La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à dix-huit heures.)
Monsieur le président, monsieur le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, la création variétale et la production des semences et plants de plantes cultivées sont un élément fondamental de la réponse aux mutations actuelles et à venir du monde agricole et, de façon plus large, de la société. En France, ces deux secteurs sont stratégiques aussi bien pour l'économie que pour la santé et l'environnement.
L'objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est notamment de maintenir à un niveau élevé cette création variétale, car celle-ci a un effet direct sur l'amélioration des rendements, l'augmentation du nombre de variétés disponibles, la résistance aux maladies en évitant l'usage des pesticides, la diminution de la consommation d'engrais chimiques, l'adaptation aux évolutions climatiques ou l'amélioration de la qualité nutritionnelle et organoleptique.
La France est le premier pays producteur de semences et plants au niveau communautaire et le deuxième exportateur au niveau mondial, avec un chiffre d'affaires de près de 2,5 milliards d'euros, dont 1 milliard à l'exportation. Notre balance commerciale dans ce domaine est excédentaire de près de 600 millions en 2011.
Avec la filière de la multiplication, la création variétale concerne soixante et onze entreprises dont 70 % sont des PME ou des coopératives, 9 000 distributeurs, 23 000 points de vente, 15 000 emplois directs et, au total, 18 000 agriculteurs multiplicateurs. Je veux souligner, pour ces derniers, qu'il s'agit souvent d'exploitations diversifiées, aux surfaces relativement faibles, mais dont la valeur ajoutée tient à l'activité semences.
Ce positionnement, gage de sécurité pour notre alimentation et pour l'approvisionnement des quelque 530 000 exploitations agricoles que compte le territoire national, garantit l'accès à des semences et plants adaptés aux conditions agro-pédo-climatiques et aux demandes des consommateurs. Ces réussites sont largement dues au système original et efficace de protection de la propriété intellectuelle qu'organise le certificat d'obtention végétale issu de la convention internationale UPOV que la France ne cesse de promouvoir. Le COV donne à son détenteur – l'obtenteur – un droit exclusif pendant une durée déterminée sur l'exploitation commerciale des variétés végétales qu'il a créées. La rémunération perçue sur les concessions ou licences octroyées permet de rentabiliser les recherches menées et de financer les suivantes. Ce financement est nécessaire, car l'invention d'une nouvelle variété exige des moyens financiers considérables et, en moyenne, une dizaine d'années de préparation. Le secteur des semences est celui dans lequel l'investissement dans la recherche et le développement est le plus significatif : on y consacre plus de 13 % du chiffre d'affaires, soit davantage que les secteurs informatique et pharmaceutique.
Mais le certificat d'obtention végétale encourage aussi la recherche. L'exception de sélection constitue, en effet, l'une des originalités du COV par rapport à l'autre grand modèle de protection de la propriété intellectuelle qu'est le brevet. Le COV permet d'utiliser librement et sans contrepartie les variétés existantes, même protégées, pour en créer de nouvelles et exploiter les fruits de cette création. Le brevet, au contraire, interdit, quels qu'en soient la forme ou l'objet, l'utilisation d'une invention brevetée ou de ses fruits sans accord du propriétaire du brevet et, bien évidemment, versement de droits à ce dernier.
Le système de l'obtention végétale encourageant davantage la recherche variétale, il est défendu par la France dans le cadre international. Il est toutefois urgent que notre pays ratifie la convention UPOV de 1991 si elle veut continuer à défendre le système du certificat d'obtention végétale au niveau international. Soixante-dix États l'ont déjà fait, dont vingt et un États membres de l'Union européenne. Alors que plusieurs dizaines de pays dans le monde n'ont pas encore choisi leur modèle de propriété intellectuelle sur les végétaux, la position actuelle de notre pays contribue à fragiliser le modèle équilibré du COV face à celui du brevet. Or il n'est pas admissible que quelques grandes firmes internationales s'approprient, à elles seules, les clés de l'alimentation mondiale.
Enfin, s'agissant de l'utilisation des semences de ferme, je rappelle qu'aujourd'hui, un agriculteur ayant acheté des semences de variétés protégées par un COV national n'a pas le droit de ressemer les graines récoltées. La proposition de loi permettra aux agriculteurs d'utiliser des semences de variétés nouvelles protégées issues de la récolte dans un cadre légal.
Ce texte poursuit donc les objectifs suivants : mettre la France en conformité avec la législation internationale relative à la protection des obtentions végétales afin de conforter le COV face au brevet ; légaliser la pratique des semences de ferme par un juste financement ; enfin, encourager la recherche sur les nouvelles variétés végétales.
L'article 1er A modifie la dénomination et le statut juridique du Comité de protection des obtentions végétales en le transformant en instance nationale intégrée au sein du Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences.
L'article 1er B permet d'appliquer aux semences, pour lesquelles les règles de contrôle datent de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes en ce qui concerne le commerce des semences et plant, ce qui est déjà prévu pour les bois et les plants de vigne.
L'article 1er reprend la définition que donne l'UPOV de la notion de variété végétale sur laquelle un droit de propriété intellectuelle peut s'appliquer.
L'article 2 définit les conditions de reconnaissance d'une obtention végétale susceptible de faire l'objet d'un COV. Il faut noter que l'obtention sanctionne un réel travail de recherche et non la simple découverte d'une variété existant déjà.
L'article 3 étend le droit d'exclusivité du titulaire du COV à l'ensemble des actes économiques concernant la variété, de la production à la distribution. Il s'agit d'un alignement sur la Convention UPOV de 1991 et sur le règlement européen. Le droit du titulaire du COV s'étend à la variété essentiellement dérivée de la variété initiale.
L'article 4 définit les limites des droits de l'obtenteur, notamment du privilège de l'obtenteur, prévoyant un libre accès à la ressource végétale protégée par le COV dans trois cas : les actes accomplis à titre privé et à des fins non commerciales – par exemple par les jardiniers amateurs – ; les actes accomplis à titre expérimental par les chercheurs ; et l'exception de sélection selon laquelle l'obtenteur d'une variété créée n'est pas redevable à l'obtenteur des variétés qui lui ont servi à cette fin. C'est ce dernier point qui permet de distinguer le brevet du certificat d'obtention végétale. Les droits de l'obtenteur sont, en revanche, maintenus en cas de nouvelle multiplication de semences.
L'article 5 définit, quant à lui, la nouveauté en matière de variété végétale.
L'article 6 permet à toute personne physique ou morale relevant d'un État membre de l'UPOV de déposer une demande de COV auprès des autorités françaises.
L'article 7 simplifie les tests nécessaires pour prouver que la variété obtenue est distincte, homogène et stable.
L'article 8 précise que les actes relatifs aux COV ne sont opposables à des tiers que s'ils ont fait l'objet d'une publication officielle.
Les articles 9 et 11 opèrent des modifications mineures.
L'article 10 crée une licence obligatoire d'intérêt public dans le cas où un obtenteur ne pourrait exploiter le COV qu'il détient. Cette licence existe déjà pour les variétés indispensables à la vie humaine et animale, pour les besoins de la défense nationale et si une invention biotechnologique présentant un progrès technique important en dépend.
L'article 12 prévoit que les COV peuvent être déclarés nuls par décision de justice lorsque la variété ne correspond plus aux conditions de distinction, d'homogénéité et de stabilité et lorsque le droit d'obtenteur a été attribué à une personne qui n'y avait pas droit, comme c'est le cas pour les COV européens.
L'article 13 transpose aux obtentions végétales les règles s'appliquant aux droits des salariés à l'origine des inventions en matière de brevets.
L'article 14 met en place un régime d'utilisation des semences de ferme sur les variétés protégées par un COV. Ce texte n'a donc pas pour objet d'interdire l'utilisation des semences de ferme, mais, bien au contraire, de l'autoriser. Pour ce qui est des modalités de rémunération, il a été choisi de laisser se dégager la voie la plus consensuelle possible dans le cadre d'un débat interprofessionnel ; il ressort des auditions menées que les discussions interprofessionnelles semblent le meilleur cadre pour trouver la solution la moins compliquée.
Précisons que le régime d'utilisation des semences de ferme ne concernait à l'origine que vingt et une espèces. Le texte adopté par le Sénat offre la possibilité d'ouvrir le dispositif à d'autres variétés : à titre d'exemple, il serait opportun d'ajouter à cette liste les cultures intermédiaires pièges à nitrate – CIPAN – désormais utilisées à grande échelle en France. Le texte prévoit, en outre, une exonération totale pour les agriculteurs qui produisent jusqu'à quatre-vingt-douze tonnes par an, ce qui correspond à la production d'une exploitation de douze à quinze hectares.
L'article 15 précise que la responsabilité civile n'est engagée qu'en cas d'atteinte volontaire aux droits du titulaire.
L'article 15 bis a été ajouté par la commission au Sénat pour permettre la mise en oeuvre effective des engagements pris par la France dans le cadre du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture – TIRPA –, la conservation de variétés anciennes du domaine public et l'accessibilité des citoyens aux échantillons de ces ressources.
Les articles 16 et 17 prévoient les modalités d'application de la loi dans le temps et dans certaines collectivités ultramarines
En conclusion, mesdames, messieurs, j'estime que cette proposition de loi est un texte équilibré et nécessaire. C'est pourquoi je n'ai pas souhaité déposer d'amendement et vous propose de l'adopter telle qu'elle a été votée par le Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur Thierry Lazaro, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi qui nous réunit ce soir est au coeur d'une bataille à laquelle j'attache une importance majeure : la bataille pour l'alimentation dans le monde. Nous sommes aujourd'hui sept milliards d'habitants sur la planète, nous serons bientôt neuf milliards. Si nous voulons subvenir aux besoins alimentaires de cette population, il va falloir augmenter la production agricole mondiale de 70 % dans les cinquante prochaines années. Nous n'y arriverons pas sans le soutien de la recherche agronomique. C'est la raison pour laquelle le plan d'action du G20 insiste sur le renforcement des efforts de recherche et d'innovation en matière agronomique.
En France, la recherche agronomique repose sur un modèle original et singulier de protection de la propriété intellectuelle : le certificat d'obtention végétale. Celui-ci vise à un équilibre entre protection du propriétaire et intérêt de l'utilisateur. La proposition de loi dont vous êtes appelés à débattre doit nous permettre de pérenniser ce système.
Derrière ce texte technique, les enjeux politiques et économiques sont essentiels. Il s'agit, d'abord, de consolider le modèle de protection original qu'est le certificat d'obtention végétale. S'il n'y a pas de certificat d'obtention végétale, c'est le modèle du brevet qui prendra le pas en captant toutes les nouvelles variétés performantes.
Non seulement la pratique des semences de ferme restera totalement bannie, mais nous perdrons en capacité d'innovation, car seul le certificat d'obtention végétale permet à chacun d'utiliser librement les résultats des recherches des autres. Les petites entreprises semencières telles que nous les connaissons en France disparaîtront au profit d'une poignée de multinationales ; à terme, ce sont tous nos paysans, soumis aux conditions économiques que ces dernières leur imposeront pour leurs semences, qui disparaîtront.
Autre enjeu majeur : rendre légale la pratique des semences de ferme, qui consiste à ressemer une partie sa récolte. Une telle pratique doit être autorisée, car c'est le privilège de l'agriculteur, mais elle ne peut être libre de droit comme elle l'est aujourd'hui. Nous sommes dans une situation de non-droit qui laisse les agriculteurs dans l'insécurité juridique et pose à l'État de sérieuses difficultés.
C'est pour toutes ces raisons que le vote de cette proposition de loi est crucial et que le Gouvernement y est favorable.
Lors du débat sur la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, j'avais pris l'engagement de rediscuter de ces enjeux avec vous. C'est ce que je fais ce soir, en essayant d'insister le plus possible sur les aspects économiques et stratégiques de ce choix pour notre filière. Je tiens à ce propos à saluer l'engagement déterminé de Thierry Lazaro, le rapporteur de cette proposition. Je remercie également le président de la commission des affaires économiques, Serge Poignant, pour la qualité des débats auxquels a donné lieu l'examen de ce texte.
Je remercie également l'opposition pour les amendements qu'elle a déposés et sur lesquels je me prononcerai après mon intervention.
Je l'ai dit, la recherche agronomique, c'est l'avenir de notre agriculture. N'opposons pas l'intérêt des obtenteurs et celui des agriculteurs. Une recherche forte, c'est une agriculture forte. Il n'y aura pas d'amélioration des rendements sans recherche agronomique. Nous avons besoin de sélections végétales, nous avons besoin de la recherche agronomique pour améliorer notre productivité et répondre à la demande alimentaire mondiale. Au siècle précédent, la moitié des gains de productivité agricole ont été dus aux avancées de la recherche dans le domaine génétique, beaucoup plus qu'à l'accroissement des surfaces plantées. S'il n'y avait pas eu de recherche génétique sur le blé en Europe, les rendements auraient chuté, et nous n'aurions pas eu assez de blé pour nourrir notre population.
Nous avons besoin également de la recherche agronomique pour mettre au point des variétés plus résistantes aux phénomènes liés au changement climatique. Où que vous alliez en France, que ce soit dans un secteur viticole ou un secteur de grande culture, la même question revient toujours : comment faire face aux aléas climatiques croissants, aux catastrophes naturelles de plus en plus grandes et aux problèmes spécifiques liés à la diminution des ressources en eau dans certains territoires ? La recherche agronomique est un moyen de répondre à ces difficultés.
Il n'y a pas d'agriculture durable sans innovation agronomique. Nous devons impérativement à l'avenir concilier maintien de la productivité agricole, maintien des rendements et respect de l'environnement. Cela passe aussi par la recherche agronomique.
Cela ne veut pas dire pour autant que nous cédons à toutes les nouveautés et que nous acceptons tous les produits de la recherche qui peuvent sortir ici ou là au mépris du principe de précaution, au contraire.
Vous me connaissez suffisamment pour le savoir. Le Conseil d'État vient d'ailleurs de rendre une décision sur le maïs génétiquement modifié Monsanto 810 en créant des conditions juridiques auxquelles nous devons répondre. Nous continuons de refuser la culture du MON 810 sur le territoire français et nous prendrons les décisions juridiques qui nous permettront d'en empêcher la culture. C'est dire si nous sommes capables de défendre l'intérêt général et non les intérêts particuliers de certaines multinationales.
Il n'y a pas non plus d'agriculture compétitive sans une recherche performante.
La France a un rôle leader en termes de recherche agronomique. Elle doit le garder. C'est aussi la compétitivité de notre agriculture, notamment dans le secteur des semences, qui est en jeu.
Cela dit, la recherche agronomique a un coût. Développer de nouvelles variétés végétales prend en moyenne dix ans et coûte 100 millions d'euros. Nous devons donc soutenir l'effort de recherche. C'est également l'objectif de cette proposition de loi : garantir la juste rémunération de la recherche par le paiement de droits sur les semences protégées.
C'est aussi, rappelons-le, l'une des raisons pour lesquelles le Gouvernement a décidé de consacrer 34 millions d'euros des investissements d'avenir au développement de la recherche agronomique. Avec cette proposition de loi, nous donnons un nouveau signal concret du soutien du Gouvernement à la recherche et à l'innovation en agriculture.
Cette proposition de loi est dans l'intérêt des agriculteurs parce qu'elle permet de clarifier et de simplifier les conditions d'utilisation de semences certifiées. Je l'ai dit, un grand nombre d'agriculteurs sont dans une situation de non-droit qui les gêne, et cela pose également un problème pour les sélectionneurs qui ne peuvent pas tirer le juste bénéfice de leur travail.
Pour la première fois, ce texte, dans son article 14, reconnaît le droit des agriculteurs à ressemer des graines protégées par un COV moyennant une contribution bien inférieure aux droits complets normalement dus à l'obtenteur.
Pour les petits agriculteurs, au sens de la politique agricole commune, c'est-à-dire ceux qui produisent l'équivalent de moins de 92 tonnes de céréales, ce droit aux semences de ferme sera totalement gratuit. C'est une façon de manifester notre soutien à ce type d'exploitations. Pour les autres agriculteurs, le texte prévoit la négociation d'un accord entre obtenteurs et agriculteurs, destiné à arrêter un juste niveau de rémunération pour les deux parties. Cela permettra de légaliser des situations de fait intenables dans un grand nombre d'exploitations.
Enfin, cette proposition de loi permettra de consolider le modèle français de protection de la propriété intellectuelle face aux tenants du système du brevet.
Dans notre système de certification, il y a un équilibre entre les droits du propriétaire et les droits de l'utilisateur, rappelé à l'article 4 de la proposition de loi. Dans le cas du brevet, c'est le propriétaire qui a tous les droits. Dans le cadre du COV, la protection est limitée aux usages commerciaux de la variété et de ses dérivés. Il reste donc possible de l'utiliser comme base pour développer de nouvelles variétés : c'est l'exception de sélection introduite à l'article 4.
Dans le cadre du brevet, toutes les utilisations d'une variété brevetée ou de ses fruits sont suspendues à l'accord du propriétaire et au versement de droits ; autrement dit, l'inventeur a des droits sur tous les produits développés à partir de son invention, même s'ils sont différents.
Le but des COV est donc d'éviter la situation hégémonique dans laquelle peut se trouver le propriétaire de semences, la privatisation des ressources naturelles par un petit nombre de firmes, notamment grâce au concept de dérivation essentielle introduit dans l'article 3 ; c'est d'éviter qu'un certain nombre de grands industriels propriétaires de semences et de brevets fassent main basse sur les semences et l'activité de nos petits exploitants agricoles. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
J'ai reçu de M. Yves Cochet et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à Mme Anny Poursinoff.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi adoptée par l'ancienne majorité sénatoriale appelle toute notre vigilance.
Une fois de plus, l'intérêt général que devraient rechercher les parlementaires et le Gouvernement est oublié au profit d'intérêts privés, rémunérateurs uniquement pour certains. Après les laboratoires pharmaceutiques et les industries de l'agroalimentaire, ce sont les grands groupes semenciers qui vont cette fois bénéficier de la complaisance gouvernementale pour accroître le cours de leurs actions.
Ce gouvernement, qui aime tant invoquer sa volonté de bannir les conflits d'intérêts, devrait s'interroger sur ses motivations profondes à faire voter ce texte.
En effet, contrairement à ce que vient d'expliquer M. le ministre, cette loi, si elle est adoptée en l'état, interdira aux paysans de réutiliser leurs propres semences à moins de payer des royalties à l'industrie semencière.
Les graines que j'ai apportées avec moi appartiennent à une variété paysanne. Aux termes du texte voté par le Sénat, l'agriculteur qui les a récoltées devient cependant un contrefacteur s'il les sème sans payer de royalties à l'industrie semencière. La récolte peut alors être saisie. Il est interdit d'échanger, de donner ou de vendre ces semences. Celui qui les conserve peut être puni de recel. Voilà ce qui est écrit sur ce sachet de graines qui m'a été remis tout à l'heure place Herriot par des manifestants venus s'insurger contre ce texte.
Une telle évolution est grave, car cela interroge tout le fonctionnement de notre société. Les répercussions dépassent le champ du monde agricole – n'y voyez aucun jeu de mots. Légiférer sur les semences utilisées par les agriculteurs, c'est en effet prendre des décisions qui nous concernent toutes et tous.
Certes, c'est toute la structuration des milieux agricoles et ruraux qui sera impactée par cette proposition de loi et, par-delà les conséquences économiques, n'oublions pas celles sur la biodiversité, mais j'y reviendrai. Je souhaite d'abord rappeler des évidences qui, malheureusement, semblent avoir été oubliées par certains.
Les semences sont le premier maillon de la chaîne alimentaire. De leur qualité dépend celle de notre nourriture. Pouvoir se nourrir avec des aliments sains et de qualité est une exigence que nul ne peut remettre en question : il y va de notre santé. S'il y a des menaces sur la diversité des produits agricoles, c'est la qualité de notre alimentation qui est menacée.
Lors des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et lors des discussions sur le budget de la santé, j'ai eu l'occasion de mettre en avant les liens indissociables qui existent entre alimentation et santé, entre agriculture et santé publique. Les liens de causalité établis entre les cancers et les pesticides en témoignent, de même que les effets des aliments trop sucrés, trop salés ou trop gras sur les maladies cardio-vasculaires, l'hypertension artérielle, le diabète, l'obésité. Là aussi, les intérêts des industries agroalimentaires vont à l'encontre de l'intérêt général.
Notre modèle agricole doit être refondé afin de ne plus permettre aux intérêts particuliers de dicter leurs conditions, qui sont imposées au détriment de notre santé et de celle des générations futures, de notre environnement, de l'emploi rural et des paysans.
Le système actuel, issu des logiques productivistes de l'après-guerre, fait la part belle à l'agrandissement, à l'hyperspécialisation et à l'industrialisation exacerbée des exploitations agricoles. Pourtant, cette recherche effrénée de l'augmentation des rendements, au détriment de la qualité, a montré ses limites. On assiste à la disparition des petites fermes au profit d'unités industrielles, à l'organisation de circuits commerciaux centralisés, à la concentration des unités hors sol, au recours systématique à la chimie, au développement de l'élevage intensif.
L'intensification des méthodes de production a pour corollaires la disparition des paysans et la désertification des campagnes, l'explosion des pollutions d'origine agricole, la gabegie des ressources naturelles et la consommation effrénée des énergies fossiles.
Face aux effets dévastateurs du système agricole actuel, l'attitude du Gouvernement est incompréhensible.
Deux exemples récents illustrent mon propos.
Le 11 octobre dernier, vous avez signé un décret qui accentuera la pollution des sols et du littoral en permettant l'augmentation des zones d'épandage d'azote. Est-il encore nécessaire de rappeler que la prolifération des algues vertes génère des gaz toxiques et qu'elle est due aux rejets azotés de l'élevage industriel et de l'épandage d'engrais ? Ce nouveau décret illustre toute votre complaisance à l'égard d'un modèle agricole dépassé. L'Europe elle-même condamne votre attitude. Si la France n'adopte pas les mesures nécessaires, la Commission européenne a annoncé qu'elle pourrait saisir la Cour de justice de l'Union européenne.
Second exemple : le Cruiser, insecticide à l'origine de la surmortalité des abeilles, ces sentinelles de l'environnement. Chaque année, le Conseil d'État annule l'autorisation de mise sur le marché mais, à chaque fois, la décision intervient après les semis, c'est-à-dire trop tard. Le Cruiser est donc bel et bien appliqué tous les ans sur un grand nombre de semences, en dépit des conséquences sanitaires et environnementales connues et reconnues.
Ces inepties ne sont plus tolérables. Les responsables politiques français doivent porter la voix du changement, en France mais aussi au niveau européen, via la PAC, et à l'OMC.
Il n'aura échappé à personne que nous vivons dans un monde globalisé. Notre politique agricole a des répercussions immédiates sur la souveraineté alimentaire, le prix des denrées, la rémunération des acteurs, la biodiversité, en France et dans le reste du monde. Les conséquences du dumping organisé par le biais de la PAC sont dramatiques, notamment dans les pays dits du Sud, où les systèmes agricoles ont été affaiblis et maintenus dans un sous-développement scandaleux. Les pays les plus fragiles sont les plus exposés ; ce sont donc leurs populations qui risquent le plus, en termes de souveraineté alimentaire comme en termes de famines.
Je le répète, l'agriculture n'est pas un simple acte de production. Parce qu'elle assure la réalisation d'un besoin fondamental, l'alimentation, elle ne peut décemment pas être soumise au risque de pénurie ou aux effets d'opérations de spéculation malveillantes. C'est pourquoi des outils de régulation sont nécessaires. Les actuelles négociations sur la réforme de la PAC doivent être l'occasion de promouvoir une autre agriculture. Nous avons déjà eu l'occasion de vous présenter les nombreuses propositions écologistes pour une PAC renouvelée. Je ne reviendrai pas vous les détailler ; je vous ai remis sur le sujet une contribution écrite précise, jointe au rapport n° 3610 sur l'avenir de la PAC.
S'agissant de cette PAC renouvelée, le message que je souhaite rappeler ici – car il fait échos aux enjeux de cette proposition de loi – est simple : nos paysans doivent pouvoir vivre dignement de leur travail et produire une alimentation saine et de qualité. C'est pourquoi nous voulons favoriser une agriculture paysanne, locale, avec des circuits courts de distribution et tendant vers l'agriculture biologique. À cet effet, des mécanismes de soutien aux petites fermes et d'appui à l'emploi et aux exploitations dans des territoires isolés doivent être mis en place.
C'est également en vue de cet objectif que nous revendiquons une recherche publique participative et forte. Enfin, je me dois d'évoquer notre engagement sans relâche pour l'interdiction des OGM ainsi que des brevets sur les semences et le vivant.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui doit être replacée dans ce contexte. Cloisonner les enjeux n'est pas raisonnable, surtout quand ceux-ci sont profondément liés. Disons-le clairement, toute taxe sur les semences de ferme aura des répercussions sur l'organisation globale du système agricole. La survie des petites fermes est en jeu. Or nous voulons des paysans libres et indépendants ; c'est une garantie contre la menace d'uniformisation des cultures et de notre alimentation.
Si le système des certificats d'obtention végétale semble plus intéressant que celui des brevets, il n'en demeure pas moins que cette proposition de loi menace un des droits fondamentaux des agriculteurs, celui de ressemer librement leur propre culture. Il ne s'agit pas de s'opposer mécaniquement à toute rémunération de l'obtenteur : il est normal que la protection conférée à ce dernier par un certificat d'obtention végétale s'étende à toute commercialisation de la variété qu'il a sélectionnée. C'est une façon de rémunérer le travail des semenciers. En revanche, cette protection ne peut en aucun cas s'étendre à la récolte ni aux semences produites par les agriculteurs eux-mêmes. Ceux-ci ont acquitté leur contribution en achetant leurs semences ; il n'y a aucune raison qu'ils payent indéfiniment, à chaque fois qu'ils utilisent leurs propres semences et non celles de l'obtenteur. C'est la juste part de revenu pour l'obtenteur, et pas plus, qu'il faut organiser.
Je reprendrai à cet égard l'illustration de la sénatrice Marie-Christine Blandin : « Jamais les droits d'auteur n'ont empêché d'autres peintres de se nourrir des mêmes sources d'inspiration. Et jamais prix Nobel n'a revendiqué qu'après lui plus personne ne se penche sur la résonance magnétique ou la lumière cohérente, à moins de lui verser des royalties. Le vivant ne saurait être un domaine dans lequel seul le marché ferait la règle. » Hélas, il semblerait que les auteurs de cette proposition de loi soient animés par d'autres considérations !
En France, le principe de l'exception de sélection autorisait jusqu'à présent l'utilisation libre et gratuite de toute variété protégée par un COV pour sélectionner une nouvelle variété. Cette exception a facilité les mutualisations d'innovations et favorisé la diversité cultivée.
Aujourd'hui, la majorité présidentielle veut aller plus loin. Elle souhaite généraliser à toutes les variétés l'accord interprofessionnel qui existe depuis 2001 sur le blé tendre. Il s'agit donc d'obliger les paysans à payer des droits pour toutes les semences de ferme sans distinction. Ce texte constitue une menace pour l'existence même des semences de ferme, qui remplissent pourtant des fonctions essentielles.
Elles présentent tout d'abord un intérêt environnemental évident. Taxer les semences fermières ou les interdire, c'est tout d'abord se priver de la création de variétés adaptées aux conditions climatiques de chaque territoire. Protéger et défendre les semences de ferme, c'est favoriser la biodiversité des espèces cultivées.
Autre avantage : leur utilisation permet de diminuer de 50 % les produits phytosanitaires et de diviser par deux les insecticides utilisés. L'agriculteur peut en effet adapter les doses choisies, ce qui conduit en règle générale à un moindre dosage. Les paysans peuvent alors également décider de ne pas enrober leurs semences. À cela s'ajoutent des économies de transport, la sécurité d'approvisionnement et la préservation de la souveraineté alimentaire. En produisant directement leurs propres semences, les agriculteurs garantissent la pérennité du premier maillon de la chaîne alimentaire.
Les semences de ferme présentent également un intérêt économique évident pour les agriculteurs. Plus de la moitié des semis français se font avec des semences de ferme, car la majorité des paysans ressèment une partie de leurs récoltes. Ce sont ainsi 200 000 agriculteurs qui produisent eux-mêmes leurs semences, ce qui équivaut à une valeur d'autoproduction de 150 millions d'euros et à une réduction des charges des exploitations agricoles de l'ordre de 60 millions d'euros par an. Cela contribue à diminuer le coût des intrants, puisque ceux-ci sont moins, voire pas du tout nécessaires. Cela permet donc aussi de soutenir le développement de l'agriculture biologique.
Le troisième avantage est d'ordre social. Les semences de ferme valorisent l'emploi rural et revitalisent les territoires. Elles sont d'ailleurs utilisées par 56 % des agriculteurs âgés de moins de trente-cinq ans.
Compte tenu de l'importance de ces semences de ferme, on peut s'interroger sur les motivations profondes de la proposition de loi. L'application de ce texte entraînerait vraisemblablement un prélèvement supplémentaire sur le revenu des agriculteurs français d'environ 35 millions d'euros. Ce à quoi il convient d'ajouter l'augmentation du prix des semences commerciales consécutive à la disparition de l'alternative que représentent aujourd'hui les semences de ferme.
Qui profitera donc de cette mesure proposée par la majorité présidentielle ? On l'aura compris, ce ne sont pas les petits agriculteurs, les petits maraîchers, celles et ceux qui produisent et vendent en circuits courts en se passant de pesticides. Au prétexte de rémunérer leur recherche, et en oubliant que celle-ci a bénéficié gratuitement de millénaires de recherches paysannes en utilisant des semences prélevées dans les champs, il s'agit uniquement d'augmenter les profits des semenciers. Vous entendez dès lors forcer les paysans à acheter des semences standards et dépendantes des produits chimiques. On a déjà vu des tentatives commerciales du même acabit, avec les OGM et les hybrides F1.
Certes, la brevetabilité du vivant est un sujet complexe, mais, pour les semences, les mérites de la complexité d'une oeuvre collective ne peuvent pas revenir aux seules grandes multinationales. Rappelons-le, toutes les plantes agricoles sont issues de semences sélectionnées et conservées de génération en génération par les paysans. S'abriter derrière de prétendus droits de propriété intellectuelle ou invoquer les risques de contrefaçon est une relecture dangereuse de notre histoire.
Par-delà le caractère collectif de cette oeuvre, je souhaite également souligner les effets de la nature elle-même dans cette évolution. Les multiplications successives d'une partie de la récolte dans un même environnement font apparaître des caractères nouveaux d'adaptation à cet environnement. Une telle adaptation se fait donc pour partie d'elle-même ; il y a adaptation naturelle des semences à l'environnement local, et ce malgré les tentatives des firmes semencières de tout contrôler, via les brevets, les OGM, les hybrides F1 et autres.
Les hybrides F1 sont des variétés obtenues par hybridation de deux lignées génétiques distinctes. Ces croisements donnent naissance à une première génération de semences très productives et homogènes, mais non reproductibles. Les récoltes sont donc standardisées et les semences doivent être rachetées tous les ans. Un tel contrôle est dangereux pour notre biodiversité et notre richesse culturelle.
La diversité de la biodiversité fait partie de notre patrimoine mondial. Dans son deuxième rapport sur l'état des ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture dans le monde, paru en 2010, la FAO estime que 75 % des variétés cultivées ont disparu entre 1900 et 2000.
Cette proposition de loi comporte donc un double danger : la réduction de la biodiversité cultivée, du fait du remplacement des semences paysannes par des semences standardisées pour les besoins de l'industrie, et la fin du libre accès des paysans à leurs semences au nom d'illégitimes droits de propriété intellectuelle. Il n'est pas admissible d'interdire aux paysans d'échanger leurs semences, de ressemer une partie de leur récolte ou de leur imposer le paiement de royalties pour pouvoir le faire.
Cette proposition de loi, notamment à ses articles 3, 4 et 14, aura des conséquences graves, pour le monde agricole mais aussi pour la biodiversité et toute la richesse de notre planète. Ses conséquences ne seront pas cloisonnées à notre seul territoire ; tous les continents et tous les peuples sont concernés.
D'ailleurs, ce texte est insuffisant au regard des engagements pris par la France lors de la signature en 2005 du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture, le TIRPAA. Ce traité reconnaît notamment l'apport passé, actuel et à venir des agriculteurs et agricultrices à la conservation de la biodiversité. Or votre proposition de loi s'inscrit en contradiction avec ce traité, notamment avec ses articles 5, 6 et 9, relatifs au droit de ressemer et d'échanger les semences produites à la ferme, au partage équitable des avantages, à la protection des savoirs naturels et à la participation des paysans et paysannes aux décisions sur la biodiversité.
À l'inverse de ce qui est proposé ici, nous avons besoin d'une loi qui reconnaisse de façon positive les droits des agriculteurs, qui, de même que ceux des jardiniers et des artisans semenciers, ne doivent plus être des dérogations sans cesse remises en cause. Il faut que la loi reconnaisse ces droits inaliénables ; telle doit être l'ambition du législateur.
Les intérêts que vous défendez ce soir ne sont pas ceux de tous les paysans ni ceux des générations futures. Pourtant, le législateur a le devoir de garantir le respect des droits de l'ensemble des acteurs, petits ou grands, ainsi qu'un modèle agricole durable permettant aux générations futures de disposer de ressources nécessaires à leur alimentation.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous demandons le rejet de ce texte. Le droit inaliénable des paysans à ressemer, échanger librement et gratuitement leurs semences de ferme, garant de la souveraineté alimentaire, doit être protégé. À l'inverse de ce qui est envisagé par le présent texte, nous souhaitons une loi de reconnaissance positive des droits des agricultrices et agriculteurs. Au nom de la biodiversité et du respect du droit fondamental des paysans de ressemer leurs propres récoltes, nous appelons à voter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Le ministre est convaincu, et la commission en reste sans voix ! (Sourires.)
Nous en venons donc aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le groupe GDR.
Nous comprenons bien, à l'absence de réaction de la commission, qu'il faut expédier cette affaire au plus vite ! D'où l'intérêt de ne pas présenter d'amendement, compte tenu du changement de majorité sénatoriale : vous ne vouliez pas vous exposer à des désagréments. Vous qui êtes à la manoeuvre au plus haut, monsieur le ministre, vous voyez de quoi je veux parler !
La défense de la motion par notre collègue Anny Poursinoff, qui a bien souligné la complaisance gouvernementale, était tout à fait convaincante. À la lecture de ce texte, on acquiert au moins une certitude : c'est qu'aucune disposition n'est défavorable à Monsanto et consorts, que vous protégez. Nous y reviendrons : car ce dont il est question de soir, ce n'est pas de l'intérêt général, mais des intérêts de groupes qui se moquent éperdument de l'avenir de la planète et de la qualité de l'alimentation.
Nous avons pourtant besoin, et je vois M. Censi qui m'approuve, d'une agriculture de qualité, pourvoyeuse d'emplois ruraux, qui contribue à revivifier nos territoires ruraux. Monsieur le président, vous connaissez bien l'Auvergne, mieux que moi.
On n'a pas raison de tout croire, mais dans le cas particulier, vous avez raison. (Sourires.) J'ai eu le privilège de passer des vacances chez vous, (Rires) je veux dire en Auvergne. Et qu'ai-je vu lors de mes randonnées ? Des villages déserts, abandonnés, des sous-bois non entretenus, des maisons qui ne se vendent plus. Tout simplement parce qu'on a laissé tomber la petite agriculture.
Ça oui, il est très facile de se perdre, car il n'y a plus personne dans les maisons à qui demander son chemin !
Nous vivons, cela a été dit, dans un monde globalisé. Mais cela ne signifie pas, monsieur le ministre, qu'il faille renoncer à des politiques autonomes, différentes, qui confortent des choix politiques conformes à nos propres modèles, à des modèles que nous essayons parfois de faire partager.
Nous, nous proposons donc une politique essentiellement – au sens philosophique du terme – différente de l'alignement.
Enfin, du point de vue à la fois philosophique et scientifique, vous remettez en cause la théorie de l'évolution, monsieur le ministre. Vous êtes en train de rejoindre le créationnisme, à ceci près que, pour vous, Dieu s'appelle Monsanto (Rires et exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP),…
Oh non !
…ou autre d'ailleurs, car il y a du pluralisme religieux en ce domaine. En effet, qu'est-ce que Darwin et la théorie de l'évolution ? Darwin est celui qui a mis en évidence une donnée capitale : la sélection naturelle se fait d'une façon totalement aléatoire. C'est cela qui garantit, au fil des millénaires, la biodiversité. Mais pour vous, il n'y a pas de sélection naturelle : c'est la sélection boursière ! Qu'est-ce qui rapporte ? Monsanto. Vous décidez donc de donner à Monsanto un privilège créationniste. Oui, c'est une question philosophique, économique et scientifique. Je vois, monsieur Le Maire, que vous n'aviez pas vu le sujet ainsi.
C'est trop intelligent pour moi, monsieur Brard ! (Sourires.)
J'en suis pourtant très étonné, connaissant votre curiosité intellectuelle. Mais vous aviez bien compris qu'il est des sujets, comme Tartuffe le disait, qu'il ne faut point évoquer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur Brard, je vous rappelle que le fait d'en appeler au président de séance ne vous autorise pas à dépasser le temps de parole imparti.
La parole est à M. Pascal Brindeau, pour le groupe Nouveau Centre.
Je prendrai moins de deux minutes pour indiquer que les députés du Nouveau Centre ne voteront pas cette motion de rejet dans la mesure où Mme Poursinoff a pour l'essentiel développé des arguments qui l'amènent à rejeter le principe même de la proposition de loi alors que nous sommes précisément ici pour en débattre. Il s'agit de conforter le système des COV afin de nous éviter de tomber sous le régime des brevets, et même s'il subsiste un certain nombre d'interrogations dont nous allons débattre, il est absolument nécessaire que nous puissions débattre de cette proposition de loi. Nous rejetons donc évidemment la motion de rejet.
Nous nous opposons évidemment avec force à la motion de rejet préalable, mais je prendrai le temps de faire trois remarques.
Tout d'abord, comme d'habitude, j'ai été gêné par la façon dont notre collègueAnny Poursinoff a tiré à boulets rouges sur ce texte.
C'étaient des boulets verts ; les boulets rouges, c'est moi ! (Sourires.)
Quand les boulets verts vont très vite, ils rougissent. (Sourires.) Vous aussi pourriez rougir, monsieur Brard, après votre intervention. Je regrette profondément la position de votre groupe parce que notre rôle est de défendre l'excellence et la singularité du modèle agricole français, à mes yeux exemplaire au niveau mondial. C'est ce que nous nous attacherons à faire dans le débat qui va suivre.
Ensuite, j'ai été quelque peu étonné par la description apocalyptique que vous avez faite de l'Auvergne, cher collègue Jean-Pierre Brard. Certes, cette région est très loin de Montreuil, mais votre vision ne correspond pas du tout à celle que nous en avons ; sans doute ressemble-t-elle davantage aux souvenirs que vous devez avoir gardés des Carpates, alors noyés dans les brumes les plus sinistres.
Ni l'Auvergne ni l'Aveyron, qui possèdent des génies que vous n'ignorez pas (Sourires),…
…ne ressemblent à votre description.
Enfin, il faut, c'est évident, nous dépêcher de discuter de ce texte car la situation d'aujourd'hui ne nous paraît pas favorable sur le plan de la propriété intellectuelle des semences – pas plus qu'à vous, d'ailleurs, mais nous n'avons pas les mêmes opinions et la même vision sur la façon de l'améliorer. Dépêchons-nous donc de débattre du texte…
…car mieux vaut mettre en place le plus rapidement possible le nouveau COV pour éviter que le brevet et une certaine idéologie plutôt anglo-saxonne ne prennent le pas dans les débats mondiaux.
J'ai bien entendu que ceux qui s'opposent à la motion de rejet voudraient débattre de la proposition de loi ; mais c'est précisément, je le rappelle, ce que nous avons essayé de faire en commission. Nous tenons à ce propos à remercier le président de la commission, qui a accepté de procéder à des auditions, notamment d'agriculteurs et de représentants d'organisations agricoles, pour discuter des COV. Peut-être ne vous a-t-on pas transmis les comptes rendus, monsieur le ministre, mais nous avons entendu la FNSEA, la Confédération paysanne, la Coordination rurale et les semenciers ; or seule la FNSEA était pour ce texte !
La Confédération paysanne et la Coordination rurale, soit deux organisations agricoles sur trois, étaient contre. Ajoutons que nous sommes nombreux à avoir reçu force mails en ce sens et, dans nos permanences, bien des agriculteurs mobilisés contre cette proposition de loi.
Vous nous avez expliqué, sans doute en toute bonne foi, que les agriculteurs attendaient cette loi, qu'ils la voulaient absolument. Pardonnez-nous, mais ce n'est pas du tout ce qu'ils nous ont dit. Nous sommes donc ici aujourd'hui pour porter leur voix dans l'hémicycle.
Il est vrai que ce qui fait souci, ce sont bien les semences de ferme, pas le COV. Nous, nous voulons protéger les paysans et les agriculteurs,…
…mais ce n'est pas avec ce texte qu'ils le seront.
C'est pourquoi nous allons bien sûr voter la motion de rejet préalable. Mais nous continuerons à insister sur les avantages des semences de ferme et sur les inquiétudes qu'expriment à leur sujet les agriculteurs et que l'adoption de ce texte ne lèvera pas. Nous espérons toutefois que ces dispositions seront discutées et nos amendements acceptés. Malheureusement, on nous a annoncé la couleur dès la première réunion de la commission : ce serait bien d'émettre un vote conforme à celui du Sénat pour aller le plus vite possible. Certes, nous avons quelque peu différé le vote en commission dans la mesure où nous avons pu avoir un débat, qui a été très intéressant, et auditionner les principaux acteurs du monde agricole. Aujourd'hui, nous sommes ici pour défendre les territoires ruraux, les paysans et les semences de ferme. C'est pourquoi, je le redis, nous voterons la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Très bien !
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a pour objet de retranscrire dans le droit français la législation européenne relative au système de propriété des variétés végétales. Celui-ci est régi actuellement dans notre pays par les certificats d'obtention végétale. Tout le monde s'accorde reconnaître les avantages spécifiques de ce système. À ce jour, 77 000 certificats ont été enregistrés et l'industrie semencière française se classe première au niveau européen et deuxième à l'échelle mondiale. Les COV garantissent une rémunération du travail de recherche tout en permettant l'utilisation libre et gratuite de toute variété protégée lorsqu'il s'agit de sélectionner une nouvelle variété.
À l'opposé, le système des brevets, en autorisant l'appropriation du vivant à des fins commerciales, a certes permis aux multinationales semencières, telle Monsanto, de se gaver de profits, mais il a en contrepartie mis le couteau sous la gorge de milliers d'agriculteurs. À ce sujet, monsieur le ministre, permettez-moi de vous interroger sur l'état d'avancement des négociations du traité ACTA – l'accord de commerce anti-contrefaçon –, qui n'a pas été évoqué jusqu'à présent. Celui-ci a vocation à régir la propriété intellectuelle en général, dont celle des semences végétales. Au vu du climat actuel, on peut craindre un renforcement du système des brevets et de la propriété du vivant que nous combattons avec force. Qu'en est-il exactement ?
J'en reviens au texte qui nous occupe. Si les COV font consensus, pourquoi alors la proposition de loi a-t-elle soulevé autant de critiques et de résistances dans le monde agricole ? Je pense notamment à l'appel lancé par dix-huit organisations aussi diverses que la Confédération paysanne, ATTAC, Les Amis de la Terre, les Chrétiens du monde rural et la Coordination nationale pour la défense des semences fermières. Cet après-midi, des agriculteurs ont manifesté devant l'Assemblée pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme une attaque sans précédent contre les droits fondamentaux des paysans. Vous avez des références historiques, monsieur le ministre : vous comprendrez donc que je regrette le temps de la Convention nationale, quand les gens pouvaient venir eux-mêmes porter leur parole, que les députés étaient obligés d'écouter. Tandis qu'ici, nous sommes enfermés à double tour, ce qui vous permet, monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité, de débrancher vos sonotones pour vous mettre à l'abri de la protestation des paysans.
C'était aussi le temps de la guillotine : il est heureux qu'il soit révolu !
Vous savez bien, mon cher collègue, que la guillotine humanisa les pratiques précédentes, et depuis, nous avons encore progressé. Non pas grâce à vous, mais grâce à un certain Robert Badinter…
…qui défendit le projet de loi sur l'abolition de la peine de mort alors que vos collègues étaient contre.
Mais vous m'avez amené à digresser. Revenons, si vous le voulez bien, au sujet de cet après-midi.
Nous savons d'ores et déjà qu'une refonte de la législation européenne en la matière est prévue pour 2014-2015. N'est-il donc pas quelque peu inutile de faire adopter à la hussarde une législation dont on sait qu'elle sera caduque dans deux ans ? N'est-il pas inutile de braquer ces organisations paysannes à l'heure où l'Union européenne travaille avec elles pour rédiger la nouvelle législation ? La France et son industrie semencière ont bien survécu à vingt ans de vide juridique : nous aurions donc pu largement attendre encore deux ans. Monsieur le ministre, tenez-vous à ce point à ce qu'une loi porte votre nom pour y mettre subitement tant d'enthousiasme alors que personne ne vous demandait rien, en tout cas pas les organisations que j'ai évoquées ? Vous faites le choix du passage en force en présentant un texte sans concertation, totalement inadapté à la réalité de l'agriculture d'aujourd'hui.
L'essentiel de nos critiques se concentre sur l'article 14 de la proposition de loi.
Dans notre pays, 50 % des semences utilisées sont autoproduites par les agriculteurs. Or sur le modèle du blé, vous souhaitez leur imposer le paiement de royalties. Nous ne sommes pas dupes des intérêts que vous servez en faisant adopter une telle proposition de loi. La manoeuvre est claire : elle vise à dégager de nouveaux marchés pour une industrie semencière pourtant déjà très rentable. Celle-ci a d'ailleurs fait ses calculs et estime le profit potentiel à 300 millions d'euros. Quel pactole, monsieur Lazaro ! Comment pouvez-vous le justifier ? Je sais bien que quand on aime, on ne compte pas ; mais tout de même, cela fait beaucoup de sous offerts aux monopoles de l'industrie semencière !
Cette opération se fait sur le dos des agriculteurs dont on connaît la situation difficile. Alors que les parlementaires ont voté un abaissement de la fiscalité de 210 millions pour les agriculteurs, vous les soumettez à un nouveau prélèvement de 300 millions. Ce que vous et vos collègues avez lâché de la main gauche, si j'ose dire, vous le reprenez de la main droite – ce qui, après tout, est bien naturel chez vous –, au profit du privé !
Rappelons que 30 % des semences d'orge, 60 % des semences de pois et 80 % des semences de féveroles sont autoproduites – et mon collègue André Chassaigne, beaucoup plus compétent que moi sur le sujet, aurait pu détailler davantage. Après l'adoption de cette loi, les agriculteurs devront payer des royalties sur cette part de leur récolte.
L'argument selon lequel ces taxes serviraient à rémunérer la recherche ne tient pas. Nous sommes déjà très compétitifs en la matière, nul besoin de saigner davantage les agriculteurs. Si votre majorité veut renforcer la recherche, mes chers collègues de l'UMP, qu'elle lui donne les moyens financiers nécessaires, notamment aux lycées agricoles et à l'INRA !
Dans son article 14, cette proposition de loi ne reconnaît que vingt et une espèces autoproduites. Monsieur le rapporteur, vous avez dit : nous allons légaliser les semences de fermes. Quelle drôle de façon de présenter la réalité ! En fait, vous allez réduire à vingt et un le nombre des semences de fermes.
C'est très important d'expliquer ce que cache votre phraséologie aux gens qui nous regardent, notamment dans les fermes où, en cette mauvaise saison, des paysans suivent le débat sur internet. Vous aurez des comptes à leur rendre, à ces paysans !
Ah ça, pour les connaître, vous les connaissez ! Et vous essayez de les embobiner en leur racontant de belles histoires, certainement parce que nous sommes à la veille de Noël !
Vous essayez de récupérer les bobos de Montreuil qui votent pour les Verts, monsieur Brard !
Vous ne pouvez pas dire le contraire : vous limitez à vingt et un, et pas davantage, le nombre des semences de ferme autorisées dans les conditions décrites. Démontrez-nous le contraire !
Pour les autres semences, l'agriculteur autoproduisant sera considéré comme un contrefacteur ; sa récolte sera détruite. Je pense notamment à la culture de la moutarde fourragère ou autre phacélie imposée par l'Union européenne sur les terrains nus pour lutter contre l'azote. Elles ne font pas partie de la liste des vingt et un produits cités. Les agriculteurs seront contraints de les acheter chaque année aux industriels, pour un coût qu'ils ne pourront soutenir.
Votre proposition de loi est inadaptée à la réalité du terrain. En interdisant les échanges, la vente et les dons des semences fermières, vous allez à l'encontre d'une pratique séculaire et vitale pour les paysans. Sans dons ou échanges de semences de ferme, peu d'agriculteurs auraient pu passer sans dommage les épisodes climatiques récents tels que la sécheresse du printemps dernier.
Au-delà de l'économie qu'elles facilitent, les semences de ferme maintiennent sur les exploitations un stock semencier ajustable, indispensable pour réagir au jour le jour aux aléas climatiques, aux destructions par les prédateurs et autres événements imprévisibles.
Dernier point : en vous attaquant aux semences de ferme, vous allez à l'encontre des objectifs du Grenelle de l'environnement en matière de biodiversité et de lutte contre la pollution.
Il y aurait bien d'autres choses à dire, monsieur le ministre. En vous écoutant tout à l'heure, je me disais : « Et pourtant, son ADN est marqué d'une croix de Lorraine ». Je suis en train de relire les mémoires du général de Gaulle, lui qui savait dire « non » même à Roosevelt, même à Churchill. Vous, vous ne savez pas dire « non » à Monsanto.
Je viens de dire « non » à Monsanto, monsieur Brard !
Décidément, la croix de Lorraine s'est effacée de votre ADN. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis l'inscription à l'ordre du jour de cette proposition de loi, les députés du groupe Nouveau Centre sont réservés face aux dispositions proposées. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Ça commence bien, n'est-ce pas, chers collègues ?
Nos réserves ne portent pas sur le certificat d'obtention végétale en lui-même, dont vous avez rappelé, monsieur le ministre, qu'il s'inscrivait dans un débat et même dans un combat beaucoup plus large : la capacité de notre agriculture à nourrir la planète dans le futur et la défense de notre modèle agricole français et européen. Nos réserves concernent la question des semences de ferme.
Après avoir participé au débat, nous avons pu étayer notre réflexion, mais des questions importantes subsistent. Au nom du groupe centriste, je remercie le président de la commission, M. Serge Poignant, qui a permis la richesse des échanges et des auditions à la hauteur de l'enjeu qui nous occupe aujourd'hui.
Cette proposition de loi revêt plusieurs intérêts majeurs pour les semenciers français et pour l'agriculture française en général. En effet, à défaut de pouvoir augmenter les surfaces cultivées, les agriculteurs s'efforcent d'améliorer constamment les rendements. Face aux crises sanitaires, au réchauffement climatique qui menace les rendements et à la question de la disponibilité des terres agricoles, il nous faut produire plus et mieux, ce qui est absolument impossible sans le développement de la recherche.
Dans cette optique, la sélection végétale est une activité majeure. La France est d'ailleurs le premier producteur et le deuxième exportateur mondial de semences, grâce à soixante-quatorze entreprises de sélection. Et dans cette filière, les agriculteurs ont toujours tenu une place importante.
Lors des travaux en commission, nous avons cherché ensemble les dispositions législatives permettant d'atteindre un équilibre. Or le modèle qui permet de défendre un juste équilibre entre la protection du propriétaire et l'intérêt de l'utilisateur – c'est-à-dire l'agriculteur –, c'est le certificat d'obtention végétale. Cela ne souffre pas de contestation, même notre collègue Brard l'a reconnu.
Seulement sur ce point, cher ami !
Le certificat d'obtention végétale limite la protection aux usages commerciaux de la variété et de ses dérivés ; il reste cependant possible d'utiliser la variété comme base pour en développer de nouvelles. Le COV se différencie en cela du brevet, selon lequel toute utilisation d'une variété brevetée ou de ses fruits est suspendue à l'accord du propriétaire et au versement des droits attachés. Avec le brevet, l'inventeur a des droits sur tous les produits développés à partir de son invention, même s'ils sont différents. Nous rejetons cette logique et nous estimons que le certificat d'obtention végétale constitue une juste reconnaissance de la propriété intellectuelle sur l'innovation dans le domaine du végétal.
Notre modèle national de certification végétale n'est plus adapté aux cadres européen et international, d'où la nécessité de légiférer. En 1991, la convention sur les obtentions végétales a été révisée de manière substantielle.
Cette convention réaffirme tout d'abord la primauté du système de protection de la propriété intellectuelle par le certificat d'obtention végétale sur le système de protection par les brevets, ce qui constitue notre revendication fondamentale. En outre, elle applique le système des certificats à toutes les espèces végétales et étend les droits de l'obtenteur aux différents actes permettant l'exploitation de la semence. Enfin, elle légitime et encadre la pratique des semences de ferme, que la France ne reconnaissait pas jusqu'à aujourd'hui, mais qui est nécessaire au fonctionnement de la filière.
C'est cette question des semences de fermes qui fait polémique. Malgré le processus d'examen en commission, demeurent des questions que nous souhaitons reformuler et auxquelles nous aimerions des réponses précises.
Tout d'abord, peut-on estimer sur le fond que la semence de ferme ne diffère pas de la semence initiale sur le plan génétique ? Si le produit n'est pas transformé d'une année sur l'autre du point de vue génétique, il faut donc arriver à une juste rétribution du travail de recherche qui a été fait sur la semence de base.
Ensuite, et il s'agit d'une question primordiale, existe-t-il des mesures de différenciation entre les petits producteurs et les producteurs à l'échelle industrielle ?
Pour les petits agriculteurs au sens de la PAC – c'est-à-dire ceux qui produisent moins de quatre-vingt douze tonnes de céréales ou l'équivalent par an – ce droit aux semences de ferme doit être légal et gratuit. Monsieur le ministre, vous venez de l'affirmer à la tribune. Pouvons-nous avoir la garantie de cette pérennisation du système de légalité et de gratuité dans le temps ?
Pour les autres, et conformément à ce qui se fait pour le blé tendre depuis 2001, le texte prévoit la négociation d'un accord entre obtenteurs et agriculteurs, destiné à arrêter ce que l'on appelle un juste niveau de rémunération. Quel est précisément ce juste niveau, et comment peut-on en apprécier la portée ?
Enfin, si nous saluons l'action du Parlement qui entend mettre en place un régime juridique plus clair et plus sûr, de nature à assurer les arrières des agriculteurs en matière de semences de ferme, reste qu'en légiférant de la sorte, nous revenons sur un principe, sur une pratique ancestrale.
À notre sens, légiférer sur cette question n'est pas opportun dans le contexte économique et surtout face à la situation que connaissent depuis plusieurs années certains agriculteurs de notre pays.
Pourquoi, dès lors, ne pas intégrer le coût des semences de ferme dans les semences initialement achetées par l'agriculteur ? Cette méthode aurait le bénéfice de la simplicité. Alors que depuis plusieurs années, le ministère de l'agriculture tend à simplifier les tâches administratives des agriculteurs, nous estimons qu'un régime déclaratoire ne fera que les complexifier. Cela ressemble à un contresens.
Pour nous, centristes, la défense du certificat d'obtention végétale est légitime et nous souhaitons que la France puisse adapter son cadre juridique national de certification végétale afin de répondre à nos engagements européens et internationaux en la matière.
Aussi, nous ne nous opposerons pas à l'adoption de ce texte, mais les interrogations et les réserves que nous avons formulées sur l'article 14 se traduiront par une abstention.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un texte particulièrement important pour l'avenir de l'agriculture française : la proposition de loi relative aux certificats d'obtention végétale, adoptée par le Sénat en première lecture le 8 juillet dernier.
Permettez-moi tout d'abord de rappeler le contexte dans lequel s'inscrit cette proposition de loi. Je veux souligner ici, car certains ont tendance à l'oublier – volontairement – que c'est la France qui est à l'origine du premier G20 agricole de juin 2011.
C'est le Président de la République, Nicolas Sarkozy, et vous-même, monsieur le ministre, qui avez pris le taureau par les cornes, si j'ose dire…
…pour répondre à l'enjeu alimentaire considérable auquel devront faire face neuf milliards d'êtres humains d'ici 2050, mais aussi pour promouvoir le modèle français, qui est exemplaire tant sur les plans économiques et sociaux qu'environnementaux et sanitaires. N'oublions pas non plus ce levier essentiel que constitue la recherche, qu'elle soit fondamentale ou appliquée.
Nous devons nous mobiliser pour défendre ce modèle. Dans le monde, et face à une logique anglo-saxone notablement différente, si nous ne le défendons pas nous-même, personne ne le fera à notre place. À cet égard, je voulais vous rendre hommage, monsieur le ministre, pour votre engagement dans ce combat, bien souvent hors des feux de l'actualité.
La France est le premier producteur de semences en Europe et le deuxième exportateur mondial. Ce secteur d'excellence est dynamique puisqu'il comprend soixante-treize entreprises de sélection de semences : des PME, de très belles entreprises de taille intermédiaires – dont certaines, comme la RAGT, sont encore à capital familial – et enfin des coopératives. Ces entreprises réalisent près de 2,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires et la balance commerciale du secteur est excédentaire de 650 millions d'euros.
Grâce au système de propriété intellectuelle sur les variétés végétales adopté en 1970 en France, plus de 400 nouvelles variétés sont créées chaque année. Ce système de protection des obtentions végétales permet de rémunérer la recherche, tout en laissant, à la différence du brevet, un libre accès à tous à la variété créée en tant que nouvelle ressource génétique.
Comme vous le savez, ce système juridique a été intégré dans la convention de l'UPOV, l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales, et dans le droit européen, par le règlement du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales.
Or la législation appliquée en France depuis 1972 n'a pas été modifiée au regard des évolutions agricoles et scientifiques et n'a pas non plus intégré les modifications apportées à la convention UPOV en 1991. C'est bien étonnant, car c'est la France, ne l'oublions pas, qui fut à l'origine de la création de l'UPOV.
Il apparaît donc nécessaire d'adapter le droit français aux évolutions intervenues dans le domaine de la recherche d'améliorations des plantes et des pratiques agricoles et de le mettre en conformité avec les dispositions internationales et communautaires.
Dans ce contexte, mes chers collègues, la proposition de loi examinée par le Sénat au mois de juillet dernier vise à conforter le modèle français des obtentions végétales. Elle reprend d'ailleurs, pour l'essentiel, les dispositions d'un projet de loi adopté par le Sénat et transmis à l'Assemblée nationale en 2006.
Ce texte a pour objet de répondre à trois enjeux essentiels pour l'agriculture française : consolider le modèle français de propriété intellectuelle en matière d'obtentions végétales, enjeu stratégique considérable ; préciser le cadre juridique régissant l'utilisation des semences de ferme ; garantir l'effort de recherche dans le domaine des variétés végétales, effort qui revêt un caractère essentiel.
Il s'agit donc, en premier lieu, de consolider le modèle français de propriété intellectuelle en matière d'obtentions végétales, en privilégiant le certificat d'obtention végétale plutôt que le brevet. Le COV limite en effet la protection aux usages commerciaux de la variété et de ses fruits et permet son utilisation à des fins de recherche, y compris en vue de la création de nouvelles variétés. Le COV donne donc davantage de liberté et favorise les avancées en matière de sélection végétale.
En second lieu, ce texte a pour objectif de préciser le cadre juridique régissant l'utilisation des semences de ferme. Il vise ainsi à autoriser la pratique des semences de ferme, en conformité avec le droit communautaire, sous réserve d'une rémunération versée par les agriculteurs bénéficiaires aux titulaires des droits sur les variétés concernées. Rappelons qu'aujourd'hui un agriculteur ayant acheté des semences de variétés protégées par un certificat d'obtention végétale n'a pas le droit de ressemer les graines récoltées. Cette proposition de loi permettra ainsi aux agriculteurs d'utiliser ces semences de ferme dans un cadre légal et sécurisé. Il s'agit donc d'accroître leur liberté, sans mettre en danger la sélection nationale, ce qui me paraît être un enjeu absolument majeur.
Enfin, cette proposition de loi participe d'une volonté de garantir l'effort de recherche dans le domaine des variétés végétales, en assurant une juste rémunération de la recherche ; nous y venons donc, monsieur Peiro. Il semble en effet indispensable de mobiliser les moyens nécessaires, car la recherche en matière de sélection végétale permet notamment d'accroître les rendements, de réduire la consommation de pesticides et d'améliorer la qualité nutritionnelle des produits.
Cette proposition de loi, qui répond à des enjeux majeurs pour l'agriculture française, a été adoptée conforme par la commission des affaires économiques le mardi 15 novembre dernier. Je tiens d'ailleurs à remercier le président de la commission, Serge Poignant, et le rapporteur : ils ont bien voulu organiser une série d'auditions complémentaires, dont je crois qu'elles ont permis d'apporter tous les éléments de précision nécessaires à l'adoption de ce texte par notre assemblée.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe UMP votera conforme, et avec conviction, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en 2010, dans son deuxième rapport sur l'état des ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture dans le monde, la FAO a fait remarquer qu'« un milliard de tonnes de céréales supplémentaires annuelles seront nécessaires d'ici 2050. L'amélioration des cultures par la sélection végétale, conjuguée à des systèmes efficaces d'approvisionnement en semences, reste la meilleure façon d'utiliser la diversité phytogénétique pour la sécurité alimentaire. »
Il faut en être parfaitement conscient : l'enjeu est vital pour l'humanité. Sur ce point, nous sommes tous d'accord.
Nous devons cependant nous poser la question des moyens d'y parvenir. Le texte qui nous occupe aujourd'hui, d'allure technique, est essentiel pour l'avenir de nos agricultures sur l'ensemble de nos territoires.
Il y a deux semaines, lors de l'audition des syndicats représentatifs des exploitants agricoles, du Groupement national interprofessionnel des semences et du ministère de l'agriculture, ceux qui ont défendu un vote conforme l'ont fait d'abord au nom d'une certaine efficacité de l'agriculture, ou plutôt d'une certaine agriculture.
Nous avons clairement vu la partition de cette profession, des intérêts économiques, sociaux et écologiques et le parti pris du ministère, qui n'a pas encore compris qu'il existait des agricultures, et non pas une agriculture. Nous aurions apprécié que le représentant du ministère ne vienne pas nous dire, dans cette messe agro-industrielle, qu'il n'existe pas d'autre voie que celle de l'enfermement dans un système d'intégration totale des agriculteurs aux industries chimiques et biotechnologiques.
Il serait temps que le ministère se rende compte qu'il est non pas le ministère d'une agriculture, d'un camp,…
…mais le ministère de la pluralité, de la diversité agricole, et qu'il doit faire vivre tout le monde, toutes les agricultures, parce qu'elles sont toutes aussi dignes et indispensables les unes que les autres pour nourrir l'humanité.
La recherche, voilà votre seul argument ! Nous serions d'accord s'il ne s'agissait que de cela, mais encore aurait-il fallu qu'après dix années de pouvoir, la majorité traite la recherche autrement et que le Président de la République n'insulte pas, au passage, les chercheurs et les organismes de recherche français, dont l'INRA, le 22 janvier 2009. Rappelez-vous ce fameux « il y a de la lumière, c'est chauffé ».
Ce n'est pas sur nos bancs qu'il faut chercher ceux qui fragilisent le recherche, ce n'est pas sur nos bancs qu'il faut chercher ceux qui veulent démanteler la recherche publique.
L'enjeu des certificats d'obtention végétale recouvre en réalité plus que cette question de la préservation des capacités d'innovation de la recherche, particulièrement la recherche privée, pour assurer l'alimentation de neuf milliards d'hommes en 2050.
Le texte que nous examinons aujourd'hui induit une certaine philosophie du développement agricole. À cet égard, j'invite nos collègues à se plonger dans les travaux des rares juristes français qui s'intéressent à ce sujet. Marie-Angèle Hermitte a livré en 1990 une remarquable étude en annexe d'un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les applications des biotechnologies à l'agriculture et à l'industrie agroalimentaire. Elle démontrait que le droit construit autour des certificats d'obtention végétale apparaît comme un verrouillage juridique permettant un verrouillage technologique.
Il y a une collusion entre l'industrie et le commerce, et finalement le droit, pour disqualifier les anciennes « variétés population » des paysans, qui sont trop floues pour être facilement attribuables à des propriétaires distincts. Ce qui est fabriqué et mis dans le catalogue des variétés repose sur une pureté des végétaux construite dans l'objectif d'une efficacité culturale, c'est vrai, mais aussi dans l'objectif d'élaboration de variétés identifiables, délimitées, contrôlées, garanties, appropriées et commercialisées sous la marque des entreprises déterminées.
Ce qui est problématique, c'est que le droit que nous construisons exproprie les agriculteurs du rôle de sélectionneurs qu'ils ont toujours eu dans l'histoire de l'agriculture depuis la révolution néolithique. L'évolution du COV proposée aujourd'hui réduirait à rien leur droit à sélectionner les semences dans la filière informelle, qui n'est en fait que la filière traditionnelle.
Est-ce que l'on a besoin de cela pour préserver la capacité de l'agriculture à nourrir le monde ? Pourquoi en aurions-nous besoin ? Simplement parce qu'il faudrait privilégier un modèle unique de développement agricole, qui donne à l'industrie semencière les clefs de notre alimentation, pour quelques euros de plus.
S'agissant de ces euros, il faut bien reconnaître, d'ailleurs, que la réunion de la commission a été des plus floues, sans aucun chiffrage par le ministère du prélèvement supplémentaire auquel les agriculteurs seraient assujettis. Quel est donc le montant de la taxe ? Quand on ne cesse de parler d'une nécessaire baisse des coûts de production, il faut être un peu plus sérieux sur cette question.
Ce que nous critiquons, c'est le fait que la réglementation serve à la domination économique d'un modèle et de quelques entreprises privées installées. Peu à peu, les semenciers se sont construit un monopole au détriment des agriculteurs en provoquant une inquiétante érosion de la biodiversité agricole. Si l'on s'écarte un instant du seul domaine du végétal, remarquons que la FAO a expliqué qu'il était urgent de lutter contre l'appauvrissement de la biodiversité agricole, qu'il s'agisse de la biodiversité végétale ou de la biodiversité animale. Tout le système repose effectivement sur le même principe d'uniformisation afin d'améliorer la rentabilité financière des grands groupes de la chimie et des biotechnologies, ce qui va de pair avec le développement de l'appropriation foncière.
Devant un système aujourd'hui à bout de souffle, la FAO retrouve l'intérêt économique, social et environnemental de la diversité. Or c'est cette diversité que le droit contribue à écarter au lieu de la privilégier.
En matière végétale, l'analyse est la même. Le 26 octobre 2010, Jacques Diouf, directeur général de la FAO, expliquait qu'« accroître l'utilisation durable de la diversité végétale pourrait être la clé principale pour affronter les risques qui pèsent sur les ressources génétiques pour l'agriculture ».
Tel n'est pas l'objectif de l'industrie, il faut arrêter de se raconter de belles histoires, même si l'on approche de Noël.
Préserver le droit des agriculteurs à développer des parcours alternatifs, minoritaires et volontaires, devrait être un minimum. Nous devons reconnaître un droit fondamental des agriculteurs à être les inventeurs de leurs choix agronomiques, nous devons respecter leur droit d'être des entrepreneurs libres. C'est notamment le sens du travail d'une association de mon département, qui s'appelle Agrobio Périgord. Elle défend les droits à la semence de ferme, en lien avec la région Aquitaine, qui travaille aussi sur cette question du développement de la biodiversité agricole, avec le projet européen REVERSE.
Ce droit fondamental est à nos yeux essentiel dans le projet d'une relocalisation des agricultures, qui nous vaut parfois des caricatures. M. le ministre de l'agriculture explique souvent que nous ne connaissons pas le monde tel qu'il est. Mais ce n'est pas parce que l'on refuse de subir les injustices du monde que l'on ne le connaît pas ! Pour parler du monde, il faut aussi connaître son village. Ce n'est pas parce que l'on veut combattre des dérives et proposer des modèles alternatifs de développement économique efficaces, que l'on n'est pas pragmatique.
Nous avons parfois le sentiment que le pragmatisme de droite n'est que le masque du renoncement, ou de la complicité. Pour nous, la relocalisation ce n'est pas l'enfermement et le repli sur soi, c'est justement le développement des richesses diverses de chaque région et leur usage, c'est justement l'utilisation de l'excellence de chaque territoire proposant des produits diversifiés qui permettent une préservation de la valeur ajoutée par les agriculteurs. La relocalisation, c'est justement, à partir de la préservation de la biodiversité agricole, le développement d'une conquête des marchés fondée sur notre capacité à vendre des produits de qualité issus de nos savoir-faire locaux, dans le respect des modèles économiques, sociaux et environnementaux.
Des exemples nous donnent des raisons d'espérer en un modèle fondé sur une plus grande indépendance des agriculteurs. Pour ne fâcher personne, je vais prendre un exemple italien avec l'engrain et l'amidonnier, céréales très anciennes puisque déjà populaires dans la Rome antique. Ces céréales ont été cultivées jusqu'au XXe siècle, jusqu'au moment où la course à la rentabilité a conduit à abandonner les blés anciens, les blés vêtus, pour favoriser ce que l'on appelle les blés nus, qui n'ont pas besoin d'être décortiqués. Dans les années quatre-vingts, quelques agriculteurs ont recommencé à produire ces blés vêtus. Ils en vivent plutôt bien aujourd'hui et ont contribué à la sauvegarde d'une diversité génétique sans laquelle nous nous exposerions à des risques alimentaires d'une gravité sans précédent.
Puisqu'il faudra nourrir neuf milliards d'humains, il y aura de la place pour des modèles culturaux et culturels divers. C'est à nous de décider ce que nous voulons faire de l'agriculture française et européenne dans le siècle à venir. C'est à nous de décider si nous voulons encore des agriculteurs aussi indépendants que possibles et entrepreneurs, ou bien des agriculteurs sous-traitants d'industries semencières ou agro-alimentaires, intégrés, dont la seule liberté serait d'assumer une responsabilité juridique et financière que les intégrateurs refusent.
Nous pensons, à gauche, qu'il faut privilégier la diversité des entreprises et la biodiversité agricole, et qu'il faut se servir des patrimoines et des excellences locales pour ouvrir le monde sans le subir.
Ce texte ne le permet pas puisque son article 14 impose une dîme, une taxe pour la liberté de réensemencer avec le produit de sa récolte.
Monsieur le ministre, modifiez l'article 14 et nous vous suivrons. Si vous le maintenez en l'état, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous sommes tous unanimes pour encourager la recherche. À ce titre, nous considérons qu'il est tout à fait normal d'en rémunérer les acteurs.
De la même façon, nous jugeons tous que le certificat d'obtention végétale est une bonne formule. Elle permet de protéger les variétés tout en les laissant libres d'accès pour de nouvelles recherches, qui, dans le cadre d'un brevet, ne seraient pas possibles.
Au-delà de ces points, sur lesquels nous nous accordons et qui pourraient nous conduire à soutenir ce texte, nous sommes toutefois résolument opposés au sort réservé aux semences de ferme tel que l'article 14 de cette proposition de loi le prévoit.
En effet, pour un agriculteur, semer le fruit de ses récoltes sans avoir à payer une taxe aux obtenteurs est un droit fondamental, sur lequel nous ne voulons pas revenir.
Pourtant, ce texte vise à instaurer une nouvelle taxe, qui, si elle était adoptée, reviendrait à opérer un prélèvement supplémentaire estimé à environ 30 millions d'euros sur les revenus des agriculteurs, et ce sans compter l'augmentation du prix des semences commerciales qui résulterait d'une concurrence affaiblie des semences de ferme.
Alors que nous estimons tous que l'agriculture française subit l'une des plus graves crises qu'elle ait jamais connue, je m'interroge sur la pertinence d'une telle mesure, en totale contradiction avec la volonté de baisser les charges de production dans les exploitations.
Les dommages collatéraux d'une telle décision seront lourds en impact financier pour les agriculteurs. Nous avons tous été alertés, dans nos circonscriptions, sur les dangers de cette mesure. Les semences de ferme sont au coeur des métiers paysans.
En Ariège, nombre d'agriculteurs sont vent debout contre ce texte, monsieur le ministre, car ils considèrent que, s'il est normal que la protection conférée à l'obtenteur par un COV s'étende à toute commercialisation de variétés qu'il a sélectionnées, il est inacceptable que cette protection s'étende à la récolte et aux semences produites par l'agriculteur lui-même.
En effet, la contribution à l'effort de recherche de l'obtenteur ayant été acquittée lors de l'achat des semences, il n'y a aucune raison de payer ensuite indéfiniment, chaque fois que l'exploitant utilise ses propres semences.
Par ailleurs, je souhaiterais insister à mon tour sur les intérêts de l'utilisation des semences de ferme.
Ce sont d'abord des intérêts économiques. Il faut savoir qu'en France, 50 % des surfaces en céréales sont issues de semences de ferme, soit 2,5 à 3 millions d'hectares, et 200 000 agriculteurs produisent eux-mêmes leurs semences, ce qui représente environ 150 millions d'euros.
De plus, grâce à l'unité de lieu, il s'ensuit une économie de transport ayant un impact sur le plan environnemental et financier.
Ces données illustrent bien l'intérêt économique, pour nos agriculteurs, à utiliser ces semences.
Il s'agit aussi d'un intérêt environnemental. Des études ont démontré que les semences de ferme nécessitaient une consommation réduite en produits phytosanitaires et deux fois moins d'insecticides. Les semences de ferme, en complément des semences commerciales, sont de surcroît indispensables à la souveraineté alimentaire, au respect de l'environnement, à la préservation de la biodiversité cultivée ainsi qu'à l'adaptation de l'agriculture aux aléas et aux changements climatiques.
Enfin, il s'agit bien sûr d'un intérêt en termes de sécurité alimentaire. Lors des auditions en commission, il nous a été expliqué qu'il y a deux ans, dans le cadre du plan protéines, on a décidé de relancer les cultures de protéagineux, mais que, sans les stocks de la récolte précédente, les superficies cultivées n'auraient jamais pu connaître une telle augmentation de près de 50 %, comme cela fut le cas.
Au-delà de l'utilité prouvée de l'utilisation des semences de ferme pour l'agriculture française, il y a là bel et bien des intérêts environnementaux, économiques et de sécurité alimentaires mais aussi des intérêts sociétaux, comme nous l'avons démontré tout à l'heure.
Mais en instaurant cette taxe, c'est l'existence même des semences de ferme que vous souhaitez mettre en péril pour satisfaire les intérêts financiers des groupes industriels.
De plus, dans la majorité des pays céréaliers, les agriculteurs utilisent librement les semences de ferme, sans être taxés. De fait, nos agriculteurs subiraient par ce texte de nouvelles contraintes pour la vente de leurs récoltes sur les marchés.
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, nous avons déposé des amendements à l'article 14, visant à protéger les semences de ferme en prévoyant notamment les cas dans lesquels un agriculteur qui utilise à des fins de reproduction ou de multiplication le produit de la récolte obtenu suite à la mise en culture d'une variété protégée peut être exonéré de l'obligation de payer une indemnité à l'obtenteur de la variété concernée.
L'adoption de ces amendements conditionnera notre vote. Si nos amendements ne sont pas retenus, nous ne voterons pas ce texte.
À l'heure où le monde agricole connaît de graves difficultés, rappelées sur tous ces bancs, et face auxquelles votre politique n'a rien changé, il est de notre devoir de législateurs de garantir le respect des droits de l'ensemble de ses acteurs, qu'ils soient grands ou petits, ainsi que de maintenir un modèle agricole durable pour les générations futures. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Cette proposition de loi, qui a déjà été examinée au Sénat, permet d'abord de transposer la Convention internationale de 1991 pour la protection des obtentions végétales.
Ce texte conforte en particulier les spécificités du certificat d'obtention végétale, droit de propriété intellectuelle original, créé par la France pour les semences, afin d'éviter le recours aux brevets mis en place aux États-Unis pour le vivant.
Lors de sa présentation devant la commission des affaires économiques, nous avons souhaité que des auditions soient organisées en complément de celles effectuées par le rapporteur. C'est ainsi que nous avons pu questionner et entendre votre directeur de cabinet, monsieur le ministre de l'agriculture, le président du Groupement national interprofessionnel des semences, le président de la FNSEA, le représentant de la Confédération paysanne et le président de la Coordination rurale.
À l'issue de cette audition et des débats qui ont suivi, nous avons pu constater une quasi-unanimité sur l'intérêt de cette démarche législative mettant en oeuvre les certificats d'obtention végétale, tout en renforçant la rémunération de la recherche et en favorisant la conservation de variétés anciennes par la constitution d'une collection nationale.
Cette démarche reconnaît également aux agriculteurs le droit d'utiliser, à des fins de reproduction ou de multiplication sur leur propre exploitation, le produit de leur récolte provenant d'une variété protégée, ce que l'on appelle les semences de ferme, et ce qui reste actuellement en fragilité juridique.
Par contre, des divergences sont apparues quant à l'application de la contribution volontaire obligatoire, c'est-à-dire la création d'une taxe qui toucherait ces semences de ferme.
Certes, une telle pratique a fait l'objet d'un accord interprofessionnel pour des variétés de céréales, mais il faut reconnaître que l'application d'une telle mesure recèle un certain nombre de difficultés qui peuvent engendrer des injustices, sources ensuite de désaccords.
Par ailleurs, les difficultés d'application s'accentuent lorsqu'il s'agit de semences et de plantes fourragères destinées directement à l'alimentation animale, ce qui peut être le cas pour un grand nombre de graminées et de légumineuses, le plus souvent récoltées plantes entières.
En conséquence, s'il est nécessaire de trouver des financements pour la recherche, il faut plutôt envisager de les intégrer dans le prix de vente des semences certifiées, que l'on peut qualifier de premier rang, et d'en déterminer les modalités, lesquelles peuvent d'ailleurs être différentes selon les espèces.
C'est d'ailleurs ce qui se passe dans le domaine de l'animal, lorsque l'éleveur-sélectionneur intègre dans le prix du reproducteur le coût de ses prestations spécifiques. Mais c'est aussi le cas pour les variétés végétales hybrides, qui, par principe, ne peuvent pas être resemées.
Nous savons que vous souhaitez une adoption de notre assemblée conforme au texte du Sénat.
Je pense, malgré tout, qu'il est certainement possible d'arriver à un accord avec le Sénat, de manière à confirmer l'essentiel de ce texte, à travers les certificats d'obtention végétale, intégrant directement les moyens nécessaires au financement de la recherche, comme c'est le cas, je le rappelle, des semences et plantes hybrides. Cela permettrait de renoncer à un dispositif compliqué, injustifié, voire injuste, dont l'application sera synonyme de grandes difficultés, compte tenu de l'impossibilité chronique de mettre en place les moyens de contrôle nécessaires.
Finalement, et comme souvent dans la relation avec la nature, la terre et ses produits, c'est le bon sens qui doit l'emporter, source de pragmatisme et d'efficacité.
Je souhaite que vous puissiez vous rallier à cette notion de bon sens et ainsi renoncer à une taxe supplémentaire, qui risque de fragiliser certaines exploitations déjà affectées par leur environnement économique, sans compter, comme je l'ai déjà dit, les grandes difficultés d'une application qui risque d'aller à l'encontre de l'objectif prioritaire recherché et peut-être même de s'avérer, et ce n'est pas anodin, contraire au règlement européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui est d'une fâcheuse ambiguïté.
Il s'agit de combler un vide juridique en encadrant les certificats d'obtention végétale, mais aussi, dans l'article 14, de taxer les semences fermières.
Je rappelle que les certificats d'obtention végétale protègent 70 000 variétés libres d'accès, contrairement aux variétés brevetées.
Mais si nous avons pu, en commission, dégager un consensus sur le fait que les certificats d'obtention végétale étaient préférables aux brevets et pour reconnaître la nécessité de rétribuer le travail de recherche, je suis très perplexe devant cette proposition de loi, parce qu'il est pour moi un droit inaliénable des agriculteurs : le droit de réensemencement.
Ressemer et échanger le produit de sa récolte est un droit fondamental pour l'agriculteur. Ce texte, indéniablement, bafoue ce droit.
Sous couvert de financer la recherche, il obligera les paysans à acheter les semences aux firmes céréalières en leur interdisant l'utilisation des semences qu'ils produisent eux-mêmes.
Sous le prétexte de reconnaître les semences de ferme et d'encadrer leur utilisation, ce texte, s'il était voté en l'état, contraindrait juridiquement leur utilisation. Cela n'est pas tolérable.
Que représentent, aujourd'hui, les semences de ferme ?
Les semences de ferme, ce sont 50 % des surfaces céréalières, une autoproduction de plus de 150 millions d'euros par an, réalisée par 200 000 agriculteurs, une réduction massive des intrants, puisqu'elles permettent une réduction d'environ 60 % des insecticides, une réduction des charges pour les exploitations agricoles de l'ordre de 60 millions d'euros par an et une pratique d'avenir, puisque 56 % des jeunes agriculteurs de moins de trente-cinq ans choisissent l'autoproduction.
Dans mon département, l'Aveyron, les semences fermières représentent environ 60 % pour les céréales, 50 % pour les fourrages et les protéagineux et 20 % pour le colza.
Les semences de ferme représentent donc des avantages environnementaux, économiques, sociaux et pratiques.
C'est parce qu'elles représentent un marché porteur de 300 millions d'euros que ces semences de ferme sont l'objet de tant de convoitise.
En l'état actuel, ce texte fixe la liste des semences de ferme autoproduites qui ne pourraient plus être vendues, échangées ou données. Cela concerne vingt et une espèces.
Alors que 80 % des semences de féveroles, 60 % des semences de pois et 30 % des semences d'orge sont autoproduites, avez-vous imaginé la situation financière dans laquelle se trouvera l'agriculteur lorsqu'il devra s'acquitter de droits pour cultiver ces espèces ?
Dans la période de crises successives qui ont touché les agriculteurs, prélever une taxe supplémentaire sur le produit de leur travail contribuera à les affaiblir encore davantage.
C'est la liberté et la dignité du monde paysan qui sont mises à mal par ce texte dans son article 14.
Ce n'est pas un hasard si la Coordination nationale pour la défense des semences fermières, regroupant dans ses rangs aussi bien la Confédération paysanne que la Confédération nationale des syndicats d'exploitants familiaux, le MODEF, ou la Coordination rurale, réunit, au-delà des divergences de vision de l'agriculture et dans le même souci de préserver les semences fermières, aussi bien ces trois syndicats agricoles que le Syndicat des trieurs à façon de France, la Fédération nationale d'agriculture biologique des régions de France et le Syndicat national d'agriculture bio-dynamique. C'est la preuve que le monde paysan partage le même sentiment face à un texte liberticide.
Il est de notre devoir de garantir le respect des droits de l'ensemble des acteurs, petits ou grands, ainsi que le respect d'un modèle agricole durable, afin que les générations futures puissent disposer de ressources nécessaires à leur alimentation.
Tel n'est pas le sens actuel de ce texte, qui va à l'encontre de la convention de Rio de 1991 et du traité de la FAO de 1994 sur les ressources phytogénétiques.
Comme vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, lors des travaux de notre commission, et comme vous l'avez répété aujourd'hui, « il n'est pas admissible que quelques grandes firmes internationales s'approprient les clefs de l'alimentation du monde ». Pour cette raison, si l'article 14 était maintenu, je voterais contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Monsieur le président, comme vous m'avez relégué au fond de la classe – dernier orateur inscrit dans la discussion générale –, vous voudrez bien m'accorder quelques secondes de plus si cela s'avérait nécessaire.
On l'a bien compris, nous n'avons rien contre le principe des certificats d'obtention végétale, qui a été revendiqué sur tous les bancs. Chacun sait qu'il faut encourager la recherche, protéger les travaux sur la génétique, mais aussi protéger les semenciers, qui, le plus souvent – disons-le clairement –, ne sont pas de grosses firmes, mais des PME qui n'ont rien à voir avec Monsanto, si ce n'est dans un éventuel rapport de concurrence.
Si nous pouvons nous accorder sur ce premier point, nous ne nous en posons pas moins quelques questions, liées, notamment, aux modalités de fonctionnement du dispositif. Le système proposé est fort complexe, autant, chacun l'a compris, que la question des royalties. Ainsi, comment va-t-on faire pour la commercialisation ? On a parlé de l'accord sur le blé tendre, mais pourquoi taxerait-on des produits issus de semences qui ne sont plus protégées ? Je n'ai pas compris comment on distinguerait le cas des gens qui continuent de ressemer des semences qui ne sont plus protégées. Pourquoi taxerait-on des semences dites « paysannes », qui ne sont pas non plus protégées ? Pourquoi taxerait-on des semences achetées à l'étranger ? Nous n'avons pas obtenu de réponse à ces trois questions. Il faudra bien, pourtant, qu'on nous fournisse quelques précisions tôt ou tard, car il se trouvera toujours quelqu'un pour amener le débat devant les juridictions.
Tout ce qui concerne les graines fourragères constitue un deuxième aspect important du texte. Elles comprennent non seulement les graines vertes, mais également les céréales. Lorsqu'un agriculteur produit lui-même des céréales pour ses volailles ou pour ses porcs, que ferez-vous ? Enverrez-vous des gabelous pour contrôler la hauteur des silos, le pourcentage de céréales dans l'alimentation du bétail, l'indice de consommation des animaux, toutes mesures qui varient d'un élevage à l'autre ? En commission, on nous a répondu qu'on allait discuter. Il aurait mieux valu le faire avant que le texte n'arrive en séance publique.
J'ai bien entendu qu'on envisageait de s'appuyer sur les déclarations de PAC. Mais il n'y a aucune cohérence entre les deux dispositifs et les déclarations de PAC changent chaque année, ce qui ne fera que compliquer davantage. Certains ont l'idée d'instituer une nouvelle contribution volontaire obligatoire pour les certificats d'obtention végétale – une CVO pour les COV.
Bref, vous allez créer un « truc » de plus, qui sera extrêmement fragile et sera d'ailleurs sans doute mis en cause devant les tribunaux. Vous fabriquez une nouvelle usine à gaz, sous prétexte que certains ont estimé qu'on ne pouvait pas vendre simplement la semence à son prix, mais qu'il fallait le calculer en passant par des arcanes extrêmement complexes. Si toutes les usines à gaz que vous avez inventées depuis 2007 produisaient du gaz, on pourrait peut-être fermer quelques centrales nucléaires ! Pour un gouvernement qui voulait simplifier les choses, il a fait très fort avec la création d'une trentaine de taxes et de bien d'autres systèmes dont il est incapable d'expliquer comment ils fonctionneront.
En outre, la perception de ces sommes coûtera sans doute aussi cher que ce qu'elle rapportera. Vous qui pourfendez l'administration, voilà que vous mettez en place une suradministration !
Que faire ? Cela ne me paraît pas d'une complexité extraordinaire. Les céréaliers vous diront – j'en ai dans ma famille, qui me l'ont confirmé – que la majorité des céréales ne sont resemées qu'une ou deux années de suite. Il suffit de considérer la valeur du produit : s'il est bon, et même si on le vend cher, l'agriculteur l'achètera parce que ce sera dans son intérêt, parce que cela lui rapportera davantage ; s'il est mauvais, pourquoi faudrait-il le protéger par une cotisation qui viendrait encore alourdir le poids que supportent les agriculteurs ? J'ai moi-même été sélectionneur – d'animaux, certes, mais le principe est le même – et je n'ai jamais pratiqué autrement : les meilleurs animaux étaient vendus plus chers, et il y avait toujours des acheteurs. Ce que je suis en train de vous exposer, monsieur le ministre, c'est le système libéral que vous êtes censé défendre. Les animaux qui n'étaient pas bons n'étaient pas vendus et partaient à la boucherie, mais, quand quelqu'un m'avait acheté un animal, je ne me préoccupais pas de ce qu'il en faisait le lendemain. S'il avait décidé d'en faire de la charcuterie, c'était son problème. Vous, vous inventez tout un système avec des droits de suite. Quelle que soit la majorité de demain, il faudra revenir sur ce système, qui est ingérable et inapplicable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la proposition de loi relative aux certificats d'obtention végétale.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,
Nicolas Véron