J'interviens en tant que membre de la Commission des affaires économiques, ce qui explique que ma vision diffère quelque peu de la vôtre.
Je comprends bien que ce texte vise à préserver la solidité économique de l'édition française afin que nous continuions à bénéficier d'une production riche et variée. Je souscris à cet objectif, mais les moyens choisis me laissent dubitatif.
Sur le plan technique, plusieurs points sont à revoir afin de rendre applicable un texte qui ne traite pas de culture mais d'économie puisqu'il propose de réglementer les relations entre les fournisseurs, les éditeurs et les distributeurs en dérogeant aux lois de la libre concurrence. Certes, on justifie ces dérogations par la défense de l'exception culturelle, mais cet argument semble bien fragile, même si j'en comprends la logique politique.
Ce texte arrive trop tôt car les modèles économiques et technologiques ne sont pas encore stabilisés. Chaque constructeur de tablettes fonctionne différemment, notamment quant aux conditions commerciales proposées aux utilisateurs. L'avis de l'Autorité de la concurrence, de décembre 2009, conserve toute sa pertinence à ce sujet.
En revanche, la question du niveau, quantitatif et qualitatif, de l'offre légale n'est pas abordée. Il faudrait pourtant agir maintenant, avant que le piratage ne prenne une trop grande ampleur. Je regrette que le consommateur soit le grand absent de ce texte.
À sa lecture, comme à l'écoute de tout ce qui a été dit, en particulier lors des tables rondes, je ressens un profond problème vis-à-vis des réalités et des potentialités du numérique.
Le texte qu'on nous propose n'est rien d'autre qu'un « copié collé », une extension au numérique de la loi Lang de 1981. Or vouloir transposer au numérique les règles existantes ne peut conduire qu'à une impasse. Il suffit, pour s'en rendre compte, d'observer les résultats obtenus par les autres industries culturelles depuis dix ans. Le monde de l'édition ne parvient pas à abandonner ses vieux schémas de pensée et à tout remettre en cause pour entrer pleinement dans l'ère numérique. Or c'est maintenant qu'il lui faudrait se lancer, avant que d'autres ne prennent la place, non seulement dans la distribution mais aussi dans l'édition elle-même.