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Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Séance du 20 janvier 2010 à 9h45

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION

Mercredi 20 janvier 2010

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Michel Herbillon, vice-président de la Commission, puis de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)

La Commission des affaires culturelles et de l'éducation entend Mme Delphine Borione, directrice de la politique culturelle et du français au ministère des Affaires étrangères et européennes, M. Bernard Faivre d'Arcier, consultant culturel, chargé par le ministère des Affaires étrangères et européennes d'étudier la réorganisation et la réforme de la tutelle du réseau culturel français à l'étranger, M. Alain Fohr, sous-directeur de la diversité culturelle et du patrimoine mondial, M. Chris Hickey, directeur du British Council de Paris, M. Jean-Philippe Mochon, chef du service des affaires juridiques et internationales au ministère de la culture et de la communication, et M. Joachim Umlauf, directeur du Goethe Institut de Paris.

PermalienPhoto de Michel Herbillon

Notre présidente, retenue par une réunion urgente relative à l'adoption d'enfants d'Haïti, suite aux problèmes que rencontrent aujourd'hui en la matière certains de nos compatriotes, m'a demandé d'ouvrir ce débat en son nom, débat que la Commission des affaires culturelles et de l'éducation a souhaité organiser sur l'action culturelle extérieure, ses enjeux et ses évolutions.

Notre Commission, créée le 1er juillet dernier, est soucieuse de prendre part à la réflexion menée depuis plusieurs années sur l'un des aspects fondamentaux de la diplomatie française, qui se poursuivra par la discussion d'un projet de loi déposé au Sénat le 22 juillet dernier.

Si la Commission des affaires étrangères a vocation à se saisir au fond de ce texte – elle a d'ailleurs constitué, au printemps dernier, une mission d'information sur le rayonnement de la France à travers l'enseignement et la culture – notre Commission est saisie pour avis sur son contenu. C'est donc dans la perspective de l'examen de ce projet de loi, sur lequel le Sénat aura imprimé sa marque, que nous sommes réunis ce matin, dans le cadre de deux tables rondes.

La première consiste à établir un état des lieux de notre dispositif culturel extérieur – ses évolutions, sa pertinence, sa lisibilité, son impact à l'étranger et ses difficultés – au regard des dispositifs mis en place par nos principaux voisins européens, en particulier le Royaume Uni et l'Allemagne.

La seconde sera consacrée aux acteurs de l'action culturelle extérieure, dont certains sont plus particulièrement concernés par la réorganisation de la diplomatie culturelle prévue dans le projet de loi.

Je salue sans plus tarder nos invités en donnant tout d'abord la parole à M. Bernard Faivre d'Arcier.

PermalienBernard Faivre d'Arcier, consultant culturel

C'est un peu à titre personnel que j'interviens devant vous en tant qu'ancien professionnel du milieu de la culture, puisque j'ai dirigé pendant une quinzaine d'années le Festival d'Avignon avant d'être directeur d'administration centrale au ministère de la culture. À ce titre, j'ai été chargé par la Direction générale de la coopération internationale et du développement de réaliser une étude comparée sur la situation des réseaux culturels des principaux pays européens – France, Espagne, Royaume Uni et Allemagne –, étude qui s'inscrit dans une réflexion d'ensemble sur l'organisation du ministère des affaires étrangères et de son réseau culturel français à l'étranger.

La comparaison était difficile, voire impossible, car les missions et les champs d'attribution des uns et des autres n'étaient pas les mêmes. Mais elle nous a conduits à nous demander s'il ne fallait pas faire du réseau culturel français une sorte de British Council.

Ces débats sont derrière nous puisque le Parlement est saisi d'un projet de loi portant création de deux établissements publics distincts contribuant à l'action extérieure de la France à l'étranger. Mon rapport est donc devenu obsolète, mais il reste l'absolue nécessité d'instaurer des relations professionnelles entre le réseau culturel français à l'étranger et les acteurs culturels de France – musées, écoles d'art, scènes nationales, théâtres, orchestres – comme le souhaitent vivement les professionnels culturels français, qui l'ont exprimé à l'occasion des entretiens de Valois que le ministère de la culture a conduits en 2008 et 2009.

Une autre préoccupation traduite dans ce rapport tient à la formation. Le Goethe Institut et le British Council sont des organisations puissantes, au sein desquelles les personnels passent l'ensemble de leur vie professionnelle. Les directeurs du British Council sont affectés à différents postes avant de revenir à leur administration centrale. Ils capitalisent ainsi leur expérience. Ce n'est pas le cas en France, où la gestion du personnel est très différente. Dans notre pays, les recrutements sont beaucoup plus erratiques et les formations des personnels français qui partent à l'étranger demeurent on ne peut plus minces – elles ne durent que trois ou quatre jours. Certains ne savent pas comment gérer un établissement public à autonomie financière, d'autres sont peu renseignés sur la situation culturelle du pays qu'ils rejoignent, ni d'ailleurs sur celle de la France elle-même !

Il faut donc consacrer des moyens à la formation professionnelle continue – il semble que ces moyens existent dans le projet de budget pour 2010, à hauteur de 6 millions d'euros – pour permettre aux personnels français qui exercent à l'étranger de se réadapter, notamment en assistant à des festivals, à des biennales, à des grandes manifestations, et de remettre à jour les contacts professionnels dont ils ont besoin pour mieux exercer leur influence à l'étranger.

Le réseau culturel français, l'un des plus vastes du monde, ne cesse d'évoluer : nous fermons les centres là où ils ne sont plus nécessaires, et nous en ouvrons d'autres. Mais il ne servirait à rien d'entretenir un réseau aussi développé si nous privions les personnes sur place de leurs moyens d'action, sauf si leur professionnalisme et leur autorité naturelle leur assurent une influence comparable à celle de leurs homologues britanniques ou allemands.

PermalienChris Hickey, directeur du British Council de Paris

C'est un très grand honneur pour moi d'être parmi vous pour évoquer le British Council. Au Royaume Uni, nous définissons les relations culturelles comme un engagement et une confiance réciproque entre personnes de différentes cultures, au moyen d'un échange de connaissances et d'idées. Il ne s'agit pas simplement de promouvoir la culture de notre pays, mais le dialogue entre différentes sociétés civiles.

Le British Council est une entité publique non gouvernementale et une fondation à but non lucratif, qui reçoit ses directions stratégiques d'un conseil réunissant douze administrateurs, ce qui lui assure autonomie et indépendance vis-à-vis du gouvernement.

Le chiffre d'affaires total du British Council s'élevait en 2009 à 645 millions de livres sterling, dont environ un tiers, soit 210 millions de livres sterling, provenait de subventions du gouvernement, par l'intermédiaire du Foreign and Commonwealth Office, et la plus grande part – presque 50 %, soit 315 millions de livres sterling – de nos services éducatifs – cours d'anglais, examens, frais de gestion de la coopération – ; s'y s'ajoutent 120 millions de livres sterling de fonds d'agence, qui permettent de mener des programmes nationaux (bourses Chevening) et européens (tels Socrates).

Notre expertise s'étend dans trois domaines principaux, dans lesquels nous sommes les mieux placés pour répondre, à long terme, aux enjeux internationaux du XXIe siècle et à ceux du Royaume Uni : le dialogue interculturel, la créativité et l'économie du savoir, et le changement climatique.

Nous considérons que la présence de partenariats, au Royaume Uni et à l'étranger, est essentielle, et nous remplissons ainsi notre mission avec des organisations qui représentent l'expertise du Royaume Uni : le Foreign Office – notre ministère des affaires étrangères –, la BBC, le Arts Council (le conseil artistique d'Angleterre), ou encore, dans le domaine du tourisme, l'organisme Visit Britain, avec qui nous travaillons en tant que membre du Public Diplomacy Board (Conseil pour la Diplomatie Publique), dont la mission est de coordonner le travail d'entités financées par des fonds publics.

En 2009, nous avons eu un contact direct avec 13 millions de personnes à travers le monde, et avec 221 millions par l'intermédiaire des médias et d'Internet. En un an, nous éduquons 325 000 étudiants anglais dans 53 pays ; nous permettons à 8 millions de jeunes de prendre part à des activités internationales ; et nous accueillons 8,5 millions de visiteurs dans nos bureaux.

Notre réseau international, qui fait notre force, emploie 7 400 personnes, qui travaillent dans plus d'une centaine de pays. Si, en Europe, nous avons réduit nos dépenses de 30 %, tout en maintenant l'impact de notre action, nous avons défini pour l'avenir nos priorités géographiques : le Proche et le Moyen-Orient, l'Asie centrale, les principales économies émergentes – Chine, Inde, Brésil – et les pays dont l'environnement représente un défi – Iran, Irak, Afghanistan, Zimbabwe, Pakistan.

Alors même que le niveau des subventions gouvernementales sera réduit, sinon gelé, nous envisageons d'étendre notre action, par le biais de partenariats avec d'autres organisations, et de poursuivre notre mission d'enseignement de l'anglais. Nous voulons ainsi accroître de manière significative l'impact de nos activités.

PermalienPhoto de Michel Herbillon

Le réseau du British Council est-il réellement plus dense que les réseaux français ou allemand ?

PermalienChris Hickey, directeur du British Council de Paris

Nous sommes présents dans 110 pays, où nous comptons 220 bureaux.

PermalienBernard Faivre d'Arcier, consultant culturel

Les réseaux français et britannique sont à peu près équivalents, et beaucoup plus importants que le Goethe Institut, de création plus récente. Le réseau espagnol, l'Instituto Cervantes, occupe la quatrième place. Pour ce qui est de leur présence géographique, tous diminuent le nombre de leurs implantations en Europe – simplement parce que les échanges culturels s'y pratiquent naturellement, en particulier par le biais des institutions culturelles – pour les redéployer dans les pays émergents ou en Asie centrale, où le British Council a une longueur d'avance.

PermalienJoachim Umlauf, directeur du Goethe Institut de Paris

J'espère que ce débat nous donnera l'occasion d'évoquer les défis de la politique culturelle européenne, car il est paradoxal qu'en Europe, la politique culturelle nationale soit restée, contrairement à l'économie, un domaine tout aussi national que la promotion de la langue.

Le Goethe Institut, s'il peut être comparé au British Council s'agissant de son autonomie vis-à-vis du Gouvernement, diffère beaucoup sur le plan de ses activités. Il est ainsi difficile de connaître la densité de notre réseau car il existe une grande différence entre les bureaux composés d'un ou de deux employés et les instituts proposant une véritable programmation culturelle.

L'histoire des institutions allemandes chargées de représenter la culture et la langue allemandes à l'étranger commence dans les années 1920. Après une première guerre mondiale perdue, l'État était tellement discrédité que les Allemands ont cru bon de fonder des institutions émergeant de la société civile, tel le Goethe Institut, qui n'a en effet pas été fondé en 1952, comme cela a longtemps été dit, mais en 1932, à l'occasion du centenaire de la mort de Goethe. Il fut instrumentalisé par les Nazis avant d'être interdit, à la fin de la deuxième guerre mondiale. C'est ainsi qu'après deux guerres mondiales perdues, ont coexisté, au côté du Goethe Institut, d'autres institutions émergeant de la société civile : l'Office allemand d'échanges universitaires (DAAD) et la fondation Alexander von Humboldt.

En Allemagne, deux principes ont toujours régné : l'autonomie et la décentralisation. En l'occurrence, l'autonomie ne porte que sur les contenus des programmes ; il ne s'agit pas d'une autonomie financière, puisque nous dépendons largement des subventions de l'État, auquel nous sommes liés par un contrat. Mais pour éviter toute instrumentalisation, ce contrat ne lie pas l'Institut au Gouvernement.

Depuis trois décennies, le Goethe Institut contribue à améliorer l'image de l'Allemagne de l'Ouest et, depuis 1989, de l'Allemagne tout entière, en évoquant très librement les points noirs de notre passé. Dans un premier temps, ces critiques n'ont pas plu aux hommes et aux femmes politiques, mais les récents gouvernements les ont pour leur part acceptées.

L'Institut est confronté à certains problèmes financiers, dus au fameux « piège structurel » : nos frais structurels sont tellement élevés qu'il reste peu d'argent pour les programmes culturels. La crise financière que nous traversons, et qui va s'aggraver en 2011 et 2012, va sans nul doute amplifier le problème. Nous aurons une belle maison, mais sans la moindre possibilité de mener des actions culturelles pertinentes.

PermalienDelphine Borione, directrice de la politique culturelle et du français au ministère des Affaires étrangères et européennes

Je suis très heureuse de pouvoir discuter avec vous d'un élément clé de notre action culturelle extérieure et de notre diplomatie, au moment où un projet de loi à l'ordre du jour du Parlement a pour objet de restructurer notre dispositif.

Le dispositif culturel français est fondé sur la diversité. La France dispose, répartis dans 160 pays, de services de coopération et d'action culturelle qui dépendent des ambassades : 135 centres et instituts – chiffre qui, du fait des nombreuses fusions et restructurations, ne cesse d'évoluer –, directement rattachés au ministère, auxquels s'ajoute le réseau des 1 000 Alliances françaises, dont 460 sont soutenues par le ministère des affaires étrangères et européennes, que ce soit par le biais de la mise à disposition d'un agent ou de moyens financiers.

Notre réseau culturel, qui s'appuie sur le réseau public et le réseau associatif, a conservé sa vocation d'universalité, comme le confirme le Livre blanc du ministère. Cette richesse est issue de notre histoire. Le réseau de l'Alliance française a été créé en 1883, les premiers instituts sont apparus au début du XXe siècle, et l'Association française pour l'action artistique (AFAA), devenue par la suite CulturesFrance après sa fusion avec l'Association pour la diffusion de la pensée française (ADPF), a été créée dans les années 1920.

Notre mission principale est de soutenir la diversité culturelle, élément fondamental de la diplomatie et des grands enjeux mondiaux, à travers deux actions plus spécifiques : d'une part, contribuer au rayonnement de la langue, de la culture française et fournir de LA documentation sur la France et l'Europe ; d'autre part, promouvoir des industries culturelles et des études en France.

Une autre de nos missions consiste à renforcer la solidarité et la coopération, dans une perspective de dialogue interculturel, grâce au multilinguisme et à la coopération internationale, en nous appuyant sur des programmes, tel celui de CulturesFrance « Afrique et Caraïbes ». Cette dernière association aide également les pays du Sud à se doter d'institutions propres à promouvoir leur propre culture.

Notre réseau ne cesse d'évoluer, en premier lieu au plan géographique. Nous recentrons notre priorité sur les pays émergents, qui sont des partenaires essentiels, ainsi que sur la zone francophone, qui attend beaucoup de nous. Notre réseau évolue également au plan des structures de financement. L'autofinancement, exigé par les contraintes budgétaires actuelles, concerne plus de 50 % des centres et instituts et 70 % des Alliances françaises. Il évolue enfin du fait du développement du numérique, qui nous oblige à adapter notre équipement et nos méthodes.

La réforme culturelle qui sera discutée prochainement au Sénat s'appuie sur quatre piliers : un ministère plus recentré sur ses missions de pilotage ; un réseau public plus unifié, grâce à la fusion entre nos centres culturels et les services d'action culturelle ; la transformation de l'association CulturesFrance en un établissement public à caractère industriel et commercial, dont les missions seront élargies à la culture, à la langue, aux idées et aux savoirs ; l'existence d'un lien beaucoup plus fort entre cette association et notre réseau, dont l'appellation commune permettra une meilleure visibilité.

L'un des axes majeurs de cette réforme est la formation. La formation initiale passe de quatre à quinze jours, et elle sera suivie de formations permanentes. C'est un aspect important pour tous les agents en poste, de l'ambassadeur aux personnes recrutées localement.

Le partenariat est un élément essentiel de notre action. Nous voulons le renforcer, avec les établissements publics culturels comme avec le ministère de la culture. Dans un certain nombre de pays, nous travaillons en étroite collaboration avec les institutions locales et les autres instituts afin de diffuser la politique européenne en matière culturelle.

Enfin, nous concevons notre action culturelle comme l'un des enjeux globaux auxquels nous devons répondre. La diffusion et la promotion de nos idées, du message de la France en matière de diversité culturelle, une mondialisation mieux maîtrisée : tous ces enjeux mobilisent l'ensemble de notre réseau culturel, dans le cadre d'une politique globale propre à préserver notre spécificité culturelle.

Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission

PermalienJean-Philippe Mochon, chef du service des affaires juridiques et internationales du ministère de la culture et de la communication

Je vous remercie pour cette invitation qui suit de peu ma prise de responsabilité, puisque ce n'est que la semaine dernière que le service des affaires juridiques et internationales – dont l'objectif est de réunir, au sein du secrétariat général, les deux sujets que sont les affaires juridiques et les affaires internationales – a été créé dans le cadre de la réorganisation du ministère de la culture et de la communication.

Après avoir abordé l'action internationale du ministère de la culture, j'évoquerai deux sujets d'actualité, avant de revenir sur les rapports entre le ministère de la culture et le nouvel établissement CulturesFrance.

Notre action internationale étant multiforme, le « Yalta » de Malraux – qui réservait traditionnellement au ministère de la culture, la culture en France, et au ministère des affaires étrangères le monopole de la culture à l'étranger – n'est plus d'actualité. Le fait que l'action internationale du ministère de la culture soit plus étendue s'explique non seulement par l'européanisation, la mondialisation des questions culturelles et le poids de la dimension internationale dans l'activité des opérateurs, mais aussi par le soutien important des industries culturelles.

L'action du ministère de la culture se situe à plusieurs niveaux : l'accueil des cultures étrangères, la formation des professionnels de la culture et des artistes étrangers, l'expertise scientifique et technique, sans oublier la coopération dans les domaines du cinéma et du livre, toutes missions qui se traduisent dans les décrets d'application et les lettres de mission du ministère. Quant au rayonnement international de la culture, il se traduit au plan budgétaire par le programme 224-6, doté de 20 millions d'euros, sans compter les 5 millions d'euros de l'Académie de France à Rome ni les 230 millions de l'audiovisuel extérieur. L'action internationale est bien au coeur des préoccupations du ministère de la culture.

Le premier des deux sujets d'actualité que je tiens à aborder concerne le développement de l'action internationale des établissements publics. Sur ce point, je salue la tournée de la Comédie française dans les nouveaux États membres pendant la présidence française, qui fut un moment fort, certaines actions plus récentes comme le Louvre à Abou Dhabi, très emblématique, et l'implication de la Bibliothèque nationale de France dans le processus de numérisation. Le ministre de la culture et de la communication a d'ailleurs annoncé hier, à l'occasion d'une réunion des établissements publics, sa volonté de voir les actions engageant le ministère mieux coordonnées et identifiées. Nous nous y employons.

Le second sujet d'actualité a trait à la formation des agents du réseau. Le ministère de la culture et de la communication travaille en étroite collaboration avec le ministère des affaires étrangères et européennes. Des moyens ont d'ores et déjà été dégagés, des programmes sont prévus et devraient être développés.

J'en viens aux relations entre le ministère de la culture et CulturesFrance. Il s'agit d'abord d'une implication financière, l'association représentant un peu moins de 10 % de notre budget. Quant aux Saisons culturelles, leur succès n'est plus à démontrer, comme en témoigne leur multiplication. Elles confirment l'interaction constante entre CulturesFrance et les opérateurs relevant du ministère de la culture.

La réforme doit, selon nous, suivre trois orientations : poursuivre ce qui fonctionne bien, en particulier les Saisons ; trouver les moyens d'associer au mieux le ministère de la culture au fonctionnement de l'établissement, éventuellement à travers la cotutelle – si cette solution n'est pas retenue, il faudra mettre en place un comité stratégique associant le ministère et ses opérateurs, définir un contrat d'objectifs et de moyens, et régler les questions d'organisation et de nomination ; enfin, mieux répartir les rôles entre les différents acteurs. Le rôle du nouvel établissement est de faire connaître la création française et d'assurer sa diffusion non commerciale. Le monde des industries culturelles, avec lequel le ministère de la culture travaille en étroite collaboration, est très attentif à la portée de cette définition.

En bref, nous nous réjouissons de la visibilité de plus en plus grande du réseau et sommes très heureux d'avoir eu l'occasion de travailler avec le ministère des affaires étrangères.

PermalienPhoto de Michèle Tabarot

Je laisse maintenant la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent vous poser des questions, en commençant par le rapporteur de la commission sur les crédits consacrés au rayonnement culturel et scientifique.

PermalienPhoto de Hervé Féron

Je vous remercie, madame, messieurs, pour la qualité de vos interventions.

M. Faivre d'Arcier affirme qu'il est impossible de comparer deux réseaux culturels car leurs champs d'action et leurs missions ne sont pas les mêmes. N'aurait-il pas été préférable de s'interroger sur les champs d'action et les missions qui sont les nôtres avant de les comparer avec celles des autres, même si la comparaison est intéressante ? Quant à la nécessité de mettre en phase les personnels français et les réseaux, le problème n'est-il pas d'améliorer leur formation ?

Par ailleurs, la question de savoir quel est le réseau culturel le plus important n'est pas, à mon avis, celle qu'il faut se poser. Il conviendrait plutôt de s'interroger sur les enjeux, sur les objectifs et sur le sens que nous donnons à nos missions, donc sur les moyens que nous leur consacrons.

L'une des faiblesses de notre système tient à l'absence de projet global lisible et cohérent. Dire que la tournée de la Comédie française pendant la présidence française de l'Europe a été un moment fort revient à réduire nos ambitions et à souligner justement cette absence d'un projet global lisible et cohérent, à laquelle s'ajoutent la baisse des moyens et l'insuffisante formation des personnes. Nous aurions pu utiliser la démarche de la révision générale des politiques publiques (RGPP) pour repenser nos objectifs et le sens que nous souhaitons donner aux réseaux culturels français et, forts d'une nouvelle ambition, pour les redynamiser, leur redonner de la cohérence.

Je m'inquiète de la mainmise de la direction économique du Quai d'Orsay sur les directions générales en charge du réseau culturel et de la coopération. La nouvelle structure de pilotage, à la dénomination très parisienne – « Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats (DGM) » –, existe au détriment d'entités dont l'appellation avait du sens. Vous en convenez, madame, mais tout cela n'est-il pas révélateur de l'absence pathétique de réflexion et de volonté ? Mais peut-être avons-nous pris un virage idéologique conduisant à considérer que la culture française dans le monde doit être au service de l'activité économique de nos entreprises… ce qui nous inquiète beaucoup.

La DGM aura-t-elle, depuis Paris, la souplesse et le potentiel nécessaires pour ne pas alourdir les budgets et pour mener à bien un projet dynamique avec le réseau culturel français à l'étranger, alors que certains budgets sont réduits de 50 %, voire supprimés ?

PermalienPhoto de Bruno Bourg-Broc

Mme Borione nous indique que sur les 1 000 Alliances françaises, seules 460 sont soutenues, ce qui signifie que 540 ne le sont pas. Quelle est la politique du ministère des affaires étrangères à l'égard de ce réseau qui, associant des autochtones et des Français d'origine, a montré son efficacité ?

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Sachant que les centres culturels, qu'ils soient allemands, britanniques ou français, centrent leur mission sur la promotion de la langue, nos amis britannique et allemand pourraient-ils nous expliquer ce que pourrait être le contenu d'une coopération européenne ? Peut-on envisager des coopérations plus structurées entre les organismes, voire un centre regroupant plusieurs pays ? J'aimerais par ailleurs qu'ils nous précisent les rapports de leur institution avec leur autorité de tutelle et jusqu'où va leur autonomie.

M. Clermont-Tonnerre, président d'Unifrance, m'indiquait récemment que les services culturels des ambassades souhaitaient s'associer fortement à la promotion de la culture française à l'étranger. Or, en créant un institut culturel, nous allons plutôt vers une séparation. Ce choix est mal vécu par les ambassadeurs, qui craignent que leur capacité d'intervention soit réduite. Ce qui est en jeu, c'est la nécessaire coopération et le pilotage de notre action dans les pays étrangers. Pouvez-vous, M. Faivre d'Arcier, Mme Borione, nous en dire quelques mots ?

Je peux comprendre la raison pour laquelle nous diminuons très fortement la présence de la France en Allemagne, au point de supprimer la moitié des centres culturels, mais lorsqu'il s'agit de l'Afrique, je trouve cela préoccupant. J'aimerais connaître votre sentiment, Mme Borione, sur ce point.

PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Les antennes du British Council s'apparentent à des associations relevant de la loi de 1901, et celles de l'institut Goethe à des établissements publics indépendants, tandis que les centres culturels français fonctionnent sous la tutelle directe du ministère des affaires étrangères. Comment concilier la diversité de ces statuts avec la construction d'une Europe culturelle ?

Par ailleurs, n'y a-t-il pas antinomie entre systèmes nationaux et fonctionnement européen ? Si, dans les pays émergents – Chine, Inde, Brésil –, un institut européen peut se révéler plus efficace, notamment face aux États-Unis, la présence française pourra-t-elle y trouver sa place ?

PermalienPhoto de Colette Langlade

M. Kouchner a souligné récemment que la politique extérieure de la France ne sera rien sans une politique culturelle qui l'explique, et Mme Borione a rappelé la nécessité de repenser le double pilier, public et associatif, sur lequel s'appuie notre système culturel, pour assurer à la culture française un rayonnement plus large.

Afin que notre politique en la matière gagne en visibilité et trouve un second souffle en s'ouvrant avec audace à la diversité, la création d'un secrétariat d'État à l'action culturelle extérieure, qui engloberait aussi la francophonie et l'audiovisuel extérieur, a-t-elle été envisagée ?

PermalienPhoto de Michel Herbillon

Comme M. Grosperrin, je m'interroge sur la possibilité de concilier la présence d'instituts culturels nationaux et la promotion d'une politique culturelle européenne. Même si la culture et la langue sont des points forts de l'identité de chaque pays, il est possible qu'en Chine ou au Brésil une présence culturelle européenne soit préférable à celle des instituts Goethe et Cervantes, du British Council et de centres français ou italiens. Qu'en pensent nos partenaires britanniques et allemands ? D'autre part, quel bilan peut-on tirer de la création d'instituts culturels communs à plusieurs pays ? Faut-il aller plus loin dans cette direction tant en Europe, où la représentation culturelle tend à diminuer, que dans les pays émergents ?

Enfin, quel serait le modèle idéal que la France souhaite promouvoir ? Depuis des années, on répète que sa présence culturelle à l'étranger est essentielle, mais chacun regrette qu'elle ne soit pas plus lisible parce qu'elle se disperse, comme l'audiovisuel français, entre différents acteurs. Comment mettre un terme à cette situation et gagner en efficacité ? Le projet de loi dont nous saisirons bientôt devrait nous permettre de repenser l'organisation de l'action culturelle extérieure.

PermalienPhoto de Marie-George Buffet

À mon sens, l'absence de visibilité de cette action tient moins aux nombres d'intervenants qu'aux objectifs poursuivis. On parle de promotion de la culture ou de la langue françaises, mais qu'en est-il de la coopération dans la création ou de l'aide à la création dans les pays émergents ? Nous sommes-nous fixé des objectifs à long terme ?

Par ailleurs, quel bilan tirer de l'action menée pour assurer le rayonnement de notre langue dans le monde ? J'ai le sentiment d'un recul dans ce domaine. Pour avoir été ministre de la jeunesse et des sports, j'ai constaté que la francophonie est une notion souvent utilisée à des fins autres que linguistiques. Elle sert par exemple à soutenir, en Afrique, des accords conclus dans le cadre de la conférence des ministres de la jeunesse et des sports (CONFEJES). Des changements sont-ils envisagés à cet égard ? Entend-on faciliter les échanges, par exemple l'accès des étudiants étrangers à notre pays ?

Enfin, je présume que l'autofinancement trouvera rapidement ses limites. De quels financements publics bénéficiera l'action culturelle extérieure ?

PermalienPhoto de Monique Boulestin

Si nous sommes tous conscients de la nécessité de défendre une grande politique culturelle extérieure, aucune relance de notre réseau politique à l'étranger n'a été prévue. En outre, les crédits ont chuté de 10 % en 2007 et en 2008, et de 13 % en 2009. Ils diminueront de 11 % en 2010. Dans ces conditions, une meilleure collaboration entre les ministères de la culture, de l'éducation, de la recherche et de l'enseignement supérieur est-elle envisagée ? Que peuvent nous apprendre nos partenaires européens dans ce domaine ? La création de l'établissement public CulturesFrance permettra-t-elle de rénover la politique de la langue française, de la francophonie et du plurilinguisme ? Enfin, la culture française ne risque-t-elle pas d'être considérée à terme comme un sous-produit de l'activité économique de nos entreprises ?

PermalienPhoto de Valérie Fourneyron

Je me réjouis de pouvoir débattre du rayonnement culturel de la France avant l'examen du projet de loi. Il a été dit que la formation des personnels qui y concourent devait être repensée. Quelles sont nos ambitions dans ce domaine et quelle évolution leur est proposée ? Outre la culture locale du pays où ils exercent, ils doivent posséder une solide connaissance des réseaux des acteurs culturels français et du savoir-faire en matière de création. La nouvelle organisation envisagée prendra-t-elle en compte ces différents éléments, dans le contexte de crise que nous connaissons ?

PermalienBernard Faivre d'Arcier, consultant culturel

Ne représentant aucune administration, je répondrai en tant que professionnel de la culture. Différents réseaux nationaux ont été créés pour promouvoir et développer la langue. Les résultats sont inégaux, mais il semble que ce soient les Espagnols qui aient le mieux réussi dans ce domaine.

Le British Council, pour sa part, a considérablement élargi sa politique, ce qui a eu pour conséquence d'effrayer les artistes britanniques. Ses nouveaux axes d'action comprennent en effet, outre le dialogue interculturel et le soutien aux industries créatives, le changement climatique – préoccupation qui n'a que peu de rapport avec la création, et qui ne figure d'ailleurs pas parmi nos axes culturels.

Le système français, quant à lui, souffre de la dualité historique du réseau des centres culturels et des alliances françaises, ces dernières étant tournées vers la diffusion du français et l'apprentissage de la langue, sauf en Amérique latine, où elles jouent un rôle équivalent à celui des centres culturels.

C'est surtout avec l'Allemagne que nous avons développé une coopération. Un projet est envisagé à Moscou, et un établissement commun à nos deux pays fonctionne déjà à Ramallah. Le travail s'effectue en quatre langues : l'allemand, le français, l'arabe et l'anglais. Le ministère des affaires étrangères y a consacré des moyens importants, mais les difficultés de la comptabilité publique française se cumulent à celle que pose la hiérarchie allemande, et la constitution d'instituts culturels européens se heurte finalement à des rivalités nationales.

En fait, la coordination s'effectue de manière plus souple à travers les réseaux de professionnels. Ainsi, entre 2000 et 2006, le projet Theorem a permis de soutenir les générations émergentes de metteurs en scène et de chorégraphes des pays d'Europe centrale. Dans ce cadre, des intervenants allemands, belges, italiens, espagnols ou français – qui travaillaient en anglais – sont allés passer une semaine par mois en Bulgarie, en Pologne ou en Russie, afin de coproduire des spectacles qui ont tourné ensuite en Europe de l'Ouest. Dans ce cadre, les professionnels se sont entendus sans recourir à quelque tutelle que ce soit. De même, à travers le réseau EUNIC (Union européenne des instituts culturels), certains pays comme l'Allemagne se sont montrés très actifs pour monter au Brésil, en Chine ou en Inde, des projets commun au Goethe Institut, au British Council, à l'Institut Cervantès et à d'autres instituts, notamment français ou roumains.

Il est beaucoup plus difficile d'opérer un rapprochement fusionnel entre les institutions allemandes, anglaises et françaises. Mieux vaut donc laisser aux professionnels l'initiative d'une coopération qui pourra être plus souple.

PermalienChris Hickey, directeur du British Council de Paris

Il ne faut pas exagérer l'autonomie financière du British Council. Dès lors que le gouvernement nous alloue un tiers de notre revenu, nous sommes évidemment très attentifs quand le ministre des affaires étrangères s'adresse à nous ! De même, bien que je ne dépende pas de l'autorité de l'ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris, nous nous rencontrons chaque semaine et, si un projet lui paraît important, je m'efforce de le soutenir. Reste que l'autonomie nous permet d'assurer nos missions : le gouvernement n'a pas à nous délivrer d'instructions directes dès lors que nous cherchons à entrer en relation avec la société civile.

Si nous sommes très favorables au travail mené en Chine, au Brésil ou en Irak dans le cadre du réseau EUNIC, nous ne pensons pas que le fait que les pays européens appartiennent à une même famille culturelle implique qu'ils doivent partager un même centre culturel. En France, il est bon qu'il existe un centre culturel britannique et un autre allemand.

Cela n'empêche pas qu'entre pays amis, le dialogue culturel soit très fort. Ainsi, les Français tiennent à ce que nous prenions part chez eux à l'enseignement de l'anglais. De même, le contact entre la France et la Grande-Bretagne est essentiel sur le plan artistique.

Pour citer enfin un exemple de partenariat, un projet actuellement à l'étude sur le lien entre l'économie des grandes villes et la tolérance serait en grande partie financé par ces collectivités locales, ce qui serait une aide précieuse.

PermalienJoachim Umlauf, directeur du Goethe Institut de Paris

Toutes les questions m'ont semblé intéressantes. Celle qui portait sur la tournée de la Comédie française en Europe a pointé un risque qui existe toujours : celui que la politique culturelle ne se réduise à une simple représentation de la culture nationale. Tout le monde se réjouit que la Comédie française parte en tournée à l'étranger, mais la mission de l'action culturelle est bien différente. Elle consiste à créer des contacts interculturels et à construire des projets avec d'autres pays. Par exemple, si l'on décide de lire des textes d'écrivains, il faut organiser des rencontres. Il importe donc de créer des structures autonomes dont l'État définira clairement les missions.

En matière d'autonomie, la position de l'Allemagne est simple. Il n'existe pas chez nous de ministère de la culture, et le principal interlocuteur de l'institut Goethe est le ministère des affaires étrangères.

Le problème de la formation du personnel culturel est complexe. Depuis le milieu des années 1990, l'institut Goethe a renoncé à dispenser une formation généraliste visant à permettre à chaque agent de travailler dans des pays différents. Nous formons désormais à des spécialistes d'une région ou d'une langue. La diversité des pays et des cultures est telle que le travail interculturel exige en effet une connaissance des territoires. Par conséquent, il faut réfléchir avant de créer une formation centralisée.

Le réseau EUNIC n'a malheureusement pas d'antenne à Paris, mais il devrait y trouver sa place du fait de l'existence d'un réseau mondial des instituts culturels. Sous la présidence française de l'Union, EUNIC a en tout cas permis à un projet important – Alter Ego – de se déployer dans quinze pays grâce à des moyens européens.

Il est cependant difficile de savoir si l'on doit rester fidèle au principe de subsidiarité, qui permet à chacun de rester chez soi, ou mettre en place des colocations – à Rotterdam, l'institut Goethe et le centre culturel tchèque, tous deux autonomes, sont installés dans le même bâtiment – ou des collaborations – en novembre, les célébrations de la chute du mur de Berlin ont permis la formation d'importants projets franco-allemands. Peut-être des liens peuvent-ils être créés, en dépit des difficultés, notamment comptables, qui se posent toujours. Dans certaines institutions, ne pourrait-on imaginer qu'un directeur et un directeur adjoint, l'un allemand, l'autre français, échangent leur poste chaque année ou que les deux soient placés sur le même plan ? Il est regrettable, par exemple, qu'après les attentats du 11 septembre, à New York, l'Allemagne ait créé un vaste programme visant à favoriser le dialogue culturel entre l'Europe et l'islam, sans même penser à y associer la France. Un projet bilatéral aurait peut-être pris ensuite une dimension multilatérale.

PermalienDelphine Borione, directrice de la politique culturelle et du français au ministère des Affaires étrangères et européennes

Le ministère des affaires étrangères s'appuie sur un réseau mondial pour promouvoir la culture, la création et la langue française dans une perspective d'écoute et d'échange avec nos partenaires. Ce réseau permet de tisser en permanence des liens, grâce à l'action des instituts, des alliances françaises – ou tout simplement à l'occasion d'une tournée de la Comédie française. La politique de coopération culturelle, éducative ou linguistique débouche ainsi sur le débat d'idées. Les grandes manifestations françaises répondent d'ailleurs à la demande de nos partenaires. À nos yeux, toutes les stratégies sont complémentaires.

J'en viens au rôle du ministère des affaires étrangères au sein de la mondialisation. En tant que directrice de la politique culturelle et du français, je ne me sens pas dépassée par le domaine économique. Je me réjouis au contraire que notre action, loin d'être confinée dans un ghetto culturel, s'ouvre sur des enjeux globaux et trouve sa place au coeur des politiques de développement.

Loin de reculer dans le monde, la langue française est en progression, puisque de plus en plus de gens la parlent et l'apprennent. Les instituts connaissent à cet égard une demande très forte, à laquelle ils ne peuvent pas toujours répondre, faute de moyens. L'enseignement scolaire français, dans le cadre de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) ou de la mission laïque française, suscite également un vif intérêt, dont nous nous réjouissons. Le monde est en train de comprendre que l'uniformisation n'est pas l'avenir. Dans une perspective de dialogue, diversité, plurilinguisme et multiculturalisme sont nécessaires.

S'il existe 1 000 alliances françaises, toutes ne sont pas organisées, certaines s'apparentant plutôt à des clubs. Celles que nous soutenons – 460 –, sont les plus actives en matière d'enseignement ou sur le plan culturel.

Nous manquons certes de moyens – n'est-ce pas toujours le cas ? –, mais nous développons des actions alternatives par le biais des partenariats. Notre objectif n'est pas de nous allier aux entreprises, mais de les associer à des activités culturelles qui les intéressent. À cet effet, nous recherchons des moyens innovants, ce qui est plus facile dans les pays qui possèdent certaines structures, et plus délicat dans un continent comme l'Afrique. Fort heureusement, le budget de 2009 avait prévu une augmentation exceptionnelle des crédits, ce qui nous a permis de moderniser notre réseau, de préparer la création de la future agence, de mener des actions de formation promises à un grand avenir et de soutenir les industries culturelles.

PermalienAlain Fouré

Si l'on s'interroge en France sur la visibilité de notre action culturelle, ce n'est pas le cas à l'étranger où celle-ci est appréciée. De même, je pense que le débat entre réseau national et associatif, c'est-à-dire entre les instituts ou centres culturels et les alliances françaises, est un faux débat. Pour dépendre de l'État français, les instituts ou centres culturels ne sont pas des organes officiels. À ce titre, ils ne sont pas moins inscrits dans la société civile que les antennes du British Council ou de l'institut Goethe.

J'étais ce week-end en Turquie, pour le lancement de la manifestation « Istanbul, capitale européenne de la culture pour 2010 ». À cette occasion, j'ai pu apprécier le rôle de médiateur entre personnels français et étrangers que joue le directeur de l'institut. J'ai rencontré des éditeurs, des artistes et des directeurs de scène, qui apprécient tous l'action des directeurs de centres. À plusieurs reprises, nous avons parlé de ressources humaines et de formation. Celle-ci sera la clé de l'amélioration du dispositif, au même titre que la professionnalisation du réseau.

Le réseau EUNIC a été évoqué à juste titre. Il représente l'amorce de la forme que peut prendre l'action culturelle européenne dans un pays tiers, au sens où il s'agit d'un cluster, d'un réseau national regroupant des centres culturels étrangers dans un même pays. Pour l'heure, le seul pays avec lequel nous menions des actions est l'Allemagne. Le traité de l'Élysée a créé le fonds franco-allemand, qui finance chaque année, dans des centres culturels ou des alliances françaises, des projets communs aux deux États. Quant aux établissements relevant des deux pays, comme les centres de Ramallah et de Palerme, leur gestion n'est pas simple. Pourtant, la création d'un centre franco-allemand à Moscou est un projet ambitieux, qui nous demandera encore du temps, car il est difficile de transcender des cultures nationales pour déboucher au niveau européen.

PermalienJean-Philippe Mochon, chef du service des affaires juridiques et internationales du ministère de la culture et de la communication

Je ne reviendrai pas sur la tournée de la Comédie française, mais je trouve intéressant, au niveau international, le foisonnement de tous les acteurs du monde de la culture, qui considèrent désormais l'Europe et le monde comme leur espace naturel. On peut citer à cet égard le Louvre à Abou Dhabi, les actions du musée du quai Branly ou les accords de 2008 entre la Bibliothèque nationale de France et le Maroc. Les grands projets actuels, comme le musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, à Marseille, ou la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, portent d'ailleurs une dimension internationale dans leur ADN.

À mes yeux, le modèle idéal est précisément celui dans lequel les opérateurs du monde de la culture pourront développer au mieux une action européenne internationale, tout en bénéficiant de la valeur ajoutée, en termes de visibilité, que leur procurera un opérateur. Tel est l'enjeu de la création du nouvel établissement public.

PermalienPhoto de Michèle Tabarot

Je vous remercie de votre contribution, qui nous permettra de mieux comprendre le projet de loi que nous aurons bientôt à examiner.

La Commission entend M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance française, Mme Béatrice Khaiat, directrice déléguée de Campus France et M. Olivier Poivre d'Arvor, président de Cultures France, sur les enjeux et les évolutions de l'action culturelle extérieure.

PermalienPhoto de Michèle Tabarot

La seconde table ronde sera consacrée plus spécialement aux acteurs de l'action culturelle extérieure. Certains sont particulièrement concernés par le projet de loi déposé en juillet au Sénat, qui prévoit que la diplomatie d'influence de la France s'appuiera non seulement sur le réseau culturel et de coopération, et sur l'agence pour l'enseignement en France à l'étranger, mais aussi sur deux nouveaux opérateurs dotés du statut d'établissement public à caractère industriel et commercial. Le premier, chargé de l'action culturelle extérieure, succéderait à l'association CulturesFrance ; le second, chargé de l'expertise et de la mobilité internationale, se substituerait à l'association EGIDE, opérateur du ministère des affaires étrangères et européennes pour la mobilité internationale, ainsi qu'aux groupements d'intérêt public CampusFrance et France Coopération Internationale, les activités et les personnels de ces organismes étant transférés au nouvel établissement.

Avant que le projet de loi soit déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale, il sera intéressant d'évoquer avec M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance française, la manière dont le réseau des Alliances françaises se positionnera dans le nouveau dispositif.

PermalienPhoto de Denis Jacquat

Je vous propose d'aborder cette question complexe avec des idées simples, voire naïves, car, avant de parler de stratégie, il faut s'entendre sur les motivations et les objectifs de l'action culturelle. L'existence d'une politique extérieure obéit à deux raisons principales.

La première, qui est universelle et justifierait à elle seule qu'on y consacre des moyens importants, est de contribuer au devenir du monde en participant à la construction du savoir et des idées, au débat mondial sur les grands choix de l'avenir, et à favoriser l'enrichissement mutuel des cultures.

La seconde raison concerne les intérêts propres de notre pays. Pour avoir vécu et voyagé à l'étranger, je me suis convaincu que, lorsqu'on émet un jugement politique, qu'on s'engage sur le plan international ou qu'on signe un contrat industriel ou commercial, l'image qu'on se fait d'un pays et l'attachement culturel, intellectuel voire sensuel qu'on éprouve à son égard pèsent dans cette décision.

Puissance moyenne, la France est riche d'un héritage de grande puissance. C'est sans doute aujourd'hui la seule culture à prétention universelle qui n'ait plus de vocation impériale, ce qui n'est le cas ni des États-Unis ni de la Chine.

Pour atteindre ces objectifs, quelle organisation stratégique faut-il privilégier ? Depuis deux ans, on parle beaucoup des problèmes de notre réseau d'établissements culturels, en soulignant qu'il serait en déclin, dispersé et peu lisible. Mais son organisation ou son caractère prétendument hétérogène ne sont pas en cause. En réalité, la France est le pays occidental qui dispose du plus vaste réseau d'établissements. Le sien est souple et original, au sens où il combine deux formules juridiques possibles : les centres, qui relèvent des services extérieurs de l'État, et les Alliances françaises, qui ont le statut d'associations de droit local.

Une telle souplesse donne à notre pays une remarquable capacité d'adaptation aux conditions politiques ou juridiques du terrain. Le ministre de l'éducation chinois, qui a créé les instituts Confucius, remarquait que, de la même façon que l'eau épouse, selon le Tao, toutes les anfractuosités du terrain, notre réseau s'adapte à toutes les situations politiques et sociales. Apprécié du public et de nos partenaires étrangers, il connaît cependant des problèmes réels, qui tiennent à la conjugaison de trois facteurs.

Le premier est l'effondrement sans précédent de ses moyens, qui ont diminué de 10 % en 2007 comme en 2008, et de 20 % en 2009, de sorte qu'il aura en quelques années perdu la moitié de ses crédits d'intervention, après avoir déjà connu depuis vingt ans une lente diminution de ses ressources. Quelle autre organisation publique ou privée aurait résisté à une telle hémorragie ? Il y a vingt ans, on comptait, dans les Alliances françaises, 495 directeurs expatriés. Ils ne sont plus que 230 aujourd'hui. Cette situation tient à une augmentation incompressible des dépenses du Quai d'Orsay due à la hausse tendancielle des contributions internationales – en d'autres termes, le multilatéral tue le bilatéral – et au coût croissant des charges salariales de l'enseignement français à l'étranger, alourdi par le fait que les élèves français bénéficient désormais de la gratuité. Alors que la subvention à l'AEFE sera de 420 millions d'euros en 2010, rappelons que l'ensemble des crédits d'intervention du Quai d'Orsay dans la sphère du rayonnement culturel et scientifique – par conséquent hors AEFE – correspond au coût annuel de fonctionnement de l'Opéra de Paris ; quant au budget consacré au réseau des alliances françaises dans le monde, il est inférieur au prix d'un Rafale.

Le deuxième facteur qui pèse sur le réseau tient à un déficit de professionnalisation, conséquence d'une formation initiale et continue insuffisante des agents responsables. Le phénomène est aggravé par la réduction de la durée des missions du personnel détaché et par le nombre de mandats autorisés, de sorte qu'il faut continuellement former de nouveaux agents afin de remplacer ceux qui doivent quitter le réseau. J'ajoute que la diminution des postes est mal compensée par le recrutement local, qui nécessite lui-même des formations. Nous manquons d'une sorte de corps d'ingénieurs de l'action culturelle extérieure, comme celui que possèdent le British Council ou l'institut Goethe. Le personnel recruté dans ces deux derniers réseaux sait qu'il y développera ses compétences et qu'il y fera carrière, alors que la France a adopté le principe du Kleenex : après trois ou six ans de service, ses agents seront rejetés dans les ténèbres extérieures. Les titulaires rentreront dans leur ministère d'origine ; les autres chercheront du travail.

Le troisième facteur tient à l'absence de persévérance dans les stratégies et les actions, résultat d'une rotation trop rapide des cadres, dans l'administration centrale ou dans les postes, et de la succession, depuis plusieurs années, d'annonces non suivies d'effet.

À l'avenir, soit le ministère des affaires étrangères continuera à piloter le réseau culturel, en confiant la tâche à une direction affirmée, respectée et assurée de disposer de moyens pérennes, soit une institution complètement autonome sera créée. Mais il ne saurait exister de solution intermédiaire.

Dans cette seconde hypothèse, la difficulté est que nous disposons d'un réseau original, dont l'organisation est double. La chimie des corps veut que, si un centre culturel est soluble dans une Alliance française, pour peu qu'on le transforme avec l'appui de partenaires locaux qui formeront un conseil d'administration, il est en revanche impossible de proposer aux administrateurs chinois de l'Alliance française de Pékin ou aux administrateurs américains de l'Alliance de New York d'être intégrés aux services extérieurs de l'État français. La réflexion menée depuis quelques années sur la réforme n'a pas pris en compte cette réalité.

L'Alliance française ne répugne pas à la tutelle du Quai d'Orsay, si toutefois il faut absolument un réseau unique. Reste que cette obsession française ne préoccupe personne à l'étranger. Selon la ville dans laquelle ils habitent, les gens se rendent indifféremment à l'Alliance française ou au centre culturel, dont les missions sont les mêmes. Le désir d'une plus grande visibilité semble être purement parisien.

Quoi qu'il en soit, si l'on tient au réseau unique, il faut se souvenir que celui de l'Alliance française a cent vingt-cinq ans d'existence et qu'il dispose d'une notoriété considérable. Il répond à une logique d'entreprise, avec le goût de la liberté et les risques que cela comporte, les Alliances françaises s'autofinançant à près de 75 %, ce qui constitue un record. Ce réseau est en plein développement, puisqu'une dizaine d'Alliances est créée chaque année et que ses effectifs augmentent de 3 à 4 % par an. La responsabilité juridique de cet ensemble est assumée non par l'État français, mais par les présidents locaux des écoles. Sa capacité à lever des fonds est réelle. Mais surtout, il s'agit d'un système moderne, puisque nous sommes quotidiennement obligés de négocier avec des partenaires locaux. La coopération entre la partie française représentée le directeur – nommé par le ministère et la Fondation – et la partie locale – le conseil d'administration du pays d'accueil – s'exerce au quotidien. L'obligation de s'entendre et de trouver chaque jour des compromis représente un formidable moteur de développement.

L'avenir est précisément dans cette formule associant la société civile et l'initiative privée locale de partenaires étrangers qui portent notre culture. Il semble inéluctable d'aller désormais sur cette voie.

PermalienOlivier Poivre d'Arvor, président de CulturesFrance

D'une certaine manière, l'inflation de discours sur la politique culturelle est proportionnelle à la déflation des moyens. Comme M. Jacq l'a rappelé, ces derniers ont décru de 50 % en cinq ans. C'est une évolution budgétaire totalement inédite qui doit probablement avoir une explication politique. On ne retire pas comme cela la moitié de ses moyens à une histoire vieille de plus d'un siècle et demi : elle ne doit pas être considérée comme très intéressante …

Le phénomène est grave et impose que nous réagissions rapidement. L'attention que les parlementaires portent à ce sujet est très importante pour nous.

La France ne se trouve plus du tout en tête de la course qu'elle a menée pendant cinquante ans. Elle a été largement rattrapée, voire dépassée, par de nombreux pays.

Aux États-Unis, par exemple, la sous-secrétaire d'État en charge de la Public Diplomacy, que j'ai rencontrée à Washington dernièrement, a la responsabilité, auprès d'Hillary Clinton, du dossier de l'influence américaine dans le monde et dispose à cet effet de près de 850 millions de dollars. L'initiative dans ce domaine n'est pas laissée au marché. Les officiels américains mènent, au contraire, une politique active et insistent sur l'importance, notamment depuis l'élection du nouveau président américain, de ce qu'ils appellent le smart power. Version améliorée du soft power, le « pouvoir intelligent » est considéré aujourd'hui comme un élément de la diplomatie.

Tous les pays un peu sérieux travaillent sur le sujet. Le Goethe Institut a augmenté ses moyens. Le British Council, tout en jouant un jeu un peu hypocrite en affirmant avoir toute l'indépendance nécessaire vis-à-vis du Foreign Office conformément au arm's length principle – au principe de la bonne distance – avec ce dernier, renforce de manière assez impressionnante son réseau, lequel est largement autofinancé par les recettes provenant des cours et des examens. L'Institut Cervantès, pour sa part, rattrape le niveau de la France alors qu'il n'existait pas voilà vingt ans.

De même, personne n'aurait imaginé il y a quinze ans que les pays du Golfe puissent parier sur la diplomatie culturelle pour affirmer leur influence. Aujourd'hui, ces derniers – je pense notamment à Doha, au Qatar et à Abou Dhabi – investissent beaucoup pour afficher une image culturelle qui est devenue un instrument de négociation et de dialogue avec le reste du monde.

La France a baissé les bras. Le sujet n'intéresse absolument pas les politiques, qu'ils soient de droite ou de gauche. J'ai servi auprès de plusieurs ministres des affaires étrangères qui n'ont pas pu sauver les moyens de l'action culturelle extérieure. Celle-ci est considérée comme un domaine assez marginal par rapport à l'action culturelle en général.

Le paradoxe est que, alors que les moyens de la culture sont très importants aujourd'hui en France, ceux de son exportation et de sa présentation à l'étranger sont dérisoires.

Beaucoup d'argent public est investi dans la culture – plus que nulle part ailleurs, ce qui rend les atermoiements des acteurs culturels un peu indécents – et une offre culturelle abondante, voire surabondante, est produite dans tous les domaines – musique, théâtre, danse, littérature, cinéma –, bénéficiant d'un public considérable. Les nombreux festivals et, de manière générale, l'activité économique extrêmement riche engendrée par la culture nous valent une grande partie des étrangers qui viennent en France : près de la moitié des 80 millions de touristes viennent pour des raisons culturelles au sens large du terme, ce qui inclut l'art de vivre, le design, la mode et la gastronomie.

Il y a ensuite un goulet d'étranglement : les moyens de CulturesFrance pour l'ensemble de ses programmes assurant l'exportation du théâtre, du cinéma, de la littérature, des musiques, des arts plastiques, de l'architecture et du patrimoine français dans soixante-trois pays ne s'élèvent qu'à 20 millions d'euros par an. Mieux vaudrait donner cette somme aux pauvres d'Haïti que de conserver un appendice parapublic aussi ridicule face à une demande croissante dans le monde !

Le produit culturel n'est plus un luxe – la « cerise sur le gâteau ». Il est devenu un véritable instrument d'influence par le biais des nouvelles technologies, des images et du cinéma. Ce qui m'inquiète un peu dans la réforme qui se prépare, c'est que les moyens ne sont pas au rendez-vous. La meilleure solution me semble être de rebattre les cartes et de créer un organisme unique – sous l'appellation Alliance Française ou Institut Français – regroupant l'ensemble des services extérieurs de l'État – services culturels, instituts français, agences – afin de lui donner une masse critique.

Pour ma part, je ne mesure pas notre déclin uniquement à la baisse du nombre d'agents. Pour avoir beaucoup servi en poste, je puis témoigner que de nombreux recrutés locaux sont capables de faire un très bon travail. Donc, en donnant plus de moyens à nos postes et en diminuant le nombre de détachés budgétaires, nous devrions atteindre un montant de 500 millions d'euros, ce qui nous permettrait de travailler de manière assez correcte.

La perte d'autorité par rapport au nouvel objet est un peu la crainte de mes collègues ambassadeurs et du Quai d'Orsay en général. Mais nous avons des exemples d'établissements publics qui fonctionnent bien sans échapper pour autant à l'autorité du Quai d'Orsay. En particulier, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, qui s'occupe du pilotage de l'ensemble des lycées français à l'étranger, est un organisme autonome qui fonctionne très bien et dont il ne me semble pas que les ambassadeurs aient perdu le contrôle.

Il y a urgence à agir. Les propositions du Quai d'Orsay sont une première forme de réponse mais il faudra s'orienter très vite vers ce que M. le ministre Bernard Kouchner a préconisé, c'est-à-dire une intégration du réseau à cette agence d'ici à trois ans.

La question de l'Alliance française est cruciale. Cet organisme fait un travail formidable et je ne verrais pas du tout d'obstacle à ce que ce soit la marque retenue face aux autres marques que sont le British Council, l'Institut Cervantès ou le Goethe Institut.

L'organisation actuelle ne concourt pas à retenir l'attention des Français tellement elle est compliquée : pas moins de vingt-six marques différentes – vingt-cinq après la prochaine réforme – font le travail réalisé par la seule marque British Council...

PermalienBéatrice Khaiat, directrice déléguée de Campus France

L'agence CampusFrance a été créée en 1998 par MM. Védrine et Allègre afin d'assurer la promotion de l'enseignement supérieur français à l'étranger. Elle est très récente par rapport au Deutscher Akademischer Austausch Dienst (DAAD) et du British Council, qui existent depuis très longtemps.

Aux deux ministères de tutelle de l'agence – le ministère des affaires étrangères et celui de l'enseignement supérieur – s'est ajouté, depuis deux ans le ministère de l'immigration. CampusFrance ne compte à Paris que quarante personnes et reçoit une subvention de 4,5 millions d'euros – à rapprocher des 9 millions d'euros que reçoit le DAAD uniquement en Inde.

L'agence rassemble 230 établissements d'enseignement supérieur adhérents et compte 113 espaces CampusFrance à l'étranger. Présents dans 88 pays, ils comprennent 250 personnes, majoritairement des recrutés locaux ou des volontaires internationaux (VI) qui sont généralement des jeunes diplômés. Comme ils sont peu rémunérés, il y a un fort roulement.

Le réseau CampusFrance est assez important. Il est comparable à celui du DAAD et du British Council. Comme il dépend complètement du ministère des affaires étrangères et est sous l'autorité de l'ambassadeur et du conseiller culturel, il est souvent présent soit dans les ambassades, soit dans les Alliances françaises comme en Amérique latine, en Chine et en Inde.

Les étudiants qui ont besoin d'un visa pour venir étudier en France doivent passer dans les bureaux CampusFrance et suivre une procédure pré-visa qui coûte à peu près 100 euros par étudiant – le coût est variable selon les pays. Il faut veiller à ce que ce budget serve la promotion de l'enseignement supérieur et ne soit pas affecté à d'autres objets. La promotion du culturel représente une toute petite partie de notre action.

On compte 2,5 millions d'étudiants en mobilité dans le monde : 500 000 aux États-Unis, 350 000 en Grande-Bretagne, 235 000 en France, à peu près le même chiffre en Allemagne et en Australie, nouveau venu dans la course. Les pays sont en compétition pour accueillir des jeunes étrangers parce que la mobilité étudiante constitue un enjeu majeur : elle participe de la politique d'influence, de la politique de la langue et de la politique des futurs chercheurs et des futurs professeurs.

Dans ce combat, la France est assez bien placée mais l'agence CampusFrance est vraiment très petite par rapport au DAAD et au British Council. Son regroupement avec France Coopération Internationale et EGIDE sera une bonne chose.

PermalienPhoto de Michèle Tabarot

M. Dominique Hénault, directeur général de l'association EGIDE, qui est souffrant, m'a chargée d'excuser son absence aujourd'hui. Je donne donc la parole à nos collègues députés qui souhaitent intervenir.

PermalienPhoto de Hervé Féron

Lors de la précédente table ronde, Mme Borione et M. Fohr se sont défendus que la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats soit sous l'influence des économistes. Les trois intervenants que nous venons d'entendre ont mis l'accent sur les restrictions budgétaires qui ont affecté l'action culturelle à l'étranger, les moyens ayant diminué de 50 % en cinq ans. Il y a vraiment matière à s'inquiéter : la révision générale des politiques publiques, les restructurations administratives, les réformes sans lisibilité finissent par faire des dégâts sur le terrain.

D'après M. Fohr, le manque de lisibilité n'existe qu'en France. Je suis d'accord avec lui car, à l'étranger, il y a sur le terrain une énergie, un investissement, une volonté de faire qui réunissent les acteurs dans leur diversité.

Le problème est global. Je ne me suis pas plaint de la tournée de la Comédie française. Je suis, au contraire, ravi qu'il y ait de telles tournées. Je trouve simplement très réducteur de citer celle-ci comme point fort de la politique de rayonnement culturel de la France à l'étranger. Bien d'autres actions sont menées, tout aussi brillantes. En être réduit à citer cet exemple anecdotique me parait refléter un manque de stratégie, de réflexion, de projets et, par conséquent, de moyens. Il faudrait en fait tout détricoter.

Un réseau unique ne me semble pas souhaitable. C'est sa diversité qui fait la richesse de notre réseau. En revanche, un projet global et lisible, permettrait de mieux déterminer les moyens nécessaires.

La diminution du nombre de postes et leur compensation par un recrutement local modifient les conditions de rémunération et de formation, ce qui crée des difficultés supplémentaires. À trop basculer vers le recrutement local, on risque de créer un appauvrissement du réseau.

Finalement – c'est une question que j'aurais pu poser à l'occasion de la première table ronde –, la francophonie est-elle encore désirée ? Le terme n'a été utilisé par aucun intervenant. Serait-il devenu un gros mot ? Peut-être faudrait-il lui redonner du sens et réfléchir tous ensemble à ce qu'il recouvre.

PermalienPhoto de Bruno Bourg-Broc

La question dont nous débattons ne passionne pas le pouvoir politique. Il n'est que de voir le nombre de nos collègues qui participent à cette réunion... Force est de constater que la francophonie est souvent considérée comme non-productive, voire inutile.

J'ai été assez déçu par la réponse de la représentante du ministère des affaires étrangères lors de la première table ronde. Je reconnais qu'il est inélégant de le dire maintenant qu'elle a quitté cette réunion, mais il n'y a pas eu de place pour le débat. Elle a eu le front d'affirmer qu'un nombre croissant de personnes apprend le français dans le monde, sans rapprocher ce nombre de celui de l'augmentation démographique. Or c'est la proportion qui compte.

Je reprendrai à mon compte la question de M. Féron : la francophonie est-elle aujourd'hui désirée par la France ? Quand on voyage, on se rend compte qu'il y a un désir de France, selon l'expression employée par Patrick Bloche dans un rapport il y a quelques années. Ce désir est-il partagé par le pouvoir politique, de droite comme de gauche ?

Monsieur Poivre d'Arvor, le développement de l'influence française et de la culture française, que je distingue de la culture francophone, passe-t-il, pour vous, par un message exprimé en français ou, comme un nombre croissant de personnes semble le penser, par une diffusion pouvant ne pas être en langue française ?

Sur les 1 000 Alliances françaises dans le monde, seules 400 environ sont aidées. Cela s'explique peut-être par le fait que toutes n'ont pas les mêmes volontés ni les mêmes possibilités de travailler sur le terrain. En dehors des quelque 400 qui font de l'enseignement, elles sont souvent des clubs de gastronomie ou des clubs tout court. Monsieur Jacq, l'Alliance française est-elle satisfaite du sort qui lui est réservé ou souhaiterait-elle davantage de moyens ? S'agit-il même finalement d'un simple problème de moyens ?

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Le problème de lisibilité de nos implantations culturelles à l'étranger n'est-il pas essentiellement franco-français ? Se pose-t-il vraiment avec autant d'acuité sur le terrain ?

Monsieur Jacq, comment réagissent les Alliances françaises qui ne sont pas financées par de l'argent public ? Le fait de devoir lever des fonds extérieurs influe-t-il sur leurs projets ?

Monsieur Poivre d'Arvor, quels sont les missions et les axes de travail de CulturesFrance ? Comment envisagez-vous leur intégration dans un organisme beaucoup plus large ?

Enfin, quels seront les liens du nouvel organisme avec les ambassades ? Les ambassadeurs semblent craindre que la réforme n'entraîne une diminution de la capacité de travail sur le terrain.

PermalienPhoto de Bernard Debré

Je vais ajouter ma voix aux récriminations exprimées.

Je suis assez attristé par la diminution des crédits réservés à l'action culturelle extérieure de la France. Ce mouvement date de plus de cinq ans. Cela fait très longtemps que le culturel est délaissé alors qu'il est un élément de la puissance de la France à l'étranger et est important pour le recrutement en France d'un certain nombre d'intelligences dont nous avons besoin.

Même les pays francophones sont délaissés. Alors que nous sommes demandés, espérés, nous diminuons notre présence. C'est dramatique car nous voyons apparaître de plus en plus d'Anglais, d'Américains et de Chinois parlant anglais. Il faut assurément y remédier.

Nous ne pouvons espérer non plus conquérir des parts de marché puisque notre action dans les pays non francophones se réduit à cause, d'une part, des coupes dans les budgets et, d'autre part, de l'emploi de recrutés locaux beaucoup moins payés et beaucoup moins considérés.

Il faudrait une volonté extraordinairement forte de la part des ambassades, donc du ministère des affaires étrangères et de l'État, pour montrer l'importance d'une politique culturelle. Non seulement celle-ci est nécessaire pour la diffusion de la langue française et de la culture française, mais elle draine aussi derrière elle toute une économie. Elle est également indispensable pour pouvoir recruter en France un certain nombre d'étudiants, dans les disciplines littéraires comme dans les disciplines scientifiques.

Les bourses pour les scientifiques vont être réservées aux Européens. Que vont devenir tous mes amis d'Afrique, du Maghreb, du Cambodge et d'autres endroits francophones s'ils ne peuvent plus venir en France ?

Vous vous êtes félicitée, madame Khaiat, que le paiement des visas rapporte un peu d'argent. Pour les étudiants étrangers, l'obtention d'un visa est la croix et la bannière ; ne pourrait-on envisager de leur accorder gratuitement cette autorisation de séjour ? On a vraiment l'impression que ceux qui veulent venir étudier en France sont des intrus. Or leur venue permet à la France, non seulement de recruter un certain nombre d'intelligences dont elle a besoin, mais également d'assurer le rayonnement de sa culture après le retour des étudiants dans leur pays.

La situation réclame une politique extrêmement forte témoignant de la pugnacité de la France à garder sa place là où elle est en train de la perdre.

PermalienPhoto de Colette Langlade

Lors de la première table ronde, j'ai posé une question à laquelle je n'ai pas eu de réponse. Je vais donc la reformuler après avoir passé en revue les dysfonctionnements et les manques signalés par les trois intervenants de cette seconde table ronde.

Monsieur Jacq, j'ai bien relevé les qualités du réseau des Alliances françaises, qui sont appréciées de tous les partenaires étrangers de celles-ci : sa souplesse, sa capacité d'adaptation, son originalité. Comment envisagez-vous l'avenir ? Des propositions que vous avez faites, je retiens celle de la création d'une institution complètement autonome qui serait en charge de ce domaine. Dans un article, vous avez, en effet, regretté qu'il y ait une absence de pilote dans l'avion.

Monsieur Poivre d'Arvor, j'ai bien entendu votre proposition de réflexion en vue de la création d'un établissement public, dont le nom reste à déterminer, regroupant tous les services et établissements actuellement atomisés et mal coordonnés : les ECF – espaces CampusFrance –, les Alliances françaises, les aides au cinéma, au livre, à l'audiovisuel et toutes les formes d'actions culturelles extérieures.

J'ai bien senti, madame Khaiat, le désarroi causé par le fait que vous dépendiez de trois ministères : les affaires étrangères, l'enseignement supérieur et, maintenant, l'immigration.

Compte tendu de tous ces éléments, ne faudrait-il pas, pour conférer au message culturel un souffle lui permettant de conduire avec audace et créativité une politique multiculturelle, dynamique et ouverte à la diversité des autres, réfléchir à la création d'un secrétariat d'État à l'action culturelle extérieure qui engloberait aussi la francophonie et l'audiovisuel extérieur ?

En guise de conclusion, j'appliquerai à l'action culturelle extérieure de la France une phrase que j'ai lue : comme pour le foot, il faut tous jouer sous le même maillot.

PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Vous avez raison, monsieur Poivre d'Arvor, de souligner que le smart power est la diplomatie de l'intelligence. Il est regrettable, de ce point de vue, que la France soit un des rares pays à diminuer les crédits affectés à la diffusion culturelle, car celle-ci revêt un enjeu politique et économique important.

Le projet de loi déposé par M. Kouchner tend à créer un établissement public chargé de l'action culturelle extérieure destiné à succéder à l'association CulturesFrance. Conçue pour répondre aux critères proposés par la Cour des comptes en 2006, cette formule juridique offre l'avantage de conserver au personnel de CulturesFrance son statut de droit privé et de préserver l'autonomie d'action de cette structure, dans un cadre de gestion publique.

Je sais, par ailleurs, que l'association CulturesFrance a bénéficié, pour l'exercice 2008, d'un mécénat et de partenariat privés qui ont représenté environ 8 % des recettes, soit près de 3 millions d'euros.

Le caractère d'établissement public de la structure dont la création est envisagée, même s'il est industriel et commercial, ne fera-t-il pas obstacle aux avantages fiscaux liés au mécénat ? Dans l'affirmative, quelles sont les dispositions prévues à ce sujet ?

PermalienPhoto de Monique Boulestin

Depuis le début de la matinée s'exprime, au sein de notre Commission, une ambition commune de défendre une grande politique culturelle de la France à l'étranger. C'est pourquoi ma question s'adresse prioritairement à vous, monsieur Poivre d'Arvor : comment envisagez-vous le passage de CulturesFrance du statut associatif à celui d'établissement public à caractère industriel et commercial ? Quelles actions concrètes comptez-vous désormais privilégier, notamment concernant la francophonie ?

Je souhaite appuyer la question de mon collègue Hervé Féron par un exemple concret, celui de l'organisation, depuis plus de vingt ans, du festival Les Francophonies en Limousin, à Limoges. Depuis deux ans, ce festival n'est plus soutenu par le ministère des affaires étrangères. Non seulement ce désengagement financier met ce festival en difficulté, mais il nous prive d'un creuset indispensable à la création artistique internationale. Vous serait-il possible de nous donner quelques garanties à ce sujet ?

PermalienPhoto de Muriel Marland-Militello

En tant qu'adjointe à la politique culturelle de la ville de Nice, je veux insister sur l'intérêt que présentent les jumelages entre municipalités pour les échanges culturels et même les partenariats culturels.

Je regrette le désintérêt des institutions culturelles à ce sujet. Les échanges culturels liés à des jumelages sont très souvent considérés avec une certaine condescendance par nos institutions culturelles basées à l'étranger. Le jumelage de la ville de Nice avec celle de Nuremberg a été réalisé par la seule ville de Nice. Il n'y avait même pas, lors de la manifestation des échanges, un représentant d'institutions culturelles de notre pays.

Comment se fait-il qu'il n'y ait pas plus de synergie entre les différents acteurs de l'action culturelle extérieure et que les responsables des institutions culturelles à l'étranger ne s'intéressent pas plus à la dimension artistique et culturelle des jumelages ?

PermalienPhoto de Patrick Bloche

Bien que je suive ce dossier depuis de nombreuses années, avec plusieurs collègues, dont M. Bourg-Broc – j'ai ainsi eu l'honneur pendant une dizaine d'années d'être le rapporteur pour avis de ce qu'on appelait à l'époque les crédits des relations culturelles internationales –, j'ai failli ne pas intervenir tellement le désespoir m'accable en la matière. Pour autant, mon propos ne se veut ni polémique ni politique. Je réserve mes remarques les plus désagréables aux ministres concernés. Nos invités d'aujourd'hui assument pour leur part leurs responsabilités avec les moyens qu'on leur donne.

Les budgets de l'action culturelle extérieure de la France ont toujours été fragiles. Ils ont souvent été menacés par des gels ou des annulations de crédits, ce qui nous a conduits maintes fois à regretter que la France donne d'elle une si mauvaise image quand, engagée dans des partenariats, elle se voit obligée de s'en retirer du fait d'annulations de crédits.

Cela étant, on observe, ces dernières années, une véritable rupture, au point que nous nous interrogeons sur la nature même de l'action culturelle extérieure de la France aujourd'hui. Systématiquement, il nous est demandé, lors de nos voyages à l'étranger, de sauver un centre ici, un institut là, de trouver de l'argent pour tel autre, de préserver des postes à tel endroit, de mobiliser des crédits pour tel projet…. Nous sommes renvoyés en France comme des sortes de missi dominici chargés d'aller frapper à la porte du ministère des affaires étrangères.

Il est également désespérant de voir s'élever de façon dramatique la moyenne d'âge des francophones et francophiles qui nous sont présentés lors de nos déplacements à l'étranger. C'est à se demander si, dans dix ou vingt ans, nous pourrons toujours rencontrer ces francophones qui provoquent en nous beaucoup d'émotion par le choix des mots qu'ils utilisent et par leur connaissance de la culture française, parfois bien supérieure à la nôtre.

C'est tout de même l'image de la France qui est en jeu. Alors qu'il existe toujours un désir de France, se faire systématiquement critiquer, notamment par nos amis québécois pour être les plus mauvais militants de la francophonie, conduit à une certaine lassitude.

Il ne faut pas oublier non plus la concurrence de plus en plus forte qui existe en matière de formation. C'est ainsi que, dans l'enseignement supérieur, nous sommes aujourd'hui très concurrencés et souvent distancés.

Hier était projeté à la Cinémathèque un très beau film en hommage à Daniel Toscan du Plantier qui, en qualité de président d'Unifrance a fait beaucoup pour la culture française à l'étranger. Ce fut l'occasion de réaliser combien l'image de l'Italie a changé depuis les années 1960 et 1970 où il existait encore un cinéma italien qui, de plus, s'exportait. S'il faut se réjouir que le nôtre continue pour sa part à participer à l'image culturelle de la France, encore faut-il, pour que le cinéma s'exporte bien, qu'il ait les moyens d'être exporté, au-delà du rôle des distributeurs et des diffuseurs internationaux.

Le mécénat culturel est beaucoup moins développé en France que dans d'autres pays du fait de la tradition française de faire financer notre présence culturelle, notamment à l'étranger, par la puissance publique, même si nous avons souvent été conduits à nous tourner vers les opérateurs économiques pour financer en partie la diffusion de la langue et de la culture françaises, en leur faisant valoir que c'était bon pour leurs affaires et leurs exportations. Les entreprises françaises ont-elles vraiment conscience des retombées économiques de l'action culturelle extérieure de la France ? Constituent-elles pour vos institutions respectives des partenaires solides et fiables ?

PermalienPhoto de Françoise Imbert

Concernant la transformation de CulturesFrance en EPIC, allez-vous, monsieur Poivre d'Arvor, participer à la création de la nouvelle structure ? Le personnel de l'association CulturesFrance y participera-t-il ? Sera-t-il formé à l'utilisation, par exemple, des supports numériques de la culture et au travail en EPIC ?

PermalienPhoto de Bernard Debré

Une précision pour répondre à la question de M. Bloche. Les entreprises françaises aimeraient beaucoup participer à l'action extérieure de la France. Mais, par exemple, il existe une concurrence entre Unifrance, organisme chargé de la promotion du cinéma français à l'étranger, et Sopexa, société de conseil en marketing et en communication, en matière d'export qui fait que ces deux organismes s'annihilent l'un l'autre. Il faudrait demander l'intervention des ministères des affaires étrangères et des finances.

PermalienOlivier Poivre d'Arvor, président de CulturesFrance

Le petit nombre de personnes présentes est compensé par leur conviction. L'important est que le débat soit ouvert à l'Assemblée. Il l'a été au Sénat et cette assemblée a fait pas mal de choses ces dernières années.

L'action culturelle extérieure n'est pas, à l'évidence, la priorité des priorités du Président de la République. Je comprends qu'il ait d'autres dossiers à traiter. La diffusion culturelle est cependant un sujet majeur car elle touche à l'identité – j'irai même jusqu'à dire à l'identité nationale...

Le français doit être une langue de résistance et être perçu comme telle, y compris au sein de l'Union européenne. Quand nous nous rendons à l'étranger, nous sommes contents que certains noms d'artistes français soient connus et que notre langue soit parlée par quelques personnes qui comptent. C'est de moins en moins le cas. À cet égard, la langue de bois des apparatchiks qui expliquent que l'apprentissage de notre langue est en augmentation est insupportable. Nous assistons à un effondrement du français en Espagne, au Portugal, en Grèce, en Italie. Il ne figure plus parmi les langues obligatoires et n'est plus parlé par la nouvelle génération. Dans vingt ans, il n'y aura plus que quelques personnes à l'étranger qui parleront le français alors qu'il y a encore vingt ans, on travaillait dans notre langue.

L'apprentissage de l'anglais augmente de manière considérable, y compris dans les pays africains considérés comme francophones. D'ailleurs, on compte souvent comme francophone l'ensemble des populations des pays africains alors que dans la réalité, seule une toute petite majorité le parle, malgré son statut de langue officielle.

Il est grave que l'on ne se rende pas compte que notre influence culturelle concourt à notre influence économique, politique et diplomatique. Le cas d'Haïti, où je me trouvais il y a encore trois semaines, est, à cet égard, symbolique. Une part de la littérature francophone vient de ce pays et nous connaissons tous les grands écrivains Depestre, Métellus, Trouillot. Mais en même temps, la forte présence de l'Amérique dans l'aide apportée au peuple haïtien – ce qui est par ailleurs heureux et formidable – nous fera perdre beaucoup de crédit auprès de ses élites.

CulturesFrance ne pèse que 30 millions d'euros, dont 20 millions de programmes. En voici brièvement le Meccano :

À la tête de l'édifice se trouve le ministère des affaires étrangères. Celui-ci délègue une partie de ses crédits aux postes. Nos ambassades et nos services culturels ont donc des moyens propres. Ceux-ci sont en diminution constante, mais les services culturels financent néanmoins de nombreux centres culturels français par le biais de subventions.

Le ministère des affaires étrangères finance également un certain nombre d'opérateurs dont vous avez trois représentants aujourd'hui devant vous. Les opérateurs sont dispersés. Vous nous donnez aujourd'hui l'occasion de nous rencontrer mais, depuis dix ans que j'exerce ma fonction, aucune réunion obligatoire des opérateurs n'a été organisée, ce qui montre qu'il existe un problème de pilotage et de tutelle très grave.

Enfin, il y a aujourd'hui une direction générale, la DGM – Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats –, dont vous avez rencontré une des directrices, Mme Delphine Borione.

Le projet de loi que vous allez examiner tend, dans un premier temps, à faire passer CulturesFrance du statut d'association à celui d'EPIC. Cela répond à une demande de la Cour des comptes et me paraît une bonne chose.

Je précise tout de suite que cela n'aura aucune incidence sur le mécénat qui nous a fourni en 2009 à peu près 15 % de nos moyens. La structure en EPIC permettra la même chose. Quant aux 80 personnes qui travaillent à CulturesFrance, elles ne sont pas particulièrement inquiètes pour leur avenir car les contrats seront transférés.

Ce sur quoi je veux insister, c'est sur le fait que la modification proposée par le projet de loi est modeste. Ce qui compte, c'est donc ce qui va suivre. Vous allez créer – pour employer une métaphore militaire – une sorte de porte-avions. Encore faudra-t-il ensuite que des avions viennent s'y poser, car les frais de fonctionnement d'une structure en EPIC étant beaucoup plus lourds que ceux de l'association, si aucun avion n'arrive, le porte-avions se transformera en Titanic.

Je précise à cet égard que le Festival de Limoges ne dépend pas de nous mais du ministère des affaires étrangères, ce que je regrette profondément.

Les demandes étrangères sont en constante augmentation. Ce qu'il y a de rageant dans la situation actuelle, c'est que la matière produite en France – par les citoyens et par le ministère de la culture – est exceptionnelle. La France compte aujourd'hui de grands metteurs en scène et de très bons écrivains. Le problème, c'est qu'elle a une capacité de projection de la force d'un petit élastique, c'est-à-dire nulle. C'est un paradoxe très regrettable.

La question de la langue n'est pas en cause. Un film français peut être tourné en anglais et sous-titré. De même, une pièce de théâtre peut circuler facilement grâce aux sous-titres. Et de grands groupes musicaux qui circulent à l'étranger comme Air et Daft Punk chantent en anglais.

Je ne suis pas d'accord avec ceux qui pensent que la diffusion culturelle n'est pas fongible. Si l'on définit une ambition unique et lisible, tout le monde s'y retrouvera et comprendra : les entreprises comme les collectivités territoriales.

Vous avez devant vous aujourd'hui trois représentants d'opérateurs participant à la diffusion de la culture française à l'étranger. Or, 23 autres personnes auraient pu également prendre place autour de la table ! J'y insiste à nouveau : la modification de statut que vous allez voter n'est qu'un début. Si, dans deux ou trois ans, aucun avion ne s'est posé sur le porte-avions, il faudra appeler les services d'urgence. J'espère que vous serez encore là pour le faire. Les prévisions budgétaires pour 2010 ne sont pas bonnes. Si rien n'est fait, notre disparition est envisageable à l'orée de 2015.

De nombreux centres culturels ont déjà été fermés. Pour l'instant, les opérateurs fonctionnent sur la base d'un vieux réseau d'amitiés et de sympathies pour la France. Mais celles-ci sont de moins en moins partagées parce qu'il y a de moins en moins de personnes qui parlent le français dans le monde.

PermalienBéatrice Khaiat, directrice déléguée de Campus France

L'accueil d'étudiants étrangers et de scientifiques est devenu un enjeu majeur pour tous les pays, notamment pour les pays occidentaux qui connaissent un déficit dans ce domaine. Aux États-Unis, par exemple, les chercheurs dans les laboratoires des universités sont pour plus de 50 % des étrangers.

Le problème est que tous les pays recherchent les mêmes étudiants. Avec ses 4,5 millions de subvention, CampusFrance est vraiment petit par rapport au DAAD et au British Council, d'autant qu'il n'a qu'un rôle de promotion.

Le montant des bourses qui sont allouées par le ministère des affaires étrangères a baissé. Certaines régions en donnent, mais elles sont réservées aux Français qui vont à l'étranger et sont rarement accordées à des entrants. Or, tous les pays sont en concurrence pour accueillir des étudiants étrangers, afin d'en faire leurs futurs chercheurs ou leurs futurs ambassadeurs. Tel est le cas de nombreux pays d'Asie, dont la Chine, qui envoie énormément d'étudiants à l'étranger.

Pour ce qui concerne la langue, nous sommes pragmatiques. Si des étudiants veulent étudier en anglais en France, nous les accueillons en nous disant qu'ils apprendront, par la même occasion, le français. Les grandes écoles de commerce ont été les premières à proposer des formations en anglais, et les universités s'y mettent. Les Allemands ont créé 1 000 masters en anglais, ouverts également à leurs nationaux.

Quant aux entreprises, elles donnent très peu de bourses alors qu'elles pourraient faire plus, et ne sont pas vraiment associées à notre action.

PermalienPhoto de Denis Jacquat

Je reprendrai le mot « désespérant » employé par M. Bloche pour qualifier l'état actuel de l'action culturelle extérieure de la France. Celui-ci résulte d'un choix politique qui a été fait de longue date mais qui n'est pas avoué. Les proclamations sont contraires à la réalité. Alors que le budget de l'État n'a pas, à ma connaissance, diminué en valeur absolue depuis vingt ans, celui du culturel extérieur a connu une hémorragie constante.

Comme l'a fait remarquer M. Bourg-Broc, le débat sur le culturel extérieur ne passionne pas le politique.

Une première raison est sans doute que ce n'est pas un sujet électoral. Il n'y a pas de grève ni de manifestation pour ce motif. On peut fermer tous les centres culturels et toutes les Alliances françaises, sans provoquer la mobilisation des Français qui se désintéressent du sujet.

Une seconde raison tient au fait que certains voient dans la défense et le rayonnement de notre langue, une démarche quelque peu néocoloniale. Un opprobre vague plane à cet égard, ce qui, selon moi, est totalement absurde.

La francophonie est-elle désirée ? En France, non. Comme nous venons de le dire, tout le monde s'en moque, ce qui est un gros problème pour ceux qui se battent à l'étranger sur ces questions. Ils ne se sentent pas soutenus.

Pour ce qui concerne l'étranger, la réponse doit être nuancée.

M. Poivre d'Arvor parle d'un effondrement de l'apprentissage du français. Je serai moins brutal et parlerai plutôt d'un repositionnement de la langue française. Il y a une vingtaine d'années, on cherchait à combattre l'avancée de l'anglais et on a beaucoup souffert de son accession au rang de langue internationale. Depuis quelques années, on ne se situe plus dans ce rapport duel et les choses vont beaucoup mieux.

Le nombre d'Alliances françaises dans le monde est en progression. Celle-ci est très importante en Amérique latine, en Amérique du Nord et en Chine.

Dans ce dernier pays, douze Alliances françaises ont été ouvertes en huit ans et les salles se sont remplies dès leur ouverture. Nous freinons même un peu le mouvement pour nous assurer que les structures créées sont fiables et viables. En sept ou huit ans, le nombre de Chinois étudiant le Français dans les huit Alliances françaises a atteint 22 000. Ce chiffre peut paraître dérisoire comparé au milliard et quelque de Chinois, mais cela montre la percée de la langue française dans ce pays où la demande est partout très forte.

Cette évolution favorable est tempérée par la disparition inquiétante du français dans l'enseignement public, en particulier en Europe. Nous ne nous battons pas assez dans les organisations internationales et les hommes d'affaires ne nous aident pas. Or, si l'enseignement du français recule en Europe, nous aurons beaucoup de difficulté à légitimer une progression du français dans le monde où la demande reste forte. J'ai en effet constaté, au cours de mes voyages, un fort désir de France – et de français – qui plus est, chez les jeunes.

Les Alliances françaises réagissent à la manière des plantes assoiffées : elles s'enracinent alors plus profondément en recherchant des ressources propres, lesquelles ne cessent de croître. Pour certaines d'ailleurs la tentation est grande de se séparer du réseau à partir du moment où elles sont capables de se financer totalement et de payer leur directeur. C'est déjà le cas des Alliances françaises de Singapour et de New York.

La Fondation Alliance française de Paris essaie pour sa part de maintenir toutes les Alliances françaises dans un même réseau. Mais la qualité essentielle des Alliances françaises étant de s'adapter aux conditions et au terrain, elles se prennent en main et s'autofinancent toujours davantage, ce qui pourrait alors conduire le ministère des affaires étrangères à fermer le robinet. C'est le paradoxe de la situation.

Le dynamisme des Alliances françaises me rend cependant très optimiste. Si le contexte général politique et budgétaire est assez désespérant, ce qui se passe sur le terrain est, en effet, très encourageant : une fois acquise une connaissance de base de l'anglais pour leur travail et leurs déplacements, les gens se tournent assez spontanément vers le français comme autre grande langue internationale. L'espagnol est en effet très localisé sur l'Amérique latine et le Sud des États-Unis. Il n'est pas très présent en Asie et en Afrique. Quant au chinois, son apprentissage est difficile. Il ne deviendra jamais une langue de masse à l'étranger. Enfin, l'arabe pose des problèmes idéologiques et également d'accès.

C'est ce qui me fait penser que la demande ne va pas décroître. Si nous étions plus fiers de notre langue et si nous mettions un peu plus d'énergie à la promouvoir, cela irait évidemment beaucoup mieux.

Il serait bien que les Alliances françaises puissent bénéficier de meilleures formations, de meilleurs équipements et, surtout, d'une pérennité dans l'action. Elles ont d'excellents directeurs, mais ceux-ci savent que leur séjour à l'étranger est limité dans le temps – entre deux fois deux ans et deux fois quatre ans selon les règles fixées par le ministère qui évoluent constamment – et qu'une fois rentrés en France ils devront trouver un autre emploi. Il y a là une déperdition de savoir-faire considérable. Un organisme qui, comme le British Council ou le Goethe Institut, formerait et rémunérerait dans la durée des personnels permettrait d'assurer une plus grande pérennité.

Contrairement à M. Poivre d'Arvor, je ne trouve pas le projet de loi convaincant. Il me semble au contraire masquer les difficultés. De plus, il contourne la question majeure de l'organisation. Comment fait-on sur place pour que ces réseaux n'en fassent qu'un ? Je ne dis pas que le problème est insoluble mais encore faut-il qu'il puisse être étudié. Or, jusqu'à présent, il ne nous a pas été demandé d'y réfléchir.

La séance est levée à douze heures quarante.