Je m'en tiendrai aux aspects constitutionnels du débat, car il importe d'éviter que le texte soit censuré une nouvelle fois par le Conseil constitutionnel. Or il pose à cet égard plusieurs problèmes.
Tout d'abord, dans sa rédaction actuelle, le texte ouvre la voie à la surveillance des courriers électroniques, qui serait une violation du secret des correspondances privées. J'ai eu à ce propos un débat à la radio avec Franck Riester et des amendements ont, me semble-t-il, été déposés.
Par ailleurs, alors que le considérant 28 de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009 définissait le rôle de la HADOPI comme purement préparatoire à l'instance, plusieurs articles du texte enlèvent au juge l'application des condamnations pour les confier à cette autorité, qui notifiera aux FAI les suspensions, tiendra un fichier de suivi des suspendus et s'assurera que les peines ont bien été effectuées. Il faut nous assurer qu'il ne s'agit pas là d'une violation flagrante du principe de séparation des pouvoirs, car il appartient à la justice de faire exécuter les peines qu'elle prononce.
De même, l'article 1 du texte donne aux agents de la HADOPI des pouvoirs de police judiciaire : leurs procès-verbaux feraient foi et le juge devrait s'appuyer sur eux, sauf à en contester la véracité – ce qu'il ne pourra faire, faute de temps et d'information. Là encore, on retire à la justice son rôle d'instruction, ce qui porte à nouveau atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
Le texte laisse également intacts tous les problèmes techniques liés à la suspension de l'accès à l'internet, notamment dans le cadre des offres « triple play ». Il réintroduit également la double peine consistant à faire payer l'abonnement par l'internaute durant le temps de la suspension. Qu'en dira le Conseil constitutionnel ?
Les sénateurs ont en outre réintroduit la sanction de la non-sécurisation de l'accès à l'internet en permettant au juge de condamner à une contravention de cinquième catégorie et à une suspension de l'accès à l'internet le titulaire de l'abonnement qui aurait commis une négligence grave. Il s'agit là encore d'un motif d'inconstitutionnalité. De fait, par une acrobatie juridique, le législateur ouvre la possibilité de prononcer une peine complémentaire, non pour une série de délits précis, mais pour toute une catégorie. Qui plus est, le Gouvernement peut, par simple décret, en allonger la liste – autre violation manifeste du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, qui exige que les sanctions et les peines soient établies par des textes clairs et précis.
C'est également une atteinte au principe de proportionnalité que de sanctionner une simple contravention par une peine portant atteinte à une liberté fondamentale. Au demeurant, ce dispositif ne sera même pas efficace, car, sous peine de rétablir une présomption de culpabilité déjà sanctionnée par le Conseil constitutionnel, il incombera à la HADOPI de prouver qu'il y a eu négligence de l'abonné. Le simple fait que les téléchargements aient eu lieu après l'envoi de plusieurs avertissements n'est en aucun cas une preuve que l'abonné n'a rien fait pour les prévenir.
L'aspect pédagogique de la loi « HADOPI 1 », clairement affirmé alors par le ministre, disparaît totalement du projet de loi « HADOPI 2 ». Alors qu'il était précisé dans le premier texte que la non-sécurisation de l'accès à internet ne pouvait pas engager la responsabilité pénale de l'abonné, l'article 3 ter, introduit par le Sénat, permet de sanctionner cette non-sécurisation par une amende pénale.
Enfin l'article 4, destiné à sanctionner les internautes qui se réabonneraient durant la période de suspension, sera inefficace. En effet, pour tomber sous le coup de cet article, l'abonné devrait être pris à nouveau par la HADOPI durant la période de suspension, ce qui est moins probable que de gagner au Loto.
Adopter de telles mesures, c'est mal faire notre travail.