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Intervention de Huguette Bello

Réunion du 6 avril 2009 à 16h00
Développement économique des outre-mer — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHuguette Bello :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une adoption anticipée de cette loi aurait-elle permis d'éviter la crise qui traverse les outre-mer, cette crise que les difficultés mondiales ne font qu'amplifier, mais qu'elles n'ont en aucun cas créée ? Ce n'est pas par goût de l'histoire-fiction que la question mérite d'être posée, mais simplement parce que la réponse qu'on lui donnera apportera un premier éclairage sur son efficacité et sur son emprise sur la réalité.

Par sa durée, par son ampleur, par le soutien massif dont il a bénéficié, le mouvement populaire qui a gagné les outre-mer est exceptionnel. Il l'est aussi parce que, pour la première fois depuis 1946, les quatre départements d'outre-mer manifestent simultanément leur exaspération et leur malaise. Il l'est aussi parce que ces départements apportent eux-mêmes des solutions à leurs difficultés.

Face à ces nouveautés, voici ce projet de loi. Pour l'essentiel, il propose des recettes devenues classiques à force d'avoir servi : dispositifs de défiscalisation dont les premières applications remontent à plus de cinquante ans et exemptions de charges sociales sont, une fois de plus, les outils privilégiés d'un projet de loi pour l'outre-mer. À le lire, c'est comme si rien ne s'était passé. J'imagine les conclusions du futur historien qui confrontera ce texte aux événements des dernières semaines ! Alors, facilitons-lui la tâche, et reconnaissons-le nous-mêmes tout de suite : ce texte ne fait pas le poids.

Bien sûr, il y a les prochains états généraux. Outre qu'ils constituent, en creux, l'aveu de la faiblesse de ce projet de loi, ils nous conduisent à nous interroger sur la durée de vie du texte que nous allons examiner. Va-t-il partager le sort de l'article 159 du projet de loi de finances sur les cotisations sociales voté en décembre dernier ? À savoir : voté, promulgué mais jamais appliqué.

En fait, la genèse de ce projet de loi est riche d'enseignements. Il était axé sur un seul objectif, le développement économique, et conditionné par une idée dominante : faire des économies budgétaires. Avec de telles barrières, il était impossible, même avec la meilleure volonté du monde, de parvenir à un projet ambitieux, à un projet qui réponde aux vraies attentes qui, on l'a vu, sont immenses.

Rarement, le périmètre d'un projet pour l'outre-mer aura été aussi restreint. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler que les premières versions ne comprenaient même pas le secteur du logement. Et il n'y a toujours rien sur la formation et l'éducation, rien sur l'économie solidaire, rien sur la jeunesse, rien non plus sur la coopération régionale ni sur l'agriculture, rien sur la culture, rien sur la santé. Et, levons toute ambiguïté, ces thèmes ne sont pas non plus traités dans d'autres lois. Au contraire, il faut noter, à cet égard, que l'outre-mer est, de plus en plus, l'objet d'un traitement particulier et qu'il est exclu du droit commun. C'est toujours le cas, et nous y reviendrons, pour le logement. Cela a été le cas, récemment, pour l'hôpital public et, un peu auparavant, pour le revenu de solidarité active.

Il est vrai que la crise des outre-mer a réussi, ici ou là, à se faufiler dans ce texte. Elle a amené le Gouvernement à y inclure des thèmes jusque-là ignorés. Le pouvoir d'achat et la formation des prix en sont les exemples les plus frappants.

Il en résulte que nous examinons un texte qui oscille entre deux objectifs : réaliser des économies budgétaires, d'une part, éteindre la crise, d'autre part. Les différents articles peuvent d'ailleurs, de façon à peine caricaturale, être classés dans l'une ou l'autre rubrique.

Le titre Ier sur le pouvoir d'achat est, nous venons de le dire, particulièrement révélateur. C'est l'enfant de la crise. La vie chère et la formation des prix sont pourtant des questions anciennes et récurrentes dans l'outre-mer. Pourtant, sur ces sujets, les pouvoirs publics ne se sont guère attardés.

Faut-il rappeler que l'observatoire des prix et des revenus est issu d'une initiative parlementaire des députés de La Réunion, que d'aucuns jugeaient sa création redondante par rapport aux structures existantes, et qu'il a fallu attendre sept années marquées par des pétitions citoyennes et des manifestations populaires pour voir sa mise en place devenir effective à La Réunion en 2007 ? Toutefois si l'observatoire des prix est un instrument nécessaire, il va de soi qu'il n'est pas suffisant pour lutter contre la cherté de la vie outre-mer. Il est indispensable d'intervenir bien en amont du processus de formation des prix.

C'est la raison pour laquelle il est devenu urgent de revenir sur des dispositions contenues dans la loi de modernisation pour l'économie de 2008 qui sont totalement inadaptées à nos territoires. Au lieu de lutter contre les monopoles, elles ne feront en effet que les renforcer. Au tournant des années quatre-vingts, on a parié sur l'implantation des grandes surfaces. Elles devaient à la fois faire baisser les prix et créer des emplois. Les manifestations contre la vie chère et la comparaison des prix montrent que, à l'évidence, ce pari n'a pas été tenu. La grande distribution est devenue le terrain privilégié des monopoles, tandis que quelques puissantes centrales d'achat se partagent les marchés de la France des trois océans. Ce texte se focalise sur la grande distribution, mais il va de soi qu'il faudra aussi se pencher sur toutes les autres situations de monopole.

Un autre article de ce projet de loi porte de façon évidente les traces de la crise, je dirais même des crises, la locale et la mondiale. Il s'agit de l'article 16 qui crée le fonds exceptionnel d'investissement. Le montant qui est affecté à ce fonds n'a pas cessé d'être réévalué en fonction des contre-feux imaginés dans l'urgence pour faire face aux difficultés. Il sert de véhicule budgétaire aux mesures du plan de relance des départements d'outre-mer, mais il a aussi, dès novembre, été mobilisé pour la Guyane afin de mettre fin à la grève générale contre le prix élevé du carburant. Pour 2009, l'article 16 est une sorte d'article pompier qui fait face aux situations d'urgence et n'est pas forcément utilisé pour la réalisation des équipements structurants.

Chacun d'entre vous ayant déjà effectué ce classement, je ne passerai pas en revue les autres articles, préférant aborder trois aspects du texte qui posent problème.

Le premier est l'absence d'étude d'impact.

L'élaboration de ce projet de loi a pourtant pris beaucoup de temps. Neuf mois se sont écoulés entre l'adoption du texte en conseil des ministres et son examen par le Parlement. Cette carence est d'autant plus à regretter que la nouvelle procédure parlementaire, qui résulte de la révision constitutionnelle et dans laquelle s'inscrit l'examen du texte sur l'outre-mer, prévoit explicitement que le Gouvernement devra désormais – je cite le compte rendu du conseil des ministres – « transmettre au Parlement, à l'occasion du dépôt d'un projet de loi, des documents rendant compte des travaux d'évaluation préalable réalisés et comportant notamment une estimation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales des réformes engagées par le projet. »

Cette absence d'estimation peut aboutir à des situations étonnantes, voire cocasses. Dans ce registre, la palme revient à l'article 15, relatif à la taxe sur la valeur ajoutée dite non perçue récupérable, la TVA NPR. Notons en passant que cet article s'inscrit dans notre rubrique « économies budgétaires ». Avant l'examen par la commission des finances qui a même supprimé l'éventualité d'un rapport, il était prévu de modifier d'abord le dispositif, puis, dans un second temps, d'évaluer l'impact des modifications. Personne n'est opposé à la réforme de ce dispositif, mais tout le monde s'accorde sans doute à penser que ces deux étapes doivent respecter une chronologie logique et se succéder dans le bon ordre. Sinon, la réforme marchera sur la tête.

Plus grave car, cette fois quasiment irrémédiable, le manque d'étude d'impact préalable sur les zones franches d'activité. C'est pourtant la mesure phare du projet de loi. Plusieurs points incontournables auraient dû être examinés avec précision afin de lever les incertitudes et de mieux définir les contours de ces zones.

Premier point à éclaircir : le but principal de ces ZFA sera-t-il de sauvegarder les entreprises existantes ou de favoriser la création de nouvelles entités ? La question se pose. Toutes les déclarations ministérielles font mention des 27 000 entreprises existantes qui vont bénéficier de ce dispositif, mais uniquement de celles-là. On juge, par ailleurs, que le coût du dispositif – 224 millions d'euros – est élevé. Faut-il en conclure que le statu quo sera privilégié ?

Le deuxième point qu'on aurait pu – qu'on aurait dû – examiner concerne l'impact des ZFA sur l'emploi. C'est pourtant là un enjeu majeur pour des régions où les taux de chômage connaissent des sommets. Sur ce point, l'improvisation totale semble régner, y compris pour les secteurs prioritaires. Aucun lien n'est en effet établi entre le développement de ces secteurs à haute valeur ajoutée et les formations qui devront nécessairement y être organisées. Aurait-on, une fois de plus, une conception élargie du marché du travail ultra-marin ? Envisagerait-on de recourir à une main-d'oeuvre qualifiée venant de l'extérieur ? La contrepartie des exemptions fiscales en termes de formation professionnelle apparaît bien faible quand on veut développer l'emploi et, a fortiori, l'emploi qualifié. Quant à la suppression de tous les dispositifs de soutien à l'emploi des jeunes diplômés, elle est simplement incompréhensible.

Troisième point non traité : la participation des capitaux étrangers. Les zones franches des départements d'outre-mer seront-elles ouvertes à des capitaux étrangers, avec, par exemple, des montages mixtes, ou se limiteront-elles, comme tout semble l'indiquer, à un scénario franco-français ? Si ce n'est pas le cas, il est temps que des moyens d'accompagnement soient définis et qu'une information claire soit mise à la disposition des investisseurs étrangers. N'oublions pas que ces zones ont une durée limitée, qu'elles sont assorties d'une dégressivité assez dissuasive, et qu'elles doivent connaître rapidement une perte d'attractivité importante avec la suppression, annoncée par le Président de la République, de la taxe professionnelle.

La création de zones franches n'est pas inédite en France. Les zones de revitalisation rurale, les zones franches urbaines, la zone franche de Corse sont des précédents intéressants. Nous Réunionnais, ne pouvons pas ne pas penser aux zones franches industrielles implantées à l'île Maurice, notre voisine, depuis la fin des années soixante-dix. Ces expériences diverses, parfois anciennes, dont les options stratégiques et les résultats ont été fort différents, auraient pu nourrir la réflexion et éclairer les choix des concepteurs des nouvelles zones franches d'outre-mer. De toute évidence, ils n'ont pas jugé utile qu'une véritable réflexion économique précède la mise en place de ce nouveau dispositif.

Dans un autre registre, il faut noter que ce texte recèle un certain nombre de contradictions internes qui risquent d'en limiter la portée. Il suffit, pour s'en persuader, de rapprocher certains articles.

En comparant l'article 1er et l'article 10, je vois une distorsion entre la fin et les moyens. En effet, si les zones franches ne sont pas uniquement destinées à satisfaire les besoins locaux, il est indispensable de faciliter les exportations. De même, le développement des secteurs prioritaires, notamment celui de l'agro-nutrition, nécessite d'importer des matières premières extérieures à nos régions. Dans un cas comme dans l'autre, les aides prévues non seulement sont notoirement insuffisantes, mais encore privilégient les échanges avec l'Europe jusqu'à laisser penser qu'ils sont exclusifs. Difficile pour nos produits, dans ces conditions, de rester compétitifs, d'autant qu'aucune mesure structurelle touchant aux équipements portuaires et aéroportuaires n'est mentionnée.

Des mesures de toute sorte sont prévues en faveur du tourisme, autre secteur prioritaire des zones franches d'activité. Mais ne risquent-elles pas de se heurter aux tarifs aériens ? En découvrant qu' « une grande compagnie aérienne de dimension internationale » – n'est-ce pas d'Air France qu'il s'agit ? – réalise 14 % de ses résultats sur les lignes outre-mer, qui ne représentent pourtant que 1 % de son trafic, vous vous êtes étranglé, monsieur le secrétaire d'État. À quand l'étape suivante ? À quand l'avènement de tarifs moins prohibitifs ? Le développement du tourisme en dépend, surtout si rien n'est fait pour faciliter les visiteurs non ressortissants de l'Union européenne.

Je veillerai à ce que le sort réservé à l'amendement « bagasse » ne vienne pas ajouter une contradiction supplémentaire, cette fois doublée d'une véritable injustice.

Quoi qu'il en soit, je souhaite de tout coeur que les contradictions contenues dans ce texte puissent être levées. Nos collègues sénateurs ont commencé à le faire quand ils ont supprimé le plafonnement spécifique des énergies renouvelables que le texte initial avait prévu, en dépit des intentions affichées pour le développement de ce secteur.

Bien que la démarche soit de plus en plus utilisée, le Gouvernement n'a pas jugé bon d'avoir recours à l'expérimentation avant de généraliser ses mesures. Le cas le plus emblématique est celui du logement. Domaine sensible et prioritaire s'il en est, le logement s'apprête à connaître un véritable bouleversement avec la réorientation du dispositif de défiscalisation vers le logement social.

L'orientation proposée est issue d'une des missions réalisées au titre des audits de modernisation. Les auteurs posent d'emblée comme hypothèse que le logement social outre-mer doit constituer « une ressource budgétaire durablement contrainte ». Cette mission a eu lieu en mars-avril 2006, au moment même où étaient votées, pour la France continentale, les grandes lois sur le logement social assorties de moyens budgétaires conséquents et sanctuarisés : programme national de rénovation urbaine en 2003, plan de cohésion sociale en 2005, engagement national pour le logement en 2006, droit opposable au logement en 2007. Cette mobilisation, qui n'a, à aucun moment, eu recours à la défiscalisation, a porté ses fruits. Le nombre de mises en chantier de logements sociaux n'a cessé d'augmenter durant ces années et, au bout du compte, l'objectif initial de construction de 500 000 logements locatifs sociaux sera dépassé.

Malgré nos demandes répétées, ces textes ont toujours laissé de côté le logement social de l'outre-mer. Les auteurs du rapport précité avaient écrit : « La séparation institutionnelle et financière qui s'est instaurée entre la métropole et l'outre-mer conduit à un traitement inéquitable des DOM. » Et de conclure : « Il conviendrait d'y mettre fin pour restaurer une plus grande égalité de traitement à l'égard des populations ultramarines. » C'est ainsi qu'est apparue la solution de la défiscalisation que ce projet de loi nous propose. Certes, elle comporte – ou comportait, devrais-je dire, au regard de l'augmentation actuelle des déficits – l'avantage pour le Gouvernement de contourner la maîtrise des finances publiques, mais c'est au prix de l'inscription du logement social outre-mer dans une logique de privatisation.

C'est pourquoi, une fois de plus, je plaide de toutes mes forces pour que la ligne budgétaire unique continue d'être le financement principal du logement social outre-mer. Comme pour tous les acteurs qui interviennent dans ce domaine, il m'est impossible d'admettre que le logement social, qui est au carrefour de tant d'enjeux pour la société comme pour les individus, soit ainsi laissé à ce qu'on appelle par litote la discrétion des investisseurs et des intérêts privés. Monsieur le secrétaire d'État, dans les régions d'outre-mer aussi, l'État doit rester le garant du droit au logement. Nous ne demandons pas une faveur. Nous exigeons, au nom du peuple, l'égalité de traitement républicaine !

Comment d'ailleurs ne pas se faire du souci pour l'efficacité de ce dispositif, alors qu'il apparaît au moment même où la défiscalisation outre-mer est présentée comme le symbole de tous les abus et de toutes les injustices ? Alors qu'il surgit quelques mois à peine après que des mesures de plafonnement des réductions d'impôt ont été votées, mesures qui, sur initiative du Sénat, englobent ce nouveau dispositif ? Qui nous dit que ce qu'on nous propose de voter sous l'intitulé de « défiscalisation du logement social » ne sera pas désigné à son tour, dans un proche avenir, comme une niche fiscale qu'il faudra dénicher ?

À défaut d'expérimentation, sans doute faudrait-il méditer l'exemple de la Nouvelle-Calédonie. À ce qu'il me semble, monsieur le rapporteur, la Nouvelle-Calédonie, faute de ligne budgétaire unique, est, à ce jour, la seule collectivité à faire appel à la défiscalisation pour financer la construction des logements sociaux. Résultat : sous l'effet conjugué de la crise internationale et du plafonnement des niches fiscales, de nombreux programmes se trouvent en panne. Plus moyen de compter sur trois ou quatre investisseurs fortunés pour réunir les financements nécessaires aux opérations qu'il faut lancer.

On le voit, la défiscalisation comme source de financement du logement social est une solution plus qu'aléatoire. Je vous fais grâce des difficultés techniques qui risquent également de surgir, et sur lesquelles les opérateurs ne cessent de nous alerter. Le paradoxe des paradoxes serait, comme beaucoup de spécialistes le craignent, que les logements construits avec la défiscalisation reviennent, au bout du compte, plus cher que ceux qui sont réalisés avec la ligne budgétaire unique.

Je vous donne deux chiffres, pour terminer : d'une part, l'État programme chaque année 258 millions d'euros pour financer le logement social ; d'autre part, il dépense 1,2 milliard d'euros pour l'exonération des cotisations sociales patronales. Le simple rapprochement de ces deux chiffres devrait faire surgir quelques interrogations et, peut-être, inspirer quelques idées neuves. De toute évidence, ce n'est pas le chemin qu'emprunte ce projet de loi.

Toutes ces raisons, nos interrogations sur les caractéristiques et les objectifs des zones franches d'activité ainsi que les incertitudes qui demeurent sur la question du logement justifient cette motion de procédure. Je souhaite, mes chers collègues, au nom de nos concitoyens d'outre-mer qui viennent de s'exprimer dans la dignité, avec force et courage, que nous adoptions, tous ensemble, la motion tendant à opposer la question préalable, en sorte qu'un jour prochain nous puissions adopter, tous ensemble, une loi à la hauteur de leur parole, à la hauteur de nos peuples ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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