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Intervention de Dominique Raimbourg

Réunion du 10 janvier 2012 à 21h30
Exécution des peines — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Raimbourg :

La réponse, hélas, est négative. Or, en dépit de cet échec, il nous est demandé de programmer 80 000 places de prison à l'horizon de 2017.

Cette fuite en avant est d'autant plus inacceptable qu'elle est fondée sur de fausses hypothèses. Ce chiffre de 80 000 places provient d'un rapport de l'inspection judiciaire qui rappelle que 80 000 peines sont en attente d'exécution. Cela n'a rien de surprenant : bon an mal an, le nombre de peines d'emprisonnement prononcées se monte à 120 000 ; lorsqu'une peine est inférieure à deux ans d'emprisonnement, elle est aménageable ; or la procédure d'aménagement, qui a recueilli un accord à peu près unanime à l'Assemblée, demande du temps, si bien que, à un moment donné, il y a forcément des peines d'emprisonnement en attente d'aménagement.

Pour autant, ces peines ne sont pas inexécutées. Est dite inexécutée une peine, sanctionnant un délit, qui n'a pas commencé à être exécutée au terme de la période de prescription de cinq ans, et qui ne peut donc plus l'être. Comme toujours en matière de statistiques judiciaires, nous n'avons aucune information à ce sujet, nous sommes dans le flou le plus total et ne connaissons pas le nombre de peines inexécutées.

C'est le même flou qui prévaut en matière de délinquance : depuis dix ans, nous nous servons d'un chiffre unique issu de l'état 4001. Ce chiffre, martelons-le, ne mesure pas l'état de la délinquance, mais l'activité des services de police. S'il est statistiquement juste, il est factuellement faux, car il ne rend pas compte de l'évolution réelle de la délinquance. Face à la vague d'assassinats qui ensanglante la ville de Marseille, entendre le ministre de l'intérieur affirmer que les chiffres de la délinquance sont bons serait drôle, comme une scène à la Buster Keaton, si ce n'était dramatique. Cela trahit une absence totale de maîtrise de la situation : les chiffres pris en compte ne reflètent absolument pas la réalité.

On nous explique donc qu'il y a 80 000 peines en attente d'exécution. Mais il n'est pas prouvé que cela justifie la création de 80 000 places de prison. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Au-delà des chiffres inexacts, ce projet de loi de programmation trahit une fixation sur les faits criminels. Je comprends la préoccupation de M. le rapporteur et je la partage. Il est important de s'intéresser aux grands crimes, à ces grands prédateurs qui font la une des journaux télévisés. Mais c'est considérablement manquer d'ambition que de limiter la question de la récidive aux grands prédateurs. Il est bien évidemment très important de lutter contre la récidive. Mais il ne faut pas pour autant oublier la réalité de la délinquance au quotidien. Les récidivistes, ce sont avant tout des conducteurs qui prennent le volant en état d'ivresse, des voleurs qui vivent de la délinquance. D'un point de vue statistique, la récidive des de grands prédateurs est fort heureusement très faible. Il faut certes s'en préoccuper – vous avez raison de le souligner, monsieur le rapporteur –, mais la réalité, pour nos concitoyens, ce sont des vols à répétition, le trafic de stupéfiants. Pour ce qui concerne les chiffres du trafic de stupéfiants, je renvoie à l'étude réalisée par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies et aux travaux du chercheur Christian Ben Lakhdar, qui estime que le nombre de dealers varie entre 70 000 et 140 000 personnes – fourchette très large. Voilà la réalité du quotidien de nos concitoyens. Si les médias se focalisent sur les grands prédateurs, c'est parce que la délinquance du quotidien n'est pas traitée.

La fuite en avant que j'évoquais se fait au mépris de tout ce qui a été réalisé jusqu'ici, notamment des règles de bonne gestion que nous nous étions engagés à appliquer. Oubliés la loi pénitentiaire et l'encellulement individuel ! On ne nous dit pas si les prisons qui seront construites permettront, d'un point de vue architectural, que soit enfin respectée la règle de un homme par cellule, qui a bien du mal à être appliquée, quoique, je vous le rappelle, elle date de 1875.

Oubliées également toutes les remarques sur la prudence en matière de partenariat public-privé. Peut-être n'ai-je pas lu le rapport avec une attention suffisante : j'ai découvert en vous écoutant, monsieur le garde des sceaux, que seule la moitié des établissements seront construits en partenariat public-privé. Ne nous lançons-nous pas tout de même dans une opération qui mettra à la charge du ministère des frais de loyer extrêmement importants ? Pourrons-nous y faire face ? Nos règles comptables nous permettent de mesurer un investissement, un fonctionnement. Or, en l'occurrence, nous achetons de l'investissement et du fonctionnement clé en main, sans savoir exactement ce qu'il faudra payer, ni comment seront calculés les loyers dus à l'exploitant de ces futurs établissements pénitentiaires.

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