COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 15 juillet 2009
La séance est ouverte à dix heures trente.
(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation examine, sur le rapport de M. Franck Riester, le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (n° 1831).
Nous débutons l'examen en commission du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, déposé à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009 concernant la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet dite loi « HADOPI 1 ».
Ce nouveau projet, tenant compte des observations du Conseil constitutionnel, place l'autorité judiciaire au coeur du dispositif de dissuasion et de lutte contre les téléchargements illégaux.
Il a été voté en première lecture par le Sénat, le mercredi 8 juillet : dix-sept amendements ont été examinés ; le texte, qui comportait cinq articles, en compte dorénavant douze.
À l'Assemblée nationale, 126 amendements ont été transmis au secrétariat de la commission. Je précise que j'ai accepté, à la demande de l'opposition, d'allonger d'une journée le délai de dépôt des amendements pour porter son échéance au samedi 11 juillet à 17 heures.
Je salue la présence de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, ainsi que de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, les deux membres du Gouvernement concernés par ce texte, le premier soumis à notre nouvelle commission. Je rappelle que, en vertu des articles 45 et 86 de notre nouveau règlement, ils ont la possibilité d'assister à l'intégralité de nos débats et de nos votes.
Au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC), et même de toute l'opposition, si Mme Billard accepte que je l'associe, je souhaite appeler votre attention sur les conditions du travail parlementaire.
Le projet de loi « HADOPI 2 » a été adopté en conseil des ministres le 24 juin puis au Sénat le 8 juillet. Le même jour, notre collègue Franck Riester a été nommé rapporteur et nous nous retrouvons le 15 juillet pour examiner le texte et les amendements. Même si vous avez reporté de vingt-quatre heures la limite de dépôt des amendements, nous considérons que le travail parlementaire et les droits de l'opposition sont une nouvelle fois bafoués. Nous travaillons en effet dans des conditions épouvantables sur un texte qui bouleverse notre ordre juridique, puisqu'il élargit le champ des ordonnances pénales.
Le rapporteur a rapidement procédé à des auditions, auxquelles je n'ai pas été invité, je viens de le vérifier sur mon ordinateur. Dans sa précipitation, il a oublié la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), peut-être blâmée pour ne pas avoir signé l'accord sur la réduction de la chronologie des médias. Je suis surtout étonné qu'il n'ait pas auditionné l'Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM), ce que notre groupe a fait avec le plus grand profit.
Alors que, sur le texte « HADOPI 1 », la Commission des lois avait été saisie au fond, sur le présent texte « HADOPI 2 », de nature purement pénale, elle n'a même pas été saisie pour avis, pas plus à l'Assemblée nationale qu'au Sénat : voilà qui est paradoxal !
Le sujet est trop important pour que la discussion soit bâclée. Il serait sage de donner du temps au temps et de la reporter au mois de septembre, alors que l'examen du texte est inscrit à l'ordre du jour de la séance du mardi 21 juillet.
Les services de la commission ont envoyé la liste des auditions par courriel à chacun des membres de la commission. Quant à la Commission des lois, elle s'est posé la question mais n'a finalement pas souhaité se saisir pour avis du texte.
Tous les membres de la commission ont reçu la liste des auditions, forcément limitées compte tenu du délai. M. Bloche se fait adresser ses courriels à une adresse personnelle, ce qui explique peut-être son problème de réception.
J'ai procédé à une dizaine d'auditions : des associations de consommateurs, des associations d'internautes et des professionnels. S'agissant de la SACD, j'ai longuement parlé avec M. Pascal Rogard au téléphone pour évoquer avec lui tous les points qui l'intéressent. Celles et ceux qui souhaitaient être entendus l'ont été ; celles et ceux que nous avons jugé utile d'entendre l'ont également été.
Au nom de Frédéric Mitterrand et en mon nom, je félicite Mme Michèle Tabarot pour son élection à la présidence de la Commission.
La loi dite « HADOPI 1 » a été adoptée par votre assemblée et ses mesures de fond, tendant à la protection de la création artistique, ont été validées par le Conseil constitutionnel. Si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est que le Conseil constitutionnel a invalidé certaines modalités d'application.
Il ne s'agit donc pas de revenir sur les dispositions de fond. Mais une loi dépourvue de mesures d'application perd son autorité. Or nous sommes tous attachés à ce que les lois adoptées soient appliquées.
Le projet de loi dit « HADOPI 2 » vous est présenté dans la rédaction adoptée la semaine dernière par le Sénat. Je remercie la présidente et le rapporteur pour le travail qu'ils ont accompli à partir de ce texte sénatorial. Je souhaite que nous puissions débattre dans le même esprit qu'au Sénat, où les échanges ont été extrêmement intéressants. Il est tout à fait normal que le travail parlementaire vienne améliorer un texte ; je suis donc ouverte à des amendements, l'important étant de trouver les meilleurs moyens pour appliquer les dispositions de fond adoptées.
Ce texte prévoit des sanctions et des procédures pour les appliquer. Comme la loi « HADOPI 1 », il a surtout un rôle pédagogique et dissuasif, donc préventif, vis-à-vis de deux comportements.
D'abord, nous visons le téléchargement illégal sur internet en l'assimilant au délit de contrefaçon, puni de sanctions extrêmement lourdes mais modulées par le juge en fonction de l'appréciation de la responsabilité de l'auteur. Une peine de suspension d'abonnement à internet a été prévue.
Ensuite, nous visons les personnes qui ne commettent pas elles-mêmes une contrefaçon mais qui laissent délibérément un tiers utiliser leur ligne à cet effet, avec une gradation de la mise en garde.
Une fois la constatation effectuée, l'abonné sera averti à deux reprises, par courriel puis par lettre recommandée avec accusé de réception. S'il ne prend aucune disposition pour empêcher l'usage de sa ligne pour des téléchargements illégaux, une sanction interviendra. Je suis convaincue que la mise en garde suffira le plus souvent, ce qui évitera de recourir à la sanction prévue pour défaut de surveillance. Cette sanction est une contravention de cinquième classe, passible d'une amende de 3 750 euros et d'une suspension d'un mois de l'abonnement à internet.
Puisque le Conseil constitutionnel en avait fait grief au premier texte, je souligne que cette procédure ne se fonde pas sur une présomption de culpabilité et qu'elle ne porte aucunement atteinte à la présomption d'innocence. Le juge devra s'assurer que tout a été fait pour informer la personne ; le seul fait que des téléchargements aient été commis à partir de la ligne d'un abonné ne suffit pas à engager la responsabilité de ce dernier.
Le nouveau dispositif est mieux proportionné. Le Conseil constitutionnel ayant considéré que la suspension de l'abonnement peut être considérée comme portant atteinte à la liberté de communication, la responsabilité de la suspension incombera au juge et non à une simple autorité administrative. Mais le juge doit pouvoir décider rapidement et en s'appuyant sur une certitude.
Trois objectifs sont visés pour garantir l'efficacité du dispositif.
Premièrement, le travail d'investigation préalable sera amélioré. Les agents assermentés de la HADOPI dresseront des procès-verbaux constatant la contrefaçon ou la négligence caractérisée ; ils pourront recevoir les déclarations de l'internaute, mais ils ne détiendront qu'un pouvoir de constatation, sous le contrôle complet de l'autorité judiciaire. Ce sera au parquet d'apprécier les éléments apportés pour poursuivre ou pour approfondir l'enquête. Là encore, nous répondons à une préoccupation du Conseil constitutionnel.
Deuxièmement, compte tenu du nombre d'affaires, le traitement judiciaire de la procédure sera simplifié. La procédure judiciaire retenue est celle de l'ordonnance pénale, qui n'est ni exceptionnelle en droit français, ni arbitraire. Elle est employée assez fréquemment et respecte les droits de la défense, notamment le principe du contradictoire. En outre, chacune des deux parties peut la juger insuffisante et demander le recours à la procédure classique, c'est-à-dire le jugement en audience publique. Enfin cette procédure concerne les seuls délits de contrefaçon sur internet.
La sanction sera effective, car la personne sanctionnée ne pourra plus se réabonner.
S'il ne faut pas surestimer l'importance de ce texte pragmatique, destiné à assurer l'effectivité de la loi précédemment votée – par là même équilibré, respectueux des décisions du Conseil constitutionnel et cohérent – il n'en faut pas moins rappeler qu'il contribue ainsi à la protection de la création mais aussi, grâce à la réintroduction du juge, des libertés.
Rendant hommage au travail effectué par la ministre d'État et par ses services, je souhaite replacer ce deuxième volet législatif dans le contexte plus général de la protection des artistes et des créateurs. Le troisième et dernier volet de la démarche sera formé par l'ensemble des consultations que je mènerai dès la rentrée, afin d'examiner toutes les voies permettant d'assurer de meilleures ressources aux artistes et aux créateurs et d'améliorer les offres destinées aux utilisateurs.
Je comprends l'inquiétude de M. Bloche devant la rapidité avec laquelle ce texte aura été examiné. Mais cette rapidité est toute relative face au « tsunami » que représente ce phénomène de société. Désormais, adultes et enfants téléchargent de façon illégale, et l'ampleur de ces pratiques est telle que le Parlement européen compte désormais parmi ses membres un représentant du « Parti pirate » suédois. En France, les ventes de disques ont été divisées par deux en trois ans et les ventes de DVD ont subi une baisse de 30 %. Comme les industries culturelles, les créateurs ont subi des dommages considérables.
Beaucoup de pays ont adopté des mesures pour combattre cette évolution, qui vont de l'organisation du marché à la mise en place de sanctions, de l'avertissement à la suspension en passant par l'amende. La simple organisation du marché a l'inconvénient de laisser l'usager seul face à des groupes puissants, alors que le système « HADOPI » crée un sas, un lieu d'arbitrage qui lui assure une meilleure protection. La tendance dominante va-t-elle vers la suspension après avertissement et amende ? Je ne sais. Mais les effets de ces politiques se font déjà sentir puisque l'on constate une remontée conséquente des résultats des industries culturelles dans les pays qui ont mis en place la suspension. On constate en même temps une prise de conscience générale chez les artistes, parallèlement à un effritement dommageable, chez certains internautes et journalistes, de la conviction qu'il faut protéger les créateurs. Il convient donc de prendre position nettement et rapidement.
Simultanément à l'examen de ce projet de loi, je prépare le « troisième volet », un forum d'échange qui se tiendra dès la rentrée et qui devra permettre d'aménager et d'améliorer le fonctionnement de la loi.
J'entends dire que cette loi serait inapplicable et inconstitutionnelle. Je ne doute pas que le remarquable travail du rapporteur, que complétera sans doute l'apport des parlementaires, permette de lever les derniers obstacles en la matière et que nous disposions là d'un texte qui « tienne la route ».
D'autres estiment que les pirates, qu'ils soient occasionnels ou quasi professionnels, trouveront toujours des moyens de contourner la loi. Mais je suis certain que le personnel de la HADOPI aura toutes les compétences pour parer ces nouvelles astuces. En se donnant les moyens nécessaires, il est possible de lutter contre une attitude délictueuse : la baisse de la mortalité sur les routes en est la preuve.
Enfin, d'aucuns prétendent que cette loi va à l'encontre d'une certaine morale sociale ambiante, selon laquelle tout devrait être gratuit et disponible. Mais il est justement de notre rôle de la combattre, par un effort de pédagogie.
Nouvellement arrivé rue de Valois, je n'ai certes pas les connaissances techniques qui sont les vôtres sur ce dossier. Mais j'ai le sentiment d'exprimer la volonté, certes diffuse, qu'a la société de protéger ses créateurs. Tous les pays luttent, en ordre dispersé, contre cette révolution que beaucoup n'ont pas vu venir. L'urgence s'impose à nous : nous devons intervenir.
Ce texte, sur lequel une dizaine d'auditions ont été menées et 126 amendements déposés, est un texte technique, qui porte essentiellement sur la sanction. Pendant les 60 heures qu'a duré le débat en séance publique sur la loi « HADOPI 1», nous avons eu largement l'occasion de discuter du fond. Je propose, dans l'intérêt de nos travaux, de ne pas y revenir et de nous concentrer sur les amendements.
Nous sommes face à un phénomène de grande ampleur : 450 000 films sont téléchargés illégalement chaque jour ; entre juin 2008 et juin 2009, le chiffre d'affaires du secteur de la musique a encore baissé de 37 % !
Nous n'avons pas d'autre solution pour préserver la création que de lutter contre le téléchargement illégal – d'une manière qui privilégie la pédagogie, c'est-à-dire l'avertissement – et d'intensifier le développement des offres légales. Dans ce dernier domaine, la loi « HADOPI 1 » a permis des avancées considérables en prévoyant le raccourcissement de la chronologie des médias, la suppression des mesures anti-copies sur les CD et la labellisation des offres légales.
Le présent texte est la conséquence de la décision du Conseil constitutionnel, qui a estimé que la suspension, sanction ultime, devait être prononcée par un juge. À l'article 1er, il est donné aux agents assermentés de la HADOPI la possibilité de constater les infractions. L'article 2 introduit la possibilité de recourir à la procédure du juge unique et aux ordonnances pénales.
L'article 3 donne au juge la possibilité de suspendre, pour une durée maximale d'un an, l'abonnement internet d'une personne ayant commis un délit de contrefaçon, si elle est titulaire de l'abonnement. L'article 3 bis vise pour sa part à créer une contravention (avec la possibilité d'une peine complémentaire de suspension, pouvant aller jusqu'à un mois, de l'accès à internet) sanctionnant la « négligence caractérisée » du titulaire d'un abonnement qui laisserait se commettre des téléchargements illégaux, et ce alors qu'il aurait été averti par la HADOPI.
Enfin, l'article 4 vise à sanctionner la violation, par une personne ayant commis un délit de contrefaçon, de l'interdiction de souscrire un nouvel abonnement. Les fournisseurs d'accès à internet n'auront ainsi plus l'obligation de consulter le fichier prévu par la loi « HADOPI 1 », qui a été supprimé.
Madame la garde des Sceaux, vous avez dit qu'il convenait d'éviter que la loi perde son autorité. Or toutes les conditions sont réunies pour que les lois « HADOPI 1 » et « HADOPI 2 » se trouvent précisément dans ce cas.
Je ne reviendrai pas sur le long feuilleton qui occupe le Parlement plusieurs semaines par an depuis près de cinq ans, mais sur le caractère inapplicable, injuste et inquiétant de cette loi. C'est en outre une loi inefficace car on n'y traite pas de la question de la rémunération des artistes, alors qu'on devrait intervenir de façon ferme et régulatrice afin de soutenir la création.
Vous entendez, avec M. le rapporteur, construire une sorte de pare-feu autour de M. le ministre de la culture afin de promouvoir l'idée que cette loi vise seulement à organiser la répression et qu'il est inutile d'en revenir au débat de fond. Je note avec plaisir que M. Mitterrand n'est pas tombé dans ce piège, rappelant combien une vision globale de la situation était importante.
Nous aurons donc un nouveau débat général sur la protection des droits d'auteur et le financement de la création à l'âge numérique – que vous ne pourrez interdire, monsieur le rapporteur. Nous aurions souhaité que M. le ministre de la culture, à son arrivée rue de Valois, demande un moratoire sur l'application de cette loi, afin de se donner le temps de la réflexion. Nous espérons que du moins ce nouveau débat lui donnera l'occasion d'exprimer son point de vue.
Il n'y a eu, sur ce texte préparé dans la plus grande improvisation, aucune concertation ; les auditions qu'a menées le rapporteur l'ont été à huis clos, sans que les parlementaires de l'opposition y aient été conviés. Cela nous conforte dans l'idée que le débat national n'est pas mené de manière sérieuse.
Pourquoi un nouveau débat général ? Parce que le monde est en mouvement permanent : il est aujourd'hui question de mettre en oeuvre des licences globales privées, aux États-Unis mais aussi en France. Si tel devait être le cas, il nous faudrait en débattre. De la même manière, nous devrions d'ores et déjà discuter du « troisième volet » qui, comme l'a indiqué le ministre de la culture, devrait contenir des dispositions visant à protéger les droits d'auteur et à soutenir la création. Si une taxe sur les fournisseurs d'accès à internet devait être envisagée, il faudrait discuter des contreparties pour le public. La question des droits d'auteur n'est-elle pas affaire d'équilibre entre les droits des artistes, ceux des ayants droits et ceux du public ? Ce débat ne doit pas être escamoté par le seul transfert du texte de la rue de Valois vers la place Vendôme.
La gratuité de l'accès à la culture – laquelle, contrairement à ce qui a été dit trop souvent, peut aussi être un bien – n'implique pas l'absence de rémunération des créateurs. Nous ne sommes pas, quant à nous, des tenants du « laissez faire » et nous considérons qu'une régulation moderne permettant de financer la création – y compris lorsque l'usager bénéficie de la gratuité – constituerait non une dérive libertaire, mais une véritable conquête démocratique.
Pour ce qui est du respect de l'État de droit, je note que M. le rapporteur ne s'est pas départi de l'assurance dont il faisait preuve avant que le Conseil constitutionnel ne brandisse le carton rouge – à l'exemple, d'ailleurs, de ceux qui en 2006 soutenaient que la loi sur les droits d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) règlerait tous les problèmes. L'opposition, elle, a gagné en crédibilité en pointant l'immobilisme gouvernemental et l'illusion sécuritaire qui lui est si chère.
Par ailleurs, pour savoir si cette loi est ou non applicable, je vous conseille d'écouter les mises en garde des experts de l'Institut national de recherche en informatique et automatique (INRIA) que vous persistez à ignorer.
De plus, nous sommes inquiets quant à votre projet de surveillance de la correspondance privée : je vous demande, en la matière, des éclaircissements précis, et la garantie que vous n'entendez pas surveiller les courriers électroniques et leurs pièces jointes.
Enfin, la presse a mentionné récemment un avis du Conseil d'État mettant en garde le Gouvernement, semble-t-il, sur les dangers de ce texte au regard de la Constitution et des libertés. Si cela est faux, il serait bon de rendre public cet avis – ne serait-ce que pour désamorcer certains de nos griefs ; si cela est vrai, rendez-le public derechef afin qu'il contribue à éclairer nos débats.
Quel gâchis ! Que de temps perdu ! Quel entêtement de la part du Gouvernement et, ce, malgré l'avis du Conseil constitutionnel ! Quelle absurde logique préside donc à cette succession de textes, alors que la loi « HADOPI 1 » se voulait un outil pédagogique et dissuasif et que le projet de loi « HADOPI 2 » se révèle, si j'ose dire, « banalement » répressif !
Le « troisième volet » qu'annonce M. le ministre de la culture aurait dû être le premier, et le seul... Nous sommes en effet face à un bouleversement des modes de diffusion culturels, s'agissant notamment, de la musique : la musique enregistrée sur des supports physiques est en effet condamnée au profit de nouveaux modes de « consommation culturelle » ; les Français seront de plus en plus nombreux à naviguer sur internet afin d'écouter de la musique et de visionner des films, en même temps qu'ils se rendront de plus en plus aux concerts et au cinéma.
Vous évoquez les artistes, mais lesquels ? Le Gouvernement a lui-même « avoué » lors de l'examen de la loi « HADOPI 1 » que le dispositif ne concernait que la surveillance de 1 000 films et 10 000 titres musicaux : il s'agit bien, avant tout, de protéger les artistes les plus médiatisés ! Parce que les problèmes qui se posent ne sont pas tant d'ordre juridique qu'économique, nous ne cessons de répéter qu'il convient de mettre en place de nouveaux modes de rémunération de la culture – nous proposons ainsi, pour la musique, l'établissement d'une « contribution créative » et, pour le cinéma et le secteur de l'audiovisuel, le reversement de la taxe visant les fournisseurs d'accès à internet (FAI) et les opérateurs de télécommunications créée par la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.
Vous-même, monsieur le ministre, entretenez la confusion ambiante lorsque vous prétendez que, selon certains, tout devrait être gratuit : ce n'est vraiment pas le problème ; vous confondez gratuité et illégalité alors que tout ce qui est gratuit est loin d'être illégal – il y a sur internet des contenus gratuits parfaitement légaux. Ce sont d'ailleurs les plus « gros » qui tirent profit des contenus gratuits diffusés légalement quand les plus « petits », les artistes, ne s'y retrouvent pas: or, depuis Beaumarchais, le droit d'auteur vise, précisément, à défendre les seconds contre les premiers.
Je me suis étonné, madame la garde des Sceaux, de vous entendre évoquer la suspension de l'accès à internet – dispositif selon nous inadapté – comme une peine «de substitution » alors qu'elle nous semble bien plutôt « complémentaire ». De même, arguer de l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception pour insister sur le caractère préventif de la loi me semble sujet à caution dès lors qu'on ne peut être absolument certain que l'abonné la reçoive en personne.
L'accusé de réception est précisément fait pour cela.
La loi mentionne la date d'envoi et non de réception : cela change tout.
Par ailleurs, vous avez précisé que les ordonnances pénales ne constituent pas une procédure exceptionnelle et M. le ministre a usé de la comparaison familière avec le code de la route. Or la situation d'internet est bien différente ; lorsque l'on se fait flasher pour excès de vitesse, il est en effet toujours possible d'exciper du vol ou du prêt de son véhicule, conformément au principe fondamental de l'individualisation des peines : on ne peut pas être incriminé pour quelque chose qu'on n'a pas commis. Le projet, en revanche, maintient la notion de « négligence caractérisée » alors qu'il sera très difficile, voire impossible pour un internaute de prouver son innocence en cas de piratage de sa ligne. Comment ce texte serait-il fidèle aux propos qu'a tenus le Président de la République le 7 janvier dernier, lors de l'audience solennelle de début d'année de la Cour de Cassation, où il souhaitait le passage de la culture de l'aveu à celle de la preuve ? S'agissant de cette notion de « négligence caractérisée », notre groupe souhaite vivement, pour la clarté du débat, que le Gouvernement nous remettre d'ici mardi, date de la séance publique, les projets de décret et de circulaire que vous vous apprêtez à prendre.
Par ailleurs, le problème se pose d'une justice expéditive et d'un rôle très contraint du juge – voire, du respect de la séparation des pouvoirs – quand la HADOPI aura transmis au parquet un dossier bien ficelé par des agents assermentés, et que c'est elle qui devra ensuite avertir le FAI. De surcroît, qui du juge, du parquet ou de la HADOPI, décidera de la qualification d'un fait comme contrefaçon ou « négligence caractérisée » ?
De plus, une étude d'impact sur les moyens nécessaires à la justice afin de mettre en oeuvre cette loi a été réalisée dont, dit-on, Mme la ministre conteste les conclusions. Outre que cette étude ne tient pas compte des contentieux liés aux réabonnements, on évoque 26 postes de magistrats et 83 postes de greffiers à créer, alors que ce sont respectivement 100 et 350 postes de juges et de greffiers qui ont été supprimés cette année. De surcroît, qui paiera les expertises et les contre-expertises, quand les moyens nécessaires à la bonne exécution des premières manquent déjà dans votre budget ? Plus généralement, qui paiera la mise en oeuvre de la loi « HADOPI 2 » et, compte tenu des conclusions du Conseil constitutionnel, les coûts induits pour les FAI ?
Enfin M. le rapporteur n'a pas donné son point de vue s'agissant des mails, alors qu'il s'est publiquement prononcé contre leur surveillance – position que nous saluons.
Par ailleurs, il n'est pas exact de prétendre que vous avez supprimé le répertoire : c'est le Conseil constitutionnel qui l'a fait – il serait plus juste de dire que vous ne l'avez pas réintroduit.
Enfin, je note que ce projet de loi durcit la loi « HADOPI 1 » sur deux points : les trois clauses d'exonération de manquement à l'obligation de surveiller sa connexion à internet ont disparu ; et une amende de 3 750 euros est créée pour tout internaute qui aurait enfreint l'interdiction de souscrire à un nouveau contrat d'abonnement.
Au nom du groupe GDR, je me félicite de la décision du Conseil constitutionnel : si le Gouvernement avait écouté l'opposition – qui l'avait alerté depuis longtemps sur l'impossibilité constitutionnelle de suspendre des connexions internet sans une décision de justice – il n'en serait pas là aujourd'hui. Ce n'est pas parce que nous sommes dans l'opposition que nous avons forcément tort.
Ce n'est pas nous qui avons dit que l'on a juridiquement tort dès lors que l'on est politiquement minoritaire … (Sourires).
S'agissant de la rémunération des auteurs, nous nous lamentons depuis la loi DADVSI que rien n'ait été fait. Il ne suffit pas de parler d'inadaptation des modalités actuelles : il faut agir ! J'espère que le troisième volet cher à M. le ministre de la culture sera cette fois une réalité, afin que la répression ne soit plus la seule réponse à des pratiques que je ne cautionne pas forcément, mais qui se développent aussi faute d'une offre culturelle digne de ce nom.
On l'a dit, il ne faut pas confondre gratuité et illégalité : il y a sur internet nombre d'offres gratuites légales ; certaines sont même promues par les grands groupes qui interpellent en même temps les internautes sur la nocivité du piratage. La véritable question qui se pose est bien plutôt celle du contrôle de ce qui est diffusé gratuitement ou non. Nous avons d'ailleurs souligné dans notre recours au Conseil constitutionnel le caractère inégalitaire de cette loi, qui protégeait un petit nombre d'auteurs bénéficiant d'un fort niveau de rémunération.
En ce qui concerne ce nouveau texte, je note la réapparition d'une volonté de contrôle des messageries. Le rapporteur et la ministre nous ont rassurés, mais il est inquiétant de voir ce thème reparaître régulièrement ; cela traduit chez certains collègues de l'UMP une volonté de contrôle absolu sur l'internet. Par ailleurs, dès lors que le juge intervient, le Gouvernement n'était pas obligé de se montrer toujours obsédé par le contrôle de la connexion : il est prouvé que les représentants des ayants droit n'ont pas les moyens d'apporter la preuve irréfutable qu'un téléchargement illégal a été opéré par l'abonné mis en cause. Et le Gouvernement serait bien inspiré de retirer ce nouveau concept juridique de « négligence caractérisée », qui m'apparaît scandaleux. Quand les banques demanderont-elles son extension au piratage des cartes de crédit ?
Enfin, nous savons fort bien que les gens en difficulté sociale ne vont pas retirer les lettres recommandées, même lorsqu'elles concernent leur logement !
Le Conseil constitutionnel a reconnu qu'il en allait tout de même du droit à l'information, lequel doit être garanti.
Je m'en tiendrai aux aspects constitutionnels du débat, car il importe d'éviter que le texte soit censuré une nouvelle fois par le Conseil constitutionnel. Or il pose à cet égard plusieurs problèmes.
Tout d'abord, dans sa rédaction actuelle, le texte ouvre la voie à la surveillance des courriers électroniques, qui serait une violation du secret des correspondances privées. J'ai eu à ce propos un débat à la radio avec Franck Riester et des amendements ont, me semble-t-il, été déposés.
Par ailleurs, alors que le considérant 28 de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009 définissait le rôle de la HADOPI comme purement préparatoire à l'instance, plusieurs articles du texte enlèvent au juge l'application des condamnations pour les confier à cette autorité, qui notifiera aux FAI les suspensions, tiendra un fichier de suivi des suspendus et s'assurera que les peines ont bien été effectuées. Il faut nous assurer qu'il ne s'agit pas là d'une violation flagrante du principe de séparation des pouvoirs, car il appartient à la justice de faire exécuter les peines qu'elle prononce.
De même, l'article 1 du texte donne aux agents de la HADOPI des pouvoirs de police judiciaire : leurs procès-verbaux feraient foi et le juge devrait s'appuyer sur eux, sauf à en contester la véracité – ce qu'il ne pourra faire, faute de temps et d'information. Là encore, on retire à la justice son rôle d'instruction, ce qui porte à nouveau atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
Le texte laisse également intacts tous les problèmes techniques liés à la suspension de l'accès à l'internet, notamment dans le cadre des offres « triple play ». Il réintroduit également la double peine consistant à faire payer l'abonnement par l'internaute durant le temps de la suspension. Qu'en dira le Conseil constitutionnel ?
Les sénateurs ont en outre réintroduit la sanction de la non-sécurisation de l'accès à l'internet en permettant au juge de condamner à une contravention de cinquième catégorie et à une suspension de l'accès à l'internet le titulaire de l'abonnement qui aurait commis une négligence grave. Il s'agit là encore d'un motif d'inconstitutionnalité. De fait, par une acrobatie juridique, le législateur ouvre la possibilité de prononcer une peine complémentaire, non pour une série de délits précis, mais pour toute une catégorie. Qui plus est, le Gouvernement peut, par simple décret, en allonger la liste – autre violation manifeste du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, qui exige que les sanctions et les peines soient établies par des textes clairs et précis.
C'est également une atteinte au principe de proportionnalité que de sanctionner une simple contravention par une peine portant atteinte à une liberté fondamentale. Au demeurant, ce dispositif ne sera même pas efficace, car, sous peine de rétablir une présomption de culpabilité déjà sanctionnée par le Conseil constitutionnel, il incombera à la HADOPI de prouver qu'il y a eu négligence de l'abonné. Le simple fait que les téléchargements aient eu lieu après l'envoi de plusieurs avertissements n'est en aucun cas une preuve que l'abonné n'a rien fait pour les prévenir.
L'aspect pédagogique de la loi « HADOPI 1 », clairement affirmé alors par le ministre, disparaît totalement du projet de loi « HADOPI 2 ». Alors qu'il était précisé dans le premier texte que la non-sécurisation de l'accès à internet ne pouvait pas engager la responsabilité pénale de l'abonné, l'article 3 ter, introduit par le Sénat, permet de sanctionner cette non-sécurisation par une amende pénale.
Enfin l'article 4, destiné à sanctionner les internautes qui se réabonneraient durant la période de suspension, sera inefficace. En effet, pour tomber sous le coup de cet article, l'abonné devrait être pris à nouveau par la HADOPI durant la période de suspension, ce qui est moins probable que de gagner au Loto.
Adopter de telles mesures, c'est mal faire notre travail.
La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dont j'étais rapporteur avec notre présidente, montre qu'il est possible de faire des lois sur l'internet qui vivent bien. La loi HADOPI, quant à elle, souffre, pour le dire sobrement, d'un certain manque de crédibilité.
Sur la question que nous examinons, trois offres politiques coexistent. Celle du Gouvernement articule un volet répressif, dont la mesure-phare est la suspension de l'accès à l'internet, et un volet – assez léger – de soutien à l'offre légale. L'offre de l'opposition, qui ne prévoit pas de volet répressif, présente une réflexion sur une nouvelle rémunération des artistes. Une troisième offre, formulée par de nombreux parlementaires, conjugue à un volet répressif, conçu comme devant être à la fois efficace et rustique, la prise en compte des observations du Conseil constitutionnel, pour qui l'accès à l'internet relève de la protection de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Nous étions nombreux à espérer que la décision du Conseil constitutionnel donnerait au Gouvernement l'occasion de réorienter la loi et nous sommes déçus. Le Président de la République a déclaré devant le Congrès du Parlement que, pour ce qui est de la régulation de l'internet, il irait « jusqu'au bout » ? Chiche ! Internet doit en effet être un espace de droit. Cependant, la suspension de l'accès est une véritable impasse, tant sur le plan juridique, comme l'a montré le Conseil constitutionnel, que symbolique – pensons à la jeunesse ! –, technique et financier. Pourquoi cet entêtement ?
Contre la contrefaçon, des mesures très fermes avaient été prises par la loi DADVSI, prévoyant une amende de 300 000 euros et trois ans de prison. La suspension d'accès à l'internet pendant un an ne fera pas trembler les pirates industriels, qui ont tous les moyens de la contourner. Elle touchera, en revanche, le peuple des internautes. Vous avez durci les conditions d'amende et prévu un cumul de cette amende et de la suspension de l'accès à l'internet. Avec de telles mesures, les artistes risquent d'exaspérer leur futur public. Lors du nouveau cycle d'auditions auquel j'ai procédé pour le Nouveau Centre, j'ai d'ailleurs constaté que ceux qui soutenaient le plus le texte, comme la SACEM, se font désormais très discrets, car eux-mêmes sont choqués par cette amende de 1 500 euros pour négligence caractérisée.
La suspension de l'accès à l'internet est une faute. Vous ferez ce que vous voudrez, mais nous vous l'aurons dit.
Il me semble entendre encore et toujours les mêmes arguments. La décision du Conseil constitutionnel ne remet pas en cause le dispositif, qui a été conçu comme un ensemble pédagogique, même si la HADOPI n'a plus la possibilité de prendre des sanctions.
Nul ne conteste la possibilité d'un accès libre à l'internet, mais celui-ci doit être concilié avec le droit de propriété intellectuelle, qui est très important. Rien ne s'oppose à la gratuité dès lors que les ayants droit en sont d'accord, mais tout le reste relève du piratage, qui doit être sanctionné.
Le projet de loi « HADOPI 2 » permet de tenir compte des observations du Conseil constitutionnel tout en conservant la logique de départ : il doit y avoir sanction et ces sanctions doivent être graduées. Au lieu de rouvrir une sempiternelle discussion générale, venons-en plutôt aux aspects techniques. Monsieur Tardy, veillez à vos propos : ne vous trompez pas de camp !
Je me réjouis d'avoir entendu le ministre de la culture et de la communication évoquer le nouveau modèle de financement de la création, car celui-ci n'est pas traité par le texte que nous examinons, qui apporte certes un répit, mais non une solution de fond. J'ai déposé un amendement tendant à demander au Gouvernement de rendre compte de ce travail dans un rapport remis au Parlement dans un délai d'un an.
Je regrette personnellement le maintien de deux systèmes, celui de la contrefaçon et celui de la négligence caractérisée. J'avais compris lors du premier examen du texte que la seconde devrait s'appliquer aux pirates occasionnels et la première aux pirates professionnels. Cette vision se brouille dès lors qu'on rassemble dans le cadre de la contrefaçon l'essentiel des sanctions.
Ne faut-il pas préciser, en outre, que lorsqu'un abonné aura été sanctionné pour négligence, l'auteur de l'infraction proprement dite pourra de son côté être sanctionné au titre de la contrefaçon ?
C'est bien le cas.
Il convient également de ne pas mentionner les « communications électroniques », afin de ne pas intervenir dans le champ de la correspondance privée. Je me réjouis que les ministres et le rapporteur semblent en être d'accord.
Je regrette que la suspension d'accès soit prévue au titre de la contrefaçon. Il semble en effet techniquement impossible de mettre en oeuvre cette mesure avant au moins un an et elle sera en outre coûteuse pour les opérateurs. De surcroît, une certaine imprécision juridique entoure la possibilité de sanctionner des auteurs qui peuvent changer d'identité.
Le Conseil constitutionnel a réaffirmé que, comme nous le soulignions lors de l'examen de la loi « HADOPI 1 », l'internet est un droit fondamental. Sous toutes ses formes, et quelles que soient les protections prévues, même sous le contrôle du juge, la suspension attente donc à une liberté. Une amende aurait été préférable.
Je me félicite de la qualité et de l'intérêt des interventions.
Monsieur Paul, le débat sera élargi dès cet été à l'occasion des discussions que j'aurai sur ces questions.
Pour ce qui est de la surveillance de la correspondance, qui peut me soupçonner de vouloir attenter à un droit fondamental ? Nous trouverons des solutions pour ne pas mettre ce droit en péril.
Sur l'avis du Conseil d'État, Mme la ministre d'État vous apportera sans doute une réponse.
Je ne crois pas, monsieur Bloche, que la musique enregistrée sur support physique soit condamnée. Je continue, pour ma part, à acheter avec grand plaisir des CD et des DVD pour me constituer un corpus d'enregistrements auxquels je peux me référer. Mon fils pirate, mais je déteste, quant à moi, l'enregistrement sur support électronique. C'est peut-être rétrograde, mais je suis loin d'être seul à réagir ainsi.
C'est au parquet qu'il reviendra d'établir la différence entre le contrevenant et le contrefacteur.
L'analogie avec l'interdiction de chèques me paraît plus pertinente encore que celle du retrait de permis de conduire, que vous récusez : lorsqu'on a émis un chèque sans provision, on se voit interdire temporairement l'accès à un service dont on pourrait faire un usage délictueux. L'utilisation d'internet est un droit absolu, mais il faut établir des règles afin d'éviter qu'il en soit fait un mauvais usage.
Pour ce qui concerne les amendes, le montant de 1 500 euros est un plafond : il appartiendra au juge d'apprécier la sanction. Quant à la suspension, il s'agit d'une sanction provisoire, infligée d'une manière graduelle.
Je pense que le raisonnement est simple, mais c'est peut-être parce que je viens de la société civile. J'ai moi-même été piraté – peu d'ailleurs, j'aurais presque préféré l'être plus… (Sourires).
Je n'avais pas cette référence en tête.
Je vous remercie de m'aider à approfondir ma relation avec l'épouse du Président … (Sourires).
Après tout, comme cela a déjà été dit, on coupe bien l'électricité – certes un service minimum est alors assuré, mais dans le cas présent aussi : c'est tout ce qui concerne les messageries personnelles, qui devra être pris en compte, et je pense que le rapporteur a fait ce travail.
Monsieur Paul, je vous rappelle que la protection des libertés publiques est placée sous le contrôle du juge. C'est précisément l'une des avancées du texte que de réintroduire le juge dans la sanction.
La protection de la correspondance privée, quant à elle, semble faire l'objet d'un consensus.
L'avis du Conseil d'État est positif sur le texte, avec deux observations particulières, dont une est déjà prise en compte. Bien qu'il ne soit pas d'usage de rendre publics ces avis, j'étudierai la possibilité de le faire avant le débat en séance.
Monsieur Bloche, la suspension de l'accès à l'internet est annoncée comme une peine complémentaire à l'amende, mais le juge peut aussi la substituer à la peine d'emprisonnement ou à l'amende.
Pour ce qui est des ordonnances pénales, je vous rappelle que, sur 400 000 poursuites engagées en France, 130 000 font aujourd'hui déjà l'objet de telles ordonnances. Il ne s'agit donc pas vraiment d'une mesure exceptionnelle !
L'individualisation de la peine sera pleinement respectée. Ainsi, la négligence ne sera retenue que s'il est prouvé que l'usager n'a pas pris en compte les exigences de sécurisation qui lui ont été notifiées. Par ailleurs, les preuves matérielles seront indispensables et les aveux ne suffiront pas. Il reviendra au juge d'apprécier les preuves ; si elles sont insuffisantes, il prononcera la relaxe.
Pour ce qui est des moyens, l'étude d'impact estime le nombre annuel de cas à 50 000 environ, pour lesquels il est prévu de disposer de 12 emplois à plein temps de magistrats du siège, 14 de magistrats du parquet et 83 de fonctionnaires. Ces moyens semblent raisonnables, d'autant que la plupart de ces cas ne devraient présenter que peu de difficulté.
Madame Billard, je rappelle que le concept de « négligence caractérisée », que vous contestez, a été créé par la loi du 10 juillet 2000, adoptée par la majorité dont vous faisiez partie : elle n'a apparemment pas jugé qu'il s'agissait d'une atteinte aux libertés, ni qu'il serait trop difficile d'en réunir des preuves. Actuellement, cette notion est utilisée notamment pour les homicides ou les blessures involontaires et il appartient au juge d'en apprécier les caractéristiques.
Monsieur Tardy, le respect de la Constitution m'importe autant qu'à vous. Je rappelle que le juge conserve la maîtrise de l'exécution des peines et que la HADOPI ne fait que les notifier, au même titre que la Banque de France notifie les interdictions d'émettre des chèques aux banques.
En ce qui concerne le respect de la proportionnalité, là aussi, c'est le juge qui sera compétent. Les procès-verbaux se contenteront de constater des faits ; au juge de les qualifier et d'ordonner les sanctions pénales si nécessaire. Quant à la contravention de cinquième classe, elle suppose un acte de négligence caractérisée. Là aussi s'exercera le contrôle du juge. Et la suspension de l'accès au service est une peine modérée puisqu'elle est d'un mois au plus, toujours prononcée par le juge.
Je pense donc que ce texte offre toutes les garanties et respecte la proportionnalité : ce n'est pas parce qu'une peine maximale très haute est fixée qu'elle sera mise en oeuvre chaque fois.
Monsieur Dionis du Séjour, l'accès à internet est essentiel, certes, et il est vrai qu'internet, c'est la liberté. Mais ce sont aussi des risques considérables. La cybercriminalité, la pédopornographie, les escroqueries sur internet – phénomènes que j'ai eu à combattre – montrent que la liberté totale sur internet pose des problèmes. Il faut faire d'internet un lieu sûr pour les personnes, et c'est dans cet esprit que nous travaillons. Il faut fixer des limites. Un nombre croissant de pays en posent, même ceux qui naguère refusaient d'intervenir, y compris sur les sites pédopornographiques. Il faut fixer des limites, mais sous le contrôle du juge, car il est le gardien des libertés ; il sera de plus en plus le garant de l'équilibre entre la liberté d'expression et le droit de la propriété intellectuelle.
Vous dites que la sanction sera inefficace pour les gros fraudeurs et trop lourde pour les petits. À mon avis, elle ne sera pas si inefficace pour les gros fraudeurs, dès lors qu'il y aura des peines d'emprisonnement. Quant aux petits fraudeurs, le juge n'appliquera pas automatiquement la peine la plus lourde. Il prendra en compte non seulement l'intention, mais également l'importance du délit. Faisons-lui confiance pour trouver le bon niveau.
Je remercie M. Gosselin de son soutien ; il a bien rappelé l'esprit de la loi.
M. Patrice Martin-Lalande regrette le maintien de deux systèmes, mais ils correspondent à des faits différents. Pour prendre des exemples concrets, il y a effectivement le téléchargement illégal effectué par le titulaire de l'abonnement, mais il y a aussi – et ce cas de figure est fréquent – celui effectué par la famille. Ainsi, M. le ministre de la culture se verra couper l'abonnement à Internet pendant un mois parce que son fils aura téléchargé illégalement !
J'ai deux abonnements… (Sourires).
Face à deux faits réellement différents, il est logique d'introduire deux sanctions différentes.
L'idée de la suspension est pédagogique. Je me souviens avoir fait voter il y a quelques années une loi contre les hooligans pour lutter contre les violences dans les stades. On peut toujours infliger des amendes, des peines d'emprisonnement mais, ce qui compte, c'est de faire porter la sanction là où les gens sont directement intéressés. Il faut se mettre à la place de celui qui fraude ou qui commet une action illégale, comprendre sa psychologie. C'est aussi le rôle de la loi, surtout quand elle veut être préventive.
Mes chers collègues, nous allons entamer l'examen des amendements.
Je vous rappelle que seuls les membres de la Commission peuvent voter. Mme Martine Billard et M. Jean Dionis du Séjour, M. Philippe Gosselin ? M. Patrice Martin-Lalande et M. Lionel Tardy ne peuvent donc pas prendre part aux votes.
Avant de commencer, je tiens à dire que j'ai ici les accusés de réception provenant des postes de nos collègues socialistes qui ont donc bien reçu l'information sur les auditions auxquelles j'ai procédé ; je les transmettrai à M. Christian Paul qui a affirmé que nous en avions exclu délibérément les députés socialistes. Si certains députés socialistes ne l'ont pas reçue, c'est soit parce qu'ils ont des problèmes informatiques, soit parce qu'ils ne font pas partie de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation.
M. Christian Paul ne figurait effectivement pas dans la liste des membres de la commission à la date des auditions.
Avant l'article 1er
La Commission est saisie des amendements identiques AC 132 et AC 1 de M. Patrice Martin-Lalande.
L'objectif de cet amendement est d'introduire dans la première partie du code de la propriété intellectuelle la garantie d'un droit d'accès à internet, reconnu aujourd'hui comme une des principales voies d'accès à la culture et à la communication – conformément à l'esprit du plan « France numérique 2012 » et de la décision du Conseil constitutionnel.
Selon le Conseil, il ne peut y avoir suspension de l'accès à internet sans décision de l'autorité judiciaire. Mais il n'a jamais été question d'interdire au juge de façon définitive la possibilité de suspendre l'accès à internet. Avis défavorable, ainsi que sur l'amendement AC 1 qui est identique.
La Commission rejette les deux amendements.
Elle est ensuite saisie de l'amendement AC 20 de M. Patrick Bloche.
Nos concitoyens doivent connaître la répartition des sommes collectées lorsqu'ils achètent un support physique, DVD ou CD, et de la musique ou des images vendues en ligne. Pour établir cette « vérité des prix », l'information sur cette répartition doit se faire par voie d'étiquetage, de marquage ou d'affichage.
Avis défavorable. Même si l'on peut souhaiter davantage de transparence pour le consommateur, cet amendement est quasiment impossible à mettre en oeuvre.
La Commission rejette l'amendement.
La Commission est saisie de l'amendement AC 23 de M. Patrick Bloche.
Cet amendement prévoit une rémunération des artistes interprètes liées aux recettes publicitaires générées sur les sites de téléchargement légaux.
Avis défavorable. De nombreuses personnes ont envisagé ce dispositif, notamment à Bercy, mais il est très compliqué à mettre en oeuvre, notamment pour récupérer ces recettes, la publicité sur internet étant souvent délocalisée à l'étranger.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement AC 21 de M. Patrick Bloche.
Cet amendement vise une meilleure répartition des sommes collectées, notamment lorsqu'elles le sont par voie de forfait ou de licence, comme à la radio. Pour cela, des statistiques précises doivent être fournies aux organismes collecteurs en ce qui concerne les titres diffusés, afin que la répartition soit réellement représentative de l'audience.
Après avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l'amendement.
La Commission est ensuite saisie de l'amendement AC 17 de M. Patrick Bloche.
Le véritable enjeu aujourd'hui est d'adapter le droit d'auteur à l'ère numérique et de créer les nouvelles formes de rémunération permettant aux auteurs et aux artistes de vivre de la diffusion de leurs oeuvres. Nous proposons donc que le Gouvernement remette au Parlement avant la fin de l'année 2009 un rapport sur cette question.
Avis défavorable. M. le ministre de la culture a annoncé tout à l'heure que serait menée une réflexion sur la question du financement des auteurs et des artistes à l'ère numérique. Et nous aurons l'occasion de travailler sur ce sujet dans le cadre de cette commission.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement AC 19 de M. Patrick Bloche.
L'industrie de la musique et celle du cinéma reposent sur des modèles économiques différents. Dans notre pays, le financement du cinéma fait l'objet de nombreuses aides publiques, à quoi s'ajoutent les obligations imposées aux chaînes de télévision. Rien de tel pour la création musicale, presque totalement dépendante du marché. C'est pourquoi nous proposons la création à terme d'un fonds de soutien à la création musicale, notamment pour soutenir les petits labels, dits indépendants. La HADOPI devra remettre un rapport sur ce sujet avant le 31 décembre 2009.
Avis défavorable pour les mêmes raisons. J'en profite pour indiquer que ce projet de loi a reçu le soutien des labels indépendants, et pas seulement des entreprise s importantes du secteur comme vous le soutenez.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement AC 18 de M. Patrick Bloche.
La décision historique du Conseil constitutionnel du 10 juin dernier nous rappelle qu'internet contribue à la liberté d'expression et de communication de chacun. Nous souhaitons donc inscrire dans la loi que l'accès à Internet est reconnu comme un droit dont l'État doit assurer l'effectivité. Cet amendement s'inscrit d'ailleurs dans la logique du plan « France numérique 2012 », même si celui-ci n'est malheureusement pas financé.
Il l'est ! Même si l'on ne peut que partager l'objectif de cet amendement, il n'a rien à voir avec le présent projet.
Il risque en effet d'être considéré comme un cavalier législatif.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement AC 22 de M. Patrick Bloche.
Cet amendement est central à nos yeux car il traduit la conviction que nous défendons depuis le début de ce débat et déjà lors de l'examen de la loi DADVSI.
Il faut prendre en compte les usages de nos concitoyens : comment croire qu'une loi pourra bouleverser les comportements de dizaines de millions d'abonnés à internet ? Comme HADOPI 1, HADOPI 2 est un pari perdu d'avance : nos concitoyens internautes ne migreront pas massivement vers les sites de téléchargement légaux, c'est-à-dire commerciaux. Il faut donc, sans attendre, mettre en place de nouveaux modes de rémunération.
Lors de la réforme de l'audiovisuel, nous aurions voulu que la taxe alors créée sur le chiffre d'affaires des FAI aille à la création – ce qui représente tout de même une somme de 360 millions d'euros.
De même nous proposons aujourd'hui d'instaurer une « contribution créative » pour la musique, qui permettrait de collecter plusieurs centaines de millions d'euros – ce qui compenserait largement la chute des ventes de CD et permettrait de poser les bases d'un nouveau mode de rémunération pour les auteurs et les artistes.
Nous ne voulons pas fixer directement par la loi ce modèle de rémunération, mais réunir les parties concernées et laisser du temps au temps, jusqu'au 31 décembre 2009, pour qu'un accord soit trouvé. À défaut, la loi fixera les modalités de mise en oeuvre de cette contribution créative.
Le système que vous proposez ne peut pas fonctionner.
Cette contribution créative serait assimilée à une vente forcée : 70 % des abonnés à Internet ne téléchargent pas, ni légalement ni illégalement, et devraient quand même payer cette « redevance ». Et celle-ci, en légalisant tous les téléchargements aujourd'hui illégaux, casserait tous les autres modes de rémunération de la musique – pour ne rien dire de ses effets collatéraux inévitables sur le cinéma : comment faire comprendre à un internaute que cette contribution lui donne le droit de télécharger un album de musique, mais pas un film ?
Par ailleurs, il serait très difficile de redistribuer ces sommes aux auteurs-compositeurs. D'ailleurs ils n'en veulent pas, ayant bien compris que votre système les assimilerait en quelque sorte à des fonctionnaires, alors que le droit d'auteur est basé sur des principes de marché et implique une rémunération proportionnelle au succès et à la diffusion des oeuvres.
Vous laissez passer l'occasion de choisir une autre logique. La vôtre, que vous présentiez abusivement comme pédagogique et dissuasive, apparaît clairement répressive – c'est au moins l'avantage de la décision du Conseil constitutionnel.
Pour notre part, nous jugeons vain de penser que la loi peut bouleverser le comportement de dizaines de millions d'internautes, et de construire des lignes Maginot qui n'auront fait que retarder l'échéance.
M. le rapporteur objecte que tout le monde paiera la contribution. C'est vrai, mais rappelez-vous la loi Lang de 1985 qui a créé la redevance pour copie privée : elle fut votée à l'unanimité par le Parlement parce qu'elle n'était pas une loi qui sanctionnait, mais une loi qui créait de nouveaux modes de rémunération. Nous payons tous une taxe sur les supports physiques vierges – DVD ou CD – même si nous n'en usons pas pour enregistrer des films ou de la musique, mais pour graver nos photos de vacances ! La contribution créative ne poserait pas plus de problème.
Quant à la répartition, j'en ai discuté avec la SACEM, qui d'ailleurs réclame ces nouveaux modes de rémunération. Le problème peut être très facilement résolu. Nous regrettons donc que vous persistiez dans votre erreur.
Ce sera là un débat central pour le « troisième volet » évoqué par M. le ministre. Nous ne pourrons pas longtemps nous contenter de refuser la licence globale et de sanctuariser la copie privée.
En 2005, lors du débat DADVSI, nous étions certes très hostiles à la licence globale : elle lèse le droit de propriété intellectuelle des artistes, elle apparaît comme une forme de fiscalisation mal vécue par les internautes et les mécanismes de répartition n'étaient pas aujourd'hui au point. Mais la copie privée instaurée par la loi Lang de 1985, quand internet n'existait pas, est à repenser à l'heure de Facebook ! Qu'est-ce aujourd'hui que le « réseau familial et amical » de quelqu'un ? C'est un débat auquel nous n'échapperons pas. Les internautes sont de plus en plus nombreux à utiliser Internet, non seulement pour rechercher de l'information et utiliser leur messagerie, mais aussi pour accéder à la culture : ce fait crée un terrain nouveau qui nous permettra peut-être de trouver un compromis sur des rémunérations forfaitaires. De plus on a progressé sur les outils de mesure d'audience, qui étaient un obstacle.
Monsieur le ministre, nous devrons repenser ensemble les notions de licence globale et de copie privée. C'est le chantier qui vous attend, et il ne sera pas facile.
Sur les bouquets de télévision par satellite, comme TPS ou Canal Satellite, l'accès à certaines chaînes est plus cher suivant la prestation fournie : ne pourrait-on imaginer de même que certains sites de téléchargement soient payés plus cher que d'autres pour rémunérer la création ?
Il existe déjà aujourd'hui sur internet différents types de services proposés avec plus ou moins d'options.
Quand vous faites un achat au titre, vous enregistrez sur votre ordinateur le morceau que vous achetez ; vous pouvez ensuite le conserver, le réécouter, le recopier sur un autre ordinateur, sur un i-pod, etc.
Mais il y a aussi l'abonnement forfaitaire. Vous payez tous les mois pour avoir accès à un catalogue de titres de musique, que vous pouvez consommer sans limite. En revanche, dès que l'abonnement s'arrête, vous ne pouvez plus écouter vos morceaux, vous ne pouvez pas les conserver.
Il y a encore la « consommation » en ligne, ou streaming, par exemple sur le site Deezer : vous écoutez directement votre morceau de musique, comme à la radio, mais seulement si vous restez connecté.
Ces différents types de service proposent des prix différents : il est plus cher d'acheter un titre à l'unité que de s'abonner ou d'utiliser un site en streaming. Deezer est d'ailleurs gratuit, les ayants droit étant payés par la publicité.
Je précise qu'il y a 50 sites de téléchargement vidéo légaux en France, ce qui représente déjà à peu près 3 000 films, et que 7 millions de titres de musique sur des dizaines de sites sont également disponibles.
Toutes les questions que vous venez d'évoquer constitueront un des aspects des discussions que nous aurons à partir de la rentrée.
L'offre en téléchargement légal ne rend pas compte de la créativité des artistes puisqu'elle ne porte que sur un centième des oeuvres qui ne sont pour la plupart que des « tubes » proposés par les grandes maisons de disques. Pour un internaute à la recherche d'oeuvres qui ne sont plus vendues dans le commerce, sinon sur vinyle, par exemple, la seule solution est donc le téléchargement illégal – que le principe de la contribution créative permettrait au contraire de rendre légal. N'a-t-on pas un peu trop stigmatisé tous les téléchargeurs sans distinction, alors qu'il s'agit parfois de personnes animées par une curiosité artistique ? Par ailleurs, ceux qui téléchargent le plus sont également – selon une étude du ministère de la culture lui-même – ceux qui se rendent le plus souvent au cinéma ou au spectacle vivant.
Vous défendez, monsieur le rapporteur, la dernière ligne Maginot, et le système s'écroulera, car ce que souhaitent aujourd'hui nos concitoyens ce n'est pas posséder, mais écouter ou voir – même si certains utilisent parfois un support, numérique ou autre. Et l'on pourra bien harceler tous ceux qui téléchargent de la musique ou des films, ce n'est pas pour autant qu'ils iront plus souvent au cinéma ou qu'ils acquerront les supports physiques, car on touche là également à un problème économique.
À cet égard, pour un titre vendu 99 centimes, 2 centimes vont aux créateurs et 2 autres aux compositeurs. Si l'on met à part la TVA qui revient à l'État, à qui profite le delta sinon aux majors ? Tant que celles-ci ne consentiront pas des tarifs plus en rapport avec la réalité en proposant un prix correct à l'acquisition légale d'oeuvres, on ne pourra pas avancer.
La solution que nous proposons est la seule qui vaille à moyen et à long terme. On y viendra, plus vite que vous ne l'imaginez.
Concernant les oeuvres disparues, il est vrai que l'on est parfois bien content de pouvoir compter sur des enregistrements pirates de l'époque, ceux de la Callas, par exemple… Moi-même je n'ai pu me procurer une interview de l'écrivaine danoise Karen Blixen – dont le roman autobiographique a été adapté au cinéma sous le titre Out of Africa – qu'en la recopiant … (sourires).
Pour autant, cela ne change rien à ma position de fond, car de tels enregistrements sont, pour la plupart, devenus légaux après avoir été rachetés. Certes, dans ce qui est ici un problème de société, nous sommes à la frontière, mais c'est bien pour cela que je tiens au troisième volet, celui de la concertation, afin de comprendre et de résoudre les questions qui se posent, en particulier en matière de rémunération.
La Commission rejette l'amendement AC 22.
La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu à dix-sept heures trente.
La séance est levée à treize heures dix.