Vos interrogations sont légitimes pour un produit pour lequel les références relèvent d'autres secteurs.
Je rappelle néanmoins que l'Europe a une position forte dans le domaine de l'édition. Les groupes internationaux sont plus souvent des groupes européens ayant repris des groupes américains que l'inverse, et la France comme l'Allemagne sont en position dominante dans ce domaine.
Cela étant, le marché du livre numérique n'en est qu'à ses débuts. La seule référence que nous ayons étant Amazon, il nous faut nous demander si elle est pertinente pour notre système, ou simplement exotique.
Dans l'incertitude actuelle, nous proposons de prendre trois mesures de régulation. Premièrement, l'éditeur doit pouvoir continuer à déterminer le prix de vente du livre, y compris dans l'univers numérique. Deuxièmement, la situation fiscale du numérique doit être améliorée. Contrairement à ce qui prévaut en Europe, depuis Clinton, le numérique est détaxé aux États-Unis, ce qui fait une grande différence. Troisièmement, la distribution des livres sous forme numérisée doit se faire sur une plateforme commune. En contrepartie des mesures que nous prenons en direction des éditeurs, nous demandons à ces derniers un effort. Nous souhaitons en particulier qu'ils cessent de se disputer. Des déclarations ont été faites en ce sens depuis le mois de décembre et des négociations sont engagées. J'espère qu'elles aboutiront rapidement.
Les aides contenues dans notre rapport, comme la prise en charge de la moitié de la « carte Musique en ligne », seront notifiées à Bruxelles et suivront le processus habituel. Frédéric Mitterrand souhaiterait que la carte soit prête pour la Fête de la musique. Je ne sais si nous y parviendrons. Il faut au moins trois mois pour que le dispositif passe devant les services de la concurrence et M. Joaquin Almunia ne prend ses fonctions que la semaine prochaine.
La notion d'eurocompatibilité est beaucoup plus vaste que la simple question des aides. Il s'agit, face à iTunes et aux plateformes américaines, de trouver une stratégie européenne permettant de promouvoir des alternatives européennes sur le plan commercial et industriel. Il n'est pas normal qu'avec les contenus de nos sites et l'expertise de nos entreprises, dans tous les domaines, y compris le marketing, pourtant considéré comme le domaine d'excellence des Américains – de nombreuses petites entreprises françaises comme celle dirigée par M. Zelnik pourraient en remontrer à beaucoup d'autres à cet égard –, nous soyons à la remorque des Américains.
Les présidences espagnole et belge sont, de ce point de vue, une bénédiction car leur orientation va dans le sens que nous souhaitons. Expérimentées et chevronnées, elles sont susceptibles de promouvoir l'idée d'une stratégie et d'une alternative européennes. C'est cela le vrai enjeu européen !
Je dirai quelques mots du cinéma et de la télévision – c'est-à-dire du monde des images – car ils sont un élément essentiel du point de vue tant de la consommation que de la culture.
Contrairement au monde de la musique où, comme l'a souligné M. Zelnik, tout le monde se tape dessus, et contrairement au monde du livre où l'on n'a pas commencé à « faire le boulot », les professionnels du cinéma et de l'audiovisuel français ont pris à bras-le-corps les problèmes sous l'égide du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). La mutualisation des financements est assurée grâce aux taxes allouées au CNC et les décisions résultent de négociations interprofessionnelles.
Comme les professionnels de ce secteur, instruits par le désastre de la musique, ont déjà commencé à travailler, nous n'avons pas voulu troubler le dispositif mis en place et avons été très modestes dans nos propositions. Le Parlement a modifié, en juin la chronologie des médias dans le cadre de la loi HADOPI 1 – laquelle doit encore être assouplie. Nous proposons pour notre part une disposition pour renforcer les moyens publics destinés à la numérisation des films et préconisons que soient instaurés des principes d'accès non discriminatoire aux réseaux de distribution.
Une autre possibilité aurait été d'instaurer une obligation de must carry, c'est-à-dire de distribution. Mais nous l'avons jugée trop brutale et avons préféré nous en remettre aux dispositions rendues possibles par la directive européenne TVSF de 2006 modifiée – encore appelée directive sur les services de médias audiovisuels – et demander au CSA de travailler à l'instauration d'un principe absolu de non-discrimination d'accès. Peut-être faudra-t-il pour cela passer par un texte de loi. Ce que nous voulons, c'est qu'il n'y ait pas d'exclusivité.
Concernant les chaînes à péage, des ajustements devront intervenir, notamment concernant Canalplay, le site de téléchargement de vidéos de Canal +.
Enfin, reprenant une casquette que j'ai longtemps portée, à savoir celle d'homme politique, je fais appel à vous, mesdames, messieurs de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation, notamment de la majorité, pour pousser le Gouvernement à aller le plus vite possible dans la mise en oeuvre des propositions que nous faisons dans notre rapport.
Le Gouvernement a manifesté la volonté de les prendre en compte et d'accélérer leur mise en oeuvre. Des réunions interministérielles ont eu lieu. Des commandes à très court terme ont été passées qui pour faire des propositions, qui pour obtenir de l'Autorité de la concurrence une étude sur la situation de position dominante de Google, qui pour étudier les mesures fiscales. Mais le calendrier politique et Bercy étant ce qu'ils sont, vous avez une grande responsabilité dans cette affaire.
Des dispositions favorables à l'investissement, tels que les crédits d'impôt, peuvent être proposées dans le cadre du projet de loi sur le « grand emprunt national » que vous allez bientôt examiner. D'autres supports, tels que le collectif, au printemps ou au cours de l'été, peuvent accueillir d'autres dispositions.
Pour conclure cette audition passionnante par les questions fort judicieuses que vous avez posées, je lance un appel pour que vous assumiez votre responsabilité dans cette grande affaire politique. C'est non seulement le sort d'une grande partie de notre économie qui se joue, mais également l'avenir de notre civilisation dans les dix ou vingt prochaines années.