Le travail très approfondi mené par la mission a permis de prendre en considération tout à la fois « l'absolue singularité du destin de chaque individu », « la diversité et la complexité des peurs et des souhaits de chacun » et « l'expérience qui par essence ne se partage pas », pour satisfaire les attentes des malades et de leurs familles.
Cette proposition de loi apporte, plus fondamentalement encore, une réponse aux interrogations de chacun, tant il est vrai que l'accompagnement n'est pas une affaire de spécialistes, en tout cas pas seulement, mais constitue un acte de solidarité sociale qui procède d'un véritable devoir d'humanité et de responsabilité.
Mais comment mettre ce devoir d'humanité en pratique ?
« Sans les familles, rien n'est possible » : Mme Marie de Hennezel a résumé par ces mots la nécessité de faciliter le travail d'accompagnement des proches. Nous pouvons faire nôtre cette affirmation. Il est fondamental de donner aux familles, très concrètement, la possibilité et le temps de l'accompagnement. Accompagner l'accompagnement, pourrait-on dire : c'est bien l'un des enjeux de la création d'une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie, qui devrait constituer une étape décisive en la matière.
Le droit français comporte déjà un certain nombre d'instruments à cet effet. La loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, qui résultait de nombreuses initiatives, a créé ce qui s'appelait alors congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie. La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites en a fait un congé de solidarité familiale. Mais, accordé pour une durée de trois mois au plus, renouvelable une fois, ce congé n'est pas rémunéré.
Dix ans plus tard, le congé de solidarité familiale, s'il a porté ses fruits, doit à l'évidence être enrichi. Le moment est venu de franchir un nouveau pas,
En effet, comme l'a parfaitement montré la mission d'évaluation, les situations sont encore trop inégales : certains proches ont la possibilité de suspendre leur activité professionnelle pour accompagner un malade en fin de vie, tandis que d'autres, faute de moyens matériels suffisants, se trouvent « au mieux » – hélas – contraints de demander un arrêt maladie, au pire complètement démunis pour être aux côtés de leurs proches.
La proposition de loi contribuera à résoudre ces difficultés en créant cette allocation, qui pourra compenser, en tout ou en partie, la perte de revenus liée à l'accompagnement d'un parent ou d'un proche à domicile, à l'exemple de dispositifs déjà existants à l'étranger, en Belgique notamment, ou même en France, dans un certain nombre de communes.
Ainsi pourra-t-on favoriser le maintien à domicile de ceux qui souhaitent mourir chez eux, valoriser, au plan symbolique, le temps de la mort, faciliter le travail de deuil des proches et, en somme, atténuer la solitude des accompagnants comme des accompagnés. M. Jean Leonetti souligne dans son rapport combien c'est important pour éviter le développement de toute forme de deuil pathologique postérieur à l'accompagnement.
En quoi consiste cette nouvelle allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie ? Elle sera versée aux personnes procédant à l'accompagnement à domicile d'une personne en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause. La commission a tenu à insister sur cette notion de « personne », de manière à ne pas restreindre l'accompagnement aux situations médicalisées au sens strict, ce qu'aurait pu laisser entendre la rédaction initiale qui visait la situation du patient.
Sont concernés les ascendants, descendants, frères, soeurs ou personnes partageant le domicile d'un proche et qui l'accompagnent. La personne accompagnant le malade devra avoir suspendu son activité. Pour ce qui concerne les salariés, les fonctionnaires et les militaires, la condition de suspension de l'activité est liée en priorité à la prise d'un congé de solidarité familiale.
L'allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie sera versée pour une durée maximale de trois semaines. Son montant devrait être égal à celui de l'allocation journalière de présence parentale, soit entre 40 et 50 euros par jour environ, selon que la personne concernée est seule ou en couple ; madame la ministre nous confirmera certainement le chiffre précis. Cette allocation cessera d'être due à compter du jour suivant le décès de la personne accompagnée. En outre, un seul bénéficiaire pourra prétendre au versement de l'allocation au titre d'un même patient. Il n'y aura donc ni abus, ni effets d'aubaine.
L'exposé des motifs de la proposition de loi contient un élément d'évaluation, marqué cependant, à mon sens, par un certain nombre d'incertitudes. Sur ce point également, il serait intéressant, madame la ministre, d'avoir communication des chiffres dont vous auriez connaissance sur le nombre de personnes qui pourraient être prises en charge.
Par ailleurs, la proposition de loi procède à deux modifications complémentaires.
D'abord, le congé de solidarité familiale, tel qu'il existe actuellement, n'est pas ouvert à un frère ou une soeur de la personne accompagnée. Dès lors que la proposition de loi leur permet de bénéficier de l'allocation, il est nécessaire d'harmoniser dans ce sens le dispositif du congé de solidarité familiale. La commission a en outre adopté, à mon initiative, dans un souci d'harmonisation également, un amendement tendant à insérer dans ce même dispositif la définition de la personne malade en fin de vie telle qu'elle résulte de la loi du 22 avril 2005 et figure dans la présente proposition de loi.
Ensuite, le congé qui prévaut pour l'accompagnement par des fonctionnaires et des militaires s'intitule aujourd'hui « congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie ». Dans un souci de cohérence, la proposition de loi substitue à cette dénomination celle de « congé de solidarité familiale » car les deux dispositifs sont très proches.
L'un des objectifs de la présente proposition de loi est de favoriser l'accompagnement à domicile des personnes en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable. Dans son rapport de fin d'exercice du 12 janvier 2008, le comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement a montré combien l'hospitalisation à domicile est insuffisamment développée en France. Il existe en effet d'indéniables « carences des soins palliatifs hors établissements de santé », mises en évidence par la mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005. Ces carences ne doivent bien sûr pas faire oublier les réelles avancées enregistrées en la matière, en particulier depuis 2002, et je sais, madame la ministre, que vous êtes particulièrement attachée au développement de ces soins.
La mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005 évoque également la nécessité de favoriser la collaboration entre tous les acteurs de la chaîne de soins – proches, médecins, infirmiers, gardes-malades… –, qui doivent intervenir pour permettre le maintien à domicile. À ce sujet, il convient de saluer le projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires car le besoin de développer les soins palliatifs a été clairement identifié dans les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens.
Il est essentiel de replacer la proposition de loi au coeur d'une politique plus globale favorisant la mise en oeuvre d'un ensemble de dispositifs favorables aux soins palliatifs. Toutefois, si encourager les soins palliatifs est une chose, il faut aussi prendre acte de la situation existante : 75 % des personnes en soins palliatifs sont hospitalisées. Alors, comment « aider les aidants » à l'hôpital ?
La présente proposition de loi mentionne comme bénéficiaires de l'allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie les seules personnes qui accompagnent à domicile un proche en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable. Pourtant, celles qui accompagnent un proche hospitalisé accomplissent souvent de longs trajets qui entraînent des frais importants. Certaines, compte tenu des distances à parcourir, doivent se loger à l'hôtel, comme cette femme que j'ai rencontrée au Centre régional de lutte contre le cancer Léon-Bérard, à Lyon, venue d'un autre département pour accompagner son mari et lutter de toutes ses forces à ses côtés.
En conséquence, madame la ministre, j'émets le souhait que nous puissions, sous votre autorité, lors d'une prochaine étape, étendre le bénéfice de l'allocation à toute personne dont la présence, quel que soit le lieu, est considérée comme « une exigence » pour un digne accompagnement de l'être proche. Les réalités de la vie quotidienne des Français appellent une telle évolution.
Dès aujourd'hui, afin d'adapter ce texte à ces réalités, j'ai proposé à la commission, qui l'a adopté, un amendement permettant, dans le cas où l'hospitalisation de la personne accompagnée à domicile est requise, que la période de versement de l'allocation puisse inclure les journées d'hospitalisation. Il s'agit d'un premier signe avant, peut-être, d'aller plus loin.