l'Autorité de contrôle prudentiel.
De création récente, puisqu'elle a été installée par une ordonnance du 21 janvier 2010, cette autorité administrative indépendante est toutefois née du regroupement des anciens régulateurs intervenant dans la sphère financière : la Commission bancaire, l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles – ACAM –, le Comité des entreprises d'assurance et le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement – CECEI. Ces différentes autorités étaient chargées de suivre les activités des établissements de crédit et de contrôler les risques qu'ils prenaient, notamment ceux qui proposent des prêts au secteur public local. L'ACP a donc vocation à exercer sa surveillance sur les acteurs du marché financier, laissant à l'AMF le contrôle des marchés eux-mêmes.
Madame, messieurs, je vous remercie d'avoir accepté de répondre à nos questions.
Mme Danièle Nouy, M. Édouard Fernandez-Bollo, M. Patrick Montagner, M. Thierry Mergen et M. Sébastien Clanet prêtent successivement serment.
Je vous remercie à mon tour d'avoir répondu à notre invitation, et je remercie Mme Nouy de m'avoir fait parvenir le rapport d'inspection de l'ACP sur la valorisation des produits financiers par Dexia Crédit Local, rapport établi en mai 2010.
Selon vous, qu'est-ce qu'une collectivité locale du point de vue de la directive MiFID ? Doit-elle être considérée comme un particulier ou comme une entreprise ?
D'autre part, quelle est l'étendue du contrôle de l'ACP sur les produits proposés par les établissements de crédit ? La Commission bancaire a-t-elle mis en garde ces établissements contre la commercialisation de certains produits ou a-t-elle formulé une interdiction, au nom de l'intérêt du client ?
Avez-vous jamais été alertés sur le développement de produits financiers destinés aux acteurs locaux et pouvant se révéler toxiques à terme – les conditions initiales étant toujours intéressantes ? Si oui, dans quelles circonstances ?
Les articles L. 612-30 et suivants du code monétaire et financier, relatifs aux pouvoirs de police administrative de l'ACP, lui permettent de mettre en garde une banque contre des « pratiques susceptibles de mettre en danger les intérêts de ses clients », voire de les lui interdire. Ces dispositions ont-elles été appliquées aux établissements de crédit ? Si oui, quand ? Et le sont-elles aujourd'hui ? Car ces pratiques peuvent perdurer.
Enfin, depuis la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010, l'ACP peut, à la demande d'une association professionnelle, valider et rendre obligatoire un code de conduite en matière de commercialisation et de protection de la clientèle, destiné à préciser les règles applicables à ses adhérents. A-t-elle déjà engagé une telle démarche ? S'agissant des prêts aux collectivités territoriales, faut-il selon vous rendre obligatoire un code de conduite tel que la charte Gissler ou est-ce au législateur d'intervenir ? Que faire du stock de prêts ?
Les collectivités locales sont-elles concernées par MiFID ? À la lecture de la directive, rien n'est moins clair, et les articles sur le sujet montrent bien que la question est controversée. Lorsque la directive, qui comporte plusieurs points obscurs, sera revue, il devrait être possible d'arrêter une position française. Mais cela n'empêche pas l'ACP de s'intéresser aux collectivités locales au titre de sa mission de protection de la clientèle des banques et des assurés. Je vous donnerai des exemples de ce que nous avons fait en la matière.
En ce qui concerne votre deuxième question, l'ACP n'est pas chargée de valider a priori les produits proposés par les établissements de crédit, ce qui serait du reste impossible. Mais elle étudie les risques auxquels ces produits exposent les établissements. Elle veille notamment, à des fins de prévention, à ce que ceux-ci analysent a priori les risques encourus du fait des nouveaux produits ; et à ce que leur dispositif de contrôle permanent garantisse une analyse préalable rigoureuse de ces risques, et en assure un suivi adapté – mesure, contrôle et limitation.
Pas plus que la Commission bancaire avant elle, l'ACP ne peut interdire à un établissement de commercialiser des produits, en vertu de la liberté de contracter. En revanche, la Commission bancaire a eu plusieurs fois recours à la procédure de mise en garde pour demander à certains établissements de modifier leurs pratiques, notamment à l'endroit d'un établissement dont elle a estimé qu'il ne se conformait pas à son devoir d'information des emprunteurs en matière de crédit immobilier : il s'agissait d'un crédit à taux révisable, mais le client n'était pas clairement informé des modalités de révision. L'ACP a fait à son tour usage de ce pouvoir de mise en garde dans une affaire qui concernait les comptes de syndics de copropriété.
L'ACP a-t-elle eu connaissance de l'existence de produits complexes souscrits par les collectivités ?
Tout à fait. Nous avons été alertés fin 2007 et début 2008, notamment après les élections municipales de mars 2008, par plusieurs élus qui ont publiquement exprimé leur inquiétude. Nous avons donc organisé au cours du second semestre 2008 des réunions avec certains établissements bancaires susceptibles de prêter aux collectivités locales. À partir des informations que nous avons recueillies, nous avons présenté le 8 septembre 2008 au collège de la Commission bancaire une note qui concluait que l'effet de ces prêts était jusqu'alors limité. Cependant, le collège a souhaité diligenter des enquêtes sur place, chez les trois principaux intervenants français : Dexia, le groupe Crédit agricole et les Caisses d'épargne.
Cette décision a été prise quelques mois avant l'installation de la commission présidée par M. Gissler, laquelle a abouti courant 2009 à la charte entrée en vigueur le 1er janvier 2010 et signée par les quatre principaux établissements de crédit prêtant aux collectivités locales – ceux que je viens de citer et la Société générale, un peu moins active que les trois autres – ainsi que par certaines associations d'élus. M. Gissler a du reste sollicité le secrétariat général de la Commission bancaire pour nourrir ses réflexions.
Les trois enquêtes sur place ont été conduites fin 2008 et au premier semestre 2009. Elles ont donné lieu, comme toutes nos enquêtes sur place, à des rapports, puis à des lettres de suite adressées aux banques à l'automne 2009 pour les inviter à renforcer leur dispositif de contrôle et de maîtrise des risques auxquels les exposaient ces produits, dont des risques juridiques et de réputation, et à améliorer l'information des clients, notamment en se conformant à la charte Gissler, alors en voie d'achèvement.
Un contrat de prêt doit mentionner un taux effectif global. C'est important pour un ménage, mais aussi pour une collectivité, qui doit estimer, au moment d'établir son budget annuel, les frais financiers de sa dette. Mais, dans le cas de certains prêts structurés, comment peut-on évaluer le TEG et comment pouvez-vous vérifier cette information ?
C'est une difficulté propre à ce type de prêts. Ainsi d'un prêt conclu en franc suisse : qui peut dire ce que sera le cours de cette devise au moment où il faudra en acheter pour rembourser le prêt ? On peut donc se demander s'il ne serait pas raisonnable, au nom de l'intérêt public, de limiter la créativité en matière de prêts ; mais c'est au législateur de le faire, non au contrôleur.
Il y a un TEG dans ces contrats.
Mais pour la quasi-totalité des emprunts dits toxiques, notamment ceux qui reposent sur des formules mathématiques complexes, intégrant des valeurs extrêmement volatiles, et dont la durée est parfois supérieure à trente ans, comment peut-on indiquer un taux effectif global ? Et comment se fait-il que les autorités de contrôle n'aient pas réagi ? La situation était bien plus grave que dans l'exemple de mise en garde que vous avez cité ! Tout récemment, la Caisse des dépôts a refusé d'intégrer à son bilan les prêts les plus toxiques consentis par Dexia au motif que la perte potentielle n'était même pas chiffrable ! Que signifie « taux effectif global » quand, une fois le dispositif déclenché, le taux d'intérêt peut passer à 15, 20 ou 30 % ? Vous êtes bien aimable de vous contenter d'envoyer des rapports ! La charte Gissler, c'est très bien ; mais c'est pour l'avenir ! Qu'avez-vous fait ?
À la différence du législateur, monsieur le député, je n'ai pas le pouvoir d'empêcher un établissement de proposer aux collectivités locales des prêts dont on ne peut pas établir le taux d'intérêt maximal.
Que signifie « TEG » pour des produits dont on ne peut pas prédire le taux ? C'est une tromperie !
N'oublions pas que le TEG ne doit pas dépasser le taux d'usure sous peine de sanction. Vous êtes l'Autorité de contrôle prudentiel ! Au législateur de prendre ses responsabilités, nous dites-vous. Mais avez-vous prévenu le président de l'Assemblée nationale, celui de sa commission des finances, ou d'autres autorités encore, que vous établissiez des rapports qui restaient sans effet ? Le législateur n'est pas un voyant : ceux qui savent doivent l'informer !
En tant qu'autorité administrative, nous n'avons pas à juger de la validité juridique de ces contrats : cela relève de l'ordre judiciaire. Toutefois, nous étudions naturellement de près la jurisprudence en la matière. Il en ressort que le calcul du TEG est validé dès lors qu'il repose sur des hypothèses valables au moment de l'octroi du prêt. C'est à partir de ces hypothèses que l'on estime, à ce stade, si le taux respecte ou non le seuil de l'usure : cela ne permet pas d'intégrer le risque de variation des paramètres avec le temps. Mais lorsque, dans d'autres domaines que celui dont nous parlons, nous avons constaté que, ces conditions étant réunies, le seuil de l'usure n'était pas respecté, nous en avons informé le procureur puisqu'il s'agit d'une infraction pénale.
Soyons clairs : par définition le TEG intègre les frais financiers qui seront acquittés sur toute la durée du contrat. Même s'il est calculé au moment de la signature, c'est une couverture contractuelle : on est assuré que, quoi qu'il arrive, il ne sera pas dépassé.
La jurisprudence civile en France valide le calcul du TEG dès lors qu'il repose sur des hypothèses fondées, au moment de l'octroi, sur l'indice qui permet la révision du taux. Nous n'y sommes pour rien !
Sur ce sujet, il n'y a pas encore de jurisprudence ; justement, nous allons nous en charger.
Il est exact que le TEG est fixé le jour où l'emprunt est contracté. Le problème est que ces prêts ont été adossés au cours du franc suisse, dont la variation a fait évoluer le taux. C'est justement le lien entre la variation du franc suisse et le taux du prêt qu'il va falloir prouver.
Le TEG est obligatoire : on n'a pas le droit de signer un contrat qui n'en prévoit pas. En fin de contrat, chacun pourrait vérifier qu'il n'a pas payé plus que le montant maximal.
Il faut tenir compte de la jurisprudence des tribunaux. En outre, le TEG est encadré par des directives européennes. Le TEG doit en effet être mentionné lorsque le taux est variable, auquel cas il est apprécié au jour de l'octroi. S'il est calculé en fonction d'hypothèses valables à ce moment-là, il est légal. Tel est l'état du droit, sur lequel nous avons fondé notre action, sachant, je le répète, qu'il ne nous appartient pas de décider de la validité d'un contrat.
Par définition, le TEG doit intégrer les frais financiers afférents au prêt. D'autre part, on ne peut pas parler de jurisprudence sur ce sujet : si une commission d'enquête a été constituée, c'est que nous nous situons dans une zone de doute, parce qu'on a créé et mis sur le marché des produits nouveaux en tentant de les accorder à la législation en vigueur. À mes yeux, ils ne sont pas légaux, si bien que le contrat pourrait être caduc. Mais c'est à vérifier.
M. Calméjane vous a demandé si la commission des finances de l'Assemblée avait été alertée. Avez-vous prévenu d'autres organismes d'État – le Premier ministre, le ministre du budget, le ministre des finances ?
Un représentant de la direction générale du trésor siège au collège de la Commission bancaire. Il a pu être informé au même titre que les autres membres du collège.
Bien sûr. C'est un sujet dont on parlait beaucoup après les élections municipales de 2008. Tous ceux qui voulaient savoir ont su.
On ne peut donc nier que vous les ayez sensibilisés au problème, y compris au plus haut niveau ?
Nous intervenons en fonction de procédures définies par la loi. Nous nous sommes saisis du dossier, nous en avons parlé avec les établissements, nous nous avons enquêté sur place : bref, nous avons fait notre travail. Cela peut vous paraître dérisoire, mais c'est ainsi que nous travaillons, comme nos homologues étrangers, du reste : nous établissons des rapports, qui peuvent donner lieu à des lettres de suite, et le collège peut décider d'ouvrir une procédure disciplinaire s'il considère qu'il y a matière à le faire. Cette décision n'est pas entre mes mains, elle est collégiale. En l'occurrence, il nous a été demandé d'envoyer une lettre de suite rappelant aux établissements leur devoir d'information et de conseil vis-à-vis de leurs clients, ainsi que les risques – juridiques et de réputation – auxquels ces produits les exposaient dans l'hypothèse où le juge des contrats, que nous ne sommes pas, aurait à en connaître. Nous avons donc fait ce qui était en notre pouvoir.
Le législateur peut décider de limiter la liberté contractuelle des collectivités locales en les empêchant de souscrire des prêts qui s'apparentent à des jeux de casino. Mais cette décision ne relève pas du superviseur bancaire.
Nos remarques ne vous visent pas personnellement, madame. Le ton est vif parce qu'il y a ici des élus concernés par le problème.
Revenons pour l'instant à ce que nous disions précédemment. Le TEG est obligatoire et il doit inclure tous les frais financiers afférents au prêt. Facile à calculer dans le cas d'un prêt à taux fixe, il l'est moins lorsque des paramètres aléatoires sont en jeu. Mais, en tout état de cause, il ne doit pas dépasser le taux d'usure fixé chaque trimestre, sous peine de sanctions pénales clairement définies par le code de la consommation.
Je me montrerai moins policé que mes collègues, parce que nous sommes une commission d'enquête et que je ne suis pas satisfait. Vous avez dit vous-même que ce sont les interpellations des nouveaux élus entrés en fonction en mars 2008 qui vous avaient fait réagir. Et auparavant ? Votre rôle n'est-il pas prudentiel ? Il faut prendre la mesure de la situation : plusieurs centaines de collectivités locales sont menacées de ne pouvoir faire face ; plus grave encore, une partie de notre système bancaire est profondément fragilisé – voyez la recapitalisation de Dexia. En ce qui concerne les banques mutualistes, du reste, le scandale est peut-être à venir. Comment se fait-il que vous n'ayez rien vu avant 2008 ? Car l'essentiel s'est joué entre 2003 et 2008 ; quant à l'avenir, la question est pratiquement réglée, chacun ayant bien compris que ces prêts n'étaient pas une bonne affaire.
Avant l'ACP, la Commission bancaire pouvait aborder ces questions par le contrôle de conformité et par le contrôle interne des risques que prenaient les établissements. C'est ce que nous avons fait, en commençant par des entretiens avec les établissements, surtout, c'est vrai, lorsque nous avons pris davantage conscience de l'ampleur du problème. Je comprends que vous ne trouviez pas cela suffisant, mais nous avons fait ce que nous pouvions.
Je vous demandais tout à l'heure si les collectivités locales devaient être considérées comme des particuliers ou comme des entreprises. Lorsque nous avons auditionné les représentants de tout le système bancaire français et ceux de plusieurs banques étrangères, il est apparu que certaines banques ont fait signer aux collectivités un document stipulant qu'elles n'étaient pas des collectivités, mais des entreprises, et qu'elles contractaient le prêt à ce titre. Monsieur Clanet, pourquoi certaines ont-elles agi ainsi et non les autres ?
Dans mon domaine, la supervision directe de Dexia, je n'ai pas connaissance de clauses spécifiques. Ce problème juridique ne nous a été signalé ni par l'établissement lui-même, ni par les collectivités locales. Peut-être des banques étrangères en ont-elles usé différemment.
Le statut des collectivités est très particulier et ne permet pas de les assimiler à des entreprises. Pour le faire, il a fallu établir un document spécifique. Et cela rejaillit sur l'application des dispositions légales relatives au TEG et au respect du seuil d'usure. Les collectivités concernées sont en général de taille importante : il s'agit de conseils généraux ou de communes de plus de 10 000 habitants.
La directive MiFID porte sur les investissements : elle ne s'applique pas directement aux contrats de prêt. Elle établit une distinction entre investisseurs avertis et non avertis.
En ce qui concerne les collectivités locales, les banques étrangères, en particulier, avaient en mémoire certaines jurisprudences étrangères, dont l'affaire Orange County et certaines jurisprudences britanniques en matière de swap. Voilà pourquoi elles ont voulu se protéger en demandant aux collectivités de ne pas faire valoir leur statut particulier dans le cadre du contrat de prêt. Ce faisant, elles cherchaient à s'assurer que le contrat serait considéré comme un contrat commercial, relevant des tribunaux judiciaires et non des tribunaux administratifs. À cette fin, elles se sont conformées aux critères établis par la jurisprudence administrative française, dont le fait qu'aucune condition exorbitante relevant du droit public et des fonctions de droit public des collectivités ne concerne le contrat.
En tant que simple observateur du droit, je suis assez sceptique quant à l'effet de ces clauses en droit français. La clause de compétence est assez solidement établie : normalement, les contrats de prêt ne sont pas soumis au tribunal administratif. En revanche, la jurisprudence me semble tout à fait contraire à la clause d'exonération de responsabilité. Mais ce sera aux tribunaux d'en juger.
Danièle Nouy l'a dit, nous ne pratiquons pas de contrôle a priori. Nous ne connaissions donc pas ces contrats. Nous ne disposons dans nos états que de montants agrégés de crédits, tous les mois ou tous les trois mois selon les établissements. Si personne ne nous en informe, nous ne sommes pas avertis de l'existence de clauses contractuelles particulières.
Il en va de même des autres autorités prudentielles, dans l'Union européenne comme ailleurs. Le reporting permet de saisir les grands équilibres du bilan et les règles prudentielles s'appliquent au bilan tout entier. Nous n'avons pas d'informations détaillées sur les contrats de prêts signés par les établissements. En revanche, lorsqu'une difficulté est soulevée a posteriori, nous pouvons aller voir ce qui se passe, et c'est ce que nous avons fait.
En 2008, plusieurs responsables de collectivités locales vous alertent sur la situation dans laquelle ils se trouvent vis-à-vis de certaines banques. À ce moment, quels sont les éléments qui permettent d'exercer le contrôle ? Pouvez-vous vous prononcer sur la rentabilité excessive des opérations commerciales de certaines banques ?
Prenons l'exemple de Dexia Crédit Local, l'un des 400 établissements placés sous mon contrôle. Nos premières réunions avec Dexia au sujet des prêts structurés aux collectivités locales ont eu lieu en mars 2008, à la suite d'une jurisprudence impliquant une SA de HLM à Toulouse, la première qui nous ait alertés. Car si nous ne disposons que d'indicateurs chiffrés globaux, les contentieux formés par les collectivités locales sont aussi, pour nous, les micro-indicateurs d'un dysfonctionnement. Or, jusqu'en 2008, aucun élu n'a interpellé son prêteur car les conditions satisfaisaient les deux parties. Il est exact qu'une rentabilité excessive attire notre attention, ce qui a été le cas pour des opérations de marché. Mais les opérations de prêt aux collectivités publiques réalisées par les banques concernées ne sont pas nécessairement rentables, encore moins dans des proportions excessives. Elles ne permettent pas de dégager des marges importantes. Et rien ne prouve que lorsque le taux s'envole, la banque s'enrichit – hélas, si j'ose dire : car si la banque dégageait une marge considérable, elle pourrait la consommer si elle était condamnée en justice, ce qui serait un gage de sécurité pour tout le monde.
En fait, quand une banque proposait des produits structurés dépendant d'indicateurs de marché, elle ne prenait pas le risque pour elle, elle se couvrait auprès de banques d'affaires. Ses contreparties sont essentiellement de grandes banques américaines et britanniques dont JP Morgan, Goldman Sachs, Royal Bank of Scotland et Barclays, ainsi que, dans une bien moindre mesure, des banques françaises : BNP Paribas et la Société générale. Dès lors, toute la marge dégagée était instantanément transférée à la contrepartie sur les marchés, déduction faite d'une marge initiale qui était gelée. D'où la difficulté de ce type de contrat : quand la barrière qui constituait l'option implicite du contrat est franchie, cela ne profite pas à l'établissement qui a réalisé l'opération, sauf s'il a gardé le risque pour lui, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.
J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur la rentabilité des opérations réalisées par les banques de marché avec les collectivités territoriales depuis 2004. Premièrement, lors des contrôles que vous avez effectués, avez-vous constaté que le taux de marge différait selon que la transaction était réalisée avec une collectivité ou avec un grand investisseur, ou encore une grande entreprise ? Deuxièmement, pensez-vous que les transactions avec les collectivités ont représenté une part significative du profit réalisé par les départements d'options complexes de taux et de change au sein des banques ? Troisièmement, la Cour de Karlsruhe vient de condamner un établissement bancaire allemand pour défaut de conseil à client non initié et, surtout, pour marges cachées ; vous êtes-vous intéressés à ces dernières ? À partir de quel moment l'ACP serait-elle alertée ?
Comme tout commerçant, la banque dégage des marges avec n'importe quel client, mais la manière dont les profits sont réalisés varie selon le type de clientèle. Avec une grande entreprise, qu'elle soit industrielle ou de services, la marge provient non seulement des prêts, mais aussi de ce qu'on appelle des ventes croisées : le client confie aussi à la banque l'émission d'actions, d'obligations, des mandats pour racheter une autre entreprise, etc. Les banques apprécient la rentabilité globale de la relation et non simplement celle du prêt. En ce sens, on peut considérer que les marges des prêts aux grandes entreprises ne sont pas plus élevées que celles des prêts aux collectivités locales.
En revanche, dans le cas d'une collectivité, le service rendu hors prêt est relativement limité, sauf si les banques parviennent à faire signer à la collectivité des contrats de services plus larges ; c'est arrivé, mais j'ignore ce que ces contrats recouvrent exactement. Ce qui intéressait les banques, et qui leur permettait d'accepter de dégager des marges plus faibles qu'auprès d'autres établissements, c'était le fait que le risque était considéré comme quasi souverain. En effet, si leur pouvoir fiscal n'est pas du même ordre que celui de l'État, les collectivités ont toujours été gérées de manière à pouvoir rembourser leurs emprunts. Le taux de perte final pour la banque n'est donc pas le même que dans le cas d'un crédit à la consommation ou d'un prêt à une PME, voire à une grande entreprise internationale, qui peut faire faillite.
Les banques évaluaient donc l'équilibre entre le risque encouru et la marge escomptée en fonction de la composition de leur clientèle. Ainsi, une banque qui se consacrait uniquement aux collectivités locales dégageait une marge plus faible, mais, le risque étant moindre puisqu'elle prêtait au secteur public, le besoin de fonds propres associé au risque était également moindre.
Quant aux marges cachées, par définition, tout résultat apparaît à un moment donné en comptabilité.
Absolument.
Cela étant, nos enquêtes ont révélé des ambiguïtés dans la manière de commercialiser le produit. C'est l'avantage d'une enquête sur place longue de plusieurs semaines par rapport à mon activité quotidienne, limitée à l'étude d'états globaux et à des entretiens, même si ces derniers sont nombreux – plusieurs centaines par an – et même si je cherche à pousser mes interlocuteurs dans leurs derniers retranchements. Les ambiguïtés dont je parle résultaient par exemple de l'appellation de certains prêts : Tofix Dual – où il faut comprendre que tout est dans le second terme –, Fixia, etc. Dans ce cas, l'inspecteur relevait que la banque pourrait être accusée de défaut de conseil devant un tribunal.
Par ailleurs, comme le montrent d'autres auditions réalisées par votre commission d'enquête, certains clients publics, y compris des collectivités, considèrent qu'ils ont encore intérêt à souscrire des prêts dits structurés. Ce n'est pas notre avis, mais cela relève de leur liberté contractuelle. Ces clients font valoir qu'ils pratiquent la gestion active, c'est-à-dire qu'ils renégocient en permanence avant que les barrières ne se déclenchent. Or cela permet aux établissements de se rémunérer à nouveau en prenant une marge de conseil : ils perçoivent une commission au titre de la restructuration du prêt. Est-ce une marge cachée ? Certes, elle est annoncée au client, mais elle n'est pas toujours assez clairement présentée dans le contrat. Or il ne suffit pas que l'information figure, il faut aussi qu'elle soit claire et que l'attention du client n'ait pas besoin d'être sans cesse en éveil.
D'où ma deuxième question. Dans un cas particulier, on a pu constater que les opérations réalisées avec les collectivités représentaient une part significative du profit des départements d'options complexes de taux et de change. Cette disproportion n'a-t-elle pas servi de signal d'alerte ?
J'ignore le montant des profits réalisés par les banques d'investissement américaines ou britanniques qui ont contracté avec certains établissements pour l'adossement des prêts. Rien ne dit que les prêts conclus avec les acteurs publics locaux aient permis de dégager des marges mirifiques au début du contrat. Tout le jeu, pour les banques, consistait à renégocier régulièrement. Aujourd'hui, les taux s'envolent, mais je ne sais pas exactement ce que ces contreparties ont fait du risque qui leur a été retourné, puisqu'elles échappent à mon contrôle. Je ne suis pas certain que ces établissements se procurent des marges importantes, car ils gèrent leur risque de marché de façon très générale : ils se « macrocouvrent » ; ils peuvent, au moment où ils prennent un risque avec une banque (Dexia par exemple), prendre un risque opposé avec l'un de ses concurrents (par exemple Depfa).
Les produits dits optionnels, c'est-à-dire les options d'échange, sont interdits par certaines législations en Europe. Mais certaines collectivités publiques ont contourné l'interdiction, jouant un jeu dangereux pour elles comme pour les banques.
Vous dites que vous ne recevez que des états globaux. À quel niveau de détail parvenez-vous ? Ne pouviez-vous pas mesurer la proportion de prêts structurés ?
Nous connaissions le montant total des prêts. Nous demandions très souvent un classement par type de collectivité, mais pas par type de contrats : nous avions une rubrique générale « Prêts et créances ».
Prenons les trois banques françaises que nous avons contrôlées. Elles n'ont apparemment jamais proposé de produits à effet cliquet, c'est-à-dire dont le taux ne peut diminuer en deçà d'un certain niveau une fois celui-ci atteint. On parle aussi de produits snowball, ou à effet boule-de-neige. Dans les produits commercialisés par les banques dont je parle, une fois la barrière activée parce que les deux indices de référence ont atteint un seuil donné, si ce seuil est franchi dans l'autre sens, le taux redescend. On ne peut pas en dire autant d'autres établissements, dont ceux qui ont vendu uniquement des contrats de swap et fait signer à leurs clients, comme nous le disions tout à l'heure, ce qui s'apparente à des décharges de responsabilité. Avec ces produits, si le taux redescend pour la banque, il ne redescend jamais pour le client, ce qui entraîne cette fois des marges excessives et injustifiées.
Merci de votre précision. La question de la couverture du risque dévoile un monde dont on ignore tout. Le nouveau patron de Dexia nous a dit être passé de cent cinquante-six types de prêts à quinze : c'est un aveu ! Vous ne pouvez intervenir a priori, soit ; mais une fois les produits commercialisés, avez-vous alerté Dexia ? Un autre banquier nous a dit qu'il ne commercialisait pas ce qu'il ne comprenait pas, ce qui semble plus sensé…
Plusieurs établissements bancaires et d'autres spécialistes nous ont donné les mêmes explications que vous. Pour ma part, j'attends de ces auditions qu'elles me permettent de comprendre comment tout cela a fonctionné et de trouver le moyen de sauver certains acteurs publics locaux, mais aussi de renforcer les systèmes de contrôle.
Vous représentez l'Autorité de contrôle prudentiel, chargée, selon la présentation officielle, de « veille[r] à la qualité de la situation financière des entités des secteurs qu'elle supervise dans le but de garantir la stabilité du système financier et la protection de leurs clientèles ». On aimerait que cela fonctionne ! Votre collège compte un membre nommé par le président du Sénat, lequel représente les collectivités territoriales ; un membre nommé par le président de l'Assemblée nationale ; un membre désigné sur proposition du premier président de la Cour des comptes. Les hautes autorités de l'État, nous dites-vous, ont été averties. Les membres du collège de l'ACP que je viens d'énumérer ont-ils bien participé à vos travaux ? Les collectivités locales empruntent plusieurs milliards d'euros par an : ce ne sont pas de petits clients ! À quoi sert donc votre Autorité ? J'essaie de comprendre, en tant que simple citoyen.
Il est normal que les représentants du peuple français se posent cette question. M. Montagner nous a très bien expliqué que Dexia, comme d'autres, était entrée dans une logique de risque systémique, du fait notamment de la revente du risque. C'est exactement ce que je constate en tant que maire : mes interlocuteurs sont dos au mur, car tout effort consenti par eux se traduit par une perte nette, dont on voit les conséquences abyssales dans le cas de Dexia. Or votre mission première est de déceler les risques systémiques.
Il ne s'agit pas d'accusations personnelles. J'ai bien compris que, les bilans étant agrégés, tout cela n'apparaissait pas. Mais avez-vous tiré les conséquences de ce désastre, qui n'est pas terminé ? Je souhaite que cette question soit au coeur de notre rapport. Avez-vous entrepris de réviser vos méthodes de contrôle pour déceler ce risque systémique avant qu'il ne soit trop tard ? Si vous vous êtes réveillés après 2008, c'est parce que des élus du peuple vous ont alertés ! Où en serait-on aujourd'hui sans eux ? On frémit en y pensant. N'oublions pas que, pour l'essentiel, ce désastre a été consommé en cinq ans !
Vous le voyez, nous ne comprenons pas le système ni le rôle de l'ACP. À qui s'adresser lorsqu'il y a danger ? Rien de ce que vous direz ne sera publié sans votre aval, mais éclairez-nous ! Madame, messieurs, à quoi sert votre Autorité ?
Je vous répondrai avec la même passion. Une pratique stupide, qui existe depuis très longtemps, consiste à emprunter dans une devise alors que l'on n'a pas de revenus dans cette devise. Cela vaut pour les particuliers comme pour les institutions. C'est une tragédie, mais qu'y puis-je ? Cela n'a rien de structuré ni de complexe. On sait qu'au moment de rembourser une échéance, il faudra acheter du franc suisse. Or il n'existe pas de modèle qui permette de prédire ce que vaudra le franc suisse le moment venu.
Merci de votre franchise, madame. Mais, si vous n'y pouvez rien, qui peut faire quelque chose ?
Le législateur ! C'est à lui qu'il appartient de limiter la liberté contractuelle des collectivités locales, comme celle des particuliers ou des entreprises.
Si vous ne voulez pas que cette situation se reproduise, il faut encadrer la liberté contractuelle des acteurs que vous voulez protéger. Je ne peux empêcher personne de signer ce type de contrats, ni même interdire à une banque de le proposer.
Soit ; mais, il faut bien que, parmi les observateurs et les organismes de régulation, quelqu'un alerte le législateur et lui demande de prendre des mesures.
J'ai la chance de pouvoir vous répondre et je l'ai fait.
Sachez aussi que les banques, embarrassées d'avoir pris de tels risques juridiques et de réputation, sont prêtes dans certains cas à renégocier les contrats. Or certaines collectivités locales qui sont encore en phase gagnante refusent. Quand la barrière aura été atteinte, il arrivera ce qui doit arriver : la situation est potentiellement explosive. Je ne peux pas le dire plus clairement !
Nous devons déterminer ce qu'il faut faire du stock de prêts : comment sortir de ces contrats ? Or j'entends ce que vous dites, et qui a en effet été avancé par les banquiers ; mais les petites collectivités que nous avons reçues – des hôpitaux, des offices HLM – se voient proposer des pénalités de sortie égales au montant initialement prêté !
Comme l'a expliqué Patrick Montagner, les banques se couvrent, ce qui montre combien le risque est élevé. Et, pour cela, elles dépensent presque tout ce que l'opération leur rapporte. Plus on sort du contrat tôt, en particulier dans la phase où l'on est encore bénéficiaire, plus on a de chances d'en sortir à des conditions correctes. Mais si, dans les cas que vous évoquez, la banque risque sérieusement d'être sanctionnée par la justice et de devoir payer des dommages et intérêts, elle négociera. Il faut sortir de ces prêts.
En règle générale, mieux vaut en effet une mauvaise négociation qu'un bon procès. Mais quelle structure pourrait payer une soulte égale au montant du capital ? Les collectivités ne seraient plus en mesure de respecter la règle d'or qui s'impose à elles !
Les banques se sont protégées, soit. Mais, en dernier ressort, l'ajustement repose sur l'impôt, c'est-à-dire sur le citoyen. Dès lors, je le répète, une collectivité peut-elle être assimilée à un particulier alors que ce sont les habitants qui vont payer ? D'autre part, je rappelle une fois encore les dispositions relatives au TEG. Puisque je dois formuler des préconisations, je dirai aux collectivités dont les comptes risquent de ne pas passer le contrôle de légalité d'inscrire dans leur budget des frais financiers correspondant au taux d'usure ; cela leur servira de provision pour présenter le budget au conseil municipal et continuer de fonctionner.
On ne peut pas reprocher à ceux qui bénéficient aujourd'hui de taux très bas d'attendre que la commission d'enquête ait rendu ses conclusions et que la situation se dénoue. Pourquoi paieraient-ils des soultes considérables, alors que la commission d'enquête pourrait montrer qu'ils ont fait quelques erreurs mais qu'il suffit d'appliquer la loi pour résoudre le problème ? Les maires sont des gens responsables.
Ne prenez pas mal nos questions : nous ne faisons pas le procès de l'ACP, nous voulons comprendre ce qu'elle apporte, y compris pour recommander, le cas échéant, de renforcer certains de ses pouvoirs. Les membres de la commission d'enquête sont eux-mêmes responsables de collectivités et doivent trouver des solutions.
J'ajoute que, malgré nos divergences politiques, nous trouvons de plus en plus de points d'accord à mesure que nos travaux progressent, ce qui est significatif, surtout dans la période actuelle !
Si nous avons constitué une commission d'enquête, c'est parce que nous avons été sollicités. Certains d'entre nous sont directement concernés en raison de ce qu'ils ont découvert. La date de 2008 n'est pas accidentelle : l'augmentation des taux a coïncidé avec le renouvellement de nombreuses équipes municipales. À la faveur de l'alternance, les nouveaux élus, qui ont tout naturellement demandé des audits budgétaires, ont découvert une situation qu'ils n'avaient pas imaginée ; bien d'autres responsables ne concevaient même pas que cela puisse arriver dans leur collectivité.
Ce que M. Montagner a expliqué à propos des appels de marge pèsera à terme sur le budget, soit sur celui de l'État par le biais de Dexia ou, au-delà de la franchise de 500 millions d'euros, de la garantie de la Caisse des dépôts ; ou bien de celui des collectivités. Vous l'avez dit, les risques sur les collectivités sont considérés comme quasi souverains. Les maires des petites communes, que nous avons auditionnés, ne peuvent pas honorer leurs dettes sans mettre leur budget en péril. Ils seront donc tentés de transmettre le budget au préfet, advienne que pourra. Le problème nous file entre les doigts : on croit tenir Dexia, mais Dexia est elle-même contrainte par la manière dont elle s'est couverte. Vous dites qu'en définitive, cela ne profite même pas aux banques prêteuses : c'est ubuesque ! Toujours est-il que le contribuable paiera.
À l'avenir, il faudra prendre des mesures de précaution et se conformer aux préconisations de la Cour des comptes : tout ira mieux si les élus locaux ont moins intérêt à faire des « coups », notamment s'ils doivent constituer des provisions pour risque. Cela étant, que faire du stock ? Vous avez contrôlé a posteriori, soit ; peut-être auriez-vous dû alerter le législateur auparavant ; je ne veux pas vous accabler. Mais aujourd'hui que tout est connu et que vous analysez clairement les phénomènes qui se sont produits, que proposez-vous pour sortir de cette situation ? Il n'est pas exact que les banques proposent des renégociations et que les élus les refusent. Nous n'avons entendu que des élus prêts à renégocier, mais qui ne peuvent le faire tant le montant des soultes est élevé, et qui n'ont pas toujours les moyens de rembourser. Que proposez-vous ? Certains élus ont suggéré de créer une structure qui reprendrait les passifs. J'évite l'expression de « structure de défaisance », négativement connotée.
Le problème se pose notamment pour les petites collectivités. On a constaté que les banques ne s'étaient pas tout à fait comportées de la même manière selon le type de clients auquel elles avaient affaire : les hôpitaux semblent en mesure de renégocier plus facilement que les communes, notamment les plus petites.
Comment apurer le passif, notamment tous les prêts qui n'auront pas été renégociés ? Nous souhaitons tous que les renégociations aillent à leur terme, mais à des taux acceptables et à des conditions acceptables par les contribuables.
Malheureusement, on ne tire jamais les leçons du passé : assurément, personne aujourd'hui ne souhaite plus conclure ce type de prêts, mais, si rien n'est fait, il s'en conclura de nouveau dans cinq, dix ou quinze ans. Voici donc une indication pour l'avenir : on ne devrait plus être autorisé à proposer aux collectivités locales des contrats de prêt n'indiquant pas clairement le taux maximal. Idéalement, le taux devrait être fixe, et s'il est variable, il devrait être « capé », c'est-à-dire plafonné. Si nous n'avons pas de problème dans l'immobilier en France, alors que les prix et le coût des crédits augmentent beaucoup, c'est que nous nous en sommes tenus au principe vertueux selon lequel on ne prête pas aux particuliers dans des devises étrangères et que les taux sont fixes ou, lorsqu'ils sont variables, très « capés ».
Que faire du stock ? Je ne représente que le superviseur bancaire. En droit français – droit dont, une fois encore, je ne décide pas –, trois solutions sont possibles : la négociation, la médiation sous l'égide de M. Gissler ou l'action en justice. Nous ne sommes qu'au début des négociations et on devrait pouvoir faire mieux qu'une soulte égale au montant du prêt. Mais lorsque la soulte n'est pas déraisonnable et que la collectivité peut la payer, cela lui garantit au moins un montant maximal. Car pour certains produits, le montant peut continuer de progresser : la facture n'est pas arrêtée, ce qui est très préoccupant.
En l'occurrence, ce n'est plus le cas : la Suisse « cape » son taux de change contre l'euro, ayant constaté que l'envolée de sa monnaie lui coûtait cher.
Il ne faut pas tabler là-dessus.
La Suisse bloque la remontée du franc suisse, mais cela ne durera pas nécessairement.
Bien sûr, nous leur en parlons. Nous les avertissons du risque juridique et du risque de réputation auquel elles sont exposées, nous leur disons qu'elles doivent trouver un moyen de sortir de ces contrats qui n'auraient pas dû être conclus, nous leur recommandons de renégocier.
Si elles n'ont pas respecté leur devoir d'information et de conseil, notamment vis-à-vis des petites communes que vous évoquiez, les banques risquent fort de perdre devant un tribunal, ce qui entraînera des conséquences financières.
Environ 5 000 collectivités sont concernées. Ce nombre ne témoigne-t-il pas d'un problème structurel dès l'origine ?
Certes, mais, comme je l'ai constaté avec surprise à la lecture du compte rendu des auditions que vous avez déjà effectuées, bien des élus locaux avaient parfaitement compris qu'il s'agissait de bénéficier de taux très bas, voire quasi nuls, pendant une période donnée.
Malheureusement, les choses ne sont pas si simples. Nous avons rencontré des élus de collectivités de toutes tailles et de tous secteurs, des trésoriers-payeurs généraux, des préfets, sans parler d'une ville dont le maire adjoint chargé des finances était un ancien élève d'HEC ; nous nous sommes aperçus que, même au plus haut niveau de l'État, les informations relatives à ce genre de produits étaient très limitées.
Sur ce point, je suis parfaitement d'accord avec vous, monsieur le président.
Les documents présentés par les banques semblaient attester d'une très grande stabilité des produits. Les noms des prêts que nous avons évoqués, les propos tenus par les banquiers contrevenaient à la symétrie de l'information qui devrait fonder la relation entre la banque et son client. M. Montagner disait que l'on ne sait pas exactement ce que les banques ont gagné. Mais je peux vous dire, pour l'avoir vérifié, qu'elles ont gagné beaucoup plus que si elles avaient proposé du taux fixe à dix ans ! Dès lors, le rapporteur et moi-même avons le sentiment que l'on a méthodiquement entrepris de remplacer les taux fixes par des produits structurés partout où cela était possible.
Toutes les collectivités avaient souscrit des prêts à taux fixe de 4 ou 5 %. À cette époque, l'argent n'était pas cher. On voit bien qu'il s'agit d'une opération massive puisque la majeure partie des prêts n'était pas destinée à des investissements nouveaux, mais à la restructuration de la dette. Les prêts d'origine, des produits dormants, en quelque sorte, ont été renégociés, moyennant un avantage certain puisque le taux passait à 1 % pendant deux ou trois ans. Mais, contrairement à ce que disait Mme Nouy, cette durée ne dépassait jamais celle du mandat, si bien que l'on finissait par payer ses erreurs, souvent au moment des élections.
Du point de vue du banquier – j'ai passé vingt-cinq ans dans la banque –, la démarche est compréhensible : il remarque qu'il existe une masse de prêts dormants, et se demande comment la dynamiser pour faire gagner de l'argent aux collectivités, qui en ont besoin, tout en dégageant des marges. Ce n'est pas en soi répréhensible. Du reste, je préfère parler de produits structurés plutôt que de produits toxiques, car ils ne sont toxiques que de manière conjoncturelle. Imaginons que la Grèce sorte de l'euro et que la Suisse la remplace : le système fonctionnerait à nouveau et tout le monde ne demanderait qu'à continuer. À l'époque où les clients ont signé, du reste, on leur a montré que les produits étaient stables depuis quinze ans. Mon seul reproche est l'absence de « caping » alors que la loi l'impose, dans la mesure où le TEG est obligatoire et limité par le seuil de l'usure.
Cet argent dormant a donc fait l'objet d'une démarche commerciale, à laquelle se sont aussi associées les banques étrangères. Les prêts structurés n'ont servi à des investissements nouveaux que dans les cas, dont le mien, où l'on manquait de liquidités pour des investissements importants après avoir fait le tour des prêts à taux fixe et à taux variable classique – à moins, bien sûr, que le banquier n'ait menti. D'ailleurs, le problème se posera à nouveau du fait de Bâle III.
Dans l'exercice de vos missions, vous êtes-vous aperçus de cette substitution ?
Oui, nous l'avons constatée ; trop tard sans doute, comme vous l'avez dit. Mais nous ne pouvions l'interdire. Tout ce que dont nous pouvions avertir les établissements de crédit, c'est qu'ils allaient peut-être avoir besoin de fonds propres supplémentaires à cause des risques encourus.
Avez-vous demandé par écrit à certaines banques, notamment à la plus concernée, Dexia, de constituer ces provisions ? On demande bien aux collectivités de provisionner en vue de risques futurs !
Pour l'écrire, il faut mesurer l'ampleur du problème. En 2008, les montants étaient encore limités. Aujourd'hui, les pertes effectives des banques du fait d'actions en justice liées à leurs prêts aux collectivités sont négligeables au regard du volume des prêts. Comment exiger des provisions sur ce seul fondement ?
En somme, vous nous demandez de légiférer pour interdire d'accorder un prêt dans une autre devise que celle dans laquelle l'emprunteur perçoit ses recettes.
Absolument. C'est une règle toute simple, mais essentielle. Dans des pays d'Europe de l'Est qui n'appartiennent pas à la zone euro, des particuliers ont souscrit des crédits immobiliers en franc suisse ou en euro pour bénéficier de taux très faibles, au lieu de payer des intérêts élevés dans leur propre devise ; en 2008, lors de la crise financière, ils n'ont pu racheter de francs suisses ni d'euros et cela a été un désastre. Si l'on ne respecte pas cette règle, alors il faut au moins prendre une couverture, comme le font les banques, mais cela coûte très cher.
Je regrette qu'il n'existe pas de dispositif vous permettant d'alerter le législateur. La règle que vous venez d'énoncer, vous l'avez formulée depuis longtemps. Comment devons-nous en tenir compte ? Par une préconisation de la commission d'enquête permettant d'améliorer les fonctions de l'ACP ?
En tout cas, il faut encadrer la liberté contractuelle des collectivités et des particuliers, et il faut qu'il existe un taux maximal, sauf si l'emprunteur est une banque, ou une grande entreprise qui a les moyens de se couvrir comme une banque : le prêt doit être à taux fixe ou à taux variable « capé ». Le TEG, c'est mieux que rien, mais nous devons constater avec vous que cela ne fonctionne pas.
Voilà qui concerne le flux, à propos duquel nous avons bien avancé et sur lequel nous sommes à peu près d'accord. Mais en ce qui concerne le stock, vous ne nous aidez pas beaucoup.
Il s'agit de trouver le moyen d'inciter les banques à renégocier les prêts à des conditions tenables pour les deux parties, ce qui n'est pas de notre ressort direct. Nous vous entendons : il faut non seulement que les prêteurs couvrent leurs risques par rapport à leur propre dette, mais aussi que les accords de restructuration soient tels que les débiteurs puissent payer, dans l'intérêt de tous.
Pour une personne relevant du droit privé, ce sont les procédures de restructuration forcée de dette qui jouent ce rôle.
L'équivalent n'existant pas pour les collectivités locales, seule la loi peut forcer à renégocier. Mais il ne faut pas en négliger les conséquences sur la couverture du prêteur.
Tout ce que nous pouvons dire aux banques, et nous le leur disons, c'est qu'elles ont intérêt à renégocier à des conditions tenables pour l'emprunteur, comme pour elles : il ne faut pas les empêcher d'honorer leur propre dette vis-à-vis de leurs contreparties externes.
D'autre part, il nous sera d'autant plus facile d'agir que nous disposerons de règles claires, telles celles que Danièle Nouy vient de mentionner. Or, à l'heure actuelle, la jurisprudence n'est pas claire. Le provisionnement n'étant exigible que pour risque avéré, nous ne pouvons pas demander de provisions aux établissements.
J'ai cité la semaine dernière l'exemple d'un contrat stipulant qu'en cas de sortie, deux autres établissements bancaires que le prêteur fixent la cotation de l'indemnité. La neutralité est-elle préservée quand deux banques évaluent l'indemnité due à leur collègue ? Peut-être cela ne vous choque-t-il pas, vous qui baignez dans le milieu bancaire, mais cela me laisse sceptique. Ne devriez-vous pas intervenir comme autorité extérieure ?
M. Édouard Fernandez-Bollo. La présence d'un tiers est une bonne chose ; voilà du reste pourquoi les banques recourent à des tiers de marché. Mais nous ne pouvons pas à la fois contrôler les valorisations que prennent les banques et les donner. Cela constituerait un grave conflit de missions.