COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 2 février 2011
La séance est ouverte à dix heures trente.
(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)
La Commission procède à l'examen, ouvert à la presse, sur le rapport de M. Hervé Gaymard, de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative au prix du livre numérique (n° 2921).
La proposition de loi que nous examinons ce matin a été adoptée par le Sénat en octobre 2010 et a été inscrite, à l'initiative du groupe UMP, à l'ordre du jour de la séance publique du 15 février prochain.
Elle traite d'un sujet auquel nous nous sommes intéressés à plusieurs reprises, notamment lors de la table ronde de la semaine dernière.
Au cours de la présente législature, nous serons plusieurs fois intervenus sur la question du livre : l'année dernière, la proposition de loi que j'avais déposée avec plusieurs collègues pour aménager les délais de paiement entre éditeurs et libraires a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée ; nous nous sommes ensuite préoccupés d'aligner le taux de TVA du livre numérique sur celui, réduit, du livre papier et cette disposition prendra effet le 1er janvier 2012 ; enfin nous examinons ce matin une troisième proposition de loi, relative au prix unique du livre numérique.
Notre planète papier, dans la galaxie Gutenberg, est aujourd'hui percutée par la météorite numérique. Certains brossent des perspectives catastrophistes. Ma conviction, plus pragmatique, est que nous nous acheminons vers une économie « d'estuaire », où papier et numérique se mêlent dans des proportions qui varient selon les genres, comme l'eau et la terre dans un estuaire.
Cette évolution nous renvoie à notre responsabilité : comment légiférer de manière pratique, adaptée et utile ? Aux lois de liberté, encore plus qu'aux autres, il ne faut toucher que d'une main tremblante, spécialement dans un domaine qui s'ouvre à une nouvelle économie.
Lors de nos tables rondes et de nos discussions, il nous est apparu que deux sujets nécessitaient de légifèrer : d'une part, l'application du même taux de TVA au livre papier et au livre numérique, d'autre part la possibilité offerte à l'éditeur de fixer le prix du fichier numérique comme celui du livre papier. Tel est l'objet de cette proposition de loi, qui a fait l'objet d'un processus d'élaboration conjoint entre le Gouvernement, le Sénat et l'Assemblée nationale. Il s'agit d'un texte consensuel – puisque deux propositions de lois largement cosignées ont été déposées dans les deux assemblées – sous quelques réserves que traduira un petit nombre d'amendements.
Cette proposition de loi résulte en effet d'un travail collectif, de notre Assemblée, comme du Sénat.
Internet, en tant que méta-média, ne s'ajoute pas aux autres mais tend à les absorber. Dès lors, nos approches traditionnelles appellent une réflexion nouvelle, en terme de rupture et non pas seulement d'accompagnement. Dans cet esprit, le texte qui nous est soumis ne constitue qu'une étape, certes un peu défensive mais nécessaire. Dans la mesure où il ne s'agit pas seulement du livre homothétique mais aussi du livre numérique, nous aurons à revenir régulièrement sur le même sujet, lors d'un rendez-vous annuel que prévoit d'ailleurs notre rapporteur.
Nous assistons par ailleurs à une modification profonde de l'environnement des oeuvres culturelles. Dans le système actuel, les contenus ne sont plus rémunérés à leur juste mesure et un nombre restreint de grandes sociétés tend à accaparer la totalité de leur valeur ajoutée. Nous devons donc réfléchir aux perspectives de sa redistribution.
C'est dans cet esprit que le groupe socialiste aborde cette discussion, conscient que notre monde est en pleine évolution et qu'il nous faut, étape par étape, travailler à la préservation et à la valorisation des contenus, ce qui constitue une des missions de notre Commission. Nous avons donc déposé quelques amendements qui visent à conforter le texte dans ce sens mais qui ne remettent nullement en cause le travail de notre rapporteur, que je qualifierai d'intellectuellement élégant.
Cette proposition de loi poursuit un objectif légitime. On se souvient des incidences sur le prix unique du livre de la loi de 1981, qui avait permis de maintenir la diversité de l'édition, la qualité de son offre et le maillage des librairies sur l'ensemble du territoire.
L'apport vertueux de cette proposition de loi dans le cadre du marché du livre numérique consiste à empêcher les géants commerciaux de s'emparer de cette offre nouvelle dans le seul but de dégager des profits, risquant ainsi de réduire la qualité comme la diversité de l'offre culturelle numérique. Nous jouons donc notre rôle en faisant en sorte que le droit définisse les règles de la concurrence et s'interpose là où les intérêts financiers des grandes entreprises tendraient à abolir toutes les barrières.
Il nous faut cependant nous montrer lucides : il s'agit d'une loi datée et nous devrons nous interroger ensuite plus directement sur la création numérique elle-même, qui pose d'autres problèmes, concernant notamment les auteurs. Mais, pour l'immédiat, nous disposerons d'un outil permettant d'exercer une certaine régulation.
Je m'interroge toutefois sur l'article 2, qui prévoit que le prix du livre numérique « peut différer en fonction du contenu de l'offre, de ses modalités d'accès ou d'usage. » La marge de manoeuvre ainsi donnée aux grands opérateurs sur internet me semble un peu large.
Je remercie notre rapporteur d'avoir adopté une démarche collective, comme nous devrions systématiquement le faire dans des domaines aussi nouveaux. Ce travail pourrait ainsi servir de pilote et d'expérimentation pour toute notre réflexion sur le développement du numérique et d'internet, sachant que plusieurs problèmes se posent en matière de publicité et de nature de l'information diffusée.
Notre Commission doit se donner pour mission de continuer à veiller à l'équilibre entre l'écrit, le numérique et les documents en ligne. Il s'agit d'accompagner les mutations affectant les modes de consommation de la lecture tout en s'attachant à faire respecter les supports traditionnels, conformément à la grande tradition française de l'écrit. Cet exemple montre comment nous pouvons essayer de normaliser les flux en adoptant une vision globale du nouveau panorama de l'écrit.
J'interviens en tant que membre de la Commission des affaires économiques, ce qui explique que ma vision diffère quelque peu de la vôtre.
Je comprends bien que ce texte vise à préserver la solidité économique de l'édition française afin que nous continuions à bénéficier d'une production riche et variée. Je souscris à cet objectif, mais les moyens choisis me laissent dubitatif.
Sur le plan technique, plusieurs points sont à revoir afin de rendre applicable un texte qui ne traite pas de culture mais d'économie puisqu'il propose de réglementer les relations entre les fournisseurs, les éditeurs et les distributeurs en dérogeant aux lois de la libre concurrence. Certes, on justifie ces dérogations par la défense de l'exception culturelle, mais cet argument semble bien fragile, même si j'en comprends la logique politique.
Ce texte arrive trop tôt car les modèles économiques et technologiques ne sont pas encore stabilisés. Chaque constructeur de tablettes fonctionne différemment, notamment quant aux conditions commerciales proposées aux utilisateurs. L'avis de l'Autorité de la concurrence, de décembre 2009, conserve toute sa pertinence à ce sujet.
En revanche, la question du niveau, quantitatif et qualitatif, de l'offre légale n'est pas abordée. Il faudrait pourtant agir maintenant, avant que le piratage ne prenne une trop grande ampleur. Je regrette que le consommateur soit le grand absent de ce texte.
À sa lecture, comme à l'écoute de tout ce qui a été dit, en particulier lors des tables rondes, je ressens un profond problème vis-à-vis des réalités et des potentialités du numérique.
Le texte qu'on nous propose n'est rien d'autre qu'un « copié collé », une extension au numérique de la loi Lang de 1981. Or vouloir transposer au numérique les règles existantes ne peut conduire qu'à une impasse. Il suffit, pour s'en rendre compte, d'observer les résultats obtenus par les autres industries culturelles depuis dix ans. Le monde de l'édition ne parvient pas à abandonner ses vieux schémas de pensée et à tout remettre en cause pour entrer pleinement dans l'ère numérique. Or c'est maintenant qu'il lui faudrait se lancer, avant que d'autres ne prennent la place, non seulement dans la distribution mais aussi dans l'édition elle-même.
Pour ma part, je me réjouis de ce texte qui prolonge heureusement la loi Lang sur le prix unique du livre. Mais il faudra aussi étudier rapidement les dispositifs à mettre en place contre le piratage éditorial et contre les plateformes de vente qui, situées hors de France, se soustraient à toute obligation légale.
Nous parlons ici de culture et d'accès à la culture pour tous, en ouvrant au plus grand nombre la possibilité de partager des écrits, sous forme papier comme sous forme numérique. Lors de la dernière table ronde, il a bien été indiqué que nous devions fixer le cadre de l'utilisation du livre homothétique qui, selon la définition qu'on en donne aujourd'hui, concerne la reproduction à l'identique de l'information contenue dans le livre imprimé, tout en admettant certains enrichissements tels que le moteur de recherche interne. À ce stade, nous n'allons pas plus loin.
La table ronde de la semaine dernière nous a aussi permis de prendre en compte certaines inquiétudes qui se manifestent dans la chaîne du livre. Nous nous apprêtons donc à enrichir encore ce texte par certains amendements, tels que ceux relatifs à l'accès à réserver aux bibliothèques publiques et aux droits d'auteurs, même si le Sénat a levé toute ambiguïté en précisant qu'on visait le livre sous sa forme électronique et non le commerce électronique des livres. Il nous faudra peut-être cependant revenir sur la question de la cession des droits d'auteur compte tenu de ce que sera l'évolution du marché.
J'assume la conception législative minimaliste de la proposition de loi. C'est notamment pourquoi, à l'article 7, je proposerai de formaliser de façon un peu plus précise le rendez-vous législatif annuel qui servira à observer comment les choses évoluent. Je comprends les arguments de fonds à l'appui de certains des amendements déposés, mais il me paraît souvent prématuré de rigidifier un certain nombre de points.
Nous légiférons dans le champ culturel et pas seulement économique. On sait que, sur de tels sujets, deux conceptions se font traditionnellement face. Mais, comme beaucoup de commissaires, je participe d'une démarche de sauvegarde de la création culturelle, de défense de sa rémunération et de soutien de sa diversité.
Je suis en revanche en accord avec M. Lionel Tardy quant à la nécessité de développer l'offre légale. Mais, pour cela, il faut que les conditions légales soient réunies. Deux nous sont apparues indispensables : le taux unique de TVA et le principe selon lequel il revient à l'éditeur de fixer le prix du fichier numérique homothétique.
En face d'une économie en construction – du moins en France –, un certain nombre de repères et de lignes de force sont nécessaires pour que les éditeurs s'investissent davantage, que les libraires se mobilisent autour de leur nouveau rôle et que tous les acteurs de la chaîne du livre, notamment les auteurs, dont on ne parle pas assez, voient leur statut sécurisé.
Aujourd'hui embryonnaire en France et en Allemagne, le marché du livre numérique est un peu plus développé au Royaume-Uni depuis six mois et beaucoup plus aux États-Unis, les statistiques des derniers trimestres montrant qu'il approche là-bas les 10 % de part de marché.
Dans ce dernier pays, aucune règle n'existe pour le livre papier : les vendeurs arrêtent les prix qu'ils souhaitent, avec des discounts parfois très substantiels, bien évidemment sur les blocksbusters. Les prix de la littérature de création et de sciences humaines sont beaucoup plus élevés que les autres. Il en allait de même pour les fichiers numériques jusqu'à ce qu'un bras de fer très intéressant oppose l'année dernière les éditeurs et les distributeurs numériques. Certains distributeurs voulaient imposer leurs prix aux éditeurs, avec des prix d'achat des fichiers numériques ne correspondant pas à la rémunération de la création. Les éditeurs ont finalement remporté la partie grâce à cet outil juridique qu'est le contrat de mandat. De sorte que les parts de marché du livre numérique aux États-Unis ont beaucoup évolué : tel grand distributeur qui détenait 85 % du marché au début de 2010 n'en détenait plus que 50 % à la fin de l'année. De nouveaux entrants sont apparus à la faveur du contrat de mandat. Ainsi, dans ce pays, le marché du livre numérique se trouve davantage régulé que celui du livre imprimé. Cette expérience doit nous conforter dans notre volonté d'adopter un certain nombre de dispositions législatives, aujourd'hui minimalistes, mais assorties de l'exigence d'un rendez-vous annuel permettant de suivre l'évolution du marché comme de tenir compte des intérêts de la création.
Nous en venons à l'examen des articles.
Article 1er : Définition du livre numérique et périmètre d'application de la loi
La Commission examine l'amendement AC 1 de M. Lionel Tardy.
Je souhaite mettre l'accent sur la nécessité d'abandonner les cadres du livre papier pour entrer dans le numérique. Sur internet, il n'existe pas de livre mais des fichiers informatiques avec des contenus intellectuels. Ils peuvent prendre des formes très diverses en fonction des logiciels utilisés. Si l'on se limite au livre dit homothétique, quels critères retiendra-t-on : le format informatique, le choix de la typographie ou de la mise en page ? Pour édicter un régime particulier, il faut clairement définir l'objet auquel ce régime doit s'appliquer, assorti de frontières évidentes. Pour le livre imprimé, il s'agit d'un ensemble de feuilles de papier, imprimées et reliées pour en faire un objet, que l'on ne peut ainsi confondre avec un autre. En revanche, j'ignore ce qu'est un livre numérique et plus encore où se situent ses limites. La notion de ressemblance avec le livre papier me semble floue donc peu opérante.
Je ne suis pas favorable à cet amendement. La proposition de loi porte sur le livre numérique homothétique, c'est-à-dire sur un support qui a toutes les caractéristiques du livre, que l'on peut lire et feuilleter sur un liseur exactement comme on lit un livre imprimé. Le livre numérique est soit un livre dont le fichier princeps est un livre papier scanné et numérisé, l'ouvrage étant paru à une époque où le numérique n'existait pas, soit un livre contemporain dont le fichier princeps est, dès l'origine, numérique.
C'est pourquoi, il faut se limiter au livre numérique homothétique, suivant en cela la préconisation du rapport remis en janvier 2010 par MM. Cerutti, Zelnik et Toubon sur la création à l'heure d'internet.
La proposition de loi renvoie en outre à un décret en cours d'élaboration car, pour certaines catégories de livres, notamment les livres scolaires, des éléments sont à préciser mais ne relèvent pas du domaine législatif. Nous avons obtenu du ministère de la culture l'engagement qu'il saisira notre Commission du projet de décret, qui devrait être prêt après que la proposition de loi aura été discutée au Sénat en deuxième lecture.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'amendement rédactionnel AC 12 du rapporteur.
Elle examine ensuite l'amendement AC 2 de M. Lionel Tardy.
Je défendrai également l'amendement AC 3.
Nous abordons ici la question des limites et des frontières du livre numérique. Je souhaite que l'on précise mieux ce qu'on entend par les « éléments accessoires propres à l'édition numérique » et, plus globalement, quelles sont les caractéristiques des livres entrant dans le champ de la loi. Cette définition est au coeur du dispositif. Alors qu'on fixe le régime du livre numérique, on ne saurait en laisser la définition exacte à un décret. Il conviendrait de préciser certains termes. L'édition numérique recouvre-t-elle l'ensemble des contenus faisant l'objet d'un traitement de texte et d'une mise en page ? De plus, le renvoi à un décret diffère l'application de la loi puisque sans lui, il sera impossible de savoir qui a droit au régime dérogatoire au prix unique. Quand le décret sera-t-il prêt ?
Avis défavorable. Dans l'univers mouvant qui se dessine, une distinction fondamentale apparaît entre le livre numérique, dont le fichier princeps est sur papier ou bien numérique, et ce que, faute de mieux, j'appellerai « l'objet culturel numérique » qui sera un nouveau vecteur de création, combinant des éléments écrits, des sons, des images fixes ou animées, des liens par internet et même des « oeuvres collaboratives ». Celui-ci n'entre pas dans le champ de la loi. Le livre numérique dont nous traitons s'entend dans sa définition restrictive, y compris avec un moteur de recherche interne qui n'en représente que l'accessoire.
De même, si lui est annexé un entretien vidéo avec l'auteur, tel un bonus au sens où on l'entend pour un DVD, on reste dans le cadre du livre numérique.
Le ministère de la culture nous a assuré que le projet de décret, en cours de préparation et faisant pour cela l'objet de concertations professionnelles, serait prêt au mois de mars. Notre Commission aura alors l'occasion d'en prendre connaissance.
La Commission rejette l'amendement AC 2.
Puis elle adopte l'amendement rédactionnel AC 13 du rapporteur.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, elle rejette l'amendement AC 3 de M. Lionel Tardy.
Elle adopte ensuite l'article 1er modifié.
Article 2 : Fixation du prix de vente par l'éditeur
La Commission examine les amendements identiques AC 23 du rapporteur et AC 4 de M. Lionel Tardy.
Le Sénat a introduit une disposition extraterritoriale afin de susciter, comme l'a indiqué M. Jacques Legendre, président de la Commission de la culture, une réaction des instances européennes, dont on peut déjà imaginer ce qu'elle sera.
Je souhaite, par cet amendement, revenir à la rédaction initiale. Car, selon la nouvelle loi, l'éditeur fixera le prix du fichier numérique si celui-ci est acheté sur un site hébergé en France. Si le site est hébergé à l'étranger, deux hypothèses se présentent. La première est celle du piratage, payant ou gratuit : on entre alors dans le domaine délictueux, qui relève d'un autre ordre de préoccupations juridiques. La deuxième est celle du téléchargement légal et payant. Dans ce cas, l'éditeur français pourra imposer au site étranger concerné, au moyen d'un contrat de mandat, son droit de fixer le prix. On disposera donc bien de la boîte à outils nécessaire.
La proposition de loi originelle ne visait que les éditeurs français. Le Sénat a voulu étendre l'obligation à l'ensemble des éditeurs s'adressant au marché français, ce qui soulève une difficulté au regard du droit européen.
Il existe, à ce sujet, une notification à la Commission européenne, qui doit donner sa réponse le 7 février. Il est dommage que notre examen en Commission intervienne avant.
Je propose donc, par prudence, de revenir à la rédaction initiale, plus facilement applicable. Nous n'avons aucune prise sur un éditeur étranger qui commercialiserait ses contenus numériques sur une plateforme de distribution, par exemple américaine.
Tous ces propos sont sages mais la notion d'extraterritorialité introduite à l'initiative du sénateur Jean-Pierre Leleux tendait à forcer un peu le débat sur l'exception culturelle et à l'élargir à la matière traitée par la proposition de loi. Le Gouvernement, au travers du ministre de la culture, était ainsi sollicité pour interroger l'Union européenne afin qu'on puisse étudier sa réponse. Nous souhaiterions donc confirmer la démarche sénatoriale, quitte à ce que le Gouvernement nous apporte, en séance publique, les réponses attendues. Car, dans ce domaine, un positionnement de la France ne manque pas de poids, même si l'on croit connaître d'avance la réaction des instances européennes. Nous voulons, en effet, que l'exception culturelle s'élargisse à l'ensemble des domaines de la culture. Certes, l'économie est une bonne chose mais elle doit obéir à des règles d'organisation qui préservent les oeuvres de l'esprit.
La Commission adopte les amendements.
Elle adopte ensuite les amendements identiques AC 28 du rapporteur et AC 29 de M. Lionel Tardy.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements AC 24 du rapporteur, AC 16 de M. Marcel Rogemont, AC 5 de M. Lionel Tardy, AC 17 de M. Marcel Rogemont et AC 6 de M. Lionel Tardy.
L'amendement AC 24, que j'ai rédigé avec M. Franck Riester, vise à instituer une exception au principe de la fixation du prix de vente par l'éditeur, applicable aux seuls livres numériques intégrés dans des offres comprenant des contenus d'une autre nature. Ces offres devraient être proposées sous la forme de licences d'utilisation destinées à un usage collectif et dans un but de recherche ou d'enseignement, que nous entendons ainsi favoriser.
Nous visons de la sorte certaines offres proposées par des éditeurs scientifiques et techniques, dites hybrides car associant une base de données à un livre numérique. Il s'agit là de produits très particuliers utilisés par le monde universitaire, dont il faut tenir compte de la spécificité. Cet amendement est très attendu par les bibliothèques universitaires.
En fait, notre amendement AC 16, qui poursuit des objectifs comparables, voulait pointer du doigt ce problème. Nous faisons suffisamment confiance au rapporteur pour nous en remettre à sa rédaction qui semble d'ailleurs plus précise.
Le prix unique est un système adapté à l'achat. En matière numérique, il pourra s'appliquer à l'achat de fichiers avec téléchargement. Mais il existe d'autres façons de consommer des contenus : par des abonnements donnant accès à des bases de données assortis d'un droit de consultation plus ou moins large. Il s'agit ici de pures prestations de services sans transfert de la propriété de biens. Comment, dans ces conditions, appliquer un prix unique ? Il serait injuste que celui qui utilise beaucoup son forfait paie la même chose que celui qui l'utilise peu. Les gros lecteurs vont probablement se tourner vers ce type d'offres. On peut donc penser que les offres à l'unité avec téléchargement ne vont pas rencontrer un très grand succès.
Les amendements AC 16, AC 5, AC 17 et AC 6 sont retirés.
La Commission adopte l'amendement AC 24.
Elle adopte ensuite l'article 2 ainsi modifié.
Article 3 : Respect du prix de vente fixé par l'éditeur
La Commission adopte l'amendement de coordination AC 25 du rapporteur.
Elle rejette ensuite l'amendement AC 7 de M. Lionel Tardy.
Puis elle adopte l'article 3 ainsi modifié.
Article 4 : Ventes à primes de livres numériques
La Commission examine l'amendement AC 8 de M. Lionel Tardy.
Je propose de supprimer cet article, car il pose un problème de compatibilité avec le droit européen. La Cour de justice de l'Union européenne a fourni la liste exhaustive des pratiques commerciales interdites, inscrites dans l'annexe 1 de la directive de 2005. La vente à primes n'y figurant pas, on ne peut donc ni l'interdire ni la restreindre. L'article L. 121-35 du code de la consommation, relatif aux ventes à primes, est en cours de modification dans le cadre de la proposition de loi de simplification du droit dont nous avons commencé, hier soir, l'examen en deuxième lecture. Après cette modification, les ventes à primes ne seront interdites que si elles revêtent un caractère déloyal. Il faudra probablement modifier aussi l'article correspondant de la loi Lang.
Avis défavorable. La jurisprudence de la Cour européenne sur les pratiques commerciales déloyales n'est pas applicable à notre sujet. Nous ne cherchons pas à transposer au livre numérique les dispositions du droit de la concurrence concernant la vente à primes mais les dispositions très particulières de l'article 6 de la loi de 1981 qui autorise, s'agissant des livres imprimés, ce type de vente sous certaines conditions. Nous ne nous situons donc pas ici dans le cadre général du droit de la concurrence et de la jurisprudence européenne qui s'y rapporte, mais sur un segment très circonscrit.
La Commission rejette l'amendement.
Puis elle adopte l'article 4 sans modification.
Article 5 : Relations commerciales entre éditeurs et détaillants
La Commission examine l'amendement AC 9 de M. Lionel Tardy.
Ayant beaucoup travaillé, notamment dans le cadre de la loi de modernisation de l'économie (LME), je m'interroge sur cet article qui autorise les marges arrière. Cela ne pose pas de problème quand le fournisseur domine la relation commerciale avec le distributeur ; la difficulté survient lorsque le distributeur est en mesure d'imposer le niveau de la marge. Or le secteur de la distribution numérique risque d'être dominé par trois opérateurs américains – Google, Apple et Amazon – qui ne feront, on s'en doute, aucun cadeau aux fournisseurs de contenus. La règle du prix unique sera alors vidée de sa substance. Il faut donc imposer aux marges arrière des gardes fous qui font actuellement défaut dans le texte, d'où cet amendement de suppression.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l'amendement, de même que l'amendement AC 10 de M. Lionel Tardy.
Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels AC 14 et AC 15 du rapporteur.
Puis elle adopte l'article 5 ainsi modifié.
Article 5 bis : Rémunération des auteurs
La Commission examine les amendements identiques de suppression de l'article AC 26 du rapporteur et AC 11 de M. Lionel Tardy.
Ma proposition de suppression de l'article ne traduit nul dédain à l'égard des auteurs qui, étant à la base de la création culturelle, doivent être rémunérés en conséquence. Mais il existe aujourd'hui un débat, légitime, entre les éditeurs et les auteurs sur la question de la rémunération de la vente des fichiers numériques des oeuvres.
Le livre numérique génère des économies puisqu'il réduit le nombre d'intermédiaires entre l'auteur et le lecteur. Il fait certes apparaître de nouveaux coûts, de production des fichiers, d'exploitation et de maintenance, plus importants qu'il ne semble, mais la marge à distribuer devrait néanmoins s'accroître. Les auteurs souhaitent donc légitimement bénéficier d'un taux de rémunération supérieur en pourcentage à celui du livre imprimé.
L'article 5 bis introduit par un amendement au Sénat appelle l'attention sur cette question. Je partage le souhait des auteurs d'établir une relation plus équilibrée avec les éditeurs s'agissant du livre numérique mais il serait hasardeux de la prévoir dans ce texte.
Par un amendement à l'article 7, je proposerai que cette question figure explicitement parmi celles qui seront examinées lors du prochain rendez-vous législatif, d'autant que des discussions sont en cours entre les éditeurs, les auteurs et leurs syndicats.
La rémunération équitable des auteurs est une question essentielle. Dans la mesure où l'État s'est engagé sur le prix unique du livre numérique, nous devons mener une réflexion à ce sujet car le marché n'existe pas encore. Les éditeurs ont sans doute beaucoup investi afin que le livre numérique voie le jour. Toutefois, ne pouvant savoir ce que sera l'évolution du marché, il serait sage de maintenir une disposition précisant que les cessions de droits numériques seront accompagnées de clauses de rendez-vous afin de prendre en compte cette évolution quand elle se dessinera.
Il serait regrettable, en effet, de ne pas aborder la question de la rémunération équitable des auteurs. Le livre numérique la pose naturellement. Nous y tenons d'autant plus que nous avions déposé des amendements destinés à préciser davantage le principe de cette rémunération. Nous sommes donc opposés à la suppression de l'article car il touche à l'essentiel et il nous faut lever les incertitudes. Même si des rendez-vous annuels sont prévus à cet égard, il est important que le principe même figure dans la loi.
Mon amendement vise également à supprimer cet article car il subordonne la rémunération supplémentaire des auteurs à une éventuelle économie générée pour l'éditeur grâce au passage au numérique. Or rien ne prouve qu'une économie sera dégagée, surtout pas à court terme, le numérique exigeant au début des investissements importants en matériels, en logiciels et en formation des personnels.
De plus, pourquoi lier deux choses qui sont juridiquement sans rapport : la situation économique de l'édition et la rémunération des droits de propriété intellectuelle des auteurs ?
La question de l'exploitation des droits numériques est un sujet sensible, il n'est pas nécessaire que le législateur s'en mêle, surtout quand des négociations sont en cours.
Nous nous enfermons dans une contradiction. Si l'on en croit Talleyrand, il y a ceux qui ont l'esprit des affaires et ceux qui ont les affaires de l'esprit... Nous voulons mettre l'accent sur la thématique culturelle et on essaye continuellement de nous ramener à une thématique économique.
Nous ne sommes pas pour autant naïfs et nous savons que les deux se gèrent de concert. Mais la thématique de l'esprit doit passer en premier. Il me semble excessif de prétendre que l'économie résultant pour les éditeurs du passage au numérique ne serait pas avérée. Il faut tout repenser en fonction de l'auteur et de sa création et supprimer cet article serait donc une erreur.
La question de la relation entre l'auteur et l'éditeur se pose depuis toujours. Dans les années 1920 et 1930, une maison d'édition aujourd'hui disparue, Nourrit, suscitait ce jeu de mot : « nourrit mal ses auteurs »…
La table ronde de la semaine dernière a évoqué la question, régie depuis 1957 par la loi sur le droit d'auteur, qui a institué un certain équilibre, que complète la liberté conventionnelle des parties.
Rappelons des choses simples : un éditeur n'existe pas sans auteurs et les auteurs ont besoin d'éditeurs, y compris à l'ère numérique et même si l'autoédition est facilitée. Dès lors, loin de moi l'idée, en proposant la suppression de cet article ajouté par le Sénat, de nier la rémunération équitable de la création. Mais je crois que légiférer à ce sujet serait prématuré. C'est pourquoi je propose d'y faire référence à l'article 7. Nous verrons, l'année prochaine, comment les choses auront évolué, et nous rectifierons la loi en tant que de besoin. L'esprit de la loi est bien que les auteurs puissent bénéficier d'une meilleure rémunération sur les fichiers numériques. Mais laissons se dérouler les négociations en cours. Nous en étudierons ensuite les résultats.
La dématérialisation du livre réduisant son coût, l'auteur devrait pouvoir prétendre à une meilleure rémunération. Celui-ci aura également moins d'investissements à accomplir pour la promotion de son oeuvre que dans le cas du livre imprimé.
Quelles que soient les perspectives de l'autoédition, une publication, même dématérialisée, ne rencontrera vraiment de succès qu'en s'appuyant sur la notoriété d'un éditeur.
Vous venez de dire quelque chose de très important. Notre débat soulève beaucoup de questions auxquelles nous n'avons pas les réponses.
En matière de promotion, la plupart des éditeurs, y compris les Anglo-Saxons, très investis dans le numérique, expliquent que la meilleure façon de faire connaître une oeuvre reste la table et les rayonnages du libraire, bien plus efficaces que les écrans, nécessairement plus réduits. La promotion du livre numérique sur internet est encore dans les limbes.
Les fichiers numériques donnent lieu, ou non, à des transferts de charges entre éditeur et auteur. Car si le premier exige du second la livraison d'un fichier achevé, on ne se trouve plus dans la même configuration que lorsque l'auteur remettait un manuscrit.
Nous touchons donc à un grand nombre de questions très techniques sur lesquelles nous ne pouvons pas légiférer. Le modèle économique de la relation entre l'auteur et l'éditeur va devoir, à l'ère du numérique, prendre en compte tous ces paramètres.
La Commission adopte les amendements et l'article 5 bis est ainsi supprimé.
En conséquence, l'amendement AC 18 de M. Marcel Rogemont devient sans objet.
Après l'article 5 bis
La Commission examine ensuite plusieurs amendements portant article additionnel après l'article 5 bis.
Elle examine tout d'abord l'amendement AC 19 de M. Marcel Rogemont.
Il s'agit de transposer dans l'ère du numérique l'exception pédagogique et de recherche reconnue à des fins d'illustration de l'enseignement et de la recherche.
Avis défavorable. Il ne convient pas, à ce stade, de toucher au code de la propriété intellectuelle.
La Commission rejette l'amendement.
Puis, suivant l'avis défavorable du rapporteur, elle rejette les amendements AC 20 et AC 21 de M. Marcel Rogemont.
Elle examine ensuite l'amendement AC 22 de M. Marcel Rogemont.
Avec l'ère du numérique, un livre ne sera jamais épuisé. Dès lors, la récupération éventuelle des droits par l'auteur lorsque l'édition est épuisée ne peut plus avoir lieu. Il s'agit donc ici de préciser le régime des cessions de droit dans le cadre du numérique.
Avis défavorable. La question de l'épuisement de l'oeuvre est réelle mais ne doit pas être traitée, je le répète, de façon prématurée. En la matière, on ne peut régir de la même façon le support papier et le support numérique.
La Commission rejette l'amendement.
Article 6 : Sanctions
La Commission adopte l'article sans modification.
Article 7 : Rapport au Parlement
La Commission examine l'amendement AC 27 du rapporteur et le sous-amendement AC 30 de M. Lionel Tardy.
J'ai déjà évoqué à plusieurs reprises cet amendement qui prévoit et précise le rendez-vous législatif annuel, avec un comité de suivi composé de parlementaires désignés par les Commissions des affaires culturelles des deux assemblées.
Son deuxième alinéa mentionne explicitement la question de la rémunération des auteurs.
La création d'un comité de suivi se justifie-t-elle ? En matière de suivi d'application des lois, nous disposons déjà de nombreux instruments. Ainsi, le rapport sur l'application de la loi, rédigé par son rapporteur et par un député de l'opposition un an après l'entrée du texte en vigueur, a un caractère systématique. Si des problèmes particuliers se posent, une mission d'information peut être créée. Je me méfie tant de ces comités dont le terme n'est pas défini et qui se transforment en « hauts conseils », que de ces rapports annuels qui ne sont rendus que les deux premières années…
Dans la proposition de loi de simplification du droit dont nous avons débattu hier soir, un article fixe une limite de cinq ans pour l'ensemble des rapports que le Gouvernement doit remettre au Parlement. Plutôt qu'un rapport annuel supplémentaire, mieux vaudrait une clause de revoyure qui oblige le Gouvernement à se présenter à une date précise afin de dresser le bilan d'application de la loi et de proposer d'éventuelles modifications.
Enfin, bien que la Commission des affaires culturelles soit parfaitement légitime pour examiner au fond un texte sur l'édition et le livre, la Commission des affaires économiques aurait été fondée à s'en saisir puisque l'essentiel du texte porte sur les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs et qu'il y est autant question d'économie que de culture. Il serait donc peut-être juste qu'une place lui soit faite dans le comité de suivi, pour permettre un suivi plus fin des questions de nature commerciale.
Avis défavorable. La Commission des affaires culturelles étant saisie au fond, il me paraît normal que le parlementaire appelé à suivre l'application de la loi en soit membre.
La Commission rejette le sous-amendement AC 30.
Puis elle adopte l'amendement AC 27 du rapporteur.
Elle adopte enfin l'article 7 modifié.
Article 8 : Application outre-mer
La Commission adopte l'article 8 sans modification.
La Commission adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.
La séance est levée à onze heures quarante-cinq.