Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de programmation qui nous est soumis vise à donner à la justice les moyens nécessaires pour atteindre l'objectif d'une exécution efficace des peines prononcées par les magistrats.
Intimement liée à la confiance que chacun place dans la justice de notre pays, la garantie d'une réponse pénale effective implique notamment de prendre en compte, dans un souci de protection de la société, la prévention de la récidive. Le projet de loi cherche à atteindre cet objectif en proposant de renforcer le système d'évaluation de la dangerosité des personnes condamnées, système dont l'expert est précisément l'un des acteurs essentiels.
Ainsi, réfléchir aux moyens d'assurer l'exécution des décisions de justice consiste également à s'interroger sur le statut de l'expert et sur le rôle qui lui incombe au sein de notre système judiciaire. Or, l'organisation de l'expertise judiciaire française semble profondément remise en cause par un arrêt rendu le 17 mars 2011 par la Cour de justice de l'Union européenne, l'arrêt Penarroja.
C'est dans ce contexte, et partant du constat que le système français des listes d'experts est menacé dans le contentieux européen en raison des critiques de la Commission européenne et de l'Autorité de surveillance de l'Association européenne de libre-échange, que j'ai déposé, en septembre dernier, une proposition de loi relative aux experts.
Voir ces instances considérer que les missions accomplies par les experts de justice français sont des prestations de service au sens de l'article 50 du traité de l'Union européenne pouvait en effet laisser penser que l'expertise française allait entrer dans un cadre contractuel puis glisser vers le système accusatoire de la common law . Dès lors, l'expert du juge disparaîtrait au profit des experts de parties. Or, une telle évolution ne peut que générer un état d'inégalité des justiciables car peu d'entre eux auraient les moyens financiers de s'adjoindre le concours des meilleurs experts.
La principale leçon à tirer de l'affaire Penarroja est précisément que le statut de l'expert n'est pas clairement défini, que le système français est menacé par ses propres ambiguïtés et que le temps est venu d'y remédier sous peine de le voir à plus ou moins long terme disparaître purement et simplement. En conséquence, ma proposition de loi relative aux experts vise à défendre le système français en dotant l'expert d'un véritable statut de collaborateur occasionnel du service public de la justice, sans pour autant reconnaître une nouvelle profession réglementée.
Le 8 décembre 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 37 du chapitre XI relatif aux experts judiciaires de la loi relative à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles. Clarifier la situation par une proposition de loi n'en est donc que plus indispensable.
Cette proposition de loi tend à définir l'expert de justice, en prévoyant un socle sur lequel reposerait le statut de l'expert collaborateur occasionnel du service public de la justice, quelle que soit la juridiction qui le désigne, en matière civile, pénale et administrative. La loi de 1971 pourrait ainsi devenir la loi des experts de justice.
Le texte précise également que la rémunération de cet expert sera fixée, sur sa proposition, par la juridiction qui l'aura désigné, dans des conditions définies par décret. Des dispositions réglementaires devraient ainsi clarifier le système inapplicable prévu par la loi du 23 décembre 1998. Sur ce point, monsieur le ministre, il faudra vraiment faire quelque chose, car ce texte est facteur d'instabilité et engendre des problèmes, notamment en matière de fiscalité. Les experts ont besoin de précision et de sécurité dans ce domaine et les pouvoirs publics ne peuvent laisser subsister la confusion régnant actuellement entre les ministères de la justice, des finances et des affaires sociales ; Mme Malbec en est, du reste, totalement persuadée.
Par ailleurs, les décisions d'inscription et de réinscription sur les listes d'experts de justice devraient être motivées et pourraient faire l'objet d'un recours juridictionnel effectif. Les conditions requises pour cette inscription seraient la compétence, l'expérience et la moralité du candidat. Un décret en Conseil d'État préciserait les modalités d'établissement des listes, en respectant les spécificités des juridictions administratives. Quant aux décisions de retrait et de radiation d'un expert, elles seraient prononcées par l'autorité qui aurait pris la décision de son inscription, selon des modalités fixées par décret pris en Conseil d'État.
Par ailleurs, des précisions sur le serment seraient apportées. Enfin, il serait mis un terme à l'insécurité juridique découlant de l'absence de textes clairs quant à la définition du point de départ de la recherche de la responsabilité de l'expert.
J'appelle l'ensemble des députés à soutenir cette proposition de loi, qui a d'ores et déjà été cosignée par plus de 120 de mes collègues.
Au-delà de ces aspects, je souhaiterais revenir sur les dispositions du présent projet de loi qui concernent plus particulièrement les experts.
Afin de pallier la pénurie d'experts qui, j'en conviens, est réelle, vous proposez, monsieur le ministre, de créer un contrat d'engagement relatif à la prise en charge psychiatrique des personnes placées sous main de justice. Or, plusieurs de mes collègues partagent l'avis selon lequel il n'est pas concevable de faire exercer, au sortir de leurs études, par de jeunes médecins inexpérimentés – nos internes ou nos jeunes praticiens hospitaliers sont en effet encore en apprentissage – le rôle difficile d'expert, l'inscription sur une liste d'experts nécessitant d'avoir exercé, pendant un temps suffisant, une profession ou une activité en rapport avec sa spécialité.
C'est pourquoi j'ai déposé un amendement de suppression de l'article 7 du projet de loi. En contrepartie, je défendrai un autre amendement visant à élargir le champ des personnes susceptibles d'être inscrites sur les listes, afin que nous puissions bénéficier d'experts aux profils et aux expériences variés, ayant exercé en France mais aussi dans l'Union européenne. Cet amendement permettrait, en outre, de mettre la réglementation française en conformité avec les exigences posées par la Cour de justice de l'Union européenne, à savoir, d'une part, l'obligation de motiver les décisions de refus d'inscription initiale d'un expert et, d'autre part, la prise en compte des qualifications acquises par un ressortissant de l'Union dans un autre État membre, lui permettant notamment de solliciter son inscription sur une liste nationale sans satisfaire à l'exigence d'un délai de cinq années d'inscription préalable sur une liste de cour d'appel. Cet amendement prévoit un système d'équivalence avec la qualification acquise dans un autre État membre par l'exercice pendant un temps suffisant d'activités dans le domaine de l'information des institutions judiciaires.
En conclusion, mes chers collègues, je souhaite que l'examen de ce projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines soit l'occasion pour nous d'engager un débat constructif sur la question du statut de l'expert, qui est un acteur indispensable de la chaîne pénale, soucieux de servir le service public de la justice dans la recherche de l'intérêt général.