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Intervention de Julien Dray

Réunion du 10 janvier 2012 à 21h30
Exécution des peines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Dray :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question des prisons m'occupe depuis de nombreuses années. Puisque nous parlons de la taille des établissements, je commencerai par évoquer la prison de Fleury-Mérogis, la plus grande d'Europe. Je veux d'abord rendre hommage au travail de l'administration pénitentiaire, en particulier des surveillants. Je connais la difficulté de ce métier, marqué par une violence de plus en plus importante ces dernières années. Quand on dit que la délinquance a changé de nature, il ne faut pas oublier que c'est vrai également à l'intérieur des prisons. Il faut avoir passé une heure ou deux sur une coursive pour avoir une idée de la violence des détenus, qui se jettent sur les portes et hurlent en permanence, et de l'angoisse des surveillants, qui se demandent toujours ce qui les attend derrière la porte d'une cellule.

La délinquance s'est endurcie et donne lieu à des comportements violents qui n'existaient pas, auparavant, à l'intérieur des prisons : c'est pourquoi il faut faire très attention à l'augmentation du nombre de détenus, et réserver la prison aux cas pour lesquels toute autre alternative est impossible, ou pour lesquels la nature des crimes commis justifie la détention et la mise à l'écart de leurs auteurs.

En matière de justice, la pire chose à laquelle on puisse s'attendre est la justice émotionnelle – et, dans ce domaine, M. Estrosi est allé très loin. La justice émotionnelle, un concept né ces dernières années, consiste à rendre la justice sous le coup du choc et de l'émotion suscités par des images télévisées. On légifère désormais sous la pression constante de l'émotion, certes légitime, des victimes, de leurs familles et amis. Le rôle du législateur – notre rôle – est de rappeler quelle est la véritable fonction de la justice. Nous n'en sommes plus à la loi du talion : la justice a d'abord pour fonction de permettre que l'auteur d'un acte délictueux soit sanctionné. De ce point de vue, la meilleure des sanctions est celle qui ne sera pas suivie d'une récidive, ou qui servira d'exemple à ceux qui pourraient être tentés de se comporter de manière délictueuse.

Notre travail est de défendre les victimes actuelles, mais aussi les victimes futures, en faisant en sorte d'éviter les récidives. Toute politique pénale et carcérale doit être sous-tendue par cette idée. Comme nombre d'entre vous, mes chers collègues, je me suis rendu dans d'autres pays, j'ai étudié d'autres modèles de système carcéral. Qu'on le veuille ou non, la prison constitue toujours, par essence, un univers criminogène, du fait de la violence qui y règne. On a beau mettre un détenu par cellule, multiplier les mesures d'encadrement, la prison reste un milieu criminogène, d'où les êtres les plus fragiles ressortent forcément transformés.

Lors de la mise en place de la loi sur la détention provisoire, Lionel Jospin m'avait confié un certain nombre de missions. J'ai, dans ce cadre, rencontré les familles de victimes de crimes graves, notamment de crimes pédophiles. Les familles concernées avaient effectué des recherches très intéressantes, consistant à retracer le parcours criminogène des criminels. Le résultat de ces recherches, que j'ai pu consulter, faisait apparaître, dans la plupart des cas, un parcours passant par la prison. Les criminels concernés s'étaient transformés, à l'issue de leur incarcération, en êtres incontrôlables, ne pouvant maîtriser la violence qu'ils avaient subie en prison, et portaient désormais en eux.

Chacun sait que les délinquants sexuels, appelés « pointeurs » dans le jargon de la prison, se voient réserver un traitement particulier par certains de leurs codétenus. Des détenus « VIP » de plusieurs prisons m'ont ainsi rapporté avoir entendu, la nuit, les cris de « pointeurs » contre lesquels les autres détenus exerçaient des violences. Nous devons donc être très prudents, et ne pas tomber dans le travers consistant à sanctionner chaque acte délictueux par une peine de prison, en réaction à la souffrance des victimes. Quand les tribunaux sont débordés et que les juges ne disposent pas forcément de tous les moyens qu'ils souhaitent, il est facile de se donner bonne conscience en prononçant une lourde peine d'emprisonnement. Notre travail consiste justement à éviter cette fuite en avant.

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