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Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Séance du 16 mars 2011 à 9h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a organisé une table ronde sur la biodiversité marine, avec la participation de M. Jean-François Tallec, secrétaire général de la mer, en charge de la stratégie marine pour la biodiversité, M. Jérôme Bignon, député, président de l'Agence des aires marines protégées, accompagné de M. Olivier Laroussinie, directeur, M. Hubert Carré, directeur du comité national des pêches maritimes et des élevages marins, M. Jean-Yves Perrot, président-directeur général de l'Ifremer, accompagné de MM. Philippe Goulletquer, et Philippe Gros, responsables scientifiques.

PermalienPhoto de Serge Grouard

Je remercie nos invités d'avoir accepté de participer à cette deuxième table ronde consacrée à l'espace maritime. La conclusion de ce qui sera en quelque sorte un triptyque viendra avec l'audition de Mme la ministre Nathalie Kosciusko-Morizet, le 12 avril prochain.

PermalienJean-François Tallec, secrétaire général de la mer

La biodiversité marine présente un caractère singulier : elle est à la fois d'une extraordinaire richesse et très largement inconnue. D'où la nécessité des recherches en la matière.

La France a un patrimoine marin considérable, le deuxième au monde après celui des États-Unis et avant celui de l'Australie, avec plus de 11 millions de kilomètres carrés. Mais si ces littoraux et milieux marins sous juridiction française sont d'une grande richesse biologique, celle-ci reste extrêmement fragile. Ces milieux sont en effet soumis à des pressions nombreuses : destruction, fragmentation et altération des habitats, introduction d'espèces allogènes ou surexploitation d'espèces commerciales, etc. Au contraire de ce qu'on a longtemps cru, nous savons aujourd'hui que la capacité de la mer à fournir des richesses et à absorber les déchets produits par l'homme n'est pas infinie.

Si les activités humaines qui s'exercent en mer – pêche, transport maritime, exploitation des ressources du sous-sol – sont porteuses de risques de pollution, volontaire ou accidentelle, et de destruction des habitats, la principale menace pesant sur la biodiversité marine provient des activités terrestres, et d'abord des rejets en mer, via les fleuves ou l'atmosphère, de substances dangereuses produites à terre. Un plan d'action en faveur de cette biodiversité n'a donc de sens qu'accompagné de la mise en oeuvre de plans d'action pour réduire ces menaces terrestres.

Avant d'être un espace national, la mer est un espace international. C'est le droit international qui y régit l'essentiel des activités. En l'absence de frontières physiques, toute menace peut aussi, du fait des courants ou des vents, s'y étendre rapidement ; de plus, l'homme exerce son activité sur l'ensemble des mers : le transport maritime est essentiellement international. Cependant, cet espace mondial est aussi subdivisé en espaces régionaux – Méditerranée, Atlantique du nord-est, mer des Caraïbes –, chacun régi par des conventions spécifiques. Il existe même un espace maritime communautaire, puisque l'Union européenne est aussi compétente pour les espaces maritimes de ses États membres.

Enfin, la mer est un espace juridique spécifique, un espace public, ouvert à tous, où ne peuvent s'appliquer les instruments juridiques terrestres traditionnels.

Depuis les années 1970, les initiatives internationales relatives à la mer ont foisonné. En 1972, la Conférence des Nations unies sur l'environnement a adopté une série de principes pour une gestion économiquement et écologiquement rationnelle de l'environnement. En France, dans le même esprit, la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature a posé, en son article 1er, que « la protection des espaces naturels et des paysages, la préservation des espèces animales et végétales, le maintien des équilibres biologiques auxquels ils participent et la protection des ressources naturelles contre toutes les causes de dégradation qui les menacent sont d'intérêt général ».

Le 28 octobre 1982, l'Assemblée générale des Nations unies a proclamé la Charte mondiale de la nature, élaborée sous l'égide de l'Union internationale pour la conservation de la nature. La Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement, tenue en juin 1992 à Rio de Janeiro, a adopté une déclaration sur les droits et responsabilités des pays dans le domaine de l'environnement, ainsi qu'une Convention sur la diversité biologique, ratifiée par la France en 1994. Cet instrument impose à chaque État d'élaborer des stratégies, plans ou programmes destinés à intégrer dans ses politiques sectorielles ou intersectorielles des mesures garantissant « la conservation et l'usage durable de la diversité biologique ».

La stratégie nationale pour la biodiversité, adoptée en 2004, est la concrétisation de l'engagement français. Elle comporte plusieurs plans d'action, dont un consacré à la mer. C'est le secrétariat général de la mer qui a été maître d'oeuvre pour la rédaction de ce document, adopté en novembre 2005. Il a fixé un cadre cohérent en vue d'enrayer l'érosion de la biodiversité marine d'ici à 2010. La première période de programmation de ce plan « mer » couvrait les années 2006-2007. En 2008, le plan « mer » a fait l'objet d'une révision et d'une mise à jour. Un bilan de sa mise en oeuvre a ensuite été établi, à l'occasion duquel on a pris en compte, notamment, les engagements du Grenelle de l'environnement. Enfin, le plan d'action révisé a été adopté à l'échelon interministériel en avril 2009.

PermalienFrédérick Herpers, chargé de mission au secrétariat général de la mer

Le secrétariat général est chargé de piloter la mise en oeuvre du plan d'action « mer », au nom du ministère de l'écologie. Il fait également rapport à ce dernier de cette application.

Ce plan intègre tout naturellement les dimensions internationales mises en exergue par M. Tallec et c'est donc à travers le quadruple prisme international communautaire régional national que sont déclinées les différentes actions : amélioration de la prise en compte de la biodiversité dans les politiques de la mer ; coordination des politiques publiques ; gestion de l'interface entre la terre et la mer, avec notamment la prise en compte des zones humides ; développement de bonnes conduites de la part des professionnels de la mer ; amélioration des connaissances et développement des aires marines protégées. Ces actions ont en outre été réparties entre les services des ministères concernés, en fonction de leurs compétences et de leurs attributions.

Le bilan d'activité de 2008 a permis de porter au crédit de ce plan, notamment, la participation à plusieurs chantiers européens ou internationaux, qu'il s'agisse du processus informel sur les océans, à l'ONU, ou de ce qui concerne les mers régionales – mer des Caraïbes ou océan Indien, par exemple ; en outre, la loi du 14 avril 2006 a ouvert la possibilité de créer des parcs naturels marins et a créé l'Agence des aires marines protégées ; en 2007, la France a également entrepris de constituer un réseau cohérent de sites Natura 2000 en mer, ce qui lui a permis de transmettre à la Commission européenne, dès novembre 2008, près de 76 propositions de sites conformes aux prescriptions des directives « Oiseaux » et « Habitats ». Des dispositions législatives ont aussi été prises et des moyens financiers et humains dégagés tant en faveur de la lutte contre les rejets en mer que pour l'extraction des matériaux et le contrôle des pêches. Enfin, de nombreuses actions de sensibilisation et de formation ont été menées auprès des professionnels et des autres usagers du littoral, aux niveaux local et national.

La réactualisation effectuée à partir de la mi-2008 et validée au printemps 2009 a permis de redéfinir objectifs et priorités dans les différents secteurs – pêche, transport maritime, activités de loisir, recherche, formation, outre-mer… –, ce en liaison avec l'ensemble des acteurs institutionnels, dont l'IFREMER et l'Agence des aires marines protégées, et des acteurs économiques, dont le Comité national des pêches, qui a largement participé au comité de pilotage de ce plan.

Les conditions d'atteinte de ces objectifs ont été retranscrits dans la loi portant engagement national pour l'environnement, qui prescrit l'élaboration d'une stratégie nationale pour la mer et le littoral.

PermalienJean-François Tallec, secrétaire général de la mer

Depuis cette réactualisation, le Gouvernement a lancé deux grands chantiers affectant la stratégie pour la biodiversité marine. Il s'agit, d'une part, du Grenelle de la mer, qui a donné lieu à un débat public particulièrement riche, et, d'autre part, de l'élaboration de la stratégie nationale pour la mer et les océans, qui constitue le document cadre de notre politique maritime. Celle-ci fixe quatre objectifs principaux : investir dans l'avenir ; développer une économie durable de la mer ; promouvoir la dimension maritime des outre-mer et affirmer la place internationale de la France. Bien évidemment, la protection de la biodiversité marine n'est pas oubliée : elle constitue en fait une préoccupation transversale, présente dans ces quatre domaines d'action.

PermalienPhoto de Jérôme Bignon

Couvrant onze ou douze millions de kilomètres carrés – la superficie exacte fait débat avec le service hydrographique et océanographique de la Marine –, l'espace maritime français équivaut quasiment à celui des États-Unis. Notre pays est ainsi présent dans trois océans et partie prenante à six conventions maritimes régionales sur les dix-huit existantes. Autrement dit, nous ne sommes pas seulement voisins des Belges, des Luxembourgeois, des Allemands, des Suisses, des Italiens et des Espagnols : nous le sommes de trente-cinq pays, dont l'Afrique du Sud, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Mozambique et la Colombie ! Selon qu'on prend ou non en compte cet espace, on appréhende différemment la place et le rôle de la France dans le monde.

À la fin de l'année 2007, les aires marines protégées ne couvraient que 0,2 % de cet espace maritime, et 1,46 % en 2010. Or le Grenelle de la mer et le Livre bleu nous fixent pour objectif d'arriver à 20 % en 2020. Il reste donc un gros effort à accomplir, mais il peut l'être outre-mer. En effet, alors que l'espace maritime métropolitain se réduit à 350 000 kilomètres carrés – sur onze et quelque millions ! –, nous avons sous notre juridiction 5 millions de km2dans l'océan Pacifique et 1,8 ou 2 millions dans l'océan Indien, autour des îles Éparses, de la Réunion, et des Terres australes – qui seraient plus justement dénommées Mers australes !

L'Agence des aires marines protégées est un établissement public de l'État qui a été créé grâce à notre collègue Jean-Pierre Giran, rapporteur en 2006 d'un texte réformant l'organisation des parcs nationaux : c'est à l'occasion de cette loi, qui a institué les parcs nationaux marins, notamment pour protéger la mer d'Iroise, et sur la base de nos discussions en commission que j'ai présenté un amendement instituant les aires marines protégées. L'objectif était double : venir en appui aux politiques publiques pour en renforcer la cohérence, et faciliter la gestion des ressources humaines et financières des parcs naturels marins – nous souhaitions en créer une douzaine. Mais ces parcs marins ne sont qu'une catégorie d'aires marines protégées parmi beaucoup : une partie du domaine public maritime affectée au Conservatoire du littoral peut devenir une de ces aires ; une réserve naturelle, une zone Natura 2000 en mer en sont. Une aire inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco pourrait également devenir, en cas de modification de l'arrêté qui l'a créée, une aire marine protégée. Bref, il s'agit d'un terme générique pour un dispositif offrant aux gestionnaires de nombreuses ressources et outils, grâce à l'action efficace – du moins je l'espère – de l'Agence.

Aujourd'hui, le siège de celle-ci est à Brest. Elle dispose, sous la responsabilité de son directeur et de son conseil d'administration, que je préside, d'une centaine d'équivalents temps plein et d'un budget de 22 millions d'euros pour 2011. Installée depuis le 1er janvier 2007, cette institution nouvelle dans le paysage administratif français fait son chemin…

Nous réfléchissons aujourd'hui au contrat d'objectifs que nous conclurons à la fin de l'année avec l'État. Nos priorités pour la période 2009-2011 étaient l'acquisition de données et la constitution d'un tableau de bord, mais bien sûr aussi le développement du réseau d'aires protégées – l'Agence a ainsi apporté sa contribution à la désignation de zones Natura 2000 en mer –, ainsi que le renforcement de la présence internationale de la France, notamment dans le cadre des conventions maritimes régionales.

PermalienOlivier Laroussinie, directeur de l'Agence des aires marines protégées

Pour la protection de la nature en mer, une approche intégrée est essentielle. Nous essayons donc de construire nos analyses à partir de trois angles : nous considérons les écosystèmes, le patrimoine naturel remarquable et les usages et ressources, ces derniers appréhendés du point de vue des enjeux et non des seuls impacts. Cela étant, beaucoup de scientifiques vous diraient que bien des données transmises au public sont en réalité des approximations. De fait, plus on s'éloigne des côtes, plus nos connaissances deviennent lacunaires, qu'il s'agisse des inventaires ou de la compréhension des mécanismes.

Le réseau actuel d'aires marines protégées autour de la France métropolitaine est essentiellement constitué de sites Na tura 2000 : ils occupent environ 40 % de la mer territoriale. Le parc naturel de la mer d'Iroise, à la pointe de la Bretagne, y tient une place importante.

Si, quantitativement, nous pourrions nous satisfaire de ce réseau Natura 2000, il privilégie, du point de vue qualitatif, une approche fondée sur la protection d'espèces et d'habitats. Au contraire, les projets de parcs marins correspondent à une approche intégrée des espaces, associant protection de la nature et recherche d'un développement durable.

Sur les façades nord et atlantique, les deux projets de parcs naturels marins devraient aboutir en avril ou mai prochains : l'un concerne les trois estuaires de la plaine picarde, l'autre les pertuis et l'estuaire de la Gironde. Un troisième projet, dans le bassin d'Arcachon, devrait être formalisé en fin d'année 2011 ou au début de 2012 et un quatrième, dans le golfe normand-breton, pourrait être présenté à la fin de 2012 ou au début de 2013.

En Méditerranée, les procédures de consultation étant maintenant achevées, le parc naturel marin du Golfe du Lion, centré au départ sur la Côte Vermeille puis étendu à l'ensemble de la côte sableuse, devrait être créé bientôt. Sont en projet un parc national des Calanques, comportant une partie marine importante, et une extension sur la mer du parc de Port-Cros.

Outre-mer, la France a déclaré ses eaux antillaises sanctuaire pour les mammifères marins, en le dénommant Agoa, du nom d'une déesse amérindienne. Le parc national de Guadeloupe s'est largement étendu en mer, incluant désormais, en sus de l'ancienne réserve naturelle du Grand Cul-de-Sac marin, des aires de protection et une aire maritime adjacente allant jusqu'à la limite des douze milles nautiques, sur le quart environ du pourtour de l'île. En Guyane, notre analyse stratégique nous a conduit à privilégier des projets de développement durable de la pêche côtière et aussi d'exploration : les lacunes actuelles de l'information nous orientent en effet vers des travaux d'inventaire.

Dans l'océan Indien, la France a créé le parc naturel marin de Mayotte au début de 2010. Alors que la concertation de départ le limitait au lagon, il s'étend désormais sur l'ensemble de la ZEE de Mayotte. Un projet similaire est en cours de discussion autour des îles Glorieuses, l'archipel le plus proche de Mayotte. Les deux parcs, contigus, couvriraient environ 140 000 km2: l'équivalent de plus du tiers des 350 000 km2 du domaine maritime métropolitain !

Des projets sont aussi à l'étude dans les îles Australes, dans le cadre de la CAMELAR, la convention pour la conservation des ressources vivantes de l'Antarctique.

Les collectivités de Nouvelle-Calédonie ont obtenu en 2008 l'inscription au patrimoine mondial d'un « bien en série » couvrant 60 % du lagon, le deuxième plus grand récif corallien au monde après la Grande Barrière de corail. Cependant, dans cette région du monde, le projet phare est une collaboration avec l'Australie pour la gestion durable de l'ensemble de la mer de Corail, qui pourrait déboucher sur la mise au point d'un dispositif de protection.

Enfin, le gouvernement de Polynésie française est en train d'élaborer une stratégie pour la création d'aires marines protégées et travaille, avec l'Agence des aires marines protégées et avec le Conservatoire du littoral, à la constitution, sous forme d'un groupement d'intérêt public, d'un conservatoire qui serait l'équivalent pour le territoire de ces deux institutions réunies.

Les projets ne se limitent pas aux eaux françaises. Des discussions sont en cours concernant la haute mer, c'est-à-dire les zones échappant à la juridiction des États. La biodiversité y est aujourd'hui dépourvue de toute protection juridique. Pour y remédier, le plus simple serait sans doute de constituer des aires marines protégées, comme l'était en Méditerranée Pelagos, sanctuaire pour les mammifères marins créé en haute mer par la France en association avec Monaco et l'Italie. Déjà, le conseil des ministres de la Convention pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est (OSPAR) a décidé en septembre dernier la création d'un réseau d'aires protégées au milieu de l'Atlantique. Evidemment, de telles démarches n'obéissent pas à des préoccupations purement écologiques : il s'agit aussi d'essayer de s'approprier, grâce à sa maîtrise technologique, ces espaces de haute mer…

PermalienPhoto de Jérôme Bignon

La France a-t-elle les moyens d'assumer ses responsabilités sur un espace maritime aussi étendu ? Cette question devient beaucoup moins préoccupante si l'on se rappelle que les États de l'Union européenne ont sous leur juridiction 10 % de la surface des océans : l'Europe, avec ses 500 millions d'habitants, est donc en position, à terme, de mettre au service de la biodiversité marine des moyens technologiques considérables et plusieurs marines nationales. On peut être d'autant plus raisonnablement optimiste que la directive cadre sur la stratégie pour les milieux marins, qui prend le relais de la directive cadre « eau », invite les États membres à travailler à l'amélioration de l'état écologique, non plus dans la zone des quinze milles nautiques, mais dans celle des 200 milles, autrement dit dans toutes les eaux sous juridiction européenne.

Nous disposons donc de capacités technologiques, scientifiques et économiques permettant la création de richesses considérables. Répétons-le, la mer est notre avenir !

PermalienJean-Yves Perrot, président-directeur général de l'IFREMER

Notre institut, l'un des établissements publics les plus intégrés au monde dans le domaine des sciences marines, a longtemps travaillé au profit de la biodiversité marine comme M. Jourdain faisait de la prose : sans le savoir. Les choses ont bien changé, mais il reste que cette biodiversité reste très méconnue, du fait de sa difficulté d'accès comme de sa richesse extrême, sans commune mesure avec celle de la biodiversité terrestre.

Compte tenu des promesses qu'elle recèle, l'IFREMER s'emploie à relever le défi en mettant un zèle égal à l'accomplissement des trois missions qui lui sont assignées : faire progresser la connaissance scientifique, venir en appui aux politiques et à la décision publiques, contribuer au développement de l'économie maritime de notre pays.

Nous pouvons nous appuyer pour cela sur un certain nombre d'évolutions positives. En application de la directive cadre sur la stratégie du milieu marin, on va cerner cette année l'état des eaux maritimes sous juridiction européenne en vue de définir ensuite le « bon état écologique » auquel il s'agira de parvenir d'ici à 2020. L'initiative internationale IPBES (Intergovernmental science-policy platform on biodiversity and ecosystem services) vise à créer pour la biodiversité l'équivalent de ce qu'est le GIEC pour le changement climatique. Enfin, les deux exercices du Grenelle de l'environnement et du Grenelle de la mer ont contribué à faire prendre conscience de l'intérêt qui s'attache à une meilleure connaissance de la biodiversité maritime.

L'IFREMER a fait de la connaissance, de la caractérisation et de la préservation de la biodiversité marine un des axes de son plan stratégique à l'horizon 2020, et l'un des objectifs de son contrat quadriennal pour la période 2009-2012. Soixante pour cent des services écologiques sont à ce jour considérés comme détériorés. Or le bien-être de l'humanité, voire ses capacités de survie, dépendent des niveaux de conservation de la biodiversité. C'est pourquoi tous nos travaux sont marqués par le souci de faire progresser la connaissance de celle-ci.

Ainsi, l'évaluation des stocks de poisson, l'une des activités traditionnelles de l'IFREMER en tant qu'héritier de l'ancien Institut des pêches maritimes, est désormais menée selon une approche globale, écosystémique. Il en va de même s'agissant de nos travaux sur l'aquaculture ou encore sur l'exploitation des ressources minérales – non seulement les granulats marins mais aussi les terres rares, devenues aujourd'hui un enjeu stratégique. Ces activités doivent aujourd'hui se concilier ave la protection de la biodiversité marine et c'est dans cet esprit que, par exemple, nous avons conduit, l'an dernier, dans le cadre d'un partenariat public-privé avec le BRGM, Technip et Areva, une première campagne dans la zone de Wallis-et-Futuna : il s'est agi de caractériser les éléments de ressources minérales mobilisables pour notre économie de demain en même temps que de dresser un état zéro de la biodiversité locale, destiné à servir de référence afin que les interventions ultérieures n'altèrent en rien le milieu.

Traditionnellement, la biodiversité a été appréhendée en fonction d'une approche naturaliste, incarnée notamment par le Muséum national d'histoire naturelle. Aujourd'hui, chacun est conscient que cette approche est dépassée. Il faut réinventer notre projet scientifique en cette matière. Nous devons commencer par écarter de la biodiversité deux menaces : celle de la ghettoïsation, qui réserverait la maîtrise du sujet à quelques spécialistes aussi isolés que compétents, et celle de l'incantation. Pour cela, nous devons nous attacher à deux grandes questions. En premier lieu, en dépassant le discours sur la sixième extinction des espèces, il nous faut observer, au besoin créer les conditions de la résilience du milieu naturel. En second lieu, il nous faut enrichir ce projet scientifique d'éléments économiques, en caractérisant et évaluant les services écosystémiques que la biodiversité, notamment marine, rend aux hommes et en intéressant les producteurs et consommateurs que nous sommes tous à la sauvegarde et à la protection, dans la durée, de cette biodiversité. Les contrats bleus des pêcheurs sont un bon exemple de cette liaison entre enjeux écologiques et enjeux économiques.

L'IFREMER, dans son domaine propre, s'efforce aussi de développer des outils d'information qui soient des outils de référence à la fois pour le grand public et pour les décideurs politiques : c'est le cas des systèmes d'information en halieutique et sur la nature et les paysages, ainsi que de la base de données Quadrige, retenue par le ministère de l'écologie comme la base de référence sur la qualité des eaux marines. J'ajoute que de tels outils doivent être interopérables, afin que les grands établissements publics puissent mettre en commun leurs données.

Je veux aussi insister sur l'importance des partenariats et du travail en réseau. Pour cela, nous pouvons compter sur le Muséum national d'histoire naturelle, mais aussi sur la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, d'institution encore récente mais dont la vocation est d'associer des partenaires publics et privés – des établissements de recherche et des entreprises.

Nous travaillons désormais aussi dans un cadre européen, qu'il s'agisse de la flotte scientifique ou d'outils tels qu'ERA-net BiodivERsA.

Enfin, nous devons aussi intéresser nos concitoyens à la connaissance et à la protection de la biodiversité marine. Il serait souhaitable, par exemple, que nous arrivions à créer en ce domaine l'équivalent de l'Observatoire d'ornithologie du Muséum d'histoire naturelle.

PermalienHubert Carré, directeur général du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins

Je voudrais d'abord excuser notre président, M. Pierre-Georges Dachicourt, qui a été empêché.

Le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins est un organisme professionnel chargé de représenter et de défendre les intérêts des pêcheurs et des aquaculteurs.

On a trop tendance à l'oublier, le pêcheur – l'homme – est une composante de la biodiversité. Mais, bien évidemment, il l'exploite aussi. La pêche française, ce sont 15 000 marins à temps plein et 7 000 navires, 4 500 en métropole et 2 500 dans les départements d'outre-mer. Chaque pêcheur fait en outre vivre à terre trois à quatre personnes, au sein d'une filière qui va de la construction du navire à la transformation et à l'expédition du poisson.

Dans le monde, trois milliards d'individus dépendent de la pêche pour 15 % de leurs protéines journalières. En effet, contrairement à ce que laissent entendre certains discours tenus depuis le Grenelle de la mer, le pêcheur ne détruit pas la biodiversité : il la transforme en nourriture.

Le contexte réglementaire de cette transformation est strict. Le pêcheur n'est plus un homme libre, qui peut travailler comme il l'entend : la pêche est régie par des conventions internationales, telles que les conventions ICCAT, pour la conservation des thonidés de l'Atlantique, ou CAMELAR, déjà mentionnée, pour la conservation des ressources vivantes de l'Antarctique. L'Union européenne a également mis en place, en 1983, une politique commune de la pêche, dont la réforme est en cours. Cette politique visait à l'origine à répartir la richesse halieutique entre États membres. Au fil du temps, on a mis de plus en plus l'accent sur la gestion et sur la protection de la ressource, le marathon de fin d'année du conseil des ministres répartissant les quotas entre les pêcheurs des États membres. On peut être assuré que la nouvelle politique qui sera arrêtée à la fin de 2012 visera à préserver la biodiversité…

L'activité du pêcheur est également contrainte par la réglementation française, qui décline les décisions de Bruxelles et qui se traduit par des contrôles en mer et à terre, mais aussi par une réglementation professionnelle, dont l'origine, en Méditerranée, remonte aux prud'homies du xive siècle. On le voit, les pêcheurs savent prendre l'initiative !

Et ils continuent. C'est ainsi que le Comité national a pu effectuer un recensement des bonnes pratiques : chacun de nos professionnels, connaissant par expérience le milieu marin, a son idée sur la façon de protéger la ressource. Malgré certaines divergences circonscrites, ils ne sont du reste pas en désaccord avec les scientifiques, notamment avec ceux de l'IFREMER. Ils sont conscients qu'ils n'ont aucun intérêt à détruire la biodiversité et que la richesse qu'ils sauvegardent aujourd'hui est celle qu'ils retrouveront demain. Simplement, il est parfois difficile d'intégrer dans les modèles mathématiques développés par les scientifiques, en particulier par les scientifiques européens, l'expérience des professionnels, empirique et qui remonte à la nuit des temps. Les changements climatiques perturbent beaucoup l'appréhension de la ressource. Depuis quatre ans, nos amis hollandais, qui pêchaient traditionnellement du maquereau et du hareng, remontent du rouget barbet.

Autre initiative, les « contrats bleus », qui visaient à répondre à une situation de crise en 2005 et 2006, permettent de lancer des programmes d'échantillonnage et d'observation en mer. Ils ont ainsi abouti à une coévaluation, avec l'IFREMER et avec le Comité national, de certains stocks, dont celui de l'anchois, grâce aux pêcheurs de La Turballe et du Croisic.

Les pêcheurs ont aussi été des acteurs du Grenelle de l'environnement – leur participation au Grenelle de la mer s'est heurtée à plus de difficultés – et ils ont été et continuent d'être parties prenantes dans la création des aires marines protégées – Pierre-Georges Dachicourt est vice-président de l'Agence – et des parcs naturels marins – celui de la mer d'Iroise n'a pu être créé que grâce à leur accord.

Dans l'ensemble, malgré des réticences possibles ici ou là, les pêcheurs ne sont donc pas opposés au mouvement en faveur de la protection de nos côtes. Simplement, ils constatent qu'ils doivent désormais composer avec de nouveaux usages, comme les programmes d'éolien en mer ou l'extraction de granulats, et ils rappellent que, comme cela a été dit, il ne sert à rien de protéger la biodiversité dans la limite des douze milles nautiques ou de la ZEE si l'on ne règle pas la question des pollution telluriques. Les pêcheurs, les ostréiculteurs et les aquaculteurs sont les premiers à pâtir de celles-ci. Nous avons d'ailleurs porté plainte contre X il y a un mois : certaines pollutions, dites orphelines, continuent en effet à affecter les estuaires et la zone côtière proche, entraînant des interdictions de commercialiser les produits de la mer.

Enfin, pour revenir à la réforme de la politique commune de la pêche, je note que la commissaire européenne en charge de la pêche, Mme Maria Damanaki, a mis la barre très haut en posant que les activités de pêche ne devaient plus produire de rejets. Or, les pêcheurs ne peuvent rapporter à terre la totalité de leurs captures, certaines d'entre elles n'étant pas commercialisables faute d'atteindre la taille marchande, ou étant interdites de pêche.

Le débat devient éthique : il se déplace de la préservation de la ressource halieutique vers celle de la biodiversité ainsi que vers l'économie de la ressource en nourriture. Ce beau défi sera relevé par les pêcheurs, qui montreront qu'ils sont les premiers acteurs de la protection de la biodiversité.

PermalienPhoto de Yanick Paternotte

La France a sous sa juridiction 307 millions de kilomètres carrés de fonds marins, soit une superficie équivalant à 600 fois celle de la métropole. Avons-nous les moyens de nos ambitions et de nos responsabilités à leur égard ?

Longtemps, les travaux scientifiques sur la biodiversité marine ont été de type descriptif – des travaux de naturalistes, que j'assimilerai à de la recherche pour la recherche. Les découvertes sont-elles désormais mieux valorisées ? Des relations se sont-elles développées avec d'autres secteurs de recherche, comme la biologie ou la pharmacologie ?

Vous avez parlé d'une relance des explorations menées à Wallis-et-Futuna en vue de trouver des nodules et des terres rares. Or, alors que le problème des matières premières est régulièrement posé au cours de nos travaux, aussi bien au sein de cette commission que de celle des affaires économiques, je suis très frappé de constater que l'on n'y parle plus des nodules polymétalliques dont l'exploitation était pourtant présentée il y a déjà trente ans comme une alternative intéressante aux formes traditionnelles d'extraction des minerais. Ces nodules existent-ils vraiment et quel budget est consacré à la recherche de ces matières premières ?

PermalienPhoto de Geneviève Gaillard

Je me réjouis de l'organisation de cette table ronde, mais elle devrait se prolonger par un débat sur la biodiversité en général, dont la biodiversité marine n'est qu'un aspect.

Jérôme Bignon nous l'a dit : la mer est essentielle pour l'avenir de notre pays et de l'Europe. J'ajouterai que la biodiversité terrestre et marine est essentielle pour l'avenir de l'humanité. Si l'on considère que les hommes sont des animaux élaborés vivant dans des écosystèmes variés auxquels ils ont su s'adapter, cela doit en effet nous amener à nous interroger sur la façon de concilier le développement économique et la protection de la biodiversité, notamment marine.

Les initiatives se développent dans ce dernier domaine. Pourtant, le sujet reste cantonné aux débats d'experts alors que l'enjeu exigerait que le grand public se l'approprie. Je ne suis pas certaine que les touristes qui visitent Mayotte ou la Guyane aient conscience de l'importance de cette biodiversité pour la planète et de la nécessité de la protéger ! La diffusion de l'information et la formation ne sont-elles pas trop limitées ? Ne faudrait-il pas faire prendre conscience de cet enjeu dès l'enfance ?

La biodiversité marine est fragile et surexploitée. La recherche doit absolument progresser, notamment en ce qui concerne l'étude des grands fonds marins. Pensez-vous que les moyens qui y sont consacrés sont suffisants ?

La révision de la stratégie nationale pour la biodiversité est l'occasion d'affirmer clairement que l'exploitation des ressources terrestres ou marines doit garantir le renouvellement des espèces. Mais l'organisation existant au plan national, voire local, en matière de biodiversité est-elle satisfaisante ? La répartition des compétences entre les ministères de l'agriculture et de l'environnement n'est-elle pas par exemple source de difficultés, les intérêts économiques et ceux de la protection de la biodiversité ne coïncidant pas toujours ?

Les menaces sur la biodiversité marine sont souvent la conséquence d'activités terrestres, mais pas seulement. Elles peuvent résulter aussi de dégazages sauvages, par exemple. Or nous n'avons toujours pas de stations de dégazage. Par ailleurs, est-il bien raisonnable d'envisager des forages dans les eaux profondes au large de la Guyane et faut-il vraiment prolonger une piste d'atterrissage à Mayotte, au risque de mettre à mal une partie du lagon, alors qu'il est d'ores et déjà parfaitement possible d'atterrir dans l'île ?

Enfin, où en est l'évaluation des services rendus par la biodiversité marine ?

PermalienPhoto de Christophe Priou

Que de chemin parcouru au fil des ans, notamment grâce à l'IFREMER ! Certaines actions menées aujourd'hui n'auraient pas été possibles il y a cinq ou dix ans, à cause de l'absence de dialogue – l'exemple de l'anchois a été cité.

Les propos de M. Tallec montrent également la difficulté d'avoir une stratégie globale, d'amont en aval. L'enjeu mondial, à tous les niveaux, c'est l'eau, qu'elle soit douce, salée ou saumâtre. La biodiversité tient en effet beaucoup à la qualité des eaux. De nombreuses observations sont réalisées en ce domaine : les pêcheurs, premiers observateurs, constatent des mutations dans les fonds marins, des modifications dans les espèces pêchées. Le changement climatique joue également un rôle : dans ma région, on a constaté en quelques années une élévation moyenne de la température d'un degré, ce qui est considérable. Le problème maintenant est de rassembler toutes ces observations et études fragmentaires en vue de parvenir à une conception réellement globale.

Nous avons désormais conscience des effets en aval de la qualité des eaux – la campagne sur les algues vertes y a sans doute contribué. Mais quand on cherche à mettre en place une politique globale, on se heurte à la multiplicité des intervenants. Pour le territoire dont je suis l'élu, situé entre la Vilaine et la Loire, il faut compter avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux, le SDAGE, qui couvre une dizaine de départements et plusieurs régions, tandis que l'assainissement, collectif ou non, dépend souvent des intercommunalités… D'autre part, même avec un taux de raccordement aux réseaux de 100 %, on ne peut espérer obtenir tous les résultats escomptés si les eaux pluviales ne sont pas prises en considération. Or une partie de l'économie littorale est dépendante de cette qualité des eaux : cela va de la conchyliculture à la saliculture, en passant par la pêche et même le tourisme, puisqu'il existe une demande de zones de baignade contrôlées. À cela s'ajoutent les problèmes de financement : les agences de bassin sont seules à pratiquer des taux intéressants en matière de politique de l'eau.

Quant à l'administration chargée de la gestion du domaine public maritime – dans la zone des douze milles –, elle est une des plus faibles et des plus pauvres. L'application des textes peut être difficile sur le terrain. Par exemple, s'agissant du décret « plage », c'est l'État qui décide : on veut donner des pouvoirs aux communes, mais sans leur attribuer les moyens juridiques nécessaires. Par ailleurs, on observe un effet « millefeuilles » ou « de ciseaux » sur certaines politiques, notamment en matière d'énergies renouvelables. Ainsi, au moment où un appel d'offres est lancé pour la construction de champs d'éoliennes en mer, et où l'École centrale de Nantes développe au large des côtes de Loire-Atlantique un prototype destiné à exploiter l'énergie de la houle, on risque de se heurter aux règles applicables dans les zones Natura 2000. Le transport de l'énergie depuis les sites de production nécessite un câble d'atterrage dont l'installation risquerait d'être interdite si nous ne prenions pas garde à la rédaction des décrets d'application de la loi Grenelle 2. Un débat est en cours sur l'éolien en mer mais, dans ce domaine aussi, l'addition des intervenants, qui peuvent être plusieurs dizaines, constitue un obstacle à la définition d'une stratégie globale. Les usagers finissent d'ailleurs par s'y perdre…

Le plus important donc, aujourd'hui, est de définir une stratégie claire, et de l'afficher pour tous.

PermalienPhoto de Jean-Paul Chanteguet

Jérôme Bignon nous a rappelé que seulement 0,2 % des zones sous juridiction française étaient classées en aires marines protégées en 2007, et 1,46 % en 2010. Croit-il vraiment que nous pourrons atteindre l'objectif de 20 % en 2020 ?

La France a décidé, en août 2010, de déclarer auprès de l'ONU une zone économique exclusive (ZEE) en Méditerranée. Quelle est la procédure conduisant à la constitution d'une telle zone ? Quels sont les droits de l'État côtier ? En quoi une telle zone peut-elle contribuer à la protection de la biodiversité ?

Enfin, la France et l'Italie ont déposé cette année une demande conjointe de classement du détroit des Bouches de Bonifacio en « zone maritime particulièrement vulnérable ». Qui accorde le classement, et quels en sont les effets ?

PermalienPhoto de Philippe Boënnec

C'est la deuxième fois, en deux semaines, qu'un débat sur la mer est organisé : le discours du Havre du Président de la République et le Grenelle de la mer semblent donc porter leurs fruits, ce dont je me réjouis.

Il est vrai que les 11 millions de kilomètres carrés sur lesquels s'étend notre souveraineté représentent une richesse, mais aussi une très lourde responsabilité. Dans la mesure où une quinzaine de ministères sont concernés par les problèmes relatifs à la mer, il se pose un problème de coordination entre l'action du ministère de l'écologie, du secrétariat général de la mer et des autres administrations.

Par ailleurs, le développement durable, l'écologie, la protection de la biodiversité sont des sujets importants, mais il ne faut pas oublier pour autant les questions sociales et économiques, sans quoi on ne parviendra jamais à des politiques équilibrées.

Je suis de ceux qui pensent que l'avenir de la terre est en mer : beaucoup de choses restent à faire concernant ce « septième continent ». Mais quel peut être le potentiel de la recherche ? Nous risquons de manquer de moyens pour défricher un territoire aussi immense : ne serait-il donc pas nécessaire de fédérer les énergies, notamment au niveau européen ? Quelle stratégie pourrait-on adopter pour améliorer nos connaissances fondamentales et développer des applications pratiques, par exemple dans le secteur de la pharmacologie, cité par mon collègue ?

Enfin, la question de la gouvernance est fondamentale. La gestion intégrée des zones côtières implique de faire vivre ensemble des personnes ayant des intérêts différents, voire divergents. Il convient donc de savoir qui décide. L'installation du Conseil national de la mer et des littoraux et des conseils de façades et de bassin devrait être l'occasion d'une réflexion sur la concertation – dans l'esprit du Grenelle et de ses cinq collèges –, mais aussi sur la mise en place d'un comité de pilotage regroupant les décideurs et les financeurs, sans quoi la cacophonie qui risquerait de régner nous empêcherait d'atteindre les objectifs fixés.

Nous devons garder à l'esprit que la protection de l'environnement est vitale. Et en matière de biodiversité, les professionnels, notamment les pêcheurs, ont déjà pris position : le sujet les intéresse, parce qu'ils savent que si le poisson disparaît, leur métier mourra. La question, désormais, est donc de savoir comment effectuer des observations et les partager – car une observation non partagée est inutile.

PermalienPhoto de Bernard Lesterlin

Monsieur le président-directeur général de l'IFREMER, quelles sont les ressources mobilisables à Wallis-et-Futuna, sachant qu'il n'y a pas si longtemps, on pêchait encore à la dynamite dans le lagon ?

Nous avons encore peu de parcs marins et d'espaces maritimes protégés. Et certains sont plus menacés par la terre qu'ils entourent que par d'éventuels prédateurs maritimes. Ainsi, à Mayotte, l'absence d'assainissement en amont est une réelle source de préoccupation. Faute d'équipements de traitement des déchets, faute de protection de certaines aires particulièrement fragiles et riches en biodiversité comme les mangroves, le développement des collectivités locales risque de tuer le lagon. Je ne prendrai que l'exemple du sentier de découverte de la Petite Terre à Mayotte, que le Conservatoire du littoral a jugé intelligent de construire en béton alors que, partout ailleurs, on fabrique des passerelles en bois imputrescible. On voit que l'éducation de certains responsables reste à faire. Certaines pratiques sportives comme le scooter des mers font également des dégâts considérables.

De même, il convient de protéger certaines espèces comme le drongo de Mayotte, dont la population se raréfie, si nous voulons éviter qu'il ne devienne le prochain « dodo » de l'océan Indien.

Je terminerai par une préconisation. L'éducation au respect de la biodiversité et la sensibilisation de la jeunesse sont indispensables. Nous avons institué ici même à la quasi-unanimité, il y a un an, le service civique, financé par l'État et dont les établissements publics peuvent bénéficier : des missions de service civique en faveur de la biodiversité marine permettraient certainement aux jeunes vivant dans les régions du littoral de mieux s'approprier ce patrimoine qu'il convient de protéger.

PermalienPhoto de Annick Le Loch

Vous avez évoqué les contrats bleus, outils créés par les pêcheurs pour rémunérer les pratiques vertueuses et respectueuses de l'environnement, et dont tout le monde s'accorde à dire qu'ils doivent être développés. Le problème est que les financements ne semblent pas être au rendez-vous. Les organismes chargés de verser les rémunérations aux signataires sont en difficulté, en particulier l'association Ar Mor Glaz, car l'État n'a pas encore apporté le financement des contrats portant sur le premier semestre 2010.

Par ailleurs, alors que l'on nous avait assuré que les règles applicables aux zones Natura 2000 ne faisaient pas obstacle au clapage en mer de vases portuaires non polluées, nous nous apercevons aujourd'hui que de telles opérations sont très difficiles. N'est-il plus possible, en France, d'organiser ces clapages ? Il faut pourtant bien dévaser nos ports, particulièrement dans le Finistère.

Enfin, l'IFREMER dispose-t-il des moyens d'effectuer les contrôles nécessaires pour protéger les ressources ? J'ai cru comprendre qu'en rade de Brest, l'Institut et le comité régional des pêches se renvoyaient la responsabilité d'évaluer les gisements de coquilles Saint-Jacques.

PermalienPhoto de André Chassaigne

Un programme colossal, Census of marine life, dont la France était partie prenante, a été conduit pendant dix ans par 360 scientifiques issus de 80 pays dans 25 zones océaniques. Les résultats, publiés le 2 août 2010, recensent 230 000 espèces marines, les chercheurs soulignant toutefois que pour chaque espèce connue, au moins quatre restaient à découvrir. Une suite est-elle prévue à ce programme ? Quelle exploitation peut en être faite dans l'intérêt de la biodiversité ?

Par ailleurs, un nouveau contrat d'objectifs portant sur la période 2009-2012 a été négocié entre l'IFREMER et ses tutelles, puis approuvé par le conseil d'administration de l'institut. De nouveaux enjeux de durabilité sont pris en compte, comme la gestion écosystémique des pêches, la gestion intégrée des zones côtières et le développement de nouveaux services comme l'océanographie opérationnelle côtière. Sachant que son budget, cette année, est en baisse de 0,54 %, l'institut aura-t-il les moyens d'atteindre les objectifs qui lui sont assignés ?

Ma dernière question concerne l'enseignement dans le secteur maritime, où la formation initiale s'arrête au bac professionnel. Les milieux de la pêche et de la marine, ainsi que de nombreux parents d'élèves demandent instamment la mise en place d'une formation supérieure. Des BTS, en particulier, permettraient de prendre en compte plus largement la question du développement durable, l'évolution des techniques ou celle des réglementations. Ce projet, qui présente un très grand intérêt, va-t-il se concrétiser prochainement ?

PermalienPhoto de Didier Gonzales

Une catastrophe nucléaire comme celle dont on craint la survenue au Japon mettrait en danger la biodiversité terrestre. Mais ne faudrait-il pas redouter aussi ses effets sur la biodiversité marine – surtout si l'eau de mer est utilisée pour refroidir les réacteurs ? En bref, ne doit-on pas craindre les courants marins autant qu'on redoute les courants aériens ?

PermalienPhoto de Serge Grouard

Vous avez évoqué la possibilité de créer des aires marines protégées en haute mer en citant l'exemple de Pelagos, aire de la Méditerranée issue d'une convention entre la France, l'Italie et Monaco. De telles initiatives sont fort intéressantes, mais elles posent un problème de droit international. Une aire maritime protégée en haute mer peut-elle être mise en place autrement que par une convention multilatérale ? Comment le sanctuaire Pelagos, situé hors des eaux territoriales, a-t-il pu être créé par trois États seulement ? Comment, et par qui, sa protection effective est-elle assurée ?

PermalienJean-François Tallec, secrétaire général de la mer

À travers les réponses aux questions qui ont été posées, c'est la totalité de la politique maritime que l'on peut passer en revue. Cela illustre bien le fait que parler de la mer implique nécessairement d'évoquer une politique intégrée, prenant en compte et mettant en cohérence la totalité des facteurs, et établissant des liaisons fonctionnelles entre les différentes approches sectorielles.

La France s'enorgueillit à juste titre de l'étendue de son espace maritime, le deuxième du monde, que le programme Extraplac tend encore à agrandir – même si l'extension du plateau continental ne donne pas les mêmes droits qu'une zone économique exclusive. Mais tout cela ne sert à rien si nous ne sommes pas capables de protéger ces espaces, de les mettre économiquement en valeur et, d'abord, d'assurer une recherche efficace.

Pour la surveillance des zones économiques, la France s'est dotée, depuis le comité interministériel de la mer du 9 décembre 2009, d'une nouvelle organisation, la Fonction garde-côtes. Celle-ci ne consiste pas, comme on le dit souvent, à assurer une meilleure coordination et une meilleure mutualisation des moyens entre les différentes administrations qui interviennent en mer. Il s'agit de bien autre chose : à partir du constat selon lequel nous avons une politique maritime permettant de déterminer les priorités de l'action de l'État en mer, l'objectif est de regarder comment, de façon globale et non par administration, la totalité des moyens d'action de l'État peut être mise au service de ces priorités. Cela peut par exemple se traduire par un dialogue entre les administrations qui possèdent des moyens d'agir en mer et celles qui, tel le ministère de l'agriculture et de la pêche, ont des responsabilités, mais pas de moyens. C'est au sein du comité directeur de la Fonction garde-côtes que sont examinés les besoins de ces administrations et que sont recherchés les moyens d'y répondre.

Autre exemple : une réflexion est en cours, associant l'Agence des aires marines protégées et quatre ou cinq autres administrations, sur la manière de protéger le parc naturel de Mayotte et des Glorieuses. Dans la mesure où cette étendue considérable, située au nord du Canal de Mozambique, se situe dans une zone de piraterie, les moyens classiques de surveillance ne peuvent en effet plus y opérer. L'idée est donc d'organiser une unité polyvalente, armée par des équipages de la Marine nationale, et capable d'assurer des missions de présence, de surveillance et toute autre mission liée à la préservation d'une aire marine protégée.

On me demande souvent s'il n'aurait pas été préférable de créer un corps de gardes-côtes, à l'instar de ce qui existe aux États-Unis. Mais comme l'a reconnu lui-même le chef d'état-major de la marine américaine, venu étudier nos pratiques, la force dont il dispose a beau être puissante – l'effectif de l'US Cost Guard est à peu près l'équivalent de celui de la Marine nationale française –, cela ne résout pas une question fondamentale, à savoir qui détermine les missions prioritaires. Or, grâce à notre organisation interministérielle – la fonction garde-côtes est placée directement sous l'autorité du Premier ministre –, nous sommes en mesure de répondre à cette question.

En ce qui concerne les moyens de recherche, la France fait partie des rares pays au monde capables de développer une océanographie de grand large, et pas seulement une océanographie côtière. Elle est également un des rares pays comptant des entreprises en mesure d'intervenir dans les grands fonds marins pour en exploiter les ressources.

Il reste que notre pays ne se tournera jamais suffisamment vers la mer sans une sensibilisation de l'ensemble de sa population à ces questions. Les Français ont de la mer une vision romantique, nourrie par les exploits des navigateurs solitaires, mais peu d'entre eux ont une connaissance véritable du milieu marin, de ses enjeux économiques et de l'importance de l'outre-mer. C'est la raison pour laquelle un chapitre entier de la stratégie nationale pour la mer et les océans est consacré aux moyens de susciter chez les Français la passion de la mer. Une grande partie des préconisations concerne l'éducation initiale des jeunes, car c'est à partir de connaissances précises que cette passion pourra être partagée par nos concitoyens.

Comme j'ai pu m'en apercevoir lors de rencontres internationales, notre organisation administrative concernant la mer est regardée avec beaucoup d'attention par nos partenaires. Si un ministère – celui de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet – est plus particulièrement chargé de ce domaine, l'existence d'un organe de coordination interministérielle est essentielle dans la mesure où, je le répète, les questions liées à la mer ne peuvent être traitées de façon sectorielle. Le secrétariat général de la mer donne donc à la France la capacité de réaliser des synthèses sur les questions maritimes et de trouver rapidement des positions communes entre les différentes administrations intervenantes. Ainsi, chaque prise de position de notre pays devant une instance internationale fait l'objet d'une préparation systématique en amont, afin de prendre en compte les besoins, les priorités, les enjeux portés par les différents ministères concernés – lesquels sont en effet une quinzaine.

Cette organisation administrative se matérialise par la tenue périodique de comités interministériels de la mer, présidés par le Premier ministre. Le dernier en date, qui s'est tenu en décembre 2009, a permis des avancées importantes, puisqu'il a permis à la France de mettre pour la première fois sur la table un document de politique maritime.

J'en viens à la question de la protection de l'environnement contre les effets de certaines activités humaines. Tout d'abord, les dégazages volontaires sont de plus en plus rares au large des côtes françaises. On ne peut que s'en réjouir, même si cela ne signifie pas qu'ils ne puissent avoir lieu ailleurs. La législation pénale dont la France s'est dotée est réellement dissuasive, et l'effort de surveillance aérienne consenti par la Marine nationale et par les douanes conduit donc rarement à dérouter un bateau pour ce motif.

Je ne dispose pas d'informations directes sur les forages menés au large de la Guyane, mais soyez assurés que nous sommes très attentifs au retour d'expérience qui pourra être retiré de la catastrophe du Golfe du Mexique. Je me rendrai d'ailleurs la semaine prochaine aux États-Unis pour obtenir des détails sur l'action qui a été menée et sur les mesures envisagées en matière de recherche offshore.

M. Boënnec a eu raison de souligner l'importance de la gouvernance pour une bonne gestion des zones côtières. C'est la raison pour laquelle a été mis en place un Conseil national de la mer et des littoraux, décliné en conseils de façade, et dont le secrétariat sera assuré conjointement par la DATAR, par le Commissariat général au développement durable – en raison de leurs compétences respectives en matière d'aménagement du territoire et de protection de l'environnement – et par le Secrétariat général de la mer. Notre préoccupation est de structurer la gouvernance et l'action administrative en matière de zones côtières, mais aussi d'action de protection de l'océan, afin d'harmoniser les différents découpages et notamment de faire coïncider les documents stratégiques de façade avec ceux réclamés dans le cadre de la directive cadre sur le milieu marin. À défaut, les efforts réalisés seraient illisibles pour la population et pour les élus.

En Méditerranée, où une simple zone de protection écologique s'étendait jusqu'à présent au large de nos côtes, la zone économique exclusive nous permettra d'exercer la totalité de nos droits jusqu'à 200 milles. Si nous ne l'avons pas créée auparavant, c'est parce que dans cette mer, les choses sont rendues plus compliquées par le fait que l'on se heurte très vite aux voisins. Cela étant, notre initiative a été accueillie par les autorités espagnoles et italiennes comme une bonne occasion de reprendre les discussions sur la définition des limites de souveraineté, discussions qui avaient fini pas s'ensabler. La délimitation précise de cette zone fera l'objet d'un décret du Gouvernement français, puis d'une déclaration devant les Nations unies.

Quant au projet concernant les bouches de Bonifacio, la décision appartient à l'Organisation maritime internationale. En effet, par définition, la libre circulation dans un détroit international ne peut être remise en cause. En passant outre, nous risquerions de subir des mesures de rétorsion dans d'autres détroits du même type. En revanche, la création d'une zone maritime de protection nous permettra de prendre, conjointement avec nos partenaires italiens, un certain nombre de mesures – telles que l'institution d'une déclaration préalable pour le passage de bateaux transportant des cargaisons dangereuses ou, pour certaines catégories de navires, l'obligation de recourir au pilotage – susceptibles d'améliorer la protection du site tout en garantissant la liberté de circulation.

PermalienPhoto de Jérôme Bignon

Nos ambitions et les engagements que nous avons pris nous obligent en effet à disposer de moyens considérables. À terme, pour atteindre les objectifs qui lui ont été assignés, l'Agence des aires marines protégées devrait employer 400 personnes, sachant que chaque parc marin nécessite environ 25 agents. Dans le domaine maritime, l'action particulièrement dynamique de l'État se heurte aux principes de la Révision générale des politiques publiques. Toutefois, l'Agence échappe à celle-ci dans la mesure où elle est en phase d'expansion, tandis que tous les autres établissements publics subissent plutôt une réduction. Certes, cette expansion n'est pas aussi forte que l'on voudrait, mais nous avons tout de même obtenu 45 équivalents temps plein supplémentaires.

La contrainte nous oblige toutefois à réfléchir différemment. On peut imaginer un système dans lequel les services de l'État mutualiseraient davantage leurs moyens et se répartiraient mieux les tâches concernant le littoral, la mer territoriale, la zone économique exclusive, etc. Même si une telle évolution se heurte à des habitudes ou à ce que les psychologues appellent des pulsions de territoire et si la contrainte est par conséquent insuffisamment desserrée, nous n'avons pas abandonné l'objectif de créer dix parcs marins – et ce en vrai, pas seulement sur le papier !

Madame Gaillard, de telles initiatives ne se cantonnent pas aux débats d'experts. La création d'un parc marin est une démarche typique de développement durable, dans la mesure où elle s'inscrit dans le temps et implique la concertation des acteurs. Elle requiert une analyse des enjeux, ce qui impose de mettre autour de la table tous les gens concernés. Ainsi, dans le cas du parc des Trois estuaires, la première réunion de grande concertation a réuni 250 personnes, et tous les enjeux étaient représentés, depuis la protection écologique jusqu'à l'activité économique – y compris le clapage ou l'énergie éolienne. Une vraie percolation s'est produite à cette occasion.

Certes, tout cela n'est pas suffisant. Mais l'appropriation des enjeux par la population prend beaucoup de temps – même si le Grenelle de la mer a été l'occasion de progrès fantastiques.

Rome ne s'est pas faite en un jour. L'image que les Français ont du Conservatoire du littoral, installé depuis vingt-cinq ans dans notre paysage politico-administratif, n'est pas la même que celle de l'Agence des aires marines protégées, dont l'existence est beaucoup plus récente. Toutefois, nous essayons d'avoir une vraie politique de communication, en nous appuyant sur des personnes compétentes comme Catherine Chabot, devenue journaliste après avoir été navigatrice, et qui siège à notre conseil d'administration. Nous avons aussi traduit en shimaoré l'ensemble de la discussion relative au parc marin de Mayotte, afin que les habitants du plus petit village du lagon puissent se sentir concernés. Si nous ne l'avions pas fait, il eût été difficile de parler de concertation alors que 90 % des Mahorais ne parlent pas le français. De même, nous avons eu recours à la diffusion de messages télévisés. Je ne prétends pas que tout le monde maîtrise désormais les enjeux, mais cette appropriation par la population, nous avons essayé de l'obtenir, ce qui implique un travail considérable.

Monsieur Lesterlin, il est certain qu'à Mayotte, la terre représente un problème essentiel. Dans cette île de 375 kilomètres carrés, où vivent au moins 200 000 habitants, il n'existe qu'une seule station d'épuration. Le coût de développement du réseau d'assainissement a été estimé à un milliard d'euros ; 100 millions ont été débloqués pour une première tranche. La mangrove pourrait d'ailleurs jouer un rôle biologique intéressant en matière d'épuration, comparable au lagunage en Europe. Des études sont en cours sur ce sujet.

Après s'être fait attribuer la vasière des Badamiers, à Petite Terre, le Conservatoire du littoral a effectivement construit un chemin d'accès à cette mangrove. Mais le débat sur les mérites respectifs du bois et du béton a bien eu lieu avant de faire le choix de ce dernier. En réalité, le bois imputrescible n'existe pas. Immergé, le bois reste intact, mais dès lors qu'il est à la fois en contact avec l'eau et avec l'air, il finit toujours par pourrir. En outre, il a besoin d'un entretien. Enfin, à Mayotte, où le combustible est rare, du bois laissé à portée des habitants finit rapidement en bûchettes destinées à la cuisine ! Pour toutes ces raisons, l'emploi du béton, matière techniquement inerte, a paru préférable. Comme tout parti technique, celui-ci peut être discuté, mais de trop longs débats seraient vains.

PermalienOlivier Laroussinie, directeur de l'Agence des aires marines protégées

Il est relativement facile de porter à 20 % la part des zones sous juridiction française classées en aires marines protégées : il suffit d'en créer deux nouvelles dans le Pacifique. En métropole, ce taux est déjà de 11 %, et les 20 % seront atteints dès que le sanctuaire Pelagos sera également reconnu comme aire maritime protégée. Cela étant, nous n'aurons pas réglé pour autant le problème des espaces situés au large et non couverts par le réseau Natura 2000, ni celui de la création des parcs marins, qui permettent une gestion et une protection plus globales de l'espace. Bref, le problème n'est pas la quantité, mais la qualité des aires. L'objectif de 20 % donne une idée de nos ambitions ; le classement des Marquises et de la mer de Corail suffirait pour l'atteindre, mais cela ne serait certainement pas satisfaisant.

En ce qui concerne l'application de Natura 2000 en mer, nous n'en sommes qu'au début, et il reste à définir précisément les objectifs de protection. Qu'il s'agisse de construction d'éoliennes, d'extraction de granulats ou de clapage, le classement en zone Natura 2000 implique certes d'évaluer les incidences de ces projets mais, dans la mesure où sont concernées des espèces déjà protégées par le droit français, de telles évaluations seraient de toute façon obligatoires. Le fait d'être en mer, un milieu où l'on ne voit rien, ne change rien à l'affaire ! De même, à terre, des bestioles figurant sur la liste des espèces protégées ont parfois coûté très cher à des promoteurs autoroutiers…

J'en viens à la relation entre terre et mer. Par définition, une aire marine protégée ne préserve pas la mer des pollutions terrestres, sauf s'il s'agit d'un parc marin : le conseil de gestion est alors amené à se prononcer sur toute activité soumise à autorisation et pouvant avoir un effet notable sur le milieu marin. Cela explique pourquoi la demande d'extension récemment déposée par un élevage porcin situé sur le bord de la mer d'Iroise, et qui requiert un avis conforme en raison de la taille de l'exploitation, devrait prochainement être soumise au conseil de gestion du parc. L'instruction est en cours, mais l'affaire a déjà entraîné une polémique, certains jugeant inconcevable que les responsables d'un parc marin puissent donner leur avis sur ce qui se passe dans les bassins versants. Or cela n'a justement rien d'inconcevable. Et nous aurons accompli un grand progrès le jour où les intérêts marins seront également défendus lors de débats concernant des activités terrestres.

Dans cette affaire d'élevage porcin, on notera que les objectifs du parc marin sont tout simplement ceux du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux, même si le dossier est défendu en l'espèce par le conseil de gestion du parc, et non par la commission locale de l'eau.

Enfin, il est vrai que la constitution d'aires protégées en haute mer pose un problème juridique. Mais à la limite, les problèmes commencent dès qu'on met les pieds dans l'eau au-delà de la laisse de basse mer. Même dans la mer territoriale, on ne peut pas tout faire : c'est parce que la France ne pouvait pas réglementer la circulation maritime dans les bouches de Bonifacio qu'elle a décidé de créer une « zone maritime particulièrement vulnérable ». De même, dans certaines zones de droits historiques, la politique commune des pêches s'applique également en deçà de la limite des 12 milles.

En mer, les législations et les approches sont interdépendantes. Dans la mesure où la Convention des Nations unies sur le droit de la mer prévoit une obligation de protection, y compris en haute mer, des pays sont en droit de délimiter des aires marines protégées : c'est ce qui a été fait dans le cadre des conventions OSPAR et de Barcelone. Mais pour réglementer, il est nécessaire d'obtenir l'accord de l'Organisation maritime internationale ou des organisations régionales de pêche. La chose est donc complexe, mais pas infaisable. Le problème vient plutôt d'un défaut d'organisation que d'un manque de textes juridiques.

PermalienJean-Yves Perrot, président-directeur général de l'IFREMER

S'agissant des moyens, il convient de bien distinguer les moyens scientifiques et technologiques des moyens budgétaires. On l'a dit, la France a la chance, en raison de choix effectués notamment dans les années soixante et quatre-vingt, de figurer parmi les rares pays au monde qui disposent de la capacité à la fois technologique et économique de descendre utilement au fond des mers.

Le problème des moyens budgétaires se pose en permanence. La question n'est donc pas de savoir si les moyens sont suffisants, mais comment on peut se doter des moyens dont nous avons besoin. Pour ce qui le concerne, l'IFREMER n'a pas signé de contrat d'objectifs et de moyens, mais il a tout de même une relation contractuelle avec l'État. En outre, dans le cadre des priorités gouvernementales, le budget consacré à la recherche a été globalement sanctuarisé ces dernières années. Pour aller plus loin, nous devons progresser dans la recherche de ressources propres.

Une des manières de le faire consiste à mieux mutualiser l'utilisation des moyens dont nous disposons. C'est pourquoi nous avons créé, avec nos collègues du CNRS, de l'Institut de recherche sur le développement et de l'Institut polaire français, un outil commun de gestion de l'ensemble de la flotte scientifique française – car plus que jamais, avec le changement climatique, les frontières traditionnelles entre les organisations doivent disparaître. Les échanges organisés entre professionnels et scientifiques constituent également une piste intéressante. Enfin, des partenariats public-privé sont développés, par exemple pour l'exploitation des nodules ou des autres ressources minérales profondes. De tels partenariats ont permis de cofinancer la campagne menée l'année dernière à Wallis-et-Futuna, ainsi que celle en préparation. Cela prouve l'intérêt que portent à ces opérations les grands acteurs économiques.

Comme plusieurs d'entre vous l'ont noté, la demande d'expertise adressée aux établissements de recherche est de plus en plus importante. Nous menons donc, en lien avec nos ministères de tutelle, une réflexion sur ce que devrait être, demain, le modèle économique d'un établissement de recherche. L'État peut-il disposer d'un droit de tirage illimité en matière d'expertise sur des opérateurs auxquels il demande par ailleurs, et à juste raison, d'aller chercher des ressources propres dans un cadre contractuel ? C'est une vraie question. La réponse passe par des mécanismes de contractualisation et de régulation de la fonction d'expertise, à inventer, y compris à l'échelle européenne.

J'en viens aux relations entre science et société. La biodiversité est un bon vecteur pour les réconcilier et pour sensibiliser les acteurs de la société aux enjeux de la protection. Tous les moyens aujourd'hui disponibles peuvent être employés : expositions, films, sites Internet, campagnes de sensibilisation en direction des jeunes.

En matière de biodiversité, il convient de conjuguer en permanence la protection et le développement économique. C'est d'ailleurs un enjeu extrêmement important de coopération internationale, notamment en Méditerranée dans le contexte géopolitique actuel.

Enfin, le programme Census of marine life, auquel l'IFREMER a été associé, est intéressant dans la mesure où il fait progresser la connaissance de la diversité des espèces. Mais il relève d'une approche classique, naturaliste de la biodiversité. De ce point de vue, on est là face à une aporie, car nous savons bien que l'inventaire de la totalité des espèces est impossible. Même si cette initiative est utile en termes de communication avec le grand public, elle ne constitue pas une des formes les plus fécondes de la recherche actuelle.

PermalienHubert Carré, directeur général du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins

Les contrats bleus ont été développés à l'initiative des professionnels de la pêche. L'association Ar Mor Glaz est une des pionnières en la matière, mais il en existe d'autres. Le problème, pour l'administration et pour les organismes liquidateurs, consiste à contrôler leur application afin de convaincre Bruxelles que les services rendus n'ont rien de fictif. La mobilisation des enveloppes communautaires a posé également quelques difficultés, mais qui sont en passe d'être résolues.

En ce qui concerne l'enseignement, les professionnels ont été les premiers à demander l'extension de la formation professionnelle jusqu'au niveau du bac « pro », et ils sont maintenant très favorables à la mise en place de BTS. D'une façon générale, il convient de franchir une étape en parlant, non plus de « patrons pêcheurs », mais de « chefs d'entreprise à la pêche », ce qui une impliquerait en effet une formation bac + 2.

PermalienPhoto de Serge Grouard

Je remercie chaleureusement nos invités pour la qualité et la précision de leurs propos. Nous sommes loin d'avoir épuisé un sujet que nous n'avons pas souvent l'occasion d'aborder. Compte tenu des enjeux, cette réunion était donc particulièrement intéressante. Nous poursuivrons le débat avec l'audition, dans quelques semaines, de Mme la ministre de l'écologie sur le Grenelle de la mer.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 16 mars 2011 à 9 h 30

Présents. - M. Yves Albarello, M. Jean-Yves Besselat, M. Jérôme Bignon, M. Philippe Boënnec, M. Jean-Claude Bouchet, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Branget, M. Christophe Caresche, M. Jean-Paul Chanteguet, M. André Chassaigne, Mme Claude Darciaux, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Raymond Durand, M. Paul Durieu, M. Philippe Duron, M. André Flajolet, Mme Geneviève Gaillard, M. Jean-Pierre Giran, M. Joël Giraud, M. François-Michel Gonnot, M. Didier Gonzales, M. François Grosdidier, M. Serge Grouard, M. Michel Havard, M. Jacques Kossowski, Mme Fabienne Labrette-Ménager, M. Jacques Le Nay, Mme Christine Marin, M. Philippe Martin, M. Gérard Menuel, M. Philippe Meunier, M. Bertrand Pancher, M. Yanick Paternotte, Mme Sophie Primas, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. René Rouquet, M. Philippe Tourtelier

Excusés. - M. Maxime Bono, M. Lucien Degauchy, M. Daniel Fidelin, M. Antoine Herth, M. Armand Jung, M. Jean Lassalle, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Lepetit, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Philippe Plisson, M. Michel Raison, M. André Vézinhet

Assistaient également à la réunion. - Mme Annick Le Loch, M. Bernard Lesterlin, M. Martial Saddier, M. Francis Saint-Léger