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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 10 janvier 2012 à 21h30
Exécution des peines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Dès lors, évidemment, la première étape pour éviter la récidive est d'éviter l'emprisonnement qui aggrave la situation sociale, psychique, familiale des personnes, perpétue des phénomènes de violence et enferme les personnes dans un statut de délinquant.

Rappelons que le Conseil de l'Europe considérait, en novembre 2005, que, dans la plupart des cas, la privation de liberté était loin d'être le meilleur recours pour aider l'auteur d'une infraction à devenir membre à part entière d'une société respectueuse de la loi.

Voilà pourquoi il faut mettre en avant la probation, par opposition à l'élimination.

Faire le choix de la probation, c'est privilégier la responsabilisation et, au sens propre, la mise à l'épreuve du condamné, quand la prison favorise au contraire des attitudes de déresponsabilisation.

Faire le choix de la probation, c'est permettre la réparation du trouble causé par l'infraction, tant à l'égard de la société que de la victime, alors que la prison contribue au contraire à nourrir ce trouble indéfiniment.

Faire le choix de la probation, c'est préférer la souplesse et le dynamisme dans l'exécution de la peine quand le tout-carcéral conduit à une répression rigide et stérile.

Faire le choix de la probation, c'est enfin encourager des dispositifs à moindre coût en milieu ouvert, alors que la prison coûte cher. Une journée de détention coûte 84 euros contre 27 pour une journée de placement en extérieur : ce sont les chiffres qui nous ont été fournis lors de l'examen du projet de budget 2012.

Plutôt que de réduire votre vision à une politique d'exécution des peines centrée sur l'administration pénitentiaire, vous auriez été plus inspiré de nous proposer de créer, à partir des actuels SPIP, un véritable service judiciaire de l'exécution des peines.

Organisé sur le modèle de la PJJ, il aurait pour vocation d'englober l'ensemble des établissements de milieu ouvert et fermé. Il permettrait de garantir une véritable homogénéité de la prise en charge des condamnés sur tout le territoire en permettant, notamment, de mieux encadrer l'intervention des acteurs éducatifs. Il mettrait fin, au bénéfice de la probation, à la dualité de cultures professionnelles au sein des services en charge de l'exécution des peines.

Une telle évolution institutionnelle incarnerait sans équivoque une alternative à la fois évidente et innovante à l'actuelle administration pénitentiaire, incapable de se moderniser malgré le dévouement de ses personnels. Las, vous préférez vous complaire dans une crispation dogmatique sur le tout-carcéral.

Vous n'avez même pas saisi cette occasion pour tenter d'éclairer les citoyens sur le décalage entre la peine prononcée et la peine exécutée. Il est tout à fait normal de s'interroger sur l'existence de ce décalage, encore faut-il le faire sur des bases de réflexions correctes qu'il convient d'assumer. Plutôt que de nous lancer dans une polémique stérile, posons-nous la question de la manière dont les peines sont prononcées dans notre pays.

Les tribunaux ont parfois tendance à juger trop vite, sans disposer des informations suffisantes, et peinent dès lors à individualiser la sanction de façon optimale. Telle est bien souvent la raison pour laquelle ils renvoient aux juges de l'application des peines le soin de procéder dans un second temps, aux ajustements et rectifications nécessaires.

Il ne faut donc pas confondre les peines en attente d'exécution et les peines inexécutées. La proportion de ces dernières est faible, même si elle est difficilement supportable pour la société et les victimes.

L'un de nos collègues, Étienne Blanc, avait, en février 2011, élaboré un rapport d'information sur les carences de l'exécution des peines. Il avait relevé que le taux de mise à exécution des peines d'emprisonnement ferme prononcées entre 2005 et 201, se situait entre 93 et 94 % un an après leur prononcé. Sur la seule année de 2009, il avait calculé que 96,4 % des peines de prison ferme prononcées en 2007 étaient exécutées. Autrement dit, seules 3 à 4 % d'entre elles ne sont pas appliquées. Bien sûr, ce taux est encore trop élevé, mais néanmoins relativement réduit par rapport à l'ensemble des peines prononcées.

En conclusion, je voudrais revenir sur la saturation de la machine judiciaire qui explique en grande partie les retards pris dans l'exécution des peines.

L'encombrement débute dès le tribunal. Les jugements sont rendus mais ne sont pas dactylographiés. Seules existent des notes d'audience manuscrites d'une clarté toute relative. D'autre part, les sentences ne sont pas toujours vérifiées. C'est pourquoi de nombreux parquets refusent aujourd'hui de mettre à exécution sur cette seule base, considérant à juste raison que l'on prend des risques juridiques importants à travailler sur des notes d'audience. Enfin, un « stockage » s'opère ensuite au niveau des parquets.

Bien que la gravité du mal varie selon les instances, l'exécution des peines demeure le « parent pauvre » de notre système judiciaire. Ce n'est que très récemment que les procureurs ont commencé à affecter du personnel à cette section. Il n'est pas rare, notamment à Paris, que les jugements soient exécutés avec un ou deux ans de retard.

L'échelon des juges de l'exécution des peines constitue un autre goulot d'étranglement. Là aussi, les délais d'attente sont importants. Les problèmes concernent surtout les aménagements de jugement transmis par le parquet, plus rarement le lancement de mesures de sursis ou de mise à l'épreuve.

Dans le cas des aménagements de peine, le juge de l'application des peines dispose théoriquement de quatre mois pour remplir sa mission : convocation de l'intéressé, examen de sa demande et des justificatifs qu'il fournit, sollicitation de l'avis du parquet. Initialement, l'aménagement devait faire l'objet d'une enquête de faisabilité menée par le SPIP mais cette procédure pouvait prendre de nombreux mois.

Aujourd'hui, bien souvent, ce sont les JAP qui reçoivent directement les personnes condamnées et qui examinent leurs éventuels justificatifs. Il arrive même que, si l'aménagement a été décidé dans les délais impartis, soit quatre à six mois, le traitement du dossier en aval peine à aboutir. Les places en semi-liberté ne sont pas assez nombreuses et le délai d'attente s'élève à un ou deux mois.

Quant au délai nécessaire à l'obtention d'un bracelet électronique, il peut atteindre quatre à six mois. Ce sont en effet les surveillants de prison qui gèrent le dispositif, et ils ne sont pas encore assez nombreux.

Le problème est d'ailleurs de même nature lorsque est prise une décision de travail d'intérêt général : la mission incombe au SPIP qui, faute d'effectifs suffisants, ne peut satisfaire les demandes dans un délai raisonnable.

Il est surprenant de constater à quel point votre texte n'évoque pas ces questions et s'affranchit à bon compte de cette réalité. Vous faites comme si la machine judiciaire n'était pas saturée, alors qu'un tiers de l'activité des tribunaux correctionnels est consacré aux délits routiers, ce qui entraîne une multitude de peines à aménager ou de mises à l'épreuve, qui asphyxient les juges de l'application des peines et les détournent, malgré eux, d'affaires bien plus graves qui réclameraient toute leur attention.

En résumé, ce texte est inutile et ne fait que traduire une politique de l'autruche vouée à l'échec en matière de récidive.

Les politiques qui misent sur l'incarcération ne sont pas efficaces, mais vous refusez de l'admettre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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