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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Séance du 8 juin 2011 à 11h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • assesseurs
  • assises
  • correctionnel
  • exécution
  • jugement
  • juridiction
  • magistrat
  • mineur
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La séance

Source

La séance est ouverte à 11 heures 30.

Présidence de M. Sébastien Huyghe, vice- président.

La Commission procède à l'audition de M. Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (n° 3452) (M. Sébastien Huyghe, rapporteur).

PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Soyez le bienvenu, monsieur le garde des sceaux, pour nous présenter ce projet de loi relatif à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs.

La première partie de ce texte, relative aux citoyens assesseurs, fera l'objet d'une expérimentation. La seconde vise à modifier l'ordonnance de 1945 sur les mineurs.

PermalienPhoto de Bernard Roman

Ce ne sera que la cinquième ou sixième fois !

PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Puisque la Commission des lois doit examiner, à la fois, ce projet de loi et le rapport d'information de M. Zumkeller sur l'exécution des peines et la mise en place des bureaux d'exécution des peines pour les mineurs placés sous main de justice, ne pourrions-nous pas commencer par l'examen du rapport afin d'en tirer des conclusions pour le projet de loi ?

PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Compte tenu des obligations de chacun, je m'en tiendrai à l'ordre du jour.

PermalienMichel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

Ce projet de loi, qui a été adopté par le Sénat, vise trois objectifs : accroître la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, améliorer le fonctionnement des assises et adapter la justice pénale des mineurs.

Comme s'y était engagé le président de la République dans son programme électoral de 2007, le projet accroît la participation des citoyens à la justice pénale. Ce volet, sans doute le plus emblématique du texte, permet d'ouvrir les formations de jugement aux citoyens assesseurs, en correctionnelle et en matière de suivi de l'application des peines.

Accroître la participation des citoyens au fonctionnement de la justice, c'est leur permettre de se rapprocher de cette institution et de mieux appréhender l'office du juge, grâce à un engagement civique fort. C'est également modifier les pratiques des magistrats professionnels, dans le sens d'une justice plus intelligible et plus accessible.

Pour nos compatriotes, ce sera le moyen d'expérimenter directement la démocratie et d'exercer un acte civique.

Ce sera en outre pour la victime une forme de reconnaissance du préjudice qu'elle a subi. Les citoyens participeront désormais, dès la première instance, au jugement des délits les plus graves, qui portent quotidiennement atteinte à la sécurité et à la tranquillité.

La discussion au Sénat a permis d'élargir le champ des délits concernés et d'améliorer sa cohérence : les citoyens assesseurs participeront au jugement de tous les délits portant atteinte aux personnes, à leur intégrité physique ou morale, à leur identité ou à leur environnement, dès lors que la peine encourue est supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement et que ces délits ne relèvent pas de la compétence du juge unique ou d'une juridiction spécialisée. Par exemple, l'abus de faiblesse, le délaissement de mineurs aggravé, les violences volontaires, les vols avec violence ou l'usurpation d'identité relèveront de ces formations de jugement.

Les contentieux les plus complexes, qui supposent un haut niveau de technicité, tels que les contentieux économiques et financiers ou de délinquance organisée, resteront de la compétence de magistrats et de pôles spécialisés. Le Gouvernement poursuit dans ce domaine le mouvement indispensable de spécialisation que requièrent ces contentieux très techniques.

La composition des nouvelles formations de jugement a été définie conformément à la décision du 20 janvier 2005 du Conseil constitutionnel, qui impose une majorité de magistrats professionnels. Le collège sera composé de cinq personnes, trois magistrats professionnels et deux citoyens assesseurs.

L'unicité de la formation de jugement est préservée : magistrats et citoyens seront amenés à juger ensemble toute une série d'affaires. Ils auront le même poids lors du délibéré.

Les citoyens assesseurs participeront également au suivi de l'application des peines : ils siégeront aux côtés des magistrats du tribunal d'application des peines et des chambres d'application des peines pour toutes les décisions relatives notamment à la libération conditionnelle ou au relèvement de la période de sûreté, dès lors que la peine est supérieure à cinq ans d'emprisonnement.

Associer les citoyens à ce stade de la procédure renforce la cohérence de notre système pénal et garantit la continuité de notre chaîne pénale, puisque ces décisions modifient ou aménagent des peines qui, à 80 %, ont été prononcées aux assises.

Les débats au Sénat ont permis d'enrichir le texte pour mieux évaluer la dangerosité des détenus et ne pas procéder à des sorties sèches de criminels dangereux condamnés à de lourdes peines. Le projet étend ainsi les évaluations pluridisciplinaires réalisées dans les centres nationaux d'évaluation et prévoit, avant toute libération conditionnelle, un placement à titre probatoire sous surveillance électronique mobile. Le texte renforce, par ailleurs, le suivi des personnes condamnées, qui recevront leur convocation par les services pénitentiaires d'insertion et de probation avant même leur sortie de prison ; ces services seront immédiatement saisis de leur dossier, sans attendre leur désignation formelle par le juge d'application des peines.

Les citoyens assesseurs seront sélectionnés par tirage au sort, à partir des listes préparatoires aux jurys d'assises. Les citoyens retenus ne pourront se soustraire à leur devoir civique, sous peine d'amende. Je précise que leur participation sera de courte durée, huit jours dans l'année, et qu'elle sera indemnisée.

Le Sénat a simplifié le système de sélection tout en supprimant les critères qui permettaient de garantir l'impartialité, la moralité et l'aptitude des jurés tirés au sort. Tel qu'il vous est soumis aujourd'hui, le dispositif présente moins de garanties que le projet de loi initial et apparaît fragile au regard des exigences posées par le Conseil constitutionnel. Il serait intéressant que votre commission se penche sur cette question.

La réforme sera accompagnée de moyens supplémentaires. Nous évaluons à quelque 40 000 par an le nombre d'affaires auxquelles pourraient participer les citoyens assesseurs, et nous envisageons le recrutement de 155 magistrats et de 108 greffiers : deux concours exceptionnels sont organisés, cette année, à cet effet.

L'intervention des citoyens assesseurs modifiera les pratiques actuelles : cette réforme suppose un effort de pédagogie de la part des magistrats, qui liront un exposé de l'affaire au début de l'audience.

Cependant, il ne faut pas que la réforme entraîne un surcroît inutile de travail. En matière de comparution immédiate, le Sénat a réduit le délai de présentation devant le tribunal correctionnel d'un mois à huit jours, délai plus conforme aux exigences constitutionnelles que celui que prévoyait le texte initial.

Nous avons également prévu une mise en oeuvre progressive de la réforme, pour évaluer son impact sur l'organisation judiciaire. Comme le permet l'article 37-1 de la Constitution, le texte s'appliquera dès le 1er janvier 2012 dans deux cours d'appel, puis sera étendu à un tiers du territoire au début de 2013, pour être généralisé au 1erjanvier2014.

Le deuxième volet du projet vise à simplifier le fonctionnement des assises en vue de lutter contre la pratique de la correctionnalisation. Aujourd'hui, la nature du jugement diffère selon le point du territoire où l'affaire est examinée. Un viol est jugé comme un crime, ce qu'il est au regard de la loi, dans un département peu dense et comme une agression sexuelle, c'est-à-dire comme un délit, dans un gros département. Pour répondre à l'exigence d'égalité, il convient donc d'alléger la formation des assises.

Actuellement, seules 2 400 affaires sont jugées chaque année aux assises et 200 en appel. Pour faire face à l'encombrement de certaines cours, et pour juger les auteurs des faits dans des délais raisonnables, certaines affaires sont renvoyées en correctionnelle. Il faut lutter contre cette tendance – sauf à revoir la qualification des infractions.

Le Gouvernement proposait de remplacer les jurés par des citoyens assesseurs, dans une formation composée de trois magistrats et de deux citoyens assesseurs pour l'ensemble des crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle. Ces assises simplifiées n'ont pas rencontré l'accord du Sénat, qui a préféré une réduction du nombre de jurés, sans distinction des catégories de crimes. Aux termes de l'accord trouvé à la Haute assemblée, trois magistrats et six jurés siégeront en première instance et trois magistrats et neuf jurés en appel. Pour alléger la procédure, le Sénat a par ailleurs remplacé la lecture de l'arrêt de renvoi, longue et fastidieuse, par un rapport oral du président en début d'audience.

De même, le texte prévoit l'obligation, pour les cours d'assises, de motiver leurs décisions.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 1er avril dernier, considère que la procédure actuelle, qui consiste à répondre à une série de questions, est conforme à la Constitution. Cependant, il m'apparaît essentiel de permettre aux parties de mieux comprendre le sens de la décision, ce qui leur permettra, en outre, de former leur appel en connaissance de cause.

Le Sénat a souscrit à ces avancées et amélioré le dispositif, en prévoyant notamment la lecture de la feuille de motivation au moment du prononcé du verdict.

Le projet de loi améliore, en troisième lieu, le fonctionnement de la justice des mineurs. Comme vous le savez, le Gouvernement y réfléchit depuis plusieurs années. En 2008, il avait chargé le recteur Varinard de faire des propositions pour améliorer l'ordonnance de 1945.

Je tiens à saluer également la qualité du travail mené par votre commission en vue d'enrichir la réflexion. Sur l'exécution des décisions de justice concernant les mineurs, je sais que M. Zumkeller vous présentera tout à l'heure son rapport : votre constat rejoint très largement celui qui motive le projet soumis à votre examen, c'est-à-dire la nécessité d'obtenir une réponse judiciaire rapide et de développer des mesures mieux adaptées.

Le projet de code de la justice des mineurs est quasiment achevé, à la Chancellerie, mais le terme très proche de la législature ne nous permet pas d'envisager sa discussion dans l'immédiat. Le Gouvernement a donc souhaité présenter d'abord une série de modifications pour améliorer dès à présent la célérité et l'efficacité de la réponse pénale à l'égard des mineurs. Le délai moyen de jugement des mineurs, 18 mois entre la commission des faits et la décision de justice, est trop long pour que la réponse pénale puisse avoir une dimension pédagogique. Ce n'est pas non plus satisfaisant pour la victime.

Les évolutions de l'ordonnance de 1945 qui vous sont proposées reposent sur trois piliers : la priorité donnée à l'éducatif ; la spécialisation des structures et les garanties de procédure ; l'excuse de minorité. Ces propositions respectent les principes de l'ordonnance de 1945, tels que le Conseil constitutionnel les a validés.

Le projet de loi vise en premier lieu à améliorer la lutte contre la récidive et à prévenir tout ancrage des jeunes dans la délinquance. Il propose d'abord d'élargir les conditions de placement en centre éducatif fermé : tous les jeunes qui encourent une peine supérieure à cinq ans d'emprisonnement pourront bénéficier d'un placement dans ces centres. Cette prise en charge pluridisciplinaire, très renforcée, sera ainsi facilitée pour les mineurs, même primo-délinquants, qui commettent des faits graves.

Ces centres doivent bénéficier à un plus grand nombre. Ils ont montré leur efficacité en matière de prévention de la récidive et de réinsertion des jeunes : plus des deux tiers des mineurs, souvent difficiles, qui en sortent, ne récidivent pas. Nous travaillons à améliorer l'offre en ce domaine.

Lutter contre la récidive, c'est également apporter une réponse pénale progressive et adaptée. C'est dans cette perspective que le texte crée le tribunal correctionnel pour mineurs, qui jugera les mineurs délinquants de plus de seize ans, en état de récidive légale, qui encourent une peine supérieure à trois ans d'emprisonnement.

Cette juridiction offrira une solennité plus grande dans la comparution des mineurs. Il s'agit bien cependant d'une juridiction spécialisée, « spécialement composée » pour reprendre les mots du Conseil constitutionnel : la formation de jugement comprendra trois juges, dont un juge des enfants, qui, selon le texte du Sénat, la présiderait. La juridiction pourra prononcer des sanctions éducatives et la procédure suivie sera celle du tribunal pour enfants.

Le projet de loi prévoit que le parquet pourra convoquer directement le mineur devant le tribunal pour enfants, par voie de convocation par officier de police judiciaire. En introduisant cette procédure, le Gouvernement a veillé au strict respect des conditions posées par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 11 mars.

Pour améliorer le fonctionnement de la justice des mineurs, il faut que les acteurs disposent d'informations approfondies et cohérentes sur la personnalité et le parcours du mineur. C'est ce que permettra le dossier unique de personnalité que le projet vous propose de créer.

Enfin, le texte responsabilisera les parents, en permettant à la juridiction d'émettre un ordre de comparaître pour les contraindre à assister à l'audience de leur enfant.

Telles sont les grandes lignes de ce projet.

PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Trois questions, Monsieur le garde des Sceaux.

La réduction du nombre des jurés, telle que le Sénat l'a votée, sera-t-elle suffisante pour enrayer le phénomène de correctionnalisation de certains crimes ?

Le Sénat a augmenté le nombre des infractions qui relèveront du tribunal correctionnel comportant des citoyens assesseurs : cela ne risque-t-il pas de tuer le dispositif lui-même ?

Enfin, le texte prévoit l'extension des centres éducatifs fermés aux primo-délinquants pour les délits les plus graves, ce qui implique l'augmentation du nombre de ces centres – selon l'étude d'impact, il faudrait vingt nouveaux centres. Ne conviendrait-il pas de s'orienter vers une spécialisation des centres afin de ne pas mélanger les multirécidivistes avec les autres mineurs ?

PermalienMichel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

Un centre éducatif fermé a été construit sur mon canton. On peut en construire ailleurs.

PermalienMichel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

Monsieur Derosier, vous connaissez parfaitement les règles cantonales.

En raison de leur petit nombre, les premiers centres ont été généralistes. Rien n'interdit, demain, leur spécialisation, par exemple par le biais des formations professionnelles dispensées. Ces centres réalisent, entre l'activité sportive et la formation, un véritable travail de reconstruction des jeunes, le but poursuivi étant de leur éviter la prison.

Le texte adopté par le Sénat sera moins efficace que le texte initial du Gouvernement dans la lutte contre la correctionnalisation des crimes. Toutefois, il permettra théoriquement, au regard de la disponibilité des magistrats et des salles d'audience, de tenir 50 % d'audiences criminelles supplémentaires.

Enfin, l'augmentation, adoptée par le Sénat, du nombre des infractions entrant dans le champ des tribunaux correctionnels avec citoyens assesseurs fera passer de 38 000 à 40 000 les affaires traitées : l'impact n'est donc pas considérable.

PermalienPhoto de Marc Dolez

Monsieur le garde des sceaux, comment justifiez-vous le recours à la procédure accélérée, s'agissant des mineurs, alors que vous annoncez dans l'exposé des motifs qu'un code de la justice pénale des mineurs est en préparation ?

L'article 31 du projet prévoit la mise en oeuvre progressive des dispositions relatives aux citoyens assesseurs. Peut-on encore parler d'expérimentation, et donc évoquer un objet limité, alors que, selon l'étude d'impact, cette expérimentation touchera 40 000 affaires ? De plus, comment l'égalité des citoyens devant la justice sera-t-elle garantie si, à quelques kilomètres de distance, pour des faits identiques, les justiciables ont affaire à des formations de jugement différentes ?

S'agissant des critères permettant de recourir aux citoyens assesseurs, est-il conforme au principe d'égalité des citoyens devant la loi de faire juger des délits par des formations différentes selon la nature des faits et non selon le montant de la peine encourue ?

La création d'un tribunal correctionnel pour mineurs ne risque-t-elle pas, d'autre part, de discréditer le tribunal pour enfants, qui sera dessaisi des situations les plus complexes ?

Enfin, comme M. Raimbourg l'a évoqué, notre commission examinera, à la suite de votre audition, le rapport d'information sur l'exécution des peines et la mise en place des bureaux d'exécution des peines pour les mineurs placés sous main de justice. En dépit de sa diversité politique, la commission est unanime à reconnaître l'intérêt de ce rapport. Or, on ne peut qu'être frappé des contradictions existant entre les propositions du rapport et le projet de loi que vous nous présentez.

Ainsi, alors que la quatrième proposition du rapport souligne la nécessité d'« évaluer les résultats en termes de réinsertion, des aménagements de peine sous la forme du placement sous surveillance électronique », le projet de loi élargit le recours à la surveillance électronique mobile pour les mineurs de treize ans.

De même, la banalisation du placement en centre éducatif fermé va à l'encontre de la première des propositions du rapport qui vise à « diligenter dans les meilleurs délais une évaluation des résultats des établissements pénitentiaires pour mineurs en matière de réinsertion, pour en améliorer les performances », tant la continuité de la prise en charge éducative pose actuellement problème.

Si vous aviez vraiment voulu être à l'écoute du Parlement, la logique aurait voulu, monsieur le garde des Sceaux, que vous preniez connaissance des préconisations du rapport, dont la commission va probablement autoriser la publication à la suite de votre audition, avant de nous présenter le volet du texte consacré aux mineurs.

PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Quelle est la logique d'un projet de loi qui vise, sous le prétexte d'associer les citoyens à la justice, à supprimer des jurés d'un côté pour instaurer des assesseurs de l'autre – d'autant que, s'agissant de la justice des mineurs, on constate la disparition des assesseurs spécialisés ?

Quel est, de plus, le coût de la réforme ? L'étude d'impact évalue le coût de fonctionnement – postes de travail et indemnités des jurés – sans intégrer la création des 155 postes de magistrats et des 108 postes de greffiers. N'aurait-il pas été plus utile de dépenser autrement cet argent, alors que la justice manque cruellement de moyens ?

Par ailleurs, comment un projet de loi peut-il aller à l'encontre de la totalité des rapports rendus, notamment par les députés de la majorité parlementaire ? Selon le rapport de M. Yves Lachaud, il n'est pas nécessaire de toucher à l'ordonnance de 1945 ; quant à M. Michel Zumkeller, il s'inquiète d'un état des lieux insatisfaisant de la justice des mineurs. Dans ces conditions, pourquoi mettre en avant ce projet de loi ?

Quant à la correctionnalisation, c'est un phénomène massif et injuste : massif puisque, chaque année, la police recense quelque 17 000 crimes et que les cours d'assises ne rendent que 2 500 arrêts ; injuste puisqu'il ne revêt pas la même ampleur selon les départements. Une augmentation de 50 % des audiences criminelles ne permettra pas de lutter efficacement contre la correctionnalisation des crimes.

En outre, selon l'étude d'impact, 635 mineurs seraient justiciables des nouveaux tribunaux correctionnels pour mineurs prévus par le texte et créés, pour certains, avec jurés et, pour d'autres, sans jurés. Aujourd'hui, il existe déjà 156 tribunaux pour enfants : à quelle rationalité ou à quelle urgence répond la création de 156 tribunaux correctionnels supplémentaires pour juger 635 mineurs, au prix d'une véritable désorganisation de la justice des mineurs ?

Du reste, comment affirmer que la complexification de la procédure accélérera le jugement des mineurs ? Il conviendra en effet d'opérer un tri entre les affaires relevant du tribunal pour enfants et celles relevant du tribunal correctionnel pour mineurs avec ou sans jurés, ce qui retardera d'autant le jugement des mineurs récidivistes.

Enfin, en quoi la présence d'un unique juge des enfants au sein du tribunal correctionnel pour mineurs garantira-t-elle la constitutionnalité du dispositif, alors que les deux assesseurs étant des juges pour enfants, ceux-ci sont majoritaires à la cour d'assises des mineurs statuant sur les mineurs de seize à dix-huit ans ? Le fait, pour le juge des enfants, d'être minoritaire au sein du tribunal correctionnel pour mineurs n'est-il pas un motif d'inconstitutionnalité ?

PermalienPhoto de George Pau-Langevin

Nous sommes très surpris de cette réforme, qui ne figurait pas dans l'avant-projet de code pénal de l'an dernier et n'est manifestement demandée par aucun rapport ni aucune organisation professionnelle.

Sur quelles données, d'abord, se base votre étude d'impact ? Nous n'avons trouvé dans les Chiffres clefs de la justice de la Chancellerie, aucun élément permettant de fonder vos statistiques. Et quel sera, en termes de moyens, l'impact de l'élargissement considérable effectué par le Sénat ?

S'agissant des délais de jugement, notre justice correctionnelle est déjà très embouteillée. Les magistrats sont obligés de tenir des audiences tard le soir et n'ont qu'un temps assez limité à consacrer à l'examen des affaires. Quelle amélioration attendre lorsqu'ils devront en plus expliquer des notions de droit élémentaire aux citoyens assesseurs ? Cette réforme va plutôt allonger les délais.

Par ailleurs, juger est un acte grave. Les magistrats sont astreints à une formation longue, précise et exigeante. Comment faire exercer la même activité à des personnes certes armées de bonne volonté, mais n'ayant reçu qu'une formation d'une journée et un petit fascicule ? Où les juges pourront-ils trouver le temps de former ces gens qui seront à la fois des stagiaires et observateurs, et leurs collègues ? En outre, on pourra être juré si l'on n'a pas été condamné à plus de six mois d'emprisonnement. Verra-t-on des gens condamnés à la prison avec sursis pour conduite en état d'ivresse juger, aux côtés des magistrats qui les auront condamnés, des personnes poursuivies pour homicide en état d'ivresse ?

Rien n'est prévu non plus sur la protection de ces personnes appelées à participer à l'oeuvre de justice. Dans les quartiers, certains citoyens hésitent déjà à porter plainte par crainte de se retrouver face à celui qu'ils auront mis en cause. Qu'avez-vous prévu pour ceux qui seront appelés à juger les petits voyous de leur quartier, lorsqu'ils retourneront chez eux après l'audience ?

Par ailleurs, vous n'avez soumis qu'un certain nombre de délits au jugement par les citoyens, prétendument ceux qui touchent à la sécurité quotidienne. Mais pourquoi d'autres, qui nous semblent tout aussi importants pour la sécurité des particuliers, notamment des délits économiques et financiers, n'ont-ils pas été pris en compte ? On répondra peut-être que c'est une délinquance plus élaborée, qui demande plus de connaissances techniques. Mais les affaires qui touchent à l'environnement ou à la santé – songeons au sang contaminé par exemple – demandent aussi une grande expertise, et vous n'en avez pas moins prévu la présence des citoyens ! Selon quels critères avez-vous opéré votre sélection ?

Pour toutes ces raisons, nous pensons que ce projet de loi va plutôt accroître les difficultés de la justice, qui n'en avait pas besoin, que régler quelque problème que ce soit.

PermalienPhoto de Olivier Dussopt

Nombreux sont les parlementaires à avoir constaté dans les juridictions, malgré les annonces sur l'augmentation du budget de la justice, une véritable crise de moyens – en personnel, en temps ou en matériel. Cela se traduit par une accumulation de dossiers en souffrance et par des retards dans l'aide juridictionnelle. Cette crise matérielle s'ajoute à une crise morale, les magistrats ayant le sentiment d'avoir perdu la considération des plus hautes autorités de l'État. Les dégâts de ces dernières années ne seront certainement pas compensés par ce texte.

Un grand nombre de dispositions concernant la justice des mineurs ne sont pas acceptables. Elles tendent à un alignement sur la justice des adultes. Au contraire, la justice des mineurs doit conserver un caractère particulier. Les mineurs qui ont commis un crime ou un délit ne doivent pas être punis comme des majeurs, mais remis dans le droit chemin. Le rôle de la justice et de la société est de leur permettre de devenir des citoyens respectueux des lois. La justice des mineurs doit avant tout être éducative, pédagogique et préventive pour leur vie d'adulte. Les dispositions que vous nous présentez sont-elles le signe d'un renoncement au projet de code des mineurs ou d'une réforme assumée de l'ordonnance de 1945, ou une avancée vers l'alignement de la justice des mineurs sur celle des adultes ?

Par ailleurs, dans la cour d'assises des mineurs, les juges pour enfants étaient majoritaires. Dans le tribunal correctionnel pour mineurs, il y aura un juge pour enfants et deux juges pour adultes, et les assesseurs spécialisés dans les questions de l'enfance seront remplacés par des citoyens assesseurs non spécialisés – ce qui renvoie d'ailleurs aux problèmes de formation soulevés par George Pau-Langevin. En quoi la justice des mineurs va-t-elle être améliorée par la diminution du nombre de juges pour enfants et de spécialistes ?

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président de la Commission.

PermalienPhoto de Jean-Paul Garraud

Faire participer davantage les citoyens à la justice pénale est une très bonne chose. On sait que l'expérience de juré apporte beaucoup, à la justice comme à l'intéressé. Mais on sait aussi les difficultés matérielles que connaissent les cours d'assises. J'ai entendu que certaines sessions n'avaient pas été réunies faute de pouvoir payer les indemnités de juré, qui avoisinent au total 200 euros par jour…

Le projet aborde aussi le renforcement du suivi individualisé des personnes dangereuses, ce qui soulève la question du centre national d'évaluation. Il serait très positif de créer des centres régionaux d'évaluation.

Troisième sujet, essentiel : la simplification de la procédure de cour d'assises. Je l'appelle de mes voeux depuis des années. En effet, alors qu'il appartient au législateur de déterminer quels faits sont des crimes, en pratique, huit à neuf crimes sur dix sont jugés par le tribunal correctionnel afin d'éviter la procédure trop lourde de la cour d'assises. La vraie question est donc de faire passer tous les crimes devant des juridictions criminelles, où siègent des jurés. De deux choses l'une : soit l'on simplifie véritablement la procédure de cour d'assises, soit le législateur déclasse de nombreux crimes ! Mais on ne peut tolérer la situation actuelle. Or, je crains que la volonté de simplification du texte initial n'ait été complètement gommée lors de son passage devant le Sénat. Il faut y revenir – et encore n'était-il pas suffisant. La meilleure solution serait de créer un tribunal d'assises départemental permanent, composé de magistrats professionnels et de citoyens assesseurs.

Dès lors qu'il y a des jurés dans des tribunaux correctionnels cela pose également la question de l'oralité des débats, qui demande du temps. Il faut exposer l'affaire dans tous ses détails – et il y a de nombreuses affaires à exposer ! Le tribunal correctionnel va de pair avec un certain rythme de procédure. Les individus qui ont commis des crimes doivent être jugés rapidement, mais l'oralité des débats ne pourra que ralentir le cours de la justice. Les délais entre la fin des enquêtes et le jugement des prévenus vont augmenter. Bref, au lieu de passer trente ou quarante affaires dans la journée, on risque d'en rester à deux ou trois ! Cela aura aussi des répercussions sur les enquêtes de police et de gendarmerie.

Enfin, il y a toute la question de l'application des peines, qui est essentielle. Le projet de loi en traite aussi, nous y reviendrons.

PermalienPhoto de Jacques Valax

Le lien entre correctionnalisation des affaires relevant des assises et manque de moyens me semble évident. Il faut en revenir à des principes essentiels.

Ce texte est une nouvelle diversion, un nuage de fumée pour masquer les problèmes matériels de la justice. Il vise à amuser le peuple – pour le faire participer, dit-on par démagogie, alors que le peuple a bien d'autres préoccupations. En outre, il est susceptible d'entrer en vigueur dès le 1er janvier prochain… alors que le projet de loi relatif au référendum d'initiative partagée n'est toujours pas inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée, bien que ce droit figure dans la Constitution, à l'article 11, depuis 2008 ! On se targue de participation, mais dès qu'il s'agit de questions institutionnelles essentielles, on rechigne !

Ce texte est dangereux parce qu'il remet en cause le fonctionnement même de la justice – il contribue à la désacralisation de l'acte de justice. Car juger est un acte grave. Vouloir le faire accomplir par des citoyens, c'est dévaloriser la fonction de magistrat. En outre, ce texte est l'occasion de porter une fois de plus atteinte à l'ordonnance de 1945, de remettre en cause le statut spécifique du droit des mineurs. Ces deux points sont extrêmement graves. Le travail des magistrats est très difficile, ils l'accomplissent avec rigueur, sérieux, équilibre, réflexion et maturité. La contribution des citoyens n'améliorera en rien le fonctionnement de la justice : tout est question de moyens. Comme l'a dit Jean-Paul Garraud, le problème essentiel, c'est l'exécution, et ce texte n'apportera rien en la matière.

PermalienPhoto de Marietta Karamanli

Il existe au niveau européen de nombreuses analyses et propositions, ou des recommandations du Conseil de l'Europe et du Conseil des ministres, relatives par exemple à la privation de liberté, qui ne doit intervenir qu'en dernier recours, ou à la justice des mineurs. Votre projet ne les prend pas en compte. Vous ne vous interrogez pas non plus sur le fait que plusieurs États membres du Conseil de l'Europe privilégient depuis deux décennies la répression et enferment les mineurs de plus en plus jeunes sans en avoir obtenu aucun résultat jusqu'à présent.

En outre, il est regrettable de ne pas avoir examiné d'abord le rapport sur l'exécution des décisions de justice pénale concernant les mineurs. Sans compter qu'un autre rapport, commandé par le Président de la République, fait au même moment des propositions contradictoires avec votre projet. Bravo pour le respect du travail du Parlement !

Par ailleurs, on ne trouve dans ce projet aucun aspect de justice réparatrice, qui permette de prendre en compte la victime et qui donne un sens à la peine.

Enfin, il faudra revoir de près sa compatibilité avec les normes constitutionnelles, communiquer les chiffres manquants concernant la délinquance des mineurs et les centres éducatifs fermés, qui jouent un rôle central, et se préoccuper un peu de mesures de prévention qui permettraient d'éviter la récidive. Bref, vous n'avez pas pris le temps de la réflexion. Encore un projet bâclé, alors qu'il n'y avait pas urgence.

PermalienPhoto de André Vallini

Après l'intervention de Jean-Paul Garraud, la mienne vous paraîtra d'autant plus modérée que j'ai toujours été partisan d'une plus grande participation des citoyens à l'oeuvre de justice. Mais votre texte souffre de nombreux défauts. Il est bâclé et précipité. Son idée de base a été inspirée au Président de la République par l'affaire de la petite Laëtitia, à Pornic – car depuis plusieurs années, la politique pénale est menée au gré des faits divers les plus horribles de l'actualité. Et il n'est pas financé – comment justifier une réforme si coûteuse alors que vous n'avez même pas les moyens de financer la réforme de la garde à vue, notamment en matière d'aide juridictionnelle ? Voilà les raisons qui nous conduisent à nous y opposer.

Par ailleurs, la participation des citoyens me paraît souhaitable pour des raisons strictement opposées à celles du Président de la République. Dans son esprit, il s'agit de stigmatiser une fois de plus le pseudo-laxisme des juges, qui n'existe que dans ses fantasmes. Pour moi, il s'agira, après avoir fait calmement évoluer la situation, de faire comprendre aux citoyens que rendre la justice est chose compliquée, et de les rapprocher des magistrats.

PermalienPhoto de Sandrine Mazetier

Nous partageons tous l'objectif vertueux de ce texte : rapprocher les citoyens de l'oeuvre de justice. Pour être constructifs, nous vous faisons donc une proposition d'application immédiate : retirez l'article 20 du projet de loi de finances rectificative qui est en cours d'examen, qui aura pour effet d'éloigner prodigieusement les citoyens de la justice puisqu'il crée une taxe de 35 euros à l'encontre des justiciables ! Faites faire des économies à nos concitoyens et vous contribuerez grandement à les rapprocher de la justice – ou au moins à ne pas les dissuader d'y faire appel. D'ailleurs, après l'analyse de Dominique Raimbourg sur le chiffrage de l'étude d'impact, faut-il craindre que cette taxe soit doublée dès la fin de l'année, afin de financer la présente réforme ?

Et qu'en est-il de la protection des assesseurs ? Si vous n'avez rien prévu, c'est coupable. Sinon, cela aura un coût. Enfin, pourquoi limiter le périmètre de ce projet, sans prendre en compte des délits qui pèsent sur la sécurité et le bien-être au quotidien – en particulier la délinquance économique et financière ? Pourquoi exclure le travail dissimulé, qui porte largement atteinte à notre économie et à notre système de protection sociale ?

PermalienPhoto de Delphine Batho

Nous vivons une crise majeure de l'institution judiciaire, qui est une des causes du durcissement de la délinquance. On pourrait accuser l'opposition de partialité, mais il suffirait de donner lecture intégrale des rapports d'Etienne Blanc et d'Eric Ciotti pour ce qui est des délais de jugement ou de l'exécution des peines par exemple, pour comprendre la situation. Je vous ai écrit le 22 avril à propos du tribunal de grande instance de Niort, et je n'ai reçu aucune réponse sur le fond. Votre texte passe complètement à côté des vrais problèmes et, comme l'a dit Jean-Paul Garraud, il va aggraver la situation en matière de délais de jugement et d'exécution des peines.

On assiste actuellement à une multiplication préoccupante d'incidents dans les établissements pénitentiaires pour mineurs – à Lavaur, à Marseille, à Meyzieu. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté s'est exprimé sur le sujet, et le rapport Zumkeller y revient. Allez-vous, oui ou non, revoir le projet de ces établissements ?

Par ailleurs, toujours en matière de délinquance des mineurs, il faut aujourd'hui sortir de la double impasse entre impunité et incarcération menant à la récidive. Le rapport d'Eric Ciotti reprend une de nos propositions de la campagne présidentielle sur les nouvelles alternatives à l'incarcération, notamment sur l'encadrement militaire des délinquants. Quelle est la position du Gouvernement ? Que répond-il à la proposition de la ville de La Rochelle et de la région Poitou-Charentes de l'expérimenter dès maintenant sur les sites qui sont abandonnés par le ministère de la défense ?

PermalienPhoto de Claude Goasguen

Ce texte est la conséquence de ce que nous n'ayons pas su faire une réforme globale de la procédure pénale. Je regrette franchement que ces questions soient traitées comme des problèmes d'urbanisme ou de tarif de l'électricité. On sait bien qu'il existe des lois de circonstance mais en matière juridique, et en particulier de juridictions pénales, c'est extrêmement grave. Ce défaut d'analyse en temps utile nous mène à multiplier les textes de circonstance qui ne procèdent d'ailleurs pas tous de la même philosophie, ce qui posera à terme des problèmes considérables lorsque nous voudrons tout remettre à plat.

Ce projet repose sur deux idées fausses. La première, c'est cette tendance à considérer que les magistrats sont laxistes.

PermalienMichel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

J'ai toujours soutenu le contraire !

PermalienPhoto de Claude Goasguen

Certes, mais d'autres personnalités ont dit le contraire. Or, les études comparatives montrent que les sentences rendues en France sont beaucoup plus dures que dans les autres pays.

Deuxième idée complètement fausse : que les assesseurs vont tout arranger. Au contraire, les jurys populaires sont en général moins sévères que les magistrats ! Ce sont d'ailleurs les éléments qui permettent d'adoucir les peines qui sont les plus faciles à expliquer, tant en ce qui concerne l'application des peines que le délibéré… Ce texte aura donc un effet inverse de celui souhaité, et le garde des Sceaux, qui, lui, est un juriste, le savait déjà.

Il se pose aussi une question de constitutionnalité. Certes, le droit d'expérimentation est un droit constitutionnel dans un certain nombre de domaines d'organisation. Mais faire juger les mêmes délits par une juridiction dans une circonscription et par une autre dans celle d'à côté, cela pose un problème constitutionnel évident, et d'ailleurs très complexe. Il ne s'agit pas d'organisation, mais de sanction, et il m'étonnerait fort que le milieu judiciaire ne dépose pas des questions prioritaires de constitutionnalité à tour de bras sur cette question.

Enfin, le texte tel qu'il est issu du Sénat n'est absolument pas acceptable en ce qui concerne la justice pour enfants – j'insiste sur ce terme : le mot « mineur », qui est purement mathématique, ne correspond pas à l'ordonnance de 1945. Je ne suis pas un fan de cette ordonnance, et j'ai voté plusieurs modifications, mais vous êtes aujourd'hui en train de noyer dans la justice ordinaire des juridictions qui devraient être de plus en plus spécifiques. Ce qu'il nous faut, c'est un véritable code de l'enfance, avec une réflexion sur l'enfance en général, au lieu d'une justice des mineurs qui considère mécaniquement que selon son âge, on est complètement coupable ou pas du tout. Cette notion totalement obsolète ne rend pas compte de la difficulté des choses, et nous amène à des catastrophes. Je m'étonne que le garde des Sceaux soit allé dans ce sens – mais je sais qu'en tant que tel, il est obligé de porter d'autres sujets que les siens… Quoi qu'il en soit, et en particulier sur ce sujet, le projet ne sera pas acceptable sans des amendements très importants.

PermalienMichel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

Il me reste peu de temps pour répondre aux nombreuses questions, et je suis à la disposition de la Commission pour revenir donner des réponses plus détaillées, ainsi que pour faire le point sur l'exécution des peines, qui est en effet un sujet essentiel.

Ce projet de loi n'est pas un texte de circonstance, il répond à un engagement pris par le Président de la République lors de la campagne de 2007.

Ensuite, dire que notre objectif, en renforçant la participation des citoyens à la formation correctionnelle, serait d'obtenir des sentences plus dures est une contrevérité : toute notre histoire pénale montre le contraire. En 1932, si nous avons réintroduit les magistrats professionnels dans le délibéré des assises, c'est parce que les jurés prononçaient 40 % d'acquittements ! Par ailleurs, nos magistrats n'ont rien de laxiste – sans quoi d'ailleurs, le débat sur l'inexécution des peines serait moins vif. Ce sont des magistrats républicains qui appliquent la loi pénale telle que le Parlement l'a votée. Non, cette participation doit être entendue comme un acte civique qui permette de mieux comprendre la justice – une justice constamment et injustement critiquée alors que sur le terrain, on voit que les magistrats, greffiers ou agents de la pénitentiaire croulent sous le travail.

En ce qui concerne les assises, j'espérais pour ma part aller plus loin. Le contexte juridique est marqué par cette décision du Conseil constitutionnel de 2005 disant que, dans un tribunal correctionnel de droit commun, les magistrats professionnels doivent être majoritaires. Il n'y a aucune raison qu'il change d'avis à propos d'un tribunal d'assises départemental. La solution serait une configuration à deux jurés et trois magistrats – la solution proposée par le texte initial du Gouvernement, et que MM. Garraud et Goasguen soutiennent.

Enfin, concernant la justice pour mineurs, je ne peux pas accepter ce qui a été dit. J'ai veillé, c'était essentiel pour moi, au respect de l'ordonnance de 1945 et surtout de la loi de 1912, qu'on oublie trop souvent et qui pose tous les principes qui fondent l'ordonnance. Ces textes imposent une juridiction spécialement composée pour les mineurs et une procédure spéciale. Ce sont deux conditions essentielles.

PermalienPhoto de Claude Goasguen

Mais il n'y a plus de juge des enfants, il est noyé au sein du tribunal !

PermalienMichel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

Non seulement il y en a un, mais il préside la formation !

PermalienMichel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

Exactement comme au tribunal des enfants ! Je me tiens à votre disposition pour revenir en discuter.

Puis la Commission examine le rapport de la mission d'information sur l'exécution des décisions de justice pénale concernant les personnes mineures (M. Michel Zumkeller, rapporteur).

PermalienPhoto de Michel Zumkeller

Afin de mesurer les efforts réalisés et les résultats obtenus année après année dans le domaine de l'effectivité et de l'efficacité des sanctions pénales, tant en ce qui concerne les juridictions des majeurs que celles des mineurs, la commission des Lois a décidé en juillet 2007, de créer une mission d'information sur toute la durée de la législature.

S'agissant des juridictions pour mineurs, un premier rapport a été présenté par Mme Michèle Tabarot en juin 2008, qui soulignait, notamment, les trop longs délais de prise en charge des mineurs par les services de la protection judiciaire de la jeunesse. Il a été suivi en décembre 2009, par un nouveau rapport sur les problèmes sanitaires des mineurs ayant fait l'objet d'une condamnation.

Pour la troisième étape de ses travaux, la mission s'est plus particulièrement intéressée à un dispositif mis en place en 2007 pour améliorer les délais et la qualité de l'exécution des jugements prononcés par les juridictions des mineurs : le bureau d'exécution des peines (« BEX mineurs »).

Ce dispositif repose sur une idée pratique simple : profiter de la présence du condamné à l'audience pour l'informer sur la peine prononcée, ses conséquences, les voies de recours, puis engager une première étape de l'exécution de la peine et enfin informer et orienter les victimes. La rapidité et la centralisation de ce travail rendaient nécessaire la création d'un service nouveau au sein de la juridiction dirigé par un professionnel de la procédure et de l'exécution des peines : le greffier.

L'existence d'un tel service qui permet d'expliquer au jeune condamné et à sa famille le contenu et la portée de la décision qui vient d'être prise, de tenter de donner du sens à la condamnation et de les faire adhérer à la sanction, constitue un outil essentiel, porteur d'espoir dans la perspective de faire reculer la délinquance des mineurs et la récidive.

Malheureusement, comme on va le voir, les moyens nécessaires n'ont pas été suffisamment mobilisés pour pérenniser le dispositif.

Au préalable le rapport fait état d'un grand nombre de failles et de beaucoup d'opacité dans le fonctionnement de l'exécution des peines concernant les mineurs.

Cette justice est complexe et requiert un partenariat étroit entre de nombreux acteurs qui doivent surmonter les difficultés liées à l'encombrement des juridictions, à la nécessité de la cohérence d'ensemble et à l'urgence des interventions. En présence d'un mineur, il faut apporter une réponse rapide et ferme mais aussi prendre le temps d'évaluer dans la durée l'impact des décisions prises à son encontre.

Une proposition figurant dans le rapport de la mission d'information vise notamment à améliorer les modalités de mise en oeuvre des peines appliquées aux mineurs en veillant à assurer une continuité entre les étapes de la peine.

Le rapport souligne un manque de moyens pour appliquer certaines sanctions pourtant très efficaces comme la réparation à l'égard de la victime ou le travail d'intérêt général.

La mission a constaté également un déficit d'évaluation, notamment des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), et de sérieuses lacunes en matière de statistiques par exemple sur les taux de récidive. Sur ce dernier point cependant la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a indiqué que globalement 80 % des enfants pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse sortaient de la délinquance, le chiffre de 20 % restant paraissant incompressible, ce qui n'est finalement pas si mal.

Le constat sur l'informatique est vraiment préoccupant. Actuellement les services du tribunal pour enfants travaillent sous trois applications puisque le logiciel Cassiopée, outre qu'il n'est pas partout opérationnel, n'a pas de volet « assistance éducative » et ne permet pas d'éditer un historique de la situation du mineur pour en avoir une vue d'ensemble.

Tous ces problèmes ne facilitent pas l'exécution des peines et notre constat principal est que malgré leur utilité certaine, la généralisation des BEX mineurs est loin d'être achevée et que leur avenir est incertain.

Pourtant les BEX répondent au besoin de cohérence et de suivi des décisions qui s'empilent parfois ce qui peut les priver de sens pour le mineur délinquant.

La mise en place a pris beaucoup de retard et a même parfois reculé comme au tribunal pour enfants de Bobigny, pourtant juridiction pilote en matière d'exécution des peines, où le BEX mineurs ne fonctionne plus depuis avril 2010.

La principale explication tient au manque de moyens humains et matériels.

Le BEX ne peut fonctionner sans greffier et lorsqu'il cesse de fonctionner c'est le plus souvent parce que le greffier n'est plus disponible ou n'a pas été remplacé.

C'est pourquoi il est demandé au Gouvernement, de façon pressante, d'évaluer le nombre de greffiers nécessaires à la généralisation des BEX mineurs afin d'y réaffecter les personnels correspondants.

L'autre problème concerne l'organisation des horaires et des salles et semble bien souvent insoluble. Les horaires d'ouverture des BEX sont très souvent incompatibles avec la fin tardive des audiences et, dans de nombreux tribunaux pour enfants, il n'existe pas de locaux appropriés à proximité de la salle d'audience.

C'est donc un constat en demi-teinte que reflète ce rapport : dans le contexte des nombreuses difficultés auxquelles se heurte la justice des mineurs, le dispositif des bureaux d'exécution des peines représentait une réelle avancée mais il faut reconnaître aujourd'hui qu'il est compromis essentiellement pour des questions de moyens.

PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Je félicite le rapporteur pour la qualité de son travail et en particulier pour la masse d'informations et de renseignements que contient son rapport.

PermalienPhoto de Marietta Karamanli

Je remercie le rapporteur de sa présentation et de son rapport, qui souligne bien les spécificités de la justice des mineurs. Je m'interroge cependant, du point de vue de la méthode, sur l'organisation des travaux du Parlement. Nous venons d'entendre le ministre de la Justice, M. Michel Mercier, sur le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, qui a indiqué n'avoir pas encore lu le rapport de M. Zumkeller. Par ailleurs, un de nos collègues de la majorité a remis hier au Président de la République un rapport sur l'exécution des peines qui, semble-t-il, pourrait déboucher sur une proposition de loi. Les différents travaux sur le sujet ne sont donc pas coordonnés et le Parlement se trouve en quelque sorte court-circuité.

Sur le fond, je souhaite insister sur la question des moyens mis à disposition de la justice des mineurs. Il faut définir des niveaux optimum d'encadrement dans les différentes structures accueillant des mineurs, par exemple les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs, sans sacrifier la qualité de l'encadrement pour des raisons budgétaires. Le rapport révèle également que, faute de capacité des structures d'accueil, il n'est pas suffisamment recouru aux travaux d'intérêt général, dont l'efficacité est pourtant reconnue. Se posent également la question de la localisation sur le territoire des établissements pour mineurs, ainsi que celle de l'absence de toute évaluation des résultats de ces établissements. D'une manière plus générale, il est regrettable que l'on ne dispose pas d'indicateurs mesurant la qualité du suivi des mineurs concernés par des mesures pénales, par exemple pour s'assurer que des mesures de réparation permettent de donner un sens aux peines prononcées. En matière de récidive, il ne faut pas céder au fatalisme : il faut évaluer l'efficacité des actions ciblant les mineurs dont le taux de récidive est le plus élevé, puis s'appuyer sur cette évaluation pour étendre et généraliser les actions les plus efficaces, éventuellement en modifiant l'ordonnance du 2 février 1945.

PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Je m'associe aux félicitations adressées au rapporteur pour ce très intéressant travail. Sur le fond, le constat est cependant accablant : le dispositif d'exécution des peines des mineurs fonctionne globalement avec beaucoup de difficultés. Le rapport montre également qu'aucun système statistique ni aucun indicateur ne permet de mesurer la qualité de la prise en charge des mineurs. Et en dépit de cette absence de toute évaluation, le Gouvernement et la majorité nous annoncent désormais leur intention de substantiellement modifier la loi !

PermalienPhoto de Michel Zumkeller

Il existe un réel besoin d'évaluation des dispositifs mis en place et des modalités d'application des sanctions pour les mineurs. Ce devrait être une priorité avant l'adoption de toutes nouvelles mesures. Il ne faut pas dramatiser la situation et dans les tribunaux où ils fonctionnent, les BEX sont porteurs de progrès. Il faut donc faire fonctionner et analyser ce qui existe avant de tout changer.

La Commission autorise le dépôt du rapport de la mission d'information en vue de sa publication.

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné M. Dominique Bussereau, rapporteur sur le projet de loi organique modifiant l'article 121 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie (sous réserve de sa transmission par le Sénat).

La séance est levée à 13 heures.