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Intervention de Denis Jacquat

Réunion du 20 janvier 2010 à 9h45
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Jacquat :

Je vous propose d'aborder cette question complexe avec des idées simples, voire naïves, car, avant de parler de stratégie, il faut s'entendre sur les motivations et les objectifs de l'action culturelle. L'existence d'une politique extérieure obéit à deux raisons principales.

La première, qui est universelle et justifierait à elle seule qu'on y consacre des moyens importants, est de contribuer au devenir du monde en participant à la construction du savoir et des idées, au débat mondial sur les grands choix de l'avenir, et à favoriser l'enrichissement mutuel des cultures.

La seconde raison concerne les intérêts propres de notre pays. Pour avoir vécu et voyagé à l'étranger, je me suis convaincu que, lorsqu'on émet un jugement politique, qu'on s'engage sur le plan international ou qu'on signe un contrat industriel ou commercial, l'image qu'on se fait d'un pays et l'attachement culturel, intellectuel voire sensuel qu'on éprouve à son égard pèsent dans cette décision.

Puissance moyenne, la France est riche d'un héritage de grande puissance. C'est sans doute aujourd'hui la seule culture à prétention universelle qui n'ait plus de vocation impériale, ce qui n'est le cas ni des États-Unis ni de la Chine.

Pour atteindre ces objectifs, quelle organisation stratégique faut-il privilégier ? Depuis deux ans, on parle beaucoup des problèmes de notre réseau d'établissements culturels, en soulignant qu'il serait en déclin, dispersé et peu lisible. Mais son organisation ou son caractère prétendument hétérogène ne sont pas en cause. En réalité, la France est le pays occidental qui dispose du plus vaste réseau d'établissements. Le sien est souple et original, au sens où il combine deux formules juridiques possibles : les centres, qui relèvent des services extérieurs de l'État, et les Alliances françaises, qui ont le statut d'associations de droit local.

Une telle souplesse donne à notre pays une remarquable capacité d'adaptation aux conditions politiques ou juridiques du terrain. Le ministre de l'éducation chinois, qui a créé les instituts Confucius, remarquait que, de la même façon que l'eau épouse, selon le Tao, toutes les anfractuosités du terrain, notre réseau s'adapte à toutes les situations politiques et sociales. Apprécié du public et de nos partenaires étrangers, il connaît cependant des problèmes réels, qui tiennent à la conjugaison de trois facteurs.

Le premier est l'effondrement sans précédent de ses moyens, qui ont diminué de 10 % en 2007 comme en 2008, et de 20 % en 2009, de sorte qu'il aura en quelques années perdu la moitié de ses crédits d'intervention, après avoir déjà connu depuis vingt ans une lente diminution de ses ressources. Quelle autre organisation publique ou privée aurait résisté à une telle hémorragie ? Il y a vingt ans, on comptait, dans les Alliances françaises, 495 directeurs expatriés. Ils ne sont plus que 230 aujourd'hui. Cette situation tient à une augmentation incompressible des dépenses du Quai d'Orsay due à la hausse tendancielle des contributions internationales – en d'autres termes, le multilatéral tue le bilatéral – et au coût croissant des charges salariales de l'enseignement français à l'étranger, alourdi par le fait que les élèves français bénéficient désormais de la gratuité. Alors que la subvention à l'AEFE sera de 420 millions d'euros en 2010, rappelons que l'ensemble des crédits d'intervention du Quai d'Orsay dans la sphère du rayonnement culturel et scientifique – par conséquent hors AEFE – correspond au coût annuel de fonctionnement de l'Opéra de Paris ; quant au budget consacré au réseau des alliances françaises dans le monde, il est inférieur au prix d'un Rafale.

Le deuxième facteur qui pèse sur le réseau tient à un déficit de professionnalisation, conséquence d'une formation initiale et continue insuffisante des agents responsables. Le phénomène est aggravé par la réduction de la durée des missions du personnel détaché et par le nombre de mandats autorisés, de sorte qu'il faut continuellement former de nouveaux agents afin de remplacer ceux qui doivent quitter le réseau. J'ajoute que la diminution des postes est mal compensée par le recrutement local, qui nécessite lui-même des formations. Nous manquons d'une sorte de corps d'ingénieurs de l'action culturelle extérieure, comme celui que possèdent le British Council ou l'institut Goethe. Le personnel recruté dans ces deux derniers réseaux sait qu'il y développera ses compétences et qu'il y fera carrière, alors que la France a adopté le principe du Kleenex : après trois ou six ans de service, ses agents seront rejetés dans les ténèbres extérieures. Les titulaires rentreront dans leur ministère d'origine ; les autres chercheront du travail.

Le troisième facteur tient à l'absence de persévérance dans les stratégies et les actions, résultat d'une rotation trop rapide des cadres, dans l'administration centrale ou dans les postes, et de la succession, depuis plusieurs années, d'annonces non suivies d'effet.

À l'avenir, soit le ministère des affaires étrangères continuera à piloter le réseau culturel, en confiant la tâche à une direction affirmée, respectée et assurée de disposer de moyens pérennes, soit une institution complètement autonome sera créée. Mais il ne saurait exister de solution intermédiaire.

Dans cette seconde hypothèse, la difficulté est que nous disposons d'un réseau original, dont l'organisation est double. La chimie des corps veut que, si un centre culturel est soluble dans une Alliance française, pour peu qu'on le transforme avec l'appui de partenaires locaux qui formeront un conseil d'administration, il est en revanche impossible de proposer aux administrateurs chinois de l'Alliance française de Pékin ou aux administrateurs américains de l'Alliance de New York d'être intégrés aux services extérieurs de l'État français. La réflexion menée depuis quelques années sur la réforme n'a pas pris en compte cette réalité.

L'Alliance française ne répugne pas à la tutelle du Quai d'Orsay, si toutefois il faut absolument un réseau unique. Reste que cette obsession française ne préoccupe personne à l'étranger. Selon la ville dans laquelle ils habitent, les gens se rendent indifféremment à l'Alliance française ou au centre culturel, dont les missions sont les mêmes. Le désir d'une plus grande visibilité semble être purement parisien.

Quoi qu'il en soit, si l'on tient au réseau unique, il faut se souvenir que celui de l'Alliance française a cent vingt-cinq ans d'existence et qu'il dispose d'une notoriété considérable. Il répond à une logique d'entreprise, avec le goût de la liberté et les risques que cela comporte, les Alliances françaises s'autofinançant à près de 75 %, ce qui constitue un record. Ce réseau est en plein développement, puisqu'une dizaine d'Alliances est créée chaque année et que ses effectifs augmentent de 3 à 4 % par an. La responsabilité juridique de cet ensemble est assumée non par l'État français, mais par les présidents locaux des écoles. Sa capacité à lever des fonds est réelle. Mais surtout, il s'agit d'un système moderne, puisque nous sommes quotidiennement obligés de négocier avec des partenaires locaux. La coopération entre la partie française représentée le directeur – nommé par le ministère et la Fondation – et la partie locale – le conseil d'administration du pays d'accueil – s'exerce au quotidien. L'obligation de s'entendre et de trouver chaque jour des compromis représente un formidable moteur de développement.

L'avenir est précisément dans cette formule associant la société civile et l'initiative privée locale de partenaires étrangers qui portent notre culture. Il semble inéluctable d'aller désormais sur cette voie.

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