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Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 6 avril 2011 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, rapporteur :

Le Sénat a rétabli un certain nombre de dispositions qu'il avait adoptées en première lecture et que nous avions modifiées. Deux sujets principaux restent à traiter : la rémunération des auteurs et l'extra-territorialité.

Sans rémunération, il n'y a pas de création. La vente de livres numériques, grâce à la disparition de certains coûts de fabrication et d'intermédiaires de la chaîne du livre, dégage des marges plus fortes que le livre papier. Elles doivent bénéficier aux auteurs. Mais il n'est pas question de modifier le code de la propriété intellectuelle au détour de cette proposition de loi. J'ai proposé à notre présidente d'ouvrir très vite une réflexion sur le droit d'auteur à l'ère numérique, la loi de 1957 étant inadaptée. Le commissaire européen en charge de ces questions, Michel Barnier, y réfléchit de son côté. Bref, le droit d'auteur en matière numérique sera un sujet d'ampleur à traiter dans les mois qui viennent. Dans le cadre du présent texte, je vous proposerai un amendement affirmant clairement que les auteurs doivent bénéficier des économies générées par le raccourcissement de la chaîne du livre.

J'en viens à l'extra-territorialité. La proposition tend à garantir que le prix du livre numérique est fixé par l'éditeur, afin d'éviter que les distributeurs numériques, qui n'ont pas le souci du mieux-disant culturel et de la rémunération de la création, ne se lancent dans une course à la baisse des prix des fichiers. Il est capital que l'éditeur garde la maîtrise de la fixation du prix, comme c'est le cas pour le livre papier. D'autres pays européens ont réfléchi à la question. L'Allemagne n'a pas légiféré explicitement, mais l'équivalent de notre loi sur le prix du livre y est applicable au livre numérique, par interprétation. Quant à l'Espagne, elle a conduit une démarche législative similaire à la nôtre.

Cette proposition de loi s'appliquera sans ambiguïté dès sa promulgation dans notre ordre juridique interne, mais le numérique ne connaît pas de frontières : rien n'empêche qu'un fichier soit téléchargé en France venant d'ailleurs, et donc peut-être à un prix différent – je ne parle que de l'offre légale, pas du piratage. La solution recommandée par de nombreux rapports, à commencer par celui de M. Patino, c'est le contrat de mandat, qui permet à un éditeur de garder hors de nos frontières la maîtrise du prix de vente de son livre numérique.

Deux objections ont été néanmoins soulevées à cet égard. La première est que le contrat de mandat est attaqué en justice dans plusieurs pays par de grands distributeurs numériques, et qu'on ne sait pas ce qui va en résulter. Les juristes sont partagés à son sujet. Pour autant, depuis deux ans, aux États-Unis, six éditeurs l'utilisent avec succès dans leurs relations avec les distributeurs numériques : ils ne sont plus obligés de brader leurs fichiers numériques. Du coup, certains distributeurs numériques ont vu leur part de marché réduite de moitié. Peut-être le contrat de mandat sera-t-il fragilisé dans certains États au gré de la jurisprudence, mais pour l'instant, montrons-nous pragmatiques : cette solution peut être retenue.

La deuxième crainte, c'est que même si le contrat de mandat fonctionne bien, la concentration des distributeurs numériques est telle, leur position si dominante, que les éditeurs ne seraient pas de taille à leur résister : la corde au cou, ils seraient obligés de vendre leurs fichiers numériques à vil prix. Pour ma part, je ne vois pas pourquoi un éditeur français vendrait son fichier par contrat de mandat moins cher que ce qu'il avait décidé au départ : avec les comparateurs de prix sur internet, c'est le prix le moins élevé qui deviendrait la référence, et cela reviendrait à scier la branche sur laquelle il est assis.

Mais l'objection n'est tout de même pas mince : il reste possible, dans notre économie concurrentielle, que les éditeurs soient obligés de céder face à des distributeurs quasi monopolistiques. Pour y répondre, les sénateurs ont voté une « clause d'extraterritorialité ». J'en partage l'inspiration, mais je pense qu'elle n'est pas applicable telle quelle. Le législateur français ne peut régler l'ordre juridique hors du territoire national.

L'argument des tenants de cette clause, c'est qu'ils ne font pas du droit, mais de la politique et qu'il faut montrer à Bruxelles « de quel bois on se chauffe ». Il est vrai que nous devons mener, tant à la Commission qu'au Conseil et au Parlement européen, une action vigoureuse pour défendre la diversité culturelle. Il faut notamment que la directive sur les services et la directive sur le commerce électronique intègrent la diversité culturelle comme c'est déjà le cas du traité régissant l'Union européenne.

Cela sera un beau combat, auquel doivent s'associer les membres de nos deux assemblées. Avec Michel Lefait, membre comme moi de la commission des affaires européennes, nous allons déposer une proposition de résolution sur ces sujets. Mais pour l'heure, la solution de nos collègues sénateurs n'est pas viable. Je proposerai plutôt, par l'amendement n° 19 AC, qu'un éditeur ne puisse, dans un contrat de mandat, vendre son fichier à un prix inférieur à celui qu'il a fixé sur le territoire national. Cela règle toutes les situations, que la plate-forme de téléchargement soit située en France – c'est la loi française qui s'applique, avec le prix fixé par l'éditeur – ou à l'étranger – en Europe et partout ailleurs dans le monde.

Il me semble que cette solution est à même de répondre à l'objection pertinente des partisans de l'extraterritorialité. Sur un sujet de cette importance politique, au meilleur sens du terme, notre devoir est de légiférer le mieux possible. Et pour cela, il faut une loi applicable.

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