La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
Mes chers collègues, le séisme qui a secoué, ce matin, la région des Abruzzes dans le centre de l'Italie a fait de très nombreuses victimes et laissé plusieurs milliers de personnes sans abri.
J'adresse au Parlement italien et aux familles des victimes les condoléances de l'Assemblée nationale.
M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre une lettre l'informant de sa décision de charger M. Gérard Hamel, député d'Eure-et-Loir, d'une mission temporaire auprès de M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville et de Mme la secrétaire d'État chargée de la politique de la ville.
Madame la présidente, je m'associe, au nom du Gouvernement, aux condoléances que vous avez adressées au gouvernement italien, après le séisme de grande importance qui vient de toucher l'Italie.
Monsieur le président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, monsieur le président de la commission de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, alors que nous commençons la discussion de ce projet de loi pour le développement économique des outre-mer, je tiens à rappeler, en premier lieu, que l'outre-mer est une part essentielle de notre identité. Sur tous les continents, sur tous les océans, les départements et les territoires d'outre-mer portent les valeurs de la République : les valeurs de liberté, de dignité et d'égalité.
À l'heure de la mondialisation et du développement durable, l'outre-mer est aussi un atout irremplaçable. Il apporte sa diversité, son dynamisme, ses talents et son ouverture sur un univers globalisé.
Donner un nouvel élan, valoriser les atouts spécifiques, permettre à chaque territoire de mieux affronter les grands défis de notre époque, c'était, hier, un des engagements de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy ; c'est, aujourd'hui, l'ambition et l'enjeu du projet de loi d'orientation pour le développement économique des outre-mer.
Le débat au Sénat – la Haute assemblée a examiné ce texte en première lecture – a été l'occasion d'aborder des questions de fond dans un esprit de sérieux et de consensus que je tiens à saluer.
Je veux également tout particulièrement rendre hommage à la qualité du travail des commissions de votre assemblée et, notamment, à celui de Gaël Yanno, rapporteur de la commission des finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Ce projet de loi aborde des questions directement liées à l'avenir de l'outre-mer. Pour autant, notre débat ne saurait faire abstraction de l'actualité qui a été marquée, pour la Guadeloupe et la Martinique, par une période de crise sociale importante. La Guyane et la Réunion sont encore concernées par un certain nombre de mouvements.
L'actualité est aussi celle de la crise économique et financière mondiale, laquelle amplifie les difficultés des économies ultramarines inscrites dans des zones géographiques déjà fragilisées. Des réponses sont apportées par le plan de relance décidé par le Président de la République et mis en oeuvre par le Gouvernement. À ce titre, 130 millions d'euros sont engagés pour dynamiser les économies ultramarines.
Le 19 février dernier, le Président de la République a encore annoncé un effort supplémentaire pour l'outre-mer. Cet effort financier est inclus dans le projet de loi que nous étudions aujourd'hui.
Mesdames, messieurs les députés, toute crise est non seulement un défi, un risque, mais aussi, j'en suis personnellement convaincue, une véritable opportunité. Certes, ce défi nous oblige à répondre à des questions qui ont sans doute été négligées pendant des années, voire des décennies. C'est aussi le risque que la compétitivité des départements d'outre-mer ne soit handicapée dans un contexte international de plus en plus exigeant. Mais ce peut être également une opportunité, une formidable occasion d'agir ensemble, si on en a la volonté.
Soyez certains, mesdames, messieurs les députés, que cette volonté est celle du Président de la République, celle du Gouvernement, celle que nous partageons avec Yves Jégo. Je ne doute pas que ce soit aussi la vôtre.
Il s'agit sans doute, d'abord, de changer de méthode. Nous devons toujours être lucides. Depuis des années, de nombreux efforts ont été faits. Les résultats obtenus ne sont, pour autant, pas toujours à la hauteur. Nous sommes effectivement partis des contraintes réelles des économies ultramarines : l'insularité, l'éloignement de la métropole et l'étroitesse des marchés. Trop longtemps toutefois, les réponses apportées à ces contraintes se sont limitées à compenser ou à essayer de rattraper ces handicaps. C'était, certes, nécessaire, mais ce n'était pas suffisant. Ces politiques ont donné des résultats que personne ne conteste : réduction de l'habitat insalubre, émergence de secteurs économiques créateurs d'emplois, accès croissant des habitants à une formation de qualité. Pourtant, si nous analysons objectivement la situation, il est vrai que le taux de chômage demeure plus élevé que celui de l'ensemble de la nation. Le logement social est notoirement insuffisant en quantité et en qualité. Les prix à la consommation sont beaucoup plus élevés.
Une nouvelle approche de l'outre-mer doit donc être construite en commun. C'est ce que je vous propose. Une telle approche doit d'abord être fondée sur une réelle concertation. Ce projet de loi a été élaboré avec les élus et les acteurs professionnels des départements d'outre-mer. Je ne rappellerai qu'une chose : ce sont bien eux, et non le Gouvernement, qui ont déterminé ce que devaient être les secteurs stratégiques prioritaires. Avec eux aussi, des améliorations ont été apportées au texte déposé en juillet 2008, pour tenter de l'adapter au contexte de la crise mondiale et locale.
Un certain nombre de nouvelles mesures ont été introduites dans ce texte telles que, par exemple, celles sur le logement et sur les très petites entreprises fortement éprouvées par la crise. La prise en compte de ces nouvelles menaces a conduit à augmenter les crédits dédiés à ces questions. Ainsi, 150 millions d'euros supplémentaires seront investis dans les économies ultramarines.
De nouvelles mesures ont été aussi décidées pour le pouvoir d'achat, un des grands problèmes à l'origine de la crise sociale que nous avons connue. Ainsi, le bonus salarial versé par les entreprises dans les départements d'outre-mer sera exonéré de cotisations sociales. Vos commissions ont largement participé à ce travail. Je veux les en remercier tout particulièrement.
Une nouvelle approche, c'est aussi une approche fondée sur une stratégie ambitieuse. Si nous voulons faire d'une crise une véritable chance, il convient également de faire preuve d'ambition quant aux propositions qui doivent en sortir.
L'objectif, c'est un nouveau projet économique et social pour l'outre-mer. Dynamisme démographique, richesses culturelles, proximité de régions parmi les plus dynamiques du monde, ce sont là les atouts de l'outre-mer et la clé de son avenir économique.
Nous voulons donc nous appuyer sur ces atouts, sur la compétitivité des entreprises d'outre-mer, sur le talent des hommes et des femmes de l'outre-mer pour mettre en oeuvre un modèle de développement économique fondé sur les productions locales, sur les potentiels de chaque territoire, permettant à chacun de mettre en avant ses propres richesses.
Le projet de loi que nous discutons aujourd'hui est une première étape, mais une étape fondamentale. Les états généraux annoncés par le Président de la République permettront de poursuivre la réflexion sur la fixation des prix, la transparence des circuits économiques et l'ensemble des questions qui intéressent aujourd'hui l'outre-mer.
Mais, pour revenir au débat d'aujourd'hui, je tiens à souligner que la loi pour le développement économique des outre-mer – LODEOM – nous donne des moyens concrets au service de ces ambitions pour l'outre-mer.
La LODEOM repose sur trois priorités.
D'abord, la recherche de l'efficacité : il faut corriger, en ce sens, les dispositifs existants. Il faut comprendre pourquoi ce qui existe aujourd'hui ne fonctionne pas pour apporter les modifications nécessaires.
C'est ainsi que les exonérations de charges doivent être réformées. Le texte prévoit de les recentrer sur les bas salaires. Au-delà des salaires et de la hausse du pouvoir d'achat, les exonérations de charges doivent aussi permettre de favoriser l'emploi, puisque le chômage est un des éléments importants et négatifs du contexte. En ouvrant les exonérations aux petites entreprises, et à elles seules, pour l'embauche des cadres intermédiaires, donc en leur donnant des qualifications nécessaires, on pense ainsi parvenir à stimuler leur dynamisme et permettre parallèlement à ceux qui ont suivi une formation, donc acquis des connaissances supplémentaires, de trouver des emplois dans les entreprises de leur lieu de vie.
De même certains dispositifs de défiscalisation, qui ont pu être utiles à un moment donné, sont devenus totalement obsolètes, voire, dans certains cas, contre-productifs. Je pense, par exemple, à la défiscalisation des bateaux de plaisance ou du logement libre. Les nouveaux dispositifs doivent donc être réorientés vers des investissements aujourd'hui plus productifs tels que ceux en recherche et développement donc nous savons, aujourd'hui, combien ils sont essentiels quand on a de l'ambition pour l'avenir.
Notre deuxième priorité est donc bien le soutien à l'investissement productif. Les zones franches globales d'activité ont pour finalité de soutenir la compétitivité des entreprises. C'est bien en ce sens que l'on veut adapter les dispositifs fiscaux.
Des secteurs prioritaires bénéficieront d'un abattement de 80 % de leurs principaux impôts. Ils ont d'ailleurs, après un temps où cela n'était pas le cas, été harmonisés dans les trois départements d'outre-mer concernés. C'est notamment le cas pour l'agroalimentaire ou pour les énergies renouvelables.
S'agissant des énergies renouvelables, je note qu'au-delà même des zones franches globales, le projet a été amélioré pour mieux promouvoir l'excellence environnementale des territoires d'outre-mer. C'est là un élément essentiel. Alors que nous réfléchissons tous aujourd'hui aux énergies renouvelables et que nous essayons de les développer, il est évident que nos départements d'outre-mer représentent des capacités formidables de développement, permettant finalement d'être à la pointe du développement de ces énergies renouvelables. Il y a tout ce que l'on connaît dans le domaine du solaire, de l'éolien et de la biomasse. L'énergie produite à partir de la bagasse – résidu biologique de la canne à sucre – sera désormais mieux payée aux producteurs. Ce souhait, relayé notamment par la commission des affaires économiques, a été exaucé.
Certains se demandent si la suppression de la taxe professionnelle annoncée par le Président de la République ne va pas annuler un certain nombre des avantages accordés aux départements d'outre-mer.
Nous faisons en sorte que cette décision ne pénalise pas les entreprises des zones franches globales d'activité. Le dispositif sera adapté pour maintenir un avantage spécifique de l'outre-mer par rapport à la métropole. Le Sénat a introduit de nouveaux pourcentages d'exonération pour la taxe professionnelle, portés de 50 à 80 % pour les secteurs et zones ordinaires, et de 80 à 100 % pour les secteurs et zones prioritaires.
Deuxième soutien, le fonds exceptionnel d'investissement créé par le projet de loi permet à l'État de soutenir les opérations d'équipements publics collectifs, qui participent au développement économique et social. Ce fonds est doté au total de 165 millions d'euros.
Pour soutenir le petit commerce, un fonds spécifique dédié à l'outre-mer sera doté de 8 millions d'euros. D'autres mesures d'appui aux investissements pourront venir le compléter.
Troisième priorité : la relance du logement social. La situation du logement demeure préoccupante outre-mer. Certaines situations sont indignes des exigences et des valeurs qui sont les nôtres au XXIe siècle.
Les mécanismes d'aide au logement ont montré leurs limites. La défiscalisation du logement libre a porté préjudice au logement social pour deux raisons : les entreprises de construction ont privilégié le logement libre, plus rémunérateur, par rapport au logement social ; la hausse du prix du foncier a rendu les terrains indisponibles pour le logement social. Le texte prévoit donc de réorienter les mécanismes de défiscalisation vers le logement social et le logement intermédiaire.
Plusieurs avancées viennent compléter cette mesure simple de justice sociale.
D'abord, l'ouverture de la défiscalisation pour la réhabilitation immobilière pour les logements d'au moins vingt ans d'âge. Cette mesure représente 2 millions d'euros. Cela va dans le sens de la qualité, car, en raison des conditions de vie, les dégradations sont plus rapides et on voit l'état du patrimoine. C'est aussi un élément important pour le dynamisme économique et social, car le secteur du logement représente 22 000 emplois et la moitié du chiffre d'affaires du bâtiment et des travaux publics.
Ensuite, le nouveau dispositif de défiscalisation pour les logements sociaux a été ouvert aux opérateurs qui souhaitent créer des résidences sociales pour les personnes âgées. C'est une avancée faite après la concertation qui a été menée. Cela nous paraît être une mesure de bon sens et de justice sociale.
Enfin, le dispositif national voté fin 2008, dit « amendement Scellier », a été adapté à l'outre-mer afin de le rendre plus attractif sur ses volets concernant les logements sociaux et les logements intermédiaires. Cet amendement permettra aux investisseurs de se créer un patrimoine tout en apportant une réponse adaptée aux besoins en matière de logement.
Mesdames, messieurs, avant d'entamer nos débats qui, je l'espère, se dérouleront dans le même esprit qu'au Sénat, je veux simplement vous faire part de deux ou trois convictions.
L'outre-mer a des atouts. L'outre-mer a des forces. L'outre-mer a des talents. Le projet de loi d'orientation pour le développement économique des outre-mer vise à donner aux départements et aux collectivités d'outre-mer les moyens de valoriser ces atouts et de développer des ambitions pour le XXIe siècle.
Dès aujourd'hui, des états généraux commencent à se tenir à la demande du Président de la République. Les acteurs économiques, sociaux et culturels de l'outre-mer auront ainsi l'occasion de participer à un vaste débat, sans tabou, sur l'ensemble des enjeux de l'outre-mer, de la gouvernance au dialogue social, de la coopération régionale à la culture, de la mémoire et de l'identité à l'égalité des chances, de la formation à l'accès à l'emploi.
Ce sera la plus grande consultation jamais menée outre-mer, qui aboutira, sous la présidence du chef de l'État, à la réunion du Conseil de l'outre-mer dont la création a été annoncée il y a quelques semaines.
Avec ce projet de loi, avec les états généraux, une nouvelle page s'écrit dans la relation entre la métropole et l'outre-mer, une page qui doit être une page d'espoir et de responsabilité, une page de solidarité et d'ambition partagée.
Cette page, j'en suis persuadée, nous l'écrirons ensemble, dans la fidélité aux valeurs de la République, dans la confiance dans les hommes et les femmes d'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Gaël Yanno, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État chargé de l'outre-mer, mes chers collègues, j'ai l'honneur d'être, depuis 1958, le premier député chargé de présenter dans cet hémicycle, en tant que rapporteur, un projet de loi dans sa rédaction adoptée par la commission saisie au fond.
Pour parvenir à cette rédaction, la commission des finances a adopté 198 amendements sur les 453 dont elle a été saisie. Je vous propose donc, en son nom, un texte substantiellement modifié par rapport à celui que nous a transmis le Sénat.
Avant de vous présenter l'essentiel de ces modifications, je souhaite vous dire un mot des conditions dans lesquelles la commission des finances a mis en oeuvre la nouvelle procédure issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Tout d'abord, la commission a travaillé selon un calendrier difficile – le texte a été adopté par le Sénat le 12 mars dernier et nous avons tenu notre première réunion un peu plus de quinze jours après, le 31 mars – mais dans un climat ouvert et apaisé, qui aura permis un débat approfondi. Elle s'est réunie pour examiner ce texte pendant près de onze heures, et tous les amendements de fond ont fait l'objet d'une véritable discussion.
Le résultat de nos travaux est notamment le fruit de l'ouverture de la commission non seulement au Gouvernement, et, lors de l'examen des textes, au secrétaire d'État chargé de l'outre-mer, mais également aux commissions saisies pour avis – la commission des lois et la commission des affaires économiques – et à nos collègues qui n'en sont pas membres.
Nos travaux ont été d'abord ouverts, et c'est une nouveauté, au Gouvernement. Outre la traditionnelle audition de Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales et de M. le secrétaire d'État chargé de l'outre-mer, ce dernier a participé à notre réunion d'examen des articles. Il nous a, à cette occasion, présenté les nombreux amendements déposés par le Gouvernement et a donné son avis sur les principaux amendements déposés par les députés. Il a ensuite laissé la commission délibérer au fond sur ces amendements.
Cette organisation du débat – une première – a été, je crois, pleinement satisfaisante pour tous et je tiens, monsieur le secrétaire d'État, à vous remercier pour la souplesse et la disponibilité constantes dont vous avez fait preuve.
Nos débats ont également été éclairés, en amont, par le travail des commissions des affaires économiques et des lois, saisies pour avis de ce texte. Je veux leur dire à nouveau que leur apport nous a été extrêmement précieux, notamment sur des sujets relevant plus précisément de leur domaine de compétence.
Je sais aussi que ces deux commissions ont dû travailler dans des délais très courts pour pouvoir se réunir avant la commission des finances et nous permettre d'examiner leurs amendements. Je tiens à les en remercier et à remercier tout particulièrement mes collègues rapporteurs, M. Alfred Almont pour la commission des affaires économiques et M. Didier Quentin pour la commission des lois, les commissaires des affaires économiques et des lois qui les ont représentés en commission des finances, Mme Françoise Branget, M. Jérôme Bignon et M. Guénhaël Huet, ainsi bien évidemment que les deux présidents.
Enfin, nos débats ont été ouverts grâce à la présence, aux côtés des commissaires des finances, qui les animent traditionnellement, de collègues qui ont activement participé à nos travaux sans être membres de la commission des finances, ce qui est relativement inhabituel. Pour que des amendements soient examinés, il fallait venir les défendre. Je tiens en particulier à rendre hommage à l'implication de mes vingt et un collègues d'outre-mer. Nous avons essayé de travailler ensemble, parfois au-delà des clivages politiques, pour améliorer ce texte, en concertation avec le Gouvernement.
Des esprits sceptiques auraient pu craindre que ces nouvelles modalités d'examen ne rendent plus difficile le travail de la commission des finances. Certes, il n'était pas acquis d'avance de parvenir à réunir dans un débat constructif des parlementaires de tous les outre-mer, de tous les groupes, de toutes les commissions, mais je pense que nous y sommes parvenus, et la présence de nombreux collègues a été pour beaucoup dans la qualité des discussions et dans les grandes améliorations que nous avons apportées au texte.
Qu'il me soit permis de rendre hommage à cette occasion au président de notre commission des finances pour son écoute et sa disponibilité pendant les nombreuses heures de débat.
L'organisation de notre discussion générale me conduit à vous présenter de manière assez succincte les modifications que nous avons apportées. Il ne me semblerait pas incohérent qu'à l'avenir, elle tienne mieux compte de la nouvelle procédure.
Le Sénat a apporté des aménagements, des modifications pour améliorer le projet de loi initial du Gouvernement, déposé le 23 juillet 2008, et nous en apportons également pour améliorer le texte qu'il a voté le 12 mars dernier. Il ne faut pas s'en étonner car, depuis le mois de juillet, sont intervenus plusieurs événements : la crise financière, devenue crise économique, le plafonnement des niches fiscales et la grave crise sociale qu'ont traversée les Antilles et La Réunion ces dernières semaines.
S'agissant du titre Ier A, la principale modification que nous avons apportée au texte du Sénat est l'extension du bonus exceptionnel exonéré de charges sociales aux collectivités où le système d'assurance sociale est de la compétence de l'État.
Ce titre n'a par ailleurs fait l'objet que de modifications de portée limitée, ce qui est logique puisqu'il comprend des mesures de soutien au pouvoir d'achat tirant les conséquences des accords conclus dans les départements des Antilles. Il ne nous a paru ni possible ni souhaitable d'aller au-delà de ces accords signés localement.
Sur le premier chapitre du titre Ier, consacré aux zones franches d'activités, deux modifications ont été apportées par la commission des finances.
La première est l'extension du bénéfice du dispositif aux entreprises qui ne sont pas imposées selon un régime réel. Cette modification, qui nous a été proposée par nos collègues Gabrielle Louis-Carabin et Didier Robert, permet d'ouvrir l'avantage aux micro-entreprises et d'éviter d'aboutir à une situation paradoxale dans laquelle les entreprises les plus petites auraient été davantage imposées que les plus importantes.
La seconde modification, qui a fait l'objet d'un large consensus et répond à une demande forte de la commission des affaires économiques, notamment de son président, M. Patrick Ollier, a été de fixer des critères objectifs pour définir la liste des communes de Guadeloupe et de Martinique ouvrant droit, à titre géographique, à la zone franche bonifiée. Sur ce sujet, il est important, je crois, de rappeler qu'en proposant, sur les conseils de la commission des affaires économiques, de fixer dans la loi des critères précis et renvoyant à un décret, notre commission n'a remis en cause, sur le fond, l'éligibilité d'aucune zone définie par le Sénat et complétée, en ce qui concerne la Martinique, par la commission des affaires économiques.
S'agissant des mesures relatives à la défiscalisation, nous avons été particulièrement attentifs au soutien de la défiscalisation de l'investissement productif ainsi que du logement, et plus particulièrement au maintien d'une défiscalisation pour les logements intermédiaires. Nous avons également souhaité renforcer le soutien au logement social et accentuer l'effort de moralisation de ce dispositif important de développement économique en outre-mer.
Outre des mesures ponctuelles mais importantes, comme le renforcement de l'obligation de coopération fiscale entre l'État et les collectivités ultramarines fiscalement autonomes, et la limitation de la défiscalisation de véhicules particuliers aux seuls véhicules « strictement indispensables » à l'activité de l'exploitant, nous avons concilié ces objectifs en limitant l'abaissement du seuil d'agrément des investissements tout en généralisant, en contrepartie, l'obligation de déclaration dès le premier euro et en sanctionnant l'absence d'une telle déclaration de façon beaucoup plus forte.
Ainsi, nous n'imposons pas aux exploitants l'accomplissement de formalités lourdes dans des délais qui ne sont pas compatibles avec les réalités économiques, mais nous donnons tout de même à l'administration tous les moyens nécessaires pour lutter efficacement contre les abus.
En outre, compte tenu de la crise économique, il nous a paru nécessaire de limiter le risque pour les investisseurs, notamment dans le cadre d'investissements productifs, en cas de défaillance de l'exploitant. Nous avons donc décidé, d'une part, de maintenir 1'avantage fiscal en cas de reprise de l'exploitation par un autre exploitant et, d'autre part, de ne pas reprendre le contribuable au titre des avantages qu'il a lui-même rétrocédés à l'exploitant ultramarin.
S'agissant des exonérations de charges sociales prévues à l'article 11, la commission s'est bornée à accepter un amendement du Gouvernement qui étend de 2,2 à 2,5 SMIC le « plateau de rémunération » pour lequel l'exonération reste constante pour les entreprises des zones franches bonifiées, et qui supprime la condition réservant cet avantage aux seules entreprises de moins de onze salariés.
En matière de téléphonie, reprenant l'objectif de plusieurs amendements, notamment d'un amendement de la commission des affaires économiques, notre commission a décidé de garantir effectivement la continuité du territoire en interdisant la surtaxation des appels de la métropole vers l'outre-mer, que ce soit en téléphonie mobile ou en téléphonie fixe.
Enfin, la commission a décidé de supprimer l'article 16 bis introduit contre la volonté du Gouvernement au Sénat et qui instaurait dans les DOM un prélèvement sur les jeux. Nous avons estimé que ce sujet pouvait être étudié soit dans le cadre du projet de loi sur les jeux, qui vient d'être déposé, soit à l'occasion de la réforme des finances locales, qui sera organisée dans le projet de loi de finances pour 2010, mais qu'en tout état de cause, il ne trouvait pas sa place dans le présent projet de loi.
En ce qui concerne le logement, le premier pilier du texte adopté par notre commission a été la suppression du dispositif Girardin, selon des modalités transitoires afin de préserver la sécurité des opérations engagées et éviter ainsi tout choc brutal pour les économies locales, dans un secteur – le bâtiment – fortement créateur d'emplois.
Le deuxième pilier a consisté à modifier le nouveau dispositif de défiscalisation en faveur du logement social voulu par le Gouvernement : premièrement, pour en étendre le champ aux opérations d'accession à la propriété et aux opérations de réhabilitation de logements anciens ; deuxièmement, pour accroître l'avantage rétrocédé aux bailleurs sociaux ou aux accédants à la propriété ; troisièmement, pour le bonifier dans certaines zones ou territoires connaissant des difficultés particulières ou ne bénéficiant pas de financements au titre de la ligne budgétaire unique.
Le troisième et dernier pilier de notre texte en matière de logement est la création d'un dispositif efficace de défiscalisation en faveur du logement intermédiaire, par la bonification outre-mer du dispositif Scellier-Carrez et l'adaptation aux réalités locales de la durée de l'engagement de location.
S'agissant des dispositions finales du texte, la commission des finances s'en est principalement remise aux initiatives des deux commissions saisies pour avis.
À l'initiative de la commission des affaires économiques, nous avons ainsi intégralement réécrit l'article 27 A relatif aux conditions de rachat de l'électricité produite à partir de la bagasse.
La commission des lois, ensuite, a jugé souhaitable de modifier profondément l'article 28 ter relatif à l'évolution des règles de détermination des noms et prénoms des personnes de statut civil de droit local à Mayotte. La commission des finances a suivi cet avis.
Enfin, notre commission a bien voulu, à ma demande, étendre à Wallis-et-Futuna et à la Nouvelle-Calédonie les dispositions du code civil relatives au pacte civil de solidarité, mieux connu sous le nom de PACS.
Mer chers collègues, voici résumée en quelques points principaux la grande richesse de nos travaux en commission ces dernières semaines, qui ont conduit à l'adoption du texte qui vous est soumis.
Ce texte a été diffusé vendredi en fin d'après-midi. Je sais que vous avez eu moins de temps qu'à l'accoutumée pour l'étudier et préparer vos amendements, mais je tiens à préciser que la commission ne peut être tenue responsable de cette contrainte de calendrier.
Je rappelle que le projet de loi a été adopté par le Sénat le 12 mars et qu'il fait l'objet d'une déclaration d'urgence de la part du Gouvernement. Notre commission des finances s'est réunie moins de deux semaines et demie après l'adoption du texte par le Sénat ; elle ne pouvait pas se réunir plus tôt puisqu'il était nécessaire que les deux commissions saisies pour avis se réunissent auparavant.
Je pense qu'il importera, pour l'avenir, de tirer parti de cette première expérience et, comme le propose le président Accoyer, de préserver un délai minimal entre la publication du texte de la commission et la séance publique.
Je crois savoir que le président Accoyer vous a accordé un délai supplémentaire pour déposer vos amendements, et que vous avez jusqu'au début de la discussion générale pour ce faire.
Enfin, je ne peux conclure, au sujet de cette grande première pour l'Assemblée nationale, sans remercier tout particulièrement le rapporteur général de la commission des finances qui m'a fait bénéficier, dans mon travail de rapporteur novice, de son expérience et m'a soutenu et accompagné lors de ces semaines mouvementées. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. Sur les bancs du groupe SRC, M. Albert Likuvaku applaudit également.)
La parole est à M. Jérôme Bignon, suppléant M. Alfred Almont, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.
Mes chers collègues, Alfred Almont est en ce moment hospitalisé à la suite d'un accident cardiaque. Il aurait évidemment voulu être à la place que j'occupe, et ce n'est qu'en cédant aux pressions de son médecin et de son épouse qu'il a accepté de rester à l'hôpital. Le moment est doublement douloureux pour lui : pour sa santé et parce qu'il ne peut présenter un texte sur lequel il s'est énormément investi. Il a demandé au président Ollier de bien vouloir accepter que je le supplée, ce que je fais, au pied levé, bien volontiers. Ma tâche ne sera pas très lourde puisque M. Almont, qui est un grand travailleur, plutôt fourmi que cigale, avait préparé son texte avec talent, si bien qu'il ne me reste qu'à lire celui-ci.
C'est avec plaisir que j'accepte cette mission. J'aurais préféré que ce soit lui qui l'accomplisse, mais il était plus sage qu'il reste sous la surveillance des médecins. J'espère pouvoir lui transmettre un message de prompt rétablissement de votre part.
Notre commission des affaires économiques a été saisie pour avis sur un projet de nature à conditionner dans une très large mesure l'avenir de nos régions d'outre-mer.
Vous l'avez compris, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, le moment est désormais venu de mettre en exergue des propositions innovantes, déjà souvent énoncées, et de faire preuve de créativité pour améliorer l'efficacité des politiques publiques au service du développement économique et social des outre-mer.
La crise qui frappe nos régions, plus encore depuis le début de l'année, a mis l'accent sur la nécessité de mettre en oeuvre, avec davantage de responsabilité locale, un autre mode de développement, capable de favoriser l'activité et l'emploi pour assurer l'expansion de territoires confrontés à des handicaps structurels et contribuer à l'épanouissement de populations éprouvées par le chômage et la cherté de la vie. Passer d'une économie de consommation à une économie de production, c'est possible.
C'est le moment de concilier solidarité et responsabilité : solidarité avec l'Hexagone au nom de l'égalité de chances et de la cohésion ; responsabilité au nom de la solidarité. Cohésion et subsidiarité : deux objectifs consacrés par l'Union européenne.
S'agissant de la responsabilité, on ne peut à la fois, pour prendre un exemple tiré de nos récents débats en commission, hésiter à faire jouer les dispositions constitutionnelles permettant à nos conseils régionaux de fixer directement des règles dans certains domaines pour leurs territoires, au nom même de la subsidiarité dont l'Union européenne a fait un principe majeur, et vaticiner en attendant un feu vert de l'exécutif pour mettre en oeuvre ce principe.
La responsabilité est ce que nous entendons substituer à l'assistanat – qui a donné lieu à tant de déconvenues en dépit des meilleures intentions initiales – et ce, pourquoi pas, dans le cadre d'une nouvelle organisation des pouvoirs qui donne plus de vitalité à la démocratie locale et favorise le progrès.
Nous vivons aujourd'hui, à l'Assemblée nationale, un moment fort, puisqu'est enfin soumis à notre séance publique le projet de loi pour le développement de l'outre-mer – « des outre-mer » depuis son passage au Sénat –, projet tant annoncé, tant attendu, et parfois même anticipé.
Ce texte, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, intervient dans un monde en crise et un contexte de tension. Il est d'autant plus le bienvenu que nos régions ont plus que jamais besoin à la fois de visibilité et de traitement différencié, en raison de leurs singularités. Elles ont besoin que soient levées les contraintes qui pèsent sur leurs économies et leur potentiel de croissance afin de les rendre plus efficaces et de donner confiance aux acteurs économiques. Il s'agit là d'un objectif majeur et prioritaire.
Pour parler franchement, nombre de ces acteurs avaient quelque peu craint que, sous prétexte d'aménager la loi Girardin de 2003 pour en améliorer les effets et corriger certains abus auxquels son application avait donné lieu, il ne s'agisse en vérité, alors que la crise économique frappait à nos portes, que de réaliser quelques économies budgétaires au détriment de nos régions. Ils redoutaient aussi qu'en remettant en cause des dispositifs censés durer quinze ans, on n'enlevât aux entreprises ultramarines la stabilité juridique et la visibilité économique dont elles ont besoin pour se développer et contribuer à l'expansion générale.
Nous avons aujourd'hui des raisons de penser que la nouvelle loi entend engager une réforme en profondeur pour être encore plus performante que la précédente et procurer, cette fois pour de bon, une forte visibilité aux acteurs économiques pour assurer l'activité et procurer des emplois dans nos régions où le taux de chômage varie entre 25 % et 30 %. En effet, la présentation de votre projet de loi, puis sa discussion au Sénat et le texte qui en est sorti, nos échanges préparatoires à l'examen du texte dans nos commissions, les travaux de celles-ci et les amendements qu'elles ont adoptés, la synthèse qui en est ressortie avec le projet issu de la commission des finances, nous rassurent. Nous entendons bien qu'il s'agit, aujourd'hui, de recentrer l'action publique sur un certain nombre de priorités.
Tout d'abord, il faut encourager de manière plus énergique la création d'emplois durables et lutter contre l'emploi précaire, spécialement à travers l'exonération des charges sociales qu'il convient de préserver et de réorienter vers les bas salaires. Réduire les charges pesant sur le travail n'est en fait que l'application, à nos territoires confrontés à des handicaps invariables, du principe de l'égalité des chances ; encore celui-ci doit-il ne pas tirer les salaires vers le bas mais, au contraire, prendre en compte notre besoin en jeunes cadres. Des amendements retenus par notre commission des finances vont heureusement en ce sens.
Ensuite, il convient de développer l'activité dans les secteurs émergents et les plus porteurs : ceux du tourisme, des énergies nouvelles et des techniques de communication, à travers la création de zones franches d'activités. Il convient aussi de structurer les filières à enjeux et de favoriser des partenariats économiques régionaux en incitant à l'exportation de services et de savoir-faire. La détermination du périmètre des zones franches au bénéfice des territoires déshérités a soulevé quelques difficultés car nous ne pouvions nous résoudre au risque que les territoires concernés ne soient pas tous logés à la même enseigne. Cette erreur est réparée grâce à la nouvelle rédaction de l'article 1er faite en commission des finances, avec notre concours, à travers une disposition qui, en définissant des critères d'éligibilité, doit assurer la cohésion territoriale en favorisant l'expansion des zones défavorisées.
Certes, il faut se réjouir de la relance du secteur du logement, avec une orientation progressive de la défiscalisation vers le logement social. Il demeure néanmoins que les populations insistent encore sur la nécessité absolue de maintenir le financement à caractère patrimonial du logement intermédiaire, maillon essentiel du marché du logement, support de la capacité à construire et de l'essor de l'industrie locale. C'est pourquoi nous veillerons à ce que la loi respecte le caractère complémentaire de l'une et l'autre forme de logement, nécessité parfaitement comprise et organisée par le Sénat à travers l'amendement de notre collègue Jean-Paul Virapoullé adaptant à l'outre-mer le dispositif Scellier. Nous souhaitons, à tout le moins, que l'économie du dispositif soit intégralement préservée, et être assurés que la ligne budgétaire unique – LBU – restera consacrée au financement du logement social sans servir de complément financier à sa défiscalisation. Notre commission des finances a revu en profondeur la rédaction des dispositions relatives au logement ; nous y gagnerons ainsi en rationalité et en équité.
Nous le répétons depuis longtemps : favoriser le pouvoir d'achat et l'emploi grâce à des efforts spécifiques à l'égard de l'outre-mer ne peut se faire qu'en tenant compte, je dirais même qu'en s'appuyant sur les caractéristiques propres à ces territoires. C'est l'occasion de promouvoir la subsidiarité et, à titre d'exemple, comme l'a souligné le Président de la République devant les parlementaires d'outre-mer, d'« orienter nos économies vers la recherche d'une plus grande autosuffîsance alimentaire pour qu'elles soient moins dépendantes des importations, naturellement en encourageant la production locale ». À cet égard, je note que le secteur de l'agro-nutrition est désormais reconnu comme une priorité.
Mais, plus encore, le débat qui s'ouvre de nouveau doit nous procurer l'opportunité de prendre en compte la crise qui frappe nos régions depuis le début de l'année et qui accentue la nécessité de promouvoir, avec plus de responsabilité locale, l'activité, et d'assurer ainsi le pouvoir d'achat outre-mer. Nous disons qu'il est du devoir de l'État de faire en sorte qu'il en soit ainsi. Si le texte soumis à notre examen jette indiscutablement les bases d'une réforme en profondeur qui prévoit notamment de valoriser les atouts de l'outre-mer, nous voulons tout de même souligner que l'écart qui existe avec l'Hexagone dans des domaines aussi déterminants que l'emploi, le logement, la santé, pour ne citer que ceux-là, est vraiment très important. Cette réalité objective justifie une approche qui doit conduire à se démarquer définitivement d'une démarche de rattrapage pour adopter, au nom même du droit à la cohésion, une logique de développement durable reposant sur le droit à dérogation tenant compte d'irréductibles particularités, pour garantir ainsi des capacités d'investissement croissantes. Des mesures fortes et immédiates sont d'autant plus justifiées que, contrairement aux idées reçues, le niveau de la dépense publique par habitant outre-mer n'est pas supérieur à ce qu'il est dans l'Hexagone.
L'enjeu fondamental consiste dès lors à donner à notre économie une forme d'autonomie, une plus grande capacité de développement par elle-même. C'est évidemment le moment de mettre définitivement en place cette dynamique qui consiste à procurer à nos régions, au-delà des transferts sociaux de la solidarité nationale, des transferts de moyens de développement. Il importe de consolider une politique stable d'incitation fiscale à l'investissement, pour des économies peu attractives pour des investisseurs quels qu'ils soient, particulièrement en direction des PME et des très petites entreprises – les TPE –, qui représentent, depuis toujours, plus de 90 % des entreprises ultramarines ; et ce, bien entendu, en simplifiant et en affichant les procédures ainsi que les critères d'agrément. Il est bel et bien prouvé qu'une telle politique est de nature à créer un contexte favorable au développement économique et social.
Monsieur le secrétaire d'État, s'agissant du coût du projet de loi, vous avez bien voulu répondre de manière positive à notre souhait de disposer d'un tableau comparatif de la situation avant et après l'application projet de loi, afin de pouvoir évaluer l'effort consenti par l'État en faveur de l'outre-mer par grandes familles de mesures. Nous vous en remercions.
Enfin, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, nous avons conscience que ce texte n'aura pu prendre en compte toutes les attentes d'aujourd'hui. Cela étant, nous avons bien noté que vont être bientôt organisés les États généraux de l'outre-mer. Il est fondamental d'en faire un rendez-vous qui conditionne l'avenir pour être demain capable de prendre en compte les vraies et profondes demandes formulées, récemment encore, par les populations. Il convient de donner à ces demandes une portée très concrète. Nous ne ferons pas l'économie d'une nouvelle loi qui aille bien au-delà des questions de défiscalisation ou d'exonération de charges sociales. Il va falloir innover et inventer pour l'outre-mer, jeter là-bas les bases d'un nouveau pacte. Dès lors, un engagement ferme du Gouvernement sur l'intervention d'une nouvelle et prochaine loi sur ce sujet sera seul de nature à donner espoir à nos populations et perspectives à nos territoires.
Nous avons déjà pu abonder ce texte de loi par des dispositifs très attendus, comme ceux concernant la pharmacopée…
Mais il reste encore à faire, par exemple, pour la reconnaissance officielle des plantes médicinales outre-mer, la couverture de ces plantes par les compagnies d'assurance, la formation en botanique tropicale, la protection juridique des plantes endémiques et la mise en place de structures de recherche.
Je conclus en soulignant que nos populations attendent encore des avancées significatives, tout particulièrement sur des thèmes plus que jamais prioritaires au lendemain des événements que nous venons de vivre et sur lesquels les parlementaires d'outre-mer ont pris des engagements.
Tout d'abord, sur la question du logement, il faut parvenir à une bonne articulation entre la fin de la défiscalisation Girardin, l'introduction du « Scellier » adapté à l'outre-mer et la sanctuarisation de la LBU dans la loi au service de la politique publique du logement.
Il s'agit aussi de la valorisation des ressources énergétiques locales renouvelables, notamment, pour l'heure, la bagasse.
Il s'agit encore de la continuité territoriale, non seulement pour les personnes et pour les biens, mais aussi pour 1'image et pour le son par la réduction de leur coût de transmission en favorisant l'accès aux technologies de l'information et de la communication, dont nous savons qu'elles sont créatrices de richesses.
Quant à l'avenir de notre jeunesse, il exige une politique forte en sa faveur, une politique résolue et ambitieuse. Les moins de vingt-cinq ans représentent près de 40 % des populations locales ; ils ne sauraient représenter un poids puisque, bien au contraire, ils constituent un atout sur lequel il nous faut investir en priorité pour bâtir l'avenir à long terme. Cela implique notamment, pour le court terme, la mise en place d'une allocation d'autonomie « jeunes », sur la base de critères bien clairs, comme par exemple l'implication du jeune dans un parcours d'insertion et de formation. Cela implique aussi de fonder une partie des exonérations de charges sociales sur les besoins croissants de nos économies en jeunes cadres. Il faut nous réjouir, à cet égard, qu'il ait été possible, en commission des finances, de remonter un peu les niveaux salariaux bénéficiaires du système. Une nécessité a ainsi été prise en compte. Il importe de la conforter.
Nous attendons, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, des réponses aux attentes exprimées encore tout récemment par les populations ; je veux croire que notre volonté commune de faire avancer l'outre-mer, au travers de la présente loi comme de celle qui suivrait, nous conduise à faire valoir et à mettre en oeuvre ces priorités qui nous paraissent les conditions d'un vrai développement créateur de richesses, d'activités et d'emplois, un développement porteur de progrès et d'épanouissement.
L'outre-mer s'inquiète. L'outre-mer s'agite. L'outre-mer attend… mais, par-dessus tout, l'outre-mer espère ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Didier Quentin, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la France, par son histoire originale, par sa richesse humaine, par la vocation universelle des valeurs qu'elle défend depuis plus de deux siècles, par sa présence sur tous les océans du monde, n'est pas un pays comme les autres. Cette ouverture incomparable, la France la doit largement à son outre-mer, à ses outre-mer devrais-je dire puisque c'est ainsi que le Sénat a jugé préférable d'intituler le projet de loi qui nous est soumis.
Nos concitoyens de métropole ne connaissent pas toujours bien ces espaces lointains, et en ont parfois une vision caricaturale. Nous pourrons y remédier, bien sûr, en faisant mieux connaître ces territoires, mais surtout en facilitant leur désenclavement et, plus fondamentalement, leur développement économique. À cet égard, en dépit de la crise sociale qui a récemment frappé ces collectivités, leur potentiel humain, écologique et touristique demeure un atout majeur pour l'avenir.
Les Français ultramarins attendent de la République une juste reconnaissance et rémunération de leurs efforts, et l'expression tangible d'une solidarité renouvelée pour surmonter les fragilités de leurs collectivités. Ce projet de loi pour le développement économique des outre-mer ne suffira pas, évidemment, à satisfaire l'ensemble de leurs aspirations, mais il répond à nombre des inquiétudes exprimées récemment, et il jette les bases d'une croissance économique plus solide dans ces espaces. Reposant sur une stratégie de long terme pour l'outre-mer, ce texte vise à donner aux collectivités ultramarines les moyens d'un développement économique moins fondé sur une dépendance à l'égard de la métropole que sur la valorisation de leurs atouts humains et géographiques. Tel est le sens de la notion de développement endogène, parfois mal comprise ou caricaturée. La métropole ne saurait évidemment cesser de soutenir l'effort de rattrapage entrepris, mais le développement de nos collectivités ultramarines doit s'appuyer plus vigoureusement sur la créativité, l'effort et le talent de leurs forces vives.
La loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003 a déjà permis d'enregistrer des avancées en matière d'exonérations fiscales, d'allégements de charges sociales et de mise en place d'une politique de continuité territoriale entre l'outre-mer et la métropole. Mais l'activité économique reste trop peu concurrentielle et trop dépendante de la métropole, l'accès au logement social trop difficile – 60 000 demandes sont insatisfaites dans les DOM –, et la gestion des aides à la mobilité territoriale trop disparate. Aujourd'hui, des incitations mieux ciblées et une nouvelle organisation des mesures de soutien offrent donc des perspectives de développement plus durables : c'est la conviction sur laquelle repose le texte qui nous est proposé.
Ce projet de loi a été, lors de son examen par le Sénat, enrichi de dispositions nouvelles prenant spécifiquement en compte les longs conflits sociaux qui ont secoué les Antilles, La Réunion et la Guyane : la commission des finances du Sénat a ainsi inséré dans le projet un nouveau titre entièrement consacré à la politique de soutien au pouvoir d'achat outre-mer.
Le projet de loi comprend aussi de très nombreuses dispositions fiscales, justifiant pleinement qu'il ait été examiné au fond par la commission des finances. À l'instar de la commission des lois du Sénat, notre commission s'est saisie d'une douzaine d'articles qui concernent :
Premièrement, la création d'un fonds exceptionnel d'investissement outre-mer, chargé de financer la construction d'équipements collectifs et doté de plus de 160 millions d'euros en 2009 : c'est l'article 16.
Deuxièmement, l'encadrement et l'unification de la gestion des aides en faveur de la continuité territoriale auxquelles près de 53 millions d'euros ont été affectés en 2008, au sein d'un unique fonds de continuité territoriale : c'est l'article 26.
Troisièmement, la mise en place de nouveaux outils juridiques pour mobiliser les espaces fonciers encore disponibles afin d'y développer l'activité et, surtout, l'offre de logements : ce sont les articles 18, 19, 22 et 25.
Quatrièmement : le respect de l'égalité de traitement entre ultramarins et métropolitains dans l'accès au logement locatif, grâce à la prévention de toute discrimination fondée sur le lieu de résidence de la caution – article 28.
Cinquièmement : l'intensification de la lutte contre l'orpaillage clandestin en Guyane, grâce à une répression accrue en cas d'atteinte à l'environnement, à un assouplissement des règles de garde à vue et à la création d'un délit douanier – article 29.
Sixièmement : les habilitations à étendre, adapter et clarifier la législation outre-mer par ordonnances – article 32.
Septièmement : la mise en place d'une Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer, majoritairement composée de parlementaires et disposant d'une compétence transversale en matière économique et sociale – article 33.
Huitièmement : à la suite d'un amendement sénatorial sur un thème dont nous avons récemment débattu dans le cadre de nos activités de contrôle, l'accélération de la révision de l'état civil à Mayotte, qui a débuté en 2001 et doit s'achever dans deux ans, ce qui suppose notamment une organisation plus efficace de la Commission de révision de l'état civil, cette CREC dont nous avons maintes et maintes fois parlé dans cet hémicycle – article 28 ter.
Nous avons inauguré, pour ce projet de loi, une nouvelle articulation des travaux des commissions saisies pour avis ou au fond. Les amendements adoptés par les commissions saisies pour avis ont donc été soumis à la commission des finances, lors de sa réunion du 1er avril dernier. La commission des lois avait adopté dix-huit amendements lors de sa réunion du 25 mars dernier. À notre satisfaction, la commission des finances a incorporé dix-sept de ces amendements qui ne vous seront donc plus présentés en tant que tels, mais dont je vais vous résumer la teneur.
Il s'agit notamment d'étendre à Saint-Martin la compétence du groupement d'intérêt public créé par l'article 19 et chargé de reconstituer les titres de propriété dans les départements d'outre-mer. Il s'agit aussi de préciser la définition de la circonstance aggravante d'atteinte à l'environnement pour le délit d'exploitation de mine sans titre, fondement de la répression accrue contre l'orpaillage clandestin en Guyane.
Des mesures visent à limiter les risques de désorganisation des activités de la Commission de révision de l'état civil de Mayotte, résultant de saisines tardives ou de demandes abusives, afin que ladite CREC dispose d'une année complète pour rendre sa décision sur les quelque 16 000 dossiers en instance.
D'autres dispositions portent sur le respect des prescriptions des articles 38 et 73 de la Constitution pour les habilitations accordées au Gouvernement, afin d'adapter aux spécificités de l'outre-mer certains aspects de notre droit, en particulier en matière de destruction de constructions illégales et d'expulsion des personnes les occupant.
Enfin, il est proposé d'assurer une information annuelle du Parlement sur l'évolution de la desserte aérienne de l'outre-mer et sur les travaux de la Commission nationale d'évaluation.
En revanche, la commission des finances n'a pas partagé la volonté de la commission des lois d'assurer l'éligibilité aux aides à la continuité territoriale des personnes qui résident outre-mer et dont le revenu est inférieur à deux fois le salaire minimum en vigueur dans leur collectivité. Je le regrette.
À titre d'exemple, rappelons qu'à Mayotte, ce salaire ne dépasse pas 927 euros bruts par mois. Doit-on considérer qu'une personne dont les ressources mensuelles sont inférieures à 1 800 euros peut, sans difficulté, s'offrir un billet d'avion pour la métropole ? Le doute est permis. Cet amendement vous sera donc à nouveau soumis, afin que les plafonds de ressources fixés par arrêté ministériel ne soient pas trop bas. Les aides à la mobilité doivent bénéficier à tous ceux qui en ont besoin, et non à une minorité d'ultramarins.
Malgré cette petite réserve qui fera l'objet d'un amendement, mes chers collègues, je vous invite à soutenir ce projet de loi très attendu outre-mer. Cependant, gardons bien à l'esprit qu'il n'est qu'un commencement et non un aboutissement. Comme M. le secrétaire d'État l'a souligné devant la commission des finances et comme vous l'avez dit vous-même, madame la ministre, il s'agit d'une première étape. Ce texte sera complété par de nouvelles mesures, élaborées lors des états généraux de l'outre-mer, vaste concertation dont le Président de la République a annoncé la tenue au cours des prochaines semaines.
« La bêtise est de vouloir conclure » a écrit Flaubert ; je dirai donc : affaire à suivre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Conformément à l'article 69 de la Constitution, le Conseil économique, social et environnemental a désigné M. Alain Saubert, rapporteur de la section des économies régionales et de l'aménagement du territoire, pour exposer devant l'Assemblée l'avis du Conseil sur le projet de loi pour le développement économique des outre-mer.
La parole est à M. le rapporteur du Conseil économique, social et environnemental, à qui je souhaite la bienvenue en votre nom à tous. (Applaudissements sur tous les bancs.)
, rapporteur de la section des économies régionales et de l'aménagement du territoire du Conseil économique, social et environnemental. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, je me permets de rappeler in limine, que M. le Premier Ministre a saisi le Conseil économique, social et environnemental le 11 février 2008, afin de le solliciter pour émettre un avis sur la loi programme pour le développement économique et la promotion de l'excellence outre-mer. C'est ainsi que s'appelait ce projet de loi à l'époque.
L'urgence nous fut alors recommandée. Nous rendîmes notre avis en séance plénière du Conseil, en présence de Mme la ministre de l'intérieur et de M. le secrétaire d'État à l'outre-mer, le 23 mars 2008, le vote intervenant le 24 mars. Nous sommes aujourd'hui le 6 avril 2009, un an plus tard.
, rapporteur du Conseil économique, social et environnemental. Ce projet de loi pour le développement de l'outre-mer s'inscrit dans une suite de lois programme, ce qui peut apparaître comme une forme d'hésitation mais reste néanmoins louable puisqu'il s'agit d'améliorer l'existant.
Le Conseil avait approuvé la philosophie générale de l'avant-projet qui lui était soumis. D'abord, parce qu'il rompait avec l'assistanat et un système économique fondé sur l'importation au détriment de la production locale, et s'orientait vers la promotion d'un développement endogène. Ensuite, parce qu'il prenait en compte la persistance des difficultés dans l'ensemble de ces territoires, mais visait à valoriser les atouts de chaque collectivité d'outre-mer. Enfin, parce qu'il reposait sur l'amélioration de la compétitivité des entreprises, mais se plaçait aussi au coeur des réalités quotidiennes, en faisant notamment une place importante au logement social et à la continuité territoriale.
Le Conseil s'était réjoui des avancées contenues dans l'avant-projet : soutien au secteur de la recherche, désormais inclus dans le champ de la défiscalisation et secteur prioritaire des zones franches globales d'activités ; dispositions visant à réduire la fracture numérique – défiscalisation des câbles sous-marins, TIC définies comme secteur prioritaire des zones franches – ; amélioration des dispositifs de continuité territoriale ; et enfin mesures destinées à supprimer certaines dérives constatées dans l'utilisation du dispositif législatif en vigueur. Toutes ces dispositions, qui ont été maintenues dans le projet de loi déposé au Parlement en juillet 2008, sont confirmées par le Sénat.
Toutefois, le Conseil avait formulé d'autres propositions de modifications dont certaines sont reprises, d'autres non. S'agissant des mesures de soutien aux entreprises, sans être hostile aux zones franches globales, le Conseil avait proposé d'améliorer le dispositif envisagé.
Le Conseil suggérait ainsi de soutenir davantage les entreprises éligibles au taux bonifié, en relevant les plafonds qui leur sont applicables au lieu de prévoir un plafonnement identique de l'abattement quel que soit le taux simple ou bonifié.
Il proposait aussi d'intégrer dans les secteurs à taux bonifié des secteurs stratégiques comme les technologies de l'information et de la communication aux Antilles et l'agro-nutrition à La Réunion.
Il conseillait enfin de mieux prendre en compte les spécificités territoriales comme la structuration de la Guadeloupe en archipel, génératrice de surcoûts dus à la double insularité, et d'intégrer le commerce de proximité sous conditions.
Dans son article 1er, le projet de loi a pris en compte les deux premières propositions : l'agro-nutrition à La Réunion et le secteur des TIC dans l'ensemble des DOM ont été désignés comme secteurs prioritaires. Le Sénat est même allé plus loin en faisant de l'agro-nutrition, tout comme de l'environnement d'ailleurs, un secteur prioritaire dans les quatre départements d'outre-mer.
Les plafonds d'abattement appliqués dans le cadre du dispositif d'exonération d'impôts sur les sociétés et les bénéfices industriels et commerciaux ont été relevés pour les secteurs prioritaires. Le Sénat a même augmenté le taux d'exonération de taxe professionnelle qui passe à 100 % pour les entreprises de ces secteurs prioritaires. En revanche, la nécessité de soutenir le petit commerce n'a pas été retenue, même si des aides sont envisagées.
S'agissant des mesures de défiscalisation, le Conseil avait considéré que le dispositif mis en place depuis vingt ans avait contribué à atténuer certains handicaps structurels des collectivités d'outre-mer, à renforcer le secteur marchand par rapport au public, à diversifier les activités et surtout à favoriser l'émergence d'une économie plus moderne.
Si des dérives et des effets d'aubaine ont pu se produire, l'avant-projet qui nous a été soumis en tirait pour partie les conséquences. Le Sénat a confirmé les mesures du projet de loi visant à éliminer les effets pervers de l'ancien système.
En revanche, le plafonnement de la défiscalisation des énergies renouvelables a été maintenu, alors que le Conseil invitait à traiter ce secteur de la même manière que les autres secteurs défiscalisés, surtout au moment où les pouvoirs publics affichent l'objectif de développer les énergies nouvelles.
S'agissant des autres mesures économiques, le Conseil s'était félicité que le tourisme, déjà bénéficiaire de la défiscalisation et des exonérations de charges, soit aussi l'un des secteurs d'activités prioritaires choisi au titre des zones franches.
Il avait néanmoins souligné la nécessité de prendre en compte des facteurs plus qualitatifs, tenant moins aux opérateurs qu'aux produits, et qui appelaient des mesures autres que financières et fiscales, comme une incitation à la formation professionnelle plus intense et mieux adaptée. À cet égard, aucune disposition nouvelle n'est prise dans le projet de loi.
Le CESE avait approuvé la mise en place d'une aide spécifique en matière de rénovation hôtelière, tout en se demandant s'il était nécessaire de ne retenir que les hôtels de soixante chambres, dans la mesure où le nombre de chambres n'est pas significatif de la petite hôtellerie outre-mer. Dans son article 13, le projet de loi a étendu le bénéfice du dispositif de subvention envisagé aux hôtels de 100 chambres. Le Sénat l'a confirmé et a relevé le plafond de l'aide à 7 500 euros par chambre.
S'agissant des exonérations de charges sociales, l'avant-projet qui nous a été soumis modifiait le dispositif d'exonérations de charges, en effectuant un recentrage sur les bas et moyens salaires. Tout en considérant que la baisse du coût du travail sera toujours insuffisante pour permettre aux entreprises d'outre-mer de faire face à la concurrence des pays voisins, le CESE estime que les exonérations de charges, associées à d'autres mesures, sont un élément indispensable de la compétitivité desdites entreprises. C'est pourquoi il avait approuvé le maintien des exonérations pour les bas salaires, admis l'exclusion des hauts salaires au-delà de 3,8 SMIC, mais posé la question pour les salaires intermédiaires en rappelant les besoins en personnels d'encadrement dans ces régions.
Le CESE avait aussi souligné que la dégressivité risquait d'entraver l'ascension sociale des salariés, et que l'instauration d'un plafond unique à 1,4 SMIC allait paradoxalement pénaliser les secteurs a priori les plus fragiles. Il proposait donc un redéploiement au sein du dispositif : restreindre son champ pour le réserver aux professions non réglementées et, en contrepartie, relever les seuils pour faciliter l'emploi des cadres.
Dans son article 159, la loi de finances pour 2009 a intégré par anticipation les articles 11 et 12 du projet de loi, relatifs aux exonérations de charges. Les entreprises des zones franches bénéficiant du taux bonifié bénéficient d'une mesure d'exonération plus incitative : le plafond est porté de 1,4 à 1,5 SMIC et l'exonération devient nulle à 4,5 SMIC au lieu de 3,8 SMIC auparavant. L'uniformisation du taux à 1,4 et la dégressivité ont été maintenues. Le Sénat a amélioré ces dispositions en ne faisant intervenir la dégressivité qu'au-delà du seuil de 2,2 SMIC, quel que soit le secteur concerné.
Une autre proposition du CESE n'a pas été reprise : celle consistant à faire de la formation professionnelle une condition de l'éligibilité de tout plan d'exonération de charges présenté par les employeurs.
En ce qui concerne la relance de la politique du logement, le CESE avait estimé que les dispositions en faveur du logement social et la rénovation du dispositif de défiscalisation au profit du secteur social étaient des points importants de l'avant-projet. C'est pourquoi il se montrait très favorable à leur principe, considérant que ces mesures témoignaient de la volonté de satisfaire les besoins en logements, point essentiel pour la grande majorité des habitants d'outre-mer.
En revanche, le CESE n'était pas favorable à la disparition totale de la défiscalisation en faveur des secteurs libre et intermédiaire : il soulignait les conséquences que pourrait avoir une telle disparition sur les ménages désireux d'acquérir leur résidence principale – ménages souvent issus des classes moyennes –, ainsi que sur le secteur du BTP, dont elle risquait d'entraîner une chute d'activité. Il avait donc proposé de maintenir la défiscalisation en secteur libre lorsque celle-ci concerne l'habitation principale en pleine propriété, tout en assortissant cette mesure de conditions – plafonnement des ressources de l'investisseur, de la superficie du logement et de la surface au regard de la taille du ménage –, ou en la réservant aux « primo-accédants ». Il avait aussi proposé d'étaler un peu plus dans le temps, et en fonction des territoires, la disparition du locatif libre, afin de permettre une transition plus facile avec le secteur social et de maintenir la défiscalisation sur le logement intermédiaire, avec un encadrement strict des plafonds.
L'article 20 du projet de loi a pris en compte certaines de ces préconisations, en prévoyant le maintien de la défiscalisation relative au secteur libre pour la résidence principale, sous certaines conditions – « primo-accession » et base éligible limitée en surface –, ainsi qu'un étalement dans le temps de la suppression de la défiscalisation du secteur libre et intermédiaire destiné à la location pour éviter un impact trop brutal dans le secteur du BTP.
Le CESE avait aussi demandé un étalement dans le temps de la suppression de la TVANPR – la taxe sur la valeur ajoutée non perçue récupérable – sur les matériaux, et ce afin de ne pas pénaliser l'artisanat, ainsi qu'une action sur le coût du foncier et la mise en place, dans les collectivités qui n'en disposent pas, d'un établissement public foncier ; mais ces points n'ont pas été repris dans le projet de loi.
D'une façon générale, le CESE souhaitait être systématiquement saisi de toutes les évaluations concernant l'outre-mer, comme il l'a été pour la LOPOM, et pouvoir disposer, au même titre que la Commission nationale d'évaluation, dont il se félicitait de la mise en place, des données et des informations lui permettant de se prononcer. Il souhaitait aussi qu'en matière de défiscalisation, les montages fiscaux soient rendus plus simples – déconcentration accrue des procédures, souplesse pour les petits projets – et que, en contrepartie, toute opération de défiscalisation, hors champ de l'agrément, fasse l'objet d'une déclaration ; que, tant pour la défiscalisation que pour les exonérations de charges, des moyens de contrôle appropriés soient donnés aux administrations concernées.
Pour conclure, le CESE estime que ce projet de loi devrait entraîner la mise en oeuvre d'une politique mieux adaptée au développement économique des régions ultramarines par une plus grande implication des acteurs locaux. Toutes les recommandations que nous avons formulées dans notre projet d'avis, parfois critique, n'avaient pour but que de mettre en garde les pouvoirs publics sur des conséquences qui, selon nous, pouvaient se révéler négatives.
Les outre-mer doivent être positionnés au sein d'un dispositif économique et social qui doit tenir compte de leurs difficultés, difficultés parfaitement identifiées, et ce dans la perspective d'un développement endogène. Leur avenir sera ce que les acteurs locaux voudront bien qu'il soit, dans une perspective à la fois métropolitaine et européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe SRC.)
J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à M. Victorin Lurel.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous y sommes donc, enfin ! Plus de deux ans après les engagements du candidat Sarkozy, deux ans après son élection à l'Élysée, plus d'un an après la première mouture du texte, après pas moins d'une dizaine de réécritures, un changement de locataire au secrétariat d'État à l'outre-mer et une gigantesque crise sociale, le projet de loi programme pour le développement économique et la promotion de l'excellence outre-mer, devenu projet de loi pour le développement économique de l'outre-mer, nous arrive donc enfin.
Ne voyez portant aucun soulagement dans ces mots : si je résume cette gestation et cet accouchement difficiles, cette laborieuse parturition, c'est parce que nous ne pouvons qu'avoir le sentiment tenace que ce projet de loi arrive, finalement, ou trop tard ou trop tôt. Trop tard, d'abord, parce que, si l'outre-mer avait été une priorité pour ce gouvernement, jamais celui-ci n'aurait attendu deux ans pour rédiger un texte pour ces territoires, notamment si l'on songe au flot des projets de loi qui nous ont été soumis depuis 2007 ; jamais !
Trop tard, ensuite, parce que, à force d'avoir dressé contre lui les socioprofessionnels, les élus locaux de tous bords et les syndicats, après avoir subi tant et plus de modifications, ce texte ne suscite plus l'enthousiasme de personne et n'est plus soutenu que du bout des lèvres par votre majorité. Croyez bien qu'il nous est apparu extrêmement difficile de l'améliorer en faisant notre travail de parlementaire, malgré notre désir d'être à la fois constructifs, conciliants et de bonne volonté.
Trop tard, enfin, parce que, à force d'avoir tergiversé et ainsi laissé croire que le Gouvernement, et plus largement l'État, se désintéressaient des outre-mer, un gigantesque mouvement social s'est levé à la fin de l'année dernière et est venu, dans presque tous les territoires de l'outre-mer français, bouleverser bien des certitudes, bien des arrogances et bien des raisonnements erronés. Je dis cela à la représentation nationale et aux membres du Gouvernement – même si vous êtes à cette heure le seul d'entre eux présent sur nos bancs, monsieur le secrétaire d'État – d'autant plus humblement que les élus locaux, dont je suis, ont pris leur part des interpellations, parfois vigoureuses, du mouvement social. Mais je le dis aussi avec la tranquille assurance de celui qui, inlassablement, à longueur d'interventions dans cet hémicycle et à chacune de ses interventions médiatiques, souvent avec d'autres collègues élus de l'outre-mer, n'a cessé de mettre en garde le Gouvernement sur l'absence d'écoute et de compréhension que nous ressentons dans les ministères, à l'Élysée et ici même, à l'Assemblée nationale.
J'ai donc envie de dire, pour commencer mon propos, que si ce texte est à ce point en retard, s'il apparaît à ce point en décalage avec les réalités douloureuses que le mouvement social de janvier et février a contribué à mettre en lumière, et s'il est vrai – comme le prétendent aujourd'hui les ministres – que le Gouvernement veut tirer les enseignements de cette crise en rompant avec les usages d'hier, il aurait fallu le revoir totalement et l'inscrire dans un tout autre calendrier ; il aurait fallu parler de la société de « profitation », des discriminations, des monopoles, des oligopoles, de la diversité, de la « mixophobie » – et j'en passe.
Ce texte en remplace deux autres – la LOOM et la LOPOM – qui, pourtant, nous avaient été présentés comme devant s'inscrire dans la durée. Or nous voici en train de tricoter une nouvelle loi dans l'urgence, sous la pression encore perceptible des conséquences d'une grande crise toujours fraîche dans nos mémoires. Nous voici sur le point de débattre, alors même que des états généraux sont programmés dans la plupart de nos territoires pour, dit-on, aller le plus loin possible dans nos réflexions sur notre avenir ; en ce sens, j'en arrive donc à penser que ce texte arrive finalement trop tôt.
Pourtant, si je défends la présente exception d'irrecevabilité, ce n'est pas pour repousser ou retarder l'examen du texte ; c'est pour insister sur les mauvaises conditions dans lesquelles il nous est soumis. Car, tout de même : la version du projet de loi sur laquelle les députés pouvaient proposer leurs amendements a été disponible sur le site de l'Assemblée le vendredi 3 avril à dix-huit heures, soit seulement vingt-quatre heures avant la date normale de forclusion, c'est-à-dire la date limite de recevabilité de nos amendements. Ainsi, pour exercer leur droit fondamental prévu par l'article 44 de la Constitution, le droit d'amendement, les députés ont eu à peine vingt-quatre heures ! Certes, la date de forclusion a finalement été repoussée, le vendredi même, au début de notre discussion générale ; mais admettez qu'un délai si court – quarante-huit heures ouvrées, si l'on veut bien concéder aux parlementaires et à leurs assistants le repos dominical – n'est pas admissible. C'est manifestement là un point qui justifie parfaitement l'exception d'irrecevabilité du groupe SRC : si jamais le Conseil constitutionnel était saisi de ce qui constitue, en pratique, une restriction quant au délai de dépôt des amendements, il ne manquerait pas de censurer l'ensemble de la loi. Certes, il y a déjà un certain temps que nous connaissons le texte et les modifications qu'y a apportées le Sénat, de sorte que nous avions préparé nos propositions. Cependant, le travail de réécriture des amendements – plus de 450 – est long et fastidieux à quelques heures de l'ouverture de la discussion générale ; il empêche donc le travail de fond. Ainsi de l'article 20 du texte, consacré au sujet essentiel du logement : profondément modifié en commission des finances, il justifierait certaines améliorations substantielles mais n'a pu, à mon sens, être travaillé dans de bonnes conditions.
Autre motif d'irrecevabilité : le principe de sécurité juridique, certes jamais formellement reconnu comme ayant valeur constitutionnelle, contrairement à nos voisins allemands et britanniques, mais pourtant essentiel pour l'outre-mer. Ce dont a besoin l'outre-mer pour son développement économique, c'est en effet de sécurité et de stabilité juridique. L'un des principaux points positifs de la loi Girardin, loi que j'ai pourtant combattue en raison de ses nombreuses insuffisances, était de proposer des outils, notamment aux investisseurs, pour quinze ans. Son principal atout résidait bien dans cette vision à long terme offerte au monde économique. Malheureusement, elle aura été amputée des deux tiers de sa durée, alors même que le Président de la République avait déclaré, lors de son discours devant la convention de l'UMP pour l'outre-mer le 12 juillet 2006 : « Des engagements ont été pris par l'État sur quinze ans, ils doivent être respectés. N'oublions jamais que la richesse est créée par le secteur productif et que les investisseurs détestent l'inconstance des politiques publiques. »
Enfin, je tiens à vous rappeler que les principes élémentaires de la démocratie représentative ont été, hélas, mis à mal. Je ne veux pas polémiquer sur la gestion gouvernementale de cette crise, ni sur les causes de la cherté de la vie et de la baisse du pouvoir d'achat, pas plus que sur les dérapages et les méthodes contestables exercées lors de ce conflit ; tout cela est derrière nous. Mais il me faut encore marteler une chose, surtout dans cette enceinte : ce gouvernement, comme ceux qui le suivront, doivent apprendre à écouter davantage les représentants élus des peuples ultramarins. Combien de fois, suite à nos demandes – qu'elles soient exprimées par des élus de droite ou de gauche – sur la baisse du pouvoir d'achat, le monopole de la distribution d'essence ou de la grande distribution, l'application immédiate du RSA, l'alignement des aides au logement, le drame du logement social dans nos régions, combien de fois, dis-je, avons-nous eu cette pénible et tenace impression d'indifférence, ce sentiment de désintérêt ? Combien de fois, monsieur le secrétaire d'État, a-t-on eu le sentiment de vous entendre dire : « Cause toujours » ? Mais, face à la rue, vous avez été contraint d'écouter, puis de céder.
Au fond, l'attitude de ce gouvernement comme de ceux qui l'ont précédé vis-à-vis des outremer révèle une crise – je n'ose dire une remise en cause – de la démocratie représentative reconnue dans notre Constitution. Si je voulais résumer cruellement les choses, je vous dirais que les « plus » ajoutés en catastrophe dans le texte vous ont été imposés par la rue, alors que nous tous, élus de gauche comme de droite, nous vous demandions la plupart d'entre eux depuis des mois. N'est-il pas plus simple, plus sain et plus respectueux de la démocratie d'écouter les représentants du peuple, plutôt que de devoir céder face à la rue ? Il est vrai que vous étiez corseté par Bercy.
Sur le fond, vous savez combien nous ne partageons pas la philosophie générale du texte. Derrière votre volonté de favoriser un développement endogène de nos territoires, nous avons vu la réalité des économies budgétaires que vous cherchez à nous imposer, lesquelles poursuivent une politique de désengagement de l'État qui, à périmètre constant, a coûté plus d'un demi milliard d'euros de crédits au budget de l'outre-mer depuis 2002.
Derrière cette LODEOM, nous avons vu la détermination du ministère des finances à casser les mécanismes incitatifs à l'investissement qui, pourtant, ont fait leurs preuves. Derrière les zones franches globales d'activité, nous avons vu des zones ni tout à fait franches, ni tout à fait globales, dont l'efficacité à terme nous paraît discutable, tant elles manquent d'ambition, alors qu'il s'agit d'outils que nous proposions nous-mêmes.
Dès avant même cette LODEOM, vous nous avez fait avaler des couleuvres aux allures d'anaconda en touchant à la TVANPR et en plafonnant la défiscalisation lors du vote de la loi de finances initiale, au mois de novembre dernier. Or, compte tenu de l'absence de l'État, du fléchage des crédits européens vers des périmètres d'investissements trop restrictifs et de la frilosité du système bancaire, cela revient à nous priver de fonds essentiels, devenus plus indispensables encore pour financer une vraie relance de nos économies mises à mal par sept ans de libéralisme, cinq ans de retrait de l'État, deux mois de paralysie et la crise mondiale qui arrive.
La révision simultanée du barème des exonérations de charges était aussi un bien mauvais coup. Vous l'avez admis à demi-mot, monsieur le secrétaire d'État, en revenant en partie sur ces décisions pour répondre aux urgences sociales.
Je n'oublie pas l'abaissement des seuils d'agrément de la défiscalisation, qui introduit de la méfiance là où il n'y en avait pas. Je n'oublie pas la recentralisation des fonds de continuité territoriale, difficilement compréhensible au moment où le Gouvernement se dit prêt à donner davantage de pouvoirs aux collectivités locales ultramarines. Je n'oublie pas non plus le recentrage de la défiscalisation sur le seul logement social, que vous proposez et qui revient à lâcher la proie pour une ombre bien fantomatique. Vous comprendrez donc, au fil de nos travaux, mes chers collègues, les raisons qui nous ont amenés à vouloir sanctuariser par amendements les financements de la ligne budgétaire unique.
Pour autant, j'aurais mauvaise grâce à dire que ce projet de LODEOM ne présente aucune mesure encourageante et qui soit de nature à répondre à certaines attentes de nos territoires. La commission des finances a adopté à l'unanimité l'extension géographique, à notre demande, du périmètre des zones franches à quatorze communes de la Guadeloupe et à quatorze communes de la Martinique, nommément citées : il s'agit d'une mesure de rééquilibrage territoriale que ces zones attendent depuis longtemps.
La création du fonds exceptionnel d'investissement, également à notre demande, est à saluer, car elle répond à de vrais besoins en infrastructures que les collectivités locales ne peuvent assumer seules.
L'aide au fret pour les îles du sud est enfin dotée significativement, mais je tiens à ce que des efforts supplémentaires soient faits pour Marie-Galante, Les Saintes et La Désirade qu'on ne défendra jamais assez, et pour la Guyane.
Il convient aussi de saluer les mesures prises pour répondre aux urgences sociales, comme le bonus déchargé, mais aussi l'atténuation de la réforme des exonérations de charges par relèvement du seuil d'application de la dégressivité de 2,2 à 2,5 SMIC pour les secteurs prioritaires. Je me permets cependant de regretter que, même à ce niveau, nous soyons en deçà des engagements pris par le Premier ministre devant les opinions publiques de Guadeloupe, de Martinique et des outre-mer en général.
Pour répondre à la crise, nous vous proposerons d'aller plus loin, notamment en sécurisant juridiquement les interventions financières des collectivités locales dans le cadre des augmentations salariales prévues dans les accords de sortie de crise. Nous vous proposerons également de nouvelles mesures de lutte contre la vie chère, visant à procéder à des baisses de TVA, à conditionner les aides aux entreprises à l'existence d'accords salariaux dans celles-ci, à officialiser les bureaux d'études ouvrières, à octroyer de nouveaux moyens pour les directions départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, à adopter de nouvelles sanctions plus dissuasives contre les entreprises qui ne souscrivent pas aux obligations de transparence sur leurs comptes et la structure de leur capital, à contrôler davantage les compagnies aériennes qui bénéficient des fonds de continuité territoriale, à étudier avec l'ARCEP, le régulateur des télécoms, les moyens d'obtenir des baisses significatives des tarifs de l'Internet à haut débit et de la téléphonie mobile.
Nous vous proposerons d'aller encore plus loin en mettant également en oeuvre très rapidement des mesures conjoncturelles pour nous permettre d'accompagner les entreprises qui doivent se relever d'une longue période de paralysie et d'inactivité consécutive au mouvement social de janvier et février. Cela passe par un plan d'apurement des dettes sociales et fiscales – j'ai déposé un amendement en ce sens qui a été adopté en commission des affaires économiques – ; par une suppression temporaire de la TVA dans le secteur hôtelier ; par d'importantes aides de l'État aux agriculteurs afin de compléter celles qu'apportent les collectivités locales, telles les régions.
Enfin, puisque, dit-on, le champ des possibles s'est considérablement élargi, j'ai envie, monsieur le secrétaire d'État, de vous dire « chiche ! ». Je vous propose donc d'explorer d'autres pistes, dont je crois qu'elles peuvent fonder une approche plus moderne des outre-mer de la part de l'État.
Vous aurez ainsi à examiner une demande qui émane de la région Guadeloupe que j'ai l'honneur – et, mieux encore, le bonheur – de présider. Notre collectivité a décidé de demander au Parlement de faire usage des dispositions nouvelles de l'article 73 de la Constitution pour l'habiliter à intervenir dans les domaines de la loi et du règlement en matière de promotion des énergies renouvelables, d'économies d'énergie et de normes thermiques de construction, et pour lui donner la possibilité de créer une nouvelle catégorie d'établissements publics sui generis afin de gérer la formation professionnelle.
Aucune de ces deux demandes ne paraît de nature à remettre en cause de grands principes républicains. Personne ne peut contester sérieusement que l'insularité, la géographie et le climat justifient que des normes particulières en matière d'énergie s'appliquent aux DOM. Personne ne peut prétendre sérieusement non plus que, dans une région où le taux de chômage est de 22 %, la création d'une institution adaptée pour la gestion de la formation professionnelle menace l'unité de la République. M. le secrétaire d'État et, je crois pouvoir ajouter, le Gouvernement dans son ensemble l'ont d'ailleurs fort bien compris et ils nous appuient dans notre requête. Mais je sais que, dans les hautes sphères administratives de certains ministères, on a pu s'effrayer de voir confier à une région, exotique de surcroît, le pouvoir de faire des lois, fût-ce sur son seul territoire, fût-ce dans des domaines limités, fût-ce après habilitation.
Vous aurez également, mes chers collègues, à examiner des amendements qui visent à mieux valoriser la biomasse, ainsi que la pharmacopée antillaise. Et vous aurez à vous prononcer sur deux dispositifs qui nous apparaissent essentiels : la taxe sur la « pwofitasyon » pétrolière – un très beau mot créole, alliant « profit » et « exploitation » – et la taxe sur les jeux de hasard. Ces deux outils peuvent permettre à nos collectivités de faire face aux défis considérables qui sont devant nous. Ce « nous » est très large et on ne peut plus collectif. Il ne faut pas se tromper d'enjeux, mes chers collègues : qu'il arrive trop tôt ou trop tard, ce texte nous place face à notre responsabilité collective envers des peuples qui nous ont adressé un message clair sur leur volonté d'être mieux entendus, mieux compris et mieux considérés.
Mais, une fois que ce texte, qu'il ait été ou non amélioré significativement par nos soins, aura été débattu et voté, en aura-t-on fini pour autant avec la « question ultramarine » ? À l'évidence, non. Aura-t-on pour autant pris à bras-le-corps le malaise identitaire et les questions politiques qu'a soulevés le mouvement social, en particulier aux Antilles et singulièrement en Guadeloupe ? À l'évidence, non.
De la même façon que les 200 euros ou le RSTA n'ont en rien constitué une réponse politique à la crise, cette loi ne le fait pas davantage, car elle ne s'attaque en rien aux « pwofitasyons », aux rapports sociaux hérités d'une époque révolue, aux injustices, aux inégalités, aux discriminations, à la vie chère, à la désespérance, à la précarité, à cette misère qui prospère au soleil.
Et, si nous ne saisissions pas l'occasion de cet examen du projet de LODEOM pour porter devant la représentation nationale et devant l'opinion publique un débat nécessaire sur la relation des DOM à la République, nous manquerions, je crois, le débat essentiel que nous devons ouvrir, quelques semaines après le mouvement social sans précédent que nous avons connu.
Cette crise, qui fut à bien des égards fondatrice, il faut bien reconnaître que les autorités publiques ne l'ont pas anticipée ou, en tout cas, n'ont pas imaginé qu'elle puisse prendre une telle ampleur. Concentrés que nous étions tous sur nos projets de développement, sur notre volonté d'aller de l'avant et de faire progresser notre jeunesse sur le chemin de l'excellence, nous n'avons peut-être pas mesuré combien nos sociétés ultramarines sont encore traversées de contradictions douloureuses. Nous avons peut-être négligé les plaies encore mal cicatrisées, sous-estimé l'obstination de ceux qui refusent qu'elles se referment et, plus prosaïquement, nous n'avons pas réalisé que la crise mondiale et le dogme libéral venaient de nous faire franchir la limite de ce que les plus fragiles d'entre nous pouvaient encore supporter.
Avec le litre d'essence à 1,77 euro en Guyane, à 1,53 euro en Guadeloupe, des populations dont les revenus moyens et médians sont nettement plus faibles que dans l'Hexagone doivent payer les carburants les plus chers du monde : cette « pwofitasyon »-là ne pouvait pas durer, pas plus que la difficulté de vivre décemment avec un salaire moyen faible ou avec le salaire d'un contrat aidé dans des départements où la vie est beaucoup plus chère que dans l'Hexagone ; pas plus que les frustrations des jeunes qui ne voient pas d'issue au chômage et à la précarité et qui trouvent provocant le train de vie des plus riches ; pas plus que les monopoles arrogants qui exploitent sans scrupule la population – parfois, hélas, avec l'inertie ou la complicité passive de l'État – ; pas plus que la répartition inégale de la richesse, des terres, de l'influence, du pouvoir ; pas plus que la prégnance obsédante des réseaux communautaristes qui sont, souvent hélas, d'origine métropolitaine ; pas plus que la perpétuation d'une « ethnoclasse » dominante ; pas plus que l'existence d'un patronat qui refuse de moderniser sa pensée et ses pratiques, auquel répond en écho un syndicalisme ouvrier pugnace qui croit au Grand Soir et à la grève insurrectionnelle… Eh oui ! Un certain patronat finit par obtenir le syndicalisme qu'il mérite.
La poudrière sociale était prête à exploser : il ne manquait plus qu'une allumette. Le prix du carburant fut l'élément déclencheur. D'une certaine façon, la crise a eu une vertu : elle a permis que tout soit mis sur la table. Mais parmi ce qui a été le plus durement touché et le plus malmené, il faut, je crois, citer le lien entre nos territoires et la République.
Toute société connaît des convulsions. Dans les démocraties, dans les États de droit, les manifestations populaires sont une forme de contre-pouvoir admise, une forme de régulation. Elles permettent d'exprimer des revendications ou de faire passer les messages que les urnes seules ne peuvent transmettre. Les premières manifestations du LKP en Guadeloupe ont emporté une large adhésion populaire, car elles répondaient au besoin des Guadeloupéens d'exprimer un ras-le-bol face à la dégradation de leurs conditions de vie, face à un vrai malaise existentiel et face à la politique trop ouvertement libérale du Gouvernement.
Ainsi est né ce formidable mouvement, sans précédent dans l'histoire récente, contre la « pwofitasyon », un mouvement qui, dans ses premiers jours, s'est montré pacifique, non-violent, et qui, globalement, a gardé sa dignité tout au long des quarante-quatre jours de mobilisation.
Pourtant, il y a eu des dérapages : je les ai condamnés. Il y a eu des dérives racistes ou racialistes : je les ai également condamnées avec force, de même que j'ai condamné une tendance qui s'est parfois exprimée, et qui entretient une conscience victimaire et doloriste chez les Guadeloupéens les plus fragiles, en cherchant à les convaincre que leur condition de « nègres » les condamne à être exploités à vie, qu'ils n'ont rien à espérer, donc rien à perdre, et que leur seul salut est dans la contestation et la protestation radicale et nihiliste.
Tout au long de ces semaines, l'État est apparu désemparé, indécis, incertain, hésitant, craintif : pas dans la gestion de l'ordre public, qui a été responsable, car, dans un contexte très tendu, où les provocations n'ont pas manqué, d'un côté comme de l'autre, l'État a su trouver l'équilibre entre son devoir de permettre aux Guadeloupéens et aux Martiniquais d'aller et venir librement et la nécessité de permettre à ceux qui voulaient manifester de le faire.
Mais il n'en a pas été de même de la gestion politique de la crise. Après avoir accepté des négociations dans un format impossible qui a vite montré son inefficacité, l'État a fait des promesses. Le secrétaire d'État, avec le souci de bien faire, s'est résolument emparé des dossiers. Et pour les traiter, il a fait preuve d'audace en promettant trop vite, en oubliant peut-être Matignon et ses nécessaires arbitrages. Résultat : des semaines supplémentaires de blocages et d'incompréhension.
L'État a donc montré de graves lacunes dans la gestion interministérielle de la crise, ce qui s'est révélé plus grave dans un contexte ultramarin où les sujets sont le plus souvent transversaux et où la coordination s'impose davantage. Il en sort affaibli, son image écornée. Cette crise a révélé des aspirations profondes et il faut avoir le courage de se dire que nous n'avons pas, collectivement, pris la responsabilité de repenser le lien qui unit nos territoires ultramarins avec la France hexagonale. Ce débat non ouvert jusqu'à cette grande crise laisse prospérer des idées fausses sur ce qu'est, aujourd'hui, ce lien.
Il y a plus de soixante ans, nos aînés ont choisi la départementalisation. J'ose dire, quitte à en choquer certains, que ce fut finalement une forme originale, peut-être unique au monde, de décolonisation politique, mais pas forcément économique.
Aujourd'hui, à l'évidence, après plus de soixante ans de départementalisation, si des stigmates de colonialisme perdurent assurément dans nos régions, la France n'est plus, en Guadeloupe, dans une logique coloniale. Les sondages le montrent, les métropolitains, dans leur majorité, ne seraient pas défavorables à l'indépendance de la Guadeloupe. Il paraît clair que, si la majorité des Guadeloupéens exprimait le voeu de sortir de la République, ni l'État ni aucun parti politique national ne s'y opposerait.
Dans ces conditions, peut-être est-il temps que nous, Antillais, prenions conscience qu'il nous suffit d'appuyer sur le bouton pour être en situation de décentralisation maximale, pour être, demain ou après-demain, plus autonomes, voire indépendants. J'ai même l'impression que les hautes autorités de l'État ne seraient pas opposées, ne serait-ce que pour nous mettre au pied du mur, à ce que, le moment venu, nous utilisions l'article 53 de la Constitution.
Nous devons avoir conscience, aussi, que, si nous nous sentons à l'aise dans la République, personne ne prendra l'initiative de nous en chasser. Peut-être est-il donc temps pour nous de cesser de penser et d'affirmer que la France impose sa présence, ses lois, son ordre – et peut-être, en passant, sa démocratie – dans les DOM, puisque nous pouvons mettre fin à tout cela dans l'instant ou dans la durée.
Peut-être est-il temps d'en finir avec l'idée que la France aurait absolument besoin des Antilles pour sa grandeur, pour sa défense, pour d'obscures raisons économiques ou pour sa biodiversité : tout cela est faux. Didier Quentin a dit que nous avions des atouts, comme s'il fallait tenir la balance entre les coûts et les avantages de notre appartenance à la République. Je n'aime pas cette logique. La France n'est là que parce que nous sommes Français, et qu'il n'y a pas de raison qu'elle parte tant que nous ne serons pas une majorité à en exprimer le souhait.
C'est pourquoi je le dis ici solennellement, avec force et gravité : oui, une réflexion approfondie est nécessaire sur ce qui fonde le lien entre la Guadeloupe et la France, entre la Guadeloupe et la République. Une réflexion approfondie est nécessaire sur ce qui fonde le « vivre ensemble » et, plus encore, le « vouloir vivre ensemble ». Afin qu'elle soit de nature à clarifier ce lien qui fait aujourd'hui débat, cette réflexion doit s'engager sans faire l'impasse sur aucune – je dis bien aucune ! – des possibilités qui s'offrent à nous.
La Guadeloupe est un peuple. J'ai combattu ici même, en 2003, et je combats encore l'idée selon laquelle nous ne serions qu'une population, un atome agrégé dans une grande molécule, une simple composante d'un grand ensemble au sein duquel notre identité et notre histoire seraient enfermées, rabotées et rabougries. Nous sommes un peuple. J'ose même dire ici, à la tribune de l'Assemblée nationale, en toute solennité, que nous sommes une nation – une nation sans État, mais une nation tout de même.
L'outre-mer est donc formé de peuples qui ont librement consenti à être dans la République et qui peuvent librement s'en séparer, s'ils le veulent et s'ils l'expriment clairement par les urnes. Le présent, en effet, est différent de ce passé qui voulait que les séparations se fissent sur le mode du conflit, de la détestation, de la guerre de libération nationale. Si séparation il devait y avoir, elle se ferait à l'amiable, par une voie démocratique permettant au peuple de s'exprimer et de dire sa volonté. Il est juste temps d'en prendre conscience, de sortir des vieux schémas et d'une rhétorique ancienne, tiers-mondiste, anticolonialiste et révolutionnaire qui, loin de faire progresser la cause de l'émancipation, conduit à exacerber les peurs et à diviser les peuples.
La réflexion que nous devons engager suppose donc que nous soyons prêts à examiner toutes les possibilités, toutes les options, toutes les solutions, toutes les voies, pour les soumettre au peuple.
Et ces voies son nombreuses : statu quo institutionnel ; séparation, voire sécession pure et simple par le biais de l'article 53 de notre Constitution ; assemblée délibérante commune aux deux collectivités mentionnées à l'article 73, qui seraient maintenues ; collectivité unique résultant de la fusion de la région et du département, toujours dans le cadre de l'article 73 ; autonomie dans le cadre de l'article 74 ; et n'oublions pas, pour celles et ceux qui y verraient quelque avantage, un préambule à la calédonienne prévoyant, à l'instar des accords de Nouméa, un référendum d'autodétermination à un horizon de vingt ans, voire vingt-cinq ou trente ans. Finalement, nous n'avons que l'embarras du choix, si telle est la volonté du peuple.
Ainsi pourrons-nous exercer notre liberté par le vote – cette liberté qui est sans doute le legs le plus précieux de notre histoire commune avec la République et au sein de la France. Cette liberté pourrait, comme à Porto-Rico, nous conduire – c'est ma proposition – à nous fixer des rendez-vous réguliers, tous les vingt, vingt-cinq ou trente ans par exemple, pour vérifier notre attachement à la République et notre adhésion à notre statut, et nous permettre entre-temps de travailler enfin, sans plus subordonner tout effort à une évolution institutionnelle supposément refusée par Paris !
Dimanche, le vote de Mayotte a été l'occasion de voir des ultramarins qui ne boudaient pas leur plaisir d'entrer pleinement dans la République. Certes, notre histoire n'a rien à voir avec celle de Mayotte, mais nous pourrions tout de même méditer leur nouvelle expérience. Ainsi pourrions-nous repartir ensemble sur la base d'un pacte plus solide et librement conclu.
Telle est bien là la vraie novation de la démarche que j'esquisse ici : il s'agit d'une démarche « contractualiste », qui permettrait de fonder notre lien avec la France sur une contractualisation, sur un contrat, sur un pacte entre citoyens d'une même République. Ce serait une façon de dépasser le jus sanguinis, étranger à la tradition républicaine, mais de dépasser aussi le jus solis pour créer, entre la République et ses outre-mer, un jus voluntatis qui ne donnerait que plus de force à ce lien qu'il nous revient de refonder aujourd'hui.
Nous ne pourrions nous défaire de ce pacte qu'à la condition que les citoyens de Guadeloupe le décident, après avoir été consultés. La France ne pourrait s'en défaire à l'issue d'un référendum national que si, dans le même temps, les Guadeloupéens l'acceptaient. Ce double verrou, dont certains souligneront l'asymétrie, serait tout simplement le symbole de notre droit à l'autodétermination, qui peut aussi bien être celui de rester Français que celui d'évoluer vers une forme d'autonomie voire, à terme et si c'est le choix d'une majorité, d'indépendance – sous la forme d'un État associé ou d'une nation pleinement indépendante. Vous le voyez : il n'y a aucun tabou à la tribune de l'Assemblée nationale, puisque j'évoque publiquement ces sujets.
Je sais que la question qui sera sur toutes les lèvres, en particulier lors des états généraux que le chef de l'État a promis de venir ouvrir à la fin de ce mois en Guadeloupe, sera celle du calendrier de ce débat institutionnel aujourd'hui relancé.
Pour ma part, le calendrier que je propose n'a pas changé, s'il s'agit d'examiner l'ensemble des possibilités que j'ai évoquées et qui s'offrent à nous. Aux partis politiques de s'emparer d'abord de cette question d'ici aux élections régionales de 2010, qui peuvent fournir l'occasion d'un grand débat entre les différentes approches. Puis, entre 2010 et 2011, les assemblées élues travailleront à un projet guadeloupéen en y associant la société civile et, plus largement, l'ensemble de la population. On peut envisager l'indispensable référendum – la consultation populaire – en 2012 ou en 2013, avant un nouveau scrutin sur d'éventuelles nouvelles institutions à l'horizon 2014 ou 2015. Voilà, à mes yeux, le délai minimum que l'on peut se fixer, tant il est essentiel de parvenir à convaincre la population de l'utilité et de la nécessité de changer. Précipiter les choses à l'approche d'échéances électorales majeures, comme entend le faire le Président de la République, ne contribuerait pas à faire éclore un débat serein, sachant que la confiance et les consciences sont sans doute ce qu'il y a de plus difficile à conquérir.
Certains, après la crise, estiment que l'opinion publique hexagonale est désormais acquise au largage. « La Corrèze avant le Zambèze » : ce slogan du cartiérisme est toujours d'actualité. Il est vrai que 51 % des métropolitains se disent favorables à l'indépendance de la Guadeloupe, alors que seuls 14 % des Guadeloupéens partagent ce point de vue. Le décryptage plus détaillé de ce sondage d'opinion est intéressant : on constate en effet que ce sont les Français dits « de droite » qui sont le plus majoritairement favorables à l'indépendance, tandis que les Français dits « de gauche » le sont beaucoup moins. Voilà qui tend à démontrer que les gens de gauche n'ont aucune réticence à partager la nation et la République au-delà des couleurs, des cultures et de la distance. Je me garderai bien de souscrire totalement à toute analyse caricaturale, mais certaines prémisses sont indéniablement validées par l'expérience de celui qui vous parle : certaines alliances ou connivences, objectives ou déclarées, sont en effet assez surprenantes. Quelles que soient les éventuelles alliances que cette question pourrait susciter et même si, je le répète, le lien est à refonder entre la France et les outre-mer, il n'en reste pas moins à mes yeux que le peuple guadeloupéen ne me paraît pas prêt ni ne souhaite couper ce lien. Sans aucun doute est-il prêt à le refonder, mais pas à le couper.
Il reviendra aux citoyens de s'exprimer et de décider très précisément de leur avenir. Il nous reviendra à nous, responsables politiques, d'exposer les enjeux et de tracer les perspectives. À nous de permettre, si le statu quo est jugé effectivement impossible, que le changement, lui, devienne probable avant d'être une réalité quand le peuple aura décidé. Raymond Aron disait « statu quo impossible et paix improbable ». En l'occurrence, le statu quo est impossible et le changement pourra être improbable si nous ne nous donnons pas les moyens de l'obtenir.
Le débat est ouvert, monsieur le secrétaire d'État. Notre position dépendra des signes que vous ne manquerez pas de nous adresser à l'occasion de cette discussion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Vous venez en quelque sorte, monsieur Lurel, d'ouvrir avec le talent et la qualité du verbe qui vous caractérisent les états généraux de l'outre-mer. La dernière partie de votre intervention, en effet, portait – chacun l'aura compris – sur des sujets qui dépassent largement le texte soumis à votre assemblée. Au nom du Gouvernement, il va de soi que je ne peux que rejoindre votre volonté que tous les débats soient abordés sans tabous et que tous les chemins soient éclairés, afin que les Antilles et, au-delà, l'ensemble des départements d'outre-mer et des collectivités, puissent s'inscrire dans un modèle d'avenir qui convienne et qui permette de régénérer, partout où cela est nécessaire, la relation entre la métropole et l'outre-mer.
Pour ce qui est du texte soumis à votre approbation, le Gouvernement, naturellement, ne rejoint pas votre demande d'irrecevabilité. Tout d'abord, ce texte, élaboré depuis 2007 – c'est-à-dire bien longtemps – dans les conditions que vous avez rappelées, est issu des propositions que le chef de l'État a présentées lors de sa campagne électorale, qui jettent les bases d'une refondation du modèle économique, correspondant largement en cela à ce qui a été exprimé dans la rue aux Antilles et dans les autres départements d'outre-mer en ce début d'année. Ce modèle économique privilégie la production locale plutôt que l'importation, et consiste à faire porter l'effort sur les questions sociales – le logement social, par exemple.
Lors de la préparation de ce texte, le Gouvernement a donc exprimé sa volonté d'établir les bases de ce nouveau modèle. Je reconnais bien volontiers qu'il ne s'agit que d'un socle à partir duquel il faudra bâtir une nouvelle perspective, mais nous esquissons déjà l'architecture de ce nouveau modèle économique que vous appelez de vos voeux avec la création des zones franches globales d'activité, l'effort consenti en faveur des secteurs porteurs d'activité économique, la volonté de favoriser la production locale au détriment de l'importation.
Ensuite, il y a dans ce texte préalable aux états généraux une réponse à l'urgence de la situation économique qui frappe la planète entière. Face aux vents mauvais qui soufflent sur l'économie mondiale, les entreprises de l'outre-mer se sentent affaiblies, davantage encore que celles de métropole. Un seul chiffre démontre combien il est important d'engager la discussion sur ce texte : la loi Girardin, qui constituait jusqu'à présent l'outil de soutien aux économies ultramarines, mobilisait 1,37 milliard d'euros en faveur du soutien au monde économique, tandis que le présent texte en mobilisera 1,5 milliard. C'est dire si, même s'il s'agit de macroéconomie, nous entendons par le biais de ces crédits renforcer l'aide et la cibler sur les petites entreprises, les plus fragiles et celles qui se heurtent aux plus grandes difficultés, afin de leur éviter les aléas de la crise mondiale.
Enfin, ce texte propose des réponses directes à la crise sociale qui a frappé les outre-mer. Ainsi, plusieurs dispositifs pourront être votés, tels que le bonus qui permettra aux entreprises de faire face aux augmentations de salaire dans les meilleures conditions, ou encore d'autres mesures de soutien à l'économie, qui rendaient l'examen de ce texte non seulement indispensable, mais aussi urgent, afin que la réponse à la conjoncture soit mise en oeuvre au plus vite.
Je ne peux que vous confirmer la volonté exprimée par le chef de l'État : au-delà des états généraux, il faudra de nouveaux rendez-vous législatifs. L'issue des réflexions menées dans le cadre des états généraux, qui portent sur l'avenir des outre-mer, devra également donner lieu sans tarder à un travail parlementaire.
Le présent texte préalable de réponse conjoncturelle, les états généraux destinés à revoir le modèle et la perspective de textes visant à mettre en oeuvre les mesures de restructuration nécessaires sont autant d'ingrédients qui nous permettront d'apporter les réponses aux angoisses qui s'expriment ici et là – que j'ai entendues, non seulement dans cette assemblée, mais aussi et surtout sur le terrain. Les réponses nous appartiennent ; c'est pourquoi le Gouvernement souhaite que nous abordions la discussion dans les meilleurs délais, afin que le texte issu des travaux des commissions puisse être encore enrichi par le travail et les amendements des parlementaires.
Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le groupe GDR.
M. le secrétaire d'État vient de nous dire que tous les chemins doivent être éclairés. Décidément, au Gouvernement comme aux Antilles, c'est la grève tous les jours et il n'y a plus de carburant ! En effet, l'obscurité règne. Si encore il ne s'agissait que de l'obscurité – mais le silence règne aussi ! Vous n'écoutez pas ! Je ne parle pas de vous en particulier, monsieur le secrétaire d'État : je n'aimerais pas être à votre place, étant donné que le Président de la République s'apprête à nommer jusqu'aux chefs de gare et qu'il se mêle de tout – surtout de ce qui ne le regarde pas. Voilà qui laisse peu de marge au ministre, y compris pour écouter – pour peu qu'il en ait la volonté. Dans ces conditions, je le répète, je ne voudrais vraiment pas être à votre place !
Songez que ce même Président de la République, dans son long monologue télévisé – ces plaidoyers pro domo dont il a l'habitude –, a réussi à ne pas dire un mot de la situation aux Antilles ! Quelle provocation pour nos compatriotes des Antilles, de la Guyane et de La Réunion !
Vous ne faites pas davantage preuve de respect du Parlement. Ou bien devrais-je dire que vous respectez autant le Parlement que nos compatriotes des Antilles, de la Guyane, de La Réunion et des territoires de l'Océan Pacifique ! J'en veux pour preuve les conditions de remise du texte soumis à la discussion.
Plus fondamentalement, monsieur le secrétaire d'État, et s'agissant d'une exception d'irrecevabilité, on peut légitimement s'interroger car les départements d'outre-mer ne sont pas considérés comme des départements de plein exercice. C'est ce qu'ont voulu nous dire nos compatriotes au travers des puissants mouvements du début de l'année.
Combien de décisions sont prises à Paris, alors qu'elles devraient être prises localement ? Sans compter tous les autres problèmes dont celui, essentiel, de la cherté de la vie. Le Gouvernement n'a pas la volonté de démonter le processus de formation des prix qui explique la vie chère et les conditions de vie difficiles de nos compatriotes. Il a certes décidé de créer des observatoires des prix, mais ceux-ci ne fonctionnent pas. Et s'ils devaient fonctionner selon la méthode proposée, ils pourraient faire penser à La Fontaine, lorsque, à plat ventre dans la forêt, à Château-Thierry, il regardait les insectes qui devenaient ensuite une source d'inspiration pour les fables qu'il composait ! (Sourires.)
Ce n'est pas ce dont nos compatriotes d'outre-mer ont besoin. Ils veulent qu'on les entende et qu'on donne à ces observatoires des pouvoirs d'investigation pour comprendre la perversité du système actuel et, surtout, savoir qui s'en met dans les poches. Or tout le monde sait, sur ces bancs, qui s'en met dans les poches ! Néanmoins vous ne voulez pas porter le fer dans la plaie, parce que ce sont vos amis ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous en avez honte ?
Il y a seulement quelques années, monsieur Brard, à la fête de l'Huma, les délégations de la Guadeloupe et de la Martinique faisaient partie des délégations étrangères !
Ce sont vos amis, y compris ces békés, comme celui qui, le 6 février dernier, a encore trouvé des mérites à l'esclavage ! D'ailleurs, vous ne pouvez être contre, puisque vous, vous trouvez des mérites au colonialisme ! De ce point de vue, vous êtes en parfaite symbiose !
Pour vous prouver l'absence de volonté dont je parlais, s'agissant des 200 euros supplémentaires, il y a encore en Guadeloupe des patrons qui font de la résistance et qui n'ont pas payé leur écot.
Je ne veux pas être trop long, madame la présidente, et je vais me diriger vers la conclusion de mon propos.
Nous devons remercier nos compatriotes de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion d'avoir montré la voie au peuple français. Il faut refuser le fatalisme et se dresser, même lorsque le chômage menace, pour faire valoir ses droits à vivre dignement. D'une certaine manière, nos compatriotes, après le magnifique mouvement du 29 janvier, ont donné un élan supplémentaire au mouvement social du 19 mars. C'est sans doute la première fois dans notre histoire qu'il y a une telle symbiose entre le mouvement social d'outre-mer et le mouvement social hexagonal. Et j'espère que, pour le 1er mai, nous allons communier dans un même mouvement pour faire plier les privilégiés qui n'ont pas mis encore le genou à terre aux Antilles parce que le Gouvernement ne le veut pas ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Pierre Brard, (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vais tenter de revenir plus modestement aux arguments développés par Victorin Lurel pour soutenir l'exception d'irrecevabilité. Parmi ceux qu'il a évoqués, j'en retiendrai quatre.
Le premier concerne le calendrier.
Selon M. Lurel, le texte viendrait trop tôt ou trop tard. Certes, ce projet n'est pas simple : il est innovant sur bien des sujets et il crée en matière de défiscalisation une véritable petite révolution, celle des zones franches d'activité. Désormais, le système sera conçu en fonction, non de la situation de l'investisseur, mais de la localisation des activités. Nous voulons faire en sorte que ce système profite non aux spéculateurs, mais à ceux qui, sur place, travaillent, investissent et créent des emplois. Ce système méritait d'être pensé, étudié et il devait faire l'objet d'une concertation. Tout cela a pris nécessairement du temps. Tout le monde n'était pas forcément d'accord a priori sur les zones à couvrir, sur les domaines d'intervention de ce nouveau dispositif. Par conséquent, il a fallu, c'est vrai, un peu de temps.
L'argument de notre collègue M. Lurel serait davantage justifié si, en raison des événements qui se sont produits au début de l'année, le texte avait été reporté à l'automne, en raison des états généraux. On aurait pu nous reprocher une perte de temps supplémentaire. Cela n'a pas été fait, et j'y reviendrai dans la discussion générale. Je crois que l'on ne peut que se féliciter de la décision prise par le Gouvernement de ne pas retarder la discussion de ce texte. Il arrive après les événements que l'on sait et il constitue une réponse à l'interrogation de nombre d'agents économiques : il arrive donc au bon moment.
Le deuxième grief fait au Gouvernement concerne la méthode : pas assez d'écoute ni de consultation.
Sincèrement, je ne pense pas qu'un tel argument puisse être retenu. Si un texte a été examiné, réexaminé, modifié, repensé, c'est bien celui-là. Par conséquent, l'argument ne me paraît guère recevable.
Le troisième argument de Victorin Lurel vise le contenu.
Selon lui, le texte privilégierait les préoccupations à court terme. Sur ce point, ma conviction est exactement à l'opposé. Au lendemain des grèves et des troubles qui ont affecté le début de l'année, nous sommes face aux milieux économiques qui s'interrogent sur l'évolution de la situation et ont besoin d'avoir des perspectives à long et moyen terme. Ce texte vise précisément à les leur apporter. Il assure une sécurité juridique, en fixant le cadre juridique, s'agissant notamment des mesures d'incitation et de défiscalisation qui sont attendues par l'ensemble des chefs d'entreprise dans tous les domaines. C'est, par conséquent, une manière de clarifier l'horizon, ce que souhaitent les acteurs économiques de nos départements d'outre-mer.
Le quatrième argument développé par Victorin Lurel est le suivant : il aurait des doutes sur la sécurité juridique du dispositif que nous proposons.
Certes, le droit de l'outre-mer est complexe et les contentieux sont nombreux. Il faut donc prendre en la matière toutes les mesures de sécurité juridique qui s'imposent. C'est pour ces raisons que la commission des lois a été saisie du projet du Gouvernement. Pour les mêmes raisons, la commission des finances a souhaité que le rapporteur pour avis de la commission des lois assiste à ses travaux, et j'en profite pour saluer la disponibilité de Didier Quentin, qui a passé avec nous une grande partie des jours et des nuits que nous avons consacrés à ce sujet. Franchement, je n'ai pas le sentiment que des imprudences juridiques aient été commises. Si tel était le cas, il aurait fallu que Victorin Lurel soit plus précis et qu'il nous indique très concrètement les domaines sur lesquels portent ses interrogations. Or je n'ai pas le souvenir qu'il l'ait fait dans son intervention.
Que reste-t-il de l'ensemble de son intervention ? Les arguments que nous connaissons bien en matière économique sur la frilosité des banques et sur le désengagement.
S'agissant de la frilosité des banques, tous autant que nous sommes, nous souhaiterions que les banques soient plus présentes sur le terrain économique, prennent plus de risques et accompagnent davantage les investisseurs dans leur création d'activité et d'emploi. Toutefois, sincèrement, cela relève-t-il du domaine de la loi que nous examinons ?
Cela relève en effet de la Constitution, de la réglementation bancaire et, pour ce qui est de la gestion, de la coordination qu'il revient aux préfets de conduire, chacun dans son département.
Quant au désengagement de l'État, c'est un argument que l'on entend partout, dans tous nos départements, métropolitains comme ultramarins, mais c'est un argument qui n'a pas de valeur.
Je n'aurai, de mon côté, rien à ajouter à ce qui a été dit à ce sujet par M. le secrétaire d'État.
De l'intervention de notre collègue, je retiendrai le fait qu'il a trouvé encourageantes certaines dispositions. La position qu'il a exprimée à cet égard est assez révélatrice du climat ouvert, serein et constructif qui a présidé au débat que nous avons eu en commission des finances, avec des amendements venant de part et d'autre. Nous n'avons pas été d'accord sur tout, mais nous avons eu une vraie discussion et nous avons rapidement acquis la conviction que, de l'autre côté, on se préoccupait aussi et avant tout de l'intérêt général ; j'en donne acte à l'opposition.
Je n'épiloguerai pas sur l'interrogation concernant les institutions. Je dirai simplement, comme l'a fait M. le secrétaire d'État, qu'il n'y pas de sujet tabou. Cette question ne relève pas de la loi dont nous traitons aujourd'hui, mais des états généraux qui se tiendront dans les prochaines semaines. L'ouverture avec laquelle nous abordons ce sujet me conduit d'ailleurs à me demander comment il est possible que certaines organisations syndicales refusent aujourd'hui de participer à cet exercice.
Je ne vois pas de motif pouvant justifier le vote d'une exception d'irrecevabilité. Par conséquent, le groupe UMP votera contre cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur Diefenbacher, vous estimez qu'il y a urgence. Pour nous, l'urgence n'exclut ni la sérénité ni la réflexion. De l'aveu même du rapporteur, M. Gaël Yanno, ce texte n'a pas été examiné dans les meilleures conditions. Nous avons eu en effet moins de douze jours après le vote du Sénat. Le rapporteur a également précisé que 180 amendements avaient été retenus sur 450. Cependant il oublie de vous dire que la moitié était d'ordre rédactionnel ! Cela montre avec quelle sérénité le texte a été préparé…
À écouter nombre d'entre vous, dans cet hémicycle, nous avons le sentiment que règne toujours le fraternalisme ou le paternalisme. Vous n'avez pas compris que ce dont ont besoin les populations de l'outre-mer, c'est de dignité, de responsabilité !
S'agissant de la rapidité avec laquelle le texte a été examiné, nous sommes tout à fait d'accord avec notre collègue. J'en veux pour preuve la manière lapidaire avec laquelle vous avez examiné les amendements durant ces derniers jours. Nous n'avons pas eu le temps de discuter convenablement avec M. le secrétaire d'État et le travail a été bâclé.
Certes, le travail ne se fait pas seulement en commission, mais nous aurions dû avoir suffisamment de temps pour examiner le texte de loi.
Par ailleurs, nous estimons que ce texte arrive trop tard. Vous dites qu'il y avait urgence : M. Sarkozy étant élu depuis deux ans, pourquoi le texte vient-il seulement maintenant en discussion devant l'Assemblée ? On ne peut pas nous dire aujourd'hui qu'il est nécessaire d'aller vite pour trouver des solutions aux problèmes des outre-mer, alors qu'on nous opposera bientôt la proximité des états généraux, comme si ceux-ci étaient la panacée. Chaque fois que nous avons soulevé un problème fondamental à propos de cette loi, on nous a répondu que l'on verrait lors des états généraux !
Pour toutes ces raisons, et surtout du fait de la précipitation dans laquelle le texte a été présenté à l'Assemblée nationale, nous voterons l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
(L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Exception d'irrecevabilité
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.)
J'ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à Mme Huguette Bello.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une adoption anticipée de cette loi aurait-elle permis d'éviter la crise qui traverse les outre-mer, cette crise que les difficultés mondiales ne font qu'amplifier, mais qu'elles n'ont en aucun cas créée ? Ce n'est pas par goût de l'histoire-fiction que la question mérite d'être posée, mais simplement parce que la réponse qu'on lui donnera apportera un premier éclairage sur son efficacité et sur son emprise sur la réalité.
Par sa durée, par son ampleur, par le soutien massif dont il a bénéficié, le mouvement populaire qui a gagné les outre-mer est exceptionnel. Il l'est aussi parce que, pour la première fois depuis 1946, les quatre départements d'outre-mer manifestent simultanément leur exaspération et leur malaise. Il l'est aussi parce que ces départements apportent eux-mêmes des solutions à leurs difficultés.
Face à ces nouveautés, voici ce projet de loi. Pour l'essentiel, il propose des recettes devenues classiques à force d'avoir servi : dispositifs de défiscalisation dont les premières applications remontent à plus de cinquante ans et exemptions de charges sociales sont, une fois de plus, les outils privilégiés d'un projet de loi pour l'outre-mer. À le lire, c'est comme si rien ne s'était passé. J'imagine les conclusions du futur historien qui confrontera ce texte aux événements des dernières semaines ! Alors, facilitons-lui la tâche, et reconnaissons-le nous-mêmes tout de suite : ce texte ne fait pas le poids.
Bien sûr, il y a les prochains états généraux. Outre qu'ils constituent, en creux, l'aveu de la faiblesse de ce projet de loi, ils nous conduisent à nous interroger sur la durée de vie du texte que nous allons examiner. Va-t-il partager le sort de l'article 159 du projet de loi de finances sur les cotisations sociales voté en décembre dernier ? À savoir : voté, promulgué mais jamais appliqué.
En fait, la genèse de ce projet de loi est riche d'enseignements. Il était axé sur un seul objectif, le développement économique, et conditionné par une idée dominante : faire des économies budgétaires. Avec de telles barrières, il était impossible, même avec la meilleure volonté du monde, de parvenir à un projet ambitieux, à un projet qui réponde aux vraies attentes qui, on l'a vu, sont immenses.
Rarement, le périmètre d'un projet pour l'outre-mer aura été aussi restreint. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler que les premières versions ne comprenaient même pas le secteur du logement. Et il n'y a toujours rien sur la formation et l'éducation, rien sur l'économie solidaire, rien sur la jeunesse, rien non plus sur la coopération régionale ni sur l'agriculture, rien sur la culture, rien sur la santé. Et, levons toute ambiguïté, ces thèmes ne sont pas non plus traités dans d'autres lois. Au contraire, il faut noter, à cet égard, que l'outre-mer est, de plus en plus, l'objet d'un traitement particulier et qu'il est exclu du droit commun. C'est toujours le cas, et nous y reviendrons, pour le logement. Cela a été le cas, récemment, pour l'hôpital public et, un peu auparavant, pour le revenu de solidarité active.
Il est vrai que la crise des outre-mer a réussi, ici ou là, à se faufiler dans ce texte. Elle a amené le Gouvernement à y inclure des thèmes jusque-là ignorés. Le pouvoir d'achat et la formation des prix en sont les exemples les plus frappants.
Il en résulte que nous examinons un texte qui oscille entre deux objectifs : réaliser des économies budgétaires, d'une part, éteindre la crise, d'autre part. Les différents articles peuvent d'ailleurs, de façon à peine caricaturale, être classés dans l'une ou l'autre rubrique.
Le titre Ier sur le pouvoir d'achat est, nous venons de le dire, particulièrement révélateur. C'est l'enfant de la crise. La vie chère et la formation des prix sont pourtant des questions anciennes et récurrentes dans l'outre-mer. Pourtant, sur ces sujets, les pouvoirs publics ne se sont guère attardés.
Faut-il rappeler que l'observatoire des prix et des revenus est issu d'une initiative parlementaire des députés de La Réunion, que d'aucuns jugeaient sa création redondante par rapport aux structures existantes, et qu'il a fallu attendre sept années marquées par des pétitions citoyennes et des manifestations populaires pour voir sa mise en place devenir effective à La Réunion en 2007 ? Toutefois si l'observatoire des prix est un instrument nécessaire, il va de soi qu'il n'est pas suffisant pour lutter contre la cherté de la vie outre-mer. Il est indispensable d'intervenir bien en amont du processus de formation des prix.
C'est la raison pour laquelle il est devenu urgent de revenir sur des dispositions contenues dans la loi de modernisation pour l'économie de 2008 qui sont totalement inadaptées à nos territoires. Au lieu de lutter contre les monopoles, elles ne feront en effet que les renforcer. Au tournant des années quatre-vingts, on a parié sur l'implantation des grandes surfaces. Elles devaient à la fois faire baisser les prix et créer des emplois. Les manifestations contre la vie chère et la comparaison des prix montrent que, à l'évidence, ce pari n'a pas été tenu. La grande distribution est devenue le terrain privilégié des monopoles, tandis que quelques puissantes centrales d'achat se partagent les marchés de la France des trois océans. Ce texte se focalise sur la grande distribution, mais il va de soi qu'il faudra aussi se pencher sur toutes les autres situations de monopole.
Un autre article de ce projet de loi porte de façon évidente les traces de la crise, je dirais même des crises, la locale et la mondiale. Il s'agit de l'article 16 qui crée le fonds exceptionnel d'investissement. Le montant qui est affecté à ce fonds n'a pas cessé d'être réévalué en fonction des contre-feux imaginés dans l'urgence pour faire face aux difficultés. Il sert de véhicule budgétaire aux mesures du plan de relance des départements d'outre-mer, mais il a aussi, dès novembre, été mobilisé pour la Guyane afin de mettre fin à la grève générale contre le prix élevé du carburant. Pour 2009, l'article 16 est une sorte d'article pompier qui fait face aux situations d'urgence et n'est pas forcément utilisé pour la réalisation des équipements structurants.
Chacun d'entre vous ayant déjà effectué ce classement, je ne passerai pas en revue les autres articles, préférant aborder trois aspects du texte qui posent problème.
Le premier est l'absence d'étude d'impact.
L'élaboration de ce projet de loi a pourtant pris beaucoup de temps. Neuf mois se sont écoulés entre l'adoption du texte en conseil des ministres et son examen par le Parlement. Cette carence est d'autant plus à regretter que la nouvelle procédure parlementaire, qui résulte de la révision constitutionnelle et dans laquelle s'inscrit l'examen du texte sur l'outre-mer, prévoit explicitement que le Gouvernement devra désormais – je cite le compte rendu du conseil des ministres – « transmettre au Parlement, à l'occasion du dépôt d'un projet de loi, des documents rendant compte des travaux d'évaluation préalable réalisés et comportant notamment une estimation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales des réformes engagées par le projet. »
Cette absence d'estimation peut aboutir à des situations étonnantes, voire cocasses. Dans ce registre, la palme revient à l'article 15, relatif à la taxe sur la valeur ajoutée dite non perçue récupérable, la TVA NPR. Notons en passant que cet article s'inscrit dans notre rubrique « économies budgétaires ». Avant l'examen par la commission des finances qui a même supprimé l'éventualité d'un rapport, il était prévu de modifier d'abord le dispositif, puis, dans un second temps, d'évaluer l'impact des modifications. Personne n'est opposé à la réforme de ce dispositif, mais tout le monde s'accorde sans doute à penser que ces deux étapes doivent respecter une chronologie logique et se succéder dans le bon ordre. Sinon, la réforme marchera sur la tête.
Plus grave car, cette fois quasiment irrémédiable, le manque d'étude d'impact préalable sur les zones franches d'activité. C'est pourtant la mesure phare du projet de loi. Plusieurs points incontournables auraient dû être examinés avec précision afin de lever les incertitudes et de mieux définir les contours de ces zones.
Premier point à éclaircir : le but principal de ces ZFA sera-t-il de sauvegarder les entreprises existantes ou de favoriser la création de nouvelles entités ? La question se pose. Toutes les déclarations ministérielles font mention des 27 000 entreprises existantes qui vont bénéficier de ce dispositif, mais uniquement de celles-là. On juge, par ailleurs, que le coût du dispositif – 224 millions d'euros – est élevé. Faut-il en conclure que le statu quo sera privilégié ?
Le deuxième point qu'on aurait pu – qu'on aurait dû – examiner concerne l'impact des ZFA sur l'emploi. C'est pourtant là un enjeu majeur pour des régions où les taux de chômage connaissent des sommets. Sur ce point, l'improvisation totale semble régner, y compris pour les secteurs prioritaires. Aucun lien n'est en effet établi entre le développement de ces secteurs à haute valeur ajoutée et les formations qui devront nécessairement y être organisées. Aurait-on, une fois de plus, une conception élargie du marché du travail ultra-marin ? Envisagerait-on de recourir à une main-d'oeuvre qualifiée venant de l'extérieur ? La contrepartie des exemptions fiscales en termes de formation professionnelle apparaît bien faible quand on veut développer l'emploi et, a fortiori, l'emploi qualifié. Quant à la suppression de tous les dispositifs de soutien à l'emploi des jeunes diplômés, elle est simplement incompréhensible.
Troisième point non traité : la participation des capitaux étrangers. Les zones franches des départements d'outre-mer seront-elles ouvertes à des capitaux étrangers, avec, par exemple, des montages mixtes, ou se limiteront-elles, comme tout semble l'indiquer, à un scénario franco-français ? Si ce n'est pas le cas, il est temps que des moyens d'accompagnement soient définis et qu'une information claire soit mise à la disposition des investisseurs étrangers. N'oublions pas que ces zones ont une durée limitée, qu'elles sont assorties d'une dégressivité assez dissuasive, et qu'elles doivent connaître rapidement une perte d'attractivité importante avec la suppression, annoncée par le Président de la République, de la taxe professionnelle.
La création de zones franches n'est pas inédite en France. Les zones de revitalisation rurale, les zones franches urbaines, la zone franche de Corse sont des précédents intéressants. Nous Réunionnais, ne pouvons pas ne pas penser aux zones franches industrielles implantées à l'île Maurice, notre voisine, depuis la fin des années soixante-dix. Ces expériences diverses, parfois anciennes, dont les options stratégiques et les résultats ont été fort différents, auraient pu nourrir la réflexion et éclairer les choix des concepteurs des nouvelles zones franches d'outre-mer. De toute évidence, ils n'ont pas jugé utile qu'une véritable réflexion économique précède la mise en place de ce nouveau dispositif.
Dans un autre registre, il faut noter que ce texte recèle un certain nombre de contradictions internes qui risquent d'en limiter la portée. Il suffit, pour s'en persuader, de rapprocher certains articles.
En comparant l'article 1er et l'article 10, je vois une distorsion entre la fin et les moyens. En effet, si les zones franches ne sont pas uniquement destinées à satisfaire les besoins locaux, il est indispensable de faciliter les exportations. De même, le développement des secteurs prioritaires, notamment celui de l'agro-nutrition, nécessite d'importer des matières premières extérieures à nos régions. Dans un cas comme dans l'autre, les aides prévues non seulement sont notoirement insuffisantes, mais encore privilégient les échanges avec l'Europe jusqu'à laisser penser qu'ils sont exclusifs. Difficile pour nos produits, dans ces conditions, de rester compétitifs, d'autant qu'aucune mesure structurelle touchant aux équipements portuaires et aéroportuaires n'est mentionnée.
Des mesures de toute sorte sont prévues en faveur du tourisme, autre secteur prioritaire des zones franches d'activité. Mais ne risquent-elles pas de se heurter aux tarifs aériens ? En découvrant qu' « une grande compagnie aérienne de dimension internationale » – n'est-ce pas d'Air France qu'il s'agit ? – réalise 14 % de ses résultats sur les lignes outre-mer, qui ne représentent pourtant que 1 % de son trafic, vous vous êtes étranglé, monsieur le secrétaire d'État. À quand l'étape suivante ? À quand l'avènement de tarifs moins prohibitifs ? Le développement du tourisme en dépend, surtout si rien n'est fait pour faciliter les visiteurs non ressortissants de l'Union européenne.
Je veillerai à ce que le sort réservé à l'amendement « bagasse » ne vienne pas ajouter une contradiction supplémentaire, cette fois doublée d'une véritable injustice.
Quoi qu'il en soit, je souhaite de tout coeur que les contradictions contenues dans ce texte puissent être levées. Nos collègues sénateurs ont commencé à le faire quand ils ont supprimé le plafonnement spécifique des énergies renouvelables que le texte initial avait prévu, en dépit des intentions affichées pour le développement de ce secteur.
Bien que la démarche soit de plus en plus utilisée, le Gouvernement n'a pas jugé bon d'avoir recours à l'expérimentation avant de généraliser ses mesures. Le cas le plus emblématique est celui du logement. Domaine sensible et prioritaire s'il en est, le logement s'apprête à connaître un véritable bouleversement avec la réorientation du dispositif de défiscalisation vers le logement social.
L'orientation proposée est issue d'une des missions réalisées au titre des audits de modernisation. Les auteurs posent d'emblée comme hypothèse que le logement social outre-mer doit constituer « une ressource budgétaire durablement contrainte ». Cette mission a eu lieu en mars-avril 2006, au moment même où étaient votées, pour la France continentale, les grandes lois sur le logement social assorties de moyens budgétaires conséquents et sanctuarisés : programme national de rénovation urbaine en 2003, plan de cohésion sociale en 2005, engagement national pour le logement en 2006, droit opposable au logement en 2007. Cette mobilisation, qui n'a, à aucun moment, eu recours à la défiscalisation, a porté ses fruits. Le nombre de mises en chantier de logements sociaux n'a cessé d'augmenter durant ces années et, au bout du compte, l'objectif initial de construction de 500 000 logements locatifs sociaux sera dépassé.
Malgré nos demandes répétées, ces textes ont toujours laissé de côté le logement social de l'outre-mer. Les auteurs du rapport précité avaient écrit : « La séparation institutionnelle et financière qui s'est instaurée entre la métropole et l'outre-mer conduit à un traitement inéquitable des DOM. » Et de conclure : « Il conviendrait d'y mettre fin pour restaurer une plus grande égalité de traitement à l'égard des populations ultramarines. » C'est ainsi qu'est apparue la solution de la défiscalisation que ce projet de loi nous propose. Certes, elle comporte – ou comportait, devrais-je dire, au regard de l'augmentation actuelle des déficits – l'avantage pour le Gouvernement de contourner la maîtrise des finances publiques, mais c'est au prix de l'inscription du logement social outre-mer dans une logique de privatisation.
C'est pourquoi, une fois de plus, je plaide de toutes mes forces pour que la ligne budgétaire unique continue d'être le financement principal du logement social outre-mer. Comme pour tous les acteurs qui interviennent dans ce domaine, il m'est impossible d'admettre que le logement social, qui est au carrefour de tant d'enjeux pour la société comme pour les individus, soit ainsi laissé à ce qu'on appelle par litote la discrétion des investisseurs et des intérêts privés. Monsieur le secrétaire d'État, dans les régions d'outre-mer aussi, l'État doit rester le garant du droit au logement. Nous ne demandons pas une faveur. Nous exigeons, au nom du peuple, l'égalité de traitement républicaine !
Comment d'ailleurs ne pas se faire du souci pour l'efficacité de ce dispositif, alors qu'il apparaît au moment même où la défiscalisation outre-mer est présentée comme le symbole de tous les abus et de toutes les injustices ? Alors qu'il surgit quelques mois à peine après que des mesures de plafonnement des réductions d'impôt ont été votées, mesures qui, sur initiative du Sénat, englobent ce nouveau dispositif ? Qui nous dit que ce qu'on nous propose de voter sous l'intitulé de « défiscalisation du logement social » ne sera pas désigné à son tour, dans un proche avenir, comme une niche fiscale qu'il faudra dénicher ?
À défaut d'expérimentation, sans doute faudrait-il méditer l'exemple de la Nouvelle-Calédonie. À ce qu'il me semble, monsieur le rapporteur, la Nouvelle-Calédonie, faute de ligne budgétaire unique, est, à ce jour, la seule collectivité à faire appel à la défiscalisation pour financer la construction des logements sociaux. Résultat : sous l'effet conjugué de la crise internationale et du plafonnement des niches fiscales, de nombreux programmes se trouvent en panne. Plus moyen de compter sur trois ou quatre investisseurs fortunés pour réunir les financements nécessaires aux opérations qu'il faut lancer.
On le voit, la défiscalisation comme source de financement du logement social est une solution plus qu'aléatoire. Je vous fais grâce des difficultés techniques qui risquent également de surgir, et sur lesquelles les opérateurs ne cessent de nous alerter. Le paradoxe des paradoxes serait, comme beaucoup de spécialistes le craignent, que les logements construits avec la défiscalisation reviennent, au bout du compte, plus cher que ceux qui sont réalisés avec la ligne budgétaire unique.
Je vous donne deux chiffres, pour terminer : d'une part, l'État programme chaque année 258 millions d'euros pour financer le logement social ; d'autre part, il dépense 1,2 milliard d'euros pour l'exonération des cotisations sociales patronales. Le simple rapprochement de ces deux chiffres devrait faire surgir quelques interrogations et, peut-être, inspirer quelques idées neuves. De toute évidence, ce n'est pas le chemin qu'emprunte ce projet de loi.
Toutes ces raisons, nos interrogations sur les caractéristiques et les objectifs des zones franches d'activité ainsi que les incertitudes qui demeurent sur la question du logement justifient cette motion de procédure. Je souhaite, mes chers collègues, au nom de nos concitoyens d'outre-mer qui viennent de s'exprimer dans la dignité, avec force et courage, que nous adoptions, tous ensemble, la motion tendant à opposer la question préalable, en sorte qu'un jour prochain nous puissions adopter, tous ensemble, une loi à la hauteur de leur parole, à la hauteur de nos peuples ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Madame Bello, la première partie de votre intervention portait sur la pertinence de ce projet de loi dans un contexte marqué par les mouvements sociaux que nous avons connus. Vous constaterez, article après article, au cours de nos discussions, que nous apportons à ces mouvements des réponses ponctuelles, liées aux engagements pris dans les départements, mais aussi des réponses de fond, puisque la base de ce projet de loi est de favoriser la production locale, donc l'emploi local.
Vous vous interrogez sur les études d'impact qui concernent notamment les zones franches. J'ai présidé pendant dix ans l'association nationale des villes zones franches, et je puis vous dire que nous connaissons parfaitement les effets de ce type de dispositifs. L'on peut mesurer avec précision ce que les zones franches d'activité apportent à l'économie en créant de l'activité, donc de l'emploi local. L'article consacré aux évaluations propose des mesures permettant de mesurer mois après mois, voire semaine après semaine, l'efficacité des dispositifs que nous adoptons.
Vous avez rappelé que le début de ce texte est consacré à la vie chère. Lutter contre la vie chère passe par plus de transparence et davantage de concurrence, mais aussi par un accroissement de la production locale. Le secteur agroalimentaire figure comme l'un des secteurs prioritaires, et il va bénéficier massivement des mesures prévues dans ce texte. Cela profitera à nos compatriotes d'outre-mer, car la production locale est toujours moins chère que les importations.
Vous avez également évoqué la formation professionnelle. Je vous rejoins sur ce sujet, puisque le Gouvernement a introduit dans ce texte une obligation nouvelle pour les entreprises qui vont bénéficier dans les zones franches d'un régime d'imposition favorable. Obligation leur est désormais faite de réinvestir une partie de l'avantage perçu dans la formation professionnelle. Cette mesure, dont le coût est estimé pour une année à 15 millions d'euros, est une innovation qu'il faut saluer. Nous avons par ailleurs interrogé les régions, qui sont, vous le savez, en charge de la formation professionnelle. Ce sont elles qui nous ont désigné les secteurs prioritaires et, grâce à cette concertation, je ne doute pas que les secteurs qui vont créer de l'emploi trouveront les personnels nécessaires.
Vous avez parlé de capitaux étrangers. L'important est surtout de trouver des entreprises qui s'implantent dans les outre-mer et développent de l'activité et de l'emploi. Nous sommes très ouverts aux mesures de coopération régionale.
Comme vous le soulignez, les ports et les aéroports ont leur rôle à jouer dans le développement économique. Ils sont gérés non par l'État mais, bien souvent, par les autorités locales, notamment consulaires. Nous sommes favorables à l'idée de les inclure dans les contrats de développement, sachant qu'il faudra, dans le cadre des états généraux, s'interroger sur leur gestion, dans la mesure où certains équipements portuaires de l'outre-mer sont parmi les plus coûteux de la zone où ils se trouvent.
Les tarifs aériens sont concernés par ce projet de loi. En remobilisant les crédits de continuité territoriale et en offrant de contractualiser avec les régions, nous voulons faire pression sur les compagnies aériennes. C'est par une politique d'achat massif que nous obtiendrons une baisse des prix. À quand des tarifs moins prohibitifs, demandez-vous ? Sachez que j'ai annoncé, pour l'automne, des dizaines de milliers de billets aller-retour Paris–Saint-Denis à moins de 450 euros. Ce rendez-vous est une mesure sociale ; c'est aussi une manière de faire évoluer le modèle économique et d'inciter les compagnies aériennes à baisser leurs tarifs et à être plus concurrentielles.
Concernant le logement social, les mesures que nous proposons et qui visent à mettre en place de nouveaux outils de financement sont issues d'une recommandation de la conférence nationale du logement de février 2007.
Je note avec plaisir que vous constatez que toutes les lois sur le logement que vous avez pourtant refusé de voter – qu'il s'agisse de la loi sur la restructuration urbaine ou de la loi sur la cohésion sociale – portent leurs fruits sur le territoire métropolitain. Étant moi-même maire d'une commune qui comporte 73 % de logements sociaux, je connais assez bien ce dispositif.
Acceptez donc de nous faire confiance et d'imaginer que, si ces lois, bien que vous les ayez à l'époque dénoncées, ont porté leurs fruits, il en sera de même pour celle que nous vous proposons aujourd'hui.
Le problème majeur avec le logement social outre-mer est que nous ne construisons pas assez et que la captation par le logement libre des mesures de défiscalisation a fait augmenter le prix du foncier, de plus de 100 % à La Réunion. Il faut donc réorienter nos outils.
J'ai entendu les interrogations sur la défiscalisation du logement social : en la matière le Gouvernement apporte des garanties très fortes. La ligne budgétaire unique est renforcée, puisque nous passerons de 190 à 250 millions d'euros sur les trois prochaines années. Le texte permet de plus, vous l'avez vu, d'utiliser la ligne budgétaire unique soit seule, soit avec la défiscalisation, comme il permet d'utiliser uniquement la défiscalisation. Il n'y a donc pas un outil unique, mais de multiples outils.
Nous introduisons ainsi la plus grande souplesse possible, car – vous l'avez justement souligné – il faut être souple et multiplier les outils pour garantir que nous construirons effectivement du logement social.
Faire payer le logement des plus modestes par les impôts des plus riches n'est pas un choix qui me choque profondément : au contraire cette mesure me paraît saine. Certes, elle pourrait susciter des interrogations si elle était l'outil unique d'aide au logement social ; mais, dès lors que nous l'ajoutons à d'autres outils, il ne faut pas s'en priver. M. Gaël Yanno, rapporteur, aura l'occasion de vous dire qu'il a porté ses fruits en Nouvelle-Calédonie. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Dès que l'on entre dans le vif du sujet, on voit donc que ce texte met en place une nouvelle boîte à outils pour répondre aux attentes des populations. Il y a urgence que ce soit pour l'emploi – vous l'avez souligné et nous vous rejoignons sur ce point ; ou pour le logement social : cela a été dit depuis plus longtemps et de façon plus vive sur vos bancs. Eh bien la majorité veut montrer, comme elle l'a fait en métropole, qu'on peut marquer des points grâce à des outils innovants, et construire du logement social pour répondre aux attentes des plus modestes.
Le Gouvernement demande donc à l'Assemblée de ne pas voter la question préalable, afin que nous puissions entrer dans le vif du sujet pour améliorer ce texte autant qu'il sera possible, et pour apporter des réponses aux problèmes de l'outre-mer.
Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Serge Letchimy pour le groupe SRC
L'intervention de Mme Huguette Bello était brillante, extrêmement précise, je dirais même passionnée si les circonstances n'imposaient de souligner qu'elle sera peut-être propre à éveiller les consciences.
J'ai retenu quelques points de sa démonstration.
Le fait que la commission saisie au fond soit celle des finances, présidée par notre collègue Didier Migaud, plutôt que la commission des affaires économiques, montre bien l'orientation des politiques d'investissement en outre-mer. Je le regrette pour vous, monsieur Ollier !
Le titre du projet entre en contradiction avec les orientations stratégiques du Gouvernement. C'est une loi de développement économique ; le choix de la commission des affaires économiques aurait permis d'élever les discussions et de mettre en avant les orientations économiques, pour utiliser la fiscalité et les exonérations comme un moyen de régulation. Ce n'est pas le cas.
Nous nous accordons donc sur la question de l'orientation philosophique.
En ce qui concerne le logement, Mme Bello a raison : la situation est extraordinairement complexe. Certes ce n'est pas l'arrêt de la défiscalisation sur le loyer libre qui pose problème ; nous pourrions même partager cette ambition, puisque vous avez créé une dynamique qui permet aux primo-accédants souhaitant construire leur logement de bénéficier pour la première fois de la défiscalisation.
Néanmoins le risque est que nous ne savons pas si nous allons atteindre un loyer social en utilisant la défiscalisation pour parvenir à construire des logements sociaux. Si nous ne réussissons pas à atteindre un loyer social d'environ 5,50 euros, et un loyer très social inférieur à 5 euros, ceux qui défiscalisent devront – comme vous le leur avez permis – demander à contribuer au financement de la défiscalisation pour atteindre un loyer compatible avec les ressources des familles. Nous savons tous que 80 % des 65 000 personnes qui ont besoin d'un logement relèvent du logement social. L'inquiétude est réelle ; nous risquons de vraies difficultés.
Par ailleurs, sous couvert de lutte contre les niches fiscales, vous avez introduit le logement social dans le plafonnement global des niches. Cela pourrait avoir une conséquence importante : nous risquons, comme en Nouvelle-Calédonie, d'avoir à faire un lobbying plus coûteux encore que la défiscalisation pour rechercher ceux qui viendront financer le logement social par la défiscalisation.
Enfin, la question des zones franches globales d'activité me semble essentielle. En matière de politique d'investissement, il faut, je crois, de la lisibilité dans le temps. Or la commission nationale d'évaluation de la loi de programme pour l'outre-mer – la loi Girardin – n'a pas abouti. Aujourd'hui, les dégressivités mises en oeuvre, notamment en matière d'exonérations de charges sociales et d'impôt sur les sociétés, risquent de poser à terme un problème : la zone franche globale est globale pour les activités et les investissements, mais elle ne l'est pas pour la promotion du territoire. Or, dans une politique de développement économique, c'est l'attractivité économique qui compte, au-delà même de la possibilité de réduire le coût du travail. Ce point est crucial.
Il faut aller au fond des problèmes et se donner des ambitions qui permettent de répondre de manière claire non seulement à des problèmes ponctuels, mais également à des enjeux importants pour des pays qui souffrent d'un chômage élevé et qui ont besoin de trouver, dans la modernisation de leur économie, des voies nouvelles de progrès et de croissance.
Nous voterons donc la question préalable déposée par nos collègues du groupe GDR.
J'ai écouté avec beaucoup d'attention et d'intérêt l'intervention de Mme Huguette Bello ; comme Serge Letchimy, je veux commencer par rendre hommage à son éloquence.
Sur le fond, toutefois, je m'interroge : je n'ai pas véritablement entendu d'arguments qui montrent qu'il n'y ait pas lieu à statuer.
Quels sont les reproches adressés au projet de loi du Gouvernement ? D'une part, la défiscalisation serait une recette classique ; d'autre part, l'État voudrait surtout faire des économies budgétaires.
En l'occurrence nous sommes en présence d'économies dont les coûts de production sont élevés, parce que leur marché est étroit, parce qu'elles n'ont pas de ressources naturelles, parce qu'elles sont éloignées de l'ensemble européen auquel elles appartiennent d'un point de vue douanier. Il n'y a donc pas d'autre solution pour rendre les entreprises compétitives que d'alléger leurs charges, tant fiscales que sociales. Le recours à ce dispositif n'est donc ni étrange ni anormal.
L'intérêt de ce projet est l'application nouvelle qu'il fait de ces dispositifs de défiscalisation et d'allégement des charges. Les zones franches d'activité sont très nouvelles : pour une fois, on prend en compte non pas la nature d'un projet mais la localisation de l'opérateur, de manière à localiser dans nos départements d'outre-mer la création d'activités, de richesses, d'emplois.
L'application de ce dispositif au logement social est une autre innovation.
J'ai bien entendu le grief de privatisation. Il serait fondé si, en contrepartie de la création de cette exonération fiscale sur le logement social, l'État diminuait la dotation de la ligne budgétaire unique. Or ce n'est pas le cas ! C'est même le contraire : les zones franches d'activité et la possibilité de défiscaliser le logement social sont des moyens qui viennent en réalité s'ajouter à la politique conduite par l'État. Il n'y a donc ni désengagement de l'État ni privatisation. Ce choix découle simplement du constat qu'il existe dans nos départements d'outre-mer des besoins immenses en matière de logement social, et qu'il est donc légitime de mobiliser l'épargne à la fois publique et privée, afin de mieux loger ceux qui en ont véritablement besoin.
L'argument lié aux économies budgétaires n'est pas fondé, car cela ne correspond pas à la réalité. Au contraire elles n'existent pas puisque les dotations de l'État augmentent. Je souligne que les collectivités publiques sont nécessairement tenues à une grande rigueur dans la gestion de leur budget, quelles qu'elles soient, mais l'État en premier lieu. En effet celui-ci n'est pas propriétaire des deniers publics ; il ne fait que gérer ceux que les Français mettent à sa disposition.
Outre cet argument moral, il y a un argument d'efficacité. Souvenons-nous que, quelle que soit la collectivité concernée, les moyens ne sont jamais illimités : tout euro mal employé est un euro perdu pour des actions qui auraient été plus utiles. Par conséquent, la rigueur doit marquer la gestion de l'ensemble des administrations.
Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des arguments avancés ; M. le secrétaire d'État l'a fait de manière plus éloquente et plus précise que je ne pourrais le faire. Je veux néanmoins évoquer rapidement la question des prix, qui me paraît cruciale. N'est-ce pas la vie chère qui fut à l'origine des mouvements de grève et de protestation auxquels nous avons assisté depuis la fin de l'année dernière ?
Je suis d'accord avec Mme Bello pour dire qu'il ne suffit pas de créer un observatoire pour que le problème soit réglé, encore qu'un observatoire ne soit pas inutile pour mesurer les écarts entre les prix constatés en outre-mer et les prix constatés ailleurs. Nous différons en revanche sur les moyens d'action.
En la matière, nul ne peut être sûr de détenir la vérité révélée en ce domaine, et le débat est légitime. Ce qui nous sépare, c'est l'appréciation que nous portons sur la réglementation. En ce qui me concerne, je n'ai jamais cru que la réglementation des prix était une manière efficace de lutter contre la vie chère ; il suffit, pour s'en convaincre, de regarder l'histoire même de notre pays. Comment ne pas constater que, depuis la Libération, les périodes d'augmentation des prix ont été celles durant lesquelles les prix étaient réglementés ?
Je ne veux naturellement pas dire que la réglementation fait monter les prix, mais elle est incapable d'endiguer la hausse, tout simplement parce que les circuits de commercialisation sont aujourd'hui trop longs, trop compliqués et trop difficiles à pénétrer pour qu'il soit possible, à partir de normes et de contrôles administratifs, de les maîtriser.
Le seul moyen de lutter contre la vie chère, c'est la concurrence. J'en profite pour souligner combien le groupe UMP tient à ce que celle-ci soit partout généralisée. Nous ne défendons aucun intérêt particulier, aucune position monopolistique, aucune domination de tel ou tel acteur sur le système économique ; nous souhaitons, en métropole comme dans les départements d'outre-mer, la concurrence la plus large et la plus ouverte possible.
Nous sommes en présence d'une situation difficile ; les mouvements du début de l'année ne sont pas tout à fait apaisés, et c'est normal. Nous avons évoqué le séisme survenu en Italie ; tout séisme, physique, politique ou social, a des répliques. Les tensions en outre-mer risquent donc de durer quelques semaines, quelques mois. C'est pourquoi il est urgent que le Parlement se prononce sur ce premier train de mesures, sachant qu'il y en aura sans doute un autre après les états généraux.
Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe UMP rejettera la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Question préalable
Madame la présidente, je demande une suspension de séance d'une dizaine de minutes pour réunir mon groupe.
La suspension est de droit.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures vingt-cinq.)
La séance est reprise.
Je mets aux voix la question préalable.
(La question préalable n'est pas adoptée.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Diefenbacher, premier orateur inscrit.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, rien n'est plus difficile, pour celui qui négocie à chaud un accord de sortie de crise, que d'en mesurer les conséquences à moyen et à long terme. Lorsqu'on est aux prises avec une situation de cette nature, il faut en sortir. Ce sont par conséquent les préoccupations immédiates qui dominent, et c'est probablement ce qui explique que, dans bien des cas, les conséquences à long terme des décisions ne sont pas clairement mesurées.
Il suffit, pour s'en convaincre, de se reporter à l'exemple bien connu des accords de Grenelle conclus en juin 1968. Ceux-ci avaient incontestablement deux mérites : ils mettaient fin à une crise qui avait immobilisé pendant quelques mois l'économie et la société française, et ils apportaient un certain nombre d'avancées sociales, notamment en matière de revalorisation des bas salaires.
Pourtant, après plusieurs mois, on a pu constater que l'augmentation des salaires avait entraîné celle des prix, laquelle a eu deux conséquences : d'abord le renchérissement du coût de la vie, donc la diminution du pouvoir d'achat ; ensuite, pour les entreprises, la hausse des coûts de production, parfois une perte de compétitivité, ce qui eut pour effets le ralentissement de l'économie et l'augmentation du chômage. Ces conséquences n'entraient évidemment pas dans les objectifs poursuivis.
Dans la situation qu'ils connaissent actuellement, les départements d'outre-mer sont menacés par un risque de la même nature, et nul ne peut affirmer qu'ils parviendront à y échapper. Celui-ci est d'autant plus présent que la situation économique internationale est mauvaise. Les marchés sont peu soutenus. Par ailleurs, un des secteurs durement touchés par la crise intervenue en début d'année – le tourisme – est particulièrement porteur pour l'économie locale. Dans ce domaine, il est à craindre que les conséquences de la crise ne soient durables. Il est toujours difficile, en effet, de se créer un nom, quand il s'agit de développer une destination touristique. En revanche il suffit de peu de temps pour dégrader une image.
Que conclure de ce développement ? Non pas, certes, que les accords ne doivent pas être respectés, mais que les parlementaires que nous sommes doivent tout faire pour que les départements d'outre-mer échappent au scénario que je viens de décrire.
Quand le Président de la République a annoncé que des états généraux se tiendraient au printemps dans nos départements et nos territoires, le Gouvernement aurait pu avoir la tentation de reporter l'examen de ce projet de loi au lendemain de leur conclusion.
Cette solution aurait offert certains avantages. Elle aurait permis au Gouvernement de se présenter devant le Parlement avec un texte unique, dans lequel auraient été rassemblées, outre les dispositions du projet de loi en discussion, celles qui auraient résulté de ces états généraux. Par contre elle aurait présenté l'inconvénient majeur de reporter les mesures que nous devons prendre au plus tôt à l'été, et plus probablement à l'automne. Or la situation économique des départements d'outre-mer relève de l'urgence. Tout jour, toute semaine perdus risquent d'être préjudiciables à l'activité économique et à l'emploi. Face à cette situation, il était important que le Parlement se prononce rapidement.
D'un mot, je reviendrai sur le double risque – celui d'une flambée des prix et d'une augmentation du chômage – que court, au lendemain de la crise intervenue au début de l'année, l'économie des départements d'outre-mer, afin d'apprécier si les dispositions du projet de loi sont opérantes ou non.
N'oublions pas que la crise est née d'un constat : la vie, dans les départements d'outre-mer, est inexplicablement plus chère qu'en métropole. Dans une telle situation, la première tentation est de réglementer les prix, comme le prévoit l'article 1er du projet de loi. Cependant celui-ci conserve une certaine souplesse puisque, s'il ouvre au Gouvernement la possibilité de procéder à une telle réglementation, il ne l'y contraint pas. Cette position me semble dictée par la sagesse.
Dans l'histoire économique française – particulièrement dans les années cinquante, ou après le premier, puis le deuxième choc pétrolier, dans les années soixante-dix ou au début des années quatre-vingts –, les périodes de forte inflation ont coïncidé avec des périodes de contrôle des prix. Si nous sommes sortis, à la fin des années quatre-vingts, de cette forte inflation, c'est parce que le Gouvernement avait opté pour la désindexation des salaires sur les prix et pour le libre jeu de la concurrence dans tous les domaines, dont celui du prix des carburants, particulièrement sensible dans les départements d'outre-mer. C'est à partir du moment où la concurrence a été largement ouverte que les prix se sont stabilisés. Nous devons retenir cette leçon pour l'avenir.
Puisque ce que nous avons constaté en métropole vaut aussi pour l'outre-mer, le moment est probablement venu de nous interroger sur la pertinence de notre système de fixation réglementaire du prix du pétrole.
Pour avoir exercé, dans une vie antérieure, un contrôle de ce type, j'ai pu constater que la complexité et la longueur des circuits de distribution, jointes à l'opacité des informations dont disposent les services de contrôle, font que la réglementation n'est sans doute pas le meilleur moyen de faire baisser les prix. N'oublions pas qu'en métropole, quand la liberté des prix a été instaurée, la généralisation de la concurrence a eu pour effet la modernisation de l'ensemble des circuits de distribution, laquelle s'est traduite par une diminution drastique du nombre de stations-service. Voulons-nous ouvrir ce dossier en outre-mer ? Nous devons trancher cette question de principe avant de prendre toute initiative dans ce domaine.
J'en viens au second risque que court l'économie des départements d'outre-mer : le chômage.
Quand les coûts de production d'un territoire sont plus élevés que ceux de ses principaux concurrents, ce qui est le cas pour l'outre-mer, qui appartient au même ensemble douanier que ses principaux concurrents européens, le seul moyen d'assurer la compétitivité des entreprises est d'alléger le coût de leurs charges fiscales ou salariales.
Mme Bello a rappelé que la défiscalisation était une réponse traditionnelle à un problème très ancien. Je veux cependant souligner, dans deux domaines, le caractère innovant des dispositions contenues dans le projet de loi.
Tout d'abord, si, jusqu'à présent, les détaxations bénéficiaient aux investissements répondant à certaines caractéristiques, désormais, dans les zones franches d'activités, les avantages fiscaux et sociaux ne concerneront que les entreprises localisées dans les départements d'outre-mer, qui travaillent et créent des emplois et de la richesse sur place. Il s'agit non de favoriser ceux qui, selon l'expression bien connue, « s'enrichissent en dormant », mais d'encourager ceux qui prennent des risques sur place, pour favoriser l'émergence d'une économie locale. Nous visons en effet la création d'un développement endogène, car nous souhaitons tous une plus large autonomie économique des départements d'outre-mer.
Le second domaine dans lequel le projet de loi innove concerne la défiscalisation du logement social.
Auparavant, celle-ci bénéficiait uniquement aux logements libres. Si ce système présentait bien des avantages en matière de développement, d'équipement du territoire ou d'emploi dans le secteur du bâtiment, son impact en matière sociale était singulièrement limité. En ouvrant le logement social à la défiscalisation, le Gouvernement prend incontestablement un risque. Certes, des évaluations ont tenté de chiffrer l'impact de cette mesure sur la création de logements sociaux, mais seuls les faits diront si elles étaient fiables.
Le pari, cependant, méritait d'être pris. Tout d'abord, ce n'est pas parce que la défiscalisation est ouverte à l'investissement dans le logement social, qui pourra désormais faire appel à l'épargne privée, que le Gouvernement se désengage. Loin de diminuer, les crédits de la ligne budgétaire unique continuent, au contraire, à augmenter. La défiscalisation du logement social n'entre pas en déduction de l'effort financier de l'État ; il s'ajoute à celui-ci. Cette démarche était nécessaire, car les besoins, dans ce domaine, sont considérables. En outre, elle montre que la défiscalisation ne bénéficie pas qu'aux riches : elle doit contribuer à satisfaire les besoins locaux dans tous les domaines, y compris dans ceux qui revêtent un caractère social. Le Gouvernement doit donc être félicité pour cette initiative.
Avant que nous n'en venions à la discussion des articles, je me réjouis de l'esprit dans lequel la commission des finances a travaillé sur ce texte. Le débat a été serein, sérieux et constructif, grâce à des initiatives convergentes. Je remercie M. le président Migaud d'avoir constamment recherché l'objectivité et la sérénité. Je félicite le rapporteur, M. Gaël Yanno, dont nous avons mesuré la disponibilité et la compétence, ainsi que l'extraordinaire égalité d'humeur. Enfin, je remercie mes collègues, notamment ceux de l'opposition, avec lesquels nous avons pu avoir un vrai débat, très ouvert – en dépit de certaines divergences – et tout entier tourné vers la recherche de solutions concrètes.
Au moment où s'engage la discussion générale, je souhaite que nos travaux en séance publique soient animés du même état d'esprit. Il est de bon ton aujourd'hui de critiquer l'outre-mer ou le Parlement. Si celui-ci, à l'occasion de l'examen d'un texte aussi important, pouvait donner l'image d'une assemblée qui sait tourner le dos aux débats polémiques et stériles pour se consacrer tout entière à la recherche de l'efficacité et de l'intérêt général, son image en sortirait grandie. L'outre-mer rendrait ainsi un service de plus à la République. Que faut-il souhaiter de mieux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite du projet de loi pour le développement économique des outre-mer.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma