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Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Séance du 6 avril 2011 à 10h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • AC
  • distributeur
  • extraterritorialité
  • livre
  • éditeur

La séance

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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION

Mercredi 6 avril 2011

La séance est ouverte à dix heures quarante.

(Présidence de M. Christian Kert, vice-président de la Commission)

La Commission procède à l'examen, ouvert à la presse, en deuxième lecture, sur le rapport de M. Hervé Gaymard, de la proposition de loi, modifiée par le Sénat en deuxième lecture, relative au prix du livre numérique (n° 3264).

La séance est ouverte à dix heures quarante.

PermalienPhoto de Christian Kert

Nous voici à nouveau saisis de ce texte sur le prix du livre numérique, qui sera discuté en séance demain après-midi. A l'issue de la deuxième lecture au Sénat, quatre articles restent en discussion.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Le Sénat a rétabli un certain nombre de dispositions qu'il avait adoptées en première lecture et que nous avions modifiées. Deux sujets principaux restent à traiter : la rémunération des auteurs et l'extra-territorialité.

Sans rémunération, il n'y a pas de création. La vente de livres numériques, grâce à la disparition de certains coûts de fabrication et d'intermédiaires de la chaîne du livre, dégage des marges plus fortes que le livre papier. Elles doivent bénéficier aux auteurs. Mais il n'est pas question de modifier le code de la propriété intellectuelle au détour de cette proposition de loi. J'ai proposé à notre présidente d'ouvrir très vite une réflexion sur le droit d'auteur à l'ère numérique, la loi de 1957 étant inadaptée. Le commissaire européen en charge de ces questions, Michel Barnier, y réfléchit de son côté. Bref, le droit d'auteur en matière numérique sera un sujet d'ampleur à traiter dans les mois qui viennent. Dans le cadre du présent texte, je vous proposerai un amendement affirmant clairement que les auteurs doivent bénéficier des économies générées par le raccourcissement de la chaîne du livre.

J'en viens à l'extra-territorialité. La proposition tend à garantir que le prix du livre numérique est fixé par l'éditeur, afin d'éviter que les distributeurs numériques, qui n'ont pas le souci du mieux-disant culturel et de la rémunération de la création, ne se lancent dans une course à la baisse des prix des fichiers. Il est capital que l'éditeur garde la maîtrise de la fixation du prix, comme c'est le cas pour le livre papier. D'autres pays européens ont réfléchi à la question. L'Allemagne n'a pas légiféré explicitement, mais l'équivalent de notre loi sur le prix du livre y est applicable au livre numérique, par interprétation. Quant à l'Espagne, elle a conduit une démarche législative similaire à la nôtre.

Cette proposition de loi s'appliquera sans ambiguïté dès sa promulgation dans notre ordre juridique interne, mais le numérique ne connaît pas de frontières : rien n'empêche qu'un fichier soit téléchargé en France venant d'ailleurs, et donc peut-être à un prix différent – je ne parle que de l'offre légale, pas du piratage. La solution recommandée par de nombreux rapports, à commencer par celui de M. Patino, c'est le contrat de mandat, qui permet à un éditeur de garder hors de nos frontières la maîtrise du prix de vente de son livre numérique.

Deux objections ont été néanmoins soulevées à cet égard. La première est que le contrat de mandat est attaqué en justice dans plusieurs pays par de grands distributeurs numériques, et qu'on ne sait pas ce qui va en résulter. Les juristes sont partagés à son sujet. Pour autant, depuis deux ans, aux États-Unis, six éditeurs l'utilisent avec succès dans leurs relations avec les distributeurs numériques : ils ne sont plus obligés de brader leurs fichiers numériques. Du coup, certains distributeurs numériques ont vu leur part de marché réduite de moitié. Peut-être le contrat de mandat sera-t-il fragilisé dans certains États au gré de la jurisprudence, mais pour l'instant, montrons-nous pragmatiques : cette solution peut être retenue.

La deuxième crainte, c'est que même si le contrat de mandat fonctionne bien, la concentration des distributeurs numériques est telle, leur position si dominante, que les éditeurs ne seraient pas de taille à leur résister : la corde au cou, ils seraient obligés de vendre leurs fichiers numériques à vil prix. Pour ma part, je ne vois pas pourquoi un éditeur français vendrait son fichier par contrat de mandat moins cher que ce qu'il avait décidé au départ : avec les comparateurs de prix sur internet, c'est le prix le moins élevé qui deviendrait la référence, et cela reviendrait à scier la branche sur laquelle il est assis.

Mais l'objection n'est tout de même pas mince : il reste possible, dans notre économie concurrentielle, que les éditeurs soient obligés de céder face à des distributeurs quasi monopolistiques. Pour y répondre, les sénateurs ont voté une « clause d'extraterritorialité ». J'en partage l'inspiration, mais je pense qu'elle n'est pas applicable telle quelle. Le législateur français ne peut régler l'ordre juridique hors du territoire national.

L'argument des tenants de cette clause, c'est qu'ils ne font pas du droit, mais de la politique et qu'il faut montrer à Bruxelles « de quel bois on se chauffe ». Il est vrai que nous devons mener, tant à la Commission qu'au Conseil et au Parlement européen, une action vigoureuse pour défendre la diversité culturelle. Il faut notamment que la directive sur les services et la directive sur le commerce électronique intègrent la diversité culturelle comme c'est déjà le cas du traité régissant l'Union européenne.

Cela sera un beau combat, auquel doivent s'associer les membres de nos deux assemblées. Avec Michel Lefait, membre comme moi de la commission des affaires européennes, nous allons déposer une proposition de résolution sur ces sujets. Mais pour l'heure, la solution de nos collègues sénateurs n'est pas viable. Je proposerai plutôt, par l'amendement n° 19 AC, qu'un éditeur ne puisse, dans un contrat de mandat, vendre son fichier à un prix inférieur à celui qu'il a fixé sur le territoire national. Cela règle toutes les situations, que la plate-forme de téléchargement soit située en France – c'est la loi française qui s'applique, avec le prix fixé par l'éditeur – ou à l'étranger – en Europe et partout ailleurs dans le monde.

Il me semble que cette solution est à même de répondre à l'objection pertinente des partisans de l'extraterritorialité. Sur un sujet de cette importance politique, au meilleur sens du terme, notre devoir est de légiférer le mieux possible. Et pour cela, il faut une loi applicable.

PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Merci au rapporteur pour ses propos rassurants sur le contrat de mandat. Il n'est pas possible de remodeler aujourd'hui la législation sur la propriété intellectuelle, mais il faut effectivement entamer la réflexion sur le droit d'auteur à l'ère numérique. En attendant, cette proposition de loi est fondamentale. Elle accompagne une mutation technologique qui ouvre de nouvelles opportunités aux professionnels, qui permet la mise à disposition légale d'un maximum d'oeuvres et qui l'encadre dans le respect de notre patrimoine et du droit d'auteur. Elle permet également de préserver la diversité de la création littéraire et l'aménagement culturel de notre territoire, au travers des librairies.

Après la deuxième lecture au Sénat, le 29 mars, deux points demeurent en discussion. S'agissant du champ d'application de la loi, nous souhaitons en revenir aux seuls éditeurs établis en France, pour des raisons de compatibilité avec le droit communautaire. Ce sera la même logique que pour la loi Lang du 10 août 1981, relative au prix du livre – dont l'application extraterritoriale avait d'ailleurs été sanctionnée par le juge européen en 1985, dans l'arrêt Leclerc. Par ailleurs, les dispositions législatives des Allemands et des Espagnols ne comprennent aucune clause extraterritoriale.

Quant au second point, nous souhaitons que le contrat d'édition prévoie une rémunération juste et équitable des auteurs, établie de façon transparente.

Ainsi que l'a bien dit le rapporteur, légiférer le mieux possible, c'est adopter des lois applicables. C'est ce que le groupe UMP entend faire ce matin.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Les propos du rapporteur traduisent une avancée de sa réflexion. C'est la preuve que le travail parlementaire, lorsqu'il se fait normalement, est utile à la nation. L'élaboration de la loi demande du temps et de la précision.

Doit-on ou non modifier, à l'occasion de ce texte, le code de la propriété intellectuelle ? On ne peut pas ne pas se poser cette question. Un seul exemple : le droit d'auteur est protégé pendant 50 ans au Canada, contre 70 ans chez nous. Les livres de Camus sont donc aujourd'hui diffusés au Canada, et accessibles ainsi aux Français, sans droits d'auteur, au détriment de Gallimard… Cela montre bien que la question du droit d'auteur est au centre du débat sur les biens culturels numériques. Il faut être aux aguets et modifier le code dès que la réflexion est suffisamment avancée.

S'agissant de la rémunération des auteurs, les choses évoluent dans le bon sens. Comme en première lecture, nous veillerons à ce que l'on prévoie de leur verser une rémunération juste et équitable dans le cadre de l'exploitation numérique de leurs oeuvres.

Quant à l'extraterritorialité, je pense que l'on peut revendiquer la singularité, ou l'exception culturelle – peu importe le terme – non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les autres. Souvent, dans ce domaine, la France a agi et l'Europe a suivi. Nous avons la responsabilité morale de faire en sorte que l'Union européenne soit en permanence interpellée sur ces questions. Le groupe SRC avait été particulièrement attentif en première lecture ; sortir du cadre juridique strict obligerait l'Union européenne à nous interpeller et lancerait un débat utile.

Par conséquent, le Groupe SRC aura à coeur de défendre ses amendements et sera attentif aux évolutions introduites par le rapporteur et par les autres commissaires.

PermalienPhoto de Marie-Hélène Amiable

Lorsqu'il avait été présenté en première lecture, nous avions salué ce texte qui vise à réguler le secteur en plein essor du livre numérique, dans la continuité de la loi de 1981.

Les divergences sont désormais au sein de la majorité : après que le Sénat a rétabli le texte dans sa rédaction de première lecture, on nous propose aujourd'hui des amendements visant à détricoter ce qu'ont fait, à l'unanimité, nos collègues sénateurs.

S'agissant de l'extraterritorialité, le ministre de la culture a pourtant clairement validé la position des sénateurs, en déclarant qu'il était normal que les éditeurs puissent contrôler la valeur du livre, quel que soit le lieu d'implantation du diffuseur. Il faut que la compétition se joue à armes égales, a-t-il ajouté : il serait paradoxal que certaines plates-formes échappent à la régulation. Dans ses avis rendus le 13 décembre 2010 et le 31 janvier 2011, la Commission européenne a d'ailleurs indiqué qu'elle pourrait envisager la possibilité, sous certaines conditions, de considérer la protection de la créativité et de la diversité culturelle comme un « impératif d'intérêt général ». Nous pensons donc qu'il faut maintenir cette clause d'extraterritorialité qui permettra d'empêcher les géants commerciaux de s'emparer du livre numérique dans le seul but de dégager des profits, et acter que seront assujettis à l'obligation de fixer un prix de vente non seulement les éditeurs établis en France, mais aussi Amazon, Apple et Google.

Nous serons, par ailleurs, attentifs à la dimension protectrice de ce texte, tant à l'égard des auteurs que des éditeurs et des diffuseurs du livre numérique.

Enfin, nous soutiendrons les dispositions que les sénateurs ont adoptées en faveur d'une rémunération juste et équitable des auteurs.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Je crois que nous partageons tous les mêmes objectifs. Toutefois, le texte tel qu'il nous est revenu du Sénat ne sera pas applicable, tout simplement parce qu'on ne peut légiférer que pour l'ordre juridique interne ! On peut se payer de mots, mais une clause générale d'extraterritorialité ne fonctionnera pas.

Afin de parvenir au résultat souhaité, il vaut mieux prévoir que l'éditeur français, détenteur des fichiers, ne pourra pas les vendre à des prix différents à un distributeur établi en France – à qui la loi sera applicable – et à un distributeur établi à l'étranger, avec lequel il aurait signé un contrat. C'est une solution juridique que je n'ai trouvée que très récemment, à l'issue de longs échanges avec les uns et les autres ; elle peut paraître prosaïque, mais je pense qu'elle fonctionnera – et c'est tout ce qui m'importe.

Nous travaillons sur un sujet neuf, complexe et en rapide mutation. Nous avions d'ailleurs décidé d'adopter une démarche minimaliste et de fixer un rendez-vous législatif périodique. N'ayons pas la présomption de penser que cette proposition de loi réglera tous les problèmes ! Nous légiférons, à un moment donné, sur une situation donnée.

Par ailleurs, je partage ce qui a été dit sur les risques d'une concentration excessive dans la distribution de contenus culturels numériques. Il serait bon, pour la diversité culturelle et la rémunération de la création, que la Commission européenne fasse preuve de la même vigilance, en matière d'abus de position dominante et de droit de la concurrence, dans ce secteur économique que dans les autres. On ne l'a pas beaucoup entendue jusqu'à présent, alors qu'un acteur de ce secteur possède 85 % de parts de marché, ce qui devrait sembler plutôt suspect !

PermalienPhoto de Patrick Bloche

Monsieur le rapporteur, le droit n'est pas une science exacte, mais le produit d'un rapport de forces ! L'enjeu de ce texte est de savoir si la France souhaite ou non titiller la Commission européenne en introduisant une clause d'extraterritorialité pour la fixation du prix du livre numérique. Tel était le sens de notre interpellation du ministre lors de l'examen en première lecture.

Par ailleurs, on n'a pas assez fait la distinction entre l'article 2 et l'article 3, et l'on a tendance à se prononcer globalement, qui en faveur de l'extraterritorialité, qui en faveur de la compatibilité avec le droit européen. Ne pourrions-nous pas donner raison au Sénat sur l'article 3, c'est-à-dire introduire une clause d'extraterritorialité pour les plates-formes de distribution de livres à destination des acheteurs français, et ne pas le suivre sur l'article 2, car cela risquerait de pénaliser les éditeurs étrangers – y compris ceux qui publient en édition originale –, ce qui n'est pas notre objectif ?

Lorsque nous examinions le texte en première lecture, des négociations avaient lieu entre le Conseil permanent des écrivains (CPE) et le Syndicat national de l'édition (SNE). Elles ont échoué. Je pense qu'aujourd'hui, plus que jamais, il revient au législateur de mettre en place un cadre incitant à la négociation et de garantir une juste rémunération des auteurs – que ce texte ne doit pas oublier.

PermalienPhoto de Lionel Tardy

Je me réjouis du parallèle établi par le rapporteur entre droit, politique et applicabilité des textes : on aimerait entendre plus souvent de tels propos, en particulier dans le domaine de la culture, où l'on a tendance à faire de la politique sans toujours tenir compte du droit !

Je déplore que nos délais soient si serrés, puisque le texte doit être examiné demain après-midi en séance plénière, une semaine seulement après son adoption par le Sénat, alors qu'il existe un désaccord entre les deux assemblées sur plusieurs points, dont l'extraterritorialité.

Je m'étonne également de la manière dont le dossier est conduit par le ministère de la culture, qui soutient une position à l'Assemblée nationale puis son contraire au Sénat, sans que l'on comprenne les raisons de son revirement…

Il faut toujours faire attention quand on légifère sur l'économie numérique : on ne peut pas faire un texte franco-français parce qu'internet ignore les frontières ; en outre, on a connu, depuis 1981, un très fort développement du droit européen, qui nous contraint énormément, notamment sur ces questions d'extraterritorialité.

Enfin, ce texte me laisse une impression désagréable. Il a été souhaité par un secteur économique qui, dans le même temps, semble vouloir verrouiller le marché. Si la Commission européenne a ordonné des perquisitions spectaculaires, ce n'est sans doute pas sans de solides raisons. Peut-être ne connaissons-nous pas tous les tenants et les aboutissants de cette affaire.

PermalienPhoto de Monique Boulestin

Je me félicite des avancées observées entre la première et la seconde lecture.

Nous souhaitons qu'une rémunération juste et équitable soit garantie aux auteurs. Il convient à la fois de respecter la chaîne du livre et d'anticiper le devenir du livre numérique, car il ne faudrait pas se limiter au livre homothétique.

Je veux également insister sur la clause d'extraterritorialité, car nous ne pouvons demeurer en deçà des préconisations du ministre de la culture. De surcroît, notre rôle est de faire des propositions et de parvenir, grâce à nos amendements, à un consensus.

PermalienPhoto de Colette Langlade

La rémunération reste une question délicate : le contrat de mandat risque d'être juridiquement fragile et de susciter de la méfiance, car il provoquera une forte concentration des distributeurs numériques. Dans ces conditions, l'éditeur parviendra-t-il à conserver la maîtrise du prix du livre numérique ?

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Monsieur Bloche, en bon bismarckien, vous estimez que la force précède le droit, mais il nous appartient aussi d'adopter des lois qui puissent être appliquées !

Je suis d'accord avec vous : il convient de distinguer l'article 2 et l'article 3 ; la question de l'extraterritorialité ne se pose en réalité que pour ce dernier.

Quant aux négociations entre le SNE et le CPE, elles n'ont pas échoué, elles sont simplement interrompues ; il serait utile que le législateur donne un signal clair.

Monsieur Tardy, les perquisitions des inspecteurs européens se sont déroulées dans des conditions ahurissantes : on aurait cru avoir affaire à un cartel de la drogue ! D'ailleurs, la Commission, comprenant sans doute qu'elle avait eu la main un peu lourde, a rappelé dans son communiqué de presse du 2 mars que le fait de conduire de telles inspections ne signifie pas qu'elle dispose de preuves conclusives d'un comportement anticoncurrentiel et ne préjuge en rien de l'issue de l'enquête elle-même. Une certaine retenue s'impose à propos de cette affaire désastreuse.

Vous avez raison, madame Boulestin, il faudra un jour examiner les autres formes de création numérique ; mais, dans le cadre de ce texte, il n'est question que du livre homothétique.

Madame Amiable, l'amendement que je propose répond parfaitement aux préoccupations du ministre, puisqu'il vise à éviter que le livre numérique soit vendu à des distributeurs implantés à l'étranger à un prix inférieur à celui pratiqué en France.

Madame Langlade, l'objectif de la présente proposition de loi – qui, je le rappelle, a été élaborée dans un climat de consensus – est précisément que la maîtrise du prix du fichier numérique reste à l'éditeur, soit en vertu de la loi, dans le cadre national, soit par l'intermédiaire du contrat de mandat, dont mon amendement précisera qu'il ne pourra pas fixer un prix différent du prix de référence.

Avant de passer à l'examen des articles, je voudrais faire deux remarques supplémentaires.

D'abord, le problème des plates-formes de téléchargement ne concerne pas que la France et l'Europe. Quand bien même on réglerait la question au niveau européen, cela ne concernerait pas les plates-formes implantées sur d'autres continents. De ce point de vue, mon amendement a l'avantage de traiter le sujet à la source.

Ensuite, il faut porter le débat sur la diversité culturelle à l'ère numérique au plan européen. Tel est le sens de la proposition de résolution que Michel Lefait, membre du groupe SRC, et moi-même allons déposer dans le cadre de la Commission des affaires européennes. Il serait bon qu'elle soit adoptée solennellement dans l'hémicycle avant l'été, afin de marquer la volonté politique unanime de l'Assemblée nationale sur le sujet.

Mais il faut aussi porter le débat au plan mondial – c'est un sujet quasiment onusien. Il est frappant que nous ayons tant de mal à encadrer l'essor du numérique alors qu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, nos prédécesseurs avaient réussi à mettre en place des organisations internationales pour réguler le développement des télécommunications.

Une bonne nouvelle vient de nous parvenir des États-Unis. Les éditeurs et auteurs américains avaient intenté un procès contre Google et ses numérisations sauvages, mais au bout de quelques mois, ils avaient dû, en raison du montant des frais d'avocats, renoncer à leurs poursuites et accepter une transaction. Or, le procureur américain a bloqué cette transaction et la procédure a été gelée plusieurs mois. Et le juge Chin, chargé de l'affaire au fond, vient de donner tort à Google.

La justice américaine vient donc de faire un pas important pour le respect du droit d'auteur. On peut espérer qu'elle sera aussi vigilante sur les abus de position dominante. Le combat mondial n'est donc pas perdu – mais il ne faut pas avoir d'états d'âme et savoir utiliser tous les outils à notre disposition.

PermalienPhoto de Christian Kert

Nous passons maintenant à l'examen des articles.

La Commission est saisie de 19 amendements, qui reprennent presque tous ceux que nous avions examinés en première lecture.

En application de l'article 108, alinéa 3 de notre règlement, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

Article 2 : Fixation du prix de vente par l'éditeur

La Commission examine, en discussion commune, les amendements AC 1 du rapporteur et AC 16 de M. Lionel Tardy.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Je propose d'assujettir uniquement les éditeurs établis en France à l'obligation de fixer un prix de vente pour les livres numériques qui y sont diffusés.

PermalienPhoto de Lionel Tardy

Mon amendement va dans le même sens. Il s'agit de savoir si cette loi doit concerner les seuls éditeurs français ou également les étrangers. Dans le premier cas, nous défavoriserions les acteurs français face à la concurrence des plates-formes américaines. Dans le second cas, nous serions en contradiction flagrante avec le droit européen ; la première chose que ferait un Américain serait de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne. On attendrait deux ans pour s'entendre dire finalement que notre loi étant contraire au droit européen, elle ne peut pas être appliquée !

Aucune solution n'est satisfaisante, mais, à tout prendre, autant ne pas heurter de front la Commission européenne : nous avons suffisamment de sujets de conflits pour ne pas en rajouter ! Je propose donc de revenir à la rédaction d'origine.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Avis défavorable à l'amendement AC 16. Le texte doit se limiter à la diffusion commerciale, en France, des productions des éditeurs français.

La Commission adopte l'amendement AC 1 du rapporteur.

En conséquence, l'amendement AC 16 de M. Lionel Tardy devient sans objet.

La Commission examine l'amendement AC 14 de M. Patrick Lebreton.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Il est satisfait par l'article 8 de la proposition de loi, qui prévoit que les dispositions de la loi s'appliquent outre-mer. Par ailleurs, la dématérialisation supprime les frais de port. Avis défavorable.

La Commission rejette l'amendement.

Elle examine ensuite l'amendement AC 5 de M. Marcel Rogemont.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Il s'agit d'étendre aux lycées et aux collèges l'exception prévue à l'alinéa 3.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

L'exception vise les seules bibliothèques de recherche et universitaires car les bibliothèques scolaires n'utilisent pas vraiment ce type de services. De plus, l'amendement viderait le dispositif de son sens en étendant démesurément les exceptions. Enfin, la conjugaison des alinéas 1 et 2 de l'article 2 permettra en tant que de besoin aux bibliothèques scolaires de bénéficier de prix adaptés, puisqu'il est prévu que le prix fixé par l'éditeur « peut différer en fonction du contenu de l'offre et de ses modalités d'accès ou d'usage ». Avis, pour ces raisons, défavorable.

La Commission rejette l'amendement.

Elle examine ensuite l'amendement AC 13 de Mme Marie-Hélène Amiable.

PermalienPhoto de Marie-Hélène Amiable

Par cet amendement, déjà déposé en première lecture, nous proposons d'introduire une exemption afin de protéger les droits des auteurs ayant recours aux nouveaux modèles de création et d'exploitation des oeuvres que sont les licences libres.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Vous voudriez que la loi protège les droits des auteurs ayant recours aux licences libres tout en les excluant du champ d'application de la proposition, ce qui est contradictoire. Je rappelle d'autre part que le texte ne prend pas position sur la question des mesures techniques de protection, les DRM, qui relèvent des éditeurs. Rien n'empêchera un auteur ou un éditeur de publier un ouvrage sans DRM, de ce fait reproductible à l'infini. Avis défavorable.

La Commission rejette l'amendement.

Elle examine ensuite l'amendement AC 6 de M. Marcel Rogemont.

PermalienPhoto de Patrick Bloche

Il est rédigé dans le même esprit que celui qui vient d'être examiné. Il faut tenir compte des nouveaux modèles de création et d'exploitation des oeuvres et pour cela introduire une exemption concernant la diffusion commerciale qui autorise la copie sans limitation. Il y a là sujet à une réflexion approfondie et notre Commission devrait donner un premier signal à tous les créateurs.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle examine l'amendement AC 7 de M. Marcel Rogemont.

PermalienPhoto de Monique Boulestin

Cet amendement étend aux oeuvres écrites numériques l'exception introduite en 2006 dans le code de la propriété intellectuelle, permettant d'utiliser des extraits d'oeuvres protégées par le droit d'auteur à des fins d'illustration de l'enseignement et de la recherche.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

La complexité du régime des exceptions au droit d'auteur fait les délices des juristes. Ouvrir ce chantier de sa révision à l'ère du numérique par le biais de cette proposition ne peut se concevoir : le sujet mérite un texte spécifique. En outre, l'amendement revient sur une partie de l'exception pédagogique prévue par la loi de 2006 relative aux droits d'auteurs et aux droits voisins dans la société de l'information. Or, le livre numérique étant appelé à jouer un rôle fondamental dans l'enseignement et la recherche, on peut penser que des modèles économiques seront définis qui permettront d'utiliser les livres numériques dans un cadre pédagogique sans recourir à une exception au droit d'auteur. Avis défavorable.

La Commission rejette l'amendement.

Elle adopte ensuite l'article 2 ainsi modifié.

Article 3 : Respect du prix de vente fixé par l'éditeur

La Commission examine les amendements identiques AC 2 du rapporteur et AC 18 de M. Lionel Tardy.

PermalienPhoto de Patrick Bloche

Et même un peu plus ! La Commission pourrait faire avancer les choses en distinguant plus clairement la fixation du prix de vente par l'éditeur, dont traite l'article 2, du respect par le distributeur du prix de vente fixé par l'éditeur, objet de cet article. Cela permettrait de faire droit à la revendication d'extraterritorialité pour ce qui concerne le respect du prix de vente. Le groupe SRC votera contre cet amendement.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Nous nous sommes déjà longuement expliqués à ce sujet.

La Commission adopte les amendements.

Puis elle examine l'amendement AC 19 du rapporteur.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Cet amendement vise à répondre à votre inquiétude : il prévoit la nullité de toute clause contractuelle qui fixerait un prix de vente au public inférieur au prix fixé par l'éditeur pour le territoire français. La nouvelle rédaction que je vous propose permet donc de rendre l'article 3 applicable, et de répondre au souci exprimé par les sénateurs et un certain nombre d'acteurs du secteur du livre. Le « désir d'extraterritorialité » cessera dès lors d'être un simple phantasme !

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Il serait bon de compléter l'exposé sommaire de l'amendement pour dire que cette inquiétude a aussi été exprimée en première lecture par certains députés, ce qui n'a pas peu contribué à l'avancée de la réflexion.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Toutefois, l'amendement nous ayant été soumis à l'ouverture de la réunion, nous réserverons notre vote jusqu'à son examen en séance publique, après avoir pris le temps nécessaire à l'analyse de ses implications. Pour l'instant, nous nous abstiendrons.

La Commission adopte l'amendement.

Elle adopte ensuite l'article 3 ainsi modifié.

Article 5 bis : Rémunération des auteurs

La Commission examine l'amendement AC 17 de M. Lionel Tardy, de suppression de l'article.

PermalienPhoto de Lionel Tardy

L'article avait été supprimé par l'Assemblée nationale en première lecture. Nous avions estimé que la question de la rémunération des auteurs et du statut des droits numériques n'entrait pas dans le champ de ce texte. Outre cela, le dispositif proposé était d'une complexité redoutable : rien ne prouve que l'édition numérique entraîne des économies pour l'éditeur et, à supposer que cela soit le cas, nul ne sait sur quelles bases ces économies seraient calculées, ni par qui. Aucune réponse n'ayant été apportée à ces questions, nous devons maintenir notre position initiale.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Avis défavorable. Je pense comme vous qu'une réflexion d'ensemble sur la rémunération des auteurs s'impose. Dans l'intervalle, rien n'interdit un signal. C'est l'objet de l'amendement AC 3 que je vous soumettrai dans un instant.

PermalienPhoto de Lionel Tardy

Je maintiens que cet article, parce qu'il fait référence au code de la propriété intellectuelle, n'a pas sa place dans ce texte ; qu'il n'est pas établi que le passage au numérique est source d'économies pour l'éditeur et que nous ne pouvons légiférer dans le flou. Enfin, si des économies sont constatées, il n'y a pas de raison particulière de favoriser les auteurs.

La Commission rejette l'amendement AC 17.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements AC 3 du rapporteur et AC 8 et AC 9 de M. Marcel Rogemont, ainsi que les sous-amendements AC 10, AC 11 et AC 12 de M. Marcel Rogemont à l'amendement AC 3 du rapporteur.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

L'amendement AC 3 vise à ce que l'exploitation numérique de leurs oeuvres s'accompagne d'une rémunération juste et équitable pour les auteurs. L'article est réécrit pour que le contrat d'édition signé entre l'auteur et l'éditeur le garantisse clairement. Par ailleurs, l'éditeur devra rendre compte de façon explicite et transparente des modalités de calcul de la rémunération, laquelle doit viser toutes les formes d'exploitation de l'oeuvre – achat au titre ou par partie, abonnements, recettes publicitaires… – et son caractère « juste et équitable » doit être apprécié en proportion du nombre de ventes et de téléchargements.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Je me réjouis que le rapporteur soit désormais favorable au maintien d'un article qui porte sur le code de la propriété intellectuelle ; cela montre que des progrès ont été accomplis depuis l'examen de la proposition en première lecture. L'excellente rédaction de l'amendement AC 3, qui mentionne explicitement l'obligation d'une rémunération « juste et équitable » calculée de façon « transparente » me conduit à retirer les amendements AC 8 et 9.

Les amendements AC 8 et 9 sont retirés.

PermalienPhoto de Patrick Bloche

Les sous-amendements AC 10, AC 11 et AC 12 tendent à modifier le code de la propriété intellectuelle pour conforter la situation des auteurs en prévoyant un contrat séparé, en cas d'édition numérique. Il serait paradoxal qu'ils ne trouvent pas leur compte aux économies permises par la dématérialisation.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Je ne suis favorable à aucun des trois sous-amendements. L'amendement AC 3 représente un progrès important, et traiter des questions relatives aux droits des auteurs à l'ère du numérique par le biais de sous-amendements me semble malvenu. D'autre part, sur le fond, préconiser un contrat séparé pour les cessions portant sur des droits d'exploitation d'un livre numérique n'implique-t-il pas que livre imprimé et livre numérique seraient des oeuvres différentes ? Les contrats séparés ne se justifient pas pour des publications différentes de la même oeuvre – c'est d'ailleurs pourquoi il n'y a pas de contrats séparés pour une édition « classique » et une édition au format de poche.

Il est nécessaire, je l'ai dit, d'engager dans les meilleurs délais une réflexion d'ensemble sur ces questions pendantes, mais cela ne saurait se faire dans le cadre du texte en discussion.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Pour l'exploitation et pour la rémunération, l'univers physique et l'univers numérique diffèrent. Pour les ouvrages numérisés, la notion d'épuisement perd sa signification : les auteurs n'ont plus de moyen d'action sur la manière dont on expose et promeut leurs oeuvres, ce qui est dommageable pour eux. Il faut leur laisser la possibilité de récupérer leurs droits ; c'est à quoi tendent les trois sous-amendements.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Je pense, comme vous, qu'une réflexion s'impose sur l'adéquation de la loi de 1957 à l'âge du numérique. Je considère toutefois que ce sujet d'une complexité extrême doit faire l'objet d'une réflexion d'ensemble. Il serait prématuré de traiter certains aspects seulement de la question par le biais d'amendements ou de sous-amendements.

Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette les sous-amendements AC 10, AC 11 et AC 12.

Puis elle adopte l'amendement AC 3.

La Commission adopte l'article 5 bis ainsi rédigé.

Article 7 : Comité de suivi et clause de rendez-vous

La Commission examine l'amendement AC 4 du rapporteur.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Il s'agit de rétablir la disposition adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en première lecture, prévoyant que le rapport du Gouvernement se penche sur les effets sur la rémunération des auteurs de l'application d'un prix fixe au commerce du livre numérique.

La Commission adopte l'amendement.

Elle est saisie de l'amendement AC 15 de M. Patrick Lebreton.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle adopte l'article 7 ainsi modifié.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Le groupe SRC s'abstiendra sur l'ensemble du texte.

La Commission adopte l'ensemble de la proposition de loi modifiée.

La séance est levée à midi.