COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE DE VACCINATION DE LA GRIPPE A(H1N1)
Jeudi 10 juin 2010
(Présidence de M. Gérard Bapt, secrétaire, puis de M. Jean-Christophe Lagarde, Président de la commission d'enquête)
La séance est ouverte à neuf heures quarante.
La Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports.
Au nom du président Jean-Christophe Lagarde, je vous remercie, monsieur Didier Houssin, d'avoir à nouveau répondu à l'invitation de cette commission. Depuis votre première audition, le 6 avril, nous avons certes beaucoup travaillé mais nous avons jugé cette nouvelle réunion indispensable. Dans ce contexte, il n'est pas utile que vous prêtiez serment une seconde fois.
Au cours de notre enquête, qui arrive à sa fin, certaines questions sont revenues régulièrement. Ainsi, pourquoi a-t-on accepté la clause de responsabilité des contrats avec les laboratoires, qui a suscité une certaine suspicion ? Le plan général de la lutte contre la pandémie n'a-t-il pas souffert d'une trop grande rigidité, d'une absence d'ajustement ? Cela va-t-il donner lieu à des modifications ? Quel est, par ailleurs, l'état des stocks et que sont devenus les produits non utilisés ? Où en est la négociation avec le laboratoire GSK, la seule qui n'ait pas encore abouti ? Comment évaluer en outre le coût global de la campagne ? Après des estimations d'un milliard, voire deux, la ministre de la santé et des sports ne parle plus que de cinq cents millions... Il faudra aussi revenir sur le rôle des professions de santé et sur la position de la France au sein de l'Organisation mondiale de la santé, notamment lors de sa dernière assemblée générale.
M. Jean-Christophe Lagarde, président de la Commission d'enquête, remplace M. Gérard Bapt à la présidence.
La question des clauses de responsabilité dans les contrats a toujours été très difficile. Assumer la responsabilité d'éventuels effets secondaires de vaccins qui concerneront des populations très nombreuses, sans compter l'incertitude qui entoure la survenue d'événements imprévus, constitue un risque tel que les industriels ne parviennent pas à le faire couvrir par les assurances. Le New England Journal of Medicine vient d'ailleurs de publier un article sur ces aspects. On aboutit dans la plupart des pays à une responsabilité partagée, les pouvoirs publics assumant la prise en charge des effets secondaires et l'indemnisation des victimes, tandis que les industriels assument la responsabilité du fait du produit – une contamination durant la production par exemple. Lors des négociations avec les laboratoires, l'un des projets de contrat, celui de GSK, donnait le sentiment de vouloir faire porter à l'État la responsabilité du fait du produit. La ministre de la santé et des sports a vivement réagi et s'est rapprochée de ses homologues pour résister à cette perspective. Très vite, le laboratoire a fait savoir qu'il ne s'agissait que d'une difficulté de traduction. Bref, c'est l'incapacité pour les industriels du vaccin d'assurer la totalité des risques qui explique ce partage de responsabilité.
S'agissant du plan de préparation à la pandémie, nous travaillons aux leçons à tirer de sa mise en oeuvre – et j'ai bien sûr lu le rapport d'étape de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur le sujet. Ce travail est effectué avec le secrétariat général de la défense nationale, comme pour toute menace de grande ampleur. Le bilan est assez partagé.
Le plan s'est en effet montré très utile à de nombreux points de vue, mais il a souffert du même problème que les trains qui arrivent à l'heure : tout ce qui fonctionne passe inaperçu… Préparé pendant cinq ans, il était principalement tourné vers le virus H5N1, qui était la menace la plus évidente, mais ne lui était pas pour autant dédié. Nous avons essayé de le rendre cohérent avec les phases identifiées par l'Organisation mondiale de la santé et avec les plans de nos voisins. Il prévoyait deux catégories d'actions, de préparation – contrats d'acquisition de vaccins par exemple – ou de réaction. Le plan a été testé au niveau local, régional et national – quatre exercices nationaux ont eu lieu, dont le dernier en février 2009. En fait, il a été élaboré dans un esprit proche de ceux de la défense : la menace de conflit existe et l'on s'y prépare sans savoir quand elle surviendra, en achetant des équipements et en entraînant le personnel par exemple. Les mesures étaient extrêmement diverses : constitution des stocks, information, formation des professionnels, communication, avec la création d'un site internet…
Ce plan a été soumis, comme ceux de nos voisins, à une évaluation lancée par la Commission européenne, avec l'appui du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. Sa qualité principale était sa dimension très intersectorielle et interministérielle – à tel point que nous avons été amenés à expliquer au plan international comment nous avions procédé. Une évaluation scientifique menée par la London School of Tropical Medicine and Hygiene a même classé le plan français parmi les trois ou quatre meilleurs.
Ce plan s'est révélé très utile. Il nous a permis d'adopter tout de suite une stratégie interministérielle, ce qui était crucial. Le 24 avril, date de l'alerte de l'Organisation mondiale de la santé, j'ai demandé à la ministre la tenue d'une réunion interministérielle à Matignon le jour même. Vingt-quatre heures plus tard, nous travaillions avec Aéroports de Paris sur la question de la police des frontières, des masques ou de l'information des voyageurs. Grâce à cette préparation, nous avons donc pu travailler dès le premier jour en étroite coordination avec les ministères des affaires étrangères, de l'intérieur et de l'économie et des finances notamment. Oublier les bons aspects du plan serait une erreur aussi grave pour l'avenir que ne pas se préoccuper de ce qui n'a pas bien fonctionné.
La préparation a en particulier été insuffisante sur deux points.
D'abord, le travail sur les plans de continuité d'activité n'a pas été mené à terme. Certains ministères, comme celui de l'agriculture, ou certaines grandes villes étaient très bien préparés. Certaines grandes entreprises l'étaient aussi, généralement celles qui ont une perception aiguë des menaces internationales – travaillant dans les secteurs de l'énergie ou des télécommunications, par exemple. Mais il n'en était pas de même partout. La cellule interministérielle de crise a donc dû demander une actualisation rapide de ces plans de continuation d'activité, ce qui a mobilisé beaucoup d'énergie en juin et juillet. Heureusement, nous n'avons en définitive pas eu à les activer, mais ce travail préparatoire n'a pas été achevé. Ceci dit, je ne suis pas sûr que seul le temps nous ait manqué : peut-être aurait-il fallu une concrétisation de la menace pour agir plus efficacement.
Ensuite, la préparation de la vaccination elle-même a été incomplète. La raison est assez simple : aucun scientifique, aucun expert des pandémies n'a jamais imaginé que nous pourrions, en métropole, avoir à vacciner avant la première vague pandémique. C'est un concours de circonstances qui l'a rendu possible : le virus est apparu dans des pays, comme le Mexique et les États-Unis, qui ont eu le courage de le signaler tout de suite. Ils ont transféré les souches dans les laboratoires de référence de l'Organisation mondiale de la santé, qui les ont très vite identifiées et ont transmis les souches semences aux 35 producteurs mondiaux de vaccins. En outre, le virus est arrivé, pour l'hémisphère Nord, à la fin de l'épidémie saisonnière. La perspective d'une vague estivale ne s'étant pas concrétisée, nous avions le temps d'effectuer la vaccination avant la vague d'automne-hiver. Mais si nous étions au point s'agissant des acquisitions de vaccins ou de l'ordre des priorités par exemple, si nous disposions de l'avis n° 106 du comité consultatif national d'éthique de février 2009, l'organisation elle-même de la campagne de vaccination n'était pas planifiée et il a fallu inventer un dispositif durant les mois de juin, juillet et août.
Le plan a été vécu comme étant rigide, automatique. C'est le signe que nous ne l'avons pas bien expliqué, et nous sommes en train d'y réfléchir avec le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Ce plan n'était pas une check-list qui aurait conduit à cocher systématiquement chaque case. C'était plutôt une boîte à outils : la cellule interministérielle de crise choisissait, parmi toutes les mesures possibles, celles qui devaient être appliquées ou non. Le port de masques FFP2 par les professionnels exposés au public ou les plans de continuité d'activité, par exemple, n'ont pas été activés.
Il faut maintenant réexaminer le plan, en accentuant sa dimension d'évaluation du risque : il faut notamment le présenter non pas en fonction des décisions de l'Organisation mondiale de la santé, mais comme un guide directement utilisable par les gestionnaires de crise selon la situation. J'ajoute que son volet technique a fait l'objet d'un travail considérable de mise à jour en mai et juin, ce qui nous a permis d'édicter des recommandations, en particulier sur les mesures d'hygiène ou la prescription des antiviraux. Cela étant, si on recense nombre d'éléments positifs, il reste des points d'amélioration incontestables.
Pour ce qui est du bilan de la campagne de vaccination, je vous ai fait parvenir des données détaillées : entre cinq et six millions de vaccinations, dont la plupart en centre de vaccination. Concernant les stocks de vaccins, nous avons aujourd'hui 9,7 millions de Pandemrix, 9,3 millions de Panenza, 5,4 millions de Focetria et 15 000 doses de Celvapan, dont les délais de péremption sont bien sûrs tous différents. Sur les 25 millions de vaccins disponibles, il en restera environ 10 millions à la fin 2010.
Venons-en aux coûts – nous avons reçu de nombreuses questions de la Cour des comptes sur ce thème.
Je voudrais d'abord appeler votre attention sur la question des périmètres : on ne peut comparer que ce qui est comparable. Il y a trois dimensions possibles, voire quatre. Si l'on retient le périmètre de la préparation de la lutte contre la pandémie grippale, par exemple, il faut tenir compte des coûts depuis 2004 ou 2005. Si l'on ne parle que de la lutte contre la pandémie grippale en 2009, il faut inclure les dépenses d'organisation, les produits utilisés, le coût des soins, en tenant compte si possible des dépenses évitées… Bref, le calcul est complexe. Nos réponses à la Cour des comptes retiennent ce périmètre.
Les coûts, du côté du ministère de la santé, concernent les vaccins, les produits médicaux et les prestations logistiques, le dispositif des bons de vaccination, la gestion des déchets à risque infectieux, la communication et l'indemnisation des professionnels de santé ; du côté du ministère de l'intérieur, le fonctionnement des centres de vaccination et l'indemnisation des personnels administratifs. S'agissant de la lutte contre la pandémie, les coûts concernent les antiviraux, les masques chirurgicaux et respirateurs, le fonctionnement des plateformes logistiques départementales, la communication et les dépenses de l'Institut de veille sanitaire. L'ensemble représentait, en mars, 699 millions d'euros. La Cour des comptes nous a posé de nouvelles questions en mai, sans différence significative de périmètre.
Pour ce qui vous intéresse, à savoir la campagne de vaccination, la ministre a effectivement fait état il y a quelques jours de chiffres moins élevés qu'annoncé. La première raison tient à la déduction du don fait par la France à l'Organisation mondiale de la santé – 73 millions d'euros –, qui n'a pas à figurer dans le coût global de la campagne de vaccination. La deuxième est que les dépenses d'indemnisation des professionnels de santé – pour ce qui est du ministère de la santé, pas de l'intérieur – semblent avoir été surévaluées. Elles se montent aujourd'hui à une vingtaine de millions d'euros et pourraient ne s'accroître que de huit ou dix millions. Elles n'atteindront donc pas les cent millions qui avaient été initialement prévus. Au total, l'estimation des dépenses de la campagne est donc de l'ordre de 500 millions d'euros. Reste la question de la résiliation des vaccins : on évalue l'indemnisation globale à 48 millions d'euros mais, si les accords sont conclus avec Novartis, à hauteur de 16 % de la commande, et avec Sanofi, rien n'est fait encore avec GSK. Il y a donc toujours une incertitude sur ce montant de 48 millions d'euros.
Vous avez évoqué le rôle des professionnels de santé. Il est évidemment crucial. Les professionnels hospitaliers ont été tout de suite mobilisés dans la prise en charge des malades en milieu hospitalier. À partir du 20 juillet 2009, Mme la ministre de la santé et des sports ayant demandé que la prise en charge se fasse plutôt en ville, le secteur ambulatoire s'est trouvé en première ligne. Beaucoup de professionnels ont ensuite participé au fonctionnement des centres de vaccination. Dans le système français, les soins de premier recours sont assez dispersés, les professionnels assez isolés. Ils ne sont pas, contrairement à certains pays, rassemblés dans des organisations. Cela a tout de suite constitué une contrainte majeure du fait du mode de présentation des vaccins.
Compte tenu du contexte – la discussion du projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, qui soulevait des réactions très vives de la part de certains syndicats – le sentiment que l'organisation mise en place visait à écarter les médecins s'est développé. Ce n'était absolument pas le cas : la situation nécessitait une organisation collective de la vaccination. D'ailleurs beaucoup y ont participé, y compris des généralistes.
Notre organisation des soins primaires constitue indéniablement une difficulté pour s'adresser aux médecins. Des relais existent, à commencer par l'Ordre des médecins, puis les unions régionales des professionnels de santé, qui ont participé à de nombreuses réunions, et les syndicats. D'autres dispositifs ont été mis en place, comme les messages DGS-urgent, auxquels tous les médecins ne sont néanmoins pas abonnés. Mais la question de l'organisation des soins primaires en France et surtout de la meilleure façon pour les pouvoirs publics de s'adresser aux médecins dans une situation critique est un sujet de réflexion pour l'avenir.
S'agissant du fonctionnement de l'Organisation mondiale de la santé, la ministre de la santé et des sports était présente lors de la dernière assemblée, à Genève. La première journée de travail, sur cinq, a été consacrée à la pandémie grippale. Il y a eu consensus autour de l'importance du rôle de l'organisation, de sa réactivité, de sa capacité à fournir une information rapide, les États étant ensuite libres d'agir comme ils l'entendaient. Bref, la pandémie ne fait pas partie des sujets à problème, contrairement au dossier de la propriété intellectuelle des médicaments, l'atmosphère étant tendue entre les pays développés, émergents et moins avancés. L'Organisation mondiale de la santé a engagé de toute façon une évaluation de son action, menée par M. Harvey Fineberg – un excellent choix puisqu'il était déjà l'auteur, pour l'Institute of Medicine, du rapport sur la gestion de la grippe porcine de 1976 par les autorités américaines, rapport qui a d'ailleurs constitué pour nous une base de réflexion très utile.
Je souhaiterais revenir sur l'indemnisation des laboratoires : les représentants de GSK, lors de leur audition, ont fait état de difficultés avec le gouvernement français. Aucun accord ne semble en vue. Lorsque vous parlez de 48 millions, s'agit-il de doses ?
Non. L'indemnisation globale réservée aujourd'hui aux résiliations est de 48 millions d'euros, répartis entre GSK, Novartis et Sanofi sur la base de 16 % de la commande annulée.
Le président de GSK affirme qu'il a tenu à la disposition de la France 18 millions de doses au 28 février et qu'il en a produit 30 autres millions, dont il ne réclame le paiement que pour une moitié, l'autre étant réutilisable. En clair, 15 millions de doses ont été conditionnées et 15 millions sont encore en vrac. Le total serait de 33 millions de doses dont on nous réclamerait le paiement à raison du prix initialement prévu.
C'est effectivement la demande de GSK : 33 millions de doses sur une base de 6 euros la dose, soit plus de 180 millions d'euros. Mais la notification faite à GSK par les autorités françaises ne se monte qu'à 35,8 millions.
Merci pour toutes ces précisions. À propos du plan, l'analogie avec les trains qui arrivent à l'heure n'est pas très heureuse : la campagne de vaccination n'a pas atteint ses objectifs et l'image même de la vaccination dans le public n'en est pas sortie renforcée. Je ne pense donc pas qu'on puisse être satisfait. La boîte à outils était manifestement incomplète ou alors, si des outils – tels que le recours aux médecins généralistes pour vacciner ou le recours aux marchés à tranches conditionnelles pour acheter les vaccins – y figuraient, ils n'ont pas été utilisés. Le plan avait été préparé pour faire face à une pandémie très grave, bloquant l'ensemble du pays. Un tel plan était indispensable mais il a été appliqué tel quel, alors qu'il est rapidement apparu comme décalé par rapport à l'ampleur réelle de la pandémie et la virulence du virus. N'était-il pas prévu d'appliquer une version plus souple selon les circonstances ? Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ?
J'aimerais aussi en savoir plus sur les relations entre la direction générale de la santé et l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS) dans le domaine des achats de vaccins : qui décidait de la quantité à acheter ou de la formule juridique retenue ? Pourquoi n'a-t-on pas utilisé la formule des marchés à tranches conditionnelles au lieu d'acheter ferme, d'entrée de jeu, 94 millions de doses ?
Enfin, en matière de communication, les expressions de « verrouillage » et de « propagande du Gouvernement » ont été assez répandues par la presse. Comment avez-vous vécu l'articulation avec les services du Premier ministre ? On a reconnu la stratégie habituelle du Gouvernement : maximiser la crise, conditionner l'opinion, puis piloter à vue en fonction des circonstances. La communication conduite par les services du Premier ministre vous convient-elle ? Y avez-vous pris part ? Comment voyez-vous les choses pour l'avenir ?
Je suis navré si j'ai donné le sentiment de penser que, parce que certains aspects du plan avaient été mis en oeuvre, tous les trains étaient arrivés à l'heure. Je voulais simplement dire que beaucoup de ce qui devait être mis en oeuvre l'avait été sans difficulté. Je ne me référais pas à la question de la compliance de la population à la vaccination – le fait qu'elle l'accepte. J'évoquais plutôt, par exemple, la mise en place de l'ÉPRUS, d'un établissement pharmaceutique capable d'acquérir des produits et de s'occuper de logistique, ce qui paraît tout naturel aujourd'hui, mais n'existait pas en 2006, voire 2007. Cela a été un élément de progrès important. Je ne sais pas comment nous aurions fait sans cela : toutes les fonctions logistiques étaient assumées auparavant par la direction générale de la santé, mais dans des conditions loin d'être optimales.
Le recours aux médecins généralistes, effectivement, a été une difficulté majeure. Il n'a pas été possible, pour des raisons multiples, de les entraîner autant qu'on aurait pu le souhaiter dans cette action de santé publique. En revanche, le mécanisme des tranches conditionnelles avait été utilisé pour les contrats de 2005. C'est pour les achats décidés par le Premier ministre le 3 juillet qu'il n'a pas été possible d'y recourir, parce que le calendrier de livraison et les quantités livrées initialement étaient liés à la quantité globale acquise.
Mais il fallait au moins tenir compte du fait qu'on ne savait pas s'il fallait une ou deux doses, soit tout de même 47 ou 94 millions de vaccins.
D'autant que les autres pays avaient des contrats à tranches conditionnelles et qu'ils ont parfaitement pu se faire livrer. On a bien compris que les laboratoires avaient joué avec les États pour obtenir le maximum de commandes – leur absence de coordination leur a malheureusement laissé les mains libres –, mais pourquoi ne pas avoir obtenu autant que nos voisins, comme la Grande-Bretagne ?
L'idée qu'une seule dose pouvait être suffisante n'était absolument pas défendable en mai, juin ou juillet. Cela a constitué une véritable surprise en septembre, après les premiers résultats des essais cliniques et n'a été confirmé qu'au mois de novembre. Or, la question de l'acquisition des vaccins se posait en mai et juin.
À cette époque, la France était dans une situation particulièrement difficile : les deux industriels avec lesquels nous avions passé des contrats de réservation semblaient ne pas pouvoir être au rendez-vous pour la livraison. Sanofi Pasteur n'avait pas obtenu d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour son vaccin adjuvanté Emerflu. L'espoir qu'il puisse assurer une livraison précoce dans le cadre de notre contrat – à tranches conditionnelles – était quasiment nul. Cette analyse s'est confirmée, puisque l'autorisation de mise sur le marché n'a été obtenue qu'en février ou mars 2010. Nous ne pouvions donc pas compter sur ce grand professionnel du vaccin, qui représentait la part la plus importante de nos acquisitions. Les capacités de production de notre deuxième partenaire, Novartis, avec lequel nous étions engagés en moindre quantité, étaient plus faibles et nous doutions qu'il puisse délivrer suffisamment en temps utile. Il a donc fallu in extremis se tourner vers un industriel avec lequel nous n'avions pas de contrat – alors que d'autres pays en avaient ! Or, c'est celui qui a progressé le plus vite entre 2006 et 2009 et qui disposait des capacités de production les plus importantes, avec deux usines, l'une à Dresde et l'autre au Canada, ce qui permet de changer de source en cas de problème de production. Début mai, j'ai indiqué à la ministre de la santé et des sports que l'industriel le plus à même de délivrer tôt et en quantité suffisante était selon toute vraisemblance, GSK. Cela s'est confirmé. N'ayant pas de contrat de réservation, nous n'étions pas en position de force pour négocier des tranches conditionnelles. Le contexte, par malchance, n'était donc pas favorable à la France.
Pas par malchance ! Puisque la direction générale de la santé semble admettre dorénavant que certaines choses pourraient être améliorées –c'est un progrès –, ne pensez-vous pas que la France aurait intérêt à passer des contrats de réservation avec plus de deux laboratoires, et prévoir dès le départ des tranches conditionnelles en toutes circonstances ? Si nous ne traitions pas avec les bons laboratoires, si nous nous sommes retrouvés en situation de faiblesse, obligés de surcommander ou de nous lier les mains pour pouvoir espérer une livraison dans les délais, ce n'est pas de la malchance.
Si nous n'avions pas passé de contrat de réservation avec GSK en 2005, c'est tout simplement qu'ils n'avaient pas soumissionné – j'en ignore la raison. Nous avons sélectionné les deux industriels qui, à ce moment-là, paraissaient les plus indiqués.
Mais on n'a pas rouvert le dossier entre 2007 et 2009, alors que GSK avait beaucoup progressé. On n'a pas adapté le plan, qu'on a estimé suffisant.
Nous n'avons appris l'absence d'autorisation d'Emerflu que très tardivement. Peut-être aurions-nous dû alors réexaminer l'ensemble de notre stratégie de réservation de vaccins, mais la réflexion avait pris une orientation quelque peu différente : nous nous interrogions sur l'intérêt des vaccins prépandémiques. Lors de nos échanges avec le cabinet de la ministre sur ce sujet, début avril, GSK était mentionné comme un partenaire potentiel au cas où la France déciderait d'acquérir de tels vaccins. Le sujet n'était donc pas négligé, mais la perspective était différente. Reste la difficulté majeure : notre partenaire principal n'avait pas l'autorisation de mise sur le marché pour son vaccin adjuvanté.
J'en viens à cette critique selon laquelle les pouvoirs publics n'auraient pas su tenir compte des réalités, freiner les choses, « débrayer », bref faire preuve d'esprit d'adaptation. Nombre d'interventions devant votre commission, d'après ce que j'ai lu, ont tourné autour de cette question. Cela mérite un développement.
Le processus de décision a été préparé de manière à permettre aux responsables politiques de renoncer à certaines décisions s'ils le jugeaient nécessaire. On avait tiré en cela les leçons de la campagne de vaccination américaine de 1976 : le rapport de l'Institute of Medicine montrait que Gerald Ford avait été lié par son administration en devant prendre une seule décision, qui comprenait l'acquisition des vaccins, l'ordre de priorité et le lancement de la campagne. J'avais été extrêmement attentif à pouvoir procéder différemment. Nous avons donc fait en sorte que l'administration puisse formuler ses propositions en se fondant sur l'expertise la plus large possible, pour que le responsable politique puisse à chaque étape prendre ou non la décision.
Les décisions les plus importantes ont été celles prises par le Premier ministre le 3 juillet pour l'acquisition de vaccins et le 24 septembre pour fixer un ordre de priorité pour la vaccination, et celle prise par la ministre de la santé le 20 octobre de lancer la campagne de vaccination. Nous avions bien sûr réfléchi à l'éventualité de devoir stopper la campagne, qui ne s'est pas concrétisée puisque les vaccins se sont révélés tout à fait sûrs.
Dans la mesure où toute la phase initiale s'était déroulée dans une très grande incertitude sur l'avenir, les pouvoirs publics auraient pu arrêter les choses, ne pas lancer la campagne de vaccination. Pour préparer la prise de décision, la direction générale de la santé a demandé le 15 septembre à l'Institut de veille sanitaire, notre expert épidémiologiste, son analyse de la situation. Par un avis du 28 septembre, l'Institut de veille sanitaire a répondu qu'il fallait s'attendre à une vague pandémique et qu'il était plausible qu'elle ait un impact sanitaire majeur en termes de mortalité et d'hospitalisation, y compris dans le scénario le plus optimiste. Le 22 septembre, le Haut conseil de la santé publique était interrogé sur l'opportunité de lancer la campagne de vaccination. Le 23 octobre, il répondait que la balance bénéficerisque était en faveur du démarrage de la vaccination, en commençant par les professionnels de santé et les populations identifiées en priorité 1.
Nous avons parallèlement observé que les autres pays européens se prononçaient tous pour un lancement le plus rapide possible des campagnes de vaccination. Celles-ci ont été lancées le 12 octobre en Suède, le 15 en Italie, le 20 en Norvège, le 21 en Grande-Bretagne, le 26 en Allemagne, le 27 octobre en Autriche et au Luxembourg, le 1er novembre Danemark, le 7 en Belgique, le 9 en Irlande, le 16 en Espagne et en Grèce ou le 23 novembre aux Pays-Bas et en République tchèque. La direction générale de la santé a donc préconisé, dans une note du 5 octobre, le lancement de la campagne. Celle-ci a commencé le 20 octobre dans les établissements de santé pour les professionnels et le 12 novembre dans les centres de vaccination pour les autres groupes prioritaires, ce délai étant lié essentiellement au calendrier de livraison des vaccins et à la mise en place des centres. Était-il possible de débrayer à ce moment-là ? Nous nous y étions préparés, nous avions interrogé des experts en ce sens et la réponse a été qu'il fallait lancer la campagne.
On peut aussi se demander si, face aux réactions de la population – le vaccin étant perçu comme dangereux et le virus comme un risque modéré – on aurait pu limiter la campagne au premier groupe prioritaire, et il faut se souvenir des intentions de la population. Lors du lancement de la campagne, les autorités sanitaires s'attendaient déjà à un taux d'intention de se faire vacciner plus faible que l'estimation faite en vue de l'acquisition des vaccins. Les diverses enquêtes menées au fil des mois en France ont montré une évolution importante. En juillet août, on comptait 54 à 65 % d'intentions de se faire vacciner dans différents sondages, dont ceux de l'École des hautes études en santé publique, du Service d'information du Gouvernement-OpinionWay, du Figaro-OpinionWay et de Sud-Ouest-Ifop. Mi-septembre, le taux avait chuté à 39 % dans un sondage SIG-OpinionWay, puis à 30 % fin septembre pour TNS Sofres. La baisse devait se poursuivre, avec des taux de 15 à 25 % entre octobre et décembre.
En dépit du travail d'explication des autorités sanitaires, les interventions visant dans les médias à critiquer l'opportunité ou l'organisation de la vaccination ont sans doute contribué à cette évolution. Les propos sur la dangerosité des vaccins tenus pas certains professionnels de santé, médecins ou infirmiers, repris très largement par les médias, ont provoqué une baisse rapide des intentions de se faire vacciner dans les quinze premiers jours de septembre. Un élément déterminant, de mon point de vue, a été le communiqué de presse du Syndicat national des professionnels infirmiers du 1er septembre, qui mettait l'accent sur les dangers des vaccins. Il se répétait le 8 septembre, dans un second communiqué, en présentant en outre un sondage selon lequel 26 % du personnel infirmier seulement avaient l'intention de se faire vacciner. L'écho médiatique avait été important et la conjonction des deux arguments était extrêmement dissuasive : « les professionnels de santé nous disent que les vaccins sont dangereux et la grande majorité d'entre eux n'ont pas l'intention de se faire vacciner… ». Dans l'eurobaromètre de novembre 2009, la France est ainsi l'un des trois pays qui considère le danger représenté par les vaccins comme le principal argument dissuasif – pour 40 % des Français contre une moyenne de 30 % en Europe.
Dans ces conditions donc, aurait-on pu limiter la vaccination aux groupes de population prioritaires ? Nous avons pensé que cette décision risquait d'accréditer l'idée que les vaccins étaient effectivement dangereux. En outre, nous ne savions pas si c'étaient bien les populations prioritaires qui avaient l'intention de se faire vacciner. Enfin, dans un contexte épidémiologique, l'intention de se faire vacciner peut fluctuer fortement, et à brève échéance : ainsi, l'affluence, qui était très faible avant le 20 novembre, a brusquement augmenté après l'annonce d'une mutation possible du virus chez des malades en Norvège.
Voilà deux exemples d'adaptation des pouvoirs publics à la situation, et je pourrai vous en donner d'autres.
Merci de cette explication très circonstanciée. Il semble clair, d'après aussi les fonctionnaires qui faisaient partie de la cellule de crise, que les rouages de l'État ont bien fonctionné pour ce qui est de la préparation à un risque signalé le 24 avril et qui demandait à être précisé. Mais hier, un préfet nous faisait part de ses difficultés à mettre en oeuvre les mesures de préparation et de communication sur le terrain pour cause d'effectifs insuffisants dans les directions départementales des affaires sanitaires et sociales, ce qui ne laisse pas d'être inquiétant dans le contexte du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite : le meilleur plan possible, le meilleur plan central ne sert à rien si les moyens humains manquent au niveau déconcentré pour le mettre en place ! La Révision générale des politiques publiques (RGPP) devrait prendre en considération certains impératifs de sécurité sanitaire, et même civile.
Vous êtes le représentant permanent de la France à l'Organisation mondiale de la santé. Vous avez dit que lors de la dernière assemblée générale, les États avaient globalement approuvé l'action de l'organisation. Le contraire aurait été étonnant : cela serait revenu à ce qu'ils se critiquent eux-mêmes, puisque la mise en oeuvre des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé relève toujours de leur décision ! Mais certaines questions ont été posées, y compris pendant l'assemblée générale, sur les maladies émergentes ainsi que sur les conflits d'intérêts ou l'influence du Groupe Impact, dénoncée par l'Inde et le Brésil, qui mettent en cause la crédibilité de l'organisation. La création de l'Organisation mondiale de la santé a été un grand progrès, elle continue à mener des actions très positives dans un certain nombre de domaines mais elle connaît aussi de graves problèmes : l'enquête du British Medical Journal, le rapport du Conseil de l'Europe, les dénonciations d'experts individuels concernant l'influence de l'industrie pharmaceutique sur les conclusions du groupe de travail sur les maladies émergentes ne peuvent être évacués aussi négligemment.
D'après M. Rony Brauman, de Médecins sans frontières, la principale faute de l'Organisation mondiale de la santé a été de ne pas distinguer entre la contagiosité et la dangerosité du virus. En transformant, le 4 mai, sa définition d'une pandémie, l'Organisation a évacué cette notion de dangerosité. N'est-ce pas une des raisons fondamentales qui explique que tous les États se soient lancés dans des plans de réponse à une menace plutôt de type H5N1 ? Ne s'est-on pas trompé de cible ? S'agissait-il vraiment d'une pandémie ? Si l'on réintègre la notion de dangerosité, ne s'agissait-il pas plutôt d'une épidémie ?
Le fiasco a conduit à une perte de crédibilité de toutes les autorités sanitaires, mondiales, européennes et nationales. Avouez qu'avec ou sans intervention de syndicats infirmiers, tous les États européens, à l'exception de la Suède, ont vu une décroissance très rapide de la vaccination !
Une des leçons à tirer de cette pandémie est que, dans une crise d'aussi longue durée, la capacité à maintenir les effectifs opérationnels est un point crucial. Nous avons même pensé à activer les plans de continuité d'activité pour ce seul motif. Les militaires connaissent beaucoup mieux cette question, qu'il va falloir approfondir. Je ne reviens pas sur la question de la Révision générale des politiques publiques : des réorganisations importantes sont en cours au niveau territorial, et c'est un sujet majeur.
Pour ce qui est de l'Organisation mondiale de la santé, j'ai évoqué les discussions qui se multiplient autour de la question de la propriété intellectuelle des médicaments. Elles dépassent le sujet de la crédibilité de l'expertise, qui n'est qu'une sorte d'alibi : ce qui les sous-tend, c'est la confrontation géopolitique et économique sous-jacente entre un monde développé à la production pharmaceutique importante, un monde émergent où la place des génériques est considérable et qui a l'espoir d'acquérir lui aussi une capacité d'innovation, et un monde beaucoup moins développé qui essaye de pouvoir disposer des vaccins, d'une manière ou d'une autre. C'est le grand enjeu actuel. Les questions qui entourent la crédibilité de l'expertise, aussi importantes soient-elles, sont mises en avant mais, derrière, il y a les intentions politiques de certains États qui veulent, tout simplement, voir le monde changer.
Pour ce qui est de la dangerosité, en matière d'épidémie, il y a deux notions à considérer. La première est la virulence du virus, c'est-à-dire sa capacité intrinsèque à causer des dommages graves chez un être vivant, et éventuellement à le tuer. Nous avons su très tôt qu'elle était assez faible, ou en tout cas que ce virus ne portait pas les gênes de virulence connus. Il est même incroyable d'avoir pu le savoir aussi vite.
Au cours du mois de mai, par des études génétiques.
La seconde notion à considérer est le taux d'attaque. Si une très large proportion de la population est touchée, il peut y avoir, bien que la virulence soit faible, un nombre extrêmement important de malades et donc, par la loi des grands nombres, de décès. Ce que nous redoutions le plus, c'était un taux d'attaque élevé. Or, d'après les analyses de l'Institut de veille sanitaire et d'autres organismes sur la situation dans l'hémisphère Sud pendant l'été, il n'y avait pas d'indice que le taux d'attaque serait faible. Un des grands enseignements est que nous sommes aujourd'hui capables d'en savoir beaucoup, et très vite, en matière d'épidémiologie et de virologie, mais qu'il reste des progrès considérables à faire dans la discipline de l'immunologie, c'est-à-dire l'étude de la réceptivité d'une population. Nous n'avons su qu'en septembre que certaines personnes pouvaient avoir des anticorps protecteurs, et ce n'est qu'en décembre que la revue PNAS a publié un article de M. Jason Greenbaum et ses collaborateurs montrant que des éléments immunologiques pouvaient peut-être expliquer qu'une partie importante de la population n'ait pas déclenché une maladie, ou alors bénigne. Il ne faut donc pas se focaliser sur la virulence : le taux d'attaque aussi est important, et c'est sur ce point que nous avons connu des surprises.
Je m'étonne, sans bien sûr vouloir vous mettre en cause personnellement, du bilan extrêmement positif que vous faites de l'application du plan gouvernemental. Le critère d'efficacité est tout de même de savoir si l'objectif fixé par le Gouvernement a été rempli, à savoir à la fois vacciner massivement et permettre à tous les publics cibles de l'être. Quelle a été la proportion de public prioritaire vaccinée ?
Les questions qu'ont posées MM. Jean Mallot et Gérard Bapt sont fondamentales. Certes, les connaissances en virologie sont bonnes, moins en immunologie, mais cela devrait être complètement intégré dans le plan ! Il doit pouvoir s'adapter ! Or, son application a été pour le moins rigide : un vrai rouleau compresseur. Il ne semble pas avoir été possible d'en modifier le déroulé.
Je vous trouve sévère avec les professionnels de santé, dont les propos auraient détourné le public de la vaccination. Dans le même temps, en effet, la communication du Gouvernement était assez étrange puisqu'elle revenait à dire, et je caricature à peine : « il est fondamental de se faire vacciner mais vous faites comme vous voulez ». L'enchaînement des volte-face et des rétropédalages était suffisamment de nature à déstabiliser nos concitoyens. Au départ, les SAMU-Centre 15 et les services d'urgence étaient massivement mobilisés pour accueillir toute personne suspecte de fièvre ou d'éternuements, mais du jour au lendemain, les grippes devaient se soigner à domicile et il n'était plus question d'effectuer de diagnostics biologiques ! Dans de telles conditions, il est difficile de vouloir mobiliser une population.
Par ailleurs, on ne peut réellement pas accepter vos propos selon lesquels la contestation d'un certain nombre de mesures de la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires aurait entraîné le désintérêt, voire la désaffection des professionnels de santé. Vous ne l'avez pas dit de façon aussi catégorique, mais vous l'avez suggéré. Et puisque vous cherchez un moyen efficace de les contacter, je rappelle que l'inscription à l'ordre est obligatoire et que cela devrait être une solution toute trouvée même si le peu de fiabilité et le mauvais fonctionnement des ordres en France est un autre sujet.
Vous avez insisté sur les nombreux exercices menés, qui prouveraient la fiabilité du plan. Mais seuls les exercices de terrain sont valables, avec une mobilisation réelle. Ils auraient peut-être permis de montrer qu'on manquait d'acteurs de terrain, sur le plan tant administratif que strictement opérationnel.
Enfin, concernant le périmètre budgétaire, il faut rappeler que les annonces initiales dépassaient largement ce qui a été effectivement dépensé. On peut peut-être s'en féliciter. En attendant, les mutuelles et le système assuranciel ont-ils versé la contribution qui leur avait été demandée, soit 300 millions ? Est-il prévu qu'ils soient remboursés, à hauteur du coût réel de la vaccination ?
L'objectif du Gouvernement n'était pas de vacciner massivement, mais de faire en sorte qu'il y ait le moins de morts possibles : c'est à cela que devait se mesurer le succès de son action. Un des moyens envisagés était de proposer la vaccination ; elle n'a pas été acceptée par une grande majorité de la population.
Pourquoi nous avoir répondu que la décision du Gouvernement de commander ces 94 millions de doses, compte tenu de sa position de faiblesse face aux laboratoires, avait été dictée par le taux d'attaque du virus et non la mortalité ? On savait depuis début mai que le virus présentait peu de dangerosité. Certes, l'information n'a pas été communiquée, mais tous les virologues la connaissaient : ils nous l'ont dit. Ce n'est donc pas, contrairement à ce que vous avez répondu à l'instant, la peur d'une mortalité importante qui a présidé à la décision de commander les vaccins, même si on craignait une mutation éventuelle du virus – qui peut d'ailleurs concerner toute forme de virus –, mais bien le taux d'attaque. Il y a donc une contradiction entre vos deux réponses.
La dangerosité se traduisant par un nombre de surdécès en valeur absolue, il n'y a pas contradiction si on prend en compte les deux aspects du problème.
Le premier est la virulence intrinsèque du virus. C'est ainsi que le virus Ébola est considéré comme très dangereux parce que très virulent : il tue huit malades sur dix, mais il ne touche pas un grand nombre de personnes. En revanche – c'est le second aspect du problème –, un virus dix fois moins virulent peut toucher dix fois plus de personnes. Au bout du compte, la mortalité sera la même. La question de la dangerosité doit donc être traitée à travers ces deux prismes. Ce n'est donc pas parce qu'au mois de mai nous étions un peu rassurés sur la dangerosité en matière de virulence, que nous l'étions sur la dangerosité du virus d'un point de vue général. L'objectif était donc bien d'éviter un nombre important de décès liés à la propagation très importante du virus au sein de la population.
Certes, mais tous les épidémiologistes et, plus généralement, tous les scientifiques que nous avons auditionnés, dont certains étaient consultés par Mme la ministre de la santé et des sports et par vous-même – je pense notamment au professeur Claude Hannoun –, nous ont clairement indiqué le peu d'efficacité d'une telle vaccination. Le Haut conseil de la santé publique, dans son avis du 26 juin, précise même que « la mise en place d'une vaccination au-delà de trente jours suivant le début de la circulation active du nouveau virus A(H1N1) en France aurait un impact très limité sur l'évolution de la vague pandémique en cours en France, quelle que soit la population ciblée ». Cela signifie qu'à partir du moment où le virus se propageait, la vaccination, générale ou ciblée – on nous a affirmé qu'il eût été préférable qu'elle fût ciblée, contrairement à ce que vous nous avez dit sur le débrayage –, n'avait pas d'effet sur l'étendue de la propagation et donc, pour reprendre votre analyse, sur la dangerosité et la mortalité liées à cette propagation. Il y a donc bien contradiction.
Le document précise un peu plus loin que cela ne retire en rien l'intérêt de la protection sur le plan individuel.
Le haut conseil, qui a rendu deux avis similaires, les 26 juin et 8 juillet 2009, n'a pas vocation à affirmer que la vaccination ne présente aucun intérêt. En règle générale, on en retire toujours un bénéfice individuel.
Toutefois, lorsqu'on lance une campagne de vaccination pour 47 millions de Français, on ne poursuit pas le seul bénéfice individuel : on cherche sinon à « casser », du moins à freiner la pandémie.
Vous avez prétendu que le Haut conseil de la santé publique avait recommandé le lancement de la vaccination : son avis est plus modéré. M. Roger Salamon, son président, a même estimé qu'il y avait eu, de la part des autorités, une volonté excessive de faire la publicité de la pandémie et du vaccin.
Les boîtes à outils, pour reprendre votre expression, ont-elles été réellement adaptées à la réalité de la pandémie ? Si l'information sur sa faible mortalité n'a pas été communiquée à la population, celle-ci s'en est toutefois rendue compte par elle-même et a fini par en tirer les conséquences en n'allant plus se faire vacciner. Quant à la propagation du virus, pour importante qu'elle ait été, on n'est pas en mesure de l'estimer. Le seul point qui n'ait jamais varié, c'est la campagne générale de vaccination qui a été conduite jusqu'à son terme, en janvier, alors que les centres, courant décembre, étaient déjà relativement vides. Un tel manque d'adaptation m'étonne.
J'ai déjà évoqué les mesures qu'on envisageait de prendre pour freiner, voire pour ne pas lancer la campagne.
Ou pour la lancer de façon ciblée sur 10 millions de personnes – les groupes prioritaires –, ce qui, de l'avis des scientifiques que nous avons auditionnés, était l'option la plus raisonnable.
A posteriori, oui.
Ils le disaient dès cette époque.
Le plan de lutte contre la pandémie aviaire, dont M. Jean-Pierre Door a eu à s'occuper en tant que rapporteur d'une mission d'information, ciblait déjà 30 % de la population. La lecture des comptes rendus du Comité de lutte contre la grippe nous permet de constater que, dès l'origine, on a évoqué la possibilité d'une immunité croisée chez les plus de soixante-cinq ans. De même, on a commencé à se douter qu'une seule injection pourrait suffire, du fait qu'il s'agissait d'un virus A(H1N1) dont on avait l'expérience, et non d'un virus A(H5N1). De plus, le choix que vous avez fait, qui était de permettre à tous les Français qui le souhaitaient d'être vaccinés, pouvait être modulé en fonction de cette incertitude. Il semble, en fait, que le Comité de lutte contre la grippe vous ait recommandé le 10 mai jusqu'à l'acquisition de 108 millions de doses, en se contentant de faire un « copier-coller » des recommandations relatives à la grippe A(H5N1). Le 11 mai, vous avez fait parvenir cet avis, présenté en toute sincérité comme celui des experts, à la ministre de la santé et des sports, alors même que GSK « mettait la pression » en déclarant que toute commande passée après le 12 mai ne pourrait pas être honorée. La ministre a transmis l'information au Premier ministre qui a donné l'ordre de passer commande et engagé, dès le 14 mai, 75 millions d'euros pour une préréservation, auprès de GSK, de 50 millions de doses.
D'un point de vue épidémiologique, on s'est vite aperçu que l'objectif d'arrêter l'épidémie grâce à un nombre suffisant de vaccinations, avant la montée de la vague, serait inaccessible. Il n'en fallait pas moins, sans intention d'arrêter l'épidémie, nous donner la possibilité de proposer la vaccination à ceux qui désiraient éviter d'attraper la maladie. Du reste, les chiffres de la mortalité montrent que, dans 15 % à 20 % des cas, les personnes décédées ne présentaient aucun facteur de risque. Telle est l'option qui a été prise : avoir la possibilité de proposer le vaccin également aux personnes ne présentant aucun facteur particulier de risque, afin de limiter autant que possible le risque de mortalité.
S'agissant du sujet de l'obligation vaccinale, évoqué par Mme Catherine Génisson, il est vrai qu'il peut paraître contradictoire que le Gouvernement propose sans obliger. Je vous renvoie à l'article du New England journal of medicine sur les aspects légaux d'une telle obligation : les États-Unis ont essayé de mettre en place l'obligation vaccinale dans l'État de New York et dans un système d'hospitalisation privé. Ils ont eu à faire face immédiatement à des actions en justice en raison des incertitudes pesant sur l'innocuité des vaccins.
Après s'être posé la question de l'obligation vaccinale, le Gouvernement a pris la décision politique importante de ne pas imposer la vaccination. Du reste, il aurait fallu assortir cette obligation de mesures de coercition, ce qui est peu réaliste.
Il est légitime qu'un gouvernement refuse qu'un citoyen puisse un jour lui reprocher de n'avoir pas eu la possibilité de se faire vacciner : cela ne justifie pas pour autant, en termes de santé publique, toute l'organisation qui a été mise en place, visant à faire face à une pandémie mortelle. Je le répète : les outils employés n'étaient pas adaptés. Était-il cohérent de décider de lancer une campagne de vaccination générale, ouverte en premier lieu à un public prioritaire, de se rendre compte que les vaccins ne pourraient pas arriver à temps, puis d'assister à une baisse générale de l'intention vaccinale, sans en tirer toutes les conséquences ? Du reste, les centres devaient à l'origine n'accueillir que les groupes prioritaires, puis, faute de public, ils se sont mis à vacciner tous ceux qui se présentaient. Lorsque l'affluence s'est accrue à partir du 20 novembre, l'ordre a été de nouveau donné de ne plus accepter que les porteurs de bon : il n'a pas pu être exécuté, du fait que l'habitude inverse avait été prise.
Le principal défaut du plan est de ne pas avoir pris en compte la réaction de la population. Il aurait fallu lui dire beaucoup plus tôt la vérité. Or je ne me rappelle pas avoir entendu les autorités, notamment scientifiques, déclarer que le virus n'était pas aussi mortel qu'on l'avait cru après son apparition au Mexique. Pourquoi ne pas avoir repris le mode de communication employé pour la grippe saisonnière puisqu'il donnait toute satisfaction ? La priorité aurait été donnée à certains publics mais il aurait été précisé à l'ensemble de la population qu'elle pouvait se faire vacciner ailleurs que dans les centres car on avait observé des décès touchant des personnes ne présentant aucun facteur de risque. S'agissant de la grippe A(H1N1), leur nombre n'a pas, du reste, été très important, même s'il a légitimement inquiété.
De plus, pourquoi les médecins libéraux n'ont-ils pas été impliqués plus tôt dans le système ? Les raisons invoquées en termes de conservation des doses dans les réfrigérateurs sont surréalistes. Du reste, les médecins libéraux allemands et italiens ont su regrouper les patients pour les vacciner.
Novartis a livré 250 000 doses le 12 novembre. Fin novembre, nous disposions de 1,980 million doses individuelles. Pourquoi ne pas les répartir entre les pharmacies pour les mettre à la disposition des personnes désireuses de se faire vacciner, puisqu'on n'observait pas de ruée dans les centres de vaccination ? Était-ce donc impossible sur le plan logistique ? Dans ces conditions, pourquoi a-t-on attendu de disposer de 5 millions de doses en janvier pour procéder de la sorte ?
Mme Catherine Génisson a évoqué le rôle de l'ordre des médecins : son avis n'a peut-être pas été suivi, mais il a clairement pris position en faveur de la vaccination.
En ce qui concerne le périmètre budgétaire de l'opération et la participation des mutuelles, je vous transmettrai l'information ultérieurement.
M. Gérard Bapt a affirmé que, dès l'origine, on se doutait qu'une dose pourrait suffire. Il est important de savoir que cette éventualité n'est apparue que tardivement, à partir du mois de septembre, et n'a été confirmée qu'en novembre.
Une des leçons importantes à tirer des événements, c'est qu'il faut effectivement tenir compte de la perception du risque par la population. Recourir à des sondages demande un certain délai de mise en oeuvre. La capacité de mesurer la réaction de la population devrait être davantage prise en considération dans la gestion des crises. En revanche, je ne pense pas qu'il aurait été possible de passer d'un dispositif logistique tourné vers l'alimentation des centres de vaccination à un dispositif orienté vers les 23 000 pharmacies, même s'il s'agissait de vaccins conditionnés en monodoses. M. Thierry Gentilhomme, que vous avez auditionné, a souligné les problèmes logistiques qui se posent dans un contexte de gestion de crise. Toutes les adaptations n'étaient pas techniquement réalisables. Celles concernant les femmes enceintes ou les personnes atteintes du VIH ont été les plus difficiles à mettre en oeuvre : il fallait en effet offrir à ces deux publics la possibilité de se faire vacciner dans les meilleures conditions.
La distribution en pharmacie de 2 millions de monodoses ne me paraît pas poser des problèmes logistiques aussi considérables que vous le prétendez ! Les représentants des centrales d'achat nous ont expliqué que les répartiteurs pharmaceutiques savaient le faire. On aurait pu, dès la fin du mois de novembre, associer les médecins libéraux au dispositif sans fermer les centres de vaccination. Je le répète : pourquoi attendre le 4 janvier, à savoir la fin de la campagne, pour répartir les doses en pharmacie, quand leur nombre s'élevait alors à 5 millions ?
Je tiens à souligner que 16 000 personnes se sont fait vacciner dans le secteur libéral depuis le 4 janvier.
C'est peu au regard du nombre de doses individuelles dont nous disposions depuis fin novembre : 2 millions. On a fourni ces doses individuelles au secteur libéral avec au moins un mois de retard. Le faire plus tôt aurait permis de mieux associer les professionnels de santé. C'est d'autant plus incompréhensible que se posait la question des personnes isolées ne pouvant se déplacer – les élus locaux étaient interpellés à ce sujet.
Cette question exige des éléments d'analyse plus précis que ceux que je pourrais vous fournir ce matin. Je vous les transmettrai après les avoir rassemblés. J'ignore s'il était possible fin novembre de modifier le dispositif de distribution des doses afin d'en faire profiter les pharmacies.
Il s'agissait de faire fonctionner en parallèle un second dispositif de distribution.
Je rappelle les chiffres. Nous disposions le 12 novembre de 250 000 monodoses, le 19 novembre, de 1,784 million et, fin décembre, de 2,3 millions. Il y avait là une capacité considérable de démultiplication de la vaccination, alors que seuls 6 millions de personnes ont été vaccinés.
La circulaire du 21 août 2009 indiquait aux préfets et aux directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales : « Vous informerez la population sur les modalités de préparation de la campagne à la fin du mois de septembre, par une communication systématique dans la presse locale » : était-ce là le meilleur vecteur, alors que, chacun le sait, dans la presse locale, l'information officielle ne pouvait qu'être précédée et suivie d'articles la contredisant ?
Pour expliquer la baisse d'adhésion de nos concitoyens à une éventuelle campagne de vaccination, vous avez évoqué les déclarations des professionnels de santé. Il ne faut pas oublier que les parents, après avoir été avertis durant tout l'été que les enfants étaient des facteurs de contamination 4 – ce qui est vrai –, s'attendaient début septembre à devoir les garder à la maison seulement quelques jours après la rentrée scolaire. Or il ne s'est rien passé, en dehors de quelques manques de postes de professeurs dans les classes. Du reste, la lecture de cette même circulaire du 21 août relativise l'argument généralement invoqué sur les conséquences qu'auraient eu sur le taux de vaccination les informations véhiculées par des sectes antivaccinales concernant les effets négatifs des vaccins. La circulaire précisait en effet : « Les vaccins qui seront utilisés sont des produits nouveaux, les laboratoires ayant dû attendre, pour se lancer dans le processus, la mise à disposition des souches du nouveau virus au niveau mondial » : il s'agissait donc bien d'un produit nouveau dont le développement serait très rapide. Elle ajoutait : « Les premières autorisations de mise sur le marché pourraient être délivrées en septembre, mais le périmètre exact de ces autorisations n'est pas connu. En particulier, la question de l'inclusion des enfants et adolescents de moins de dix-huit ans reste ouverte » : faut-il rappeler que nous n'étions alors qu'à un mois et demi du lancement de la campagne ? Elle poursuivait : « Il n'est également pas exclu que le champ de l'autorisation de mise sur le marché diffère d'un vaccin à l'autre ». Les raisons de douter étaient données à la population dans la circulaire du 21 août 2009 par la cellule interministérielle de crise elle-même. Il n'est pas besoin de stigmatiser les infirmières, les médecins ou les sectes anti-vaccinales !
Cette même circulaire précisait que « pour une vaccination de masse, avec un vaccin nouveau, les exigences de la pharmacovigilance sont majeures » : quelles sont aujourd'hui, monsieur Didier Houssin, les exigences de la pharmacovigilance concernant les quatre vaccins ? Je ne cherche pas à entretenir la peur de nos concitoyens, mais à faire en sorte qu'en cas de nouvelle pandémie, on ne se retrouve pas, comme hier, à devoir supporter des discours stériles visant à stigmatiser les uns ou les autres, parce que les études de pharmaco-épidémiologie n'auront pas été suffisamment sérieuses pour écarter ou confirmer les doutes. Des études très sérieuses sont actuellement conduites en Grande-Bretagne sur les séroconversions et la séropositivité des différents vaccins, en particulier chez les enfants qui constituent la population la plus problématique en matière de réactions, en ce qui concerne les aspects réactogènes et immunogènes de deux vaccins. Nous devons faire preuve de la même pharmacovigilance. Je serai, monsieur Didier Houssin, exigeante au nom de mon groupe quant au suivi de cette pharmacovigilance post-vaccinale.
M. Gérard Bapt m'a fait passer, à l'instant, un document de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé faisant état de décès intervenus après la vaccination, sans qu'on puisse aujourd'hui affirmer qu'ils ont été causés par le vaccin. Menons les études nécessaires pour avoir un recul statistique suffisant, à défaut de disposer de liens scientifiques avérés. Lien statistique et lien scientifique sont du reste indissociables.
La même circulaire précisait : « Enfin, la traçabilité individuelle sera également utilisée pour assurer un suivi du taux de couverture de la population par l'Institut de veille sanitaire ». Je ne reviendrai pas sur les questions soulevées par mes collègues sur les populations prioritaires. Connaît-on aujourd'hui le nombre de personnes prioritaires qui ont été vaccinées ? Hier, lors des auditions, nous avons entendu des chiffres quelque peu différents, du fait que certaines personnes se rendaient dans les centres munies de bons et d'autres pas, ce qui interdit toute coordination avec les caisses de référence, seul moyen d'identifier le peu de monde qui a été vacciné.
Par ailleurs, ne croyez-vous pas que les pays ont agi concurremment en dépit de l'existence de l'Organisation mondiale de la santé, une organisation internationale censée coordonner les politiques internationales de santé publique ? Une fois que le constat a été établi, la loi du marché n'a-t-elle pas prévalu, chaque pays se battant dès le mois de juillet pour avoir le plus grand nombre de vaccins possible ? Ne faudrait-il pas, au moins au sein de l'Union européenne, coordonner les stratégies afin de ne pas entrer en concurrence commerciale en matière de santé publique, ce qui me semble particulièrement inadmissible ?
En outre, vous avez déclaré au Sénat, lorsque vous avez été auditionné par M. François Autain, que, le 3 juillet, le Premier ministre avait acté la commande de 94 millions de doses : lors d'une prochaine pandémie, pourrait-on consulter les sociétés savantes, notamment l'Académie nationale de médecine ? Elle a souligné dans un communiqué, le mardi 23 février 2010, que « le choix entre une vaccination de masse et une vaccination ciblée pour les personnes à risque n'a pas fait l'objet d'un débat préalable. L'acquisition des vaccins aurait dû se faire par étapes en fonction de l'évolution de la pandémie au sein de la population générale […]. La décision d'une vaccination de masse aurait dû être expliquée et justifiée ». C'est une nouvelle preuve de l'absence d'adaptation.
Enfin, confirmez-vous que, pour la prochaine campagne de grippe saisonnière qui commencera en octobre 2010, les personnes auront le choix entre un vaccin monovalent, qui contiendra la valence H1N1, et un vaccin trivalent, sur le modèle des vaccins saisonniers habituels, qui contiendra lui aussi la valence H1N1 ? Un tel choix sera-t-il cohérent avec le fait que les plus de soixante-cinq ans ont été écartés de la vaccination massive contre la grippe A(H1N1) en raison d'une supposition d'immunité croisée et que ce sont ces mêmes personnes qui sont visées par le vaccin de la grippe saisonnière ? N'y aurait-il pas là une contradiction ?
La circulaire que vous avez évoquée avait pour objet de préparer l'organisation de la campagne : elle était donc destinée principalement aux préfets. Les informations sur les vaccins qui y figurent sont celles qui étaient disponibles à cette époque-là. Affirmer qu'il s'agit de « produits nouveaux », c'était traduire simplement la réalité : cela ne signifiait pas qu'ils étaient dangereux. Le glissement de sens me paraît excessif. En ce qui concerne le périmètre, souligner qu'il n'était pas exactement connu parce que les autorisations de mise sur le marché n'avaient pas encore été délivrées revenait, de nouveau, à dire seulement la vérité. Aurait-on dû affirmer autre chose dans la circulaire, au risque d'être accusé de cacher la vérité ?
Il convient par ailleurs de distinguer la pharmacovigilance de l'étude de l'efficacité vaccinale. Vous avez auditionné M. Jean Marimbert, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé : vous savez que la France a tout fait pour parer la crainte liée à l'utilisation d'un vaccin nouveau, notamment par le biais d'un plan renforcé de pharmacovigilance. Pour la première fois, on a donné la possibilité à d'autres personnes que des professionnels de santé, notamment à des personnes vaccinées, de faire part directement de leurs troubles ; des études de cas témoins pharmaco-épidémiologiques ont été mises en place ; on a surveillé très précisément des éléments particuliers comme l'apparition du syndrome de Guillain-Barré. L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a fait toutes les semaines un point de pharmacovigilance concernant la vaccination et les antiviraux – la France a été le seul pays à procéder de la sorte. Les études se poursuivent. Le dernier point de pharmacovigilance de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé est disponible sur son site et M. Jean Marimbert a fait récemment un point presse sur le sujet.
Les études de mesure de l'efficacité du vaccin visent, quant à elles, à établir nos connaissances en termes de séroconversion. Vous avez évoqué les études réalisées par les Britanniques : l'Institut de veille sanitaire pourrait vous donner des informations sur les études qui sont réalisées en France, notamment dans le cadre de I-MOVE, une étude menée par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, qui tente d'évaluer l'efficacité vaccinale.
Des éléments convergents, qui s'appuient sur différentes méthodes de mesure de l'efficacité, laissent actuellement penser que les vaccins ont été d'une efficacité voisine de celle qui est observée pour ceux contre la grippe saisonnière – 70 %.
En ce qui concerne la traçabilité, la Commission nationale de l'informatique et des libertés ne nous a pas permis d'accéder à certaines informations concernant les populations prioritaires. Toutefois, l'étude des bons anonymisés qui ont été recueillis par l'Institut de veille sanitaire nous donnera assez rapidement une idée de la couverture vaccinale en fonction des catégories.
Les professionnels de santé font partie de ceux qui se sont fait le plus vacciner, avec les femmes enceintes et l'entourage des jeunes enfants, même si le taux reste faible par rapport à ce qu'il était possible d'espérer. Les populations prioritaires sont donc celles qui ont été les plus vaccinées. Il existe par ailleurs des différences de couverture vaccinale entre les régions : c'est en Bretagne, en Corse et en Champagne qu'on s'est fait le plus vacciner, et en Languedoc-Roussillon le moins vacciner.
En ce qui concerne la concurrence entre les pays, je tiens à rappeler que l'Organisation mondiale de la santé n'est pas un gouvernement sanitaire mondial. C'est un organisme qui produit des normes, qui donne des informations et qui fait des recommandations. Il n'a aucun pouvoir de coordination.
Sur le plan européen, les compétences sanitaires sont principalement du ressort des États, sous réserve de quelques exceptions. Il appartient au politique d'en juger. En matière de sécurité et de menaces sanitaires, on a effectivement besoin d'un renforcement de l'Europe. C'est un point sur lequel Mme la ministre de la santé et des sports a insisté au cours de la présidence française : à l'époque, elle a tenu à mettre l'accent sur le thème de la sécurité sanitaire. Le séminaire « Eurogrippe », destiné à renforcer le niveau européen en matière de préparation aux épidémies, s'est tenu, à point nommé, en septembre 2008 et a donné lieu à une résolution très utile, notamment pour le fonctionnement du comité de sécurité sanitaire.
En ce qui concerne l'avis de l'Académie nationale de médecine de février 2010, je ne reviendrai pas sur les contraintes qui se sont exercées sur les pouvoirs publics en matière d'acquisition des vaccins. De manière générale, il convient d'arriver en même temps à gérer la crise et à organiser le débat public. C'est un enjeu crucial pour notre société. La gestion de crise est tournée vers l'action qui, si j'utilise une comparaison appartenant à la physiologie du mouvement, ferme l'horizon et oriente vers le but. Il n'est donc pas facile d'organiser des débats à la marge.
Enfin, un avis du Haut conseil de la santé publique recommande la vaccination contre la grippe saisonnière des personnes comprises dans la cible habituelle – personnes de plus soixante-cinq ans et malades atteints d'affections de longue durée – avec le vaccin trivalent qui sera produit, lequel comportera en effet la valence H1N1California qui circule actuellement. Il recommande également l'élargissement de la cible aux personnes jugées les plus à risque vis-à-vis de cette valence : les femmes enceintes, l'entourage des nourrissons et les personnes obèses. Il n'a pas encore recommandé la vaccination des personnes ne présentant pas de facteurs de risque. Toutefois, dans la mesure où on ignore le tour que prendront les événements, ces recommandations seront susceptibles d'évoluer. Nous sommes prêts, en cas de nécessité, à recourir à notre stock de vaccin A(H1N1) monovalent, dans l'éventualité, plausible, d'un nombre insuffisant de doses de vaccin trivalent saisonnier. Nous nous préparons à toute éventualité : mettre en place le dispositif de vaccination contre la grippe saisonnière selon le schéma habituel, avec les bons de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, tout en travaillant avec elle à l'élargissement du dispositif à certaines populations. Si nous devons utiliser les vaccins monovalents, il conviendra d'associer de manière plus sereine les professionnels de santé et de trouver des modes d'organisation permettant d'utiliser, le cas échéant, des vaccins multidoses. Ce travail a également été lancé.
Sur les 10 millions de doses de vaccin qui seront encore valables à la fin de l'année, quelle est la répartition entre les monodoses et les multidoses ?
Il me faut vérifier les chiffres, car ceux-ci doivent prendre en compte la date de péremption. Je crains qu'il ne nous reste pas beaucoup de monodoses.
Nous avons bien compris que la gestion de l'épidémie a été transversale. Nous n'avons pas manqué, sinon de bras, du moins d'écrivains pour publier des notes aussi diverses que variées, comme en ont témoigné les préfets, les représentants de l'éducation nationale, les médecins libéraux ou les pharmaciens. Quelle conclusion en avez-vous tiré en matière de communication ? En effet, les populations défavorisées n'ont pas été touchées – peut-être les médias ont-ils semé le trouble – et on a alimenté les inquiétudes des populations plus averties – il suffisait de se rendre dans les centres de vaccination pour s'en rendre compte. Conviendrait-il d'utiliser le réseau habituel de proximité, comme vous l'avez suggéré à l'instant ? Est-il normal que les médecins aient reçu des notes provenant d'un peu partout ?
Une réflexion est-elle menée afin de prévoir, demain, une communication plus pointue à l'égard des professionnels et plus simple et fiable en direction de l'ensemble de la population ?
Pour compléter la question de Mme Marie-Louise Fort, je souhaite savoir si la répartition des tâches entre le ministère de l'intérieur et celui de la santé a été satisfaisante. Ne conviendrait-il pas plutôt de renforcer la cellule interministérielle de crise en y intégrant une mission de veille sur les réseaux sociaux et professionnels, comme l'a fait le Centre de prévention et de contrôle des maladies d'Atlanta ? Il me semble que vous souhaitez vous-même un tel renforcement de la cellule de crise.
Un effort a été fait en direction des populations défavorisées, notamment sans domicile fixe, afin qu'elles puissent accéder, sans bon, à la vaccination. Des instructions ont été données et des équipes mobiles ont été créées. Il n'en reste pas moins que la couverture des quartiers défavorisés a été deux fois plus faible que celle des autres quartiers, ce qui pose le problème général de l'inégalité d'accès non seulement aux soins, mais également à la prévention, que nous avons déjà constaté dans le domaine sanitaire à de nombreuses occasions. Cette inégalité peut provenir d'un manque d'information ou de compréhension, notamment en raison de l'emploi d'un langage inadéquat. Le développement d'une action de prévention qui ne creuserait pas les inégalités est un véritable enjeu pour les années à venir.
Nous avons identifié la production de quelque trois cents textes durant la période visée : votre analyse est donc exacte. Il convenait toutefois de s'adapter à l'évolution de la situation, ce qui entraînait la modification de notre message et donc l'envoi de nouvelles notes. Nous devions également réagir rapidement aux dysfonctionnements des centres de vaccination qu'un dispositif d'analyse nous permettait de déceler. On peut difficilement nous demander d'être vigilants et réactifs et nous reprocher d'avoir produit des messages correctifs.
Il n'en reste pas moins vrai que nous rencontrons des difficultés à nous adresser à certains relais, notamment aux médecins. Nous avons beau nous adresser aux syndicats, aux unions régionales des professionnels de santé ou à l'ordre, nous ne sommes pas certains que le relais se fasse. Quant aux dispositifs directs, comme DGS-urgent, ils ont leurs limites : les médecins ne sont pas en permanence en train de consulter leur ordinateur. Ce problème est lié au manque de structuration des soins de premier secours dans notre pays. Nous avons moins de difficulté pour nous adresser aux établissements de santé qui ont un dispositif de relais de l'information.
S'agissant de la cellule interministérielle de crise, nous avons eu trop tendance à considérer que la communication venait après la décision, ce que traduisait le fonctionnement de la cellule : analyse de la situation sanitaire et de ses évolutions et prise des décisions en premier lieu, la communication n'intervenant que comme la conséquence de celle-ci. Une des leçons très importantes à tirer des événements devrait nous conduire à intégrer beaucoup plus tôt la communication dans le processus de décision. Le livre de M. Dominique Wolton, Informer n'est pas communiquer est très éclairant sur ce point. Des dispositifs permettant de mesurer la perception du risque par la population ou l'état d'esprit d'un corps professionnel doivent être intégrés, comme relevant des sciences de la communication, en amont de la prise de décision comme autant d'éléments appelés à la réguler.
Ne pensez-vous pas que le débat public a eu lieu de toute façon sur internet, un champ qui a été évacué ? De plus, pourquoi l'Académie nationale de médecine n'a-t-elle jamais été consultée alors que, dans l'esprit des Français, elle serait le lieu naturel de ce débat ? Son intervention aurait du reste permis de hiérarchiser dans leur esprit la multiplicité des autorités qui sont intervenues sur le sujet. Enfin, les positions des instances d'expertise nationale, notamment celle du Comité de lutte contre la grippe, ne devraient-elles pas être rendues publiques dans ce type de crise ? Pourquoi ne le sont-elles pas ?
Le rôle de l'État vis-à-vis d'internet pose un problème en démocratie. Des fonctionnaires peuvent-ils intervenir sur la toile et doivent-ils le faire de manière anonyme ou non ?
Tout le monde étant anonyme sur internet, on peut intervenir sous le couvert de l'administration.
Vous avez raison : pour cette crise et pour d'autres crises, la question de l'action de l'État sur internet doit être précisée. L'État a tendance aujourd'hui à se contenter d'informer au travers de sites sans aller jusqu'à argumenter. C'est un débat essentiel, qui pose des enjeux politiques et éthiques majeurs. Il convient de réfléchir aux modalités d'une telle intervention.
C'est vrai que l'Académie nationale de médecine, héritière principalement de l'Académie royale de chirurgie et de la Société royale de médecine, a été durant plusieurs siècles l'organe d'expertise des sociétés. Au fil du temps, en raison de la complexification et de la spécialisation des sciences, les organismes d'expertise sont devenus les références. L'Académie nationale de médecine continue de jouer un rôle : nous l'interrogeons sur certains sujets, sans pour autant lui demander systématiquement son avis sur la gestion de toutes les crises. Ce point mériterait d'être étudié.
Je le répète : dans l'esprit des Français, l'Académie nationale de médecine, en raison même de son ancienneté, a, pour engager un débat public, une autorité supérieure à celle de personnes récemment auditionnées qui s'autoproclament experts. Elle permettrait de rétablir une hiérarchie dans le débat.
J'entends le message, monsieur le président.
Le Comité de lutte contre la grippe est, quant à lui, un comité technique qui, dans notre esprit, avait pour fonction de préparer, notamment dans le domaine de la vaccination, les avis du Comité de lutte contre la grippe, auxquels, il est vrai, nous avons tardé à donner toute la publicité nécessaire. Nous devons nous interroger – la question a été posée au Sénat – sur l'avenir de ce comité : doit-il subsister en l'état ou être rattaché au haut conseil ?
La transparence est nécessaire. En effet, à vouloir maîtriser l'information, on finit par favoriser la désinformation.
Les médecins se sont plaints de devoir chercher l'information eux-mêmes, ce qui n'est pas normal. Or, comme vous l'avez vous-même souligné, il n'existe aujourd'hui aucun système permettant de prendre contact avec eux. Pourquoi n'impose-t-on pas à un médecin qui s'installe – bien qu'il relève d'une profession libérale, il est affilié à la Sécurité sociale et il est inscrit à un ordre – d'avoir une adresse électronique permettant à la direction générale de la santé de le joindre en permanence ? Ce serait une obligation simple et peu coûteuse à mettre en oeuvre, mais nécessaire. C'est avec effarement que j'ai découvert que l'État ne pouvait pas contacter, en cas de besoin, les médecins ni les infirmiers, qui relèvent eux aussi d'un ordre.
Cette idée me paraît excellente. Lorsque nous avons demandé aux médecins de nous indiquer la façon dont ils souhaitaient être informés, beaucoup nous ont répondu qu'ils voulaient que le ministère de la santé mette en place un site dédié, ce que nous avons fait. Pouvoir disposer, pour chaque médecin, d'une adresse électronique afin de lui envoyer des messages, sans qu'il ait à faire volontairement la démarche de s'abonner, même s'il est vrai que DGS-urgent ne coûte rien, serait une évolution tout à fait souhaitable.
Je poserai également la question au ministre de l'éducation nationale : est-il vrai que les équipes mobiles, dans les établissements scolaires, ne vaccinaient pas les enseignants en même temps que les élèves ? Si oui, cela vous paraît-il logique ?
C'est l'option qui avait été retenue, en application, il est vrai un peu systématique, de la décision qui avait été prise à l'origine pour la vaccination des populations prioritaires. À l'expérience, il se révèle très difficile de dissocier une population prioritaire de ceux qui en ont la charge. Le problème se posait également pour les détenus.
On a, de la même façon, fini par vacciner l'entourage du personnel hospitalier.
Le professeur Antoine Flahault, directeur de l'École des hautes études en santé publique, nous a affirmé qu'on fait face, dans cette affaire, à des années d'incurie sur les études de vaccination, si bien qu'on ne sait pas démontrer la nécessité ou l'efficacité des vaccinations, même en milieu médical. La vaccination contre la grippe saisonnière toucherait également un nombre insuffisant de Français, pour des raisons financières, puisqu'on ne cesse de restreindre le public remboursé. C'est donc manifestement une affaire d'argent, alors même qu'on vient d'en dépenser largement dans la gestion de la grippe A(H1N1).
Nous nous retrouvons donc dans la situation suivante : d'une part, l'efficacité de la vaccination en cas d'épidémie ou de pandémie n'est pas démontrée en matière de santé publique – j'écarte le bénéfice qu'on en retire en termes de protection individuelle –, c'est pourquoi le professeur Antoine Flahault pense qu'il serait temps de procéder aux études nécessaires ; d'autre part, certains nous ont affirmé que si, en France, comme c'est le cas aux États-Unis, la vaccination contre la grippe saisonnière touchait un public beaucoup plus large, on gagnerait en efficacité en cas de pandémie grippale dangereuse, d'autant qu'on a cherché à vacciner un public a priori moins intéressé puisqu'il n'était pas habituellement sollicité pour la vaccination contre la grippe saisonnière.
De manière générale, il est toujours très difficile de démontrer l'efficacité des mesures de prévention. En effet, comme il s'agit de prévenir un événement, on ne peut jamais affirmer de façon objective que si l'événement ne s'est pas produit, c'est grâce à l'action qui a été menée, que ce soit en matière de vaccination ou dans d'autres domaines.
Des arguments convergents peuvent suggérer une efficacité vaccinale, ne serait-ce qu'à travers les études de séroconversion ; il ne s'agit toutefois que d'un indicateur. La démonstration de l'efficacité des campagnes de vaccination exige donc des études très précises sur des populations très larges, ce qui suppose de pouvoir recueillir des données en grand nombre. La vaccination est toutefois très utile sur le plan sanitaire comme sur le plan économique, puisqu'elle permet de réduire l'absentéisme. De ce point de vue, il y a avantage à vacciner. C'est probablement en termes de vaccination que la prévention se révèle la plus efficace.
S'agissant de la cible touchée par la vaccination contre la grippe saisonnière, des différences existent entre les pays. La France, après avis des experts, a déterminé une cible relativement limitée : les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans, les malades atteints d'affections de longue durée et les très jeunes enfants présentant des facteurs de risque parce qu'il s'agit de populations chez lesquelles les conséquences les plus sévères de la grippe saisonnière ont été identifiées. Nous avons donc tendance à proposer la vaccination à ceux qui nous semblent les plus menacés. Dans ce contexte, la couverture vaccinale est, en France, une des plus élevées d'Europe – de 65 % à 70 %, alors que le taux fixé par l'Organisation mondiale de la santé tourne autour de 75 %. Ce sont les Hollandais qui ont la couverture vaccinale la plus importante. Chaque année, nous menons un travail de conviction et d'information avec l'assurance maladie, travail pour lequel, cette année, nous redoublerons d'effort.
Il est vrai qu'aux États-Unis la cible de la vaccination contre la grippe saisonnière est plus large et concerne davantage les enfants. Il s'agit du reste souvent d'initiatives individuelles. Désormais nous nous poserons, chaque année, la question de l'élargissement de cette cible, notamment aux enfants.
Les représentants des laboratoires nous ont affirmé qu'en matière de vaccins monodoses ou multidoses ils ne rencontraient pas tant des difficultés de production que de remplissage. Une réflexion a-t-elle été lancée, sur le plan national ou européen, pour améliorer la situation en la matière ?
J'étais présent hier au comité de sécurité sanitaire européen : nous avons évoqué cette question. Un des facteurs limitant les délais de livraison consiste non dans la production, mais dans la mise en flacon, les monodoses accroissant encore les difficultés. Dès le mois de mai, les industriels avaient clairement identifié les limites tenant aux capacités des sociétés de façonnage, lesquelles doivent, du reste, remplir des critères très stricts de qualité. C'est la raison pour laquelle, à partir du mois de septembre, les fabricants de vaccins ont déposé progressivement des demandes d'autorisation de mise sur le marché parce qu'ils tentaient d'élargir leur capacité de façonnage et introduisaient dans le dispositif de nouveaux acteurs, y compris en France.
Dans les études que nous lancerons sur la révision des stratégies de vaccination contre la grippe, notamment en situation de pandémie, la question des capacités de façonnage sera sûrement évoquée.
Lors de son audition, le professeur Pierre Bégué, membre de l'Académie nationale de médecine, a regretté qu'on forme de moins en moins les médecins à la vaccination. Entreprendrez-vous des actions pour corriger cet état de fait ?
Par ailleurs, pourquoi les centres de protection maternelle et infantile n'ont-ils pas été sollicités pour la vaccination, alors que – je le dis en tant que député élu en Seine-Saint-Denis – ce sont les populations fragilisées qui les fréquentent ?
La direction générale de la santé a lancé depuis plusieurs mois une étude sur un projet intitulé « stratégie nationale de vaccination », qui vise, d'une part, à répondre à la complexité de la lecture du calendrier vaccinal par les professionnels et le public, complexité qui résulte de la multiplication des vaccins, et, d'autre part, à comprendre le positionnement des professionnels vis-à-vis des trois grandes catégories de vaccins : les vaccins infantiles et traditionnels, dans la prescription desquels les médecins jouent un rôle actif ; les vaccins destinés aux voyageurs dans les pays exotiques, qui ne posent également aucun problème de prescription ; les nouveaux vaccins, enfin, qui conduisent à des positionnements différenciés. Il convient de préparer une stratégie nationale de vaccination qui prenne en considération ces éléments nouveaux.
En ce qui concerne les centres de protection maternelle et infantile, nous avions évidemment réfléchi à la possibilité de s'adresser à eux, notamment pour les femmes enceintes. Nous y avons renoncé pour des raisons d'espace : nous ne voulions pas courir le risque d'amener dans les centres de protection maternelle et infantile une population potentiellement importante. Compte tenu du contexte, la mise en place de centres de vaccination nous a semblé préférable.
J'ai voulu la création de cette commission d'enquête pour faire avancer les choses ; j'ai du reste constaté, à travers nos travaux, que vous avez modifié certaines de vos positions depuis votre première audition, et j'en suis heureux. Je souhaiterais qu'il en fût de même du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale qui m'a paru beaucoup plus assuré de la perfection du plan qui a été mis en place.
Je gère cinq centres de protection maternelle et infantile dans la commune de 60 000 habitants dont je suis le maire. La Seine-Saint-Denis a une forte tradition en matière de protection maternelle et infantile. Il n'était pas besoin de demander aux personnes de venir massivement, il suffisait de proposer la vaccination à toutes celles, et elles sont nombreuses, qui viennent consulter, ce qui n'aurait posé aucun problème en termes d'affluence. Nous aurions parfaitement pu gérer une telle pratique sur le terrain.
Dans la gestion d'une telle crise à l'échelon national, on a beaucoup de peine à faire preuve d'un discernement suffisant pour décider si telle ou telle pratique se révélera finalement possible sur le terrain. Il est en effet difficile de concilier la gestion globale avec une perception aiguë des possibilités locales. Je n'ignore pas le rôle exemplaire que jouent les centres de protection maternelle et infantile en Seine-Saint-Denis.
Il convenait de se servir de cette possibilité, du moins là où elle existe.
Du reste, il serait d'autant plus utile que les maires soient représentés au sein de la cellule interministérielle de crise – j'en ferai la remarque au ministre de l'intérieur – que le bon fonctionnement des centres a été, in fine, assuré par les municipalités.
Sans doute ne déclareriez-vous pas aujourd'hui que si c'était à refaire, vous referiez la même chose. La réflexion que nous menons ensemble vise à améliorer les conditions de déploiement d'un éventuel nouveau plan.
Pourquoi les débats du Comité de lutte contre la grippe sont-ils secrets ? Je m'en étonne tout autant que le président de la commission d'enquête. Si j'y ai eu accès, c'est en tant que rapporteur spécial, puis en tant que membre de cette commission d'enquête. J'ai également été frappé par le fait que les membres du Comité de lutte contre la grippe se sont demandés, lors d'un débat, s'il ne serait pas opportun d'inviter en leur sein un pneumologue. Il n'y avait en son sein ni clinicien ni sociologue, ce qui lui aurait évité de tracer des plans sur la comète. Le 10 mai, il vous a proposé un plan tout fait, qui a été suivi jusqu'au terme de la crise.
Il aurait également fallu publier les conflits d'intérêts au sein du comité : le fait que certains de ses membres travaillaient en même temps pour des laboratoires producteurs de vaccins crée un malaise.
En ce qui concerne l'efficacité du vaccin, il faut peser les bénéfices et les risques. Je suis partisan, à titre préventif, de la vaccination : toutefois, l'Institut de veille sanitaire fait état de trois cent douze décès, dont cinquante sans pathologie associée connue. Quant au nombre des patients admis en unité de soins intensifs – mille cent trente –, seulement dix-huit avaient été vaccinés préalablement à l'hospitalisation, dont dix-sept moins d'une semaine auparavant – le vaccin n'était donc pas encore efficace, puisqu'il n'avait pas encore permis le développement d'anticorps. Convenait-il dès lors de vacciner aussi largement pour faire obstacle à la pandémie, d'autant que, selon les données de l'Agence française de sécurité française des produits de santé, vingt et un décès peuvent être rattachés à la vaccination ? La crédibilité des décisions est fonction de la clarté du débat : quand on a des doutes, mieux vaut les exposer à la population car cela permet d'éviter qu'internet ne diffuse des informations erronées.
Je suis d'accord avec vous. Du reste, le directeur général a déjà répondu que ce qui était visé, ce n'était pas la pandémie, mais le bénéfice individuel.
Peut-être ai-je été cité partiellement. Lorsque j'avais affirmé que nous referions la même chose, je sous-entendais : avec les mêmes éléments de connaissance. Compte tenu de ceux dont nous disposons aujourd'hui, nous procéderions très différemment. Nous avons beaucoup de leçons à tirer des événements et de nombreux points à améliorer.
Nous nous sommes au fond rarement trouvés dans des situations où nous pouvions hésiter sur l'option à prendre. Ce fut le cas de certaines décisions politiques très importantes, pour lesquelles plusieurs options se présentaient : l'obligation vaccinale, la gratuité ou l'ordre de priorité. Il en fut différemment de l'acquisition des vaccins ou de l'organisation de la campagne.
S'agissant du débat public, j'ai, récemment, saisi officiellement la Conférence nationale de santé pour qu'elle travaille sur le sujet suivant : gestion de crise et organisation du débat public.
C'est moi qui ai demandé à ce que le Comité de lutte contre la grippe introduise en son sein une compétence pneumologique, en raison de l'observation de plusieurs pneumopathies graves asphyxiantes qui nous ont conduits à acquérir des appareils de circulation extracorporelle et des respirateurs.
Si nous n'avions pas procédé à de telles mesures, il est probable que la mortalité eût été plus importante.
En ce qui concerne les conflits d'intérêts, je suis prêt à balayer devant ma porte : alors que les agences ont été exemplaires en la matière, peut-être la direction générale de la santé n'a-t-elle pas été suffisamment réactive. Nous le serons davantage la prochaine fois.
Sur la comparaison entre l'efficacité vaccinale et l'observation de la pharmacovigilance, il convient d'être prudent. Il faudra relire avec précision le compte rendu de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. En effet, comme l'a observé Mme Catherine Lemorton, que signifie l'affirmation selon laquelle vingt et un décès sont « rattachés » à la vaccination ? S'agit-il d'un lien de causalité ou d'une association fortuite ? En revanche, pour la grande majorité des décès observés, le lien est assez net entre l'infection virale et le décès, compte tenu, parfois, de facteurs de risques associés.
Monsieur le directeur général, l'ambiance entre le ministère de la santé et les médecins, au moment de la prise des décisions, semble avoir été tendue, tant en raison de la question de la tarification de l'acte médical que du vote de la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Ces difficultés ont-elles pesé sur les discussions entre le ministère de la santé et les syndicats de médecins visant à les associer à la campagne ? Aujourd'hui les syndicats déclarent qu'ils y étaient prêts alors qu'un grand nombre d'acteurs, dont les préfets, prétendent le contraire.
Vous mettez le doigt sur un sujet important qui dépasse ma compétence. Nous pouvons constater la relative malchance d'avoir eu, en même temps, à traiter d'un texte important qui concernait directement l'organisation du travail des médecins et à gérer un phénomène de santé publique qui aurait volontiers conduit les pouvoirs publics à s'appuyer le plus possible sur eux. Cette conjonction n'était pas la plus heureuse.
J'ai noté ces deux affirmations : « Quand on est face à une médecine de catastrophe, mieux vaut utiliser les dispositifs éprouvés que des dispositifs nouveaux », « médecine de catastrophe » pouvant être traduit par « situation de crise », et : « Une contractualisation particulière serait-elle possible, notamment avec le monde libéral en de telles situations ? » Ce qui est frappant, c'est qu'on ait attendu de se trouver en situation de crise pour se poser la question, et uniquement parce que les médecins étaient mécontents du prix de l'acte et de la loi qui venait d'être adoptée. Ne conviendrait-il pas d'anticiper, à l'avenir, ce genre de situation ?
La superstructure s'était préparée : l'appareil d'État, les grands organismes, les grandes entreprises. Les autres échelons de la société, y compris les citoyens, n'étaient pas préparés à la crise. Si un chantier est à mener, il doit porter sur la résilience, au sein de la société, non seulement de chaque citoyen pris dans son individualité, mais également des professionnels les plus concernés. C'est un enjeu important pour l'avenir.
En cas de crise grave, pensez-vous que la France pourrait vacciner 66 millions de Français ?
S'ils souhaitaient se faire vacciner…
Si 66 millions souhaitaient se faire vacciner, pensez-vous que nous en aurions les moyens ?
Une des leçons à tirer de la pandémie, c'est qu'il est très difficile de vacciner un grand nombre de personnes dans de brefs délais. Les capacités du dispositif que nous avons mis en place, bien qu'importantes, ont connu des limites en termes de dimensionnement et de ressources humaines. S'il avait fallu aller très vite, nous aurions été confrontés à des difficultés, comme ce fut le cas dans des pays où l'affluence a été plus forte.
Les agents infectieux émergents constituant un sujet très important, la société doit se préparer à vacciner, dans de brefs délais et à grande échelle, la population qui le souhaite. C'est un objectif important.
S'il convient de s'y préparer, c'est que nous ne sommes pas prêts.
Je ne prétends pas que la France soit le pays le moins préparé. Toutefois, il existe un télescopage entre l'État qui pense avoir préparé son dispositif et la confiance, voire la croyance que les Français ont dans l'État, sans pouvoir se rendre compte des incertitudes qui émaillent ce type de crises. On a également évoqué le plan variole : si de graves crises sanitaires survenaient, nous ne serions pas capables de vacciner, dans de brefs délais, 66 millions de Français. Il convient donc de définir des ordres de priorité, ce qui implique que chacun prenne son mal en patience. Vous avez évoqué la faculté de résilience d'un pays : cette question pose, à mes yeux, celle du déficit de communication de l'État, par-delà les alternances politiques, lequel ne parvient pas à éduquer les citoyens sur de tels sujets. Il devrait leur expliquer posément, c'est-à-dire en dehors des périodes de crise, que nous sommes confrontés à des difficultés en matière sanitaire et qu'il conviendra, en cas de crise, de faire face aux événements le mieux possible.
J'ajouterai, puisque, je le répète, j'ai noté une évolution dans votre raisonnement, évolution qui devra se traduire dans les décisions qui seront prises, qu'il faudrait aller jusqu'à expliquer à nos concitoyens qu'il est possible que l'État lance, un jour, une alerte maximale à propos d'un phénomène inquiétant susceptible de se révéler moins grave que prévu et que ce sera toujours mieux que de faire semblant de ne pas voir, comme ce fut le cas du nuage de Tchernobyl ou du sang contaminé. Malheureusement, on n'a jamais réussi depuis à trouver l'équilibre permettant de s'armer contre une menace, tout en acceptant que ce soit en vain, ce qui, après tout, est toujours préférable. Le tout est de savoir adapter le dispositif en cas de diminution de la menace – je pense à ce qui se passe avec le plan Vigipirate.
L'adaptabilité, contrairement à ce que pense le secrétariat général de la défense et la sécurité nationale, ne concernait pas les mesures individuelles mais consistait à reconnaître que la menace pouvait évoluer. J'ai la conviction, monsieur le directeur général, qu'en septembre dernier, avant de lancer la campagne de vaccination, on pouvait reconnaître publiquement que la menace avait diminué et qu'on pouvait restreindre la campagne aux populations à risque, tout en assurant nos concitoyens que la France possédait suffisamment de vaccins pour faire face à une éventuelle mutation du virus. Aucun Français n'en voudrait à quelque gouvernement que ce soit ni, évidemment, à l'administration sanitaire, d'avoir tenté de parer une grave menace sans avoir jamais cherché à le tromper sur la réalité de celle-ci.
Je vous remercie, monsieur le directeur général.
La séance est levée à douze heures trente.