Monsieur le président, monsieur le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, la création variétale et la production des semences et plants de plantes cultivées sont un élément fondamental de la réponse aux mutations actuelles et à venir du monde agricole et, de façon plus large, de la société. En France, ces deux secteurs sont stratégiques aussi bien pour l'économie que pour la santé et l'environnement.
L'objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est notamment de maintenir à un niveau élevé cette création variétale, car celle-ci a un effet direct sur l'amélioration des rendements, l'augmentation du nombre de variétés disponibles, la résistance aux maladies en évitant l'usage des pesticides, la diminution de la consommation d'engrais chimiques, l'adaptation aux évolutions climatiques ou l'amélioration de la qualité nutritionnelle et organoleptique.
La France est le premier pays producteur de semences et plants au niveau communautaire et le deuxième exportateur au niveau mondial, avec un chiffre d'affaires de près de 2,5 milliards d'euros, dont 1 milliard à l'exportation. Notre balance commerciale dans ce domaine est excédentaire de près de 600 millions en 2011.
Avec la filière de la multiplication, la création variétale concerne soixante et onze entreprises dont 70 % sont des PME ou des coopératives, 9 000 distributeurs, 23 000 points de vente, 15 000 emplois directs et, au total, 18 000 agriculteurs multiplicateurs. Je veux souligner, pour ces derniers, qu'il s'agit souvent d'exploitations diversifiées, aux surfaces relativement faibles, mais dont la valeur ajoutée tient à l'activité semences.
Ce positionnement, gage de sécurité pour notre alimentation et pour l'approvisionnement des quelque 530 000 exploitations agricoles que compte le territoire national, garantit l'accès à des semences et plants adaptés aux conditions agro-pédo-climatiques et aux demandes des consommateurs. Ces réussites sont largement dues au système original et efficace de protection de la propriété intellectuelle qu'organise le certificat d'obtention végétale issu de la convention internationale UPOV que la France ne cesse de promouvoir. Le COV donne à son détenteur – l'obtenteur – un droit exclusif pendant une durée déterminée sur l'exploitation commerciale des variétés végétales qu'il a créées. La rémunération perçue sur les concessions ou licences octroyées permet de rentabiliser les recherches menées et de financer les suivantes. Ce financement est nécessaire, car l'invention d'une nouvelle variété exige des moyens financiers considérables et, en moyenne, une dizaine d'années de préparation. Le secteur des semences est celui dans lequel l'investissement dans la recherche et le développement est le plus significatif : on y consacre plus de 13 % du chiffre d'affaires, soit davantage que les secteurs informatique et pharmaceutique.
Mais le certificat d'obtention végétale encourage aussi la recherche. L'exception de sélection constitue, en effet, l'une des originalités du COV par rapport à l'autre grand modèle de protection de la propriété intellectuelle qu'est le brevet. Le COV permet d'utiliser librement et sans contrepartie les variétés existantes, même protégées, pour en créer de nouvelles et exploiter les fruits de cette création. Le brevet, au contraire, interdit, quels qu'en soient la forme ou l'objet, l'utilisation d'une invention brevetée ou de ses fruits sans accord du propriétaire du brevet et, bien évidemment, versement de droits à ce dernier.
Le système de l'obtention végétale encourageant davantage la recherche variétale, il est défendu par la France dans le cadre international. Il est toutefois urgent que notre pays ratifie la convention UPOV de 1991 si elle veut continuer à défendre le système du certificat d'obtention végétale au niveau international. Soixante-dix États l'ont déjà fait, dont vingt et un États membres de l'Union européenne. Alors que plusieurs dizaines de pays dans le monde n'ont pas encore choisi leur modèle de propriété intellectuelle sur les végétaux, la position actuelle de notre pays contribue à fragiliser le modèle équilibré du COV face à celui du brevet. Or il n'est pas admissible que quelques grandes firmes internationales s'approprient, à elles seules, les clés de l'alimentation mondiale.
Enfin, s'agissant de l'utilisation des semences de ferme, je rappelle qu'aujourd'hui, un agriculteur ayant acheté des semences de variétés protégées par un COV national n'a pas le droit de ressemer les graines récoltées. La proposition de loi permettra aux agriculteurs d'utiliser des semences de variétés nouvelles protégées issues de la récolte dans un cadre légal.
Ce texte poursuit donc les objectifs suivants : mettre la France en conformité avec la législation internationale relative à la protection des obtentions végétales afin de conforter le COV face au brevet ; légaliser la pratique des semences de ferme par un juste financement ; enfin, encourager la recherche sur les nouvelles variétés végétales.
L'article 1er A modifie la dénomination et le statut juridique du Comité de protection des obtentions végétales en le transformant en instance nationale intégrée au sein du Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences.
L'article 1er B permet d'appliquer aux semences, pour lesquelles les règles de contrôle datent de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes en ce qui concerne le commerce des semences et plant, ce qui est déjà prévu pour les bois et les plants de vigne.
L'article 1er reprend la définition que donne l'UPOV de la notion de variété végétale sur laquelle un droit de propriété intellectuelle peut s'appliquer.
L'article 2 définit les conditions de reconnaissance d'une obtention végétale susceptible de faire l'objet d'un COV. Il faut noter que l'obtention sanctionne un réel travail de recherche et non la simple découverte d'une variété existant déjà.
L'article 3 étend le droit d'exclusivité du titulaire du COV à l'ensemble des actes économiques concernant la variété, de la production à la distribution. Il s'agit d'un alignement sur la Convention UPOV de 1991 et sur le règlement européen. Le droit du titulaire du COV s'étend à la variété essentiellement dérivée de la variété initiale.
L'article 4 définit les limites des droits de l'obtenteur, notamment du privilège de l'obtenteur, prévoyant un libre accès à la ressource végétale protégée par le COV dans trois cas : les actes accomplis à titre privé et à des fins non commerciales – par exemple par les jardiniers amateurs – ; les actes accomplis à titre expérimental par les chercheurs ; et l'exception de sélection selon laquelle l'obtenteur d'une variété créée n'est pas redevable à l'obtenteur des variétés qui lui ont servi à cette fin. C'est ce dernier point qui permet de distinguer le brevet du certificat d'obtention végétale. Les droits de l'obtenteur sont, en revanche, maintenus en cas de nouvelle multiplication de semences.
L'article 5 définit, quant à lui, la nouveauté en matière de variété végétale.
L'article 6 permet à toute personne physique ou morale relevant d'un État membre de l'UPOV de déposer une demande de COV auprès des autorités françaises.
L'article 7 simplifie les tests nécessaires pour prouver que la variété obtenue est distincte, homogène et stable.
L'article 8 précise que les actes relatifs aux COV ne sont opposables à des tiers que s'ils ont fait l'objet d'une publication officielle.
Les articles 9 et 11 opèrent des modifications mineures.
L'article 10 crée une licence obligatoire d'intérêt public dans le cas où un obtenteur ne pourrait exploiter le COV qu'il détient. Cette licence existe déjà pour les variétés indispensables à la vie humaine et animale, pour les besoins de la défense nationale et si une invention biotechnologique présentant un progrès technique important en dépend.
L'article 12 prévoit que les COV peuvent être déclarés nuls par décision de justice lorsque la variété ne correspond plus aux conditions de distinction, d'homogénéité et de stabilité et lorsque le droit d'obtenteur a été attribué à une personne qui n'y avait pas droit, comme c'est le cas pour les COV européens.
L'article 13 transpose aux obtentions végétales les règles s'appliquant aux droits des salariés à l'origine des inventions en matière de brevets.
L'article 14 met en place un régime d'utilisation des semences de ferme sur les variétés protégées par un COV. Ce texte n'a donc pas pour objet d'interdire l'utilisation des semences de ferme, mais, bien au contraire, de l'autoriser. Pour ce qui est des modalités de rémunération, il a été choisi de laisser se dégager la voie la plus consensuelle possible dans le cadre d'un débat interprofessionnel ; il ressort des auditions menées que les discussions interprofessionnelles semblent le meilleur cadre pour trouver la solution la moins compliquée.
Précisons que le régime d'utilisation des semences de ferme ne concernait à l'origine que vingt et une espèces. Le texte adopté par le Sénat offre la possibilité d'ouvrir le dispositif à d'autres variétés : à titre d'exemple, il serait opportun d'ajouter à cette liste les cultures intermédiaires pièges à nitrate – CIPAN – désormais utilisées à grande échelle en France. Le texte prévoit, en outre, une exonération totale pour les agriculteurs qui produisent jusqu'à quatre-vingt-douze tonnes par an, ce qui correspond à la production d'une exploitation de douze à quinze hectares.
L'article 15 précise que la responsabilité civile n'est engagée qu'en cas d'atteinte volontaire aux droits du titulaire.
L'article 15 bis a été ajouté par la commission au Sénat pour permettre la mise en oeuvre effective des engagements pris par la France dans le cadre du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture – TIRPA –, la conservation de variétés anciennes du domaine public et l'accessibilité des citoyens aux échantillons de ces ressources.
Les articles 16 et 17 prévoient les modalités d'application de la loi dans le temps et dans certaines collectivités ultramarines
En conclusion, mesdames, messieurs, j'estime que cette proposition de loi est un texte équilibré et nécessaire. C'est pourquoi je n'ai pas souhaité déposer d'amendement et vous propose de l'adopter telle qu'elle a été votée par le Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)