La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de MM. Jean Leonetti, Gaëtan Gorce, Olivier Jardé et Michel Vaxès visant à créer une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie (nos 1407, 1445).
La parole est à M. Bernard Perrut, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, chers collègues, on ne peut que se féliciter du caractère consensuel de la proposition de loi que nous examinons. Faire l'unanimité au sein des groupes de notre assemblée n'est pas si habituel.
Cette proposition de loi, visant à créer une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie, est en effet présentée par MM. Jean Leonetti, Gaëtan Gorce, Olivier Jardé et Michel Vaxès. Outre un moment marquant de notre vie parlementaire, elle marque surtout un moment essentiel de notre vie sociale.
Elle apporte une réponse à une interrogation récurrente, soulevée par de très nombreuses études qui ont contribué à éclairer, jour après jour, cette délicate question de la fin de vie, la plus récente étant le rapport de la mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie présenté par M. Jean Leonetti, qui s'est fortement impliqué dans ce travail pour lequel il mérite toutes nos félicitations.
Le travail très approfondi mené par la mission a permis de prendre en considération tout à la fois « l'absolue singularité du destin de chaque individu », « la diversité et la complexité des peurs et des souhaits de chacun » et « l'expérience qui par essence ne se partage pas », pour satisfaire les attentes des malades et de leurs familles.
Cette proposition de loi apporte, plus fondamentalement encore, une réponse aux interrogations de chacun, tant il est vrai que l'accompagnement n'est pas une affaire de spécialistes, en tout cas pas seulement, mais constitue un acte de solidarité sociale qui procède d'un véritable devoir d'humanité et de responsabilité.
Mais comment mettre ce devoir d'humanité en pratique ?
« Sans les familles, rien n'est possible » : Mme Marie de Hennezel a résumé par ces mots la nécessité de faciliter le travail d'accompagnement des proches. Nous pouvons faire nôtre cette affirmation. Il est fondamental de donner aux familles, très concrètement, la possibilité et le temps de l'accompagnement. Accompagner l'accompagnement, pourrait-on dire : c'est bien l'un des enjeux de la création d'une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie, qui devrait constituer une étape décisive en la matière.
Le droit français comporte déjà un certain nombre d'instruments à cet effet. La loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, qui résultait de nombreuses initiatives, a créé ce qui s'appelait alors congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie. La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites en a fait un congé de solidarité familiale. Mais, accordé pour une durée de trois mois au plus, renouvelable une fois, ce congé n'est pas rémunéré.
Dix ans plus tard, le congé de solidarité familiale, s'il a porté ses fruits, doit à l'évidence être enrichi. Le moment est venu de franchir un nouveau pas,
En effet, comme l'a parfaitement montré la mission d'évaluation, les situations sont encore trop inégales : certains proches ont la possibilité de suspendre leur activité professionnelle pour accompagner un malade en fin de vie, tandis que d'autres, faute de moyens matériels suffisants, se trouvent « au mieux » – hélas – contraints de demander un arrêt maladie, au pire complètement démunis pour être aux côtés de leurs proches.
La proposition de loi contribuera à résoudre ces difficultés en créant cette allocation, qui pourra compenser, en tout ou en partie, la perte de revenus liée à l'accompagnement d'un parent ou d'un proche à domicile, à l'exemple de dispositifs déjà existants à l'étranger, en Belgique notamment, ou même en France, dans un certain nombre de communes.
Ainsi pourra-t-on favoriser le maintien à domicile de ceux qui souhaitent mourir chez eux, valoriser, au plan symbolique, le temps de la mort, faciliter le travail de deuil des proches et, en somme, atténuer la solitude des accompagnants comme des accompagnés. M. Jean Leonetti souligne dans son rapport combien c'est important pour éviter le développement de toute forme de deuil pathologique postérieur à l'accompagnement.
En quoi consiste cette nouvelle allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie ? Elle sera versée aux personnes procédant à l'accompagnement à domicile d'une personne en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause. La commission a tenu à insister sur cette notion de « personne », de manière à ne pas restreindre l'accompagnement aux situations médicalisées au sens strict, ce qu'aurait pu laisser entendre la rédaction initiale qui visait la situation du patient.
Sont concernés les ascendants, descendants, frères, soeurs ou personnes partageant le domicile d'un proche et qui l'accompagnent. La personne accompagnant le malade devra avoir suspendu son activité. Pour ce qui concerne les salariés, les fonctionnaires et les militaires, la condition de suspension de l'activité est liée en priorité à la prise d'un congé de solidarité familiale.
L'allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie sera versée pour une durée maximale de trois semaines. Son montant devrait être égal à celui de l'allocation journalière de présence parentale, soit entre 40 et 50 euros par jour environ, selon que la personne concernée est seule ou en couple ; madame la ministre nous confirmera certainement le chiffre précis. Cette allocation cessera d'être due à compter du jour suivant le décès de la personne accompagnée. En outre, un seul bénéficiaire pourra prétendre au versement de l'allocation au titre d'un même patient. Il n'y aura donc ni abus, ni effets d'aubaine.
L'exposé des motifs de la proposition de loi contient un élément d'évaluation, marqué cependant, à mon sens, par un certain nombre d'incertitudes. Sur ce point également, il serait intéressant, madame la ministre, d'avoir communication des chiffres dont vous auriez connaissance sur le nombre de personnes qui pourraient être prises en charge.
Par ailleurs, la proposition de loi procède à deux modifications complémentaires.
D'abord, le congé de solidarité familiale, tel qu'il existe actuellement, n'est pas ouvert à un frère ou une soeur de la personne accompagnée. Dès lors que la proposition de loi leur permet de bénéficier de l'allocation, il est nécessaire d'harmoniser dans ce sens le dispositif du congé de solidarité familiale. La commission a en outre adopté, à mon initiative, dans un souci d'harmonisation également, un amendement tendant à insérer dans ce même dispositif la définition de la personne malade en fin de vie telle qu'elle résulte de la loi du 22 avril 2005 et figure dans la présente proposition de loi.
Ensuite, le congé qui prévaut pour l'accompagnement par des fonctionnaires et des militaires s'intitule aujourd'hui « congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie ». Dans un souci de cohérence, la proposition de loi substitue à cette dénomination celle de « congé de solidarité familiale » car les deux dispositifs sont très proches.
L'un des objectifs de la présente proposition de loi est de favoriser l'accompagnement à domicile des personnes en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable. Dans son rapport de fin d'exercice du 12 janvier 2008, le comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement a montré combien l'hospitalisation à domicile est insuffisamment développée en France. Il existe en effet d'indéniables « carences des soins palliatifs hors établissements de santé », mises en évidence par la mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005. Ces carences ne doivent bien sûr pas faire oublier les réelles avancées enregistrées en la matière, en particulier depuis 2002, et je sais, madame la ministre, que vous êtes particulièrement attachée au développement de ces soins.
La mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005 évoque également la nécessité de favoriser la collaboration entre tous les acteurs de la chaîne de soins – proches, médecins, infirmiers, gardes-malades… –, qui doivent intervenir pour permettre le maintien à domicile. À ce sujet, il convient de saluer le projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires car le besoin de développer les soins palliatifs a été clairement identifié dans les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens.
Il est essentiel de replacer la proposition de loi au coeur d'une politique plus globale favorisant la mise en oeuvre d'un ensemble de dispositifs favorables aux soins palliatifs. Toutefois, si encourager les soins palliatifs est une chose, il faut aussi prendre acte de la situation existante : 75 % des personnes en soins palliatifs sont hospitalisées. Alors, comment « aider les aidants » à l'hôpital ?
La présente proposition de loi mentionne comme bénéficiaires de l'allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie les seules personnes qui accompagnent à domicile un proche en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable. Pourtant, celles qui accompagnent un proche hospitalisé accomplissent souvent de longs trajets qui entraînent des frais importants. Certaines, compte tenu des distances à parcourir, doivent se loger à l'hôtel, comme cette femme que j'ai rencontrée au Centre régional de lutte contre le cancer Léon-Bérard, à Lyon, venue d'un autre département pour accompagner son mari et lutter de toutes ses forces à ses côtés.
En conséquence, madame la ministre, j'émets le souhait que nous puissions, sous votre autorité, lors d'une prochaine étape, étendre le bénéfice de l'allocation à toute personne dont la présence, quel que soit le lieu, est considérée comme « une exigence » pour un digne accompagnement de l'être proche. Les réalités de la vie quotidienne des Français appellent une telle évolution.
Dès aujourd'hui, afin d'adapter ce texte à ces réalités, j'ai proposé à la commission, qui l'a adopté, un amendement permettant, dans le cas où l'hospitalisation de la personne accompagnée à domicile est requise, que la période de versement de l'allocation puisse inclure les journées d'hospitalisation. Il s'agit d'un premier signe avant, peut-être, d'aller plus loin.
Essentielle, cette proposition de loi, même si elle ne constitue qu'une étape dans une entreprise plus vaste, ne peut donc qu'être saluée de manière unanime. En cette matière comme dans beaucoup d'autres, la méthode des petits pas favorise les grandes avancées. Il incombe au législateur de ne pas relâcher sa vigilance : il en va de notre devoir d'humanité.
Nous nous souvenons des vers de Victor Hugo : « Lorsque l'enfant paraît, le cercle de familleApplaudit à grands cris. » Aujourd'hui, il nous appartient de permettre à la famille et aux amis de se réunir dans des moments plus difficiles. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, SRC et NC.)
La parole est à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.
Monsieur le président, cher Jean Leonetti, monsieur le rapporteur, cher Bernard Perrut, mesdames et messieurs les députés, le fait est rare, sinon rarissime : la proposition de loi que vous examinez aujourd'hui est, en effet, un texte consensuel. Elle est présentée, cher Jean Leonetti, cher Olivier Jardé, cher Gaëtan Gorce et cher Michel Vaxès, par les quatre groupes parlementaires dont vous êtes issus.
Dans nos sociétés modernes, où l'espérance de vie ne cesse de progresser et où la mort est souvent occultée, les soins palliatifs ont une place majeure. Jean Leonetti, votre attachement à cette question est connu de tous. C'est vous qui avez fait voter la loi du 22 avril 2005 sur les droits des malades et la fin de vie, loi qui porte d'ailleurs votre nom. C'est vous aussi qui avez mené un travail remarquable pour remettre au Premier ministre, en décembre dernier, un rapport contenant vingt propositions pour améliorer la prise en charge globale des patients en fin de vie. Et c'est vous qui, avec vos collègues parlementaires des autres groupes, soumettez aujourd'hui au Parlement une proposition de loi qui constitue une réponse concrète aux attentes des malades et de leur entourage.
En proposant de créer une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie, vous allez au-delà de la mise en oeuvre de la neuvième mesure de votre rapport. Vous savez, en effet, que le Premier ministre ne souhaitait pas se contenter d'une simple expérimentation sur ce sujet majeur. La commission des affaires sociales a même enrichi votre texte puisqu'elle a adopté les amendements présentés par son rapporteur, Bernard Perrut, qui demandent la remise d'un rapport d'évaluation de la loi et permettent le maintien de l'allocation dans l'hypothèse d'une éventuelle hospitalisation de la personne accompagnée à domicile.
Enfin, je rappelle que le Président de la République a récemment réaffirmé toute l'importance qu'il accordait à ce projet de texte, alors que le programme de développement des soins palliatifs est l'une de ses priorités dans le domaine de la santé. De fait, d'ici à 2012, 229 millions d'euros seront dépensés pour la mise en oeuvre de ce programme, en plus des 800 millions d'euros consacrés chaque année par l'assurance maladie aux soins palliatifs.
Ce programme obéit à trois grandes exigences. Tout d'abord, il prend en compte, au mieux, le souhait exprimé par la majorité des Français de pouvoir mourir à domicile. Ensuite, il améliore la qualité de l'accompagnement proposé au malade. Enfin, il assure la promotion et la diffusion d'une réelle culture des soins palliatifs. À ces trois exigences, le ministère de la santé et des sports apporte des réponses concrètes, parmi lesquelles le développement des réseaux ayant une activité de soins palliatifs, ou encore l'intervention des équipes mobiles de soins palliatifs dans les établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes ou à domicile.
J'ai confié au docteur Régis Aubry la responsabilité de mettre ce plan en oeuvre. Ainsi, chaque mois, il réunit les acteurs impliqués et veille, en s'appuyant sur des indicateurs quantitatifs et qualitatifs, à l'exécution effective de ces mesures. J'ai aussi étendu les compétences du comité de suivi de ce plan pour créer l'Observatoire des pratiques, en reprenant la proposition que vous aviez formulée, cher Jean Leonetti, dans votre récent rapport d'évaluation de la loi du 22 avril 2005 sur les droits des malades et la fin de vie.
Ainsi, la création d'une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie est en parfaite adéquation avec mes propres objectifs. J'y souscris entièrement. Comme vous, je veux améliorer significativement la prise en charge des accompagnants des personnes en fin de vie. Car, s'il existe aujourd'hui un congé de solidarité familiale, celui-ci n'est pas rémunéré.
Votre proposition de loi consiste à verser une allocation journalière pendant trois semaines à tout proche souhaitant suspendre son activité professionnelle pour accompagner une personne en fin de vie. Je présenterai un amendement pour préciser que cette allocation est financée par l'assurance maladie. Et je peux d'ores et déjà vous dire que le décret d'application fixera son montant à 49 euros, soit un montant égal à celui de l'allocation journalière de présence parentale pour 2009 – certaines radios faisaient état ce matin d'un montant de 47 euros, mais il s'agit d'une confusion avec les chiffres de l'année dernière.
Toutes les conditions sont donc réunies pour que chacun puisse traduire concrètement son empathie, en accompagnant à domicile ses proches en fin de vie, en les entourant de sa présence dans les derniers jours de leur vie. Nous devons, en effet, aller dans le sens de ce que souhaitent la majorité des Français, qui préféreraient mourir chez eux plutôt qu'à l'hôpital.
Certes, l'instauration de cette allocation ne lèvera pas tous les obstacles, nous en sommes conscients. Mais cette prise en compte financière, même si elle est limitée, constituera une valorisation de l'interruption d'activité, qui est déjà possible grâce au congé de solidarité familiale. Elle favorisera également une meilleure reconnaissance du rôle de l'accompagnement par les proches d'une personne qui va mourir et participera ainsi au développement de la culture des soins palliatifs, encore bien insuffisante dans notre pays.
Avec vous, je suis intimement persuadée que l'adoption de cette allocation sera un véritable progrès pour nous tous. Progrès pour les malades, bien sûr : rassurés et chez eux, ils pourront partir plus sereinement. Progrès aussi pour l'entourage : plus disponible, partiellement libéré des contingences matérielles, il pourra accompagner un proche dans de meilleures conditions. Progrès, enfin, pour une société qui, en accompagnant mieux la fin de vie, s'améliorera elle-même ; une société plus harmonieuse et plus attentive aux autres, qui, peut-être, appréhendera mieux le deuil et l'absence. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, SRC et NC.)
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, mes chers collègues, lequel de nos concitoyens n'a pas été un jour confronté à l'angoissante question de son indisponibilité lors de la dernière maladie d'un être cher, lors d'une agonie reconnue irréversible, durant laquelle il n'a pu dire son amour, son affection, son amitié, une dernière fois ? Même les croyants qui, par un culte d'action de grâce, célèbrent la mort comme un rite de passage gardent en eux-mêmes le regret lancinant de n'avoir pas été là.
La proposition de loi dont nous discutons ce matin est le complément logique et nécessaire de la loi sur la fin de vie, dite loi Leonetti, du nom de son auteur. Votée à l'unanimité par notre assemblée – et cela est assez rare pour être souligné –, faite d'un équilibre subtil, celle-ci a su prendre en compte la détresse des mourants, l'angoisse de leurs familles, les difficultés auxquelles était souvent confronté le corps médical, tout en s'attaquant aux risques d'un acharnement thérapeutique déployé sans espoir raisonnable d'obtenir une amélioration sensible de l'état du patient.
Loi insuffisamment connue, hélas, elle commence cependant à être mieux appliquée, comme l'a montré sa récente évaluation. Elle a aussi donné leurs lettres de noblesse aux soins palliatifs, notamment aux soins mobiles et en réseau, qui se développent désormais de manière significative même si c'est à un rythme encore trop lent pour les milliers de malades qui ne peuvent y avoir recours.
Cependant, quelle que soit l'efficacité des soins palliatifs et quels que soient le dévouement, l'écoute et la générosité des soignants qui se succèdent auprès du mourant, celui-ci, dans presque tous les cas, a besoin de la présence familière de ceux qui lui sont chers – conjoint, parents, enfants, frères ou soeurs, voire amis –, présence affectueuse et rassurante qui l'armera au moment d'affronter le dernier départ.
Aujourd'hui, nous sommes loin de l'image d'Épinal du laboureur rendant l'âme au milieu des siens. Tout a changé : les familles dispersées, souvent reconstituées, ne vivent pas sous le même toit, pas toujours dans la même ville, encore moins dans le même village. Certes, rien n'interdit à la personne qui vient accompagner un mourant de demander un congé, mais celui-ci ne sera pas de droit, et ne sera pas rémunéré, sauf à être pris sur les vacances et les RTT. Cependant, la mort ne choisit pas son calendrier en fonction des agendas de chacun. Aussi, nombre de ces congés sont-ils le résultat d'un pieux mensonge, qui veut que l'accompagnant bénéficie d'un congé maladie.
Notre collègue Jean Leonetti a pris, cette fois encore, l'initiative d'une loi, portée par tous les groupes de l'Assemblée, faisant de ce congé un véritable droit. Qu'il en soit ici remercié. Ce congé d'accompagnement pour les salariés du secteur public ou privé, d'une durée maximale de trois semaines, est pris en charge par la sécurité sociale et compensé par l'État à hauteur de 20 millions d'euros, selon les évaluations. En fait, l'opération pourrait être pratiquement blanche en raison de la diminution des congés de complaisance. L'allocation d'accompagnement n'exclut pas les non-salariés s'ils suspendent leur activité. Elle vient ainsi opportunément pallier les carences du congé de solidarité familiale.
Notre rapporteur ayant fort bien éclairé l'économie générale de ce texte, je me bornerai, pour ma part, à vous livrer trois réflexions.
Tout d'abord, alors que trois quarts des décès ont lieu à l'hôpital, la présente proposition de loi ne porte que sur l'accompagnement à domicile. Notre commission a tenté de combler cette lacune.
En second lieu, la proposition de loi confie prudemment à un décret le soin de définir les modalités d'application de la loi. Celles-ci devraient offrir la possibilité de fractionner, ne serait-ce qu'une fois, ces journées en fonction de l'évolution de la phase terminale et prévoir éventuellement un étalement par demi-journées si les circonstances s'y prêtent. La gestion en serait, certes, fort compliquée ; mais il faudrait avancer sur ce point. Pouvez-vous, madame la ministre, nous donner quelque assurance à ce sujet ?
Enfin, je voudrais évoquer le cas des enfants qui meurent de maladies, parfois orphelines. Il mérite, je crois, un examen particulier, la présence auprès d'eux des parents – au moins de la mère – étant absolument indispensable.
Sous le bénéfice de ces observations, le groupe UMP votera, bien entendu, cette proposition de loi si nécessaire, en souhaitant – ce sera un moment heureux de notre vie parlementaire – que la même unanimité que celle qui a présidé au vote de la loi Leonetti d'avril 2005 réponde à une réelle attente de notre société, s'agissant d'humaniser davantage cette épreuve que reste toujours la fin d'une vie. (Applaudissements.)
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà maintenant près de six ans que la question de la fin de vie s'est imposée dans cette enceinte. Il y a fallu la ténacité et la générosité de femmes et d'hommes convaincus de la nécessité de confier au législateur le soin de fixer les règles applicables à une matière complexe, dans laquelle entrent de nombreuses considérations, qu'elles soient juridiques, médicales, éthiques ou philosophiques.
Comment ne pas observer que, depuis lors, ce débat n'a cessé de rebondir, cette question de nous préoccuper et même de nous interpeller ? Depuis l'appel déchirant de Marie Humbert, en 2003, l'initiative lancée en 2004 par Mme Morano et moi-même, la création de la mission d'information présidée par Jean Leonetti et l'adoption à l'unanimité de la loi du 22 avril 2005, la problématique de la fin de vie n'a plus cessé de s'inviter dans cet hémicycle. Et l'on peut gager que, quel que soit l'esprit des lois que nous sommes et serons appelés à voter, elle ne cessera plus de le faire, non seulement parce qu'elle met en jeu des points de vue différents, parfois presque inconciliables – même si nous démontrons régulièrement le contraire –, mais aussi parce que notre société n'en aura jamais fini avec la question de savoir comment elle doit aborder la mort.
L'évolution des technologies médicales, qui n'est pas près de cesser, aura ainsi autant fait pour actualiser et imposer le débat sur l'euthanasie que les militants du droit de mourir. L'évolution de l'esprit public, sa perception, forcement mobile, de ce qu'est une fin de vie acceptable nous obligeront sans cesse à remettre sur le métier notre ouvrage. Il n'est que d'observer la façon dont l'un des premiers pays à avoir légalisé l'euthanasie a souhaité et su développer avec succès les soins palliatifs pour comprendre que nous allons inéluctablement vers un déplacement, voire un brouillage des frontières entre ces notions. Penser qu'une législation – que ce soit notre loi du 22 avril 2005, dont nous pouvons nous honorer, comme en témoigne la terrible affaire qui a récemment agité l'Italie, ou telle autre proposition visant à autoriser un geste médical actif – suffirait à régler définitivement la question relève de l'illusion.
Ce débat ne cessera plus de nous occuper, au nom de la liberté de choix du patient comme du simple principe d'humanité. Ce constat ne devrait pas ébranler nos convictions, mais nous conduire à renoncer à quelques certitudes qui nous amènent parfois à traiter avec trop de passion ce qu'il nous faudra résoudre chaque fois avec plus de raison. En témoigne la proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui et qui vise à permettre aux proches d'accompagner une personne en fin de vie.
Cette proposition fait suite aux travaux de la deuxième mission présidée par Jean Leonetti, qui s'est déroulée dans un climat et un contexte dont je me suis réjoui, même si ses conclusions ne m'ont que partiellement satisfait. En effet, je ne partage pas – et je crois avoir dit pourquoi il y a quelques instants – l'idée selon laquelle la loi du 22 avril 2005 ne devrait être modifiée qu'à la marge. Il me semble qu'un nouveau pas aurait pu, et même dû, être franchi, pour aller vers une formule d'exception, à laquelle plusieurs conclusions de la mission font d'ailleurs implicitement référence. Il en est ainsi de la création d'une structure de médiation, dont le rôle évoluera nécessairement, à travers la prise en compte des cas précis dont elle sera saisie, vers une forme d'instance d'appel, éthique, certes, mais que la loi ne pourra restreindre. Je pense également aux recommandations relatives aux sédations accompagnant l'agonie d'un mourant que la simple humanité invite à abréger. Sur tous ces points, nous serons appelés, grâce à la création d'une instance d'évaluation, à revenir, dans le même esprit transpartisan, je l'espère, que celui qui nous anime depuis le début et qui nous a toujours permis de faire primer la qualité de nos débats sur leur intensité.
Ainsi que je le disais en débutant, notre Parlement a su se saisir de la question de la fin de vie dans ses différentes dimensions. Il le démontre encore aujourd'hui.
Nous le savons, les trois quarts des décès surviennent à l'hôpital, le plus souvent hors de la présence des proches. Il s'agit là d'une situation insupportable. Alors que les premiers instants de l'homme sont désormais partagés le plus largement possible, ses derniers instants restent le plus souvent confisqués aux proches. L'angoisse de la mort qui approche demeure vécue dans un univers non familier, dans un isolement sans doute plus terrifiant que la mort elle-même. S'il est une mort douce, c'est sans doute celle qui intervient à son foyer, en présence des siens, comme pour en prendre congé.
D'où la belle idée de cette allocation destinée à permettre la présence permanente d'un membre de la famille, d'un proche, et à faciliter ainsi la possibilité de mourir chez soi. L'être humain est plus, en effet, que la vie qui l'anime : il fait corps avec son environnement, ses enfants, ses amis, qu'il ne doit quitter que lorsque la vie le quitte et non dès que la maladie l'en éloigne. Il nous restera, certes, beaucoup à faire pour permettre cela. Mais cette proposition est un premier maillon. Je suis fier d'en être, grâce à Jean Leonetti dont je salue l'engagement, la conviction et le sens de l'écoute, l'un des quatre signataires et je remercie ceux de nos collègues qui nous ont accompagnés dans cette réflexion difficile, mais ô combien passionnante. Je suis reconnaissant au Premier ministre d'en avoir aussitôt accepté le principe. Je suis heureux, enfin, de voir que ce texte est approuvé sur tous les bancs de notre assemblée. Je forme le voeu que le Gouvernement sache en publier rapidement le décret d'application. Il lui faudra, en particulier, veiller – mais vous venez d'indiquer qu'il en sera bien ainsi, madame la ministre – au développement des équipes mobiles de soins palliatifs et de l'hospitalisation à domicile, qui est la condition de la réussite du texte. Sur ce sujet, des engagements précis et des moyens sont nécessaires, et nous vous aiderons à les obtenir. Il va de soi que le groupe socialiste votera ce texte.
Nous sommes, mes chers collègues, en train de procéder à une construction juridique nouvelle. Étape par étape, débat après débat, loi après loi, nous sortons la mort du silence et du vide juridique dans lesquels notre société l'avait enfermée. Nous bâtissons un droit, celui de la fin de vie, qui, parce qu'il touche de si près à l'essentiel, ne cessera plus d'évoluer. Non pour répondre à une quelconque injonction philosophique ou partisane, mais par souci d'humanité. Aider, comprendre, soulager, accompagner, donner enfin à chacun le soin de décider, non du moment de sa mort, ce qui n'appartient à personne, mais des conditions de sa mort : tel est le chemin sur lequel nous sommes engagés sans plus pouvoir revenir en arrière. (Applaudissements sur l'ensemble des bancs.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à créer une allocation journalière d'accompagnement des personnes en fin de vie est l'expression d'une volonté partagée par des députés siégeant sur tous les bancs de cet hémicycle. C'est peu courant, mais il en fut déjà ainsi en avril 2005 avec la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie.
L'unanimité, qui devrait se manifester une nouvelle fois, traduit probablement la volonté d'avancer avec humanité, discernement et responsabilité sur un sujet qui, aux ultimes moments d'une vie, touche chaque personne, indépendamment de toutes considérations partisanes.
Un constat s'impose cependant à tous. Nos concitoyens sont inégaux face aux risques sanitaires, inégaux quant à leurs conditions de vie et à leur espérance de vie. Si majorité et opposition s'opposent le plus souvent sur les moyens à mettre en oeuvre pour réduire ces inégalités, qu'il soit au moins possible de se retrouver une nouvelle fois pour améliorer la condition commune face aux derniers instants, face à une vie qui s'éteint. Puisse la solidarité, qui a tant de mal à s'exprimer tout au long de la vie, se manifester au moins devant la fin de vie.
Solidaires devant la fin de vie : tel est le beau titre du rapport de la mission d'évaluation qu'ont conduite ensemble les quatre députés signataires du texte soumis aujourd'hui à l'examen de notre assemblée. Je ne reviendrai pas sur les arguments qui, prolongeant et confirmant nos réflexions et propositions de 2005, ont abouti à la formulation des vingt nouvelles propositions contenues dans ce rapport pour mieux faire connaître la loi, renforcer les droits des malades, aider les médecins à mieux répondre aux enjeux éthiques et adapter l'organisation du système de soins aux problèmes de la fin de vie. Je veux simplement rappeler que leurs déclinaisons concrètes doivent toutes s'inscrire dans cette impérieuse nécessité de faire vivre « la solidarité devant la fin de vie. »
Cette conviction légitime ma détermination à ne pas accepter que, pour supprimer douleurs et souffrances, il faille impérativement supprimer le mourant et légaliser l'euthanasie, autrement dit ouvrir notre législation à un droit de tuer. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, quel que puisse être, par ailleurs, l'encadrement de ce droit. Les exemples étrangers montrent bien que nous n'échapperions pas aux dérives que, bien insidieusement, un tel droit faciliterait. Autre chose est, dans des cas très exceptionnels, la possible transgression à laquelle médecins, équipes soignantes et familles pourraient se résoudre après avoir considéré collégialement qu'il n'était humainement pas possible d'abandonner un malade à des douleurs ou à des souffrances réfractaires aux meilleurs soins.
Mes convictions me conduisent également à insister, davantage encore, sur l'absolue nécessité d'une diffusion de la culture palliative à l'échelle de la société tout entière, ainsi que d'une organisation efficace des soins palliatifs et de la formation de toutes les équipes soignantes sur l'ensemble du territoire. Chaque malade en fin de vie est en droit de l'exiger.
La force de cette solidarité devant la fin de vie se mesurera à l'aune des moyens qui seront mobilisés pour satisfaire au devoir humain d'accompagnement, c'est-à-dire pour améliorer l'organisation et la qualité de l'offre de soins palliatifs sur l'ensemble du territoire. Sans ces moyens, l'opinion publique pourrait à nouveau devenir l'otage de l'émotion qui paralyse la raison et le discernement, lequel permet de comprendre que la demande de mort est le plus souvent, de la part du malade, l'ultime moyen d'interpeller son entourage, d'exister aux yeux de l'autre et, par là même, de lui rappeler que, même en fin de vie, reste vivace le désir de vivre un peu encore – vivre, c'est-à-dire conserver des relations avec l'autre, ces relations qui nous font personnes humaines.
Les très nombreuses auditions qui ont nourri la réflexion de la représentation nationale ont permis de prendre la mesure de la peur commune à toutes les fins de vie : la peur d'être abandonné, la peur de la solitude, la peur de constater qu'on ne compte plus pour personne, la peur d'être privé du lien qui nous relie encore aux autres et donc à la vie, la peur d'imaginer que pourraient disparaître les gestes et les mots qui apaisent.
La parole, l'expression d'une émotion, le sourire, le geste, premiers et derniers témoignages de la communication, délivrent aussi.
C'est pour ces considérations que les élus communistes, républicains et du Parti de Gauche soutiennent la proposition de créer une allocation journalière d'accompagnement de la fin de vie. Nous avons bien conscience qu'elle ne suffira pas à satisfaire toutes les exigences du devoir d'accompagnement mais elle y contribuera pour une part et pour cette part-là, si modeste soit-elle, mon groupe l'appuiera sans réserve.
Modeste, elle l'est en effet, puisqu'elle exclut du bénéfice de l'allocation journalière les cas très particuliers de malades qui, pour des raisons matérielles ou médicales liées aux contraintes techniques exigées par la qualité des soins, ne peuvent absolument pas quitter l'établissement hospitalier. Je pense en particulier à certaines situations en néonatalogie, en pédiatrie, à d'autres relatives aux malades en état végétatif chronique ; je pense aussi à ces familles, souvent parmi les plus vulnérables, qui, malgré leur ardente volonté d'accueillir près d'elles un ascendant en fin de vie n'ont pas, du fait de l'exiguïté de leur lieu de résidence, la possibilité matérielle de le faire. Autant d'exemples – on pourrait en ajouter bien d'autres – qui imposent de réfléchir aux possibilités d'élargir le bénéfice de cette allocation aux situations pour lesquelles la seule solution est le maintien de la personne en fin de vie dans un environnement sanitaire.
Mais peut-être, madame la ministre, y avez-vous déjà réfléchi et, dans cette hypothèse, c'est aussi sans réserve que nous soutiendrions un amendement du Gouvernement qui permettrait par exemple de définir par décret les cas de dérogations possibles au critère de l'accompagnement à domicile – lequel, à l'évidence, se révèlera trop rigide dans un certain nombre de cas.
Mais pour donner à cette proposition de loi sa pleine efficacité, il est impératif de prendre toute la mesure des propos tenus par le professeur Aubry lorsqu'il affirme, fort justement, qu'il serait « scandaleux de prétendre développer les soins palliatifs ou l'accompagnement des personnes en fin de vie à domicile sans soutenir une véritable politique d'accompagnement des aidants ».
En effet, comme le souligne le rapport de la mission d'évaluation, il existe encore, de nos jours, des conditions structurelles rendant difficile la pratique à domicile des soins palliatifs. Ce qui me conduit à confirmer une autre recommandation de ce rapport, à savoir que seule une augmentation notable des moyens financiers dévolus à la prise en charge des soins palliatifs à domicile, et particulièrement aux réseaux de soins palliatifs, pourrait entraîner un développement substantiel de ces soins. Mme Martine Nectoux, infirmière clinicienne, ne disait pas autre chose quand, au cours d'une remarquable audition devant notre commission, elle relatait l'une de ses expériences auprès d'une personne âgée exprimant une angoisse massive de mort qui aurait peut-être mérité une sédation : « Comment soutenir le regard de cette femme, alors que l'on sait que les moyens de soulager sa souffrance existent mais que le médecin ne se déplacera pas, que le réseau de soins palliatifs, doté d'un mi-temps médecin et d'un mi-temps infirmier, n'a pas la disponibilité dans l'instant et rappelle par ailleurs qu'il se fait un devoir de ne jamais prescrire à la place du médecin référent ? » Cela aussi, nous devons bien l'entendre !
Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut donner aux soins palliatifs les moyens nécessaires à l'accompagnement des fins de vie, c'est un devoir d'humanité. Pourtant, Madame la ministre, je suis inquiet de ne pas leur voir accorder les moyens de témoigner de leur efficacité partout et dans tous les cas. Cette inquiétude s'est renforcée lorsque, prenant connaissance de votre projet de loi portant réforme de l'hôpital, j'ai constaté que le mot « palliatif » n'y apparaissait pas une seule fois, Dans la définition même du service public hospitalier, la référence aux soins palliatifs avait disparu jusqu'à l'adoption d'un amendement d'initiative parlementaire. De plus, ce texte prévoit de supprimer la référence à la formation par les CHU à la prise en charge de la douleur des patients et aux soins palliatifs.
J'avoue ne pas avoir compris, mais peut-être vos réponses dissiperont-elles mon inquiétude et celle de tous ceux qui croient à la nécessité d'un développement significatif de l'organisation des soins palliatifs dans notre pays. Je le souhaite, et je vous écouterai dans quelques instants avec autant d'attention que de vigilance. (Applaudissements sur l'ensemble des bancs.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelle est la spécificité de l'homme ? C'est tout simplement sa capacité à prendre conscience de sa propre disparition, de sa propre mort. Si cette conscience génère une angoisse qui touche chacun de nous, elle est également à l'origine de la volonté de l'homme de se dépasser et de s'astreindre aux contraintes naturelles. C'est aussi en pensant à sa propre disparition que l'homme, être de relations, fait pour donner de l'amour et en recevoir, donne un sens à sa vie.
L'affaire Humbert et l'affaire Sébire ont permis une extraordinaire accélération de notre prise de conscience collective au niveau national. C'est souvent avec émotion et même avec passion que les débats et les réflexions se sont engagés. Même si, d'un point de vue médiatique, l'euthanasie s'est imposée au titre de la liberté individuelle, la réflexion a été engagée dans notre hémicycle. Un refus unanime s'est exprimé, celui de la souffrance et de l'acharnement thérapeutique, pour faire l'apologie des soins palliatifs. La loi de 2005 a apporté une solution, celle de la suppression de la souffrance physique. Mais qu'en est-il de la souffrance morale, des angoisses que l'on ressent lorsqu'un être cher nous quitte ?
La fin de vie fait-elle partie de la vie ? Pour moi, chaque mort est unique, personnelle et différente. Elle s'accomplit alors qu'on se trouve entre des mains expertes dans la plupart des cas, mais des mains étrangères. Ne pourrait-on pas, comme l'a suggéré Gaëtan Gorce, rendre la mort à la famille et aux proches ? S'il apporte une solution, le congé familial de solidarité pose tout de même deux problèmes : il est à l'origine d'une inégalité, dans la mesure où il ne s'adresse qu'aux salariés ; par ailleurs, il n'est pas rémunéré, et le recours aux arrêts de travail est sans doute révélateur, à cet égard, d'une certaine hypocrisie.
Selon le docteur Aubry, que Jean Leonetti, Michel Vaxès, Gaëtan Gorce et moi-même avons auditionné, reconnaître ce temps essentiel que constitue la fin de vie honorerait notre société. Notre proposition de loi permet cette reconnaissance de la fin de vie, maillon indispensable et indissociable de notre propre vie, dans lequel la solidarité nationale doit s'impliquer.
Permettre l'accompagnement des personnes en fin de vie par les ascendants, les descendants, les frères et soeurs, en prévoyant que ceux-ci soient rémunérés, me paraît une excellente chose. Au demeurant, je ne pense pas qu'une telle mesure coûtera très cher à la solidarité nationale, dans la mesure où elle permettra d'éviter le recours aux arrêts de travail, ainsi que le coût de l'hospitalisation des derniers jours. Pour toutes ces raisons, je n'ai pas hésité à cosigner ce qui me semble une bonne proposition de loi. Je salue les trois collègues avec lesquels j'ai mené une réflexion intéressante et profonde sur la vie, y compris sur ma propre vie. Le groupe du Nouveau Centre vous invite par conséquent à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur l'ensemble des bancs.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement ». Cette maxime de La Rochefoucauld illustre bien le déni de mort qui imprègne notre société et rend si difficile la prise en compte des personnes en fin de vie.
Les statistiques sont là pour nous le rappeler : en France, alors que trois personnes sur quatre désireraient finir leur vie à domicile, la même proportion meurt à l'hôpital. Dans cet univers médicalisé et quelquefois déshumanisé, ce n'est qu'une fois sur cinq que la personne concernée meurt entourée de ses proches. Plus encore que de mourir, nos concitoyens craignent de « mal mourir », c'est-à-dire de mourir dans la souffrance, dans la déchéance ou l'abandon.
La proposition de loi qui est débattue aujourd'hui contribue à satisfaire ce souhait d'une fin de vie digne et accompagnée par un entourage familier et familial. Je voudrais souligner devant vous la démarche singulière de cette proposition de loi et les trois éléments qui la caractérisent : elle procède d'un travail collectif, elle résout un problème pratique et elle est porteuse de sens.
Elle procède d'une démarche collective en reprenant l'une des propositions de la mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie que m'ont confiée le Premier ministre et le président de l'Assemblée nationale et à laquelle j'ai souhaité associer Gaëtan Gorce, Olivier Jardé et Michel Vaxès. Ils sont aujourd'hui cosignataires de cette proposition de loi et ont participé à son élaboration. Ils ont apporté à notre mission leur sensibilité et leurs convictions, et je les en remercie très amicalement et très chaleureusement. Après avoir procédé à plus de 70 auditions et effectué quatre voyages à l'étranger, notre constat est simple et nous amène à formuler plusieurs propositions.
Le constat est à la fois simple et affligeant : la loi est peu connue et mal appliquée. Parmi nos propositions, toutes acceptées par le Premier ministre et par vous, madame la ministre, figurait la création de ce congé d'accompagnement. Il y en a bien d'autres, et à ce propos je me tourne vers Gaëtan Gorce pour lui demander si nos positions sont si éloignées que cela. Quand nous proposons de faire appel à un médecin référent en soins palliatifs afin de permettre la médiation dans certaines situations particulièrement graves et complexes, ne s'agit-il pas d'une démarche prenant en compte à la fois la complexité et l'individualité de la mort ? Lorsque nous proposons – comme vous le faisiez déjà en 2005, monsieur le député – la création d'un observatoire chargé de régler les problèmes de manière plus globale, afin d'échapper aux pressions médiatiques et aux passions, nous répondons également à un souci d'objectivité par rapport à ce phénomène social qu'est la mort dans la société occidentale du xxie siècle.
Si le code de déontologie a fait l'objet de modifications actuellement soumises à l'examen du Conseil d'État, sous l'oeil vigilant de Mme la ministre, c'est pour faire en sorte que nous ne vivions plus jamais des situations semblables à celle de l'affaire Pierra, dans laquelle l'arrêt du traitement a conduit à la fois à un arrêt des soins et à une arrêt de l'accompagnement. Il faut que la sédation en phase terminale puisse être administrée de façon systématique dans des circonstances particulières, lorsque le malade est incapable d'exprimer sa volonté et que le corps médical a décidé de mettre fin à des traitements jugés inutiles, disproportionnés ou conduits dans le seul but d'un maintien artificiel de la vie.
Au moment où le Parlement français va bénéficier d'un ordre du jour partagé avec l'exécutif et où il voit renforcée sa mission de contrôle de l'action publique, la loi du 22 avril 2005 et son évaluation sont l'exemple même d'une production législative du Parlement qui a bénéficié de votre soutien actif, madame la ministre, et de celui du Premier ministre et du Président de la République.
Y a-t-il une méthode ayant permis cette unanimité ? Le temps que nous avons consacré à nous écouter en respectant la parole de l'autre, le fait que nous ayons remplacé nos certitudes individuelles par un doute collectif, le fait encore que nous ayons accompli ce cheminement ensemble et que nous ayons mené un débat contradictoire ont permis d'aboutir à un texte équilibré. Ce consensus s'explique également par la demande unanime, non seulement des patients et de leurs proches, mais aussi de tous les professionnels de santé qui oeuvrent au contact des patients en fin de vie et sont témoins de leur solitude, voire, souvent, de leur abandon.
Permettez-moi de me féliciter de cette convergence des points de vue, qui permet à la majorité et à l'opposition – une fois n'est pas coutume – de se rassembler, le temps d'une matinée, dans le souci de l'intérêt général et des plus fragiles, en oubliant leurs affrontements quelquefois stériles.
Cette loi répond à une question pratique. Deux solutions existent en effet aujourd'hui pour accompagner à domicile une personne en fin de vie.
La première consiste à bénéficier d'un congé de solidarité familiale ou d'un congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie. Ce sont des droits ; pour autant, n'étant pas rémunérés, ils créent une disparité entre ceux qui en bénéficient et les autres – tels que les travailleurs indépendants et les exploitants agricoles –, mais aussi entre ceux qui peuvent interrompre leur activité et assumer la perte de revenus que cela implique et ceux qui n'en ont pas les moyens.
L'autre solution consiste à trouver un médecin complaisant ou, devrais-je dire, compréhensif, humain, qui accepte de fournir un arrêt de travail, même si cela est illégal.
Nous avons donc conçu cette allocation pour qu'elle profite à toutes les personnes qui cessent de travailler pour se consacrer à l'accompagnement d'une personne en fin de vie. La mesure est simple et concrète. Trois conditions doivent être réunies pour bénéficier de cette allocation : premièrement, accompagner à domicile une personne en fin de vie ; deuxièmement, être un parent, un proche ou partager le domicile de cette personne ; troisièmement, suspendre son activité professionnelle pour effectuer cet accompagnement.
Notre rapporteur, Bernard Perrut, a fort justement souhaité que la mesure puisse s'appliquer également lorsque la fin de vie nécessite des hospitalisations à répétition. Je ne peux bien évidemment que l'approuver et souhaite, madame la ministre, que vous en fassiez de même, car cet amendement ne dénature en aucune façon l'esprit du texte, qui vise essentiellement l'accompagnement à domicile.
Je voudrais aussi, madame la ministre, vous suggérer que le décret d'application autorise une certaine souplesse, afin de prendre en compte la diversité des situations, sachant, par exemple, qu'un mi-temps peut être la solution la plus appropriée pour accompagner une personne, car conserver une activité professionnelle permet de vous maintenir dans la vie active.
Les amendements proposés par le Gouvernement précisent et sécurisent un financement, qui, dans le contexte actuel, ne pèse pas sur l'ensemble des entreprises. L'allocation journalière s'élèvera à 49 euros par jour. Sur cette base, le coût de la mesure, estimé à 20 millions d'euros par an, sera probablement moindre dans la mesure où elle devrait par ailleurs faire diminuer le nombre d'arrêts de travail illégaux, quoique humainement justifiés.
Si nous développons davantage les soins palliatifs et l'hospitalisation à domicile, nous éviterons probablement ce que nous avons unanimement dénoncé, à savoir l'acharnement thérapeutique et l'obstination déraisonnable qui apporte plus de souffrances que de bienfaits au malade et à son entourage.
Je voudrais rapporter les paroles qu'a prononcées à ce sujet, devant notre mission, le docteur Godefroy Hirsch, président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs : « Pendant les onze années où j'ai été médecin généraliste, je n'ai, personnellement, jamais refusé un arrêt de maladie à une personne pour rester auprès d'un proche. Cela me semble le B. A.-BA de l'humanité et du prendre-soin. » C'est dire que la mesure que nous proposons n'est probablement qu'un transfert de charges. Ce dispositif met donc fin à une situation insupportable pour le médecin et l'accompagnant, contraints à l'illégalité par le respect d'une humanité niée par la société.
Au-delà de l'intérêt pratique et humain de cette modification législative, cette décision est un « petit pas » lourd de sens, car la société reconnaît enfin le rôle éminent de l'accompagnant pour la personne en fin de vie, dans le « prendre-soin » qui doit imprégner profondément tout acte médical. Prendre soin : l'accompagnant fait pleinement partie de cette chaîne de gestes médicaux dans laquelle la dimension palliative succède aux procédures curatives.
Comment expliquer le fait que notre société rémunère les congés pris au moment de la naissance pour les deux parents et sur une durée de plusieurs mois, mais n'accepte pas de concéder une heure, un jour pour accompagner un parent, un enfant ou un proche en fin de vie ? Des soignants entendus par notre mission ont attiré notre attention sur ce problème. Mme Martine Nectoux, infirmière libérale à Montpellier, l'a indiqué de manière particulièrement claire : « Reconnaître et financer l'accompagnement représenterait une charge en moins pour l'entourage, ainsi qu'une reconnaissance de sa place et de son rôle. Je suis intimement convaincue qu'il s'agit d'une démarche de santé publique à l'égard de l'entourage. Aider les proches à accompagner pleinement les patients en fin de vie sans se retrouver en difficulté financière faciliterait aussi leur travail de deuil. » Le docteur Régis Aubry ne disait rien d'autre lorsqu'il déclarait : « Reconnaître ce temps essentiel honorerait notre société, qui montrerait ainsi le sens qu'elle accorde à la vie. »
Certains pensent que la période terminale de la vie est un temps inutile, et qu'il faut abréger, voire supprimer, ces moments douloureux. Si la souffrance doit être combattue fût-ce au prix d'un abrègement de la vie sous le double effet des antalgiques et des sédatifs, comme la loi actuelle le prévoit, on ne peut considérer pour autant la fin d'une vie comme dénuée de sens. Ce moment peut même être considéré comme indispensable, tant pour celui qui s'en va que pour ceux qui restent. C'est le temps de l'essentiel, des choses dites et longtemps retenues, des pardons, des aveux, des recommandations et des réconciliations. C'est le temps de l'au revoir dont parlait Marie de Hennezel, temps si nécessaire à l'apaisement du mourant et au travail de deuil.
Le mourant en fait n'existe pas. Utiliser ce participe présent est une erreur grammaticale et humaine. Le mourant est bien un vivant qui peut souvent connaître dans cette partie de sa vie une densité humaine particulièrement forte et chargée de sens. Les mots d'amour prononcés aux oreilles des mourants guérissent aussi du désespoir ceux qui les prononcent. Donner un sens à la mort revient inévitablement à donner un sens à la vie. C'est l'évident paradoxe de cette obscure clarté crépusculaire qui éclaire les existences et les console de leur finitude, du vide et de l'absence.
Mes chers collèges, si vous adoptez cette proposition de loi, vous démontrerez que, même et surtout dans une période difficile, le Parlement sait donner aux plus fragiles d'entre nous le droit à finir leur vie accompagnés dans un univers familial et familier. Vous prouverez aussi que par une mesure simple, juste et pratique, nous aurons su unanimement répondre à une demande légitime de nos concitoyens. Vous prouverez enfin que, dans une société qui dénie la mort et feint de l'ignorer, qui prône à l'excès la jeunesse, la force, la vitesse, la rentabilité, qui valorise le choix individuel par rapport au projet collectif, le Parlement a su inscrire dans la loi le devoir d'accompagnement et le refus de l'abandon de toute personne humaine vulnérable. (Applaudissements sur l'ensemble des bancs.)
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je souhaiterais saluer à mon tour le consensus qui s'est dégagé lors de l'examen de cette proposition de loi. Le consensus est rare, il n'est pas toujours privilégié par nos groupes politiques et pourtant, sur des questions aussi épineuses que l'accompagnement des malades en fin de vie, il est souhaitable.
Je remercie donc les quatre cosignataires de cette proposition de loi sur le congé d'accompagnement. Leur travail ne pourra que contribuer à redorer le blason du travail parlementaire, si souvent mal compris et trop souvent décrié. Je considère pour ma part que nous touchons ici à un aspect essentiel de notre mission.
Une anthropologue que nous auditionnions récemment avec les députés membres du groupe d'études « Longévité », nous affirmait que, selon elle, les marges de manoeuvre du politique face à la mort et au vieillissement étaient restreintes. Pour elle, notre travail devait avant tout servir à imposer les mots justes – autonomie plutôt que dépendance, par exemple – dans le débat public.
Cette proposition de loi démontre que nous pouvons au contraire intervenir sur des problématiques très concrètes mais qui peuvent pourtant, à leur échelle, contribuer à changer la perception de la fin de vie. Car, si des progrès indéniables ont été introduits dans la législation en 1999 avec l'instauration du congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie, des inégalités subsistaient, comme l'a très bien montré le rapporteur, entre ceux qui pouvaient se permettre ce congé, ceux qui en venaient à demander des arrêts maladie de complaisance ou ceux qui restaient démunis.
L'allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie, qui rappelle dans certains aspects l'initiative de la Ville de Paris, constitue à n'en pas douter une véritable avancée sociale. En permettant à chaque accompagnant de compenser sa suspension d'activité par une allocation de 47 euros par jour pendant un maximum de trois semaines, cette proposition de loi atténuera certaines difficultés matérielles pour les proches des accompagnés.
Je m'interroge cependant sur le genre des futurs bénéficiaires : je crains en effet que les demandeurs ne soient souvent des demandeuses, et j'espère pouvoir être rassurée par le rapport annuel qui devrait nous être proposé par le Gouvernement sur l'application de ce dispositif.
Ces inégalités constituaient donc des freins réels à l'accompagnement des malades en fin de vie. Et pourtant, l'accompagnement semble à bien des égards nécessaire pour apaiser, alléger la souffrance, écouter et apporter une aide. D'ailleurs, l'étape la plus difficile n'est peut-être pas la mort elle-même mais ce qui la précède. « Ne sais-tu pas que la source de toutes les misères de l'homme, ce n'est pas la mort mais la crainte de la mort ? » déclarait Epictète. Il est difficile d'imaginer que l'être humain puisse affronter la pire source de ses misères dans l'isolement, et il est donc légitime que le législateur fasse tout pour faciliter l'accompagnement des malades en fin de vie, fût-ce en instaurant une mesure aussi élémentaire que cette allocation.
Cette proposition de loi ne constitue peut-être qu'un petit pas dans la compréhension et l'acceptation de la mort, à propos de laquelle on a l'habitude de dire que notre civilisation est plus réticente que d'autres. Mais elle constitue sans doute un grand pas dans l'acceptation d'un débat public sur la question.
Le rapporteur a, là aussi, relevé avec justesse que l'accompagnement des personnes en fin de vie hors de leur domicile méritait réflexion, tout comme la formation des accompagnants. J'espère que d'autres mesures législatives concrètes viendront en leur temps apporter leur lot de réponses. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Sans aucun doute, la question de la fin de vie est un des sujets que le législateur doit aborder sinon avec la plus grande gravité, du moins avec la plus grande humanité, et ce d'autant plus qu'elle touche au plus profond de chacun, à l'affectif et parfois à d'autres considérations plus personnelles.
La question est difficile à appréhender, car elle nous concerne tous à un moment donné lorsque nous accompagnons des proches qui vivent leurs derniers instants, et que nous sommes ainsi amenés à regarder en face notre propre situation de mortels.
Nous pouvons être partagés entre des sentiments divergents : d'une part, nous souhaitons pour nos proches que finissent enfin les terribles épreuves qu'ils vivent, et qui nous sont difficiles à supporter, et d'autre part, nous sommes tentés de repousser au plus loin l'échéance d'une mort certaine.
Dans ce cas, malheureusement, la raison peut nous échapper. Nous ne pouvons plus réfléchir avec sérénité ni à la notion du respect de la vie, ni à l'évidence de la fatalité.
Notre assemblée a déjà pu se prononcer lors de débats d'une excellente qualité sur le sujet de l'accompagnement de la fin de vie. Ainsi, au nom de la dignité et du respect de la vie et des hommes, elle n'a pas choisi de se prononcer pour l'acharnement thérapeutique. La sagesse a su l'emporter dans une discussion où, si tous les points de vue ne font pas loi, tous sont compréhensibles. Ne pas accepter le suicide assisté ou l'euthanasie engage cependant le législateur à trouver des solutions concrètes.
Ainsi, les soins palliatifs – nous l'avons vu dernièrement dans l'étude du PLFSS pour 2009 – sont largement pris en compte par notre système de santé, même si la formation médicale ou paramédicale, comme le précise le dernier rapport suite à la mission d'information sur l'évaluation de la loi de 2005, est encore trop insuffisante. Dans l'exercice de ma profession d'infirmière – et je pense pouvoir affirmer que cela concerne tous les professionnels de santé – j'ai malheureusement la mémoire très précise de situations bien difficiles à affronter.
En ce qui concerne l'accompagnement des malades en fin de vie, force est de constater qu'il n'avait jamais fait l'objet de dispositions législatives.
Le rapport que je viens d'évoquer précise avec justesse que l'arrivée d'un enfant dans une famille donne droit à des congés payés pour ses deux parents. Il semblait ainsi injustifié de ne pas permettre aux proches d'un malade en fin de vie de lui consacrer du temps, surtout quand on connaît les conditions d'isolement et d'inquiétude liées à cet état de fait.
C'est pourquoi la proposition de loi de nos collègues est importante : elle ouvre enfin à chacun la possibilité d'accompagner dignement ses proches.
Permettre de mourir dans la dignité, c'est aider le malade à supporter ses douleurs, c'est l'accompagner en tendresse et en affection.
Alors, oui, parce que le système juridique actuel est trop limité, je soutiens cette proposition de loi. La compétence et la volonté de ses auteurs sur le sujet font l'unanimité.
Cette allocation journalière est une belle avancée sociale, dont l'objectif est d'aider toutes les familles, et plus particulièrement les familles modestes, à accompagner un être cher. C'est aider tous nos concitoyens, en dehors de toute considération professionnelle, qu'ils soient fonctionnaires, salariés, commerçants ou artisans, à être égaux devant la peine et la souffrance. Ce dernier point est particulièrement important : les statuts ou les ressources ne seront plus des freins à la solidarité envers les proches qui souffrent.
Cette allocation ne crée pas non plus de distinction entre parents, frères et soeurs, époux ou compagnons. Devant la douleur, la seule considération qui vaille est celle de l'amour et du soutien. Nos grands principes d'égalité et de fraternité commandent de s'en féliciter.
Grâce à cette loi, mais aussi à l'unanimité politique attendue sur ce sujet, c'est, d'après notre rapporteur, 25 000 personnes chaque année qui seront aidées concrètement.
Bien entendu, le législateur ne manquera pas d'évaluer l'efficacité d'un tel dispositif, et le modifiera au besoin, en prenant en compte les évolutions humaines, sociales et médicales. Je n'en doute pas.
Mais aujourd'hui, je veux dire que c'est une grande loi que celle que nous allons voter, mes chers collègues. Une loi qui ennoblit l'action du politique en général et celle du Parlement en particulier. C'est une loi qui fait vivre concrètement notre pacte social, qui fait vivre la solidarité, et qui remet au centre de toute politique, l'homme, dont le général de Gaulle disait : « La seule querelle qui vaille est celle de l'homme. »
Je suis sensible au fait qu'aujourd'hui dans cet hémicycle cette idée fasse consensus. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Depuis le décès en septembre 2003 de Vincent Humbert, aidé à mourir – tout le monde s'en souvient – par sa mère, les propositions de loi visant à la légalisation dans notre droit de l'aide active à mourir se sont multipliées. Mais aucune n'est jamais parvenue à aller au bout de la procédure parlementaire : inscription à l'ordre du jour, et surtout adoption par les deux assemblées parlementaires.
Aujourd'hui, notre collègue Jean Leonetti, dans le prolongement des travaux de la mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, nous propose d'examiner une proposition non pas relative à la légalisation de l'aide active à mourir – que nous sommes nombreux à attendre et à réclamer – mais une proposition de loi visant à la création d'une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie. Bien évidemment, ce n'est pas la même chose ; cependant, c'est une bonne chose.
Cette proposition est très en deçà de ce que le législateur français devrait adopter sur le difficile et si douloureux sujet de la fin de vie.
Mais autant le dire sans attendre : le texte qui nous est proposé par nos collègues Leonetti, Gorce, Jardé et Vaxès est une très bonne initiative, que les radicaux de gauche approuveront. Toutefois, si nous ne pouvons que nous féliciter de l'entrée en vigueur prochaine d'une allocation d'accompagnement pour les personnes accompagnant une personne en fin de vie, force est de constater qu'une telle allocation ne résoudra malheureusement pas le problème de la fin de vie dans notre société.
Pourquoi attendre ? Pourquoi à nouveau différer l'indispensable ? Pourquoi ne pas enfin autoriser, dans des conditions strictes, l'aide active à mourir ?
Nous perdons un temps précieux, synonyme de souffrance pour de nombreux malades et de trop nombreuses familles. Nous ne pourrons pas encore bien longtemps faire l'économie dans notre législation d'une grande loi relative à la fin de vie : un jour viendra où il nous faudra légaliser et encadrer l'aide active à mourir. Ce n'est qu'une question de temps.
En attendant ce grand progrès social qu'est en droit d'attendre une société civilisée et moderne, nous nous apprêtons aujourd'hui à permettre l'instauration d'une allocation de quarante-neuf euros par jour, versée pendant trois semaines à toute personne cessant de travailler en vue d'accompagner, à domicile, un proche au bord de la mort.
À l'heure actuelle, seul existe un congé de « solidarité familiale » qui permet à tout salarié de s'absenter pour assister un proche souffrant d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital. Mais ce congé n'est pas rémunéré. L'idée de la présente proposition de loi est donc de subordonner le droit à l'allocation d'accompagnement à l'obtention d'un congé de solidarité familiale pour les salariés du privé comme du public. Et pour ceux qui ne pourraient pas prétendre à ce type de congés, le bénéfice de l'allocation sera lié à une condition d'activité.
Deux autres conditions encadreront le droit à cette allocation : d'une part, accompagner à domicile un patient en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable et, d'autre part, être un ascendant, un descendant, un frère, une soeur ou une personne partageant le domicile du patient.
L'allocation cessera d'être versée le jour suivant le décès de la personne, à condition que celle-ci décède avant l'expiration du délai des trois semaines – ce qui est loin d'être évident – et elle ne pourra être attribuée qu'à un seul aidant par famille au titre d'un même patient.
Enfin, les auteurs de cette proposition de loi estiment qu'elle devrait concerner 20 000 allocataires par an et évaluent son coût à vingt millions d'euros environ.
En conséquence, en étudiant le dispositif de cette proposition de loi, on mesure bien le réel progrès qu'elle représente, de par son aspect pratique, pour les quelques bénéficiaires. Et en même temps, on en mesure également toutes les insuffisances de par son aspect très – trop – restrictif.
Sa durée, d'abord, est trop courte – comme si l'on pouvait dater avec précision le nombre de jours qu'il reste à vivre à un patient ! Alors que la fin de vie est une période de souffrance dont la durée est très incertaine, il n'est pas pertinent de limiter l'allocation d'accompagnement à trois semaines. Une fois ce délai expiré, si votre proche est toujours en fin de vie, que faire ? Est-il encore envisageable de retourner travailler ?
Le nombre de personnes concernées, ensuite, est trop faible : 20 000 seulement, quand on évalue à plus de 530 000 par an le nombre de décès en cause. Autrement dit, plus de 500 000 accompagnants ne seront pas concernés par cette proposition de loi pour l'unique raison que les patients en fin de vie qu'ils accompagnent vers la mort ne bénéficient pas de soins palliatifs à domicile, mais à l'hôpital. Or c'est à l'hôpital que décèdent plus de 75 % des Français ; 85 % d'entre eux meurent en dehors du parcours palliatif.
Pourquoi manquer d'ambition ? Pourquoi ne pas accorder une allocation aux accompagnants de tous les patients en fin de vie, financée intégralement par la solidarité nationale ?
Dans sa rédaction actuelle, on mesure donc la faible portée de cette proposition de loi, même si – pour ceux qui en bénéficieront – elle représente un progrès indéniable que les députés radicaux de gauche entendent permettre.
Toutefois, la prochaine étape devra être de modifier le code de la santé publique, pour préciser les conditions dans lesquelles l'aide active à mourir pourrait être pratiquée.
Légaliser l'aide active à mourir, ce serait accéder à la demande lucide et réitérée de ceux qui sollicitent une assistance pour mourir. C'est un simple principe d'humanité. Madame la ministre, mes chers collègues, je vous le redis : le temps presse.
En 1991, 10 % seulement de la population française pouvait donner une définition des soins palliatifs. Aujourd'hui, ces termes sont de plus en plus employés.
Mais l'acharnement thérapeutique, et son abandon parfois, les soins palliatifs, l'euthanasie sont souvent mis en parallèle, voire confondus par beaucoup de personnes.
C'est pourquoi il est encore difficile pour le profane d'avoir une vue juste de la démarche médicale palliative. Cette médecine est en pleine mutation et elle tente de s'intégrer au sein de la médecine actuelle.
En 1999, le Conseil de l'Europe a adopté une recommandation qui proclame que « l'obligation de respecter et de protéger la dignité d'un malade incurable ou d'un mourant est la conséquence naturelle de la dignité inviolable inhérente à l'être humain à tous les stades de la vie. » En tant que membre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je constate l'important travail fourni par les quarante-sept pays membres pour la prise en charge globale, tant pour les soins palliatifs que pour la prise en charge de la lutte contre le cancer. Ce respect et cette protection du malade se traduisent par la création d'un environnement approprié, qui permet à l'être humain de mourir dans la dignité.
La médecine, toujours plus performante, se préoccupait plus des organes lésés par une pathologie que de la personne atteinte dans sa globalité par une maladie. Aujourd'hui, elle est associée aux soins palliatifs, qui ont pour objectif de répondre aux besoins physiques, psychologiques, sociaux et spirituels des malades incurables.
Cette prise en charge mobilise un grand nombre d'intervenants : les membres de la cellule familiale et les proches, les professionnels de la santé mais aussi le monde de la recherche médicale et des sciences sociales. La société entière se trouve interpellée par ce mouvement qui suscite des questions essentielles : comment aider celui qui arrive au terme de sa vie ? Comment soutenir les survivants endeuillés ? Comment se familiariser avec sa propre finitude humaine ? Que faire pour désenclaver la mort de ses lieux tabous ? Tant de questions, mais tant de réponses que nous devons apporter.
Les infirmières, par leur pratique, par leur professionnalisme, leur attention, le temps qu'elles consacrent tant à la pratique qu'à la formation, souhaitent qu'une approche utile et pertinente de la pratique montre combien prendre soin prend tout son sens. La démarche soignante est abordée : relation d'aide, diagnostic infirmier prévalent, soins du corps, hygiène et bien-être du corps, alimentation, voire le sommeil et les techniques particulières notamment dans le soulagement de la douleur.
Mais il y aussi la méthode d'évaluation et l'approche complémentaire des soins – je pense à la relaxation et à l'art-thérapie. Il ne faut pas non plus oublier le lien essentiel, indispensable, avec les structures et les réseaux qui existent aujourd'hui. C'est important pour les infirmières – comme pour les aides soignantes et les autres professionnels de santé confrontés à des patients gravement atteints ou en fin de vie.
Prolonger la vie ne doit pas, en soi, constituer le but exclusif de la pratique médicale ; celle-ci doit également se préoccuper de soulager la souffrance. C'est, en 1976, la recommandation du Conseil de l'Europe.
C'est pourquoi la médecine palliative est venue apporter ses connaissances à la médecine curative, dont elle s'était détachée en réaction à sa tendance objectivante. Elle s'est enrichie et continue de faire des progrès.
Cependant, l'accompagnement n'est pas qu'une affaire de spécialistes – en tout cas pas seulement, chacun pouvant en faire l'expérience en différentes circonstances de la vie. La dimension d'humanité de l'acte d'accompagnement est importante. C'est un acte de solidarité humaine et sociale.
Il procède d'un devoir d'humanité, de non-abandon des plus vulnérables, et de notre responsabilité à leur égard. Pouvoir finir sa vie chez soi en compagnie de son conjoint ou d'un ami est ressenti comme essentiel par certains.
Que personne ne doute un seul instant de nos intentions : le but n'est pas de renvoyer les gens chez eux pour libérer les hôpitaux, mais bien de les laisser terminer leur vie dans un lieu habituel, dans leur propre confort, pour que ce soit moins douloureux pour le malade et sa famille. C'est une demande forte de conjoints, d'enfants, d'amis, de parents ; ils veulent pouvoir dire à nouveau : « Elle s'est endormie chez elle. » Voilà une phrase que je souhaite entendre.
L'accompagnement de personnes en fin de vie n'en reste pas moins un accompagnement parmi d'autres. Il va de soi qu'accompagner un proche mourant chez soi représente une tâche lourde.
Dans une politique qui vise à développer les réseaux de soins palliatifs à domicile, il paraît indispensable de s'interroger sur les moyens de mieux soutenir les accompagnants naturels. L'accompagnement des proches demande du temps.
La question de l'accompagnement en fin de vie soulève celle du temps dans ses deux dimensions : reconnaissance du temps de la mort ; libération du temps pour accompagner, car la famille, bien souvent, veut le faire, mais ne le peut pas : d'où l'importance de mettre en place des unités de soins palliatifs en maison de retraite et à domicile.
Monsieur le président, puisque vous me pressez, je vais être obligée d'interrompre mon propos, mais c'est dommage.
Alors que la fin de vie d'un proche constitue déjà un temps de crise dans la vie d'une famille, l'absence de financement du congé de solidarité familiale contribue à perturber encore davantage son fonctionnement et peut achever de déstabiliser son équilibre.
Après la création du congé de solidarité familiale, il convient donc d'aller plus loin encore. C'est l'objet de la présente proposition de loi. En créant une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie, celle-ci apporte une réponse supplémentaire à la délicate question de la fin de vie. C'est avec une grande fierté que je voterai des deux mains cette proposition de loi qui nous permet d'accomplir un progrès considérable en termes de qualité humaine dans la prise en charge globale du patient. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi examinée ce matin est liée à la mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.
On ne peut que se féliciter de cette démarche qui tend à prendre en compte, dans le cadre d'une évaluation, les demandes nombreuses et convergentes des proches et bénévoles – vous le souligniez, monsieur Leonetti – de pouvoir assurer l'accompagnement des personnes en fin de vie.
La loi de 1999 avait accordé la possibilité de prendre un congé de solidarité familiale, mais, vous le reconnaissez vous-même, ce congé n'a pas connu un grand succès pour deux raisons identifiées : seuls les salariés y avaient accès ; surtout, la loi n'avait prévu aucune indemnité, ce qui pose des problèmes à de nombreuses familles.
Le texte que nous étudions ce matin, et qui a été cosigné par tous les groupes, rectifie ces deux points : il s'applique à l'ensemble des parents, ascendants, frères et soeurs ou personnes partageant le domicile, et il propose une compensation partielle pendant trois semaines.
Si ces avancées sont certaines, et nous ne pouvons que les appuyer, elles sont, de mon point de vue, insuffisantes, et je voudrais exprimer trois interrogations et deux attentes.
Ma première interrogation porte sur le nombre de familles concernées. On évalue à 40 % le nombre de décès relevant des soins palliatifs, ce qui, sur un total de 530 000 décès par an, représente 210 000 décès. Or on nous annonce 20 000 congés par an. Qu'adviendra-t-il de toutes les autres personnes qui souhaitent accompagner ?
C'est une évaluation. S'il faut plus, on fera plus.
Si ce chiffre est insuffisant, c'est que la portée de ce texte est partielle. Il ne s'adresse qu'aux personnes qui bénéficient de soins palliatifs à domicile alors que celles-ci ne sont pas les plus nombreuses. Le plan pour améliorer les soins palliatifs de 2008 à 2012 reconnaît, dans son introduction, que « l'offre hospitalière est mieux structurée », bien qu'insuffisante, mais qu'« en ville les soins palliatifs n'ont pas connu le développement espéré, la participation des professionnels de santé libéraux restant difficile ». Pourquoi réserver cette mesure aux bénéficiaires de soins palliatifs à domicile, et en priver ainsi la plupart des familles ?
Deuxième interrogation : vous reconnaissez vous-même que la loi de 2005 n'est sans doute pas appliquée dans toutes ses dimensions, par manque de connaissance de la loi et d'information. Le droit que vous créez aujourd'hui ne risque-t-il pas de rester inutilisé si l'information auprès des familles n'est pas diffusée, par les médecins, par les caisses et mutuelles d'assurance maladie ? Comment envisagez-vous l'information autour de ce droit ?
Ma troisième interrogation concerne la durée et la souplesse du congé. Même dans le cas « d'une affection grave en phase avancée » telle que définie dans le texte, une agonie est rarement régulière et linéaire, et sa durée est peu prévisible. Ne pourrions-nous pas imaginer un congé plus long sous forme de « capital temps », qui pourrait être utilisé en plusieurs fois et même octroyé à plusieurs membres de la famille ?
En outre, si ce texte complète l'arsenal législatif dont la France se dote, plutôt lentement, pour accompagner les mourants et humaniser la fin de vie, il ne répond pas à deux attentes.
Première attente : le souhait de mourir à domicile est formulé par 70 % des Français, alors que 75 % meurent à l'hôpital. Il est vrai que le maintien à domicile génère une charge considérable – matérielle, financière et psychologique – que beaucoup de familles ne peuvent ou ne se sentent pas capables d'assumer sans être accompagnées.
Le congé seul, tel qu'il est prévu dans ce texte, ne permettra pas de répondre à cette forte demande des Français de mourir chez soi. Un autre texte sera-t-il voté pour que la France fasse des progrès dans ces domaines, quantitativement par le développement de l'offre des soins palliatifs, mais aussi qualitativement, comme vous y insistez, madame la ministre, par une culture de l'accompagnement des mourants et de leurs familles dans les structures d'accompagnement ?
Ma seconde attente porte sur l'ouverture d'un débat national sur le droit au respect du choix de chacun sur cette question de fin de vie et sur l'aide active à mourir. Ce texte n'aborde pas la question. Il faudrait organiser un débat hors période d'émotion médiatique. Le Conseil d'État a préconisé qu'un tel débat soit intégré dans la révision des lois de bioéthique.
Lors de vos voeux pour 2009, vous avez souhaité, madame la ministre, que les Français soient acteurs de la révision des lois de bioéthique. À l'occasion du débat qui s'ouvre ce matin, je souhaite que la représentation nationale demande des débats publics, et pas seulement entre spécialistes, sur tous les sujets de la mission de bioéthique, et particulièrement sur celui de la fin de vie.
En conclusion, chers collègues, le groupe SRC votera cette proposition de loi qu'il a cosignée. Mais il ne faudrait pas considérer que notre travail est terminé.
Tout au contraire, nous demandons qu'il se poursuive. (Applaudissements sur tous les bancs.)
J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Sur l'article 1er, deux orateurs sont inscrits.
La parole est à M. André Wojciechowski.
Cher Jean Leonetti, je ne peux que saluer votre démarche qui cherche – et c'est très bien – à aider pleinement le malade, mais surtout ses proches, bien trop souvent heurtés a posteriori par le regret de n'avoir pas pu faire de leur mieux, notamment au regard d'une absence qu'ils ont du mal à supporter et qui les a empêchés de prendre part au difficile moment que représente la fin de vie.
Pour autant, je pense très sincèrement, comme Mme Coutelle, que, dans le cadre même de la mission qui vous a été confiée, il aurait pu être de bon augure d'aller plus loin et que la question de l'euthanasie active se devait d'être abordée.
La prise en charge d'un patient en phase terminale présentant une pathologie sévère, incurable, hyperalgique, amène le médecin à opter, dans le cas d'un patient conscient et lucide – et cette distinction est primordiale –, entre deux possibilités légales : les soins palliatifs ou l'euthanasie passive.
Ces possibilités sont insatisfaisantes en ce sens où l'issue restera, en dépit de toute allocation, dans tous les cas, la mort. Il va donc s'agir d'assurer le départ du malade dans la dignité selon ses voeux. À l'heure actuelle, toute personne en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable a accès à des soins palliatifs. Ces derniers sont assurés à l'hôpital, dans un établissement conventionné, ou à domicile.
Votre texte, mon cher Jean Leonetti, permet d'administrer au malade une escalade de traitements antidouleur pour soulager la souffrance, même si cela abrège la vie du malade. La pratique médicale se doit de prendre pleinement intérêt du cas du patient et de ne pas céder à des considérations de confort, comme l'attente des familles ou le besoin de place dans un centre hospitalier.
Juridiquement, aujourd'hui, l'euthanasie active reste assimilée à un homicide volontaire. En cas d'arrêt de soins, le médecin peut se heurter au refus de porter secours à une personne en danger dont l'issue est clairement établie. La réalité du terrain témoigne que l'euthanasie active, bien qu'interdite en France, se réalise dans l'ombre. Lorsque l'on ne contrôle plus la souffrance physique et morale d'un malade incurable, on augmente la sédation, ce qui implique que le malade meurt endormi. On ne peut pas indéfiniment fermer les yeux face à une tendance qui se propage si rapidement.
Bien entendu, pareille mesure, si, un jour, elle venait à être acceptée, ne se ferait que sous conditions drastiques et, pourquoi pas, sous le regard attentif et le contrôle d'une commission extérieure qui examinerait le bien-fondé des requêtes.
Pour autant, pour éviter l'engorgement, une pareille commission aurait tout intérêt à être régionale. Mais, plus qu'une commission, peut-être une réunion de concertation pluridisciplinaire serait-elle de bon augure.
Pour le moment, le patient subit une sorte d'hypocrisie thérapeutique. Dans les faits, le médecin augmentera les antalgiques en posologie ou en faisant des associations de produits. Dès lors, le résultat est certain : le patient s'endormira sans douleur.
Toute cette hypocrisie s'honorerait de disparaître pour laisser naître l'honnêteté médicale assortie d'humanité. Le médecin, connaissant parfaitement le dossier médical de son patient, avec l'entourage, pourrait recueillir le désir réitéré du patient lucide de mettre un terme à ses souffrances sachant que l'issue est inéluctable.
Si cette possibilité est admise, l'impuissance médicale sera soulagée en partie par la satisfaction de savoir que le médecin a fait le dernier geste possible pour soulager son patient qu'il connaissait bien.
Je soutiendrai ce texte, en espérant qu'il soit le début d'une réflexion permanente et évolutive sur la dignité de la fin de vie.
Cette proposition de loi résulte de l'évaluation de la loi Leonetti. Je regrette que cette évaluation n'ait pas abouti à un contenu un peu plus important. J'aurais aimé que cette évaluation fasse ressortir le fait que le droit des malades en fin de vie à demander l'arrêt des soins n'est pas encore entendu, que ce droit résulte finalement du bon vouloir de l'équipe médical qui l'entoure. J'aurais aimé que le malade soit effectivement entendu lorsqu'il demande l'arrêt des soins.
Cette loi, encore trop mal connue, trop mal appliquée, ne donne pas aujourd'hui satisfaction et je ne pense pas que ce soit avec cette proposition de loi, même si elle est bonne, juste, valable et même si elle existe dans les pays qui ont légalisé l'euthanasie, soit suffisante pour être satisfaisante.
Si je me réjouis de l'existence de cette proposition de loi et de cette mesure d'accompagnement, qui va permettre d'améliorer la fin de vie de certains malades, je crois que le débat n'est pas là. Nous devrons un jour, comme cela a été dit dans les interventions précédentes, aborder avec courage et lucidité la question de l'aide active à mourir, que près de 90 % des Français et 70 % des médecins généralistes réclament. D'ailleurs, si j'en crois le dernier appel des 2 000 médecins généralistes pour une aide active à mourir, ce mouvement de fond se renforce.
Vous connaissez ma conviction laïque et républicaine en la matière, je l'ai énoncée plusieurs fois, je n'y reviendrai pas. Je crois que nous nous honorerions à aborder ici, dans le respect des consciences et dans le pluralisme de nos convictions politiques, cette question, qui est le vrai débat de fond. C'est ce que les Français attendent de nous.
J'en viens maintenant à l'article 1er. Je voudrais rappeler que 75 % des personnes meurent à l'hôpital et 85 % en dehors de tout parcours de soins palliatifs. Cette proposition de loi, dont je salue l'esprit, ne va s'adresser qu'à un nombre très faible de mourants et de familles, que Jean Leonetti évalue à environ 20 000 par an. Si nous rapportons ce chiffre aux 530 000 décès annuels en France, nous voyons bien que nous ne pouvons pas prétendre avoir résolu le problème de la fin de vie.
C'est une estimation. On a un droit de tirage illimité.
Les conditions pour bénéficier de cette loi seront de mourir à domicile, alors que très peu de gens meurent à domicile, et, pour les personnes accompagnantes, de partager le domicile du mourant, ce qui en réduit encore le nombre.
Aussi, tout en saluant l'esprit de cette proposition de loi, permettez-moi d'en regretter ses limites, à la fois quantitatives et qualitatives, et d'espérer que nous ne donnons pas un faux espoir aux familles, aux mourants, car la vie et les conditions de fin de vie sont telles que les personnes continueront de mourir à l'hôpital. Il eût été bon – je le sais d'expérience – qu'elles puissent être entourées de leur famille également à l'hôpital pendant quelques jours, peut-être pour une durée plus limitée.
Je souhaite qu'un jour, nous ayons un autre débat de fond ici. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Je suis saisi d'un amendement n° 6 .
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
À la première phrase de l'alinéa 15 de l'article 1er, je propose de substituer aux mots « trois semaines », les mots « vingt et un jours », pour une raison de simplification : tous les décomptes en matière de sécurité sociale s'opérant en jours, il n'apparaît pas judicieux d'introduire la notion de semaines.
Cet amendement est intéressant. Si je comprends le souci de ses auteurs, je considère que cette rédaction pourrait laisser entendre que le versement de l'allocation pourrait être fractionné dans le temps. Cela ne correspond pas exactement à la logique du dispositif, en tout cas à la volonté des auteurs de la proposition de loi.
Notre volonté est d'aider de manière très spécifique et ciblée une personne qui accompagne un malade pendant la période de la fin de vie considérée comme une période entière. Jean Leonetti et plusieurs intervenants ont insisté justement sur ce moment spécifique d'accompagnement, sur toute la portée, en termes d'accompagnement personnel, philosophique, culturel, voire religieux, de cette dernière période de la vie, et qui doit être appréhendée comme telle.
C'est la raison pour laquelle la commission a repoussé ce matin cet amendement, qui n'est toutefois pas dénué de sens.
En outre, un tel dispositif serait très complexe à mettre en oeuvre. Il serait à l'origine de difficultés dans la gestion par les organismes compétents, qui seraient, à terme, confrontés à une succession de jours pris et de jours de reprise du travail. Cela poserait également des problèmes de fonctionnement aux entreprises.
Voilà pourquoi nous pensons que l'évolution préconisée par M. Decool pourrait avoir lieu plus tard. Peut-être Mme la ministre nous guidera-t-elle vers d'autres horizons pour prendre en considération cette suggestion.
Je voudrais également profiter de cette intervention pour dire que nous avons fait évoluer la proposition de loi en adoptant, en commission, huit amendements sur lesquels nous ne reviendrons pas puisqu'ils sont désormais intégrés au texte, conformément d'ailleurs à ce qui sera la règle dans quelques semaines pour tous les textes, après l'adoption du nouveau règlement de l'Assemblée. Ces amendements ont introduit les notions de prise en considération de la personne plutôt que du patient, de domicile clairement défini comme le domicile partagé, ou de la nécessité d'une suppression de l'activité professionnelle. Il faut, en effet, que le nouveau dispositif soit clairement encadré pour éviter des abus ou des effets d'aubaine.
J'avais examiné cet amendement avec bienveillance, mais je me range aux arguments techniques du rapporteur, qui a placé son argumentation sous le signe de l'humanité, de la philosophie de la loi et d'importants aspects techniques. Mon avis est donc défavorable.
(L'amendement n° 6 n'est pas adopté.)
La proposition de loi stipule que le financement de l'allocation versée à l'accompagnant sera opéré par les caisses d'assurance maladie, mais elle ne dit pas par quel organisme. C'est pourquoi cet amendement vise à préciser que c'est le régime d'assurance maladie dont relève l'accompagnant qui sera chargé de ce financement.
Par ailleurs, certains d'entre vous ont avancé le chiffre de 20 000 s'agissant du nombre de personnes qui pourraient bénéficier de cette allocation et certaines observations laissent supposer que nous aurions une sorte d'enveloppe fermée qui devrait financer 20 000 congés. Bien sûr, il n'en n'est rien ! D'après certaines études, entre 20 000 et 30 000 personnes pourraient être concernées, mais c'est un droit de tirage illimité dans la mesure où toutes les personnes qui voudront bénéficier de cette possibilité le pourront, à condition bien entendu que cela soit dans le cadre de la loi.
Il est en effet important, madame la ministre, de préciser que c'est la branche maladie qui prendra en charge le financement du dispositif. Vous avez également bien fait de rappeler que ce dernier n'était pas limité en termes financiers et qu'il fallait souhaiter qu'il profite au plus grand nombre de personnes, car nous aurons alors atteint notre objectif, à savoir l'accompagnement à leur domicile d'un maximum de malades en fin de vie.
Je voudrais, par ailleurs, rapprocher cet amendement d'un autre, que nous avons adopté en commission, prévoyant la remise, par le Gouvernement, chaque année, avant le 31 décembre, d'un rapport aux commissions parlementaires compétentes. Il me paraît en effet essentiel que, chaque année, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ait connaissance de l'application de ce dispositif de l'allocation journalière d'accompagnement pour pouvoir l'adapter. Nous ne connaissons actuellement pas le nombre exact de personnes concernées. Nous y verrons plus clair dans un an et il pourra éventuellement être envisagé d'étendre le bénéfice du dispositif à l'ensemble des accompagnants. C'est une vraie question qui a été posée à l'occasion de ce débat et que l'on ne peut éluder, car beaucoup d'accompagnants vont chaque jour dans certains établissements, font pour cela de longs parcours, s'impliquent totalement, et eux ne sont pas aidés. Il faudra donc bien que nous ayons ce débat à un moment donné, et ce rapport sera essentiel. Je souhaite aussi que celui-ci nous permette d'avoir une vision de l'application de la politique de développement des soins palliatifs à domicile. Il ne servirait en effet à rien d'engager aujourd'hui cette démarche, avec cette aide aux familles, si, dans le même temps, celles-ci ne peuvent accompagner leurs proches faute de développement des soins palliatifs. Or, quels que soient les efforts importants que vous faites, madame la ministre, ramener aujourd'hui une personne malade en fin de vie à son domicile, c'est encore très souvent le parcours du combattant ! Je sais que vous avez des objectifs très précis pour les années qui viennent, et l'on ne peut que vous en féliciter. Comme vous l'avez rappelé, l'hospitalisation à domicile est un objectif à poursuivre, notamment dans le cadre de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », mais il nous faudra faire le bilan tous ensemble dans un an.
(L'amendement n° 2 est adopté.)
Cet amendement vise à préciser les modalités de financement pour les personnes relevant d'un organisme d'assurance maladie qui ne verse pas de prestations en espèces – SNCF, RATP. Le Gouvernement propose que ce soit alors l'employeur payant les prestations en espèces d'assurance maladie qui finance l'allocation.
Sur l'article 2, je suis saisi d'un amendement n° 5 .
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
Cet amendement vise à remplacer le mot « francs » par le mot « ouvrables » dans un souci de simplification d'un code qui comporte déjà 10 000 articles. C'est d'ailleurs dans l'optique du Gouvernement. Il y a aujourd'hui des jours calendaires ouvrables, ouvrés et francs. Le but est de ne retenir que les jours ouvrables, c'est-à-dire les jours de la semaine, sauf le dimanche et les jours fériés.
Monsieur Decool, la commission est défavorable à cet amendement, mais je vous indique dès maintenant qu'elle sera favorable au suivant pour que vous gardiez le sourire jusqu'à la fin de cette séance !
Cet amendement ne va pas dans le sens de l'intérêt du salarié accompagnant, car il complexifie le dispositif. En effet, en favorisant une information effective de l'employeur un peu plus en amont, il augmente légèrement le temps de préavis du salarié. Ce matin, la commission s'est donc montrée réservée face à une telle modification, qui n'a donné lieu à aucune expertise préalable.
Je me range à l'avis de la commission.
Je suis saisi d'un amendement n° 7 .
J'ai une bonne nouvelle à vous annoncer, monsieur Decool : la commission est favorable à cet amendement ! (Sourires.)
Je le maintiens donc avec le sourire, monsieur le président !
Il s'agit de créer, au sein de ce congé, un peu de souplesse en permettant son fractionnement, sous réserve d'avertir l'employeur au moins soixante-douze heures à l'avance.
Je suis saisi d'un amendement n° 4 , tendant à supprimer l'article 5.
La parole est à Mme la ministre.
Comme je m'y étais engagée, cet amendement vise à lever le gage qui était posé par l'article 5 de la proposition de loi.
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)
Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.
La parole est à Mme la ministre.
Mesdames, messieurs les députés, à la fin de l'examen de cette proposition de loi, je voulais vous exprimer ma gratitude. Celle-ci va d'abord à Jean Leonetti, qui est l'auteur de ce texte avec Olivier Jardé, Michel Vaxès et Gaëtan Gorce. Le Parlement et l'ensemble du monde politique français se sont ainsi honorés.
Ce texte ne se limite pas à créer une prestation supplémentaire ; c'est un texte de civilisation – j'ose le mot ! – qui veut resituer l'homme dans son parcours de dignité. Notre société a décidé d'ignorer la mort, et, ce faisant, elle ignore la vie. Elle ignore la mort non seulement au moment où elle survient, mais même après. Je suis surprise, voire choquée, de voir que l'on n'accepte même plus d'accueillir le corps de la personne qui vous a quitté chez soi, à son domicile. Nos collectivités territoriales sont ainsi confrontées à une demande de funérariums, de chambres mortuaires. Et des religieux m'interpellent en me signalant que l'on ne voit plus d'enfants dans les cérémonies mortuaires, les sépultures – on les éloigne ! Ce texte de civilisation veut donc remettre l'homme, dans la totalité de sa vie et de son destin, au coeur de nos préoccupations.
Certains d'entre nous prendront ce congé d'accompagnement. Il y a beaucoup de femmes aujourd'hui, dans cet hémicycle, pour parler de cela. Je souhaite que beaucoup d'hommes prennent ce congé, car je remarque qu'au moment du grand départ, que cela soit à l'hôpital ou au domicile, bien peu de nos compagnons sont là. Je les invite aussi à faire ce chemin. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Suite de la discussion du projet de loi portant réforme de l'hôpital.
La séance est levée.
(La séance est levée à onze heures trente.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma