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Intervention de Denis Jacquat

Réunion du 20 janvier 2010 à 9h45
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Jacquat :

Je reprendrai le mot « désespérant » employé par M. Bloche pour qualifier l'état actuel de l'action culturelle extérieure de la France. Celui-ci résulte d'un choix politique qui a été fait de longue date mais qui n'est pas avoué. Les proclamations sont contraires à la réalité. Alors que le budget de l'État n'a pas, à ma connaissance, diminué en valeur absolue depuis vingt ans, celui du culturel extérieur a connu une hémorragie constante.

Comme l'a fait remarquer M. Bourg-Broc, le débat sur le culturel extérieur ne passionne pas le politique.

Une première raison est sans doute que ce n'est pas un sujet électoral. Il n'y a pas de grève ni de manifestation pour ce motif. On peut fermer tous les centres culturels et toutes les Alliances françaises, sans provoquer la mobilisation des Français qui se désintéressent du sujet.

Une seconde raison tient au fait que certains voient dans la défense et le rayonnement de notre langue, une démarche quelque peu néocoloniale. Un opprobre vague plane à cet égard, ce qui, selon moi, est totalement absurde.

La francophonie est-elle désirée ? En France, non. Comme nous venons de le dire, tout le monde s'en moque, ce qui est un gros problème pour ceux qui se battent à l'étranger sur ces questions. Ils ne se sentent pas soutenus.

Pour ce qui concerne l'étranger, la réponse doit être nuancée.

M. Poivre d'Arvor parle d'un effondrement de l'apprentissage du français. Je serai moins brutal et parlerai plutôt d'un repositionnement de la langue française. Il y a une vingtaine d'années, on cherchait à combattre l'avancée de l'anglais et on a beaucoup souffert de son accession au rang de langue internationale. Depuis quelques années, on ne se situe plus dans ce rapport duel et les choses vont beaucoup mieux.

Le nombre d'Alliances françaises dans le monde est en progression. Celle-ci est très importante en Amérique latine, en Amérique du Nord et en Chine.

Dans ce dernier pays, douze Alliances françaises ont été ouvertes en huit ans et les salles se sont remplies dès leur ouverture. Nous freinons même un peu le mouvement pour nous assurer que les structures créées sont fiables et viables. En sept ou huit ans, le nombre de Chinois étudiant le Français dans les huit Alliances françaises a atteint 22 000. Ce chiffre peut paraître dérisoire comparé au milliard et quelque de Chinois, mais cela montre la percée de la langue française dans ce pays où la demande est partout très forte.

Cette évolution favorable est tempérée par la disparition inquiétante du français dans l'enseignement public, en particulier en Europe. Nous ne nous battons pas assez dans les organisations internationales et les hommes d'affaires ne nous aident pas. Or, si l'enseignement du français recule en Europe, nous aurons beaucoup de difficulté à légitimer une progression du français dans le monde où la demande reste forte. J'ai en effet constaté, au cours de mes voyages, un fort désir de France – et de français – qui plus est, chez les jeunes.

Les Alliances françaises réagissent à la manière des plantes assoiffées : elles s'enracinent alors plus profondément en recherchant des ressources propres, lesquelles ne cessent de croître. Pour certaines d'ailleurs la tentation est grande de se séparer du réseau à partir du moment où elles sont capables de se financer totalement et de payer leur directeur. C'est déjà le cas des Alliances françaises de Singapour et de New York.

La Fondation Alliance française de Paris essaie pour sa part de maintenir toutes les Alliances françaises dans un même réseau. Mais la qualité essentielle des Alliances françaises étant de s'adapter aux conditions et au terrain, elles se prennent en main et s'autofinancent toujours davantage, ce qui pourrait alors conduire le ministère des affaires étrangères à fermer le robinet. C'est le paradoxe de la situation.

Le dynamisme des Alliances françaises me rend cependant très optimiste. Si le contexte général politique et budgétaire est assez désespérant, ce qui se passe sur le terrain est, en effet, très encourageant : une fois acquise une connaissance de base de l'anglais pour leur travail et leurs déplacements, les gens se tournent assez spontanément vers le français comme autre grande langue internationale. L'espagnol est en effet très localisé sur l'Amérique latine et le Sud des États-Unis. Il n'est pas très présent en Asie et en Afrique. Quant au chinois, son apprentissage est difficile. Il ne deviendra jamais une langue de masse à l'étranger. Enfin, l'arabe pose des problèmes idéologiques et également d'accès.

C'est ce qui me fait penser que la demande ne va pas décroître. Si nous étions plus fiers de notre langue et si nous mettions un peu plus d'énergie à la promouvoir, cela irait évidemment beaucoup mieux.

Il serait bien que les Alliances françaises puissent bénéficier de meilleures formations, de meilleurs équipements et, surtout, d'une pérennité dans l'action. Elles ont d'excellents directeurs, mais ceux-ci savent que leur séjour à l'étranger est limité dans le temps – entre deux fois deux ans et deux fois quatre ans selon les règles fixées par le ministère qui évoluent constamment – et qu'une fois rentrés en France ils devront trouver un autre emploi. Il y a là une déperdition de savoir-faire considérable. Un organisme qui, comme le British Council ou le Goethe Institut, formerait et rémunérerait dans la durée des personnels permettrait d'assurer une plus grande pérennité.

Contrairement à M. Poivre d'Arvor, je ne trouve pas le projet de loi convaincant. Il me semble au contraire masquer les difficultés. De plus, il contourne la question majeure de l'organisation. Comment fait-on sur place pour que ces réseaux n'en fassent qu'un ? Je ne dis pas que le problème est insoluble mais encore faut-il qu'il puisse être étudié. Or, jusqu'à présent, il ne nous a pas été demandé d'y réfléchir.

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