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Séance en hémicycle du 10 janvier 2012 à 21h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • condamné
  • délinquance
  • détenu
  • exécution
  • prison
  • probation
  • programmation
  • pénitentiaire
  • récidive

La séance

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

L'ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines (nos 4001, 4112).

Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé d'appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé sur la base d'un temps attribué aux groupes de trente heures. Chaque groupe dispose des temps de parole suivants : le groupe UMP de huit heures et trente minutes, le groupe SRC de onze heures et trente minutes, le groupe Nouveau Centre de quatre heures et vingt minutes, le groupe GDR de cinq heures et quarante minutes et les députés non inscrits de cinquante minutes.

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, une justice efficace, c'est une justice dont les décisions sont suivies d'effet. C'est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de peines de prison fermes qui, par définition, sanctionnent des délits graves ou des faits de récidive. Nos compatriotes ne comprennent pas que les décisions de justice ne soient pas exécutées dans des délais raisonnables. La sanction ne doit pas seulement être ferme – cela, les magistrats y veillent –, elle doit être rapide. Car, à défaut, on nourrit chez le délinquant un sentiment d'impunité et dans la population un sentiment d'injustice.

C'est si vrai que l'Assemblée, et singulièrement la commission des lois, s'est fortement investie sur le sujet. Qu'il me suffise de citer le rapport Warsmann de mai 2003 sur les peines alternatives à la détention, dont la plupart des préconisations ont été mises en oeuvre par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, ou encore le rapport Blanc de décembre 2007, dont plusieurs propositions ont été reprises dans la loi du 1er juillet 2008 créant de nouveaux droits pour les victimes et améliorant l'exécution des peines, ainsi que dans la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Pour ce projet de loi aussi, l'apport de la commission est de taille, j'aurai l'occasion d'y revenir tout au long de mon intervention.

Depuis un an, le ministère de la justice et des libertés s'est fortement mobilisé pour réduire les délais d'exécution des peines. J'ai lancé en février 2011 un plan national qui fixait des objectifs aux juridictions ayant accumulé le plus de retard, et qui, pour cela, renforçait leurs moyens.

Ces efforts ont commencé à produire des effets. Le nombre de peines en attente d'exécution a baissé de 15 000 entre la fin de l'année 2010 et le milieu de l'année 2011, passant de 100 000 à 85 000. Cela s'est traduit par une augmentation du nombre de condamnés détenus de plus de 5 000, soit 10 %, mais aussi par une augmentation du nombre de condamnés placés sous surveillance électronique de près de 2 000, à savoir 30 %. Cela s'est traduit aussi par un raccourcissement des délais de mise à exécution : deux tiers des peines d'emprisonnement ferme prononcées sont désormais exécutées, en moyenne, dans les six mois de leur prononcé.

Mais ces résultats, pour encourageants qu'ils soient, sont encore insuffisants et ils restent également fragiles : du fait du nombre de condamnations prononcées en 2011, en croissance sensible, le stock des peines en attente d'exécution a connu un léger rebond au second semestre 2011, pour atteindre 87 000 au 31 décembre dernier. Cela montre qu'il faut aller plus loin et que, pour cela, un effort soutenu sur plusieurs années est indispensable.

C'est tout le sens du projet de loi de programmation pour l'exécution des peines que le Président de la République m'a demandé de présenter au nom du Gouvernement, et qu'il a annoncé le 13 septembre dernier lors de sa visite au centre pénitentiaire de Réau, en Seine-et-Marne.

Pour exécuter plus rapidement et plus efficacement les peines prononcées, ce projet veut agir sur tous les stades de l'exécution des peines.

D'abord, il vise à accroître et à diversifier les capacités d'accueil en milieu carcéral, tout en renforçant en amont les moyens des services de l'exécution et de l'application des peines dans les juridictions, pour accélérer les délais de mise à exécution des peines.

De la même manière, en matière de délinquance des mineurs, ce projet vise tout à la fois à accroître les capacités d'accueil en centres éducatifs fermés et à réduire les délais de prise en charge des mineurs délinquants par les services de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ.

Enfin, le texte entend améliorer les dispositifs de prévention de la récidive, notamment les outils d'évaluation de la dangerosité et les soins en détention.

Le premier objectif consiste à garantir une exécution effective et rapide des peines. Pour y répondre, le présent texte vise à agrandir et à diversifier le parc carcéral, à hauteur non seulement des besoins actuels, mais aussi des besoins que l'on peut anticiper d'ici à 2017.

Le premier objectif sera d'agrandir le parc pénitentiaire à la hauteur des besoins. D'ores et déjà, aujourd'hui, pour assurer une exécution normale des peines d'emprisonnement prononcées, la France aurait besoin de 75 000 places de détention, compte tenu de la surpopulation carcérale – on compte en effet aujourd'hui 65 000 détenus pour 57 000 places – et du stock des peines en attente d'exécution.

D'ici à la fin 2017, si l'on ajoute à cela l'impact de l'augmentation tendancielle du nombre de jours de peine prononcés que l'on constate ces dernières années, et qui traduit à la fois l'amélioration du taux de réponse pénale et la fermeté des juges, ce sont bien 80 000 places de détention qui seront nécessaires, même après prise en compte du fait qu'une partie de ces peines pourra utilement être aménagée.

C'est une réalité qu'il faut regarder en face et qu'il convient d'anticiper. Ce projet donne au ministère de la justice les moyens de régler durablement le problème de la surpopulation carcérale, sans se contenter d'une course-poursuite sans fin entre le nombre de détenus et le nombre de places disponibles. Il y va aussi de la dignité des conditions de vie assurées aux détenus actuels et futurs.

Plus précisément, nous évaluons à 96 000 le nombre de personnes placées sous écrou en 2017, contre 72 000 aujourd'hui, dont 65 000 incarcérées, sous le double effet de l'augmentation tendancielle du nombre des peines fermes prononcées et d'une politique volontariste de réduction durable des délais d'exécution. Celle-ci ramènerait le stock des peines en attente d'exécution à son niveau frictionnel estimé à 35 000 compte tenu des délais de procédure incompressibles.

Sur ces 96 000 personnes écrouées, nous anticipons que 16 000 pourront être placées sous surveillance électronique dans le cadre d'un aménagement de peine, soit un doublement par rapport à aujourd'hui, et un décuplement par rapport à 2007 : a contrario, cela signifie que 80 000 personnes devront être incarcérées et hébergées dans un établissement pénitentiaire.

Le chiffre de 80 000 places de prison repose donc, contrairement à ce qui est avancé ici ou là, sur un besoin réel et des projections sérieuses. Il n'est ni une vue de l'esprit ni le signe que la France adopte la philosophie du « tout carcéral ». D'ailleurs, les statistiques en attestent, la capacité pénitentiaire française demeurera plus faible que celle de la plupart de nos voisins européens.

La commission des lois a jugé utile de prévoir que sera établie une cartographie des besoins de places de prison dans le ressort de chaque direction interrégionale de l'administration pénitentiaire. Cela permettra en effet de mettre en adéquation le besoin et l'offre de places de prison.

Parallèlement à l'extension du parc pénitentiaire, nous devons également diversifier les structures. On ne saurait continuer à enfermer dans les mêmes conditions un récidiviste condamné à une lourde peine et un primo-délinquant condamné à quelques mois de prison. C'est à la fois dangereux pour la sécurité des personnels et des détenus, contraire à l'objectif de prévention de la récidive et coûteux pour l'administration pénitentiaire, qui consacre de fait les mêmes moyens de surveillance à tous les détenus.

Or l'administration pénitentiaire ne dispose pas aujourd'hui d'établissements pour courtes peines en nombre suffisant, alors que 50 % des peines en attente d'exécution sont inférieures ou égales à trois mois. Actuellement, les condamnés à de courtes peines sont généralement hébergés, par défaut, dans les maisons d'arrêt déjà surpeuplées, alors que des conditions d'incarcération moins lourdes seraient mieux adaptées et plus efficaces dans une démarche de réinsertion. C'est pour cela que, sur proposition d'Éric Ciotti, la commission des lois a adopté un amendement prévoyant une étude de faisabilité sur la reconversion des bâtiments ou des emprises appartenant à la défense nationale. Cela permettra d'établir s'il est possible de les reconvertir en établissements pénitentiaires pour y prévoir notamment des structures allégées.

On ne peut pas non plus ignorer qu'une partie de la population pénale présente des troubles psychiatriques, et que cela requiert des structures adaptées.

Pour toutes ces raisons, nous allons ouvrir des établissements assurant des prises en charge diversifiées, les uns à sécurité renforcée et les autres davantage axés sur la préparation à la sortie.

Nous sommes souvent interpellés sur notre capacité à mettre en oeuvre la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dont l'une des avancées majeures est, à mes yeux, l'obligation qui nous incombe désormais de proposer à chaque condamné un parcours d'exécution de peine. Il s'agit de la voie la plus efficace pour prévenir la récidive. La diversification des établissements pénitentiaires que propose ce texte pour mieux prendre en compte le profil de chaque condamné nous permettra d'atteindre cet objectif.

Construire 30 000 places en cinq ans représente un effort d'équipement sans précédent. Il se traduira par un effort budgétaire important : un coût d'investissement chiffré à 3 milliards d'euros, et la création de quelque 6 000 emplois pénitentiaires.

C'est pourquoi, dans le contexte si contraint de nos finances publiques que vous connaissez, deux éléments doivent être soulignés.

D'une part, des efforts importants ont été consentis pour optimiser ce coût ; le choix de construire des établissements spécifiques pour courtes peines, dont les contraintes de sécurité seront allégées, contribue ainsi à modérer notablement le coût global du projet.

D'autre part, compte tenu du calendrier de construction des nouveaux établissements et de leur ouverture, l'impact budgétaire demeurera limité sur les deux premières années de la programmation – 2013 et 2014 – et l'impact budgétaire sera concentré sur la période 2015-2017. Ainsi, la trajectoire de réduction du déficit public définie par l'actuelle loi de programmation des finances publiques qui couvre les années 2011 à 2014 ne sera en rien remise en cause.

Comme le souligne M. Garraud dans son rapport, si l'objectif pris par le Gouvernement de ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2013 et à l'équilibre en 2016 demeure intangible, il ne saurait pour autant interdire, dans le respect de la trajectoire fixée, le financement de politiques publiques jugées prioritaires. Or ce projet atteste que la politique pénale d'exécution des peines, aux yeux du Gouvernement, est une de ces priorités.

Construire 30 000 nouvelles places en l'espace de cinq ans représente, je l'ai dit, un effort d'équipement sans précédent, et un véritable défi opérationnel. C'est pourquoi il est prévu qu'une partie de ces places soit construite dans le cadre de partenariats public-privé. Je voudrais m'arrêter un instant sur ce sujet, car je sais qu'il préoccupe nombre d'entre vous.

J'ai d'ailleurs lu, ici ou là, de nombreuses erreurs sur le surcoût des investissements en partenariats public-privé – les PPP – par rapport à ceux réalisés en maîtrise d'ouvrage publique. Car il faut comparer des choses comparables. Comparer la somme non « actualisée », au sens technique du terme, en euros courants, des loyers versés pendant vingt-cinq à trente ans, frais financiers compris, au coût de l'équipement initial n'a pas grand sens.

Pourtant, comme l'a relevé à raison la Cour des comptes dans un rapport récent, le « tout PPP » serait une erreur car il ferait peser sur le budget du ministère une trop grande contrainte à long terme, compte tenu du poids cumulé des loyers. Mon approche se veut donc pragmatique et équilibrée en la matière : sur les 30 000 nouvelles places construites d'ici à 2017, moins de la moitié le seront dans le cadre d'un PPP. En particulier, tous les quartiers et centres pour courtes peines seront réalisés en maîtrise d'ouvrage publique. Et même pour les opérations plus lourdes, le PPP ne sera pas nécessairement privilégié. Le projet de loi de programmation contient d'ailleurs à dessein, dans sa partie normative, une disposition visant à rendre plus attractif le recours au marché de conception-réalisation par rapport au PPP.

Le projet prévoit aussi, je l'ai dit, de renforcer en amont les services de l'application et de l'exécution des peines des juridictions, en leur affectant des moyens humains supplémentaires, notamment en juges d'application des peines. Ainsi, il est faux de résumer notre politique au « tout carcéral ». J'en veux pour preuve que nous avons considérablement développé les aménagements de peine : au 1er janvier 2012, près de 10 700 condamnés bénéficiaient d'un aménagement de peine sous écrou sous forme de surveillance électronique, de semi-liberté ou de placement extérieur, soit 27 % de plus qu'il y a un an, 125 % de plus depuis le mois de mai 2007.

Pour permettre une prise en charge immédiate de tous les condamnés, le texte prévoit en outre de généraliser les bureaux d'exécution des peines à toutes les audiences, dans chaque juridiction, pour les majeurs comme pour les mineurs : là où ils ont été mis en place, ces bureaux d'exécution des peines ont en effet fait la preuve de leur efficacité.

Le texte de la commission prévoit également plusieurs modifications permettant l'amélioration de l'exécution des peines de confiscation, présentées à l'initiative du président Warsmann dans le prolongement de la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. Ces mesures, adoptées à l'unanimité en commission, amélioreront le fonctionnement de l'AGRASC, l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, et permettront également une confiscation en valeur, renforçant ainsi l'exécution de cette peine.

Enfin, une mesure en faveur de l'aide aux victimes complétera cette action sur l'aval de la chaîne pénale. Aujourd'hui, trente-huit bureaux d'aide aux victimes permettent aux associations, au sein des juridictions, d'accueillir, d'accompagner et d'orienter les victimes. Ces bureaux répondent à un véritable besoin.

L'ouverture de douze nouveaux bureaux d'aide aux victimes est d'ores et déjà prévue en 2012. J'ai souhaité aller plus loin, et que le projet de loi généralise ce dispositif à tous les tribunaux de grande instance.

Le deuxième objectif du projet est de renforcer les dispositifs de prévention de la récidive criminelle. L'actualité récente a montré qu'il était nécessaire de renforcer encore nos moyens d'évaluation et de suivi. Les attentes de nos concitoyens sont très fortes en la matière.

Le texte prévoit d'abord la généralisation du diagnostic à visée criminologique, déjà expérimenté avec succès sur plusieurs sites. Il est en effet indispensable de conduire une évaluation pluridisciplinaire, rigoureuse et systématique, de chaque condamné pour déterminer un régime de détention adapté et un parcours d'exécution des peines orienté vers la prévention de la récidive.

Le texte prévoit ensuite le développement de l'évaluation des condamnés à de longues peines, qui présentent un degré de dangerosité supérieur, par la création de trois nouveaux centres nationaux d'évaluation, après celui de Fresnes et après celui de Réau, qui fonctionne depuis quelques semaines.

Cette mesure s'inscrit dans le prolongement de la loi du 10 août 2011, qui a étendu le passage obligatoire par le centre national d'évaluation aux détenus condamnés à dix ans au moins pour les faits les plus graves, lorsqu'ils sollicitent leur libération conditionnelle. Auparavant, cette obligation ne concernait que les condamnés à perpétuité.

Dans ces centres, les détenus feront l'objet d'une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité par des psychologues, des surveillants pénitentiaires et des conseillers d'insertion et de probation. Elle intervient donc en complément de l'expertise psychiatrique.

Les trois autres centres supplémentaires prévus dans la loi doivent permettre de procéder annuellement à l'évaluation de 1 600 condamnés.

En matière d'évaluation de la dangerosité et du suivi des condamnés, je rappelle que, à l'initiative du rapporteur, dont nous connaissons les travaux sur le sujet, la commission des lois a complété le projet de loi en prévoyant que soient fixés des objectifs d'amélioration de la prise en compte de la dangerosité psychiatrique et criminologique des personnes placées sous main de justice. Ainsi, une nouvelle impulsion devra être donnée à l'enseignement de la criminologie, tant au sein des universités que des écoles des métiers de la justice. De même, les bénéficiaires de la bourse, prévue par le texte, incitant les futurs psychiatres à exercer les fonctions d'expert psychiatre ou de médecin coordonnateur, devront suivre une formation spécifique en sciences criminelles ou légales.

Mieux prévenir la récidive suppose aussi un meilleur contrôle de l'effectivité des soins. La loi du 10 mars 2010 pose déjà l'obligation pour le médecin du condamné d'informer, par l'intermédiaire du médecin coordonnateur, le juge de l'application des peines de l'arrêt des soins par un condamné libre qui interviendrait contre son avis. Le projet de loi précise la périodicité et le contenu des certificats médicaux qui devront être remis au condamné pour qu'il justifie de la régularité et de la réalité de ses soins en détention auprès du juge de l'application des peines. Cette disposition permettra ainsi au magistrat de se prononcer en pleine connaissance de cause sur le retrait ou l'octroi de réductions de peine ou le prononcé d'un aménagement de peine.

Sur la question de l'information du juge, je veux souligner le travail de la commission : à l'initiative du rapporteur, l'information directe du juge de l'application des peines par le médecin traitant sur le caractère régulier du suivi du traitement, a été remplacée par la remise par le médecin d'attestations indiquant si le patient suit ou non son traitement de façon régulière. Il s'agit de ne pas mettre à mal la confidentialité des échanges ente le médecin et son patient, qui est nécessaire pour l'efficacité des soins. En outre, la commission des lois a prévu, lorsque la personne est incarcérée, que la décision de condamnation ainsi que les différentes expertises médicales réalisées au cours de la procédure pénale seront adressées par le juge de l'application des peines au médecin traitant, lorsque celui-ci en fait la demande.

Ces différentes mesures relatives à la prévention de la récidive s'accompagneront d'un renforcement ciblé des moyens des services pénitentiaires d'insertion et de probation, qui ira de pair avec une amélioration de leurs méthodes de prise en charge et de leur organisation.

Outre la création d'une centaine d'emplois de psychologues pour généraliser le diagnostic à visée criminologique et développer l'évaluation interdisciplinaire de dangerosité déjà cités, le projet prévoit dès 2013 la création de quatre-vingt-huit emplois pour constituer des équipes mobiles dans les SPIP, ainsi que la délégation au secteur associatif habilité des enquêtes pré-sentencielles, ce qui permettra de réaffecter l'équivalent de 130 emplois de conseillers d'insertion et de probation au suivi post-sentenciel, qui constitue le coeur de mission des SPIP.

Par ailleurs, le projet comporte un volet d'investissement important en matière de systèmes d'information, afin de fiabiliser les outils et de garantir une véritable continuité dans la prise en charge des personnes condamnées. Il est en effet indispensable que tous les intervenants de la chaîne pénale puissent consulter les informations pertinentes pour le suivi des délinquants, dans le respect des prérogatives de chacun.

Dans le même esprit, je vous présenterai un amendement tendant à transposer la décision-cadre du 26 février 2009 concernant l'organisation et le contenu des échanges d'informations extraites du casier judiciaire entre les États membres de l'Union européenne. La France a en effet activement soutenu un dispositif d'échanges d'informations entre les casiers judiciaires des vingt-sept États membres, qui sera mis en oeuvre à compter du 27 avril 2012. Ces adaptations sont nécessaires pour permettre ces échanges, qui amélioreront la connaissance du passé judiciaire des auteurs d'infractions commises dans les différents États membres.

Enfin, et toujours parce que la prévention de la récidive passe par une meilleure transmission de l'information, je présenterai un amendement qui tire les conséquences du drame du meurtre de la jeune Agnès et qui prévoit que, en cas de placement sous contrôle judiciaire pour des crimes ou délits violents ou de nature sexuelle, la justice informe systématiquement les responsables des établissements scolaires de cette mesure et de la nature des faits commis.

Enfin, le dernier volet de la loi de programmation vise à garantir une meilleure prise en charge des mineurs délinquants. La loi du 10 août 2011 a amélioré les modalités de jugement des mineurs. Il convient de poursuivre dans cette voie pour faire évoluer la prise en charge des mineurs délinquants, afin qu'elle soit à la fois plus rapide et mieux adaptée à l'évolution de cette délinquance.

Parce qu'il est indispensable qu'une mesure judiciaire prononcée à l'encontre d'un mineur soit exécutée dans un temps très proche de la commission des faits, le projet de loi impose désormais que le mineur soit convoqué par le service éducatif dans un délai maximum de cinq jours à compter de la date du jugement. Afin de mettre effectivement en oeuvre cette mesure, le projet de loi prévoit la création de 120 postes d'éducateur.

Il est par ailleurs prévu de renforcer les capacités d'accueil des centres éducatifs fermés, qui constituent un outil efficace contre la récidive et offrent une réponse pertinente aux mineurs les plus ancrés dans la délinquance.

Ainsi, dans la continuité de la loi du 10 août 2011, qui a élargi les conditions de placement en centre éducatif fermé, le présent projet prévoit la création de vingt établissements supplémentaires, qui s'ajouteront aux quarante-cinq existants. La capacité d'accueil de ces centres éducatifs fermés sera ainsi portée à près de 800 places. La création de quatre-vingt-dix postes supplémentaires accompagne cette mesure.

Enfin, le projet de loi étend le renforcement des moyens de suivi pédopsychiatrique dans les CEF à l'ensemble de ces établissements, pour permettre une meilleure prise en charge des mineurs présentant des troubles du comportement.

Mesdames, messieurs les députés, comme vous le voyez, ce projet de loi fixe des objectifs ambitieux à la justice en matière d'exécution des peines. Il y va en effet de son efficacité et de sa crédibilité. Il lui donne aussi les moyens de les atteindre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

La parole est à M. Jean-Paul Garraud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pendant longtemps, l'exécution des décisions de la justice pénale n'a pas figuré parmi les préoccupations des gouvernements successifs, ni du législateur, ni même de la majorité des acteurs de la chaîne pénale.

Fort heureusement, une véritable prise de conscience a eu lieu au début des années 2000. Dès 2002, le Gouvernement et le Parlement ont entendu l'incompréhension de la population face à l'inexécution, à l'exécution tardive et à la mauvaise exécution des peines, et nous avons conduit d'importantes réformes pour améliorer de façon continue les conditions d'exécution des peines en France.

Il ne sert en effet à rien de mobiliser tous les acteurs de la chaîne pénale si les peines ne sont pas véritablement appliquées.

Quatre grands principes nous ont ainsi guidés au cours de ces dix années.

Premier principe : favoriser les aménagements de peine et les alternatives à l'emprisonnement. À ce propos, je m'élève une fois de plus contre ceux qui veulent faire croire que nous ne sommes animés que par une vision sécuritaire de la justice pénale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

La loi du 9 mars 2004 a ainsi permis aux personnes condamnées à une courte peine d'emprisonnement, inférieure ou égale à un an, mais non incarcérées à la suite de l'audience, de bénéficier d'un aménagement de peine dans la mesure du possible et si leur personnalité et leur situation le permettent.

Deuxième principe : accélérer la mise à exécution des peines en évitant les discontinuités de la chaîne pénale. Cette même loi du 9 mars 2004 a oeuvré pour une mise à exécution plus rapide des courtes peines, en prévoyant que le condamné, s'il est présent à l'audience de jugement, reçoit à l'issue du prononcé du jugement de condamnation une convocation à comparaître dans un délai de trente jours devant le juge de l'application des peines et de quarante-cinq jours devant le service pénitentiaire d'insertion et de probation.

La mise en oeuvre de cette disposition très importante a été rendue possible par la création des bureaux de l'exécution des peines, qui ont permis d'accélérer la mise à exécution des peines.

Troisième principe : améliorer les conditions de détention. Notre majorité s'est également attachée, depuis plusieurs années, à améliorer les conditions de détention, en les rendant plus dignes et plus respectueuses des droits de l'homme, mais aussi à augmenter les capacités du parc carcéral pour assurer la mise à exécution rapide des peines prononcées. Tel fut notamment l'objet de la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 et de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dont j'étais le rapporteur.

Quatrième principe : rechercher des conditions d'exécution des peines adaptées aux mineurs. La décennie passée a vu le développement de deux structures emblématiques de la volonté de l'actuelle majorité d'améliorer l'exécution des peines en ce qui concerne les mineurs : les établissements pénitentiaires pour mineurs et les centres éducatifs fermés. Ces deux structures, pour différentes qu'elles soient, offrent un cadre plus adapté à l'exécution des peines des mineurs délinquants et à la prévention de la récidive.

Je suis d'ailleurs très agréablement surpris de constater que, aujourd'hui, ceux-là mêmes qui critiquaient avec véhémence l'instauration de ces structures se répandent en satisfecit à leur sujet. Que n'ai-je pourtant entendu dans cet hémicycle en 2002 !

Notre assemblée est aujourd'hui saisie, en première lecture, du projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines, qui s'inscrit dans la continuité de ces réformes intervenues depuis dix ans, en se fixant pour objectif de renforcer encore davantage l'effectivité de la réponse pénale. En effet, si le chantier de l'exécution des peines a connu, ces dix dernières années, de nombreux succès, il exige une mobilisation permanente des pouvoirs publics.

Le projet de loi que nous allons examiner, qui a été adopté par la commission des lois le 21 décembre 2011, s'inscrit résolument dans cette démarche. Il définit initialement, dans son rapport annexé, trois objectifs, qui façonneront, pendant les cinq prochaines années, notre politique d'exécution des peines. Pour chacun de ces trois objectifs, je vous présenterai les principales mesures prévues, ainsi que les principaux amendements adoptés par la commission des lois.

En outre, la commission a complété le projet de loi par deux points nouveaux, que je présenterai également : le premier, issu d'amendements du président Warsmann, tendant à améliorer l'exécution des peines de confiscation ; le second, inséré à mon initiative, visant à améliorer la prise en compte de la dangerosité. Vous savez que je suis très attaché à cette question, qui m'apparaît être la clé de la réussite pour lutter efficacement contre la récidive.

Le projet de loi, enrichi par les travaux en commission, s'articule donc à présent autour de cinq objectifs principaux, que je reprendrai dans leurs grandes lignes.

Le premier de ces objectifs est de garantir la rapidité et l'effectivité de la mise à exécution des peines prononcées. Afin de répondre à l'augmentation du nombre de peines privatives de liberté et de peines en attente d'exécution, la partie « programmation » du projet prévoit deux mesures.

D'une part, elle entend porter la capacité d'accueil du parc carcéral à 80 000 à l'horizon 2017, objectif que notre collègue Éric Ciotti avait d'ailleurs préconisé dans son rapport de juin 2011 sur l'exécution des peines. Cet accroissement de la capacité du parc carcéral nécessitera la construction, dans les cinq prochaines années, de 24 000 places de prison. Près de 6 000 d'entre elles seront réservées aux courtes peines, au sein de quartiers ou d'établissements qui leur seront exclusivement consacrés.

À mon initiative, la commission des lois a défini ces courtes peines comme étant celles d'une durée inférieure ou égale à un an d'emprisonnement, ou dont le reliquat est inférieur ou égal à un an.

En ce qui concerne la localisation des futurs établissements pénitentiaires, la commission des lois a ajouté deux précisions à l'initiative de notre collègue Éric Ciotti : en premier lieu, le projet prévoit désormais que la faisabilité d'une reconversion des bâtiments ou des emprises appartenant à la défense nationale devra être évaluée, en vue d'y établir des établissements pénitentiaires, notamment des structures allégées ; en second lieu, le texte adopté par la commission prévoit l'établissement d'une cartographie des besoins de places de prison dans le ressort de chaque direction interrégionale de l'administration pénitentiaire, afin de mettre en adéquation le besoin et l'offre.

D'autre part, la partie « programmation » du projet de loi prévoit de renforcer les services de l'application et de l'exécution des peines à trois niveaux.

Dans cette perspective, ce sont 120 emplois de magistrats et quatre-vingt-neuf emplois de greffiers qui seront créés entre 2013 et 2017.

Ensuite, le renforcement du parcours d'exécution de la peine passera par la généralisation des bureaux de l'exécution des peines, que le président Jean-Luc Warsmann et notre collègue Étienne Blanc avaient déjà préconisée en 2007 dans le cadre du premier rapport de la mission d'information sur l'exécution des décisions de justice pénale créée par notre commission pour toute la durée de la XIIIe législature.

À terme, chaque juridiction possédera un bureau d'exécution des peines, y compris les cours d'appel. Les plages horaires d'ouverture de ces bureaux seront d'ailleurs élargies. Et ce sont 207 emplois de greffiers et d'agents de catégorie C qui seront créés à cette fin. Inutile d'épiloguer pour démontrer toute l'importance de cette mesure.

Il en va de même avec la généralisation des bureaux d'aide aux victimes. Depuis dix ans, nous avons fait progresser à juste titre les droits des victimes dans les différentes phases de l'enquête, de l'instruction et du procès pénal. Il est évidemment indispensable de faire progresser également la situation des victimes au niveau de l'exécution des peines. C'est notamment pour cela que le rapport annexé au présent projet de loi prévoit la généralisation, de 2013 à 2017, des bureaux d'aide aux victimes chargés d'informer, d'accompagner et d'orienter les victimes d'infractions pénales.

Le plan national de prévention de la délinquance et de l'aide aux victimes 2010-2012 a déjà prévu la création de cinquante bureaux d'aide aux victimes, et 140 seront donc créés dans le cadre de la présente programmation. C'est une mesure essentielle à laquelle je suis particulièrement sensible, ayant oeuvré depuis longtemps en faveur de la progression de la situation des victimes. Ce n'est pas du populisme que de s'occuper d'elles, c'est tout simplement de la justice.

Le deuxième objectif de ce texte est de renforcer les moyens de lutte contre la récidive. Le projet de loi s'y attache de deux manières : en améliorant l'évaluation du profil des personnes condamnées, d'une part ; en renforçant le suivi des personnes placées sous main de justice, tant en milieu ouvert qu'en milieu fermé d'autre part.

Afin d'améliorer l'évaluation du profil des personnes condamnées, deux mesures sont prévues : remédier à la pénurie d'experts psychiatres, et compléter l'expertise psychiatrique. La pénurie d'experts psychiatres est un point très important sur lequel j'attire depuis longtemps l'attention. On demande de plus en plus aux experts psychiatres alors qu'ils sont de moins en moins nombreux.

Il est urgent de remédier à cette évolution. L'article 7 du projet de loi met en place une incitation financière forte à l'intention des internes en psychiatrie, qui pourront bénéficier d'une allocation mensuelle pendant la durée de leurs études. En contrepartie, une fois qu'ils seront devenus médecins, ils devront exercer dans des zones géographiques caractérisées par un manque d'experts psychiatres et demander à être inscrits sur les listes d'experts et de médecins coordonnateurs.

À mon initiative, la commission des lois a adopté un amendement complétant ce dispositif intéressant, en prévoyant que les bénéficiaires de la bourse devront également suivre une formation en sciences criminelles, en psychiatrie criminelle ou en psychologie légale. Cela permettra, d'une part, de susciter des vocations, et, d'autre part, de compenser la faible expérience de ces jeunes praticiens – qui pourrait être un obstacle à leur inscription en tant qu'expert ou médecin coordonnateur – par le suivi d'une formation adaptée.

Ce dispositif est certainement un progrès mais il ne sera pas, à mon sens, suffisant, et je sais que M. le garde des sceaux est particulièrement attentif à cette question qui nécessitera certainement d'autres développements ultérieurs.

Il s'agit ensuite de compléter l'expertise psychiatrique qui est au coeur de l'évaluation de la dangerosité des personnes condamnées, par l'usage d'autres instruments destinés à enrichir la connaissance de la personnalité des auteurs d'infractions. Sont ainsi prévues la création de trois nouveaux centres nationaux d'évaluation et la généralisation du diagnostic à visée criminologique.

En effet, c'est surtout grâce à des approches pluridisciplinaires menées dans le temps que la personnalité réelle du détenu sera la mieux appréhendée. Cent trois emplois de psychologues sont programmés à l'appui de la généralisation du diagnostic à visée criminologique et cinquante emplois en relation avec la création des trois nouveaux centres nationaux d'évaluation.

Renforcer le suivi des personnes placées sous main de justice, tant en milieu ouvert qu'en milieu fermé, constitue le deuxième axe de lutte contre la récidive. En milieu fermé, le dispositif d'incitation aux soins sera renforcé. L'article 5 du projet de loi prévoit que le juge de l'application des peines pourra retirer des crédits de réductions de peine et décider de ne pas octroyer de réduction de peine supplémentaire et de libération conditionnelle aux condamnés qui ne suivent pas de façon régulière le traitement proposé par le juge. C'est tout à fait logique, dès lors que l'une des premières conditions de la réinsertion – le suivi d'un traitement médical – n'est pas respectée.

Dans sa rédaction initiale, l'article 5 prévoyait que le médecin traitant adresserait directement au juge de l'application des peines des attestations lui permettant d'établir si le patient suivait régulièrement son traitement. J'ai estimé que la mise en place d'une telle procédure n'était pas nécessaire. À l'heure actuelle, c'est le détenu lui-même qui transmet au juge les attestations fournies par son médecin : c'est son intérêt, car, dans le cas contraire, le juge sait à quoi s'en tenir. Lors de l'examen du projet de loi, la commission des lois a adopté l'amendement que j'avais déposé en vue de revenir au dispositif antérieur, afin d'assurer au médecin comme au patient des conditions de confidentialité sans lesquelles les soins seraient d'une efficacité moindre.

Par ailleurs, l'article 5 a été complété pour prévoir que la décision de condamnation et les différentes expertises médicales réalisées au cours de la procédure pénale seront adressées par le juge d'application des peines au médecin traitant, lorsque celui-ci en fait la demande.

Sur ce point, je présenterai un amendement visant à améliorer encore l'information des médecins assurant les soins pénalement ordonnés par la juridiction, quel que soit le cadre procédural dans lequel ces soins interviennent : contrôle judiciaire, sursis avec mise à l'épreuve, suivi socio judiciaire ou en milieu fermé. Il est en effet très important que le médecin traitant soit mieux informé de la personnalité du délinquant qu'il est amené à suivre.

En milieu ouvert, afin de renforcer le suivi des personnes placées sous main de justice, les fonctions de médecin coordonnateur seront rendues plus attractives, tandis que les services pénitentiaires d'insertion et de probation seront renforcés et mieux organisés.

Dans cette perspective, l'article 4 du projet de loi de programmation confie prioritairement au secteur associatif habilité la réalisation des enquêtes pré-sentencielles, afin de recentrer les fonctions de conseiller d'insertion et de probation sur le suivi des personnes condamnées et la prévention de la récidive.

À mon initiative, la commission des lois a apporté un correctif à ce dispositif, afin d'anticiper toutes les situations dans lesquelles le juge pourrait se trouver dans l'impossibilité concrète de confier ces enquêtes à une association et de lui permettre, dans ce cas, de confier l'enquête au service pénitentiaire d'insertion et de probation.

Le troisième objectif de ce texte est d'améliorer la prise en charge des mineurs délinquants. Dans son rapport annexé, le projet comprend un troisième volet consacré à l'amélioration de l'exécution des peines pour les mineurs. Dans cette perspective, deux leviers seront actionnés au titre de la présente programmation pour 2013-2017 : d'une part, l'article 9 du projet de loi prévoit de ramener à cinq jours ouvrables les délais de convocation devant les services de la protection judiciaire de la jeunesse sur l'ensemble du territoire ; d'autre part, la capacité d'accueil des centres éducatifs fermés sera augmentée, puisque vingt nouveaux centres seront créés. L'article 8 permettra d'accélérer leur ouverture. Par ailleurs, les centres éducatifs fermés bénéficiant de moyens renforcés en santé mentale pour prendre en charge les mineurs souffrant de troubles du comportement seront développés.

Le quatrième objectif est d'améliorer l'exécution des peines de confiscation. La commission des lois a adopté, à l'initiative du président Jean-Luc Warsmann, cinq articles additionnels, les articles 9 bis à 9 sexies, contenus dans un nouveau chapitre III relatif à l'exécution des peines de confiscation.

L'objet de ces articles est de faciliter l'exécution des peines complémentaires de confiscation, dans le prolongement de l'adoption de la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, et de l'audition par la commission des lois, le 30 novembre 2011, de la directrice générale de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.

Je me félicite de l'ajout de ces articles, adoptés à l'unanimité par la commission des lois, comme l'avait d'ailleurs été, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, la loi du 9 juillet 2010. Ils permettront d'améliorer encore l'efficacité, redoutable pour les délinquants, des mesures de saisie et confiscation. Ce sont vraiment d'excellentes mesures.

Le cinquième objectif est de mieux prendre en compte la dangerosité des personnes placées sous main de justice. J'ai souhaité que le rapport annexé soit complété par un volet relatif au renforcement de l'évaluation de la dangerosité psychiatrique et criminologique des personnes placées sous main de justice. En octobre 2006, j'ai rendu au Premier ministre un rapport de mission intitulé Réponses à la dangerosité. Plusieurs de ses vingt et une propositions ont été reprises par des lois postérieures, mais, il reste encore à faire, et j'ai donc insisté sur deux points contenus dans le rapport annexé : il faut encourager les universités et les écoles des métiers de la justice à donner à la criminologie une plus grande visibilité dans leurs programmes de formation, tant initiale que continue, afin de répondre aux besoins de terrain de l'ensemble des praticiens ; et il faut intégrer les méthodes actuarielles dans les outils et méthodes permettant aux praticiens d'émettre des avis circonstanciés, fondés sur des critères objectifs et précis.

Monsieur le garde des sceaux, vous savez que je plaide depuis longtemps pour que soit créé un nouveau cursus de formation en psychocriminologie. Des milliers d'étudiants en psychologie souffrent d'un manque de débouchés : avec cette spécialité, ils auraient une nouvelle et très intéressante ouverture. Cela permettrait aussi de répondre à la pénurie d'experts psychiatres, dont j'ai déjà parlé. En réalité, nombre d'expertises ne concernent pas la psychiatrie mais plutôt la psychocriminologie qui, pour l'instant, n'existe toujours pas en France, qui est pourtant le berceau de la criminologie. Le 21 septembre 2011, j'ai déposé une proposition de loi tendant à la création d'une école de psychocriminologie et portant sur diverses mesures relatives à l'évaluation de la dangerosité. Je ne doute pas que, au cours de la prochaine législature, nous y parviendrons.

Par ailleurs, j'aurais souhaité pouvoir présenter un amendement tendant à donner aux juridictions de l'application des peines la possibilité, à titre facultatif, de solliciter une évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité réalisée au sein de l'un des centres nationaux d'évaluation et de saisir la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté pour toute personne condamnée pour une infraction pour laquelle le suivi socio judiciaire est encouru. Malheureusement, l'amendement que j'avais déposé en commission a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution. Une telle mesure aurait pu permettre aux magistrats de l'application des peines de faire évaluer une personne dont ils pensent qu'elle peut être dangereuse mais qui n'entre pas dans le champ d'application de l'évaluation obligatoire. Elle aurait aussi permis de faire fonctionner à plein régime ces commissions pluridisciplinaires qui sont un des maillons essentiels du dispositif d'évaluation de la dangerosité.

Pour conclure, mes chers collègues, je vous rappelle que ce programme en faveur de l'exécution des peines vient parachever l'ensemble du dispositif législatif et budgétaire mis en place par le Gouvernement et le Parlement depuis près de dix ans. Rapporteur du budget pour avis depuis cette époque, je note les considérables efforts menés par notre majorité pour donner des moyens à la justice.

L'exécution des peines constitue la véritable finalité de la justice pénale. Il en va de l'ensemble de la cohérence du système si elle n'atteint pas ce but.

Notre majorité a, une fois encore, pris à bras-le-corps cet imposant chantier grâce au Président de la République et au Gouvernement qui ont décidé de la priorité qu'il convenait de donner à l'exécution des peines.

Je me suis attaché à détailler l'impact financier de l'engagement que nous prendrons dans ce domaine pour les cinq prochaines années.

Ce sont près de 7 000 emplois équivalents temps plein qui seront créés et l'État consacrera plus de 3,5 milliards d'euros en investissements et dépenses de personnel. J'espère vraiment que l'opposition se montrera constructive au cours du débat et prendra conscience du bien-fondé de cet engagement.

Les attentes de nos concitoyens sont très fortes. Poursuivons notre mobilisation. Pour toutes ces raisons, je ne peux que vous inviter, au nom de la commission des lois, à voter ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Dominique Raimbourg.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je vais décevoir les attentes de M. le rapporteur : il n'y aura pas de consensus sur ce texte, qui représente une incroyable fuite en avant. Le 13 septembre 2011, à Réau en Seine-et-Marne, le Président de la République a brusquement découvert qu'il manquait 24 000 places de prison, ce qui représente 42 % du parc existant de 56 000 places. On peut, pour le moins, considérer cette découverte avec un certain étonnement,…

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

…car il s'avise de cela après avoir exercé le pouvoir pendant dix ans, que ce soit en tant que ministre ou en tant que Président de la République, et à sept mois de l'élection présidentielle ! Est-ce de l'incurie, de l'aveuglement lié au fait que son attention était appelée ailleurs ? Ou est-ce une fuite en avant pour masquer l'échec de sa politique de sécurité ? C'est plutôt, nous semble-t-il, la seconde hypothèse qui est la bonne.

Ce n'est pas au Président de la République de dire qu'il manque 80 000 places de prison. Son rôle est de suggérer que l'exécution des peines n'est pas tout à fait à la hauteur de ce que la République est en droit d'attendre. Son rôle est d'émettre des idées, des avis, des suggestions, en aucun cas de donner des indications de ce type. Le Président préside, le Gouvernement gouverne – mais il est vrai que cette répartition des pouvoirs, prévue par la Constitution, a été bien oubliée ces quatre dernières années.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Le 1er janvier 2001, on dénombrait 47 837 détenus ; ce qui correspond à un taux de détention de 75,6 détenus pour 100 000 habitants. Le 1er janvier 2011, il y avait 60 544 détenus, soit un taux de détention de 93,1 pour 100 000 et le 1er décembre 2011, 65 262 détenus, soit un taux de détention de près de 100 détenus pour 100 000 habitants. Ainsi, en dix ans, le nombre de détenus a augmenté de 25 %. Peut-on dire pour autant que la délinquance a diminué, que la sécurité et la perception qu'en ont nos concitoyens se sont améliorées, que le malaise qu'ils ressentent s'est dissipé ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

La réponse, hélas, est négative. Or, en dépit de cet échec, il nous est demandé de programmer 80 000 places de prison à l'horizon de 2017.

Cette fuite en avant est d'autant plus inacceptable qu'elle est fondée sur de fausses hypothèses. Ce chiffre de 80 000 places provient d'un rapport de l'inspection judiciaire qui rappelle que 80 000 peines sont en attente d'exécution. Cela n'a rien de surprenant : bon an mal an, le nombre de peines d'emprisonnement prononcées se monte à 120 000 ; lorsqu'une peine est inférieure à deux ans d'emprisonnement, elle est aménageable ; or la procédure d'aménagement, qui a recueilli un accord à peu près unanime à l'Assemblée, demande du temps, si bien que, à un moment donné, il y a forcément des peines d'emprisonnement en attente d'aménagement.

Pour autant, ces peines ne sont pas inexécutées. Est dite inexécutée une peine, sanctionnant un délit, qui n'a pas commencé à être exécutée au terme de la période de prescription de cinq ans, et qui ne peut donc plus l'être. Comme toujours en matière de statistiques judiciaires, nous n'avons aucune information à ce sujet, nous sommes dans le flou le plus total et ne connaissons pas le nombre de peines inexécutées.

C'est le même flou qui prévaut en matière de délinquance : depuis dix ans, nous nous servons d'un chiffre unique issu de l'état 4001. Ce chiffre, martelons-le, ne mesure pas l'état de la délinquance, mais l'activité des services de police. S'il est statistiquement juste, il est factuellement faux, car il ne rend pas compte de l'évolution réelle de la délinquance. Face à la vague d'assassinats qui ensanglante la ville de Marseille, entendre le ministre de l'intérieur affirmer que les chiffres de la délinquance sont bons serait drôle, comme une scène à la Buster Keaton, si ce n'était dramatique. Cela trahit une absence totale de maîtrise de la situation : les chiffres pris en compte ne reflètent absolument pas la réalité.

On nous explique donc qu'il y a 80 000 peines en attente d'exécution. Mais il n'est pas prouvé que cela justifie la création de 80 000 places de prison. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Au-delà des chiffres inexacts, ce projet de loi de programmation trahit une fixation sur les faits criminels. Je comprends la préoccupation de M. le rapporteur et je la partage. Il est important de s'intéresser aux grands crimes, à ces grands prédateurs qui font la une des journaux télévisés. Mais c'est considérablement manquer d'ambition que de limiter la question de la récidive aux grands prédateurs. Il est bien évidemment très important de lutter contre la récidive. Mais il ne faut pas pour autant oublier la réalité de la délinquance au quotidien. Les récidivistes, ce sont avant tout des conducteurs qui prennent le volant en état d'ivresse, des voleurs qui vivent de la délinquance. D'un point de vue statistique, la récidive des de grands prédateurs est fort heureusement très faible. Il faut certes s'en préoccuper – vous avez raison de le souligner, monsieur le rapporteur –, mais la réalité, pour nos concitoyens, ce sont des vols à répétition, le trafic de stupéfiants. Pour ce qui concerne les chiffres du trafic de stupéfiants, je renvoie à l'étude réalisée par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies et aux travaux du chercheur Christian Ben Lakhdar, qui estime que le nombre de dealers varie entre 70 000 et 140 000 personnes – fourchette très large. Voilà la réalité du quotidien de nos concitoyens. Si les médias se focalisent sur les grands prédateurs, c'est parce que la délinquance du quotidien n'est pas traitée.

La fuite en avant que j'évoquais se fait au mépris de tout ce qui a été réalisé jusqu'ici, notamment des règles de bonne gestion que nous nous étions engagés à appliquer. Oubliés la loi pénitentiaire et l'encellulement individuel ! On ne nous dit pas si les prisons qui seront construites permettront, d'un point de vue architectural, que soit enfin respectée la règle de un homme par cellule, qui a bien du mal à être appliquée, quoique, je vous le rappelle, elle date de 1875.

Oubliées également toutes les remarques sur la prudence en matière de partenariat public-privé. Peut-être n'ai-je pas lu le rapport avec une attention suffisante : j'ai découvert en vous écoutant, monsieur le garde des sceaux, que seule la moitié des établissements seront construits en partenariat public-privé. Ne nous lançons-nous pas tout de même dans une opération qui mettra à la charge du ministère des frais de loyer extrêmement importants ? Pourrons-nous y faire face ? Nos règles comptables nous permettent de mesurer un investissement, un fonctionnement. Or, en l'occurrence, nous achetons de l'investissement et du fonctionnement clé en main, sans savoir exactement ce qu'il faudra payer, ni comment seront calculés les loyers dus à l'exploitant de ces futurs établissements pénitentiaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Mallot

Le ministre non plus ne sait pas où il va !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Oubliées donc les règles de prudence budgétaire. Oubliées les recommandations du contrôleur général des prisons. L'instauration du contrôleur général des prisons a été une bonne décision, qui a été votée par votre majorité et que nous avions approuvée – sachons reconnaître les mérites des uns et des autres. Cette autorité administrative indépendante formule diverses recommandations. Elle explique par exemple qu'il est très difficile de gérer de façon humaine des établissements trop importants. Or le rapport nous apprend que les établissements de 500 places vont être transformés en établissements de 620 places.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

L'établissement nantais qui va ouvrir va passer de 520 à 640 places. Or, pour passer de 520 à 640 places, on va dédoubler les cellules et reproduire, dans la nouvelle maison d'arrêt, ce qui existait dans l'ancienne, où il y a 420 personnes pour 297 places.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

On ne se prémunit pas suffisamment contre ces dérives. Au contraire, on les voit réapparaître, alors que nous avions voté une loi prévoyant qu'il y ait un homme par place de prison.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est bien la preuve qu'il faut construire des prisons !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Rien ne semble être prévu à cet égard.

Oubliés également les débats de la loi pénitentiaire. Rappelez-vous la controverse assez vive sur le classement des détenus. Il est certes intéressant d'avoir des établissements de courte peine, dans lesquels la sécurité est allégée. Pour autant, comment s'effectuera le classement des détenus ? Quelles sont les procédures qui permettront d'éviter que ce classement ne soit une procédure disciplinaire déguisée ? Comment éviter de reconstituer ce que l'on appelait autrefois les quartiers de haute sécurité, dont nous avons eu tant de mal à nous défaire ? Les gens qui y croupissaient n'étaient certes pas les meilleurs d'entre nous : il n'est pas question de dire qu'il s'agissait d'innocents. Et, contrairement à ce qui se dit, il n'y a pas que des innocents dans les maisons d'arrêt.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Vanneste

Il y en a très peu. Ou, plutôt, il n'y en a pas du tout ! Il ne faut pas renverser les choses !

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

L'orateur ne répond pas aux interruptions. Il s'adresse à l'ensemble de ses collègues.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Il était très difficile, pour un détenu, de sortir des quartiers de haute sécurité, dès lors qu'il avait été, pendant une période de sa détention, catalogué comme particulièrement dangereux et à surveiller. Ne recréons pas cette situation, ce qui ne nous empêche pas de prendre certaines précautions.

Ce texte présente d'autres difficultés. Ainsi, des amendements prévoient que les victimes pourront participer au processus d'aménagement de peine. C'est se tromper complètement sur le coeur du processus pénal, à savoir la réparation au profit de la société.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

C'est la société qui est blessée par le crime : elle prend le relais de la victime pour éviter qu'elle se retrouve seule face à face avec l'auteur du crime.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Sinon, nous risquons de basculer dans un système où nous verrons réapparaître la vengeance privée.

Vous avez tous à l'esprit l'idée qu'à chaque auteur correspond une victime. Mais prenons le cas de trois cambrioleurs qui auraient fait 150 victimes dans le cadre d'une délinquance itinérante : pour se prononcer sur leur liberté conditionnelle et sur leur renvoi dans leur pays d'origine – Estonie, Lettonie ou quelque autre pays de l'Est –, faudrait-il convoquer les 150 victimes et leur demander leur avis à l'audience ? Cela paraîtrait extrêmement difficile à gérer.

Si vous introduisez les victimes dans le processus d'aménagement des peines, non seulement vous toucherez au coeur du processus pénal, mais vous paralyserez le système.

Ce projet oublie également la nécessité d'un effort de suivi à la sortie et ne met nulle part l'accent sur le rôle des services pénitentiaires d'insertion et de probation auprès des prisonniers libérés. C'est bien d'incarcérer des individus quand ils ont commis des infractions, mais c'est encore mieux de les suivre à leur sortie de prison. Or aucune avancée sur ce plan n'a été constatée : les contrôleurs d'insertion et de probation se consacreront seulement davantage au diagnostic à visée criminologique.

Ce projet de loi nous demande d'engager les finances de l'État à hauteur de 3,5 millions.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Milliards !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

En effet, 3,5 milliards, ce qui représente la moitié du budget annuel de fonctionnement de la justice. Il s'agirait de les consacrer uniquement à l'exécution des peines, et cela se déciderait dans le cadre d'une procédure d'urgence, qui doit se terminer avant la fin de la session, à la fin du mois du février. Il ne me paraît pas raisonnable de prendre des engagements de cette importance dans de telles conditions.

Je propose donc un renvoi en commission, non pour utiliser une astuce de procédure, mais pour proposer une autre façon de voir les choses. Il s'agit pour nous de mettre la prison au coeur d'un processus qui la rende enfin utile et qui garantisse des conditions d'incarcération dignes, avec une place pour chaque détenu.

Quelles mesures pourrait-on mettre en place ? La première des choses est de procéder à une déflation carcérale. Il s'agit non plus de considérer qu'il n'y a pas assez de places de prison parce qu'il y a trop de prisonniers, mais, à l'inverse, de considérer qu'il y a trop de prisonniers parce qu'il n'y a pas assez de places de prison. L'Allemagne a choisi cette voie : entre le 1er septembre 2001 et le 1er septembre 2009, le nombre des détenus est passé de 78 707 à 73 263, faisant évoluer le taux d'incarcération de 95 détenus pour 100 000 habitants à 88 pour 100 000. Je n'ai pas examiné dans le détail la situation allemande mais je n'ai connaissance d'aucune information selon laquelle la situation de la sécurité et la justice se serait détériorée.

Pour engager un processus de ce type, il faut mettre en place ce que l'on appelle parfois un numerus clausus. Ce système consiste à ne pas incarcérer au-delà des places disponibles, non pas en freinant l'entrée en prison mais en accélérant la sortie de celui qui est le plus proche du terme de sa peine.

Il faut par ailleurs organiser des libérations conditionnelles qui soient automatiques, sauf avis contraire du juge d'application des peines. Ce sont en effet les mesures de suivi après la sortie qui permettent d'éviter la récidive. Rappelons à cet égard les statistiques issues de l'une des rares études portant sur la récidive et la réitération, je veux parler de celle de Mme Kensey et M. Benaouda qui ont établi que les risques de recondamnation sont 1,6 fois supérieurs pour les personnes libérées sans aménagement de peine par rapport à celles ayant bénéficié d'une libération conditionnelle. C'est dire que la lutte contre la récidive ne passe pas seulement par l'incarcération.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est ce que nous avons dit !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Elle comprend aussi le suivi du détenu sorti de prison. Cela suppose une augmentation des moyens des SPIP, la rénovation de certaines méthodes, la création de cellules de suivi dans lesquelles seraient associées, aux côtés des contrôleurs, police et municipalités, puisque les maires ont la qualité d'officiers de police judiciaire.

Voilà des propositions susceptibles de faire l'objet d'un consensus et d'aboutir à des avancées sur ces questions de justice et de sécurité. Cela nous permettrait de travailler à restaurer, grâce à une espèce de fermeté bienveillante, …

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Dhuicq

Je connaissais la « neutralité bienveillante », mais pas la « fermeté bienveillante » !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

…l'honneur de ceux qui sont condamnés et de leur assurer une place dans la société. Cela nous permettrait également de redonner aux victimes la dignité qui leur a été volée par l'infraction.

Pour toutes ces raisons, je demande à notre assemblée de voter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Nous ne partageons pas du tout la vision de l'univers carcéral qu'exprime l'opposition, et je suis assez surpris par certains des arguments avancés par M. Raimbourg.

Il convient d'abord de dire que, en matière de politique pénitentiaire, il n'y a pas de fuite en avant de la part de la majorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

Parce que 80 000 places, ce n'est pas une fuite en avant ?

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

Et c'est en 2012 que vous vous occupez de la situation de 2002 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Souvenons-nous : la délinquance explosait et n'était nullement jugulée, on connaissait des problèmes de gestion de la population pénale, d'abord et avant tout parce qu'il n'y avait pas assez de places dans les prisons, si bien que les juges se heurtaient à un problème lorsqu'ils prenaient la décision – bien évidemment exceptionnelle – d'incarcérer.

Il nous a fallu aussi humaniser les prisons. Vous avez cité la loi pénitentiaire dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Dès 2002, nous avons pris la décision de créer et de restaurer 13 200 places de prison. Nous avons fait en sorte par la suite d'aménager les peines quand cela était nécessaire et de multiplier la panoplie des mesures à la disposition des magistrats, lesquels ont à présent beaucoup plus de possibilités pour choisir une pénalité qui tienne compte à la fois de la gravité des faits et de la personnalité de leur auteur.

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

Si tout va si bien, pourquoi un nouveau projet de loi ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Toutes ces mesures s'inscrivent dans une stricte logique de cohérence, commencée en 2002 et pratiquement achevée aujourd'hui avec ce projet de loi de programmation.

Je suis tout de même très surpris de voir que l'opposition ne salue pas les efforts que l'État décide de consentir en ce domaine essentiel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Disons-le clairement : l'exécution des peines est pour nous la finalité de la justice pénale. Comment pouvez-vous tolérer que, à la fin d'un processus qui mobilise tous les acteurs de la chaîne pénale, du policier, du gendarme aux greffiers et aux magistrats, la décision prise souverainement par des juges indépendants ne soit pas respectée ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Mallot

Depuis le temps que vous faites des lois, ça devrait marcher ! C'est de votre propre échec que vous vous étonnez !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

…mais il y a plus choquant dans vos propos, monsieur Raimbourg : déflation carcérale, numerus clausus, liberté conditionnelle automatique. Oui, mes chers collègues, vous entendez bien : « automatique », ce qui suppose que la liberté soit acquise sans appréciation de la personnalité et de la dangerosité par les juges. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Vous avez évoqué le numerus clausus, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir lors de la discussion des amendements. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que vous niez la réalité du crime. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous ne vivons malheureusement pas dans un monde parfait, nous ne partageons pas votre vision angélique des choses.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Il y a des crimes et il faut que les juges fassent leur travail en appliquant des pénalités à leurs auteurs. Parler de numerus clausus, cela veut simplement dire que, s'il n'y a plus de places disponibles en prison, on n'incarcère pas. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Mallot

Quelle mauvaise foi ! Vous en riez vous-même !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Vous avez aussi cette vision assez extraordinaire des prisons, qui vous pousse à dire qu'il ne faut pas construire de nouvelles places de prison, car cela conduirait à les remplir.

Je suis désolé, mais je considère que nous sommes là pour faire en sorte que les décisions de justice soient exécutées et que les autorités judiciaires indépendantes puissent être respectées dans leurs décisions. Nous sommes aussi là pour humaniser les prisons. Reconnaissez tout de même que l'univers carcéral a connu de grandes améliorations depuis dix ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Mallot

Il y a désormais la photo du garde des sceaux dans toutes les cellules ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

L'administration pénitentiaire a fait d'énormes efforts. Les conditions de détention sont bien meilleures et les activités en prison ne sont plus ce qu'elles étaient il y a dix ans, il y a eu une forte progression. Il serait bon que vous puissiez l'admettre à un moment ou à un autre.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

Nous reconnaissons qu'il y a eu une forte progression de l'échec de votre politique, oui !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Pour le Gouvernement, monsieur Dray, la cohérence consiste à faire en sorte que les peines soient exécutées : c'est respecter le Parlement qui a voté la loi et le juge qui l'a mise en application.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est la raison pour laquelle nous nous devons de présenter ce texte qui vise à assurer une bonne exécution des peines.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Vous, monsieur Mallot, vous n'en avez plus pour très longtemps. Nous aiderons les citoyens de l'Allier autant qu'il le faudra pour aller en ce sens.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Rien de mal à vouloir améliorer la situation de l'Allier !

Actuellement, sur plus de 300 000 personnes sous main de justice, 65 000 sont emprisonnées, 175 000 sont en milieu ouvert et dépendent pour l'essentiel des SPIP et des associations qui travaillent avec ces services, et 85 000, condamnées, attendent l'exécution de leur peine. Il ne s'agit pas du tout de dire que tout le monde va être emprisonné.

Comment peut-on parvenir à 80 000 places de prison ? D'une façon simple, …

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Merci de me rappeler cette opération de base, je n'en attendais pas moins de vous, monsieur Dray.

Aujourd'hui, comme vous l'avez souligné, monsieur Raimbourg, il existe à peu près 56 000 places de prison…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Mallot

Comment ça : « à peu près » ? Vous ne connaissez pas le chiffre exact ?

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Toutes ne sont pas dignes : certaines doivent être transformées ou détruites. Or il y a 65 000 personnes emprisonnées.

On ne peut pas rappeler l'obligation contenue dans la loi pénitentiaire et ne pas construire de nouvelles places de prison. Notre objectif est bien de respecter la loi pénitentiaire. Pour cela, il nous faut construire autant de places de prison qu'il y a de personnes emprisonnées.

C'est la première raison qui nous a conduits à ce projet de loi.

Comme je le disais, il y a aussi 85 000 personnes qui attendent l'exécution de leur peine. Comme il s'agit non pas d'un stock permanent…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

…mais d'un flux, il est illusoire de vouloir faire en sorte qu'il n'y en ait plus aucune en attente – ce serait totalement idiot de le croire.

Le chiffre de 80 000 places que nous visons englobe donc aussi ces personnes. Nous créerons des places pour les personnes condamnées à de courtes peines. Il restera grosso modo 35 000 personnes en attente de l'exécution de leur peine, ce qui est tout à fait normal, compte tenu des procédures en cours, dont il faut attendre l'achèvement.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Mais il faut que les décisions soient respectées. On ne peut pas à longueur de temps proclamer que les juges font leur métier et ne pas leur permettre de le faire ! Respecter les magistrats, respecter leur indépendance, c'est aussi faire exécuter leurs décisions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Respecter les magistrats ? Vous vous moquez de nous !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est ce que fait en permanence le Gouvernement, monsieur Urvoas ! Les magistrats sont respectés par ce Gouvernement comme ils ne l'avaient jamais été.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Je les lis toutes, et je lis même celles que vous écrivez vous-même !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Mallot

Il ne faut pas seulement les lire... Enfin, apparemment, le garde des sceaux sait lire. C'est déjà ça. (Sourires.)

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Les magistrats, je le répète, font leur travail, appliquent la loi votée par le Parlement, et nous devons veiller à ce que leurs décisions soient mises en oeuvre. C'est le seul objectif de ce texte.

Je ne comprends pas que vous ne vouliez pas avancer dans la discussion de ce projet de loi, monsieur Raimbourg, car il propose une adaptation des prisons à la durée de la peine…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

…mais aussi d'autres solutions que le tout-carcéral avec des peines de compensation, des adaptations de peines, la mise en place de nouveaux postes de conseillers d'insertion et de probation, et, surtout, une évaluation de la dangerosité qui nous permettra de mieux mettre à exécution les peines de prison.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Il y a là un progrès essentiel, et vous le savez parfaitement, monsieur Mallot : il ne s'agit pas simplement de nous réciter les voyelles de l'alphabet pour masquer une ignorance qui au demeurant n'est pas la vôtre. C'est un apport essentiel, vous le savez. Je regrette simplement que vous refusiez de participer à la construction d'un système carcéral moderne, humain et digne de toutes les personnes incarcérées. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Nous en venons aux explications de vote sur la motion de renvoi en commission.

Pour le groupe Nouveau Centre, la parole est à M. Michel Hunault.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Le groupe Nouveau Centre ne votera pas la motion de renvoi en commission défendue par notre collègue Dominique Raimbourg.

Vous l'avez dit, monsieur le garde des sceaux : la réalité de l'exécution de la peine est une exigence que tous, sur tous les bancs de cet hémicycle, nous devrions partager. Chaque année, 100 000 peines de prison sont prononcées, et nous savons que moins de la moitié d'entre elles sont exécutées. Il y a là un défi pour l'institution judiciaire.

Cela entraîne, monsieur le garde des sceaux, la défiance de nos concitoyens. Pour leur redonner confiance, il faut que les peines soient mieux exécutées, notamment les peines d'emprisonnement.

En commission des lois, nous avons travaillé, tous ensemble, sur l'exécution des peines, et le rapport rendu par la mission d'information doit appeler notre attention. On peut ne pas être d'accord avec certaines propositions du Gouvernement, et nous aurons l'occasion de débattre de leurs modalités. Mais, en me tournant vers mes collègues de l'opposition, je redis que, sur l'objectif d'exécuter les peines, nous devrions au moins nous accorder.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Sur les prisons, je dirai à Dominique Raimbourg, avec des mots peut-être moins violents que ceux du rapporteur, que j'ai été assez stupéfait. Je ne voudrais pas dénaturer vos propos, mais que nous proposez-vous ?

Il y a trop de monde dans les prisons, dites-vous. Nous avons, je le rappelle, construit 15 000 nouvelles places au cours des cinq dernières années.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

L'objectif du Gouvernement et de la majorité est d'arriver à 80 000 places de prison.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Pour une population de 60 millions d'habitants, est-ce que c'est trop ? C'est un vrai débat. Pour vous, c'est trop ; pour nous, non.

Que nous proposez-vous ? Il y a trop de détenus, dites-vous ; la majorité propose de construire des prisons ; vous, vous proposez de vider les prisons. Il y a là, je crois, un clivage. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Mallot

Avec le rapporteur, nous avions la mauvaise foi ; avec le Nouveau Centre, nous avons la caricature !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Il faut de la fermeté, il faut la réalité de la peine. Quand des peines sont prononcées pour des crimes et des délits, il faut qu'elles soient exécutées. Il faut assumer nos différences.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Dolez

Je ne dirai que quelques mots, car j'exprimerai dans un instant les raisons pour lesquelles notre groupe est opposé à ce texte et à la philosophie qui le sous-tend. Nous voterons la motion de renvoi en commission présentée par le groupe socialiste, car nous partageons l'analyse de notre collègue Raimbourg qui parle à juste titre de « fuite en avant ».

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Pour le groupe UMP, la parole est à M. Éric Ciotti.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

M. le garde des sceaux et M. le rapporteur ont appelé notre assemblée au consensus sur un sujet essentiel, qui, comme vient de le dire Michel Hunault, pourrait et devrait même nous réunir.

Il s'agit en effet d'améliorer l'exécution des peines, c'est-à-dire d'améliorer, tout simplement, le fonctionnement de notre démocratie : qu'une décision de justice, et une décision de peine de prison ferme, définitivement exécutoire, ne soit pas appliquée dans des délais rapides, c'est le signe d'un dysfonctionnement majeur de notre démocratie et de notre système pénal. Je vous vois acquiescer, monsieur Raimbourg.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Mallot

Ils vont voter avec nous, vous allez voir. (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Le Gouvernement a donc formulé des propositions pertinentes, constructives, avec une panoplie de mesures assorties de moyens importants. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Nous vous avons souvent entendus, sur ces bancs, réclamer des moyens supplémentaires pour la justice ; ces moyens, c'est cette majorité qui les lui a accordés. Depuis 2002, date à laquelle Mme Lebranchu a quitté la place Vendôme, le budget de la justice a augmenté de 60 %. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Cette loi de programmation met en place des moyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Monsieur Raimbourg, vous avez fait tout à l'heure un lapsus assez révélateur : vous avez parlé de 3,6 millions, quand c'était bien sûr 3,6 milliards ! C'est un montant considérable, avec une lisibilité dans le temps.

Ce texte aurait donc dû nous rassembler. Votre position ne répond guère à notre attente, et nous le regrettons. Votre intervention contient néanmoins des éléments extrêmement intéressants, qui éclairent ce débat : vous avez ce soir lancé un concept qui s'inscrit parfaitement dans cette idée de « gauche molle » dont avait parlé Mme Aubry à propos de M. Hollande. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Vous avez en effet inauguré l'idée de « fermeté bienveillante » : nos concitoyens pourront, je crois, apprécier cette approche de la lutte contre la délinquance que vous inaugurez ce soir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Mallot

C'est la main de fer dans un gant de velours.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

C'est intéressant, la « fermeté bienveillante ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Mallot

En tout cas, c'est mieux que la fermeté en échec qui est la vôtre !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

J'y trouve deux mots assez antinomiques. Finalement, le débat est là, et ce que vous avez dit, monsieur Raimbourg, est assez cohérent avec certaines prises de position, en particulier de Mme Lebranchu, sur la capacité carcérale de notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Marylise Lebranchu

Cela, c'est un gros mensonge, et je vais vous répondre là-dessus !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Le 1er mars 2011, vous déclariez, madame Lebranchu, qu'il faudrait fixer le nombre maximum de places de prison à 43 000. C'est ce que vous déclariez dans un colloque, vous pouvez le contester, mais il y a un procès-verbal des actes de ce colloque. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Raimbourg parle, comme l'a relevé M. le rapporteur, de déflation carcérale : vous revendiquez donc, ce soir, une diminution des places de prison en France. Je vois que M. Dray approuve !

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

C'est exactement cela ! Nous voulons libérer tous les délinquants, tous, et surtout les plus durs ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

La France est pourtant l'un des pays d'Europe qui dispose de la capacité carcérale la plus faible, et cette faible capacité est la raison de la mauvaise exécution des peines. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

Justement, nous l'écoutons, et c'est pour cela que nous nous énervons. (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Eh bien, ce soir, vous dévoilez finalement vos arguments, et ce débat est intéressant : vous revendiquez, vous confirmez, que le parti socialiste souhaite une diminution du nombre de places de prison au service de cette « fermeté bienveillante », qui sera complétée par des aménagements automatiques et des libérations conditionnelles automatiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Mallot

La main de fer dans un gant de velours, voilà notre position !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Ce soir, tout est sur la table. Votre position est claire. Naturellement, nous ne trouverons pas le consensus que nous recherchions, car il y a un abîme entre votre position et la nôtre.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Vous avez fait un parallèle entre le nombre de places de prison et l'augmentation, ou la diminution, de la délinquance. Or les chiffres sont clairs.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Vous pouvez toujours les contester, mais, depuis 2002, vous avez dit que le nombre de places de prison a augmenté de 25 % ; c'est vrai, mais vous avez oublié de dire que la délinquance a baissé de 17 %, là où elle avait augmenté de 17 % de 1997 à 2002, lorsque Mme Lebranchu était garde des sceaux et que M. Vaillant était ministre de l'intérieur ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

À Marseille, ça va beaucoup mieux, c'est sûr : c'est tous les jours la guerre des gangs !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP propose de rejeter votre motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

Dans les Bouches-du-Rhône, les gangs sont beaucoup mieux armés aujourd'hui ! La seule chose qui a baissé, c'est le prix de la kalachnikov ! Vous leur avez rendu du pouvoir d'achat !

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Tout ça, c'est Guérini !

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Pour le groupe SRC, la parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Le groupe socialiste votera évidemment la motion de renvoi en commission défendue, avec le talent, la modération et la précision qu'on lui connaît, Dominique Raimbourg.

Je ne sais pas combien de fois nous aurons débattu de cette question au cours de cette mandature.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Chaque fois, j'ai entendu les mêmes arguments ; et chaque fois vous nous présentez des textes qui souffrent des mêmes tares.

Leur première tare, c'est la forme. Une fois de plus, un texte est présenté après un fait dramatique, en l'occurrence celui survenu au Chambon-sur-Lignon.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Non !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Mais si ! Vous nous avez présenté ce texte au moment de l'affaire du Chambon-sur-Lignon.

Vous avez ensuite bâti un projet de loi, que vous présentez au Parlement en engageant la procédure accélérée : il n'y aura donc qu'une seule lecture de cette loi dont le rapporteur, avec l'optimisme qui le caractérise, nous dit qu'elle engagera la France pour les cinq années qui viennent. Et nous allons en discuter en deux temps, trois mouvements, en fin de session, avec une seule lecture ! Pour être éprouvée, la recette n'en est pas moins indigne.

La deuxième tare de forme, c'est l'absence de concertation. Nous avons auditionné des organisations syndicales dont le métier est directement lié au sujet qui nous intéresse : elles n'ont pas été entendues pas la chancellerie. Comme d'habitude, vous voulez passer en force, devant les professionnels, devant le Parlement. Souffrez, une fois de plus, que – ne serait-ce que pour ces raisons de forme – nous soyons hostiles à ce texte-là.

Mais il y a aussi, vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux, des raisons de fond. Nous ne sommes pas là pour enregistrer toutes les volontés du Président de la République, et d'autant moins quand elles sont fondées sur des observations qui nous paraissent inappropriées. En fait, votre raisonnement est assez mécaniste : vous nous proposez de construire, si je calcule bien, 24 397 places de prison. Qu'importe l'évolution de la situation, qu'importe l'évolution de la délinquance, qu'importe l'appréciation des juges : il faut 24 397 places, comme s'il fallait atteindre un quota de détenus, toujours revu à la hausse, et jamais validé par les faits !

Monsieur le garde des sceaux, vous avez eu des prédécesseurs, et de talent. Il en est un, en 1986, Albin Chalandon, qui appartenait à votre famille politique, qui disait à cette tribune que, en 1990, il faudrait à la France 65 000 places de détenus ; le 1er janvier 1990, il y avait 45 419 détenus. Peu de temps après, en 1994, un autre garde des sceaux, Pierre Méhaignerie, à cette tribune, disait qu'il nous faudrait dans les années 2000 79 000 places de prison, parce que nous aurions 79 000 détenus à incarcérer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Il y avait, dans les années 2000, 47 837 places de prison.

Cette fois-ci, vous nous dites qu'il faut 80 000 places, quelle que soit la situation. Ce qui est d'ailleurs assez étonnant, c'est que vous prétendez être volontaristes. Nous nous battons, dites-vous, nous essayons de faire reculer la délinquance, mais nous échouons : la délinquance augmente, et nous avons besoin de toujours plus de places de prison pour la combattre !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

C'est un peu comme si vous vous satisfaisiez de cette augmentation du nombre de peines et comme si vous souhaitiez qu'elle s'accentue. Nous ne partageons pas cette conception de la justice pénale dont l'horizon obligatoire est l'incarcération de masse.

L'enfermement comme unique moyen de répression de la délinquance et de prévention de la récidive – nous aurons l'occasion d'en reparler –, cela ne marche pas. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Vous êtes là depuis dix ans, or la situation s'est dégradée : il y a plus de places de prison et plus de délinquance. Votre bilan parle pour vous. Nous allons voter cette motion, parce que le changement, c'est maintenant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Dans la discussion générale, la parole est à M. Marc Dolez.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Dolez

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons ce soir s'ajoute à la longue liste des textes présentés par le Gouvernement à la suite d'un fait divers marquant. En cinq ans, pas moins de sept lois de ce type ont été votées sur le renforcement des sanctions contre la récidive, l'instauration de peines planchers, la rétention de sûreté après la prison ou encore l'instauration des obligations de soins, autant de textes utilisés comme des instruments de communication politique.

Pourtant, en dépit d'échecs à répétition, le Gouvernement persiste dans une logique sécuritaire inefficace. Une nouvelle fois, il fait peu de cas du travail parlementaire en recourant à la procédure accélérée, d'une manière d'autant plus injustifiée qu'il s'agit ici d'un projet de loi de programmation. Une nouvelle fois, il nous présente un texte élaboré à la va-vite et sans réelle concertation avec les professionnels. Mais, avec ce nouveau texte, à moins de cent jours de la présidentielle, gageons que le Gouvernement ne leurrera personne, l'effet d'annonce ne pouvant masquer un bilan particulièrement négatif.

Ce projet de loi, comme les précédents, s'inscrit dans une logique répressive, une logique du tout-carcéral. Je voudrais ici, au nom du groupe GDR, formuler des réflexions et des remarques sur chacun des trois grands axes du texte.

Le premier, qui entend garantir l'effectivité de l'exécution des peines, met encore une fois l'accent sur l'enfermement. « On nous dit que les prisons sont surpeuplées, mais si c'était la population qui était suremprisonnée ? », écrivait déjà Michel Foucault en 1971.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Dolez

La question mérite d'autant plus d'être posée aujourd'hui que la politique menée est directement responsable de l'engorgement croissant des établissements pénitentiaires. Ainsi, les détenus dans les prisons françaises étaient au nombre de 64 147 au 1er octobre 2011, contre 61 142 en septembre 2010, soit une augmentation de près de 5 % en un an, selon les statistiques de l'administration pénitentiaire elle-même, publiées au mois d'octobre dernier.

En trente ans, la population carcérale aura ainsi plus que doublé. Les statistiques des dernières années montrent que l'augmentation de la population incarcérée se poursuit ; la construction de nouveaux établissements pénitentiaires ne fait qu'entériner cette tendance.

Nous sommes profondément en désaccord avec le raisonnement du Gouvernement, lequel, partant du principe d'une augmentation continue de la population carcérale, considère qu'il faut prévoir toujours plus de places de prison. Suivant ce raisonnement, le projet de loi prévoit de porter la capacité d'accueil du parc carcéral à 80 000 en 2017 – à comparer aux 57 540 places au 1er octobre 2011 –, ce qui devrait correspondre au nombre de détenus, selon les projections de la chancellerie.

Ce nouveau programme de 24 397 places engagerait l'État dans un investissement de plus de 3 milliards d'euros. Au coût de construction, il convient également d'ajouter des frais de fonctionnement annuels évalués à 748 millions. Ce montant viendrait s'ajouter aussi à celui du programme de 13 200 places lancé en 2002 et toujours en cours.

Pour notre part, si nous estimons nécessaire de remettre aux normes les établissements pénitentiaires afin qu'ils soient conformes aux réglementations européennes, il nous semble en revanche absurde de se focaliser sur l'accroissement constant de places de prison, et cela d'autant plus que les partenariats public-privé se multiplient. Cette privatisation des prisons est très coûteuse pour l'État. Le 21 juin dernier, le rapporteur général de notre commission des finances lui-même précisait, dans son commentaire du rapport annuel de performance de la mission « Justice » : « les loyers versés dans le cadre des partenariats public-privé progressent toujours : de 31 millions d'euros versés en 2009, ils passent à 58,7 millions d'euros en 2010. […] La part prise par les loyers au sein des crédits de fonctionnement s'accroît, réduisant la marge de manoeuvre pour l'entretien des établissements pénitentiaires gérés en régie et les autres dépenses telles que la santé des détenus. »

En outre, nous déplorons l'affectation de la majeure partie des moyens du ministère de la justice à l'administration pénitentiaire. Il convient tout de même de rappeler que la prison coûte bien plus cher au contribuable que les réponses pénales alternatives. Le coût d'une journée de détention est évalué à 84 euros, contre 27 euros pour une journée en placement extérieur et 12 euros pour la surveillance électronique.

Les mesures telles que le travail d'intérêt général, le sursis avec mise à l'épreuve ou la libération conditionnelle, encore plus avantageuses en termes financiers, sont, on le sait, particulièrement efficaces pour prévenir la récidive et favoriser l'insertion des condamnés.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit que le nouveau programme immobilier annoncé par le garde des sceaux en mai 2011 sera densifié : « La capacité moyenne des établissements sera augmentée, passant de 532 places à 650 places. À l'exception des établissements parisiens, la capacité des établissements ne dépassera toutefois en aucun cas 850 places. »

Cette augmentation de la capacité moyenne des établissements nous inquiète vivement. Alors que le seuil critique est généralement évalué à 500 places, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a plusieurs fois souligné que, pour bien fonctionner, un établissement ne doit pas dépasser 200 places.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Il ne faut quand même pas exagérer !

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Dolez

« Des établissements de plus de 200 détenus génèrent des tensions et, donc, des échecs multiples, incomparablement plus fréquents que ceux qui sont plus petits », écrit-il, monsieur le garde des sceaux, dans son rapport annuel de 2010. Que cela vous dérange, c'est une chose, mais il l'écrit !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

À ce compte-là, il faudrait une prison tous les cent mètres !

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Dolez

Nous nous opposons à l'objectif consistant à créer un maximum de places, coûte que coûte, en augmentant la capacité moyenne des prisons. Cette logique comptable oublie que, derrière ces places de prison, ce sont des hommes que l'on enferme. L'augmentation de la contenance des prisons ne pourra engendrer que plus de tensions, de dysfonctionnements et de violences. En définitive, cette mesure s'avérera contre-productive en termes de prévention de la délinquance.

Il est regrettable que le projet de loi de programmation se concentre uniquement sur l'augmentation du nombre de places, passant totalement sous silence les conditions de détention, alors même que la situation continue de se dégrader dans les prisons françaises, comme le souligne avec sévérité l'Observatoire international des prisons : « On se contente d'y entasser des individus, qui sont mis pour un temps à l'écart de la société. Mais on empêche, en outre, leur réinsertion en les infantilisant littéralement, quand on ne les brise pas carrément, avec des conditions de détention dégradantes. Or la plupart de ces personnes ressortiront un jour. » C'est le constat accablant dressé le 7 décembre dernier par l'Observatoire international des prisons, qui présentait son rapport sur les conditions de détention en France. Vous avez l'air étonné, monsieur le garde des sceaux. Il faut le lire !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est bien pour cela qu'il faut construire plus de prisons !

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Dolez

C'est au nom d'une logique gestionnaire et comptable que le texte propose une diversification du parc carcéral.

Le Gouvernement souhaite ainsi construire des établissements spécialement conçus pour accueillir des personnes condamnées à des courtes peines et ne présentant pas de dangerosité particulière. Ces établissements auraient des contraintes de sécurité allégées et le taux d'encadrement serait moindre. Leur coût serait donc inférieur à celui des établissements classiques. Or, comme le souligne là encore l'OIP dans une lettre ouverte aux parlementaires datée du 2 décembre dernier, si ces condamnés ne présentent pas de dangerosité particulière, il est permis de se demander pour quelles raisons ils doivent nécessairement purger leur peine en prison. Pour mieux prévenir la récidive, toutes les études montrent qu'il est préférable d'exécuter ces peines en milieu ouvert.

Dès lors, une première étape pour limiter la récidive serait d'éviter le plus possible l'emprisonnement, car celui-ci aggrave la situation sociale, psychique et familiale des personnes et tend à perpétuer les phénomènes de violence et à renforcer les personnes dans un statut de délinquant.

Le Conseil de l'Europe lui-même affirme que, « dans la plupart des cas, la privation de liberté est loin d'être le meilleur recours pour aider l'auteur d'une infraction à devenir membre de la société respectueux de la loi ». Nous partageons pleinement cette analyse et considérons, comme nous l'avions fait valoir dans le cadre de la discussion du projet de loi pénitentiaire, que la privation de liberté doit être considérée comme une sanction ou mesure de dernier recours et ne doit, dès lors, être prévue que lorsque la gravité de l'infraction rend toute autre sanction ou mesure manifestement inadéquate. C'est le sens de la recommandation n° R(99)22 du Conseil de l'Europe concernant le surpeuplement des prisons et l'inflation carcérale, adoptée le 30 septembre 1999.

Afin de garantir une exécution plus rapide des peines, le projet de loi entend aussi renforcer les services d'application et de l'exécution des peines à trois niveaux. Tout d'abord, le texte acte la nécessité de créer des emplois de magistrats et de greffiers entre 2013 et 2017. Sur ce point, nous ne pouvons que souligner la contradiction avec les suppressions d'emplois de magistrats et de fonctionnaires réalisées ces dernières années, en application de la révision générale des politiques publiques, et regretter que le projet de loi ne prévoie pas d'augmentation des effectifs des services d'insertion et de probation, dont l'importance est pourtant indéniable dans l'application et l'exécution des peines.

Ensuite, le texte prévoit la généralisation des bureaux d'exécution des peines et celle des bureaux d'aide chargés d'informer, d'accompagner et d'orienter les victimes d'infractions pénales. Si ces deux dernières mesures vont dans le bon sens, encore faudrait-il que la mise en place des nouveaux bureaux s'accompagne des moyens humains et matériels suffisants, ce qui n'est pas prévu par le texte.

Le deuxième volet du projet de loi, qui vise à prévenir la récidive, est fondé sur la notion pour le moins contestée d'évaluation de la dangerosité. Comme le souligne le Syndicat de la magistrature, elle est devenue l'orientation majeure des lois votées ces dernières années en matière d'exécution des peines.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Dolez

Or ce concept de dangerosité, dont les contours demeurent flous, est contesté par les psychiatres qui privilégient celui de risque de récidive.

S'il s'avère indispensable de mettre en place un système d'évaluation du risque de récidive adapté au suivi individualisé des personnes condamnées, le diagnostic à visée criminologique que le projet de loi entend généraliser est, lui, largement critiqué par les professionnels.

Ce diagnostic a été élaboré par la direction de l'administration pénitentiaire et expérimenté dans quelques services. Le projet de loi indique que ce dispositif d'évaluation, construit avec les professionnels de la filière, a été expérimenté avec succès dans trois sites. Or le SNEPAP-FSU déplore que cet outil n'ait fait l'objet d'aucune évaluation opérationnelle, tandis qu'à plusieurs reprises la CGT-pénitentiaire a fait valoir que l'administration avait refusé qu'il soit soumis à concertation. Ainsi l'administration pénitentiaire s'est-elle dispensée de débattre avec les organisations syndicales et de rendre publics les comptes rendus des réunions et études réalisées par son comité de suivi, concepteur du projet. Les syndicats déplorent également que ce dispositif n'ait fait l'objet d'aucune expérimentation concluante associant les professionnels.

Les professionnels qui se sont vu imposer le diagnostic à visée criminologique dénoncent un outil lourd, chronophage et inadapté, pour l'utilisation duquel ils n'ont suivi aucune formation. Les inspections générales des finances et des services judiciaires ont d'ailleurs souligné dans un récent rapport que sa grille d'évaluation était « excessivement complexe et prescriptive ». Les travailleurs sociaux refusent cet outil qui les cantonne au rôle de simples opérateurs de saisie et ne leur permet plus d'avoir leur mot à dire sur leurs pratiques, alors qu'ils sont les meilleurs connaisseurs des problématiques rencontrées par les populations prises en charge.

La nature même de ce diagnostic fait problème, puisque l'administration pénitentiaire a transformé un outil d'aide à l'évaluation en un rapport permanent, consultable à tout moment et indifféremment par toutes les autorités judiciaires et les directeurs d'établissement.

En l'état actuel, la généralisation de ce diagnostic ne peut qu'accélérer la déqualification professionnelle, en substituant une approche que je qualifierai de bureaucratique aux nécessaires relations positives et au contenu de l'accompagnement élaboré avec les personnes suivies.

Comme le souligne avec pertinence le Syndicat de la magistrature, l'outil d'évaluation du risque de récidive doit être profondément repensé, tant dans la méthodologie déployée, dans son contenu, que dans sa finalité. À tout le moins, un rapport complet des résultats de son expérimentation devrait être rendu public.

Je formulerai maintenant quelques remarques concernant le renforcement du suivi des personnes placées sous main de justice, en milieu ouvert et en milieu fermé.

En milieu fermé, l'article 5 dispose que le juge de l'application des peines pourra décider de ne pas octroyer de réduction supplémentaire ou de libération conditionnelle aux condamnés qui ne suivent pas leur traitement de manière régulière. Nous sommes pour notre part favorables à l'amendement, adopté en commission, qui vise à en rester au dispositif actuel, lequel prévoit que c'est le détenu lui-même qui transmet les attestations fournies par son médecin ; s'il ne le fait pas, le juge sait à quoi s'en tenir. Le respect du secret médical, dont dépend l'efficacité des soins, sera ainsi préservé.

En milieu ouvert, les fonctions de médecin coordonnateur seront rendues plus attractives, et le projet de loi prévoit de réorganiser les services d'insertion et de probation. Afin de les désengorger, l'article 4 confie prioritairement au secteur associatif habilité la réalisation des enquêtes pré-sentencielles ordonnées par le parquet, externalisant ainsi une mission qui relève pourtant directement du service public. Avec cette mesure, qui n'est accompagnée d'aucun budget complémentaire affecté au paiement des frais de justice censés rémunérer les acteurs privés habilités, le risque est réel que ces enquêtes sociales soient réduites à une peau de chagrin, voire ne disparaissent complètement. Cela ne nous paraît pas acceptable, dans la mesure où ces enquêtes sont primordiales puisqu'elles permettent d'envisager les alternatives à une détention provisoire en donnant au juge une vision globale de la situation familiale et professionnelle de la personne mise en examen.

Le projet de loi prévoit également d'introduire plus de souplesse dans la gestion des effectifs en mettant en place des équipes mobiles de conseillers d'insertion et de probation. Ces équipes devront ponctuellement venir renforcer les services surchargés, en cas de pic d'activité. Il ne s'agit ni plus ni moins que de consacrer le principe de flexibilité dans le service public, pour éviter de répondre véritablement à la pénurie des effectifs dans les services d'insertion et de probation par la création d'emplois fixes.

Enfin, le troisième axe, qui vise à améliorer la prise en charge des mineurs délinquants, se focalise une fois encore sur le pénal.

L'article 9 du projet de loi impose une prise en charge par le service éducatif dans un délai de cinq jours à compter de la date de jugement. Si nous considérons que les délais entre les jugements prononcés et leur exécution doivent être les plus courts possibles pour garantir une cohérence dans le déroulement de la procédure, nous ne pensons pas pour autant que prescrire des délais impératifs au service éducatif soit la solution, dans la mesure où le nombre d'éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse n'a cessé de baisser ces dernières années.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est faux !

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Dolez

Ce n'est pas parce que le mineur sera convoqué dans les cinq jours que le suivi proprement dit débutera plus vite.

Afin de garantir une prise en charge rapide et efficace du mineur, il faut donner à la PJJ les moyens humains et matériels de remplir sa mission. C'est à cette seule condition que les mesures ordonnées en réponse à l'acte du mineur pourront être mises en oeuvre rapidement.

Certes, le texte prévoit un renforcement ciblé des effectifs dans vingt-neuf départements retenus comme prioritaires. Mais, au-delà du caractère très imprécis et partiel de cet engagement, il convient de rappeler que les moyens de la PJJ n'ont cessé de diminuer avec la révision générale des politiques publiques depuis cinq ans. Depuis 2008, 632 emplois ont été supprimés, soit 7 % des postes de la PJJ, et le budget a été diminué de 6 % ces quatre dernières années. Et si, pour 2012, le budget de la PJJ a été présenté en légère augmentation, c'est uniquement du fait de la transformation d'un certain nombre de foyers éducatifs en centres d'éducation fermés.

Le projet de loi prévoit d'ailleurs d'accroître la capacité d'accueil dans les centres éducatifs fermés, le Gouvernement considérant que, depuis leur création, ces centres ont montré qu'ils étaient des outils efficaces contre la réitération et qu'ils offraient une réponse pertinente aux mineurs les plus ancrés dans la délinquance ou qui commettent les actes les plus graves.

Je ne sais pas sur quelles études se fonde le Gouvernement pour étayer son affirmation. Ce que je sais, en revanche, c'est que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté se montre beaucoup moins optimiste. Dans une recommandation en date du 8 décembre 2010, et publiée au Journal officiel, il souligne « le recours abusif, voire usuel, aux moyens de contrainte physique, laquelle est parfois érigée, dans les équipes les moins qualifiées, au rang de pratique éducative », après avoir indiqué qu'« une part du personnel est notamment constituée d'éducateurs “faisant fonction”, parfois sans compétences particulières, peu ou pas formés à l'encadrement des mineurs ». Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté pointe également de grandes variations dans la prise en charge des soins somatiques des mineurs, ainsi que du soin psychiatrique ou de l'assistance psychologique aux enfants. La recommandation indique aussi que les liens avec les psychiatres sont très difficiles à établir, même lorsque la population du centre souffre d'évidentes carences.

Le tableau dressé par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est donc plutôt sombre et bien éloigné, vous en conviendrez, de celui que vous nous dépeignez.

Dans ces conditions, la banalisation des centres d'éducation fermés nous paraît problématique. Nous contestons le fait que cette structure tende à devenir, depuis plusieurs années, l'unique réponse à la prise en charge des mineurs délinquants. Tous les professionnels s'accordent pourtant à dire qu'il est indispensable de disposer de structures diversifiées permettant d'adapter la réponse judiciaire à la situation personnelle du mineur. Non seulement la focalisation sur ces centres fermés est contre-productive, mais elle est onéreuse, puisque le coût d'une journée en centre fermé s'élève à 600 euros contre 490 euros en foyer traditionnel.

Le projet de loi propose enfin de développer un suivi pédopsychiatrique dans les centres d'éducation fermés. Si nous ne pouvons qu'être favorables à cette mesure, et ce d'autant plus que les carences en ce domaine, je l'ai rappelé, sont importantes, il conviendrait cependant que le suivi pédopsychiatrique soit développé dans les autres types d'établissement où des mineurs souffrent aussi de troubles de comportement.

Pour toutes ces raisons, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe GDR refuse ce projet de loi qui s'inscrit dans la lignée des textes précédemment adoptés ces dernières années, et dont j'ai dit tout à l'heure que le bilan était particulièrement négatif. Notre pays a besoin non de nouvelles prisons, qui seront presque aussitôt surpeuplées en raison des politiques sécuritaires mises en oeuvre, mais de moyens humains et matériels conséquents pour permettre aux juges, à l'administration pénitentiaire, au service pénitentiaire d'insertion et de probation, à la PJJ, de remplir dans de bonnes conditions les missions qui sont les leurs et sur lesquelles repose la crédibilité de notre justice. C'est parce que nous contestons la philosophie même de votre projet de loi que nous considérons qu'il n'est pas amendable et que les seuls amendements que nous déposerons sont des amendements de suppression. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, Cesare Beccaria, juriste éminent et fondateur du droit pénal moderne, affirmait au XVIIIe siècle : « La certitude d'une punition, même modérée, fera toujours plus d'impression que la crainte d'une peine terrible si à cette crainte se mêle l'espoir de l'impunité. » En effet, la certitude de la sanction est une exigence absolue de la loi de la République.

C'est pourquoi, au nom du groupe UMP, je me réjouis de l'examen de ce texte par notre assemblée, un texte complet et ambitieux voulu par le Gouvernement. Cette loi de programmation fixera les principaux objectifs de notre politique d'exécution des peines pour les prochaines années et aura pour ambition forte de mettre fin à certains dysfonctionnements réels de notre système judiciaire.

Ce projet de loi dresse un diagnostic lucide et pertinent des problèmes qui persistent en matière d'exécution des peines, tout en y apportant des réponses très concrètes pour y remédier d'ici à 2017. En effet, comme l'a rappelé le Président de la République le 13 septembre dernier au centre pénitentiaire de Réau, « une justice efficace […], c'est une justice dont les décisions sont suivies d'effets ».

Cette volonté exprimée de longue date par le Gouvernement, par le Premier ministre, par le Président de la République, s'est traduite notamment par la mission que ce dernier a souhaité me confier en janvier 2011 afin d'élaborer des propositions visant à renforcer notre capacité à exécuter efficacement les peines prononcées. Cette mission a débouché sur un rapport que j'ai eu l'honneur de remettre au Président de la République le 7 juin dernier, et dans lequel cinquante propositions sont formulées pour améliorer l'exécution des peines. Je suis heureux de constater que la plupart ont été reprises dans cette loi de programmation. Il est assez rare qu'un rapport débouche aussi vite sur des actions concrètes pour que je ne souligne pas ce volontarisme.

La prise de conscience en la matière, conjuguée aux efforts réalisés par le Gouvernement, a permis d'observer une nette amélioration des résultats de l'exécution des peines au cours des derniers mois.

Ainsi, le garde des sceaux a rappelé les chiffres tout à l'heure, le nombre de peines de prison ferme non exécutées est passé de 100 000 fin 2010 à 85 600 fin juin 2011, et devrait être ramené à 35 000 en 2017. Je tiens, monsieur le garde des sceaux, à saluer votre action déterminée en la matière, une action qui a porté ses fruits et qui s'inscrit dans le volontarisme qui marque votre gestion de la Chancellerie.

Nous avons, vous avez beaucoup agi pour que les peines soient effectives, mais l'ampleur de la tâche est telle qu'elle nécessite encore, aujourd'hui, notre entière mobilisation.

Ce texte est extrêmement important, car il cible concrètement les principaux dysfonctionnements de notre système judiciaire.

Tout d'abord, un constat s'impose. Le stock de peines non exécutées est dû, pour beaucoup, voire pour l'essentiel, à l'insuffisance de nos capacités carcérales. Avec un nombre de détenus de 96 pour 100 000 habitants, nous avons en France un des taux d'incarcération les plus faibles d'Europe. À titre de comparaison, ce taux s'élève à 138 en Espagne, à 152 au Royaume-Uni et à 762 aux États-unis – même si, naturellement, le système américain est différent. Quant à la moyenne européenne, elle se situe à 140 détenus pour 100 000 habitants. Nous sommes donc loin de ce « tout carcéral » évoqué tout à l'heure sur les bancs de la gauche.

Depuis longtemps, le problème de notre pays, en dépit de nos efforts de construction – vous avez cité Albin Chalandon, mais il faudrait aussi mentionner Dominique Perben et le nouveau programme immobilier – est qu'il manque encore cruellement de places de prison.

Cette faiblesse du parc carcéral et la surpopulation qui en découle ont conduit par le passé à devoir trouver des solutions alternatives. L'aménagement systématique des peines de prison fermes inférieures à deux ans s'inscrit dans cette démarche. Nous avons connu ce paradoxe selon lequel l'application de la loi pénale s'est trouvée dépendre de conditions matérielles, alors qu'elle devrait reposer avant tout sur l'appréciation individuelle de chaque cas. Cela a pu influer sur certaines décisions de justice ; cela a en tout cas limité l'exécution des peines.

Je lisais ce matin dans un grand quotidien de l'ouest de la France les déclarations d'un procureur de la République qui, à l'occasion de la rentrée solennelle dénonçait certaines incohérences de notre système en ces termes : « L'obligation d'aménager la peine d'emprisonnement, c'est l'exécution de la peine en mode dégradé. » Et d'ajouter : « Il faut éviter le sentiment désastreux qu'en matière de justice pénale, tout est négociable. Y compris la peine d'emprisonnement. »

Je ne conteste pas l'intérêt des aménagements de peine lorsqu'ils sont individualisés. En revanche, il me semble que leur caractère systématique, voire automatique, comme l'a réclamé tout à l'heure Dominique Raimbourg, remet dangereusement en cause les décisions prononcées souverainement par les tribunaux au nom du peuple français. Ce texte permettra ainsi de sortir d'une certaine forme d'hypocrisie qui a consisté à légitimer des aménagements de peine systématiques pour compenser la faiblesse de nos capacités carcérales.

Une des mesures essentielles du projet de loi que nous examinons consiste donc à porter à 80 000 le nombre de places de prison à l'horizon 2017, objectif que j'avais fixé dans mon rapport sur l'exécution des peines. Il s'agit d'une mesure essentielle. Pour y parvenir, il est prévu de construire, dans les cinq prochaines années, 24 000 places de prison supplémentaires, dont près de 6 000 seront réservées aux courtes peines, au sein de quartiers ou d'établissements spécifiques adaptés à la dangerosité des détenus.

Ce texte introduit en effet une innovation fondamentale, en rupture avec la typologie carcérale qui existait jusqu'à présent et selon laquelle tous les détenus, quelles que soient leur dangerosité et leur propension à l'évasion, étaient placés dans des établissements similaires et soumis aux normes de sécurité maximales. Il permet la création de structures pénitentiaires plus légères, donc moins coûteuses, et facilite ainsi l'ouverture de nouvelles places disponibles.

Ce texte constitue également une avancée majeure en matière de prévention de la récidive, thème auquel notre rapporteur Jean-Paul Garraud est particulièrement attaché et sur lequel il a formulé depuis de très nombreuses années des propositions extrêmement pertinentes. Pour cela, afin de « mieux évaluer le profil des personnes condamnées », le texte prévoit la création de trois nouveaux centres nationaux d'évaluation, à l'image de ceux qui existent à Fresnes et, depuis quelques mois, à Réau, pour les condamnés à une longue peine présentant « un degré de dangerosité supérieur ».

Le projet de loi de programmation prévoit également l'augmentation du nombre d'experts psychiatres judiciaires et la généralisation du diagnostic à visée criminologique, destiné à évaluer chaque condamné pour mettre en place « un régime de détention adapté ».

Enfin, l'amélioration de l'exécution des peines prononcées à l'encontre des mineurs constitue le troisième objectif du rapport annexé au projet de loi. Ce texte fixe un cap très précis pour les cinq prochaines années, afin de poursuivre notre combat inlassable contre ce fléau que constitue la délinquance des mineurs. À ce titre, le texte prévoit la création de vingt centres éducatifs fermés – ce qui portera leur nombre à soixante-quatre –, ainsi que le renforcement des moyens de ces centres en matière de santé mentale.

Enfin, étant donné le contexte difficile dans lequel nous nous trouvons, je tiens à souligner qu'un important effort financier sera consenti en faveur de la justice : plus de 3,6 milliards d'euros de 2013 à 2017, consacrés à la création de près de 7 000 postes, dont 6 000 de surveillants de prison, 210 d'éducateurs, 120 de juges d'application des peines, ainsi que des postes de conseillers d'insertion et de probation, de psychologues, de psychiatres. Ces crédits permettront également la généralisation des bureaux d'exécution des peines, qui ont démontré leur pertinence et leur efficacité, ainsi que la mise en place de nouveaux bureaux d'aide aux victimes.

Contrairement à ce qu'affirme la gauche, les moyens de la justice ont été considérablement renforcés par notre majorité et par ce Gouvernement ces dernières années…

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

En dix ans, les crédits de la justice ont augmenté de plus de 60 % !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

La présente loi de programmation amplifie cette croissance des moyens, la planifie sur le long terme et l'installe durablement dans le temps.

Parce que nos concitoyens ne comprennent pas que des décisions de justice ne soient pas rapidement exécutées, il faut recoudre le lien de confiance entre notre justice et les Français. Tel est l'objectif de ce texte.

En conclusion, les mesures prévues par le projet de loi de programmation constituent un ensemble cohérent, ambitieux, audacieux et indispensable, qui permettra de mener à bien l'amélioration de notre système judiciaire tant réclamée par nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP soutiendra avec force et détermination le projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines, voué à devenir, j'en suis convaincu, un texte fondateur pour l'application et l'exécution des peines et pour le bon fonctionnement de notre système judiciaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne partage naturellement pas du tout ce que vient de dire Éric Ciotti.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Loin d'oeuvrer à la formulation de réponses efficaces, ce texte se caractérise surtout à nos yeux par une logique profondément régressive.

Votre projet de loi souffre en effet, monsieur le garde des sceaux, de défauts rédhibitoires. Il se pique de guérir un patient sur la base d'un diagnostic erroné ou fantaisiste, ce qui condamne bien évidemment dès l'origine l'entreprise à l'échec. Dès lors qu'il se trompe de cible, il lui est difficile ensuite, voire impossible, d'apporter les bonnes réponses à des besoins pourtant identifiés depuis de nombreuses années.

Tout d'abord, vous avez une tendance, qu'illustra en son temps la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et que l'on retrouva ensuite dans le rapport d'Éric Ciotti de juin 2011, à vouloir marginaliser la phase d'application des peines. Vous voulez lui substituer une conception automatiste de l'exécution des peines, sous le contrôle quasi hégémonique du parquet.

Or les notions d'application et d'exécution des peines renvoient à des phases distinctes du procès pénal. Le temps de l'application est celui où se décident et se révisent les modalités de mise en exécution de la sanction prononcée. Le temps de l'exécution est, comme son nom l'indique, celui de l'exercice concret de la peine.

Associée à l'émergence d'un véritable statut juridique de la personne condamnée, la phase de l'application des peines ne s'est imposée comme une étape à part entière de la procédure pénale que très récemment. S'il est institué dès 1958, le juge de l'application des peines n'est en effet doté de véritables pouvoirs juridictionnels qu'avec la loi du 15 juin 2000, pouvoirs étendus par la loi du 9 mars 2004. La mise en cause dont elle fait l'objet témoigne d'une hostilité de principe à la procédure contradictoire, à la reconnaissance du droit du détenu mais également au caractère modulable et évolutif de la sanction pénale.

Ensuite, il faut relever que deux logiques institutionnelles doublées de deux cultures professionnelles antagonistes cohabitent au sein de cette séquence du procès pénal. La première logique, que vous portez, est celle, ancienne, de l'administration pénitentiaire, qui donne, comme son nom l'indique, une place centrale à la peine privative de liberté. Elle favorise un rapport au condamné essentiellement sécuritaire et souvent dénigrant, trahissant en réalité une logique d'élimination.

Votre intention d'accroître le parc pénitentiaire illustre cette obsession carcérale. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Mais, derrière vos discours de fermeté, je crains que votre attachement viscéral à la prison ne traduise nulle volonté d'accroître l'efficacité du système répressif. Il ne fait que masquer votre conviction selon laquelle la bonne conduite de la répression ne peut se faire sans une certaine affliction. Cela témoigne bien d'une philosophie répressive, centrée sur l'idée d'élimination du condamné.

Et, puisque aussi bien le rapporteur que le garde des sceaux ont évoqué l'humanisation de cet univers carcéral, je profiterai de cette intervention pour revenir sur un point qui fut longuement en débat dans cet hémicycle, à une époque, monsieur le ministre, où vous n'étiez pas encore garde des sceaux, je veux parler de la fouille intégrale à nu en détention.

Pour la première fois dans notre droit, l'article 57 de la loi pénitentiaire a posé le principe de la subsidiarité du recours à ce procédé humiliant. Nous en avions débattu dans la nuit du 17 au 18 septembre 2009.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

La France avait été condamnée à de multiples reprises, les fouilles étant légitimement assimilées à des traitements dégradants. Nous avions alors décidé de ne pas les interdire, mais de leur substituer des moyens de contrôle électronique.

C'est ainsi que l'article 57 de la loi pénitentiaire dispose que les fouilles intégrales « ne sont possibles que si des fouilles par palpation ou l'utilisation de moyens de détection électronique sont insuffisantes ». Notre rapporteur Jean-Paul Garraud avait d'ailleurs précisé que ces équipements modernes permettraient certainement la suppression des fouilles intégrales.

Deux ans après, quelle est la réalité dans les établissements pénitentiaires ? Elle est que la loi n'est pas respectée. Deux ans après, rien n'a changé : vous n'avez inscrit aucun crédit dans votre projet de budget pour 2012 pour doter l'administration pénitentiaire de ces équipements, ce que votre ami sénateur Jean-René Lecerf vous a reproché à juste titre.

Quant à l'administration pénitentiaire, elle n'a aucunement la volonté de faire appliquer la loi ! Dans de nombreux établissements, les détenus sont soumis à des fouilles intégrales systématiques. Ce fut le cas au centre de détention de Bapaume avant qu'un recours au tribunal administratif ne conduise le directeur à retirer sa circulaire, à Salon de Provence avant que le tribunal administratif de Marseille ne suspende la décision du directeur, à Bourg-en-Bresse avant que le tribunal administratif de Lyon ne condamne la directrice. D'autres recours, vous le savez comme moi, monsieur le garde des sceaux, sont engagés devant les tribunaux administratifs de Marseille et de Rennes contre la résistance inadmissible de l'administration pénitentiaire.

La loi républicaine doit s'appliquer dans les établissements de la République. Vous ne pouvez pas nous dire, sachant ce que vous savez, que nos établissements, non seulement respectent la loi, mais s'humanisent. Vous ne pourrez pas tenir ce discours tant que l'on pratiquera la fouille à nu de manière systématique. Je saisis cette occasion pour vous le dire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

C'est le débat lorsque l'on parle d'exécution des peines et que l'on veut construire de nouvelles prisons ! Le droit dont nous discutons n'est pas appliqué en détention. La loi de la République n'est pas appliquée dans les établissements pénitentiaires, où règne l'arbitraire, ce qui, pour le législateur, est inadmissible.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Estrosi

Une seule chose compte pour vous : déshabiller les policiers municipaux ! Vous voulez en faire des pom-pom girls ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Nous ne pouvons pas vous suivre sur le tout-carcéral, car il entraîne une succession d'atteintes à la dignité qui tendent à se banaliser.

Pourquoi, monsieur le garde des sceaux, le rapport de visite réalisée par le comité de prévention de la torture du Conseil de l'Europe, visite qui s'est déroulée dans notre pays entre le 28 novembre et le 10 décembre 2010, n'a-t-il toujours pas été publié ? Il a été transmis au Gouvernement, et celui-ci a répondu. Cela fait six mois que ces documents auraient dû être publiés. Cela fait six mois que nous les attendons. Quand allez-vous publier le rapport du CPT et la réponse que le Gouvernement lui a apportée ? Je vous pose cette question car, dans son dernier rapport public, en date du 10 novembre 2011, le CPT interpelle notre pays sur l'usage de l'isolement disciplinaire. La loi pénitentiaire, en son article 91 – Jean-Paul Garraud s'en souvient – avait ramené de quarante-cinq à trente jours maximum l'isolement, mais, selon le CPT, il ne devrait pas excéder quatorze jours.

Le CPT est un organisme international qui prend à rebrousse-poil l'approche traditionnelle de l'administration pénitentiaire. Ce n'est pas en refusant le débat sur l'archaïsme des pratiques qui ont cours dans nos prisons que vous nous convaincrez de la nécessité d'en construire de nouvelles. Vous n'acceptez pas d'entendre que l'emprisonnement aveugle représente aujourd'hui le premier facteur de récidive. Pourtant, un autre chemin existe, celui de la probation, logique bien plus récente que celle de l'administration pénitentiaire.

Née avec la création des services pénitentiaires d'insertion et de probation en 1999, la probation se définit d'une part par l'accent mis sur la dimension éducative de la sanction, d'autre part par la diversification des modes d'exécution de la sanction pénale et la professionnalisation des acteurs.

Là encore, votre position se caractérise par l'hégémonie plus que jamais affirmée de la dimension pénitentiaire de l'exécution des peines, la pérennité même des SPIP étant menacée au profit d'un éclatement des responsabilités entre les directeurs de prison, le ministère public et, pour une portion congrue, le juge de l'application des peines.

Nous pensons au contraire qu'il faut mettre en avant cette conception et affirmer le caractère nécessairement subsidiaire, dans un État de droit, de la peine privative de liberté, laquelle, pour être efficace, doit être réservée aux infractions les plus graves.

Afin de prévenir la récidive, toutes les études démontrent qu'il est préférable d'exécuter les peines en milieu ouvert.

Les taux de récidive les plus élevés concernent les détenus qui ont purgé la totalité de leurs peines – 63 % de nouvelle condamnation dans les cinq ans. Les libérés conditionnels récidivent moins – 39 % –, tout comme les bénéficiaires d'un aménagement de peine – 55 % – ou encore les condamnés à une peine alternative – 45 %.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Dès lors, évidemment, la première étape pour éviter la récidive est d'éviter l'emprisonnement qui aggrave la situation sociale, psychique, familiale des personnes, perpétue des phénomènes de violence et enferme les personnes dans un statut de délinquant.

Rappelons que le Conseil de l'Europe considérait, en novembre 2005, que, dans la plupart des cas, la privation de liberté était loin d'être le meilleur recours pour aider l'auteur d'une infraction à devenir membre à part entière d'une société respectueuse de la loi.

Voilà pourquoi il faut mettre en avant la probation, par opposition à l'élimination.

Faire le choix de la probation, c'est privilégier la responsabilisation et, au sens propre, la mise à l'épreuve du condamné, quand la prison favorise au contraire des attitudes de déresponsabilisation.

Faire le choix de la probation, c'est permettre la réparation du trouble causé par l'infraction, tant à l'égard de la société que de la victime, alors que la prison contribue au contraire à nourrir ce trouble indéfiniment.

Faire le choix de la probation, c'est préférer la souplesse et le dynamisme dans l'exécution de la peine quand le tout-carcéral conduit à une répression rigide et stérile.

Faire le choix de la probation, c'est enfin encourager des dispositifs à moindre coût en milieu ouvert, alors que la prison coûte cher. Une journée de détention coûte 84 euros contre 27 pour une journée de placement en extérieur : ce sont les chiffres qui nous ont été fournis lors de l'examen du projet de budget 2012.

Plutôt que de réduire votre vision à une politique d'exécution des peines centrée sur l'administration pénitentiaire, vous auriez été plus inspiré de nous proposer de créer, à partir des actuels SPIP, un véritable service judiciaire de l'exécution des peines.

Organisé sur le modèle de la PJJ, il aurait pour vocation d'englober l'ensemble des établissements de milieu ouvert et fermé. Il permettrait de garantir une véritable homogénéité de la prise en charge des condamnés sur tout le territoire en permettant, notamment, de mieux encadrer l'intervention des acteurs éducatifs. Il mettrait fin, au bénéfice de la probation, à la dualité de cultures professionnelles au sein des services en charge de l'exécution des peines.

Une telle évolution institutionnelle incarnerait sans équivoque une alternative à la fois évidente et innovante à l'actuelle administration pénitentiaire, incapable de se moderniser malgré le dévouement de ses personnels. Las, vous préférez vous complaire dans une crispation dogmatique sur le tout-carcéral.

Vous n'avez même pas saisi cette occasion pour tenter d'éclairer les citoyens sur le décalage entre la peine prononcée et la peine exécutée. Il est tout à fait normal de s'interroger sur l'existence de ce décalage, encore faut-il le faire sur des bases de réflexions correctes qu'il convient d'assumer. Plutôt que de nous lancer dans une polémique stérile, posons-nous la question de la manière dont les peines sont prononcées dans notre pays.

Les tribunaux ont parfois tendance à juger trop vite, sans disposer des informations suffisantes, et peinent dès lors à individualiser la sanction de façon optimale. Telle est bien souvent la raison pour laquelle ils renvoient aux juges de l'application des peines le soin de procéder dans un second temps, aux ajustements et rectifications nécessaires.

Il ne faut donc pas confondre les peines en attente d'exécution et les peines inexécutées. La proportion de ces dernières est faible, même si elle est difficilement supportable pour la société et les victimes.

L'un de nos collègues, Étienne Blanc, avait, en février 2011, élaboré un rapport d'information sur les carences de l'exécution des peines. Il avait relevé que le taux de mise à exécution des peines d'emprisonnement ferme prononcées entre 2005 et 201, se situait entre 93 et 94 % un an après leur prononcé. Sur la seule année de 2009, il avait calculé que 96,4 % des peines de prison ferme prononcées en 2007 étaient exécutées. Autrement dit, seules 3 à 4 % d'entre elles ne sont pas appliquées. Bien sûr, ce taux est encore trop élevé, mais néanmoins relativement réduit par rapport à l'ensemble des peines prononcées.

En conclusion, je voudrais revenir sur la saturation de la machine judiciaire qui explique en grande partie les retards pris dans l'exécution des peines.

L'encombrement débute dès le tribunal. Les jugements sont rendus mais ne sont pas dactylographiés. Seules existent des notes d'audience manuscrites d'une clarté toute relative. D'autre part, les sentences ne sont pas toujours vérifiées. C'est pourquoi de nombreux parquets refusent aujourd'hui de mettre à exécution sur cette seule base, considérant à juste raison que l'on prend des risques juridiques importants à travailler sur des notes d'audience. Enfin, un « stockage » s'opère ensuite au niveau des parquets.

Bien que la gravité du mal varie selon les instances, l'exécution des peines demeure le « parent pauvre » de notre système judiciaire. Ce n'est que très récemment que les procureurs ont commencé à affecter du personnel à cette section. Il n'est pas rare, notamment à Paris, que les jugements soient exécutés avec un ou deux ans de retard.

L'échelon des juges de l'exécution des peines constitue un autre goulot d'étranglement. Là aussi, les délais d'attente sont importants. Les problèmes concernent surtout les aménagements de jugement transmis par le parquet, plus rarement le lancement de mesures de sursis ou de mise à l'épreuve.

Dans le cas des aménagements de peine, le juge de l'application des peines dispose théoriquement de quatre mois pour remplir sa mission : convocation de l'intéressé, examen de sa demande et des justificatifs qu'il fournit, sollicitation de l'avis du parquet. Initialement, l'aménagement devait faire l'objet d'une enquête de faisabilité menée par le SPIP mais cette procédure pouvait prendre de nombreux mois.

Aujourd'hui, bien souvent, ce sont les JAP qui reçoivent directement les personnes condamnées et qui examinent leurs éventuels justificatifs. Il arrive même que, si l'aménagement a été décidé dans les délais impartis, soit quatre à six mois, le traitement du dossier en aval peine à aboutir. Les places en semi-liberté ne sont pas assez nombreuses et le délai d'attente s'élève à un ou deux mois.

Quant au délai nécessaire à l'obtention d'un bracelet électronique, il peut atteindre quatre à six mois. Ce sont en effet les surveillants de prison qui gèrent le dispositif, et ils ne sont pas encore assez nombreux.

Le problème est d'ailleurs de même nature lorsque est prise une décision de travail d'intérêt général : la mission incombe au SPIP qui, faute d'effectifs suffisants, ne peut satisfaire les demandes dans un délai raisonnable.

Il est surprenant de constater à quel point votre texte n'évoque pas ces questions et s'affranchit à bon compte de cette réalité. Vous faites comme si la machine judiciaire n'était pas saturée, alors qu'un tiers de l'activité des tribunaux correctionnels est consacré aux délits routiers, ce qui entraîne une multitude de peines à aménager ou de mises à l'épreuve, qui asphyxient les juges de l'application des peines et les détournent, malgré eux, d'affaires bien plus graves qui réclameraient toute leur attention.

En résumé, ce texte est inutile et ne fait que traduire une politique de l'autruche vouée à l'échec en matière de récidive.

Les politiques qui misent sur l'incarcération ne sont pas efficaces, mais vous refusez de l'admettre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Notre collègue Urvoas vient de conclure son propos en estimant que ce projet de loi était inutile. Je ne le pense pas. Il vise au contraire à répondre à un défi que nous lance aujourd'hui la population : celui de la crédibilité de notre système judiciaire et de la confiance qu'il peut inspirer.

À quoi sert ce projet de loi ? À répondre au problème de l'exécution des peines. Je salue à cet égard le travail de la commission des lois, et en particulier le rapport sur l'exécution des peines qui est à l'origine du projet de loi.

Le problème est réel : plusieurs dizaines de milliers de peines d'emprisonnement prononcées chaque année ne sont jamais exécutées. Le projet de loi tente d'y répondre.

J'ai entendu les différents intervenants. Les places de prison sont-elles trop nombreuses dans notre pays ? La question est légitime. Avec 60 000 places de prison, la France se situe dans la moyenne des grandes démocraties. Grâce aux 20 000 places supplémentaires que vous proposez de créer, monsieur le garde des sceaux, notre pays resterait dans les normes internationales.

La prison est-elle utile ? Oui, bien sûr.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Hunault

Rappelons à l'opposition qu'en dix ans nous avons voté une loi pénitentiaire et mis en place des mécanismes susceptibles de contrôler la vie en prison – je pense en particulier à la création de la fonction de Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Aussi, si ce que vient de déclarer notre collègue Jean-Jacques Urvoas concernant des manquements à la loi pénitentiaire s'avérait, et donc si les accusations qui ont été prononcées à cette tribune se révélaient exactes, ce serait inadmissible, du fait même qu'il existe un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Nous avons d'autre part la faculté, comme parlementaires, d'aller voir ce qui se passe derrière les barreaux, car la loi doit être respectée par tous. Pour autant, on devrait être assez prudent lorsque l'on porte de telles accusations.

J'ai noté avec satisfaction que plusieurs orateurs ont fait état des travaux du Conseil de l'Europe. Nous avons traduit dans les différents projets et propositions de loi examinés depuis maintenant cinq ans certaines dispositions concernant notamment la charte pénitentiaire et la réactualisation des règles pénitentiaires. Personne ne pourra nier que la loi pénitentiaire, le contrôle général des prisons et le programme de modernisation des établissements vétustes sont à porter à l'honneur de cette majorité.

Reste l'aménagement des peines. Je dirai à cet égard à mon collègue Éric Ciotti, avec qui j'ai eu certains échanges sur cette question, que je ne comprends pas comment le groupe UMP a pu s'opposer à un amendement que j'avais eu l'honneur de défendre au nom des députés du Nouveau Centre, et qui visait à ce que les remises de peine ne soient plus automatiques, mais tiennent compte de la dangerosité des détenus, notamment en matière de récidive criminelle. Il y a là une exigence : s'il y a des remises de peine, elles sont sûrement nécessaires, mais il faut redonner tout son rôle au juge de l'application des peines quant à l'appréciation de la dangerosité des détenus.

À cet effet, monsieur le garde des sceaux, je vous invite une nouvelle fois, au nom de mes collègues du Nouveau Centre, à retenir un critère objectif de dangerosité, à savoir le crime qui a déjà été commis. On doit en tout cas, afin que le détenu ne récidive pas, prendre en compte la dangerosité. C'est un élément essentiel, sur lequel on peut trouver un consensus.

Je rappelle à mes collègues de l'opposition que nous avons fait des efforts pour mettre en place des alternatives à l'emprisonnement, tel le bracelet électronique. Plus de 10 000 condamnés chaque année en portent un. On a même été jusqu'à permettre, dans la loi pénitentiaire, l'aménagement de la sanction : c'est ainsi qu'aujourd'hui un condamné à deux ans d'emprisonnement ne va pas en prison, ce qui est d'ailleurs une vraie source d'interrogation pour nos concitoyens. Si l'on veut en effet redonner confiance dans la justice, il faut, en face de la condamnation, une réalité de la peine d'emprisonnement. On peut ne pas être d'accord sur le seuil, mais il faut une certitude de la peine lorsqu'il y a condamnation. Votre projet de loi, monsieur le garde des sceaux, répond à cette exigence.

Je ne peux, avant de terminer – j'ai en effet promis à mes collègues qui veulent intervenir ce soir de ne pas utiliser l'intégralité de mon temps de parole –, que vous faire remarquer, monsieur le garde des sceaux, que s'il est très bien de faire voter des projets de loi, encore faut-il que les moyens humains et financiers suivent.

Nous sommes, en ce 10 janvier, en pleine période de rentrée solennelle de nos tribunaux, et je sais que vous êtes au courant de ce qui s'y dit et de ce qui s'y passe. Nos magistrats doivent appliquer des textes qui sont modifiés assez régulièrement. Ils ont besoin, comme les greffiers et tous les acteurs de la chaîne pénale, de moyens humains. Les budgets que vous nous avez fait voter, et encore tout récemment, ont permis, dans un contexte budgétaire et économique extrêmement difficile, de faire porter l'effort sur la justice : c'est le seul budget qui ait été en augmentation constante au cours de ces dix dernières années. Pour autant, monsieur le garde des sceaux, on ne saurait aborder ce texte sans évoquer les moyens humains et financiers. À cet égard, il est particulièrement important de dire à cette tribune, comme vous l'avez fait, notre solidarité et notre reconnaissance envers tous les acteurs de l'ordre judiciaire et pénitentiaire, qui ont une mission particulièrement importante devant l'exigence d'ordre public. On ne dira jamais assez que la sécurité est la première des libertés.

Nos collègues de l'opposition ont regretté que nous ayons voté de nombreux textes au cours de cette législature. Si l'on veut bien porter un regard objectif sur ce que nous avons voté, on verra que nous avons été très loin dans la garantie des libertés fondamentales. Pour autant, mettre les victimes en perspective est aujourd'hui une exigence, de même que valoriser la mission de tous les acteurs de l'ordre judiciaire et pénitentiaire. Ce sont là, je crois, des objectifs qui, loin d'être contradictoires, répondent à une réelle exigence.

Enfin, s'agissant des programmes des nouvelles prisons, une vraie interrogation existe. Vous en avez vous-même fait état en commission, monsieur le garde des sceaux : elle porte sur le montant des loyers dans le cadre de partenariats public-privé. Cependant, il s'agit d'un effort financier nécessaire de la nation pour assurer la dignité de toute personne, quoi qu'elle ait pu faire pour être privée de liberté, et c'est à ce titre que je vous apporte ce soir le soutien du groupe du Nouveau Centre. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Merci, mon cher collègue, pour la concision de votre propos, qui est une marque de respect à l'égard de vos collègues et qui, je l'espère, inspirera les orateurs suivants...

La parole est à M. Christian Estrosi.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Estrosi

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la liberté et l'égalité sont les piliers de notre justice et nous devons nous battre pour les sauvegarder. J'aime d'ailleurs beaucoup cette citation de Lacordaire : « La liberté opprime, la loi affranchit. » (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Elle prend tout son sens lorsqu'on légifère en matière pénale, qui touche au droit le plus essentiel des individus : sa liberté. Pour autant, il nous faut également assurer la première des libertés que constitue la sécurité.

J'avais, dans un ouvrage paru aux éditions du Rocher et intitulé Insécurité : sauver la République, écrit que la sécurité était la première des libertés. Depuis, chacun à sa manière ne cesse de répéter en boucle cette phrase qui, à mesure que passaient les années, est devenue à la mode. Néanmoins, il nous faut continuer à veiller à ce que la première des libertés soit bien la sécurité.

La garantie de ce droit fondamental passe par un concept simple, mais qui n'accepte aucune exception : la réponse à une infraction doit être systématique et dissuasive.

Je crois profondément à l'effet dissuasif de la sanction. Mais, plus que sa sévérité, c'est l'assurance d'une sanction effective qui la rendra dissuasive. Vous ne pouvez vous prévaloir d'un système pénal efficient, si la plupart de vos décisions se limitent à des simples menaces. Si nous ne l'avons pas compris, les voyous, eux, l'ont parfaitement compris. Il est aujourd'hui plus facile de sortir de prison que d'y entrer. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

L'exécution des peines est depuis de nombreuses années le maillon faible de notre chaîne pénale. Pourtant, même si elle intervient en bout de course, elle est la clef de voûte de tout le système car elle assure une double fonction : la sanction et la réinsertion. Or pendant longtemps on sortait du tribunal sans savoir ce qui allait se passer. C'est ainsi que le stock de sanctions non exécutées à la fin 2010 s'élevait à près de 100 000 peines en attente, ce qui a suscité de nombreuses réactions chez nos concitoyens.

Je tiens à cet égard à remercier personnellement Éric Ciotti qui a remis un rapport d'une clarté et d'une qualité exceptionnelles sur l'exécution des peines, et qui a d'ailleurs inspiré le texte que nous examinons.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

Un peu tout de même, ne le niez pas ! Le conseil général est bien utile !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Estrosi

Le projet de loi apporte des réponses concrètes et pragmatiques en se saisissant de la problématique principale du nombre de places de prison et des différents types d'établissements pénitentiaires. Mais envisager l'exécution des peines sans s'interroger sur le rôle de la victime à ce stade de la procédure serait incompris de la part de ceux qui attendent une réponse aux préjudices subis.

Améliorer le droit des victimes, c'est aussi leur reconnaître une place à part entière dans le procès pénal. Et là, l'évolution est beaucoup plus tardive, monsieur le garde des sceaux, même s'il y a eu quelques avancées dans la loi du 15 juin 2000 qui visait à renforcer la présomption d'innocence et le droit des victimes, puis dans les lois Perben de 2002 et 2004 et dans la loi du 1er juillet 2008 qui a créé de nouveaux droits pour les victimes. Tout récemment, la loi sur les jurys populaires a introduit dans notre droit un dispositif qui permet à la victime ou à la partie civile d'être entendue devant le juge ou le tribunal de l'application des peines sans avoir systématiquement recours au ministère d'avocat. Ce dispositif, que j'avais souhaité introduire par voie d'amendements, permet une économie réelle sachant que ces audiences peuvent se tenir plusieurs fois dans l'année.

Depuis plusieurs années, j'ai en effet, au gré des textes examinés au Parlement, recherché à introduire des dispositions pour simplifier l'accès et l'accompagnement des victimes dans le procès pénal. Il est selon moi désormais nécessaire de s'interroger sur la nécessité d'introduire une égalité des armes, une égalité de traitement, un équilibre des droits entre la victime et la personne mise en cause.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Estrosi

Je souhaite ainsi associer la victime aux débats contradictoires devant le juge de l'application des peines, le tribunal d'application des peines et la chambre d'application des peines de la cour d'appel, et lui permettre de faire appel des décisions de libération ou d'aménagement de peine. En effet, la victime ne comprend pas toujours pourquoi une décision rendue publiquement par une juridiction peut-être modifiée dans le huis clos d'un cabinet de magistrat. C'est la raison pour laquelle je déposerai un amendement en ce sens. Je remercie d'ailleurs M. le rapporteur ainsi que la commission des lois de s'être prononcés cet après-midi en faveur d'un tel amendement, dont on me dit, monsieur le garde des sceaux, que le Gouvernement n'y serait pas favorable. J'espère que, d'ici à sa discussion, vous aurez suffisamment médité pour suivre l'avis favorable de la commission des lois !

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Dolez

Voilà que nous serons obligés de soutenir le Gouvernement !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Estrosi

Ma proposition est d'ailleurs issue d'un texte que je soumettrai dès la semaine prochaine à la cosignature de mes collègues, et qui tend à rétablir une stricte égalité entre le mis en cause et la victime ou partie civile.

Je défends par le biais de ce texte plusieurs principes qui me semblent être essentiels pour replacer la victime au centre du procès pénal.

Je souhaite, tout d'abord, élever l'accès de la victime à la justice pénale au rang de principe fondamental du droit français. Je propose, ensuite, d'augmenter les délais de prescription en matière délictuelle et criminelle, respectivement de trois à six à ans et de dix à vingt ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

Cela vous fera au moins gagner quelques centaines de voix à Nice !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Estrosi

J'aimerais également introduire le droit, pour la victime, à l'assistance d'un avocat dès le dépôt de plainte et lors de toute audition ultérieure, y compris lors de toute confrontation avec une personne en garde à vue.

Nous devons imposer au parquet et au juge d'instruction de tenir informée la victime tout au long du déroulement du procès. Je propose aussi la possibilité pour la victime d'interjeter appel à la décision, même lors des décisions de libération ou d'aménagement de la peine.

Ce sujet, à mon avis, doit être au coeur du projet pour la France sur les années à venir. Les dernières décennies ont été celles des droits de la défense. Je vous proposerai prochainement, mes chers collègues, d'inscrire au fronton des prochaines décennies l'amélioration des droits de la victime. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marietta Karamanli

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis est probablement le dernier de la législature que nous ayons à connaître en matière pénale.

Debut de section - PermalienPhoto de Marietta Karamanli

Déposé le 23 novembre 2011, il a fait l'objet d'une procédure accélérée. À ce titre, je ne peux qu'une nouvelle fois, après mes collègues Dominique Raimbourg et Jean-Jacques Urvoas, déplorer que ce texte important, puisqu'il engage l'État dans un domaine sensible pour notre pays jusqu'en 2017, soit examiné selon une procédure qui ne devrait qu'être exceptionnelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Marietta Karamanli

Rien dans les délais de connaissance des difficultés qu'il prétend traiter ne le justifie, sauf une campagne présidentielle qui ne dit pas son nom.

Pour s'en convaincre, il suffit de lire l'exposé des motifs, qui rappelle les diligences faites ces dernières années sous forme de lois et de plans sans toutefois qu'il soit procédé à une évaluation d'ensemble de l'efficacité des dispositifs existants.

Dans la forme, le projet innove par ses neuf articles dont le premier valide un rapport annexé qui définit et précise ses objectifs.

Mon propos sera centré sur quatre constats.

Premier constat : l'échec annoncé en matière de répression pénale.

L'étude d'impact propose quatre scénarios d'évolution du nombre de condamnations de peines d'emprisonnement, d'une hypothèse basse à une hypothèse hausse. Il est remarquable que l'hypothèse finalement retenue soit celle d'une évolution de 2 % par an du nombre de peines privatives de liberté, « soit le taux de croissance annuel moyen constaté sur la période 2003-2011 » – je cite l'étude en question. Le nombre de ces peines devrait passer de 140 000 en 2012 à 154 000 en 2017.

Dans cette hypothèse, qui paraît donc être la norme et, d'une certaine manière l'objectif, il y aura, je cite une nouvelle fois, « 96 100 personnes placées sous écrou et 80 100 personnes détenues à horizon 2017 ». Le projet de loi nous explique donc tranquillement que la délinquance ne régresse pas et qu'elle va au contraire poursuivre sa progression tout au long des prochaines années.

Nous sommes surpris de lire que le texte anticipe l'échec de la politique de lutte contre la délinquance qu'il prétend en quelque sorte finaliser.

Debut de section - PermalienPhoto de Marietta Karamanli

Je m'inquiète que l'on puisse considérer que la délinquance serait une sorte de fatalité à laquelle on ne pourrait opposer que la prison. Les objectifs ainsi quantifiés n'auront d'ailleurs de cesse d'être revus à la hausse, car on ne voit pas pourquoi il y aurait une limite naturelle à un taux de délinquance, ni pourquoi il y aurait un taux d'incarcération normal – bien des comportements pouvant être considérés demain comme justifiant un emprisonnement.

De plus, l'augmentation de l'incarcération aura probablement des effets sur la récidive ce qui alimentera le flux des condamnations. Je note à cet égard que le texte lui-même évoque à deux reprises « le risque de désocialisation et de récidive » induit par l'incarcération.

Enfin la taille des établissements annoncés sera de nature, par elle-même, à générer la violence carcérale qui a des effets négatifs en matière de récidive.

Si nous avions la curiosité de regarder ce qui se passe outre-Atlantique, nous verrions que la violence n'est pas arrêtée par la promesse ou la certitude de l'emprisonnement. Plusieurs études montrent que l'État fédéral et les agences publiques se tournent désormais vers des solutions proactives, validées après expérimentation, pour dissuader la délinquance et enrayer la violence.

Deuxième constat : ce projet annonce un effort public dont les moyens devront être confirmés.

Ainsi, au titre de l'action « Renforcer les services d'application et d'exécution des peines », est prévue la création de 209 emplois, dont 120 de magistrats et 89 de greffiers. Ces créations reviennent pour partie sur des suppressions de postes décidées dans des lois de finances précédentes.

En octobre 2010, déjà, je m'étais étonnée de la suppression de 76 postes de magistrats dans le projet de loi de finances pour 2011, sans recevoir d'explications de la part de la garde des sceaux. Il est vrai que le projet de loi de finances pour 2012 prévoit la création de 142 postes de magistrats.

Parallèlement, le texte ne prévoit pas d'augmenter autrement que par la création d'emplois de psychologues les effectifs des services d'insertion et de probation. Les SPIP sont pourtant en première ligne pour veiller au respect des mesures de mise à l'épreuve, de suivi socio judiciaire et de surveillance judiciaire. La programmation de l'action publique aurait dû permettre de renforcer les moyens d'ensemble des SPIP, dont certaines affaires dramatiques ont montré la faiblesse.

D'une façon générale, cette loi de programmation fixe des objectifs quantifiés, sans mise en perspective avec ce qui a été fait ces dernières années, et sans que l'on sache si les moyens à venir seront des créations nettes ou s'ils seront obtenus au détour de redéploiements internes.

Ma troisième observation concerne certaines mesures immobilières dont l'efficacité pose problème, au-delà du principe même de la création de places.

Le projet de loi prévoit la création d'environ 25 000 nouvelles places entre 2013 et 2017, s'ajoutant aux quelques 5 000 places du programme précédent. Il prévoit aussi la diversification du parc carcéral avec une classification des places et établissements, et il annonce une densification.

D'emblée, le projet indique qu'il y aura, dans le cadre du nouveau programme immobilier, une augmentation de 532 à 650 du nombre de détenus par établissement. Au sein des établissements de « nouveau concept », polyvalents et modulables, on trouvera des unités d'hébergement pour courtes peines. Ces unités seront, je cite encore, « densifiées ».

Parallèlement, quatre nouveaux centres de semi-liberté supplémentaires verront le jour et l'on trouvera de véritables établissements pour courtes peines.

L'enjeu paraît être moins à visée pénale et rédemptrice qu'à visée économique. C'est dit de la façon la plus moderne qui soit dans le rapport annexé au projet de loi : « le maintien d'un parc uniforme est sous-optimal sur le plan économique ». Mais ce qui aurait été moderne, c'est de disposer d'une estimation d'ensemble du coût du programme. Or, celui-ci n'est pas précisément chiffré, même dans le cadre d'une fourchette, ce qui, concernant une loi de programmation, ne manque pas de surprendre.

Par ailleurs, l'article 2 du projet élargit le recours aux partenariats public-privé. A défaut de citer la Cour des comptes, je souhaite appeler l'attention de notre assemblée sur un récent rapport du National Audit Office, équivalent britannique de la Cour pour l'évaluation des politiques publiques, et qui porte sur les achats de biens et prestations par les personnes publiques. Ce rapport, qui date de mai 2011, souligne que le recours à des financements privés du type PPP est contestable : d'abord parce qu'il constitue une forme d'endettement au coût élevé ; ensuite parce qu'il fait échapper ces financements aux bilans publics, ce qui incite à y avoir à nouveau recours malgré l'endettement provoqué ; enfin, et c'est plus grave, parce que les constats opérés sont insuffisants pour savoir si l'utilisation du financement privé a conduit à une meilleure gestion ou s'il a été générateur d'un gaspillage d'argent public plus important que d'autres formes de passation de marchés.

Ma quatrième observation vise le renforcement de la cohérence et de la pertinence de la chaîne pénale dont le projet est censé être le porteur. Vous faire la liste d'observations que je veux constructives pourrait s'avérer fastidieuse, aussi ai-je choisi d'évoquer quelques exemples.

Premier exemple : le suivi des personnes condamnées. « Mieux évaluer le profil des personnes condamnées » et « Généraliser le diagnostic à visée criminologique et le suivi différencié du SPIP » figurent parmi les objectifs précisés et définis dans le rapport annexé au projet de loi.

Il faut préciser que l'évaluation de la dangerosité fondée sur les « caractéristiques de chaque condamné » n'est jamais sûre, les circonstances et le temps étant aussi des facteurs significatifs, même si nous devons progresser dans le sens d'une meilleure prévisibilité. Le projet renvoie à la mise en place d'un outil partagé, valable pour tous les condamnés : le « diagnostic à visée criminologique ». Celui-ci fait actuellement l'objet d'expérimentations, et je constate qu'il nous est proposé de généraliser un dispositif dont les résultats de l'évaluation préalable ne nous ont pas encore été communiqués.

Selon les échos que nous pouvons en avoir, cet outil viserait à prédéfinir des modalités de suivi selon des items renseignés, et ce de façon quasi automatique. Il aurait été opportun que la représentation nationale soit informée de la portée de cet instrument et des utilisations qui en seront faites.

Au titre du renforcement et de la réorganisation des services d'insertion et de probation, le projet de loi prévoit de confier les enquêtes pré-sentencielles au secteur associatif habilité, afin de permettre aux conseillers d'insertion et de probation de se recentrer sur le suivi des personnes condamnées, le SPIP n'intervenant qu'à titre subsidiaire en l'absence d'un tel secteur. Cette disposition est très étonnante, voire inquiétante, car elle revient à déléguer une mission importante au secteur associatif et à rendre possible l'abandon de fait des enquêtes sociales, pourtant primordiales puisqu'elles permettent d'envisager les alternatives à une détention provisoire en donnant au juge une vision globale de la situation familiale et professionnelle de la personne mise en cause. Là où il faudrait renforcer les équipes avec des personnels permanents, formés et expérimentés, il est choisi d'abandonner un pan entier d'activités pour économiser plus de 120 emplois de conseillers.

Deuxième exemple : la place et le rôle de la protection judiciaire de la jeunesse.

L'article 4 du projet de loi appelle une observation particulière concernant le sort réservé aux éducateurs de la PJJ. En effet, le texte modifie les articles 41 et 81 du code de procédure pénale en supprimant toute référence à celle-ci. L'ordonnance de 1945 contient déjà des dispositions pour des enquêtes pré-sentencielles concernant des mineurs, mais il ne faudrait pas que cette rédaction aboutisse à un transfert quasi automatique des enquêtes pré-sentencielles au secteur associatif.

Troisième exemple : en vue de garantir une mise à exécution plus rapide des peines, il est proposé d'appliquer la démarche d'« excellence opérationnelle dans les juridictions ». Ce système, dit « lean », vise à réduire les délais de justice en utilisant une méthode issue du système de production expérimenté chez Toyota. Pour faire simple, cette méthode met en place le « juste à temps » dans la gestion des flux et l'automatisation à visage humain. L'expérimentation à laquelle elle a donné lieu dans plusieurs juridictions à partir de l'intervention de consultants ne connaissant rien à la justice a suscité de nombreuses interrogations chez les professionnels sollicités.

Je me permets de constater que le secteur public découvre souvent les méthodes expérimentées depuis longtemps déjà par le secteur privé au moment même ou ce dernier décide de les abandonner. Je note que la méthode retenue a fait l'objet de vives critiques lorsqu'elle s'appliquait à l'industrie automobile, de nombreux véhicules ayant dû être rappelés pour cause de non-qualité. On s'inspire donc de méthodes déjà périmées.

En résumé, ce texte, au-delà du programme immobilier qu'il présente et dont le coût ne nous est pas bien connu, apparaît comme un catalogue regroupant des mesures utiles et d'autres à l'efficacité discutable, dont l'énumération ne constitue pas un gage de réussite. Il est conditionné par l'inscription effective de nouveaux moyens dans les prochaines lois de finances ; nous y serons particulièrement attentifs.

De façon plus globale, l'augmentation annoncée du nombre de places du fait d'une délinquance et de peines privatives de liberté toujours plus nombreuses constitue un étonnant programme de protection des personnes et des biens, mettant en évidence, en creux, l'échec d'une politique de sécurité et l'absence de mesures complémentaires pour contenir la délinquance avec efficacité.

Pour l'ensemble de ces raisons, monsieur le ministre, même si nous constatons quelques améliorations, nous souhaitons que nos amendements permettent de revenir sur un certain nombre de dispositions de ce projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jardé

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de programmation qui nous est soumis vise à donner à la justice les moyens nécessaires pour atteindre l'objectif d'une exécution efficace des peines prononcées par les magistrats.

Intimement liée à la confiance que chacun place dans la justice de notre pays, la garantie d'une réponse pénale effective implique notamment de prendre en compte, dans un souci de protection de la société, la prévention de la récidive. Le projet de loi cherche à atteindre cet objectif en proposant de renforcer le système d'évaluation de la dangerosité des personnes condamnées, système dont l'expert est précisément l'un des acteurs essentiels.

Ainsi, réfléchir aux moyens d'assurer l'exécution des décisions de justice consiste également à s'interroger sur le statut de l'expert et sur le rôle qui lui incombe au sein de notre système judiciaire. Or, l'organisation de l'expertise judiciaire française semble profondément remise en cause par un arrêt rendu le 17 mars 2011 par la Cour de justice de l'Union européenne, l'arrêt Penarroja.

C'est dans ce contexte, et partant du constat que le système français des listes d'experts est menacé dans le contentieux européen en raison des critiques de la Commission européenne et de l'Autorité de surveillance de l'Association européenne de libre-échange, que j'ai déposé, en septembre dernier, une proposition de loi relative aux experts.

Voir ces instances considérer que les missions accomplies par les experts de justice français sont des prestations de service au sens de l'article 50 du traité de l'Union européenne pouvait en effet laisser penser que l'expertise française allait entrer dans un cadre contractuel puis glisser vers le système accusatoire de la common law . Dès lors, l'expert du juge disparaîtrait au profit des experts de parties. Or, une telle évolution ne peut que générer un état d'inégalité des justiciables car peu d'entre eux auraient les moyens financiers de s'adjoindre le concours des meilleurs experts.

La principale leçon à tirer de l'affaire Penarroja est précisément que le statut de l'expert n'est pas clairement défini, que le système français est menacé par ses propres ambiguïtés et que le temps est venu d'y remédier sous peine de le voir à plus ou moins long terme disparaître purement et simplement. En conséquence, ma proposition de loi relative aux experts vise à défendre le système français en dotant l'expert d'un véritable statut de collaborateur occasionnel du service public de la justice, sans pour autant reconnaître une nouvelle profession réglementée.

Le 8 décembre 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 37 du chapitre XI relatif aux experts judiciaires de la loi relative à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles. Clarifier la situation par une proposition de loi n'en est donc que plus indispensable.

Cette proposition de loi tend à définir l'expert de justice, en prévoyant un socle sur lequel reposerait le statut de l'expert collaborateur occasionnel du service public de la justice, quelle que soit la juridiction qui le désigne, en matière civile, pénale et administrative. La loi de 1971 pourrait ainsi devenir la loi des experts de justice.

Le texte précise également que la rémunération de cet expert sera fixée, sur sa proposition, par la juridiction qui l'aura désigné, dans des conditions définies par décret. Des dispositions réglementaires devraient ainsi clarifier le système inapplicable prévu par la loi du 23 décembre 1998. Sur ce point, monsieur le ministre, il faudra vraiment faire quelque chose, car ce texte est facteur d'instabilité et engendre des problèmes, notamment en matière de fiscalité. Les experts ont besoin de précision et de sécurité dans ce domaine et les pouvoirs publics ne peuvent laisser subsister la confusion régnant actuellement entre les ministères de la justice, des finances et des affaires sociales ; Mme Malbec en est, du reste, totalement persuadée.

Par ailleurs, les décisions d'inscription et de réinscription sur les listes d'experts de justice devraient être motivées et pourraient faire l'objet d'un recours juridictionnel effectif. Les conditions requises pour cette inscription seraient la compétence, l'expérience et la moralité du candidat. Un décret en Conseil d'État préciserait les modalités d'établissement des listes, en respectant les spécificités des juridictions administratives. Quant aux décisions de retrait et de radiation d'un expert, elles seraient prononcées par l'autorité qui aurait pris la décision de son inscription, selon des modalités fixées par décret pris en Conseil d'État.

Par ailleurs, des précisions sur le serment seraient apportées. Enfin, il serait mis un terme à l'insécurité juridique découlant de l'absence de textes clairs quant à la définition du point de départ de la recherche de la responsabilité de l'expert.

J'appelle l'ensemble des députés à soutenir cette proposition de loi, qui a d'ores et déjà été cosignée par plus de 120 de mes collègues.

Au-delà de ces aspects, je souhaiterais revenir sur les dispositions du présent projet de loi qui concernent plus particulièrement les experts.

Afin de pallier la pénurie d'experts qui, j'en conviens, est réelle, vous proposez, monsieur le ministre, de créer un contrat d'engagement relatif à la prise en charge psychiatrique des personnes placées sous main de justice. Or, plusieurs de mes collègues partagent l'avis selon lequel il n'est pas concevable de faire exercer, au sortir de leurs études, par de jeunes médecins inexpérimentés – nos internes ou nos jeunes praticiens hospitaliers sont en effet encore en apprentissage – le rôle difficile d'expert, l'inscription sur une liste d'experts nécessitant d'avoir exercé, pendant un temps suffisant, une profession ou une activité en rapport avec sa spécialité.

C'est pourquoi j'ai déposé un amendement de suppression de l'article 7 du projet de loi. En contrepartie, je défendrai un autre amendement visant à élargir le champ des personnes susceptibles d'être inscrites sur les listes, afin que nous puissions bénéficier d'experts aux profils et aux expériences variés, ayant exercé en France mais aussi dans l'Union européenne. Cet amendement permettrait, en outre, de mettre la réglementation française en conformité avec les exigences posées par la Cour de justice de l'Union européenne, à savoir, d'une part, l'obligation de motiver les décisions de refus d'inscription initiale d'un expert et, d'autre part, la prise en compte des qualifications acquises par un ressortissant de l'Union dans un autre État membre, lui permettant notamment de solliciter son inscription sur une liste nationale sans satisfaire à l'exigence d'un délai de cinq années d'inscription préalable sur une liste de cour d'appel. Cet amendement prévoit un système d'équivalence avec la qualification acquise dans un autre État membre par l'exercice pendant un temps suffisant d'activités dans le domaine de l'information des institutions judiciaires.

En conclusion, mes chers collègues, je souhaite que l'examen de ce projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines soit l'occasion pour nous d'engager un débat constructif sur la question du statut de l'expert, qui est un acteur indispensable de la chaîne pénale, soucieux de servir le service public de la justice dans la recherche de l'intérêt général.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Vanneste

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « qu'on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu'elle vient de l'impunité des crimes, non de leur modération ». La préoccupation à laquelle entend répondre le projet de loi que nous examinons est tout entière contenue dans cette réflexion de Montesquieu, célèbre Bordelais – cette précision ne déplaira pas au rapporteur. (Sourires.)

L'impunité et la lenteur de l'exécution des peines sont des encouragements à la délinquance, dans la mesure où la justice sanctionne des personnes libres et capables de réfléchir. Cette espérance humaniste est aussi une croyance populaire, c'est-à-dire une idée très répandue à l'UMP. (Sourires.) Les chiffres révélés en 2009 ont souligné l'ampleur du problème : le nombre des peines en attente était de 82 000 ; ce nombre a atteint 100 000 fin 2010 et il était encore de 85 800 en juin 2011. Même si le flux s'est accéléré, la loi pénitentiaire, essentiellement préoccupée de gestion hôtelière des prisons, a tendu à améliorer celle-ci par une augmentation des aménagements de peine et par un recours aux gadgets électroniques.

Certains, lors de l'examen du projet de loi, ont stigmatisé la surpopulation carcérale et sa prétendue cause : les lois répressives de la majorité. Pourtant, si le verre déborde, c'est sans doute parce qu'il est trop petit, et non parce qu'il y a trop de liquide.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Vanneste

Tout à l'heure, notre cher collègue Raimbourg évoquait l'hypothèse d'un numerus clausus. Si je le comprends bien, la réponse pénale devrait donc dépendre, non pas du nombre de délinquants, mais du nombre de places dans les prisons. Faut-il en déduire que le nombre des malades pouvant être soignés devrait dépendre du nombre de places à l'hôpital ? Ce serait là une curieuse conception de la politique, dans le fond assez proche de la définition du dirigisme étatique. Mais nous sommes, quant à nous, des libéraux : nous regardons la réalité avec le maximum de lucidité.

Je voudrais faire deux remarques et une proposition.

Tout d'abord, en France, le taux d'incarcération est plus faible que celui des pays comparables et le taux de surpopulation y est légèrement plus élevé qu'en Grande-Bretagne ou en Allemagne, par exemple. Une conclusion arithmétique s'impose : il faut construire d'urgence de nouvelles places de prison.

Ensuite, si les magistrats du siège sont indépendants lorsqu'ils prennent des décisions individuelles, ils sont néanmoins tenus d'appliquer une politique pénale définie par le législateur, qui exprime la volonté générale. Il n'est donc pas normal que la sévérité et la célérité des tribunaux ne soient pas les mêmes sur l'ensemble du territoire de la République.

Par ailleurs, Michèle Alliot-Marie, lorsqu'elle était ministre, m'avait confié la rédaction d'un rapport sur les travaux d'intérêt général. Cette question me paraît être au point de rencontre des deux remarques précédentes. En effet, le développement de cette mesure alternative, déjà signalé dans le rapport de 2003, me paraît, si on l'applique le plus systématiquement possible aux condamnés à moins de six mois d'emprisonnement, plus raisonnable que l'aménagement des peines de deux ans d'emprisonnement. Outre qu'elle permet d'éviter la prison aux primo-délinquants, elle est restauratrice de la personne, réparatrice, et même, éventuellement, formatrice. Si la Suisse, qui a un taux d'incarcération voisin du nôtre, a un taux d'occupation plus faible, c'est non seulement parce qu'elle a construit des prisons, mais aussi parce qu'elle a recours de façon massive à cette peine alternative.

Dans son rapport, Éric Ciotti a fixé un objectif de 30 000 TIG. Après une décrue entre 1999 et 2003, leur nombre a recommencé à augmenter. Monsieur le ministre, vous avez manifesté votre intérêt pour cette mesure, notamment en organisant, en juin dernier, un forum sur ce thème. Désormais, le TIG peut être proposé à 16 ans – il peut l'être à partir de 10 ans en Suisse. Vous avez bien voulu qu'une expérimentation plus intense et plus cohérente soit menée dans le cadre géographique du conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance de la vallée de la Lys dans le Nord. En fait, ce dispositif est déjà mis en oeuvre sur le territoire de manière exemplaire. Je pense à ce qui se fait à Saverne, chez notre collègue Émile Blessig, ou dans le Val-d'Oise, dont la pratique s'apparente à celle des cantons suisses.

Néanmoins, il paraît nécessaire de motiver l'ensemble des magistrats et des services d'insertion et de probation et de spécialiser des agents dans la recherche des partenaires et le suivi de l'exécution, afin que la mise en oeuvre des TIG ne demeure pas discontinue dans le temps et aléatoire dans l'espace. De la même manière, il faudrait que leur encadrement soit davantage formé, motivé et durable. Un recours au service civique permettrait d'accroître les moyens humains. Enfin, l'installation et le développement de chantiers permanents – comme il en existe un dans le Val-d'Oise ou, de manière plus étendue, en Suisse – compléteraient le dispositif.

En somme, le développement des TIG est un moyen d'allier la modération dans la sanction à la fermeté dans l'exécution et, à cet égard, il n'aurait pas déplu à Montesquieu. (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Mes chers collègues, si chacun respecte son temps de parole, nous pourrons entendre ce soir l'ensemble des orateurs présents.

La parole est à Mme George Pau-Langevin.

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc une nouvelle fois réunis pour examiner un projet de loi relatif à la lutte contre la récidive et à l'exécution des peines. Il est vrai que l'on pouvait s'y attendre, après les crimes affreux qui ont été commis récemment, notamment le meurtre, au mois de novembre, d'une adolescente de treize ans en Haute-Loire.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Non !

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

Mais cela n'a pas traîné, puisque ce projet de loi a été présenté en conseil des ministres dès le 23 novembre.

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

Ce texte vise notamment à mettre en oeuvre les mesures annoncées par le Président de la République lors du discours qu'il a prononcé à Réau…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Ça, c'est vrai !

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

…après l'agression, au mois de septembre, d'une surveillante pénitentiaire. Il n'est pas de bonne méthode que les faits divers dictent la politique pénitentiaire de notre pays. Or, c'est le cas de chacun des textes que vous nous présentez.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est faux !

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

Votre projet de loi est fondé sur l'idée selon laquelle les peines prononcées doivent être exécutées. C'est l'évidence même : si des magistrats sont chargés de prononcer des peines et qu'ils les prononcent, c'est pour qu'elles soient exécutées. Mais, si elles ne le sont pas, il faut s'interroger sur les causes de tels dysfonctionnements. On s'apercevrait que ceux-ci sont très souvent dus à un manque de moyens, qu'il s'agisse de places de prison, de TIG ou de greffiers. La solution la plus simple consisterait donc à allouer à la justice les moyens nécessaires à son bon fonctionnement,…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est précisément l'objet du projet de loi !

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

…plutôt qu'à présenter un nouveau projet de loi, comme vous le faites.

Ainsi, le projet de loi prévoit la convocation dans les cinq jours, par les services de la protection judiciaire de la jeunesse, d'un mineur faisant l'objet d'une mesure ou sanction éducative. Pour ce faire, il faudrait prévoir suffisamment de personnels pour que les convocations puissent avoir lieu et suffisamment de greffiers ou de secrétaires pour enregistrer les décisions. Vous venez nous dire, très sérieusement, qu'il faut exécuter les jugements. Bien sûr qu'il faut exécuter les jugements, personne ne dira le contraire !

Vous faites trop souvent fi du bon sens. Par exemple, quand vous allongez la durée des incarcérations et augmentez les motifs d'incrimination, il ne faut pas vous étonner ensuite de voir exploser la population carcérale ! Il ne sert à rien de multiplier par deux le temps d'incarcération quand on sait parfaitement qu'on n'aura pas les moyens d'assurer celle-ci. De même, il serait intéressant de développer les alternatives à l'incarcération – qui coûtent d'ailleurs moins cher – et d'essayer de mettre à profit le temps de détention pour resocialiser les détenus, régler certains problèmes, entreprendre éventuellement des thérapies, lutter contre l'illettrisme, dispenser des formations – car, si longue que soit la détention, elle s'achève toujours par une sortie, qu'il convient de préparer.

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

Le projet de loi contient des dispositions intéressantes. Qui peut être contre l'idée de développer les bureaux d'aide aux victimes ou les bureaux d'exécution des peines ? C'est très bien, mais à condition de se donner les moyens de le faire vraiment ! Certains intellectuels ou universitaires nous reprochent parfois de faire des lois bavardes. Si ce jugement me paraît habituellement sévère, j'avoue me demander s'il n'est pas en partie justifié, quand je vois un projet de loi de ce genre.

La deuxième idée fausse que ce texte me paraît contenir est celle, chère, à notre collègue Ciotti, selon laquelle il n'y aurait pas assez de détenus en France, ce qui est censé justifier la création de places de prison supplémentaires. M. Garraud avait rapporté une loi intéressante, prévoyant des peines alternatives à l'incarcération. Mais pourquoi vous être arrêté en chemin, mon cher collègue ? C'est bien dommage, car construire des places de prison coûte extrêmement cher, beaucoup plus que de créer des SPIP !

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté attire notre attention sur une chose extrêmement importante, dont vous ne tenez pourtant pas compte : les problèmes engendrés par la création d'établissements d'une trop grande taille. Alors que tous les spécialistes s'accordent pour considérer qu'il vaut mieux réduire la taille des prisons, vous décidez d'augmenter la taille des établissements existants ! C'est un peu désespérant : à quoi sert-il de travailler, de débattre sur cette question, de demander l'avis d'experts, si c'est pour voir le Gouvernement s'obstiner dans l'erreur ? Dans six mois, il viendra dire qu'il ne comprend pas pourquoi les mesures qu'il a adoptées ne fonctionnent pas ! C'est à chaque fois la même chose, et il me semble qu'en nous écoutant un peu vous auriez pu éviter bien des déboires et permettre que les crédits soient utilisés à bon escient !

Je n'ai rien contre le fait de mettre en oeuvre une loi de programmation. Toutefois, quand vous nous dites qu'il faudra attendre 2014, 2015 ou 2016 pour savoir si les mesures qu'elle comporte seront financées, ne pensez-vous pas qu'il serait temps que nous nous mettions à travailler sérieusement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question des prisons m'occupe depuis de nombreuses années. Puisque nous parlons de la taille des établissements, je commencerai par évoquer la prison de Fleury-Mérogis, la plus grande d'Europe. Je veux d'abord rendre hommage au travail de l'administration pénitentiaire, en particulier des surveillants. Je connais la difficulté de ce métier, marqué par une violence de plus en plus importante ces dernières années. Quand on dit que la délinquance a changé de nature, il ne faut pas oublier que c'est vrai également à l'intérieur des prisons. Il faut avoir passé une heure ou deux sur une coursive pour avoir une idée de la violence des détenus, qui se jettent sur les portes et hurlent en permanence, et de l'angoisse des surveillants, qui se demandent toujours ce qui les attend derrière la porte d'une cellule.

La délinquance s'est endurcie et donne lieu à des comportements violents qui n'existaient pas, auparavant, à l'intérieur des prisons : c'est pourquoi il faut faire très attention à l'augmentation du nombre de détenus, et réserver la prison aux cas pour lesquels toute autre alternative est impossible, ou pour lesquels la nature des crimes commis justifie la détention et la mise à l'écart de leurs auteurs.

En matière de justice, la pire chose à laquelle on puisse s'attendre est la justice émotionnelle – et, dans ce domaine, M. Estrosi est allé très loin. La justice émotionnelle, un concept né ces dernières années, consiste à rendre la justice sous le coup du choc et de l'émotion suscités par des images télévisées. On légifère désormais sous la pression constante de l'émotion, certes légitime, des victimes, de leurs familles et amis. Le rôle du législateur – notre rôle – est de rappeler quelle est la véritable fonction de la justice. Nous n'en sommes plus à la loi du talion : la justice a d'abord pour fonction de permettre que l'auteur d'un acte délictueux soit sanctionné. De ce point de vue, la meilleure des sanctions est celle qui ne sera pas suivie d'une récidive, ou qui servira d'exemple à ceux qui pourraient être tentés de se comporter de manière délictueuse.

Notre travail est de défendre les victimes actuelles, mais aussi les victimes futures, en faisant en sorte d'éviter les récidives. Toute politique pénale et carcérale doit être sous-tendue par cette idée. Comme nombre d'entre vous, mes chers collègues, je me suis rendu dans d'autres pays, j'ai étudié d'autres modèles de système carcéral. Qu'on le veuille ou non, la prison constitue toujours, par essence, un univers criminogène, du fait de la violence qui y règne. On a beau mettre un détenu par cellule, multiplier les mesures d'encadrement, la prison reste un milieu criminogène, d'où les êtres les plus fragiles ressortent forcément transformés.

Lors de la mise en place de la loi sur la détention provisoire, Lionel Jospin m'avait confié un certain nombre de missions. J'ai, dans ce cadre, rencontré les familles de victimes de crimes graves, notamment de crimes pédophiles. Les familles concernées avaient effectué des recherches très intéressantes, consistant à retracer le parcours criminogène des criminels. Le résultat de ces recherches, que j'ai pu consulter, faisait apparaître, dans la plupart des cas, un parcours passant par la prison. Les criminels concernés s'étaient transformés, à l'issue de leur incarcération, en êtres incontrôlables, ne pouvant maîtriser la violence qu'ils avaient subie en prison, et portaient désormais en eux.

Chacun sait que les délinquants sexuels, appelés « pointeurs » dans le jargon de la prison, se voient réserver un traitement particulier par certains de leurs codétenus. Des détenus « VIP » de plusieurs prisons m'ont ainsi rapporté avoir entendu, la nuit, les cris de « pointeurs » contre lesquels les autres détenus exerçaient des violences. Nous devons donc être très prudents, et ne pas tomber dans le travers consistant à sanctionner chaque acte délictueux par une peine de prison, en réaction à la souffrance des victimes. Quand les tribunaux sont débordés et que les juges ne disposent pas forcément de tous les moyens qu'ils souhaitent, il est facile de se donner bonne conscience en prononçant une lourde peine d'emprisonnement. Notre travail consiste justement à éviter cette fuite en avant.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Dray

Comme l'a expliqué mon collègue Urvoas, la probation est difficile à faire comprendre, alors qu'il est très facile de recourir au « tout-carcéral », qui résout tous les problèmes rapidement, mais de manière superficielle, et donne bonne conscience à l'ensemble de la société. Il est plus compliqué de faire comprendre pourquoi il vaut mieux doser telle ou telle peine : souvent, on va prendre pour de la mansuétude ce qui correspond avant tout à la volonté d'éviter la récidive, donc de nouvelles victimes.

Le travail que je viens de décrire n'a pas été effectué dans les années qui viennent de s'écouler. Que vous l'admettiez ou non, vous avez multiplié les lois de circonstance, durcissant à chaque fois les peines d'emprisonnement. Le Président de la République m'a expliqué à plusieurs reprises que si nous, parlementaires, votons les lois, lui-même se retrouve souvent, pour sa part, confronté aux familles des victimes, face auxquelles il doit trouver les mots justes, au nom de la société. Si je peux le comprendre, il ne me paraît pas normal que, pour préserver sa dignité face à ces familles, le Président de la République ne trouve pas d'autre moyen que celui consistant à annoncer des durcissements de la législation pénale, notamment en ce qui concerne les peines d'emprisonnement : pour moi, ce n'est pas la bonne réponse.

En réalité, votre loi est un constat d'échec : vous affirmez vouloir améliorer l'effectivité des peines, alors que vous êtes au pouvoir depuis dix ans ! Reconnaître que vous avez attendu dix ans pour vous donner les moyens des objectifs que vous affichez dans ce domaine, c'est là une véritable sanction de votre propre politique. Nous ne pouvons donc pas vous suivre et souscrire au consensus que vous demandez au nom des victimes.

Que les choses soient claires : il n'y a pas, d'un côté, ceux qui ne pensent qu'à enfermer et, de l'autre, ceux qui ne pensent qu'à ouvrir les portes des prisons, permettant aux délinquants de récidiver ! Dans les années 1980, ici même, certains parlementaires de droite faisaient la guerre aux projets de Robert Badinter. Évitons de nous livrer, aujourd'hui, à ce genre de caricatures ! Nous sommes tous du côté des victimes et cherchons simplement comment faire en sorte d'améliorer l'efficacité du dispositif pénal, afin d'éviter la récidive.

Sur ce point, il y a deux philosophies, deux orientations politiques très distinctes – ce qui contredit, au moins sur ce point, l'idée selon laquelle il n'y aurait plus beaucoup de différences entre la droite et la gauche. La mise en oeuvre de vos idées lors des dix dernières années n'a pas fait reculer la délinquance dans notre pays, quoi que vous en disiez et quels que soient les chiffres que vous citez. La délinquance s'est endurcie pour aboutir aujourd'hui à des situations incroyables, notamment à Marseille, où les kalachnikovs sont quasiment en vente libre, voire en solde, dans certaines cités ! Le ministre de l'intérieur a beau passer son temps à affirmer que les choses iront mieux dans six mois, je n'ai pas l'impression, pour ma part, qu'elles se soient améliorées lors des deux années qui viennent de s'écouler – à Marseille comme ailleurs. Force est de reconnaître que, face au durcissement de la délinquance, le « tout-carcéral » que vous proposez n'a rien réglé !

Nous proposons, pour notre part, de construire une politique pénale équilibrée : il ne s'agit pas d'augmenter les moyens de la justice dans une optique presque exclusivement carcérale, comme vous le faites, mais de mettre en oeuvre une véritable politique de probation.

Je terminerai mon propos par un pied de nez. Au cours des débats parlementaires, M. Vanneste nous aura habitués à toutes les couleurs. Et, ce soir, à cette tribune, il nous dit que, finalement, les travaux d'intérêt général sont une bonne chose et qu'il faut les encourager. C'est un hommage que M. Vanneste rend à la gauche, et cela méritait d'être souligné ! (Sourires.)

Debut de section - PermalienPhoto de Guénhaël Huet

Monsieur Dray, je suis d'accord avec vous : il faut éviter la caricature. Mais il faut les éviter toutes !

Les peines prononcées par des magistrats au nom du peuple français doivent être exécutées. Personne ne peut raisonnablement s'opposer à ce principe de base, car il est la condition impérative à un bon fonctionnement de nos institutions et à l'équilibre de notre société.

La sanction pénale a une double fonction : d'abord, protéger la société, ensuite – mais seulement ensuite –favoriser la réinsertion des personnes condamnées.

Depuis la réforme de 1994, notre droit pénal repose sur le principe de l'individualisation de la peine. Il s'agit d'une raison supplémentaire pour que les peines prononcées soient effectivement exécutées.

Ainsi que l'a indiqué notre rapporteur, Jean-Paul Garraud, l'exécution des peines n'est devenue une préoccupation des pouvoirs publics que depuis une dizaine d'années. Auparavant régnait une sorte d'abstraction pénale qui donnait priorité à la procédure et non au résultat.

Monsieur le garde des sceaux, on ne peut que soutenir un texte dans lequel la logique juridique et le bon sens se rejoignent. On ne peut que soutenir un texte qui, manifestement, sera un outil supplémentaire au service de la lutte contre la délinquance, domaine dans lequel le Gouvernement a enregistré, depuis cinq ans, des résultats incontestables.

La réalité finit toujours par rattraper ceux qui se réfugient dans un idéalisme, un intellectualisme ou un angélisme de mauvais aloi. Nos collègues de l'opposition n'ont, du reste, aucune leçon à donner, eux qui n'ont rien fait ou si peu lorsqu'ils étaient au pouvoir, pour lutter contre la surpopulation carcérale ou pour la prise en charge des délinquants mineurs.

À l'inverse, le présent projet de loi affiche l'ambition de la création de 24 000 places de prison et de vingt nouveaux centres éducatifs fermés dans les cinq années à venir. Le rapport remis au garde des sceaux par Jean-Luc Warsmann en 2003 est l'un des premiers éléments d'une nécessaire rupture avec le passé. Il y était fait le constat d'une situation alarmante en matière d'exécution de peines, qu'elles fussent des peines d'emprisonnement de courte de durée, des peines de travail d'intérêt général ou de sursis avec mise à l'épreuve.

La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité avait, à l'époque, repris la plus grande partie des recommandations du rapport Warsmann.

La loi du 10 août 2007, l'un des premiers textes que nous ayons voté au cours de cette législature, a renforcé la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

La loi du 25 février 2008 a créé la rétention de sûreté et la surveillance de sûreté pour prévenir la récidive des crimes les plus graves.

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a retenu l'objectif de limiter le recours à l'emprisonnement –contrairement à ce qui vient d'être dit, il ne s'agit donc pas d'une politique du « tout-carcéral » – chaque fois qu'une peine alternative apparaissait possible.

Enfin, la loi du 10 mars 2010 visant à amoindrir le risque de récidive criminelle a renforcé notre dispositif pénal.

Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui s'inscrit dans la même logique de renforcement de l'effectivité de la réponse pénale. Il constitue, à cet égard, à la fois une réponse appropriée à la situation actuelle et à l'attente de nos concitoyens qui ne peuvent, ni comprendre, ni accepter qu'une peine prononcée reste lettre morte. Il s'agit de compléter la chaîne pénale, de renforcer l'effectivité de la réponse pénale, de mieux prendre en compte l'intérêt des victimes, de restaurer la confiance dans notre justice, au final d'assurer la protection de la société.

Pour toutes ces raisons, monsieur le garde des sceaux, la majorité soutient ce texte très ambitieux, très cohérent et, je n'en doute pas, très utile.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Merci ! M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Prochaine séance, mercredi 11 janvier 2012 à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Vote solennel sur le projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 11 janvier 2012, à une heure cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,

Nicolas Véron