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Intervention de Germinal Peiro

Réunion du 28 novembre 2011 à 18h00
Certificats d'obtention végétale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGerminal Peiro :

L'enjeu des certificats d'obtention végétale recouvre en réalité plus que cette question de la préservation des capacités d'innovation de la recherche, particulièrement la recherche privée, pour assurer l'alimentation de neuf milliards d'hommes en 2050.

Le texte que nous examinons aujourd'hui induit une certaine philosophie du développement agricole. À cet égard, j'invite nos collègues à se plonger dans les travaux des rares juristes français qui s'intéressent à ce sujet. Marie-Angèle Hermitte a livré en 1990 une remarquable étude en annexe d'un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les applications des biotechnologies à l'agriculture et à l'industrie agroalimentaire. Elle démontrait que le droit construit autour des certificats d'obtention végétale apparaît comme un verrouillage juridique permettant un verrouillage technologique.

Il y a une collusion entre l'industrie et le commerce, et finalement le droit, pour disqualifier les anciennes « variétés population » des paysans, qui sont trop floues pour être facilement attribuables à des propriétaires distincts. Ce qui est fabriqué et mis dans le catalogue des variétés repose sur une pureté des végétaux construite dans l'objectif d'une efficacité culturale, c'est vrai, mais aussi dans l'objectif d'élaboration de variétés identifiables, délimitées, contrôlées, garanties, appropriées et commercialisées sous la marque des entreprises déterminées.

Ce qui est problématique, c'est que le droit que nous construisons exproprie les agriculteurs du rôle de sélectionneurs qu'ils ont toujours eu dans l'histoire de l'agriculture depuis la révolution néolithique. L'évolution du COV proposée aujourd'hui réduirait à rien leur droit à sélectionner les semences dans la filière informelle, qui n'est en fait que la filière traditionnelle.

Est-ce que l'on a besoin de cela pour préserver la capacité de l'agriculture à nourrir le monde ? Pourquoi en aurions-nous besoin ? Simplement parce qu'il faudrait privilégier un modèle unique de développement agricole, qui donne à l'industrie semencière les clefs de notre alimentation, pour quelques euros de plus.

S'agissant de ces euros, il faut bien reconnaître, d'ailleurs, que la réunion de la commission a été des plus floues, sans aucun chiffrage par le ministère du prélèvement supplémentaire auquel les agriculteurs seraient assujettis. Quel est donc le montant de la taxe ? Quand on ne cesse de parler d'une nécessaire baisse des coûts de production, il faut être un peu plus sérieux sur cette question.

Ce que nous critiquons, c'est le fait que la réglementation serve à la domination économique d'un modèle et de quelques entreprises privées installées. Peu à peu, les semenciers se sont construit un monopole au détriment des agriculteurs en provoquant une inquiétante érosion de la biodiversité agricole. Si l'on s'écarte un instant du seul domaine du végétal, remarquons que la FAO a expliqué qu'il était urgent de lutter contre l'appauvrissement de la biodiversité agricole, qu'il s'agisse de la biodiversité végétale ou de la biodiversité animale. Tout le système repose effectivement sur le même principe d'uniformisation afin d'améliorer la rentabilité financière des grands groupes de la chimie et des biotechnologies, ce qui va de pair avec le développement de l'appropriation foncière.

Devant un système aujourd'hui à bout de souffle, la FAO retrouve l'intérêt économique, social et environnemental de la diversité. Or c'est cette diversité que le droit contribue à écarter au lieu de la privilégier.

En matière végétale, l'analyse est la même. Le 26 octobre 2010, Jacques Diouf, directeur général de la FAO, expliquait qu'« accroître l'utilisation durable de la diversité végétale pourrait être la clé principale pour affronter les risques qui pèsent sur les ressources génétiques pour l'agriculture ».

Tel n'est pas l'objectif de l'industrie, il faut arrêter de se raconter de belles histoires, même si l'on approche de Noël.

Préserver le droit des agriculteurs à développer des parcours alternatifs, minoritaires et volontaires, devrait être un minimum. Nous devons reconnaître un droit fondamental des agriculteurs à être les inventeurs de leurs choix agronomiques, nous devons respecter leur droit d'être des entrepreneurs libres. C'est notamment le sens du travail d'une association de mon département, qui s'appelle Agrobio Périgord. Elle défend les droits à la semence de ferme, en lien avec la région Aquitaine, qui travaille aussi sur cette question du développement de la biodiversité agricole, avec le projet européen REVERSE.

Ce droit fondamental est à nos yeux essentiel dans le projet d'une relocalisation des agricultures, qui nous vaut parfois des caricatures. M. le ministre de l'agriculture explique souvent que nous ne connaissons pas le monde tel qu'il est. Mais ce n'est pas parce que l'on refuse de subir les injustices du monde que l'on ne le connaît pas ! Pour parler du monde, il faut aussi connaître son village. Ce n'est pas parce que l'on veut combattre des dérives et proposer des modèles alternatifs de développement économique efficaces, que l'on n'est pas pragmatique.

Nous avons parfois le sentiment que le pragmatisme de droite n'est que le masque du renoncement, ou de la complicité. Pour nous, la relocalisation ce n'est pas l'enfermement et le repli sur soi, c'est justement le développement des richesses diverses de chaque région et leur usage, c'est justement l'utilisation de l'excellence de chaque territoire proposant des produits diversifiés qui permettent une préservation de la valeur ajoutée par les agriculteurs. La relocalisation, c'est justement, à partir de la préservation de la biodiversité agricole, le développement d'une conquête des marchés fondée sur notre capacité à vendre des produits de qualité issus de nos savoir-faire locaux, dans le respect des modèles économiques, sociaux et environnementaux.

Des exemples nous donnent des raisons d'espérer en un modèle fondé sur une plus grande indépendance des agriculteurs. Pour ne fâcher personne, je vais prendre un exemple italien avec l'engrain et l'amidonnier, céréales très anciennes puisque déjà populaires dans la Rome antique. Ces céréales ont été cultivées jusqu'au XXe siècle, jusqu'au moment où la course à la rentabilité a conduit à abandonner les blés anciens, les blés vêtus, pour favoriser ce que l'on appelle les blés nus, qui n'ont pas besoin d'être décortiqués. Dans les années quatre-vingts, quelques agriculteurs ont recommencé à produire ces blés vêtus. Ils en vivent plutôt bien aujourd'hui et ont contribué à la sauvegarde d'une diversité génétique sans laquelle nous nous exposerions à des risques alimentaires d'une gravité sans précédent.

Puisqu'il faudra nourrir neuf milliards d'humains, il y aura de la place pour des modèles culturaux et culturels divers. C'est à nous de décider ce que nous voulons faire de l'agriculture française et européenne dans le siècle à venir. C'est à nous de décider si nous voulons encore des agriculteurs aussi indépendants que possibles et entrepreneurs, ou bien des agriculteurs sous-traitants d'industries semencières ou agro-alimentaires, intégrés, dont la seule liberté serait d'assumer une responsabilité juridique et financière que les intégrateurs refusent.

Nous pensons, à gauche, qu'il faut privilégier la diversité des entreprises et la biodiversité agricole, et qu'il faut se servir des patrimoines et des excellences locales pour ouvrir le monde sans le subir.

Ce texte ne le permet pas puisque son article 14 impose une dîme, une taxe pour la liberté de réensemencer avec le produit de sa récolte.

Monsieur le ministre, modifiez l'article 14 et nous vous suivrons. Si vous le maintenez en l'état, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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