Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà maintenant près de six ans que la question de la fin de vie s'est imposée dans cette enceinte. Il y a fallu la ténacité et la générosité de femmes et d'hommes convaincus de la nécessité de confier au législateur le soin de fixer les règles applicables à une matière complexe, dans laquelle entrent de nombreuses considérations, qu'elles soient juridiques, médicales, éthiques ou philosophiques.
Comment ne pas observer que, depuis lors, ce débat n'a cessé de rebondir, cette question de nous préoccuper et même de nous interpeller ? Depuis l'appel déchirant de Marie Humbert, en 2003, l'initiative lancée en 2004 par Mme Morano et moi-même, la création de la mission d'information présidée par Jean Leonetti et l'adoption à l'unanimité de la loi du 22 avril 2005, la problématique de la fin de vie n'a plus cessé de s'inviter dans cet hémicycle. Et l'on peut gager que, quel que soit l'esprit des lois que nous sommes et serons appelés à voter, elle ne cessera plus de le faire, non seulement parce qu'elle met en jeu des points de vue différents, parfois presque inconciliables – même si nous démontrons régulièrement le contraire –, mais aussi parce que notre société n'en aura jamais fini avec la question de savoir comment elle doit aborder la mort.
L'évolution des technologies médicales, qui n'est pas près de cesser, aura ainsi autant fait pour actualiser et imposer le débat sur l'euthanasie que les militants du droit de mourir. L'évolution de l'esprit public, sa perception, forcement mobile, de ce qu'est une fin de vie acceptable nous obligeront sans cesse à remettre sur le métier notre ouvrage. Il n'est que d'observer la façon dont l'un des premiers pays à avoir légalisé l'euthanasie a souhaité et su développer avec succès les soins palliatifs pour comprendre que nous allons inéluctablement vers un déplacement, voire un brouillage des frontières entre ces notions. Penser qu'une législation – que ce soit notre loi du 22 avril 2005, dont nous pouvons nous honorer, comme en témoigne la terrible affaire qui a récemment agité l'Italie, ou telle autre proposition visant à autoriser un geste médical actif – suffirait à régler définitivement la question relève de l'illusion.
Ce débat ne cessera plus de nous occuper, au nom de la liberté de choix du patient comme du simple principe d'humanité. Ce constat ne devrait pas ébranler nos convictions, mais nous conduire à renoncer à quelques certitudes qui nous amènent parfois à traiter avec trop de passion ce qu'il nous faudra résoudre chaque fois avec plus de raison. En témoigne la proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui et qui vise à permettre aux proches d'accompagner une personne en fin de vie.
Cette proposition fait suite aux travaux de la deuxième mission présidée par Jean Leonetti, qui s'est déroulée dans un climat et un contexte dont je me suis réjoui, même si ses conclusions ne m'ont que partiellement satisfait. En effet, je ne partage pas – et je crois avoir dit pourquoi il y a quelques instants – l'idée selon laquelle la loi du 22 avril 2005 ne devrait être modifiée qu'à la marge. Il me semble qu'un nouveau pas aurait pu, et même dû, être franchi, pour aller vers une formule d'exception, à laquelle plusieurs conclusions de la mission font d'ailleurs implicitement référence. Il en est ainsi de la création d'une structure de médiation, dont le rôle évoluera nécessairement, à travers la prise en compte des cas précis dont elle sera saisie, vers une forme d'instance d'appel, éthique, certes, mais que la loi ne pourra restreindre. Je pense également aux recommandations relatives aux sédations accompagnant l'agonie d'un mourant que la simple humanité invite à abréger. Sur tous ces points, nous serons appelés, grâce à la création d'une instance d'évaluation, à revenir, dans le même esprit transpartisan, je l'espère, que celui qui nous anime depuis le début et qui nous a toujours permis de faire primer la qualité de nos débats sur leur intensité.
Ainsi que je le disais en débutant, notre Parlement a su se saisir de la question de la fin de vie dans ses différentes dimensions. Il le démontre encore aujourd'hui.
Nous le savons, les trois quarts des décès surviennent à l'hôpital, le plus souvent hors de la présence des proches. Il s'agit là d'une situation insupportable. Alors que les premiers instants de l'homme sont désormais partagés le plus largement possible, ses derniers instants restent le plus souvent confisqués aux proches. L'angoisse de la mort qui approche demeure vécue dans un univers non familier, dans un isolement sans doute plus terrifiant que la mort elle-même. S'il est une mort douce, c'est sans doute celle qui intervient à son foyer, en présence des siens, comme pour en prendre congé.
D'où la belle idée de cette allocation destinée à permettre la présence permanente d'un membre de la famille, d'un proche, et à faciliter ainsi la possibilité de mourir chez soi. L'être humain est plus, en effet, que la vie qui l'anime : il fait corps avec son environnement, ses enfants, ses amis, qu'il ne doit quitter que lorsque la vie le quitte et non dès que la maladie l'en éloigne. Il nous restera, certes, beaucoup à faire pour permettre cela. Mais cette proposition est un premier maillon. Je suis fier d'en être, grâce à Jean Leonetti dont je salue l'engagement, la conviction et le sens de l'écoute, l'un des quatre signataires et je remercie ceux de nos collègues qui nous ont accompagnés dans cette réflexion difficile, mais ô combien passionnante. Je suis reconnaissant au Premier ministre d'en avoir aussitôt accepté le principe. Je suis heureux, enfin, de voir que ce texte est approuvé sur tous les bancs de notre assemblée. Je forme le voeu que le Gouvernement sache en publier rapidement le décret d'application. Il lui faudra, en particulier, veiller – mais vous venez d'indiquer qu'il en sera bien ainsi, madame la ministre – au développement des équipes mobiles de soins palliatifs et de l'hospitalisation à domicile, qui est la condition de la réussite du texte. Sur ce sujet, des engagements précis et des moyens sont nécessaires, et nous vous aiderons à les obtenir. Il va de soi que le groupe socialiste votera ce texte.
Nous sommes, mes chers collègues, en train de procéder à une construction juridique nouvelle. Étape par étape, débat après débat, loi après loi, nous sortons la mort du silence et du vide juridique dans lesquels notre société l'avait enfermée. Nous bâtissons un droit, celui de la fin de vie, qui, parce qu'il touche de si près à l'essentiel, ne cessera plus d'évoluer. Non pour répondre à une quelconque injonction philosophique ou partisane, mais par souci d'humanité. Aider, comprendre, soulager, accompagner, donner enfin à chacun le soin de décider, non du moment de sa mort, ce qui n'appartient à personne, mais des conditions de sa mort : tel est le chemin sur lequel nous sommes engagés sans plus pouvoir revenir en arrière. (Applaudissements sur l'ensemble des bancs.)