Commission des affaires économiques
La commission a entendu les membres de la Commission d'examen des pratiques commerciales présidée par M. Jean-Claude Charié.
Je suis très heureux d'accueillir les membres de la commission d'examen des pratiques commerciales, même si cette audition se déroule dans des conditions quelque peu difficiles puisque ont lieu en même temps une séance publique qui n'était pas prévue, sur le texte sur le travail dominical, qui suscite beaucoup de passions, et un exposé du Premier ministre devant le groupe UMP. Pour autant, nous n'avons pas voulu déplacer cette audition qui intéresse au plus haut point notre commission.
C'est Jean-Paul Charié, qui est membre depuis des années de la commission des affaires économiques et l'un des meilleurs connaisseurs du sujet, que le Parlement a désigné pour être le président de la CEPC. Les parlementaires ont en outre l'intention d'exercer sur la CEPC leur mission de contrôle, encore renforcée par la récente modification de la Constitution.
Cette audition doit nous permettre de nouer des relations régulières avec votre commission et de mieux connaître son fonctionnement et ses objectifs. C'est nous qui avons élargi vos compétences, par le biais de la loi de modernisation de l'économie (LME). Désormais, vous pouvez être consultés par les juridictions chargées du contentieux des relations commerciales et j'aimerais savoir si elles ont fait usage de cette faculté.
La CEPC est très active. Elle publie des questions réponses pour aider les acteurs à comprendre et appliquer la LME. Elle s'efforce de promouvoir une certaine éthique dans les relations commerciales et a dû à ce propos rappeler fermement certains distributeurs à l'ordre. C'est un sujet qui nous intéresse tout particulièrement et j'ai d'ailleurs chargé M. Charié – encore lui – d'une mission de contrôle de l'exécution de la loi portant sur les rapports entre fournisseurs et distributeurs et sur les délais de paiement. Il devrait nous communiquer son rapport d'étape dans peu de temps et ses conclusions définitives fin septembre. J'aimerais connaître l'opinion des membres de la CEPC sur la négociabilité et le moyen de lui faire produire tous ses effets positifs en évitant les détournements de la loi. J'aimerais aussi que vous abordiez les délais de paiement et les dérives qui se manifestent : ce sont deux points d'actualité et cette audition nous permettra de nous montrer plus réactifs dans notre contrôle.
Je regrette que cette audition essentielle ait lieu en même temps qu'une séance publique sur le texte concernant le travail du dimanche, qui intéresse le même secteur d'activité. En outre, notre nouveau Règlement prévoit que les députés doivent pointer en commission le mercredi matin pour bien montrer qu'ils sont de bons élèves, sous peine d'être privés de leurs indemnités. Un certain nombre de nos collègues, passionnés par les deux sujets, vont devoir faire des choix. Je demande à notre président de faire état de ces dysfonctionnements devant le Bureau de l'Assemblée afin que les présences en commission soient comptabilisées sur plusieurs jours de la semaine.
Vous soulevez un problème de fond mais pour ce qui concerne spécifiquement le texte sur le travail du dimanche, nous ne sommes saisis que pour avis, pas au fond. Par ailleurs, j'assume totalement la responsabilité du maintien de cette audition : compte tenu du nombre des invités et de la difficulté de faire coïncider leurs emplois du temps, il aurait été vraiment inconvenant de ma part de l'annuler la veille – car ce n'est qu'hier à dix heures que la Conférence des présidents a décidé de tenir une séance publique ce matin, malgré mon opposition. J'aurais en outre probablement pris une décision différente s'il ne s'était pas agi ce matin de la discussion générale mais d'examiner les articles, ce qui implique d'être présent pour voter. Je tiendrai le plus grand compte de votre observation pour l'avenir.
J'insiste toutefois, plus généralement, sur le fait qu'il ne faut pas comptabiliser la seule présence du mercredi matin en commission.
Cette audition se déroule en effet dans des conditions quelque peu difficiles mais elle a déjà été reportée deux fois et il aurait été vraiment délicat de la déplacer encore. C'est la première fois que la Commission des affaires économiques reçoit ainsi l'ensemble des membres de la CEPC et cette réunion est essentielle pour permettre aussi bien aux parlementaires de mieux comprendre son fonctionnement et son rôle qu'à ses membres de bien saisir les préoccupations des députés. Je propose donc que cinq des membres de la CEPC commencent par exposer leur analyse de l'application de la LME avant que nous en venions aux questions de nos collègues.
Auparavant, je voudrais juste souligner que la CEPC n'est pas une juridiction mais une instance de consensus dont le but est que chacun des acteurs du secteur partagent une lecture commune de la loi. Cette audition ouverte à la presse montre bien que nous travaillons dans une totale transparence et que nous cherchons à établir un véritable partenariat au profit de l'intérêt général. Le rapport sur l'application de la loi sera d'ailleurs établi conjointement par la majorité et l'opposition et je remercie Jean Gaubert d'être à mes côtés.
La DGCCRF que je représente ici n'est qu'un élément du dispositif, qui repose sur trois piliers : la CEPC, qui détermine les bonnes pratiques à suivre et les mauvaises à sanctionner, l'administration qui sur cette base relève les manquements et qui en saisit la justice et enfin cette dernière. La plupart des actions en justice sont introduites par le ministère de l'économie. Il est un peu tôt pour tirer un bilan circonstancié de la mise en oeuvre de la LME. En effet, le plan de contrôle s'établit en deux phases – l'une permettant de récupérer les informations de base et d'établir quelques présomptions d'infractions aux règles, l'autre portant sur les infractions plus détaillées – et nous n'en sommes qu'à la fin de la première phase. Nous n'avons donc pas d'éléments de portée statistique, d'autant que 2009 est la première année d'un dispositif que les opérateurs vont mettre quelque temps à adopter.
Ce plan de contrôle, qui a encore été renforcé il y a trois semaines par la mise en place de brigades de contrôle par les ministres Barnier et Chatel, a porté essentiellement sur trois éléments. D'abord, la convention unique, qui doit régir les rapports entre le fournisseur et le distributeur et qui doit avoir été conclue avant le 1er mars. Ensuite, la revente à perte, qui reste une infraction importante. Enfin, l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce relatif aux abus commis tant par le fournisseur que par le distributeur, qui recouvre la fausse coopération commerciale, définie par une jurisprudence bien établie, le déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties – une des novations de la LME –, enfin la rupture abusive des relations commerciales –, même si les opérateurs n'ont pas vraiment besoin de l'intervention publique pour en obtenir réparation.
Depuis la LME nous avons constaté d'abord un changement des pratiques de négociation. La plupart des opérateurs se sont approprié le nouveau texte et plusieurs nous ont dit que la discussion portait désormais davantage sur le plan d'affaires que sur la façon de s'accommoder des règles. C'est très positif et je pense que l'acculturation sera encore plus complète l'an prochain. Par ailleurs, toutes les conventions ont été conclues avant le 1er mars. Enfin, il y a eu un fort basculement des marges arrière vers l'avant. Certains fournisseurs ont majoré fortement leurs tarifs, probablement en prévision d'une négociation plus dure que par le passé mais au bout du compte, le trois fois net, c'est-à-dire le coût d'achat des produits par les distributeurs a plutôt baissé cette année. Par ailleurs, les contrats basés sur une remise globale, qui ne détaille pas la rémunération service par service, ont été privilégiés. Cela évite du formalisme inutile, mais empêche aussi d'apprécier si la remise est proportionnée ou non. Enfin, les services de coopération commerciale sont beaucoup mieux identifiés. C'est important, parce que cela constituait jusqu'à présent l'essentiel du contentieux.
En revanche, nous avons rencontré chez tous les distributeurs des pratiques qui restent à évaluer : un rejet inconditionnel des conditions générales de vente, des clauses qui semblent déséquilibrées sur la reprise des invendus ou le retard dans les livraisons et des conditions de facturation de remises opaques. Ces trois pratiques pourraient éventuellement fonder des incriminations. Pour ce qui est de la négociabilité, nous ne constatons pas vraiment de détournement de la loi mais un usage parfois un peu brutal de la liberté conférée aux acteurs. Quant aux délais de paiement, les conventions respectent bien la loi mais un nombre substantiel d'accords dérogatoires ont été conclus, qui atténuent un peu la rigueur de la LME.
Nos trois principales préoccupations, qui pourraient donner lieu à des actions, sont le décalage injustifié du point de départ des délais, les escomptes excessifs et l'abus de l'accord dérogatoire.
La Fédération des entreprises de commerce et de distribution considère que la LME remplit globalement son objectif d'accentuer la concurrence dans la formation des prix. Depuis sa promulgation, les prix ont effectivement baissé dans beaucoup de domaines, une baisse qui s'est accompagnée d'une progression des premiers prix des marques de distributeurs qui ont été plébiscitées par les consommateurs ces derniers temps. Nous restons évidemment très attachés aux grandes marques, qui jouent un rôle important dans notre assortiment. Elles ont souffert de cet épisode d'économie administrée qui a commencé avec la loi Galland et fini avec la LME, même si elles en étaient largement à l'origine. Cette orientation du marché s'accompagne toujours d'effets pervers importants.
Pour ce qui est des négociations, un débat sur les services distincts a eu lieu, qui a été tranché par la CEPC. Un autre n'est pas totalement éteint sur les conditions générales de vente et les majorations de tarifs. On a bien vu, lors des majorations de tarifs totalement décalées de la réalité de l'automne, que la mise en avant du caractère intangible des conditions générales de vente, les CGV, bloquait la discussion. Il faut trouver une manière de réaffirmer que les CGV sont le socle de la négociation, à partir duquel on négocie aussi bien à l'avant qu'à l'arrière grâce aux différents moyens qu'offre la loi : conditions particulières de vente, réductions directes à la vente ou prestations de services – ces marges arrière dont nous avions demandé la suppression et que vous avez préférées maintenir.
Les négociations ont eu pour résultat une baisse significative des marges arrière, même si l'on peut aller encore plus loin, de même qu'on peut encore améliorer la qualité des plans d'affaires. L'ensemble des acteurs ne sont pas encore reconditionnés et je pense que ce n'est qu'à l'issue du deuxième round de négociations que l'on saura si l'on peut éliminer cette forme d'addiction qu'est la hausse des tarifs systématique suivie de la facturation de prestations de services, système dans lequel nous avions été enfermés par les lois précédentes.
Nous ne souhaitons pas que le débat sur la LME soit rouvert. Nous avons suffisamment souffert de la succession de cinq textes en douze ans et savons qu'ils sont truffés d'effets pervers. Ce que nous souhaitons, c'est une bonne application de la LME. Le rôle de la CEPC est à cet égard positif. Nous sommes arrivés, y compris sur des sujets sensibles tels que les services distincts, les délais de paiement ou l'escompte, à des consensus au moment où les acteurs économiques avaient besoin de réponses. Mais il faut à tout prix éviter que le débat public vienne parasiter cette capacité de la CEPC à trouver des solutions juridiques. Il s'agit de sujets extrêmement complexes et nous devons nous mettre d'accord sur des recommandations à faire aux acteurs et éventuellement au juge. Pour cela, nous devons être à l'abri du débat public et politique. Rappelez-vous qu'une initiative d'un distributeur a donné lieu à un débat public avant même que la CEPC puisse s'en saisir ! Il faut absolument éviter de voir se multiplier les rappels à l'ordre des distributeurs sans que la CEPC ait pu dire son mot. Ainsi, les préoccupations exprimées par M. Amand ne doivent pas être portées devant les journalistes ou réglées par l'administration avant que la CEPC n'y travaille d'une manière sereine. Cette méthode de travail nous permettrait de faire face à l'ensemble des questions qui nous sont soumises.
Voilà deux positions qui sont loin d'être convergentes. La CEPC à beaucoup de travail devant elle ! Et nous aussi, pour clarifier la situation.
Le commerce associé représente 38 000 points de vente, pour une partie alimentaires mais surtout de commerce spécialisé. Je vous livre quelques considérations sur les instruments utilisés par la LME pour faire baisser les prix.
La négociabilité d'abord a redonné de la liberté au régime. Nous avons tous dû faire face à des hausses de tarifs très importantes de nos fournisseurs, parfois étrangers. Quant aux pratiques commerciales, je rappelle qu'il n'y a pas que de gros distributeurs et de petits fournisseurs mais que c'est parfois l'inverse. Les bonnes pratiques doivent pouvoir s'adapter à tous les cas.
Les PME regrettent que les délais de règlement ne fassent pas partie de la négociabilité. Aujourd'hui, il existe des dérogations pour certains secteurs. Le problème n'est que reculé de vingt-quatre mois. Compte tenu de la faiblesse de leurs fonds propres, les PME ont beaucoup de difficultés à faire face à ces délais.
Enfin, s'agissant de la réduction des prix de vente – les promotions, les fins de saisie, les soldes flottants – le consommateur est aujourd'hui complètement perdu, il n'a plus de points de repère. Les soldes d'été ont perdu cette année 30 % en volume, ce qui est catastrophique.
Mais pour ce qui est de la CEPC, je pense qu'elle prend un bon chemin et que sous réserve d'améliorer quelques-unes de ses règles de fonctionnement, tout ira bien.
Je voudrais d'abord remercier le président de la CEPC pour avoir fait en sorte que mon mandat soit reconduit dans cette instance. Grâce à lui le formalisme est assez simplifié dans notre institution, où tout le monde d'ailleurs se tutoie !
L'un des premiers résultats de la LME est qu'il y a davantage de concurrence sur le front de vente. En 2006, l'écart des prix à la consommation entre les deux enseignes les moins chères et les deux les plus chères était de 5,7 points. Il est aujourd'hui de 12,7 points et continue à augmenter. Cela profite aux consommateurs. En revanche, la vie est plus dure pour les opérateurs qui ont les prix les plus bas. Il y a aussi plus de concurrence dans la relation verticale. La notion de plan d'affaires progresse dans certaines enseignes, mais pas toutes – l'une d'elles y est même franchement rétive. Les situations sont plus contrastées qu'avant, lorsque les lois avaient tendance à aligner tout le monde.
Une des principales difficultés se situe dans la négociabilité des conditions générales de vente et des tarifs. Nous ne vivons plus sous l'empire de l'interdiction des prix imposés par les fabricants. Ceux-ci peuvent conseiller un prix, mais il reste fixé au final par le distributeur et tout le monde l'accepte dorénavant. Mais il ne faudrait pas que le principe de l'interdiction de la revente à perte soit renversé, que la liberté de prix reconnue au commerçant ait pour pendant une absence de liberté de prix pour l'industriel. C'est à lui de déterminer son tarif : s'il est trop cher, tant pis pour lui, il perdra des parts de marché. Ce n'est pas à son client, ni à l'autorité publique, de faire la police du tarif. Les industriels doivent être aussi parfaitement libres de leurs prix que les distributeurs.
Enfin, je rejoins Jérôme Bédier pour vous demander de faire preuve d'un peu moins de créativité législative. Permettez à cette loi d'être appliquée, et à la CEPC de faire son travail en ce sens.
Cette dernière a trois métiers : donner des avis, faire le point sur la jurisprudence et publier des questions-réponses. Les trois sont essentiels. Les questions réponses sont la grande innovation de la CEPC troisième formule. Elles nous permettent d'être très réactifs – même si sur certaines questions, il est urgent de réfléchir – mais il demeure indispensable de donner des réponses de fond aux tribunaux et d'analyser la jurisprudence.
Sur la forme, nous avons connu des difficultés – peut-être trop d'enthousiasme ou de réactivité – mais nous devrions, sans tomber tout à fait dans la quiétude, pouvoir quitter l'ambiance de la Convention ! Toutefois nous devons, même si c'est difficile, faire l'effort de parler non pas au nom de ceux que nous représentons mais au nom de la loi – en bref, nous comporter moins comme des syndicalistes et des avocats pour mieux défendre la bonne application des textes.
Enfin, pour ce qui est des moyens, il faut nous éviter les infortunes d'un excès de la révision générale des politiques publiques. Nous avons besoin de moyens. Nous avons besoin d'une DGCCRF assez forte pour faire son travail gigantesque en matière de pratiques commerciales, en particulier pour ce qui est du droit civil. La RGPP doit lui laisser les moyens de mener des interventions lourdes et compliquées. La CEPC n'est globalement pas un instrument coûteux. Laissez-lui les moyens administratifs de sa mission.
Ici, on ne court pas après la loi. Je suis de ceux qui considèrent qu'il y en a trop, et je ne reste pas jusqu'au milieu de la nuit dans l'hémicycle par plaisir. Mais nous avons le devoir de nous demander si la loi est bien appliquée. Dès lors qu'elle ne fonctionne pas, la machine se met en branle et Parlement et Gouvernement se mettent à « pondre » des idées pour améliorer les choses. Nous préférerions que ceux qui sont chargés d'appliquer la loi nous l'évitent – sachez que la LME a été votée à sept heures et demie un samedi matin ! Certaines images sont fausses et ce que vous appelez la « créativité législative » n'est pas une éruption d'urticaire. Faites ce qu'il faut, puisque c'est votre travail, pour que la loi soit appliquée – si elle est bonne ! Et si elle est mauvaise, dites-le nous. Nous ne voulons pas d'une autre loi que la LME, mais nous avons le sentiment qu'elle ne démarre pas comme cela devrait. Tout dépend de vous. Le pouvoir de contrôle du Parlement aura peut-être pour avantage d'aboutir justement à ce que nous fassions moins de lois.
L'association nationale des industriels alimentaires a réalisé une enquête pour faire le bilan des premières négociations dans le cadre de la LME. Nous aurons plus de détails à la rentrée mais nous pouvons déjà dégager trois axes, sur lesquels on constate des divergences entre clients et fournisseurs, ou certains d'entre eux. Or, parvenir à une application effective de la loi, ce que l'ANIA appelle de ses voeux, ne peut se faire que si l'on parvient à une lecture commune.
Le premier axe est l'application des tarifs. Je partage l'avis de M. de Gramont : les fournisseurs doivent être libres de fixer leurs tarifs. Ils n'ont aucun intérêt à rendre leurs produits inabordables. Il ne faut pas confondre tarifs et prix négociés – le trois fois net. Celui-ci est en baisse cette année. On peut donc être surpris de rencontrer des refus systématiques de tarifs, puisque les tarifs sont le socle de la négociation – et des négociations qui durent plusieurs mois montrent bien qu'on n'applique pas le tarif fournisseur comme prix d'achat du distributeur… On constate de véritables difficultés dans l'application des nouveaux tarifs. Il y a même des cas où les conditions négociées pour 2009 sont appliquées sur les tarifs 2008.
La deuxième difficulté réside dans les accords commerciaux. Ceux-ci ont effectivement été formalisés au 1er mars mais la notion de plan d'affaires ne correspond pas aux attentes des industriels. Selon la loi, le plan d'affaires devait définir les engagements réciproques des parties : les négociations de baisse de prix, à l'avant ou dans le cadre de prestations commerciales, étaient accompagnées de contreparties du client. Mais il est très difficile de parvenir à ces engagements réciproques. Beaucoup d'industriels, surtout les plus petits, ont le sentiment que ces plans d'affaires ne sont que des coquilles aussi vides que les anciens contrats de coopération commerciale. Il y a un gros travail à faire sur cette notion de plan d'affaires, qui permettra d'ailleurs de caractériser les déséquilibres significatifs.
Le troisième point est le principe de l'annualisation des relations commerciales. Il s'agissait de donner à la relation commerciale une visibilité sur un an. Mais depuis le 1er mars, énormément d'industriels sont confrontés à des renégociations – pas des adaptations par le biais d'avenants, mais des renégociations globales. Certaines entreprises en ont déjà vécu deux depuis le 1er mars. La majorité des industriels fondent beaucoup d'espoirs sur les travaux de la CEPC pour dégager un consensus et éviter ces interprétations qui partent dans tous les sens.
Pour ce qui est des délais de paiement, nous ne constatons pas de réductions importantes puisque les trois quarts de l'industrie alimentaire avaient déjà des délais réglementés. Mais on voit bien que les clients ont des problématiques de trésorerie qui vont probablement modifier les relations commerciales, notamment au regard des stocks. Beaucoup de clients veulent déstocker. Qui aura la charge du stockage, comment pourrons-nous assumer une livraison en flux tendus ? Beaucoup de petites structures, et même moyennes, ne sont pas adaptées pour faire face à ce nouveau schéma.
Cette lecture commune que nous souhaitons dépend largement des travaux de la CEPC. Nous croyons beaucoup en elle. Mais cela ne suffira pas. Le rapport sur l'application de la loi sera aussi très important, et il faudra en reparler en fin d'année. La charte de bonne conduite est également importante. Nous sommes tout à fait favorables à un travail de fond sur les bonnes pratiques. Il suffit de discuter pour trouver une interprétation commune. Enfin, il faut veiller à conserver la transparence qui est déjà pratiquée sur les jugements et les opérations de contrôle de l'administration.
Merci de la franchise de vos propos. C'est bien de vous que dépend l'avenir. Le rapport d'étape que Jean-Paul Charié devrait remettre assez rapidement et le rapport final, que nous attendons avec impatience, sont des travaux parlementaires mais pour le reste, la CEPC est un instrument primordial. Nous attendons beaucoup de vous. Si la CEPC réussit, avec les nouveaux moyens législatifs que nous lui avons donnés, il n'y aura aucune raison de changer la loi. Nous avons confiance en votre travail.
Nous en venons aux questions de nos collègues.
Nous avons bien compris que la loi était trop récente pour en faire une évaluation globale. Nous avons entendu des constats positifs et négatifs. Nous savons que c'est un monde de rapports de force, et qui le restera car les relations entre distributeurs et producteurs ne seront jamais un long fleuve tranquille – ce qui voudrait d'ailleurs dire que l'un domine l'autre.
Mais à cause de ce contexte de rapports de force, M. Bédier m'inquiète un peu lorsqu'il nous demande de vous laisser régler vos problèmes entre vous. Nous savons bien que, si les conventions ont été signées au 1er mars, elles avaient déjà été renégociées en mai ou en juin : on respecte la loi certes, mais on la détourne dès le lendemain. Nous savons que les déréférencements partiels perdurent, voire se multiplient, qui sont le plus sûr moyen de faire pression sur les fournisseurs : « on renégocie ou vos produits disparaissent de plusieurs de mes magasins »… Je n'avais pas voté la LME, même si elle contient des points très positifs, mais pour la faire vivre, il faut jouer le jeu des deux côtés et nous n'avons pas le sentiment que c'est le cas. Nous savons aussi que les tarifs ont été baissés pour la négociation du 1er mars, mais que les nouvelles conditions sont appliquées sur les tarifs de l'année précédente. On peut considérer cela comme des scories de la première année, mais cela ne peut absolument pas perdurer sans quoi nous considérerons que le sujet n'a pas été traité.
La modification des délais de paiement a été une mesure très positive, bien que difficile. Dans notre économie, le crédit interentreprises avait en effet supplanté le crédit bancaire. Les banques ont beau être en ce moment plus soucieuses de reconstituer leurs marges que de financer l'économie, elles doivent tout de même savoir que le crédit est de leur responsabilité. Ce n'est pas aux entreprises de se faire crédit les unes les autres. Or, les délais de paiement sont un crédit interentreprises mal connu et mal maîtrisé, qui frise parfois l'illégalité et en tout cas l'immoralité. C'est un vrai problème. Ces délais ont donc été réduits, mais certains secteurs appliquent des accords dérogatoires. Parfois, les délais étaient de 90 ou 100 jours au motif qu'on n'avait pas encore vendu – ce qui est tout de même incroyable, car lorsqu'on a pris livraison d'un produit, on en est propriétaire. On ne peut pas considérer cela comme normal. Au 1er mars donc, on a appliqué le délai de 45 jours – mais on a tout de suite négocié un accord dérogatoire. J'imagine qu'en établissant le délai de 45 jours, on a obtenu un rabais supplémentaire, ce qui est normal puisque l'on transférait des frais financiers de l'un à l'autre. Mais en rétablissant les 90 jours par accord dérogatoire, je suis sûr qu'on s'est bien gardé de revenir sur cette contrepartie ! Ce genre de question doit être repris et chacun doit jouer le jeu.
J'en viens au fonctionnement de la CEPC. J'imagine que vous êtes tous tenus au secret de vos informations et de vos délibérations. Mais on a le sentiment qu'un certain nombre de fournisseurs, mais pas seulement, craignent des sanctions. Lors de nos auditions, certaines personnes ont accepté de nous parler à condition de ne jamais apparaître dans aucun document. Cela laisse entrevoir une crainte réelle, même si elle est peut-être infondée.
Enfin, il y aura certes des contrôles sur les marges excessives, mais sur quel argument la DGCCRF pourra-t-elle s'appuyer pour les sanctionner ? Je n'en ai pas encore trouvé dans les textes.
Je confirme ce que vient de dire M. Gaubert : lors d'une précédente réunion de la commission, dans le cadre du contrôle d'application de la loi de modernisation de l'économie, j'ai, à la demande des personnes auditionnées, donné des instructions afin que le compte rendu de la réunion ne soit pas rendu public. C'était la première fois que cela se produisait ! Cette réunion, assez éprouvante, s'est tenue à huis clos.
Tout d'abord, je vous remercie, monsieur le président, d'avoir maintenu notre réunion : il était important que nous bénéficiions aujourd'hui d'un éclairage sur le travail de la CEPC, présidée par notre collègue Jean-Paul Charié, ainsi que sur la situation particulière du marché du lait, le fonctionnement de l'Observatoire des prix et des marges et l'application de la LME.
Les propos qui ont été tenus sont éclairants, mais quelque peu inquiétants. Ainsi, monsieur Bédier, vous demandez que l'on laisse la CEPC faire son travail, sans qu'il soit « pollué » par le débat public.
Il faut tout de même en tenir compte ! Nous autres, politiques, avons à répondre de la même manière à nos concitoyens, qu'ils soient consommateurs, producteurs, industriels ou distributeurs.
Par ailleurs, nous souhaiterions davantage de transparence et de contrôle, afin de pouvoir donner des réponses incontestables en vue d'une bonne application de la loi.
En effet, vous estimez tous que la loi de modernisation de l'économie est une bonne loi, qu'elle ne doit pas être modifiée et que les problèmes rencontrés relèvent essentiellement de difficultés d'application. Pourtant, madame Blumel, vous souhaitez que tout le monde fasse la même lecture de la loi. Est-ce à dire que ce n'est pas le cas ? Quelles sont les divergences ?
De même, s'agissant des tarifs, nous devons être sur la même longueur d'onde. Certes, il y a négociabilité des prix – le distributeur fixe les prix et l'industriel doit s'aligner s'il ne veut pas perdre le marché –, mais il faut aussi penser au producteur !
Monsieur de Gramont, vous avez réclamé davantage de moyens pour la DGCCRF : c'est en effet une suggestion à retenir.
Bref, il faut que tout le monde ait la même lecture de la loi et que la CEPC travaille en profondeur, sur l'ensemble de la filière – du distributeur à l'industriel et au producteur, ceux qui sont à l'origine d'un produit devant pouvoir en vivre –, dans un souci de transparence, avec un maximum de données et sans préjugés.
Serge Poignant a raison : les problèmes découlent souvent d'un manque de transparence et de lisibilité. J'espère que les membres de la CEPC nous feront des suggestions afin d'y remédier.
Cette audition revêt pour nous, élus non seulement de la nation mais aussi des collectivités territoriales, un intérêt majeur.
Aux différents acteurs économiques qui y participent, je voudrais exprimer tout mon respect : nous sommes conscients que vous jouez un rôle important dans l'organisation de notre pays et que vous participez de façon déterminante à la création de la richesse nationale.
À mon tour, je souhaite insister sur l'impératif de transparence.
Le Gouvernement et le législateur ont estimé, à travers la loi de modernisation de l'économie, que l'émulation, la concurrence et la compétition contribueront à l'obtention pour le consommateur du meilleur prix – et non du prix le plus bas. Pourtant, malgré le vote de la loi, certains grands groupes, notamment certaines centrales d'achat, continuent à bénéficier d'une situation de quasi-monopole.
Nous devons obtenir la transparence sur la constitution des prix ; il est incompréhensible que, pour le lait, la viande bovine, la viande porcine ou les fruits et légumes, les prix d'achat au producteur jouent au yo-yo mais que les prix de vente à l'étal ne changent pas.
Nous devons également obtenir la transparence dans les pratiques commerciales. « Commerce » a la même racine que « communiquer » et « communier » : dans les trois cas, cela suppose une relation de confiance. Or, pour que la confiance s'installe, il faut de la transparence.
Monsieur Bédier, sans nourrir de défiance particulière à votre égard, j'ai quelques doutes, et je souhaiterais qu'au terme de cette audition vous puissiez les lever, car s'il y a soupçon, nous ne pouvons pas travailler. En tant qu'élus, nous ne comprenons pas que les producteurs ne parviennent pas à vivre de la vente de leurs produits, alors que l'on observe, dans le secteur de la grande distribution et des centrales d'achat, des pratiques manquant quelque peu d'« éthique ».
Pour conclure, si nous procédons à ces auditions, c'est parce que nous avons le sentiment que la LME n'est pas appliquée comme elle le devrait.
À mon tour, je me félicite de cette réunion : il est normal d'évaluer une loi, même quand on ne l'a pas votée, car elle s'applique.
Une fois n'est pas coutume, je suis d'accord avec Serge Poignant : les producteurs doivent pouvoir vivre de la vente de leurs produits. En Normandie, région agricole, les producteurs rencontrent des difficultés de plus en plus grandes.
En outre, les consommateurs doivent s'y retrouver. Or, entre les producteurs et les consommateurs, il y a vous – et il y a nous…
Monsieur Bédier, lorsque vous affirmez qu'il faut « éviter que les débats publics viennent parasiter » la discussion entre acteurs et que la CEPC doit « être à l'abri des débats publics et politiques », permettez-moi de vous rappeler, à la suite de mes collègues, que nous sommes là non seulement pour voter la loi, mais aussi pour en contrôler la bonne application.
Monsieur de Gramont, vous appelez à « oublier la créativité législative ». Même si l'on peut regretter que la majorité actuelle ait tendance à faire des lois de circonstances, je ne pense pas que ce soit le cas de la loi de modernisation de l'économie. Vous ajoutez : « Au nom de la RGPP, laissez-nous des pouvoirs » !
Je suis de ceux qui regrettent que l'on ait multiplié ces dernières années les agences et autres organisations, qui ne peuvent exister qu'à condition d'avoir des moyens et des pouvoirs, et que, dans le même temps, l'on ait retiré des moyens et des pouvoirs aux organismes publics.
Au-delà de ce qui relève du secret commercial et de la négociation, le coeur du problème est de savoir comment s'élaborent les prix, entre le moment où le producteur met son produit sur le marché et celui où le consommateur l'achète. C'est d'ailleurs le même débat pour l'électricité ou le gaz !
Monsieur le président, je vous remercie d'avoir ouvert cette audition à la presse, contrairement à ce qui s'était produit le 3 juin dernier. L'absence, tout à fait regrettable, de compte rendu de cette dernière réunion traduit bien le climat actuel et le rapport de force déséquilibré entre les distributeurs et les industriels.
Je veux bien croire que le contrôle de l'application de la LME permettra d'améliorer les pratiques commerciales, mais il y a beaucoup à faire ! Les industriels de ma circonscription sont très critiques à l'égard de cette loi. Selon certains, la situation a même empiré : les contrats et les plans d'affaires ne sont pas respectés, la grande distribution demande l'application des tarifs de 2008 en 2009, le socle de la négociation serait extrêmement difficile à trouver, les fournisseurs subissent des menaces continuelles de déréférencement et doivent payer à la grande distribution des droits d'entrée considérables. La DGCCRF aurait connaissance de ces pratiques, mais n'interviendrait pas. A-t-elle les moyens de mener ses investigations et d'avertir les acteurs ?
S'agissant de la crise du lait, les ministres concernés ont ouvert des chantiers importants, avec la mise en place accélérée de l'Observatoire des prix et des marges, la rédaction d'un guide de bonnes pratiques, mais aussi la création au sein de la DGCCRF d'une brigade de contrôle de la LME. Monsieur Amand, disposerez-vous des moyens nécessaires à la création de cette brigade, afin d'améliorer la transparence des mécanismes de formation des prix et la loyauté des relations commerciales ?
Monsieur de Gramont, je vous rappelle que, dans notre République, le mandat impératif n'existe pas : les parlementaires sont libres de légiférer autant qu'ils le veulent – même si, pour sa part, le groupe SRC n'est pas favorable à l'inflation législative. Laissez-nous donc juger de l'opportunité d'une modification de la loi ! Tout comme notre président, je trouve vos propos fort désagréables.
Il ne doit pas y avoir de chape de plomb sur ces questions. Grâce à nos rencontres avec les industriels et les fournisseurs de nos circonscriptions, nous pouvons nous faire une idée de l'état du rapport de force. Il est du devoir des parlementaires de transmettre certaines informations. Vous représentez des groupements économiques, et notre rôle est de vous garantir une totale liberté de parole tout en faisant en sorte que les intérêts des uns soient pris en compte par les autres.
Bien que n'ayant pas voté la LME, je pense que nous partageons tous, sur ces bancs, un certain nombre d'objectifs, même si nous divergeons sur les moyens pour les atteindre : cette partie de la loi n'était pas celle qui prêtait le plus à polémique.
En tant que députés, nous défendons l'intérêt général, et non des intérêts particuliers. Or nous nous demandons si les gains de productivité sont toujours bien répercutés en bout de chaîne, au bénéfice du consommateur, en particulier dans la grande distribution. Par exemple, je m'étonne que l'automatisation des systèmes de caisse ne se soit pas traduite par des diminutions de prix ; inversement, on a assisté pendant longtemps à des augmentations inexpliquées alors que les fournisseurs n'étaient pas payés beaucoup plus cher.
Toutefois, les consommateurs commencent à réagir et à modifier leurs comportements d'achat. Par conséquent, vous avez tout intérêt à ce que les relations entre les différents acteurs s'apaisent et qu'elles gagnent en transparence.
Enfin, il convient de donner à la DGCCRF les moyens nécessaires à son action – ce qui relève de notre compétence. Il serait en effet illusoire de vouloir régler toutes les questions uniquement grâce à de la bonne volonté.
La DGCCRF, jusqu'alors régionalisée, semble évoluer vers une organisation départementale. Pourtant, pour remplir ses tâches, elle devrait avoir une vision aussi large que possible, et non regarder par le petit bout de la lorgnette. Quelle est votre position à ce propos, monsieur Amand ?
J'abonderai dans le sens de Mme Blumel, s'agissant des délais de paiement.
La LME oblige les entreprises à payer leur fournisseur sous trente jours. Or elles doivent faire des provisions de fournitures et stocker coûte cher. Comment concilier la réduction des délais de paiement et la nécessité de constituer des stocks ?
Dans ma région, certaines entreprises ont subi de sévères contrôles sur ce point, ce qui les a mises en difficulté. Pourrait-on faire preuve d'un peu plus de souplesse ?
Je souhaite attirer également votre attention sur les consommateurs, qui sont à la fois les dindons de la farce, eu égard à la différence stupéfiante entre le prix payé au producteur et celui proposé au consommateur, et des gendarmes, car ils dénoncent certaines pratiques commerciales douteuses, comme la reconduction tacite des offres d'essai téléphoniques. Comment remédier à cette situation ?
Je précise à M. Philippe-Armand Martin que la CEPC s'occupe exclusivement des pratiques commerciales entre entreprises, et non de celles à destination du consommateur – même si celui-ci est au coeur de nos préoccupations.
Je m'associe à la demande de transparence dans les relations commerciales. Comme lors de la discussion de la LME, nous avons en effet le sentiment d'une certaine défiance des acteurs entre eux.
En particulier, nous appelons à davantage de transparence en matière de constitution des marges. Il est injuste que les producteurs ne puissent pas vivre de leur production. Existe-t-il des raisons structurelles à cela ? Disposez-vous d'éléments de comparaison avec d'autres pays européens, qui pourraient nous aider à comprendre de telles distorsions ?
S'agissant des délais de paiement, il est vrai que la mise en place d'un plafonnement et l'interdiction de leur négociation dans le contrat peuvent aboutir à des positions délicates. Toutefois, la situation antérieure amenait des entreprises à jouer le rôle d'un banquier, ce que nous refusons. Chacune des filières devrait pouvoir s'organiser de façon à respecter les délais imposés par la loi.
Les pharmaciens, par exemple, pouvaient payer leurs fournisseurs au bout de six mois, en échange d'un engagement d'approvisionnement sur six mois également pour certains médicaments. Ce ne sont pas de bonnes pratiques !
Je propose que les membres de la CEPC qui le souhaitent répondent à présent aux questions des parlementaires.
Quoique je n'aie participé qu'à une seule réunion de la CEPC, que je viens de rejoindre, je ferai trois réflexions.
Premièrement, on ne pourra évaluer correctement la loi de modernisation de l'économie que si l'on prend en compte l'impact de la crise financière sur les pratiques commerciales et les tensions qui en découlent.
Deuxièmement, il convient d'examiner les relations interentreprises également au regard de la norme européenne, source de nombreuses contraintes.
Troisièmement, il faudrait consacrer une séance particulière de notre commission au débat entre transparence et secret, indépendamment des tensions et des pressions ponctuelles, afin de définir une sorte de « code éthique » de la CEPC en la matière.
Vous avez raison : si nous souhaitons la transparence, nous comprenons bien qu'il faut également garantir le secret, et ce n'est pas facile.
Je constate une certaine convergence dans les points de vue des parlementaires. J'ai le sentiment que, de nouveau, le procès de la grande distribution est ouvert ; dans toutes les interventions, notre secteur d'activité est mis en cause de manière très brutale.
Monsieur Bédier, dans cette enceinte, des parlementaires posent légitimement des questions et personne ne fait de procès à la grande distribution – pour l'heure, en tout cas. Je vous prie de ne pas tenir des propos qui risquent de gâter l'ambiance et de compliquer inutilement les choses.
Nous ne pouvons travailler avec vous et avec l'ensemble de nos partenaires qu'en l'absence de jugements préconçus. Tous les problèmes ne peuvent être imputés à la grande distribution ! Nous ne pourrons aboutir à un constat commun et à une vision objective qu'à condition que l'on prenne le temps d'échanger et que la question ne soit pas réglée avant même d'être posée.
Dans le secteur de la distribution, contrairement à ce que l'on dit, la situation est grave : les marges sont en baisse de 20 à 30 %, nous sommes soumis à une contrainte de productivité très forte et nous avons vécu des événements inédits dans les magasins, avec des menaces sur les biens et les personnes.
S'agissant du prix du lait, nous sommes intervenus à plusieurs reprises. D'une part, nous avons proposé à l'Observatoire des prix et des marges de faire appel à des experts extérieurs pour étudier la formation des prix et des marges ; cela a déjà été fait dans d'autres filières, comme les produits de la mer ou la viande porcine, et aucune anomalie particulière n'a été relevée.
D'autre part, les producteurs doivent pouvoir vivre de leur production, nous en sommes bien d'accord ! Or les vrais problèmes ne proviennent pas, comme on le laisse accroire, des marges de la grande distribution, mais de la réglementation européenne et française, des identifications d'origine et de provenance de certains produits et des conditions de compétitivité différentes entre les pays. Nous sommes prêts à accorder à l'analyse de ces questions le temps qu'il faudra.
D'ailleurs, c'est notre secteur professionnel qui a fait le plus pour répondre aux questions concrètes des producteurs. Nous sommes ainsi les seuls à afficher sur la longe de porc et les marques de distributeurs le logo « Viande porcine française ». Il faut aussi prendre en considération les différentes étapes et venir en aide aux producteurs dont le prix de production est trop élevé ; pour le lait, par exemple, le prix de revient varie entre 20 et 45 centimes.
On évoque toujours la position de monopole des distributeurs, mais s'agissant du lait ou de la viande porcine, quatre ou cinq grands fournisseurs détiennent 80 % du marché – sans parler du marché de certaines boissons ni de celui des lames de rasoirs !
Par ailleurs, je trouve regrettable que certaines auditions se déroulent dans le secret. Il faut dépasser ce réflexe, tel est précisément l'un des objectifs de la CEPC. Toutefois, une fois certains sujets abordés, il faut également garantir un débat contradictoire et, comme dans tout procès, permettre à chacun de s'exprimer.
On dénonce fréquemment le « déréférencement ». Pourtant, il est naturel pour un commerçant de changer de fournisseur – à condition, bien évidemment, de respecter certaines règles. Cela fait partie de la vie normale des affaires ! Ainsi, nous ne souhaitons pas conserver certaines références, qui étaient imposées par des accords de gamme mais ne rencontraient aucun succès auprès des consommateurs.
En revanche, si des menaces de déréférencement sont proférées afin de peser sur les négociations, c'est un autre problème. Il faut donc prendre le temps d'aller au fond du débat. En affirmant que la grande distribution est en position de monopole et que, quel que soit le sujet, il faut lutter contre elle, on passe à côté des vraies solutions.
De même, la CEPC devrait parvenir assez facilement à un accord sur la renégociation du contrat : il peut y avoir négociation d'un avenant, mais pas remise en cause de l'ensemble du contrat.
S'agissant des tarifs, le délai du mois de mars se trouve en décalage par rapport à l'application de l'accord : il ne paraît pas logique d'accorder un délai de deux mois entre la mise en place et la signature de l'accord ! Pour clarifier les choses, il faudrait que la CEPC recommande aux acteurs une signature anticipée des contrats, ce qui suppose des délais réciproques, c'est-à-dire que les industriels transmettent beaucoup plus tôt leurs tarifs aux distributeurs, afin que l'ensemble du contrat soit signé pour le 31 décembre.
Enfin, nous ne sommes pas en situation de monopole : la concurrence reste très vive entre les différents acteurs, et nous essayons de gagner des parts de marché. Le problème, aujourd'hui, c'est davantage la faiblesse de certains prix, qui risque de déstabiliser les marchés, que les marges trop importantes.
Je le répète : s'il existe des comportements abusifs, notre intérêt est d'en parler, mais à condition que notre secteur ne soit pas systématiquement stigmatisé.
Vous mesurez la complexité du travail du président de la CEPC, qui est en permanence à la recherche d'un consensus minimal !
Monsieur Bédier, nous devons garantir une totale confidentialité à ceux qui nous posent des questions ou nous demandent des avis.
Par ailleurs, j'ai toujours affirmé que l'on ne pouvait pas être à la fois favorable à la libre concurrence et opposé à une certaine forme d'entreprise ; je ne cesse de saluer l'apport de la grande distribution à notre pays ; et, dans le cadre de la réforme de l'urbanisme commercial, je souhaite, avec mes collègues parlementaires, réintroduire le commerce au coeur de nos villes. Alors, cessez de nous dire, dès que l'on pose certaines questions, que l'on fait le procès de la grande distribution ! Ce n'est pas parce qu'il est de notre devoir de constater – dans votre intérêt, d'ailleurs – que certains passent leur temps à détourner la loi, qui plus est en s'en vantant, que nous faisons le procès de la grande distribution ! Si nous voulons sauver l'économie de marché, il faut avoir le courage de dénoncer les mauvaises pratiques.
Dans ce cas, veillons à mettre en cause les comportements et non les acteurs eux-mêmes !
Monsieur Bédier, je le répète : personne n'accuse quiconque, nous nous bornons à faire des constats.
En revanche, de ces constats, nous tirerons les conséquences. Si nous constatons que le système fonctionne correctement et que nous pouvons faire confiance aux acteurs, nous ne modifierons rien. Mais si nous constatons que la LME n'est pas correctement appliquée, nous agirons. La Constitution nous donne le droit de déposer des propositions de loi, que le Gouvernement soit d'accord ou non. Même si je n'ai a priori aucune envie de rédiger un texte supplémentaire, nous prendrons nos responsabilités !
Nous n'avons aucun préjugé contre la grande distribution. En revanche, il subsiste des interrogations, auxquelles il convient de répondre par la transparence, sans pour autant écorner le secret. Je reconnais que cela n'est pas facile.
Il reste que certains propos sont inacceptables et que des accusations ont été proférées à l'encontre du Parlement par des personnes qui ne sont pas ici présentes. Permettez-nous de réagir avec une certaine virulence !
Pour ma part, je souhaite que la CEPC réussisse dans sa mission et nous ferons tout pour l'y aider. Mais les consommateurs posent des questions légitimes et il faut leur apporter des réponses : vous êtes là pour cela.
Monsieur Poignant, il existe en effet des interprétations divergentes de la LME : certains clients font une lecture extrêmement libérale du texte, contraire à son esprit.
La LME prévoit de prendre les conditions générales de vente comme point de départ pour les tarifs et de conclure au 1er mars un plan d'affaires afin d'équilibrer la relation commerciale. Il s'agit donc d'une négociation annuelle : des avenants sont susceptibles d'adapter le contrat au long de l'année, mais sans remettre en cause l'équilibre général.
Or, dans la pratique, certains clients imposent des négociations permanentes – on compte déjà deux étapes successives depuis le 1er mars –, dédaignent la formalisation de la relation commerciale dans un plan d'affaires, et refusent presque systématiquement l'application des conditions générales de vente. Il y a ainsi confusion entre le tarif de départ et le prix d'achat « trois fois net ».
Je suis moi aussi nouveau venu dans la CEPC.
Peut-être serait-il utile, pour la commission, de disposer d'informations précises sur les pratiques et les mécanismes actuels de détermination des prix depuis le producteur jusqu'au consommateur, non acteur par acteur, mais secteur par secteur. Il existe des règles : nous devons examiner dans quelle mesure elles sont efficaces et dans quelle mesure la LME est susceptible d'avoir des effets positifs. En tout état de cause, le juriste que je suis a besoin de l'appui des économistes pour étudier la formation des prix et leurs variations tout au long de la filière.
Monsieur Gaubert, nous n'avons pas à contrôler les marges : nous considérons que, suivant l'esprit de la LME, c'est à la concurrence de les réguler et non aux pouvoirs publics.
En revanche, nous allons contrôler l'absence de déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties sous contrat. La liberté de négociation a plutôt joué en faveur des opérateurs ; son garde-fou était la notion de déséquilibre significatif. A-t-il fonctionné ? Il est encore trop tôt pour le dire. En tout état de cause, nous considérons qu'il nous sera possible de mettre en oeuvre cette notion microéconomique et que les juges pourront sanctionner un déséquilibre significatif.
Dans certains cas, le déséquilibre est manifeste, en raison d'une clause abusive du contrat. Par exemple, un contrat faisant peser l'aléa économique sur une seule des parties – qu'il s'agisse du fournisseur ou du distributeur – est manifestement déséquilibré.
Dans d'autres cas, le déséquilibre apparaît lors de l'exécution : un contrat qui ne rémunérerait pas les coûts marginaux de production d'un fournisseur pourrait ainsi créer un déséquilibre significatif.
La notion est en construction ; nous espérons la faire appliquer par les tribunaux. La difficulté, c'est que, comme l'action est portée devant le juge civil, on est obligé de donner le nom de la partie victime de l'abus. Les opérateurs risquent donc de refuser de nous accompagner devant le juge.
Madame Le Loch, la brigade de contrôle de la LME fonctionne depuis trois semaines : 120 personnes poursuivent les enquêtes du plan de contrôle et commencent à en diligenter de nouvelles, notamment à l'égard des producteurs agricoles ; elles sont également à l'écoute des opérateurs et leur proposent des solutions pratiques, notamment en leur rappelant les possibilités offertes par la loi, ce qui suffit parfois à résoudre un conflit.
Monsieur Gagnaire, il est vrai que les unités départementales de la CCRF se sont rapprochées des directions départementales des services vétérinaires dans le cadre de directions départementales de la protection de la population. Toutefois, cela ne prévaut pas sur l'organisation des missions de chacun. Pour notre part, nous souhaitons que la régulation des pratiques commerciales continue à s'exercer à l'échelon de la région – la brigade fonctionne d'ailleurs à ce niveau. Il n'y a donc pas de dilution de notre capacité d'action sur le territoire.
S'agissant de la transparence, il convient de distinguer la transparence ex post de la transparence ex ante. La première consiste en un travail statistique montrant comment, au final, les marges se répartissent entre les différents opérateurs. Il peut être réalisé dans le cadre de l'Observatoire des prix et des marges, mais aussi des comptes de la nation. La transparence ex ante, en revanche, comporte un risque de collusion entre les opérateurs afin de pratiquer les mêmes marges tout au long de la chaîne, ce qui conduirait, à l'encontre des objectifs de la LME, à geler la concurrence.
Dans le commerce spécialisé, la loi de modernisation de l'économie est en cours d'application, mais les résultats se font attendre.
La baisse des prix est enclenchée, celle des marges aussi : la concurrence joue.
Quant à la formation des prix de vente, je vous engage à comparer nos bilans avec ceux de nos fournisseurs comme Nike, Bosch ou Black & Decker : vous verrez la différence !
Les délais de règlement sont le résultat d'un processus d'approvisionnement, puisque les magasins sont approvisionnés tous les six mois. Ce sont les fournisseurs qui nous l'imposent.
Enfin, s'agissant des marges dans le reste de l'Europe, je fais partie d'un groupement européen et je peux vous dire que celles de mes collègues d'Allemagne et d'Europe du Nord sont bien plus élevées que les miennes !
Je voudrais tout d'abord souligner, en tant que représentant de la FNSEA, qu'il est de notre intérêt d'apporter au consommateur une réponse claire, nette et la plus juste possible en termes de prix.
Le problème du lait ne se limite pas aux seules relations avec la grande distribution. Il ne faut pas faire d'amalgame : nous autres, producteurs, avons besoin de l'ensemble de la distribution, sans exclusive.
La responsabilité du monde agricole porte sur la structuration de l'offre. Nous pouvons travailler avec le Parlement en la matière. L'interprofession avait réalisé un travail constructif sur le lait, qui a été remis en cause par les services de la concurrence ; pourtant, il ne s'agissait pas d'une entente mais d'une approche concertée en vue de la formation d'un prix.
Quant à l'évolution de la réglementation européenne, il conviendra de mettre en place, au niveau de l'interprofession, une politique contractuelle collective avant qu'elle ne soit déclinée de manière individuelle.
Il n'empêche qu'il existe des rapports de force. Notre secteur d'activité, qui concerne 550 000 ou 600 000 producteurs, fait vivre 10 000 PME, dont nous avons besoin ; nul ne peut nier que les centrales d'achat constituent un goulet d'étranglement !
S'agissant des pratiques, nous nous heurtons à des abus semblables à ceux qui ont déjà été signalés ; par exemple, une chaîne de distribution impose sa facturation à ses fournisseurs.
À ce sujet, je souhaite attirer l'attention des parlementaires sur le fait que, si nous ne sommes pas favorables à une économie administrée, nous avons besoin, en matière agricole, d'une économie régulée. L'expérience que nous avons vécue durant les dix-huit derniers mois montre qu'en livrant l'agriculture à l'expression débridée des marchés, on ne se donne plus les moyens de garantir la sécurité du consommateur, tant en matière d'approvisionnement que de prix.
Je remercie le président Charié d'avoir relancé la dynamique de la CEPC. Il est important de jouer cartes sur table et d'avoir connaissance des différentes interprétations de la loi, les mauvaises comme les bonnes.
De cette loi, il faudra tirer un bilan. Il revient à vous, représentants du peuple, de donner aux services de la concurrence les moyens nécessaires pour qu'ils puissent réaliser des contrôles effectifs sur le terrain.
S'agissant des rapports de force, je souhaite apporter le témoignage d'un producteur présent à la fois dans ma circonscription et en Chine, à qui l'on a demandé de baisser ses tarifs de 15 %, sans négociation possible. Lorsqu'il l'a dit qu'il ne pouvait accepter cette baisse, il s'est entendu répondre « eh bien délocalisez totalement votre production en Chine ! »… Après cela, les distributeurs peuvent toujours prétendre qu'ils défendent les PME !
Je voulais par ailleurs vous informer, Monsieur le président, que la presse fait état ce matin d'un premier licenciement dans la grande distribution pour refus de travailler le dimanche…
Je remercie tous les participants à cette audition qui a montré que je me trouve dans une situation plutôt inconfortable tant au sein de la CEPC que vis-à-vis de mes collègues… Mais, parce que le monde parlementaire est en contact direct avec les entreprises, nous constatons qu'en dépit de quelques dérives, notamment dans l'agroalimentaire, l'économie de marché fonctionne globalement de façon correcte dans la plupart des secteurs d'activité. Si les choses se passent bien par exemple dans l'électroménager, il n'y a aucune raison pour qu'elles ne se passent pas bien ailleurs.
Enfin, la CEPC a été créée parce qu'on ne pouvait pas tout mettre dans la loi et parce qu'il est normal que quelqu'un vérifie si les situations sont conformes à la loi. C'est pour nous une mission difficile mais passionnante.
Si, comme l'a dit M. Bédier, un certain nombre de décisions se prennent à Bruxelles, s'agissant du prix du lait, ce n'est pas l'Europe qui s'oppose au regroupement en vue de la mise sur le marché – qui est pratiqué aux Pays-Bas et au Danemark sans que la Commission y trouve à redire – mais bien la DGCCRF, sur instruction du gouvernement.
Je vous remercie à mon tour d'avoir participé à cet exercice nouveau que nous serons appelés à reproduire. J'insiste à nouveau sur le fait que la discussion doit permettre le cas échéant de procéder aux corrections nécessaires mais surtout de veiller à ce que les différents organismes qui ont été créés fonctionnent correctement. À titre personnel, je privilégie plutôt ce dernier aspect. Nous ferons donc tout pour éviter de légiférer à nouveau, mais cela dépend surtout de vous : les membres de la CEPC ont donc un poids considérable sur les épaules.
Pour bien comprendre comment fonctionne le système, nous devons dialoguer dans un climat de confiance. C'est pour cela que les parlementaires souhaitent vous faire part de ce qu'ils ressentent, de ce que les consommateurs leur disent, dans leurs circonscriptions. Pour ma part, je suis convaincu que la LME est un bon texte et j'ai confiance dans ce que la CEPC en fera. S'il apparaît que vous avez besoin de plus de moyens, nous saurons vous aider.
Pour concilier – j'allais dire pour réconcilier – les différentes positions, même si le rapport de force est légitime, il faut en premier lieu éviter tout détournement de la loi. Pour cela, la transparence apparaît un outil essentiel. Mais il faut aussi que nous cessions de nous interpeller par articles de presse interposés, je le dis tout autant aux parlementaires qu'aux représentants des professionnels. Pour accomplir le travail considérable qu'elle a devant elle, la CEPC doit pouvoir compter sur notre confiance et celle-ci sera récompensée par des résultats rapides.
Nous verrons à nouveau en septembre, avec Christine Lagarde, comment ce dispositif fonctionne. Nous attendons aussi avec impatience le rapport d'étape de Jean-Paul Charié sur l'application de la loi. Nous pourrons ensuite tenir tous ensemble, courant octobre, une nouvelle réunion : on ne perd jamais de temps à dialoguer.
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Informations relatives à la commission