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Intervention de Olivier Poivre d'Arvor

Réunion du 20 janvier 2010 à 9h45
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Olivier Poivre d'Arvor, président de CulturesFrance :

D'une certaine manière, l'inflation de discours sur la politique culturelle est proportionnelle à la déflation des moyens. Comme M. Jacq l'a rappelé, ces derniers ont décru de 50 % en cinq ans. C'est une évolution budgétaire totalement inédite qui doit probablement avoir une explication politique. On ne retire pas comme cela la moitié de ses moyens à une histoire vieille de plus d'un siècle et demi : elle ne doit pas être considérée comme très intéressante …

Le phénomène est grave et impose que nous réagissions rapidement. L'attention que les parlementaires portent à ce sujet est très importante pour nous.

La France ne se trouve plus du tout en tête de la course qu'elle a menée pendant cinquante ans. Elle a été largement rattrapée, voire dépassée, par de nombreux pays.

Aux États-Unis, par exemple, la sous-secrétaire d'État en charge de la Public Diplomacy, que j'ai rencontrée à Washington dernièrement, a la responsabilité, auprès d'Hillary Clinton, du dossier de l'influence américaine dans le monde et dispose à cet effet de près de 850 millions de dollars. L'initiative dans ce domaine n'est pas laissée au marché. Les officiels américains mènent, au contraire, une politique active et insistent sur l'importance, notamment depuis l'élection du nouveau président américain, de ce qu'ils appellent le smart power. Version améliorée du soft power, le « pouvoir intelligent » est considéré aujourd'hui comme un élément de la diplomatie.

Tous les pays un peu sérieux travaillent sur le sujet. Le Goethe Institut a augmenté ses moyens. Le British Council, tout en jouant un jeu un peu hypocrite en affirmant avoir toute l'indépendance nécessaire vis-à-vis du Foreign Office conformément au arm's length principle – au principe de la bonne distance – avec ce dernier, renforce de manière assez impressionnante son réseau, lequel est largement autofinancé par les recettes provenant des cours et des examens. L'Institut Cervantès, pour sa part, rattrape le niveau de la France alors qu'il n'existait pas voilà vingt ans.

De même, personne n'aurait imaginé il y a quinze ans que les pays du Golfe puissent parier sur la diplomatie culturelle pour affirmer leur influence. Aujourd'hui, ces derniers – je pense notamment à Doha, au Qatar et à Abou Dhabi – investissent beaucoup pour afficher une image culturelle qui est devenue un instrument de négociation et de dialogue avec le reste du monde.

La France a baissé les bras. Le sujet n'intéresse absolument pas les politiques, qu'ils soient de droite ou de gauche. J'ai servi auprès de plusieurs ministres des affaires étrangères qui n'ont pas pu sauver les moyens de l'action culturelle extérieure. Celle-ci est considérée comme un domaine assez marginal par rapport à l'action culturelle en général.

Le paradoxe est que, alors que les moyens de la culture sont très importants aujourd'hui en France, ceux de son exportation et de sa présentation à l'étranger sont dérisoires.

Beaucoup d'argent public est investi dans la culture – plus que nulle part ailleurs, ce qui rend les atermoiements des acteurs culturels un peu indécents – et une offre culturelle abondante, voire surabondante, est produite dans tous les domaines – musique, théâtre, danse, littérature, cinéma –, bénéficiant d'un public considérable. Les nombreux festivals et, de manière générale, l'activité économique extrêmement riche engendrée par la culture nous valent une grande partie des étrangers qui viennent en France : près de la moitié des 80 millions de touristes viennent pour des raisons culturelles au sens large du terme, ce qui inclut l'art de vivre, le design, la mode et la gastronomie.

Il y a ensuite un goulet d'étranglement : les moyens de CulturesFrance pour l'ensemble de ses programmes assurant l'exportation du théâtre, du cinéma, de la littérature, des musiques, des arts plastiques, de l'architecture et du patrimoine français dans soixante-trois pays ne s'élèvent qu'à 20 millions d'euros par an. Mieux vaudrait donner cette somme aux pauvres d'Haïti que de conserver un appendice parapublic aussi ridicule face à une demande croissante dans le monde !

Le produit culturel n'est plus un luxe – la « cerise sur le gâteau ». Il est devenu un véritable instrument d'influence par le biais des nouvelles technologies, des images et du cinéma. Ce qui m'inquiète un peu dans la réforme qui se prépare, c'est que les moyens ne sont pas au rendez-vous. La meilleure solution me semble être de rebattre les cartes et de créer un organisme unique – sous l'appellation Alliance Française ou Institut Français – regroupant l'ensemble des services extérieurs de l'État – services culturels, instituts français, agences – afin de lui donner une masse critique.

Pour ma part, je ne mesure pas notre déclin uniquement à la baisse du nombre d'agents. Pour avoir beaucoup servi en poste, je puis témoigner que de nombreux recrutés locaux sont capables de faire un très bon travail. Donc, en donnant plus de moyens à nos postes et en diminuant le nombre de détachés budgétaires, nous devrions atteindre un montant de 500 millions d'euros, ce qui nous permettrait de travailler de manière assez correcte.

La perte d'autorité par rapport au nouvel objet est un peu la crainte de mes collègues ambassadeurs et du Quai d'Orsay en général. Mais nous avons des exemples d'établissements publics qui fonctionnent bien sans échapper pour autant à l'autorité du Quai d'Orsay. En particulier, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, qui s'occupe du pilotage de l'ensemble des lycées français à l'étranger, est un organisme autonome qui fonctionne très bien et dont il ne me semble pas que les ambassadeurs aient perdu le contrôle.

Il y a urgence à agir. Les propositions du Quai d'Orsay sont une première forme de réponse mais il faudra s'orienter très vite vers ce que M. le ministre Bernard Kouchner a préconisé, c'est-à-dire une intégration du réseau à cette agence d'ici à trois ans.

La question de l'Alliance française est cruciale. Cet organisme fait un travail formidable et je ne verrais pas du tout d'obstacle à ce que ce soit la marque retenue face aux autres marques que sont le British Council, l'Institut Cervantès ou le Goethe Institut.

L'organisation actuelle ne concourt pas à retenir l'attention des Français tellement elle est compliquée : pas moins de vingt-six marques différentes – vingt-cinq après la prochaine réforme – font le travail réalisé par la seule marque British Council...

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