Nous perdons un temps précieux, synonyme de souffrance pour de nombreux malades et de trop nombreuses familles. Nous ne pourrons pas encore bien longtemps faire l'économie dans notre législation d'une grande loi relative à la fin de vie : un jour viendra où il nous faudra légaliser et encadrer l'aide active à mourir. Ce n'est qu'une question de temps.
En attendant ce grand progrès social qu'est en droit d'attendre une société civilisée et moderne, nous nous apprêtons aujourd'hui à permettre l'instauration d'une allocation de quarante-neuf euros par jour, versée pendant trois semaines à toute personne cessant de travailler en vue d'accompagner, à domicile, un proche au bord de la mort.
À l'heure actuelle, seul existe un congé de « solidarité familiale » qui permet à tout salarié de s'absenter pour assister un proche souffrant d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital. Mais ce congé n'est pas rémunéré. L'idée de la présente proposition de loi est donc de subordonner le droit à l'allocation d'accompagnement à l'obtention d'un congé de solidarité familiale pour les salariés du privé comme du public. Et pour ceux qui ne pourraient pas prétendre à ce type de congés, le bénéfice de l'allocation sera lié à une condition d'activité.
Deux autres conditions encadreront le droit à cette allocation : d'une part, accompagner à domicile un patient en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable et, d'autre part, être un ascendant, un descendant, un frère, une soeur ou une personne partageant le domicile du patient.
L'allocation cessera d'être versée le jour suivant le décès de la personne, à condition que celle-ci décède avant l'expiration du délai des trois semaines – ce qui est loin d'être évident – et elle ne pourra être attribuée qu'à un seul aidant par famille au titre d'un même patient.
Enfin, les auteurs de cette proposition de loi estiment qu'elle devrait concerner 20 000 allocataires par an et évaluent son coût à vingt millions d'euros environ.
En conséquence, en étudiant le dispositif de cette proposition de loi, on mesure bien le réel progrès qu'elle représente, de par son aspect pratique, pour les quelques bénéficiaires. Et en même temps, on en mesure également toutes les insuffisances de par son aspect très – trop – restrictif.
Sa durée, d'abord, est trop courte – comme si l'on pouvait dater avec précision le nombre de jours qu'il reste à vivre à un patient ! Alors que la fin de vie est une période de souffrance dont la durée est très incertaine, il n'est pas pertinent de limiter l'allocation d'accompagnement à trois semaines. Une fois ce délai expiré, si votre proche est toujours en fin de vie, que faire ? Est-il encore envisageable de retourner travailler ?
Le nombre de personnes concernées, ensuite, est trop faible : 20 000 seulement, quand on évalue à plus de 530 000 par an le nombre de décès en cause. Autrement dit, plus de 500 000 accompagnants ne seront pas concernés par cette proposition de loi pour l'unique raison que les patients en fin de vie qu'ils accompagnent vers la mort ne bénéficient pas de soins palliatifs à domicile, mais à l'hôpital. Or c'est à l'hôpital que décèdent plus de 75 % des Français ; 85 % d'entre eux meurent en dehors du parcours palliatif.
Pourquoi manquer d'ambition ? Pourquoi ne pas accorder une allocation aux accompagnants de tous les patients en fin de vie, financée intégralement par la solidarité nationale ?
Dans sa rédaction actuelle, on mesure donc la faible portée de cette proposition de loi, même si – pour ceux qui en bénéficieront – elle représente un progrès indéniable que les députés radicaux de gauche entendent permettre.
Toutefois, la prochaine étape devra être de modifier le code de la santé publique, pour préciser les conditions dans lesquelles l'aide active à mourir pourrait être pratiquée.