COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 3 février 2010
La séance est ouverte à dix heures dix.
(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation entend MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti, sur leur rapport au ministre de la culture et de la communication relatif à « création et internet ».
Nous avons le plaisir d'entendre ce matin MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti sur un dossier que notre commission a suivi dès son installation puisqu'elle a commencé ses travaux avec l'examen du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet dit « HADOPI 2 ».
Messieurs, je vous remercie de votre présence. La mission sur le développement de l'offre légale de contenus culturels sur internet vous a été confiée au mois d'août et vous venez de remettre au ministre de la culture et de la communication les conclusions de vos travaux avec un certain nombre de propositions très intéressantes. Le Président de la République, lors de la présentation de ses voeux au monde de la culture, a d'ailleurs annoncé la mise en oeuvre de certaines d'entre elles.
La mission qui nous a été confiée ne s'appelle ni « HADOPI 3 » ni « Cerutti-Toubon-Zelnik ». Je sais qu'il y des adversaires de la loi HADOPI dans la salle et je peux leur dire, en tant que co-président d'IMPALA, syndicat européen des sociétés phonographiques indépendantes, que ce texte est considéré à l'étranger comme homéopathique, avec son système de riposte graduée. Mais on nous l'envie souvent, et plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Espagne, veulent s'en inspirer pour lutter contre le téléchargement illicite.
Notre mission comportait trois volets principaux.
D'abord, l'amélioration de l'offre légale sur internet, par une diversification des produits proposés et, s'agissant notamment de la musique, par une meilleure qualité du son et par la présentation de livrets et de vidéos-clips attachés aux artistes. Pour enrichir l'offre légale, les possibilités techniques sont nombreuses, pouvant aller jusqu'à la diffusion en 3D.
Il ne faut pas avoir d'internet une vision réductrice. Dans un monde idéal, on accéderait par un simple clic à l'intégralité des oeuvres musicales, littéraires, audiovisuelles et cinématographiques. Si le consommateur voit sa satisfaction s'accroître, il sera dissuadé de visiter des sites illégaux.
Deuxième volet : la simplification des droits. Je ne suis pas hostile aux majors, dont la plupart sont américaines mais, au lieu de créer puis d'animer un marché, comme c'est le rôle normal des entreprises leaders, elles l'ont cloisonné avec des contrats d'exclusivité passés avec des opérateurs de mobiles et en devenant actionnaires des nouvelles plateformes de téléchargement, de sorte que le marché numérique n'a pas décollé, malgré un système aussi performant qu'iTunes. Pascal Nègre, président d'Universal Music France, a dit le contraire au MIDEM, mais il reconnaît lui-même que le marché français reste fragile.
Troisième volet, essentiel : assurer la rémunération des artistes – auteurs, compositeurs, artistes interprètes –, des éditeurs, des éditeurs en ligne, des producteurs et de l'ensemble de la « création », terme que je préfère à celui de « contenu ».
Ce qui importe, ce sont les objectifs. Il ne faut pas cristalliser le débat sur les moyens. Au MIDEM, on a ainsi beaucoup parlé de la gestion collective, mais il ne s'agit que d'un moyen que nous proposons pour rendre la création plurielle, foisonnante et riche, car le consommateur est aussi un citoyen dont il faut faciliter l'accès à la culture, c'est-à-dire à la civilisation.
Tel est le sens des vingt-deux propositions auxquelles la mission est parvenue.
Nos propositions se placent essentiellement sur le terrain économique : il s'agit en effet de promouvoir la diffusion des oeuvres sur internet par le biais de la régulation du marché et dans le respect des droits. Ces propositions devront se traduire par des décisions politiques, et donc par des mesures législatives. C'est pourquoi nous sommes heureux que se noue d'ores et déjà un dialogue fructueux avec la représentation nationale, comme celui que vous aurez avec les différentes administrations chargées de transformer, sur instructions du Président de la République et du Premier ministre, nos propositions en décisions de toute nature.
Nous avons été inspirés par la nécessité de sortir de la confrontation, observée depuis deux ans dans le débat public et au Parlement, entre des thèses antagonistes prétendant chacune détenir la recette miracle. Nous nous sommes, au contraire, efforcés de prendre en compte la diversité des situations.
Nous avons traité, avec des principes communs mais selon des approches spécifiques, de secteurs très différents les uns des autres, même s'ils relèvent tous de la création artistique et de la politique culturelle : la musique, le cinéma, l'audiovisuel et le livre.
Nous n'avons qu'effleuré la situation de la presse, bien que fondamentale pour le pluralisme et la liberté d'expression. Le sujet nous paraît devoir être abordé dans le cadre d'une autre mission et dans le prolongement des États généraux qui lui ont été consacrés – un missi dominici pourrait être désigné.
Trois autres sujets, de moindre importance n'ont pu être traités dans le délai dont nous disposions.
Il en est ainsi, en premier lieu, des jeux vidéo, bien qu'ils fassent l'objet d'un piratage très important. Ils représentent une activité économique en forte progression et les nombreuses sociétés françaises sont très dynamiques dans ce secteur. Toutefois, certaines de nos propositions relatives au cinéma et à l'audiovisuel sont déclinables dans ce domaine.
En deuxième lieu, et cela nous a été reproché avec véhémence par la SACEM, nous n'avons pas traité de la situation des auteurs, compositeurs, éditeurs (ACE) car, dans le schéma actuel, la gestion de leurs droits est parfaitement claire à travers un système collectif très éprouvé. Leurs relations avec les producteurs étant d'une nature différente, nous n'avons pas formulé de propositions. Les ACE ont certes subi, au cours des dernières années, des pertes de revenu importantes. Il peut y avoir lieu à revalorisation, comme il y a eu, grâce à la commission paritaire compétente, revalorisation de 18 % de la rémunération équitable concernant les radios et les lieux sonorisés, après dix ans de blocage. Le même travail est à accomplir pour les auteurs, dans le cadre de la négociation engagée entre les ACE et les télévisions, notamment publiques.
De même que, si le Gouvernement suit notre proposition de diminution de la réduction de la TVA dont bénéficient les abonnements triple play, en abaissant la part d'abonnement concernée par exemple de 50 à 35 %, cette hausse de TVA profitera à la taxe alimentant le compte de soutien à l'industrie des programmes (COSIP) et au prélèvement en faveur des auteurs dont elle tient lieu d'assiette.
Dernier point que nous n'avons pas traité : le spectacle vivant, de moins en moins financé par les maisons de production du fait de leurs difficultés sur le marché « physique ». Longtemps, la présence des artistes sur scène a compensé en partie les pertes subies à cause d'internet, mais cela risque de ne plus être le cas. Cependant, les mesures préconisées pour favoriser les investissements des producteurs répondent un peu à cette préoccupation.
J'en viens aux sujets que nous avons traités.
Nous avons retenu un dispositif simple eu égard à la conjoncture budgétaire actuelle : les dépenses nouvelles que nous proposons, telles que la « carte jeunes » ou les crédits d'impôt, sont compensées par de nouvelles recettes équivalentes, comme la diminution de la réduction de TVA et la création d'une taxe, à expertiser, sur les hébergeurs et les moteurs de recherche, déjà surnommée « taxe Google »
Notre système se veut cohérent sur le plan économique. Ainsi, dans le domaine de la musique, il faut rétablir l'équilibre dans le partage de la valeur. En matière culturelle, l'équité signifie pluralisme et indépendance. Nous essayons donc, à travers la gestion collective, d'établir une transparence qui favorise des relations plus équilibrées entre producteurs importants, producteurs plus petits et artistes-interprètes, ainsi que de faciliter l'accès aux services culturels en ligne par une offre plus abondante et meilleur marché.
Il est un autre point important que nous avons voulu souligner : le développement de la diffusion numérique du livre. Celle-ci a représenté 3 % du chiffre d'affaires du livre aux États-Unis l'année dernière, contre moins de 1 % en France. Mais, avec l'arrivée de nouveaux terminaux et de nouvelles offres, indépendamment des négociations en cours entre professionnels, nous nous attendons à un développement important du livre numérique. Il est donc fondamental d'assurer la stabilité de l'économie du secteur de l'édition. D'où nos propositions d'extension au numérique du prix unique du livre, de diminution de la TVA sur le livre numérique, à l'instar de ce qui existe pour le livre « physique » – mais uniquement pour les livres « homothétiques » –, et d'inscription du livre dans le grand effort national de numérisation financé par le « grand emprunt », aussi bien pour les bibliothèques que pour les livres commerciaux encore sous droits. En contrepartie, nous demandons aux éditeurs, aux distributeurs et aux libraires de mettre en place une plateforme commune pour que l'offre de livres numériques soit présentée universellement, pour que l'on trouve en ligne ce que l'on trouve dans une librairie, tout en préservant bien sûr la chaîne des droits, en particulier ceux des auteurs. Nous souhaitons que les négociations engagées entre la Société des Gens de Lettres (SGDL) et les éditeurs aboutissent le plus vite possible afin que l'on n'ait pas, d'un côté, un système de droits d'auteurs hérité du XVIIIe siècle et, de l'autre, un système de droits numériques auquel échapperaient certains auteurs et certains éditeurs.
Nous avons constaté, à travers plus de deux cents auditions, que la France est en retard à plusieurs égards : la musique en ligne, qui ne représente que 7 % des recettes de la filière musicale, soit bien moins qu'aux États-Unis et dans les autres pays occidentaux ; l'organisation des professionnels pour faire face aux défis de l'internet ; la satisfaction des attentes des internautes, qui jugent l'offre de musique et de cinéma en ligne trop faible et trop chère.
Notre philosophie est donc, sur une période donnée, par exemple de trois ans, de nous efforcer d'amorcer le développement de la création sur internet afin de relancer la machine après son faux départ. Pour cela, les efforts devront être partagés entre les professionnels et les pouvoirs publics. Nous exhortons les premiers, notamment dans le domaine de la musique, à sortir d'une logique individuelle et de « gagne petit » pour imprimer ensemble l'élan du développement sur internet.
Dans leur économie générale, nos propositions respectent les équilibres budgétaires de l'État.
Venons-en aux propositions clés de notre rapport.
Dans le domaine musical, il convient d'abord d'agir sur la demande car les internautes se sont habitués à la gratuité, ce qui prive de toute rémunération les acteurs de la chaîne de valeurs que sont les auteurs et les producteurs de contenus. C'est pourquoi nous préconisons l'institution, par l'État, d'une « carte jeunes » donnant un pouvoir d'achat accru aux jeunes internautes pendant une période de trois ans ; elle devrait contribuer à les réorienter vers les site légaux de musique en ligne. Ainsi, le volet répressif des lois HADOPI serait complété par un mécanisme incitatif.
Il faut ensuite passer à une gestion collective des droits : aujourd'hui, les éditeurs de musique en ligne sont contraints de négocier séparément avec chaque maison de disques les droits leur permettant de constituer leurs sites. Cette situation n'est pas incitative. Il serait préférable d'opposer à chaque plateforme un seul interlocuteur. Nous comptons pour cela sur la négociation professionnelle. Mais si celle-ci n'est pas engagée dans l'année qui vient, notamment par les majors, il faudra saisir le Parlement pour en faire une obligation légale.
Le prix du livre sur support numérique n'est aujourd'hui pas réglementé et c'est par ailleurs le taux normal de TVA qui s'applique. Nous proposons donc l'extension au numérique de la législation sur le prix unique applicable aux livres physiques et de la TVA à taux réduit. Le Parlement devra légiférer pour que la mesure soit effective. En Espagne, une action très volontaire vient d'être entreprise en ce sens.
Nous suggérons aussi la mise en place d'une plateforme commune de distribution des livres numériques, pour ne pas voir resurgir le problème des éditeurs agissant séparément, comme ce fut le cas pour le disque. Au lieu donc que les libraires s'adressent à plusieurs plateformes, ils disposeraient d'une plateforme commune à tous les éditeurs.
Pour ce qui concerne le cinéma, les défis sont moindres. La réflexion des professionnels conduit à favoriser la vidéo à la demande, qui ne paraît pas assez attrayante et qui est particulièrement victime du piratage. Il nous paraît souhaitable d'assouplir en sa faveur la chronologie des médias afin qu'un film soit diffusé plus tôt sur internet après sa sortie en salles.
Évoquer Google revient à poser la question d'un opérateur incontournable dans la navigation sur internet et qui a réussi à instituer une sorte de péage privé par sa captation du marché publicitaire. Il y a donc un rééquilibrage à trouver entre l'éditeur de contenus et le navigateur qui, intervenant en amont dans le processus, en retire la plus grande partie de la valeur. C'est un débat qui a suscité un grand intérêt dans la presse.
Je remercie les auteurs de ce rapport extrêmement intéressant car il propose une synthèse de questions qui, jusqu'ici, ont été abordées de façon expérimentale et même parfois chaotique, notamment avec la discussion des lois HADOPI.
La très rapide évolution des technologies pousse à revoir sans cesse les propositions déjà formulées afin de s'adapter à un monde en mutation permanente, qu'il s'agisse du cinéma, de l'édition, de la presse ou de la musique, où la France a pris du retard. Il faut garder comme fil rouge de la réflexion que nous conduisons l'exigence de « mettre les montres à l'heure » et celle de ne pas opposer internet, la création et la juste rémunération des auteurs, domaine dans lequel la France fut pionnière.
Ma première question portera sur la musique. Si la carte que vous proposez est complémentaire des outils de lutte contre le piratage instaurés par les lois HADOPI, à 50 euros, dont 25 financés par l'État, sera-t-elle suffisante pour enrayer la perception par les jeunes de la gratuité de la musique ? D'une façon plus générale, la gratuité de l'art pose question, comme, par exemple, la gratuité des musées pour les moins de vingt-cinq ans ? Il s'agit là d'un processus psychologique difficile à contrer. Ne risque-t-on pas de troubler la perception des consommateurs ?
Je m'interrogerai en second lieu sur le portail de référencement de la musique en ligne que vous proposez. Couplé à la campagne de communication que vous préconisez, ce portail améliorerait certes la visibilité de l'offre, mais iTunes n'offre-t-il pas déjà ce genre de service ? Comment les deux vont-ils donc s'articuler ? Le futur portail orientera-t-il vers d'autres sites ou sera-t-il lui même un portail commercial ?
Enfin, l'offre en ligne, comparée à celles du Japon, des États-Unis, de l'Allemagne, du Royaume-Uni, est encore très faible. Pourquoi ? Est-ce à cause de la trop grande diversité des opérateurs qui ne parviennent pas à s'accorder sur la question des droits d'auteur ou bien du moindre attrait d'iTunes en France ?
Il aurait mieux valu que cette mission se déroule avant que l'on ne discute des lois HADOPI : cela aurait permis de poser préalablement la question du financement de la création à l'ère numérique.
Que l'on considère les lois HADOPI comme homéopathique me surprend si j'en juge par le volet pénal de la loi HADOPI 2, et notamment par la sanction du délit de téléchargement illégal.
Le rapport part d'une supposition que nous contestons : la loi HADOPI 2 réglerait la question des échanges non commerciaux. Nous pensons quant à nous que le pari n'est pas encore gagné. À ce jour, le système est une tête sans les jambes : les décrets d'application n'ont toujours pas été publiés. Et, selon le ministère de la culture, les courriels d'avertissement ne seront envoyés qu'entre avril et juillet prochains, ce qui laisse du temps !
On n'a pas pris suffisamment en compte la concurrence entre offre commerciale légale et offre gratuite, laquelle implique que la première soit plus attirante pour se développer.
À partir de là, le rapport participe au concours Lépine des taxes...
C'est l'inverse ! Si onze taxes nous ont été proposées par les différentes parties prenantes, nous n'en avons retenu qu'une, ainsi qu'une réduction de l'abattement d'une autre.
..mais leurs montants ne se situent pas à la hauteur des besoins de financement de la création.
Le rapport marque cependant des avancées notables.
La carte « Musique en ligne » sera davantage financée par l'État que par les professionnels. Les plateformes dites Creative Commons seront-elles éligibles à cette carte ?
L'alignement du régime des web-radios sur les radios est une très bonne chose. Nous avions d'ailleurs proposé un amendement en ce sens, mais il a été rejeté.
Vous soulignez la nécessité de la gestion collective des droits sur internet. C'est une excellente idée. Nous allions dans le même sens en 2006 quand nous avons proposé de nommer un médiateur de la musique afin de faciliter les négociations pour l'accès aux catalogues, comme il existe déjà un médiateur du cinéma. Mais je suis sceptique sur la possibilité de rendre cette gestion obligatoire si elle n'est pas spontanément mise en place par les professionnels alors que les majors y sont totalement opposés. Le Gouvernement aura-t-il le courage de l'imposer par la loi avant la fin de 2010 ?
L'extension de la législation relative au prix unique ne risque-t-elle pas de nuire à l'attrait du livre numérique et de pénaliser son développement ?
Le régime de la vidéo à la demande est à revoir. Pourquoi ne pas aller plus loin dans la révision de la chronologie des médias ? C'est un domaine conflictuel où les pressions et les rapports de force sont lourds.
La taxe dite « Google » est-elle réalisable ? Nous y reviendrons, mais ne faut-il pas plutôt privilégier la libre concurrence ?
La taxe sur les films appartenant au domaine public afin de financer la numérisation du patrimoine cinématographique risque d'être mal perçue car elle conduira à instaurer un domaine public payant, domaine dont nous souhaitons au contraire préserver la gratuité.
Votre proposition de créer une carte « Musique en ligne » et de la faire payer 20 ou 25 euros aux internautes, le reste du montant étant pris en charge par l'État – ce qui représente environ 25 millions d'euros par an, payés par le contribuable – soulève deux questions : premièrement, le développement des sites internet commerciaux ne devrait-il pas ressortir de la seule responsabilité de ceux qui en tirent bénéfice ? Deuxièmement, ne pensez-vous pas qu'il puisse paraître choquant que le contribuable finance une entreprise qui, pour culturelle qu'elle soit, n'en est pas moins commerciale ?
La valeur d'un bien de l'esprit sur internet tendant vers zéro, c'est à l'organisation d'un marché que nous devons nous atteler. Certaines de vos propositions y contribuent. Vous vous êtes attachés à montrer les forces de votre rapport. Quelles en sont les faiblesses ?
Google étant une sorte d'« aspirateur de la valeur » sur internet, on voit bien l'utilité qu'il y aurait à le taxer. Mais je vois mal comment un moteur de recherche international pourrait payer une taxe propre à la France. Sur quoi avez-vous assis cette proposition ?
L'ensemble de vos propositions s'élève à une somme relativement modeste en regard des enjeux financiers du marché culturel sur internet. Ne pouvez-vous pas nous faire d'autres suggestions ?
Vous écrivez dans votre rapport qu'investir l'univers numérique impose « de s'engager sur un marché qui, pour l'essentiel et de plus en plus, va être encadré et régulé à l'échelle de l'Union européenne », que « pas un de ces domaines n'échappe aujourd'hui aux mesures d'harmonisation décidées par les institutions de l'Union européenne et par ses États membres » et qu'« il n'est donc plus d'action possible sans un engagement auprès de la Commission européenne et de nos partenaires européens pour défendre notre conception de la culture ».
Il est prévu dans votre rapport de nombreuses aides publiques aux industries musicales. La carte « Musique en ligne » est – appelons un chat un chat – une solvabilisation sur fonds publics de la clientèle des maisons de disque. Il est également envisagé une aide à la numérisation des fonds des éditeurs de livres, l'intégralité des revenus tirés de ces fonds numérisés revenant aux éditeurs. Ces aides sont-elles eurocompatibles ? Ne risquent-elles pas d'être considérées comme des aides directes et d'être contestées par la Commission européenne ?
La société Apple vient de sortir un nouveau produit, l'iPad, destiné à la consultation de journaux et de livres. Tout comme pour l'iPod, dont l'utilisateur est fortement incité à acheter de la musique sur la boutique iTunes, et pour l'iPhone, où l'on ne peut utiliser que des applications achetées sur la boutique Apple, on peut penser que cette dernière sera incontournable pour les contenus diffusés sur l'iPad. Si, comme on peut le penser, l'iPad connaît le même succès que l'iPod – 70 % du marché – et que l'iPhone, la plateforme Apple pourrait être la plateforme commune que vous appelez de vos voeux pour les livres, la presse et la musique. Apple est en train de mettre en place un nouveau réseau de distribution de contenu sur internet via un système fermé et propriétaire et, de fait, contrôlera le point de monétisation : c'est sur les boutiques Apple que les internautes achèteront. Comment comptez-vous faire pour préserver notre industrie de ce qui pourrait être le nouveau quasi-monopole de la distribution en ligne ? Comment être en bonne position face à Apple ? C'est maintenant que tout se joue !
La gestion collective des droits sur internet est-elle inéluctable ? Lors du MIDEM, Patrick Zelnik a laissé entendre que, si le marché du numérique décollait vraiment cette année en France, un régime de gestion collective obligatoire ne serait pas nécessairement instauré. Ne peut-on agir différemment sur les déséquilibres dans l'accès au marché, sur la capacité des plateformes à « marger » suffisamment et sur la répartition des revenus issus du numérique ? Pourtant, s'il devait aboutir, le principe de la gestion collective obligatoire des droits sur internet constituerait une véritable révolution dans la manière de commercialiser la musique. J'aimerais avoir des précisions à ce sujet.
Comme beaucoup de mes collègues, je ne suis pas trop mécontent du climat du débat d'aujourd'hui. Il est bien différent de celui qui régnait lors de l'examen des lois HADOPI. Nous voyons bien, comme M. Herbillon l'a lui-même signalé, que le Gouvernement essaie de courir après les innovations et les techniques…
C'est vrai.
Je fais partie de ceux qui pensent que ce qui perturbe beaucoup les majors, au-delà des aspects économiques, c'est de ne plus pouvoir diriger les goûts musicaux du public. Jusque-là elles décidaient, en petit cercle fermé, de ce que le public pouvait connaître, au détriment d'une multitude d'artistes et de musiques, comme la musique Métal à laquelle je suis, personnellement, très attaché. Mais je vois que la mention du mot « Métal » suscite des sourires…
Le téléchargement d'une chanson en ligne coûte un euro, ce qui est cher comparé au prix de certains CD. J'aimerais avoir des éléments de comparaison avec d'autres pays européens et d'autres continents, notamment avec les États-Unis ?
Le rapport accorde une très large place au sauvetage de la filière musicale. Vous avez pour cela travaillé avec de nombreux acteurs, notamment les producteurs. Si ces derniers sont d'accord sur deux propositions – la carte « Musique en ligne » pour les jeunes de quinze à vingt-quatre ans, même s'ils auraient préféré que la tranche d'âge des bénéficiaires soit plus étendue, et le triplement de leur crédit d'impôt par l'extension de celui-ci à leurs frais marketing –, ils considèrent que la mise en place d'ici à un an d'un régime de gestion collective des droits sur internet est une erreur de diagnostic et une mesure dangereuse et disproportionnée. La France serait ainsi le seul pays à appliquer une gestion collective des droits.
La carte « Musique en ligne » est l'une des principales préconisations du rapport. Elle a pour but d'inciter un public jeune à télécharger légalement sur internet, mais son montant reste en débat. Elle était initialement estimée à 50 euros, mais le Président de la République a évoqué un montant de 200 euros. Le ministre serait plus favorable à 50 euros et les producteurs à 100 euros. Il serait prévu, pour la financer, une taxe sur la publicité en ligne et un ajustement de la TVA à taux réduit payée par les fournisseurs d'accès à internet (FAI).
Si le prix de la carte est fixé à 200 euros, dont 100 euros de la poche de l'État, un rapide calcul permet d'évaluer le coût de la dépense publique : comme les quinze à vingt-quatre ans représentent environ 7 millions d'individus, cela ferait 700 millions d'euros, soit plus que le chiffre d'affaires de l'industrie du disque en France, évalué à 600 millions d'euros en 2008. Interrogé dernièrement à ce sujet, le ministre de la culture a déclaré ne pas avoir encore la réponse.
Le téléchargement gratuit sur internet est devenu une habitude pour les jeunes, ce qui rend nécessaire une campagne de communication visant à expliquer aux internautes que la production culturelle a un coût et que le téléchargement illégal peut la tuer. Est-il prévu d'accompagner de messages pédagogiques la traduction de vos propositions lorsque celles-ci seront adoptées ?
Il est prévu, dans la proposition n° 3, de lancer une campagne de communication visant à promouvoir les services culturels en ligne.
J'ai l'impression que l'on raisonne toujours, depuis l'adoption des lois HADOPI, selon une conception manichéenne du monde, opposant l'univers d'internet et celui de la culture, et que la seule chose qui compte, in fine, est de savoir qui va payer et comment on va faire payer. Pouvez-vous nous donner des précisions, monsieur Toubon, sur ce que vous appelez la « taxe Google » ?
Ma question fait écho à celle de M. Lionel Tardy. Les propositions n°s 21 et 22 du rapport sur l'harmonisation des législations à l'échelle européenne me semblent, en effet, très intéressantes. Les pratiques de nos voisins sont diverses. Le cas de l'Espagne a été évoqué tout à l'heure. À Bruxelles, il est possible de télécharger des CD et des DVD pour des sommes modiques dans des espaces multimédias. Il me semblerait souhaitable de profiter de la réflexion actuelle pour harmoniser le montant des taxes et les prix des services en Europe.
Nous aurions bien aimé débattre de ce rapport avant de prendre les dispositions législatives d'HADOPI. Cela nous aurait permis d'avoir une approche du sujet beaucoup plus sereine et de développer des arguments plus solides.
Vous avez annoncé, monsieur Toubon, un investissement plus massif dans la numérisation des livres – une partie du « grand emprunt » devrait y être consacrée – et la création d'une plateforme collective des éditeurs français pour améliorer l'accessibilité au livre numérique. Les débats ne sont pas simples aujourd'hui, que ce soit entre Google et le Syndicat national de l'édition (SNE), ou entre les éditeurs eux-mêmes. Or tant qu'ils n'auront pas une approche collective, ils ne pèseront pas lourd face à Amazon. Comment comptez-vous favoriser cette approche collective ?
Une proposition du rapport a pour objet d'amener les fournisseurs d'accès à élargir leur offre de films en vidéo à la demande (VàD). Trois sites ont été désignés pour référencer les films disponibles. Quid des chaînes gratuites et des chaînes de cinéma existant sur les bouquets de chaînes à péage ? Quel contrôle exercera le CSA sur ce genre de prestation ?
Vous nous avez dit, monsieur Toubon, ne pas avoir eu le temps de vous pencher sur le cas de la presse, qui pâtit de la diffusion des journaux gratuits. Certains journaux payants sont d'ailleurs en grève. Avez-vous néanmoins quelques propositions en tête ?
Par ailleurs, j'aimerais avoir des précisions sur la mission dirigée par M. Emmanuel Hoog ? Quel rapport a-t-elle avec la vôtre ?
Le ministre de la culture a indiqué, au MIDEM, qu'il avait demandé à M. Emmanuel Hoog, président de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), de conduire une mission de médiation et de négociation auprès de tous les partenaires pour aboutir à la gestion collective volontaire que nous préconisons. S'il ne parvient pas à un accord, il rendra ses conclusions et nous passerons à l'autre phase : l'instauration, par décision politique, par le biais d'un projet de loi, d'un régime de gestion collective obligatoire. M. Emmanuel Hoog a été investi d'un rôle de médiateur et de négociateur.
M. Emmanuel Hoog a déclaré hier avoir un an devant lui alors que vous avez insisté sur l'urgence, recommandant de faire « bouger Bercy » afin d'agir très vite.
Comme je l'ai dit hier soir, je serais très content si le Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP) et les plateformes se mettaient d'accord dans les trois mois. Mais il y a beaucoup de difficultés à surmonter. La nomination comme médiateur d'un homme dont on connaît la grande compétence, la grande expérience et les talents diplomatiques, me semble de nature à mettre du « lubrifiant » dans une situation où, comme on l'a vu dans les déclarations des uns et des autres, il en manque beaucoup pour l'instant. Selon moi, la négociation prendra six mois. Si elle prend moins de temps, je ne pourrai que m'en féliciter.
Dans le rapport, il est clairement indiqué que nous avons un an pour nous organiser.
Au MIDEM, les majors étaient effectivement vent debout contre la gestion collective. En tant que président d'une société de production de musique, j'étais moi-même un peu réticent à son instauration. Si je me suis rangé à l'avis de M. Toubon et de M. Cerutti, c'est parce que je n'avais rien de mieux à proposer.
Il règne actuellement une pagaille complète, caractérisée par une offre segmentée de contrats d'exclusivité souvent mensongers. Lors de l'accord concernant Neuf Cegetel, Vivendi Universal avait laissé entendre que l'intégralité de son catalogue de musique était disponible sur les téléphones concernés, ce qui n'est pas vrai. Je me suis élevé contre ce désordre et ce cloisonnement du marché qui empêche la diversité.
Nous n'avons pas abordé tous les problèmes dans le rapport. J'ai été pratiquement le seul à faire valoir que le téléchargement illicite n'était pas la seule cause de la crise. La concentration de 85 % du marché entre les mains de quatre sociétés en est tout autant responsable. Trois titres sur quatre qui passent à la radio dans le monde entier sont produits par ces quatre sociétés. Est-ce cela, la diversité ? Pour parvenir à une régulation, il faut s'attaquer aux vrais problèmes. L'état des lieux n'est pas brillant.
J'ai mis beaucoup de temps à convaincre la mission de s'intéresser aux petites et moyennes entreprises. C'est bien qu'il y ait des grands groupes, comme Vivendi Universal, mais il faut, autour, qu'un tissu de petites et moyennes entreprises et de très petites entreprises – qui sont des artisans et non des industriels – anime le marché. Je n'ai cessé de clamer que le fond du problème était que les industries culturelles étaient devenues beaucoup plus industrielles que culturelles.
Nous n'avons pas pu traiter de cela dans le rapport parce que c'est un problème de civilisation. internet ne bouleverse pas que le secteur culturel : il bouleverse notre vie entière et la vie de toute la planète.
Les mesures proposées dans le rapport pour la musique constituent un « plan ORSEC » tellement le marché est sinistré. Ces mesures ne sont pas timides. L'augmentation du taux du crédit d'impôt et le relèvement de son plafond à 3 millions d'euros ne peuvent être qualifiés ainsi.
Le montant de la « carte jeunes » est-il suffisant ? J'aurais bien aimé que le lapsus de Nicolas Sarkozy n'en fût pas un. Mais, comme l'a fait remarquer un membre de la Commission, si le montant de la carte était trop élevé, on injecterait trop d'argent dans le marché et on demanderait trop au contribuable. La conjoncture est difficile. Nous n'avons pas voulu nous voir opposer d'emblée un non ferme et définitif. Nous avons essayé d'avoir une approche financière rigoureuse. Je pense que le montant de la carte n'est pas suffisant, mais il montre que nous nous sommes intéressés aux consommateurs.
Nous devons également nous intéresser aux producteurs et aux artistes. Les mesures concernant le crédit d'impôt doivent être appliquées cette année, pas l'année prochaine.
En tant que coprésident d'IMPALA, syndicat européen représentant 4 000 producteurs indépendants, je puis vous dire que l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) nous est envié par l'Europe entière. Il n'y a rien d'équivalent ni en Grande-Bretagne, ni en Allemagne, ni au Benelux. Il faut exporter notre savoir-faire et nos idées auprès de nos partenaires européens.
Quand à l'eurocompatibilité des mesures, elle est vérifiée de près par nos voisins. Nous avons déjà beaucoup travaillé dans ce domaine et je pense que nous réussirons.
Une carte à 50 euros, financée à 50 %, me paraît suffisante pour donner un coup de projecteur sur l'offre légale en ligne et la faire connaître. Quoique foisonnante, cette offre est morcelée et peu connue. Elle a besoin qu'on lui donne un coup de pouce par le biais de cet acte de communication. Le montant de la « carte jeunes » me semble adéquat. L'étude réalisée auprès de 1 200 internautes figurant en annexe au rapport montre que la somme moyenne que les internautes sont prêts à débourser pour une formule d'abonnement donnant un accès étendu aux sites de musique – ce que l'on appelle le streaming – ainsi que pour télécharger un nombre illimité de titres, se situe autour de quelques euros par mois. Nous ne sommes pas loin du point d'équilibre permettant de faire basculer les internautes des offres illégales gratuites vers les offres légales payantes et de faire ainsi décoller le marché.
Selon moi, le portail de référencement ne doit pas être commercial. Il a une fonction d'information et d'orientation. Chaque éditeur doit rester maître de sa proposition commerciale.
Vivendi a lancé l'idée d'une plateforme pour les producteurs de musique dans l'esprit de celle que nous proposons de constituer pour les éditeurs de livres. Nous n'avons pas examiné cette proposition mais la question peut se poser. Cela dépasserait alors le cadre du portail de référencement dont nous parlons. Le sujet est très difficile car je ne vois pas, par exemple, à quoi servirait une plateforme réunissant seulement les quatre majors.
Au stade actuel de notre réflexion, il n'y a pas de raison d'exclure les Creative Commons du champ de la carte « Musique en ligne » qui serait mise en place. Les Creative Commons offrent la possibilité à des créateurs en ligne de mettre gratuitement à disposition les oeuvres d'un site, mais l'accès à ce site lui-même peut être payant s'il arbore une présentation particulière ou s'il fait des efforts de marketing. Dès lors, il peut très bien, à mon sens, être éligible à la carte.
Le fait que nous proposions un prix unique pour le livre numérique ne signifie pas que nous préconisions le même prix pour le livre numérique et le livre physique. Il faut bien distinguer ces deux aspects. Toutes les études qui ont été réalisées – je vous renvoie à ce sujet à notre rapport – montrent que les consommateurs attendent des prix notablement inférieurs sur internet. Chaque fois que nous entendons des éditeurs réclamer des prix identiques dans l'univers physique et l'univers numérique, nous les mettons en garde contre cette tendance.
L'instauration d'une redevance sur l'exploitation des films tombés dans le domaine public est une mesure que je qualifierai de « développement durable » car le produit de cette redevance sera affecté exclusivement à la numérisation et à la protection de ces films. Ne sont concernés pour l'instant que les films de Méliès et ceux des années 1930 mais, au fur et à mesure que d'autres films passeront dans le domaine public, cette mesure quasiment indolore permettra en quelque sorte au système de s'auto-protéger car, à la différence du livre et de la musique, le patrimoine cinématographique a besoin, pour survivre, que son support soit régulièrement protégé. La mesure proposée me semble la plus adaptée pour assurer cette protection.
Il existe d'ailleurs un précédent. La taxe du Centre national du livre (CNL) de 0,20 % sur le chiffre d'affaires des éditeurs frappe également la vente des livres du domaine public. À partir du moment où le produit de la redevance créée est affecté à la numérisation des films du patrimoine et participe, par là même, au développement durable du secteur, cette redevance me paraît justifiée.
L'intervention de l'État pour soutenir l'achat de musique par les jeunes internautes ne sera que de courte durée. Elle a pour but de permettre le décollage du marché. La philosophie des mesures proposées dans le rapport n'est pas de subventionner dans la durée, mais de permettre un basculement positif.
J'ai beau chercher, je ne vois aucune faiblesse au rapport. Je plaisante, naturellement…
Cela dépend de vous, monsieur le député. Mais, comme j'ai noté que vous étiez favorable à 90 % des propositions du rapport, j'ai bon espoir dans ce domaine.
Nous sommes très humbles dans notre démarche car le domaine que nous cherchons à réguler est très mouvant. Nos propositions s'inscrivent dans une logique d'intervention rapide et de courte durée parce que les choses peuvent évoluer. Comme vous l'aurez remarqué, nous ne prenons jamais parti pour l'une ou l'autre technologie. Nous sommes totalement neutres. Nous ne prenons pas part au débat opposant actuellement les tenants du streaming et ceux plaidant pour le développement du téléchargement à l'acte. Les propositions que nous faisons sont adaptables en fonction de l'évolution des pratiques numériques.
La « taxe Google » s'inspire des règles de territorialité s'appliquant à la taxe sur les conventions d'assurance, qui frappe toute convention couvrant un risque localisé en France, quels que soient le pays d'établissement de l'entreprise de l'assurance et le pays de résidence de l'assuré. Le fait générateur est l'assurance qui est souscrite.
Même si les univers sont différents, nous estimons possible, mutatis mutandis, d'appliquer une taxe sur les flux de publicité vus par des internautes dans le domaine public de l'internet français. Ce dispositif ne peut reposer que sur un régime déclaratif. Je vous renvoie, pour plus de détails, à notre rapport. Nous avons étudié la faisabilité de cette taxation avec les services de Bercy.
Nos propositions me semblent eurocompatibles puisqu'elles ne discriminent pas les acteurs de l'internet en fonction de leur nationalité. À partir du moment où la carte jeunes peut être utilisée pour tout intervenant développant une offre légale en France, quelle que soit sa nationalité, elle nous paraît également eurocompatible.
Je laisse à Patrick Zelnik le soin de répondre sur la musique Métal.
La question des prix est l'un des points essentiels. Dans l'univers de la musique comme dans celui du livre numérique, les prix sont d'une certaine manière, imposés par les géants américains. Le téléchargement fixé par iTunes à 0,99 euro par titre tend à devenir la norme chez ses concurrents. Le même phénomène est en passe de se produire, si l'on n'y prend garde, dans le domaine du livre numérique où tend à s'imposer le prix pratiqué par Amazon de 9,99 dollars le livre, quels que soient le contenu et le volume du livre. Un tel système de rémunération serait dramatique pour les créateurs français. L'instauration d'un prix unique, décidé par l'éditeur, me paraît être la meilleure réponse pour faire face à cette situation.
C'est vraiment le coeur du sujet. Le fait qu'Apple fixe le prix de la musique pour le monde entier est un constat d'échec pour les industries culturelles européennes. Il ne faut pas oublier non plus que l'industrie a parfois freiné l'innovation puisqu'elle a mis en faillite Napster, l'inventeur du file sharing.
La suite logique de notre rapport est la promotion du pluralisme des acteurs et l'émergence de plateformes françaises ou européennes innovantes. iTunes a aussi des défauts. Pour moi, c'est plus un hypermarché qu'un magasin spécialisé. Comme il multiplie les applications – il y en a trois nouvelles par semaine –, la part de la musique va tendre à décroître.
M. Roy, la diversification des acteurs profitera à la musique Métal. Nous ne l'avons pas convoquée à nos auditions mais j'ai des projets à son sujet. Nous avons reçu Mondomix et Qobuz, qui sont des plateformes spécialisées, la première dans les musiques du monde, la seconde dans la musique classique. Le directeur de Mondomix nous a dit que son site vendait plus d'exemplaires d'un même disque qu'iTunes. Cela montre bien qu'il y a une place pour de telles plateformes spécialisées.
Le problème est que leurs marges sont trop faibles et qu'elles sont actuellement en difficulté. Le Fonds stratégique d'investissement pourrait très bien les aider et contribuer ainsi à ce qu'iTunes cesse de représenter 75 % du marché. Notre rapport contient des propositions à ce sujet.
La faiblesse de ce dernier est qu'il ne donne pas tous les outils d'application. Il a besoin que des entrepreneurs se saisissent de la question, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent.
Quand il propose un téléchargement à 0,99 euro, le géant iTunes est en position de négocier des prix attractifs avec les détenteurs de droits, ce qui lui permet de dégager des marges confortables l'autorisant à faire du marketing, et donc à développer encore plus son propre modèle.
Ses concurrents sont, de leur côté, obligés, sous peine de se retrouver hors du marché, d'appliquer le même tarif de téléchargement, mais ils ne sont pas en position de force devant les détenteurs de droits, qui leur imposent leurs conditions.
Raison de plus pour mettre en place la gestion collective. En permettant un accès à des prix plus attractifs et en une seule fois, elle est une réponse à la domination actuelle d'iTunes.
Ne craignez-vous pas un même type de domination dans le secteur du livre, avec un prix s'imposant à tout le monde ? N'y a-t-il pas également un risque de téléchargement illégal de livres ?
Vos interrogations sont légitimes pour un produit pour lequel les références relèvent d'autres secteurs.
Je rappelle néanmoins que l'Europe a une position forte dans le domaine de l'édition. Les groupes internationaux sont plus souvent des groupes européens ayant repris des groupes américains que l'inverse, et la France comme l'Allemagne sont en position dominante dans ce domaine.
Cela étant, le marché du livre numérique n'en est qu'à ses débuts. La seule référence que nous ayons étant Amazon, il nous faut nous demander si elle est pertinente pour notre système, ou simplement exotique.
Dans l'incertitude actuelle, nous proposons de prendre trois mesures de régulation. Premièrement, l'éditeur doit pouvoir continuer à déterminer le prix de vente du livre, y compris dans l'univers numérique. Deuxièmement, la situation fiscale du numérique doit être améliorée. Contrairement à ce qui prévaut en Europe, depuis Clinton, le numérique est détaxé aux États-Unis, ce qui fait une grande différence. Troisièmement, la distribution des livres sous forme numérisée doit se faire sur une plateforme commune. En contrepartie des mesures que nous prenons en direction des éditeurs, nous demandons à ces derniers un effort. Nous souhaitons en particulier qu'ils cessent de se disputer. Des déclarations ont été faites en ce sens depuis le mois de décembre et des négociations sont engagées. J'espère qu'elles aboutiront rapidement.
Les aides contenues dans notre rapport, comme la prise en charge de la moitié de la « carte Musique en ligne », seront notifiées à Bruxelles et suivront le processus habituel. Frédéric Mitterrand souhaiterait que la carte soit prête pour la Fête de la musique. Je ne sais si nous y parviendrons. Il faut au moins trois mois pour que le dispositif passe devant les services de la concurrence et M. Joaquin Almunia ne prend ses fonctions que la semaine prochaine.
La notion d'eurocompatibilité est beaucoup plus vaste que la simple question des aides. Il s'agit, face à iTunes et aux plateformes américaines, de trouver une stratégie européenne permettant de promouvoir des alternatives européennes sur le plan commercial et industriel. Il n'est pas normal qu'avec les contenus de nos sites et l'expertise de nos entreprises, dans tous les domaines, y compris le marketing, pourtant considéré comme le domaine d'excellence des Américains – de nombreuses petites entreprises françaises comme celle dirigée par M. Zelnik pourraient en remontrer à beaucoup d'autres à cet égard –, nous soyons à la remorque des Américains.
Les présidences espagnole et belge sont, de ce point de vue, une bénédiction car leur orientation va dans le sens que nous souhaitons. Expérimentées et chevronnées, elles sont susceptibles de promouvoir l'idée d'une stratégie et d'une alternative européennes. C'est cela le vrai enjeu européen !
Je dirai quelques mots du cinéma et de la télévision – c'est-à-dire du monde des images – car ils sont un élément essentiel du point de vue tant de la consommation que de la culture.
Contrairement au monde de la musique où, comme l'a souligné M. Zelnik, tout le monde se tape dessus, et contrairement au monde du livre où l'on n'a pas commencé à « faire le boulot », les professionnels du cinéma et de l'audiovisuel français ont pris à bras-le-corps les problèmes sous l'égide du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). La mutualisation des financements est assurée grâce aux taxes allouées au CNC et les décisions résultent de négociations interprofessionnelles.
Comme les professionnels de ce secteur, instruits par le désastre de la musique, ont déjà commencé à travailler, nous n'avons pas voulu troubler le dispositif mis en place et avons été très modestes dans nos propositions. Le Parlement a modifié, en juin la chronologie des médias dans le cadre de la loi HADOPI 1 – laquelle doit encore être assouplie. Nous proposons pour notre part une disposition pour renforcer les moyens publics destinés à la numérisation des films et préconisons que soient instaurés des principes d'accès non discriminatoire aux réseaux de distribution.
Une autre possibilité aurait été d'instaurer une obligation de must carry, c'est-à-dire de distribution. Mais nous l'avons jugée trop brutale et avons préféré nous en remettre aux dispositions rendues possibles par la directive européenne TVSF de 2006 modifiée – encore appelée directive sur les services de médias audiovisuels – et demander au CSA de travailler à l'instauration d'un principe absolu de non-discrimination d'accès. Peut-être faudra-t-il pour cela passer par un texte de loi. Ce que nous voulons, c'est qu'il n'y ait pas d'exclusivité.
Concernant les chaînes à péage, des ajustements devront intervenir, notamment concernant Canalplay, le site de téléchargement de vidéos de Canal +.
Enfin, reprenant une casquette que j'ai longtemps portée, à savoir celle d'homme politique, je fais appel à vous, mesdames, messieurs de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation, notamment de la majorité, pour pousser le Gouvernement à aller le plus vite possible dans la mise en oeuvre des propositions que nous faisons dans notre rapport.
Le Gouvernement a manifesté la volonté de les prendre en compte et d'accélérer leur mise en oeuvre. Des réunions interministérielles ont eu lieu. Des commandes à très court terme ont été passées qui pour faire des propositions, qui pour obtenir de l'Autorité de la concurrence une étude sur la situation de position dominante de Google, qui pour étudier les mesures fiscales. Mais le calendrier politique et Bercy étant ce qu'ils sont, vous avez une grande responsabilité dans cette affaire.
Des dispositions favorables à l'investissement, tels que les crédits d'impôt, peuvent être proposées dans le cadre du projet de loi sur le « grand emprunt national » que vous allez bientôt examiner. D'autres supports, tels que le collectif, au printemps ou au cours de l'été, peuvent accueillir d'autres dispositions.
Pour conclure cette audition passionnante par les questions fort judicieuses que vous avez posées, je lance un appel pour que vous assumiez votre responsabilité dans cette grande affaire politique. C'est non seulement le sort d'une grande partie de notre économie qui se joue, mais également l'avenir de notre civilisation dans les dix ou vingt prochaines années.
Si la France adoptait un régime de gestion collective, elle ne serait pas le seul pays à l'appliquer. Il existe aux États-Unis, pour les radios musicales en ligne, et aux Pays-Bas, pour le téléchargement, des modèles de gestion collective qui fonctionnent bien.
La création d'une plateforme collective des éditeurs français relève uniquement de l'initiative des professionnels. Notre action en sa faveur ne peut être que du domaine de l'exhortation et de l'encouragement politique. M. Matthieu de Montchalin, directeur de la librairie L'Armitière, à Rouen, est très en pointe sur ces débats. D'autres acteurs le sont également. Notre rôle se borne à inciter. Sans aller jusqu'à conditionner les aides qu'il propose, l'État doit faire sentir aux professionnels qu'il attend d'eux qu'ils bougent rapidement dans ce domaine. C'est une question politique par excellence.
Même si la presse n'est pas traitée directement dans notre rapport, certaines dispositions l'intéressent. Celles relatives à la question de l'évolution du marché publicitaire sur internet et, notamment, de grands opérateurs comme Google, posent la question du rôle des éditeurs de contenu en ligne, et les sites de presse sont parmi les premiers concernés.
Nous pensons, par cette mesure, faire oeuvre utile pour la presse, même si les États généraux ont déjà traité le sujet plus exhaustivement que nous n'avons pu le faire.
La séance est levée à onze heures cinquante-cinq.