Commission des affaires économiques
La commission des affaires économiques, a entendu :
La Commission entend tout d'abord M. Jean-Michel Lemétayer, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), accompagné de Mmes Catherine Lion, directrice générale adjointe, et Nadine Normand, chargée des relations parlementaires.
M. le président, nous sommes heureux de vous accueillir, avec vos collaborateurs, à un moment important pour la vie de l'agriculture française, tant sur le plan législatif, avec la préparation du projet de loi de modernisation, que sur le plan budgétaire et sur le plan européen. Qu'attendez-vous du Parlement pour ces trois échéances ? Face à l'urgence de la situation, quels sont les points sur lesquels notre commission pourrait contribuer à apporter des solutions ? Nous souhaitons que cette audition vous permette de préciser les idées que nous pourrions soutenir dans l'hémicycle et auprès du Gouvernement, dans l'intérêt des agriculteurs – car pour ma part je n'imagine pas un pays sans paysans et je suis un adversaire résolu de la déprise agricole.
Je vous remercie de nous accueillir une nouvelle fois. Je suis venu accompagné de Mmes Nadine Normand, chargée des relations parlementaires, et Catherine Lion, directrice générale adjointe de la FNSEA, chargée du volet économie et développement durable.
Vous nous invitez à nous exprimer dans la perspective du projet de loi de modernisation, dont le texte n'est pas encore finalisé. Mardi dernier, nous avons déjà reçu les parlementaires qui le pouvaient pour leur présenter notre analyse, et nous tenons à la disposition de vous tous un document détaillé.
En effet, et c'est pourquoi je reprendrai à titre liminaire quelques arguments que j'ai développés lorsque le ministre en charge de l'agriculture a lancé le débat sur le projet de loi.
Si ce texte doit être débattu au Parlement au début de l'année prochaine, il nous faut d'abord, pour la sérénité des débats, sortir de la situation actuelle car la quasi-totalité des marchés agricoles sont atteints par la crise, ou du moins par une grave dépréciation des cours : fruits et légumes, porc, lait, viande bovine et ovine, viticulture… et jusqu'aux céréales : lorsque le prix descend à 100 euros la tonne, il n'est plus possible d'équilibrer les comptes ; et je ne parle pas des prix qui vont être pratiqués pour le maïs. À cela s'ajoute la sécheresse qui frappe certaines régions. Il s'agit avant tout de problèmes conjoncturels, mais ils doivent trouver des solutions.
En second lieu, nous subissons désormais pleinement les conséquences des réformes successives de la politique agricole commune (PAC). Comment le projet de loi favorisera-t-il l'adaptation de notre agriculture, étant entendu que la situation conjoncturelle que je viens d'évoquer résulte du basculement de cette politique européenne dans un schéma très libéral du « tout-marché » - lequel, selon la commissaire européenne Mme Fischer Boel, a pour seul « filet de sécurité » les aides directes ? La crise laitière est la résultante du maintien du régime des quotas d'un côté, et de l'abaissement du filet de sécurité de l'autre, avec la réduction de 20 à 30 % des prix d'intervention sur le beurre et la poudre de lait, alors que le marché laitier européen est de plus en plus dépendant du marché mondial. L'abandon de la régulation touchera prochainement la viticulture, la suppression des droits de plantation ayant été prévue pour 2015 dans la réforme de l'organisation commune du marché vitivinicole. Bref, les mécanismes de gestion de marché sont progressivement tous abandonnés.
Dans ces conditions, avant de détailler les articles du projet de loi, il faut bien préciser son exposé des motifs. Qu'attendons-nous de ce texte ?
Notre agriculture, on ne le souligne jamais assez, doit trouver sa place dans un marché européen totalement libre. Les distributeurs peuvent acheter en Allemagne ou dans un pays récemment entré dans l'Union, aussi bien qu'en France, les pommes golden qu'ils vont vendre aux consommateurs français. Il faut donc d'abord viser l'équité entre les producteurs sur tout le territoire de l'Union. À cette question s'ajoute celle des importations extra-européennes, qui fera l'objet de nouvelles négociations dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
C'est dans ce contexte général, marqué notamment par l'échéance de 2013 pour la PAC, qu'il faut néanmoins oeuvrer sur le plan législatif pour défendre l'agriculture que nous souhaitons, une agriculture qui réponde tant en quantité qu'en qualité aux attentes des consommateurs. Mais il faut être conscient qu'aujourd'hui, les agriculteurs sur le terrain n'entendent plus ces arguments : ils ont besoin que des décisions soient prises pour régler ses problèmes de court terme, avant de pouvoir s'intéresser aux réformes structurelles. Un seul exemple : lorsque l'on tente aujourd'hui de parler de contractualisation, sur le terrain, on n'y croit pas. Il ne sera pas possible d'être audible sur un texte de loi si l'on n'apporte pas de réponse aux problèmes conjoncturels. Pour bien vous convaincre qu'il ne s'agit pas seulement de la crise laitière, je vous invite à tourner vos regards le 16 octobre vers Avignon, où se rassembleront des producteurs de fruits et légumes et des viticulteurs des régions Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte d'Azur.
En outre, un article de loi ne vaut que par l'application qui en est faite, donc, en premier lieu, par les décrets d'application.
A la FNSEA, nous travaillons sur trois thèmes : la compétitivité des entreprises agricoles, l'organisation économique des filières et la question du foncier. Le ministre a choisi de regrouper les deux premiers sous le chapitre « Compétitivité et revenus » ; le troisième relève de « l'agriculture durable ».
S'il est nécessaire de légiférer de nouveau sur le foncier, c'est que la pression exercée sur notre outil de production par l'urbanisme et par les grands travaux d'infrastructures - les nouvelles lignes à grande vitesse, par exemple - s'accroît. Au-delà de l'obligation de zonage existante, il nous semble indispensable de mettre en place une commission départementale à compétence décisionnelle en matière de gestion du foncier, rassemblant tous les acteurs - notamment agricoles. Il faut davantage associer la profession agricole aux décisions en matière de gestion du foncier, en allant au-delà du rôle actuel des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) et de l'avis rendu par les chambres d'agriculture.
Cette commission aurait pour mission de se prononcer sur le déclassement des terres agricoles. Elle se composerait d'experts du monde agricole, d'élus, de spécialistes de l'environnement, de représentants des propriétaires, et statuerait sur tout projet entraînant un tel déclassement.
Sur ce premier point, je crois que nous sommes tout à fait d'accord : une vigilance accrue est nécessaire quant à la déprise agricole et aux raisons de cette déprise. L'urbanisation excessive et incontrôlée, assortie d'enjeux spéculatifs, est un risque dont nous sommes bien conscients.
Permettez-moi de revenir sur la question des décrets d'application, à mes yeux essentielle. J'ai été à l'origine, il y a quatre ans, du dispositif de contrôle parlementaire d'exécution de la loi. S'agissant du texte à venir, je prends l'engagement de demander au Gouvernement, à chaque article pour lequel ce sera possible, de présenter les décrets en même temps que le projet de loi. Lorsque le décret ne sera pas présenté tout de suite, je demanderai au rapporteur chargé du suivi de l'application de la loi de lancer ses travaux au plus vite et de porter une attention toute particulière à la publication du texte concerné afin de s'assurer qu'il respecte bien l'esprit de la loi.
La chambre d'agriculture donne seulement un avis. Il faut aller plus loin, y compris dans la prise en compte de l'avis des syndicats agricoles. La chambre d'agriculture n'a pas d'élus de territoire ; or quand il y a pression sur le foncier, il faut pouvoir entendre les représentants de la profession, élus démocratiquement sur le terrain – ce qui ne remet nullement en cause le rôle d'expertise de la chambre d'agriculture.
A un moment où l'on envisage certaines réformes, nous voulons veiller à ce que la population que nous représentons continue, en dépit de sa démographie, à être clairement associée à une vie territoriale dont elle est un acteur essentiel.
Le déclassement se fait par rapport à un classement figurant dans un document d'urbanisme. Le monde rural étant souvent dépourvu de tels documents, pensez-vous qu'il faut généraliser les schémas de cohérence territoriale, les SCOT ?
Oui. Nous demandons la définition d'un zonage agricole pérenne. Plus la pression urbaine est forte, plus il y a de documents, mais ceux-ci font souvent défaut lorsque cette pression ne s'est pas fait sentir.
J'en viens, après la question foncière, au volet économique et à la question du revenu des agriculteurs.
Dans ce domaine, l'un des points qui nous tiennent à coeur est la dotation pour aléa économique : on a avancé en matière d'aléas climatiques et sanitaires, mais c'est là un nouveau pas qu'il faut franchir. Un système d'assurance est nécessaire. Il faut aussi autoriser les exploitants à opter pour une assiette de cotisations sociales basée sur l'année N, et non pas N-1. Il faut enfin supprimer l'assiette minimum de 800 SMIC en assurance maladie. Ce sont là des propositions concrètes visant à stabiliser le revenu des agriculteurs.
S'agissant de la compétitivité des entreprises, vous avez voté il n'y a pas si longtemps un texte qui traitait de l'entreprise agricole à travers les notions de baux cessibles et de fonds agricoles, mais il apparaît clairement que de nouvelles dispositions sont nécessaires pour sauvegarder l'entreprise agricole en tant qu'entité. Avec l'évolution de la politique des structures, en effet, on voit s'accroître le risque de démantèlement de l'entreprise ; en cas de départ à la retraite sans succession familiale, il n'est pas rare que le propriétaire prenne beaucoup de liberté par rapport à l'entité qui s'était construite. Or dans le débat sur le fond agricole, l'idée était de permettre aux jeunes agriculteurs de bien distinguer le foncier et l'outil de production. Il faudra donc réfléchir aux moyens de préserver la notion d'entreprise agricole, et donc de favoriser la transmission, notamment par des dispositions fiscales.
Pour ce qui est de l'organisation économique des filières, la question centrale est de savoir comment renforcer la position du producteur face aux acteurs du circuit d'aval. La loi ne fixera qu'un cadre, mais il faudra qu'il puisse être décliné secteur par secteur. Il faut d'abord faire le constat honnête de ce qui marche et de ce qui marche moins bien, une organisation forte n'empêchant pas toujours l'existence de difficultés. Dans le secteur du porc, par exemple, 95 % des producteurs sont regroupés en coopératives, généralement dotées d'outils d'aval, et il y a un seul marché pour l'ensemble de la production française ; et pourtant, nous n'avons pas de levier pour agir sur la situation actuelle. Le secteur des fruits et légumes est au contraire très atomisé mais, quand bien même on encouragerait le regroupement de l'offre, on n'empêcherait pas le lien direct et très aléatoire des producteurs des « ceintures vertes » avec la grande distribution. La contractualisation doit s'adapter à toutes ces situations.
Avec la crise du lait, tout le monde a traduit « contractualisation » par « intégration ». Or ce n'est pas ce que nous proposons, bien au contraire ! Nous ne voulons pas reproduire ce qui se passe dans le secteur de la production de volailles ou de veaux de boucherie, où la politique d'intégration a transformé les producteurs en salariés. La politique de contractualisation est destinée à clarifier la relation du producteur avec l'aval et à lui permettre de s'appuyer sur les interprofessions nationales, chaque filière arrêtant ses règles du jeu. L'objectif est de fixer les conditions de l'approvisionnement, la durée du contrat, les modalités de rémunération, les indicateurs de référence, mais il ne s'agit pas du tout, contrairement à ce que certains ont pu craindre, de laisser le producteur seul face à son interlocuteur d'aval : le contrat devra respecter les règles définies au niveau de la filière. Puisque la politique européenne est désormais fondée sur la libéralisation du marché, la sécurisation du producteur passe par cette contractualisation : c'est à nos yeux un point essentiel. Au Danemark ou en Suède, où l'outil est coopératif, la question ne se pose pas. Elle est en revanche primordiale en France, où il faut protéger le producteur dans sa relation avec les grands groupes agroalimentaires.
Dans certains secteurs, il faut aller très loin dans l'organisation des filières, jusqu'à la distribution. Nous ne pouvons pas considérer que nous sommes sécurisés par la LME, la loi de modernisation de l'économie. La constitution d'organisations de producteurs doit devenir quasi systématique, voire obligatoire. Et par-delà le contexte actuel, l'objectif est que la filière organise les relations entre de vrais partenaires – producteurs, entreprises agroalimentaires, distribution. Si la loi réussit à clarifier cela, chacun adhérera à ce réel partenariat. Pour notre part, nous y sommes prêts.
Merci, M. le président. Je m'interroge moi-même sur ce que nous n'avons pas su mener à bien, notamment dans la loi de modernisation de l'économie.
Il ne sert à rien de voter des lois si l'on ne s'emploie pas à les faire appliquer. Vous nous aviez entendus lorsque nous avions demandé la suppression des remises, rabais et ristournes dans les relations commerciales, notamment dans la filière des fruits et légumes ; malheureusement, cette disposition n'est pas appliquée sur le terrain : les producteurs cèdent souvent à la pression des enseignes de distribution, qui menacent de ne pas reconduire le marché l'année suivante. Il est scandaleux, par exemple, que les grands distributeurs s'apprêtent à exiger des groupes fournisseurs une remise sur tout le volume de fruits et légumes commercialisés en 2009 pour accorder le marché de 2010 ; remise qui ne bénéficiera évidemment pas au consommateur.
En ce qui concerne le foncier, nous sommes d'accord avec vous sur les principes ; au cas où le Gouvernement n'irait pas au bout de la logique, je pense que nous saurons trouver ensemble les bons amendements à présenter.
Nous sommes également d'accord avec votre analyse économique. La notion d'entreprise agricole reste à conforter par des dispositions juridiques, comme on l'a fait avec le statut de l'auto-entrepreneur.
Pour ce qui est des filières et de la négociabilité, je me sens personnellement responsable car j'avais estimé de bonne foi que le dispositif de la LME était suffisamment précis. Or la loi est contournée de manière inacceptable. J'entends confier à quelques commissaires spécialistes de l'agriculture la mission d'aller vérifier cela sur le terrain. Nous pourrons ainsi apporter notre témoignage dans le débat, sur un sujet où la confiance est essentielle. Nous avions fait confiance, mais ce contournement de la loi plonge certains agriculteurs dans des situations dramatiques. Nous allons bien sûr vous aider à réorganiser les interprofessions, mais il ne peut y avoir de négociabilité sans loyauté ; il faudra donc profiter de la loi de modernisation de l'agriculture pour préciser les dispositions qui avaient été adoptées. Êtes-vous d'accord avec cette démarche ?
Oui. Ma première suggestion serait de consacrer par la loi l'Observatoire des prix et des marges, avec obligation pour lui de remettre chaque année un rapport au Parlement.
À court terme, nous souhaitions qu'une circulaire ministérielle apporte dans les meilleurs délais des précisions. Mais s'il est possible d'aller plus loin, il faut le faire car les contournements sont manifestes et les producteurs ne sont pas protégés.
Le ministre, M. Bruno Le Maire, est très déterminé dans cette affaire. Si une circulaire ou une modification des décrets permet d'apporter la solution, très bien ; si cela ne suffit pas, il faudra adopter des dispositions législatives. En tout cas, la commission des affaires économiques ne restera pas les bras ballants devant des contournements de la loi.
Les avis de la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC), à laquelle nous accordons toute notre confiance, apportent beaucoup de précisions sur la négociabilité. Le problème est de faire en sorte que ces avis soient respectés dans la pratique quotidienne.
M. le président, votre audition intervient à un moment particulièrement difficile pour l'économie agricole française. Pour la première fois sans doute, toutes les productions sont touchées.
Autre sujet de préoccupation, la désorganisation actuelle du monde agricole, dont personne ne peut se satisfaire. Là comme dans le monde ouvrier, nous avons besoin d'un syndicalisme fort. Je le dis comme je le pense, les coordinations qui se mettent en place témoignent certes de l'exaspération des agriculteurs mais ne peuvent pas permettre de résoudre les problèmes. De plus, la reconnaissance privilégiée dont jouit la FNSEA est en train de se retourner contre elle : vous êtes considérés comme des complices du pouvoir. Cela doit vous faire réfléchir, vous qui vous êtes opposés dans le passé à la reconnaissance d'autres syndicats ; la situation actuelle est dangereuse pour tout le monde.
« Ventre affamé n'a pas d'oreilles ». Aujourd'hui, c'est le ventre qui commande, l'heure n'est pas à la réflexion à long terme : chacun de nous peut constater le degré d'exaspération qui a été atteint. J'en viens néanmoins aux différents sujets qui viennent d'être évoqués.
Je commencerai par celui du foncier. Lors de la discussion de la loi d'orientation agricole, j'avais dit que nous nous retrouverions beaucoup plus tôt que la majorité ne le pensait : c'est hélas le cas. Nous considérions en effet que le texte poserait plus de problèmes qu'il n'en résoudrait. Le fait est que le fonds agricole et le bail cessible n'ont pas révolutionné les campagnes. En revanche, on a pu constater à quel point la libéralisation et la perte de pouvoir des commissions départementales d'orientation agricole ont pu modifier les comportements, surtout avec l'arrivée d'avocats d'affaires chez certains exploitants managers.
La question n'est donc pas seulement celle de l'arbitrage quant à la destination des terres. Il faudra se pencher sur le fonctionnement des établissements fonciers régionaux. Faut-il créer une nouvelle commission, ou faut-il que le syndicalisme agricole soit beaucoup plus présent dans ces établissements ? En tout état de cause, on ne peut pas se contenter de la situation actuelle, mais on ne peut non plus considérer qu'il faut tuer la spéculation entre activités sans toucher à la spéculation qui existe également entre les différentes activités agricoles.
En ce qui concerne le débat sur la régulation, j'avoue ne pas y voir clair. Je suis bien d'accord pour faire la différence entre contractualisation et intégration. Cela dit, il ne faudrait pas que les contrats envisagés aillent jusqu'à préciser l'alimentation du bétail, l'engrais et les produits phytosanitaires, comme on le voit déjà pour certaines productions.
Nous sommes entièrement d'accord.
Il faut le dire plus fortement car cela n'est pas ressenti ainsi dans les campagnes. La contractualisation doit concerner la quantité, le moment, la qualité, bref, les éléments essentiels qui déterminent la valeur du produit qu'on échange.
Par ailleurs, comme on le voit pour le porc, la difficulté est de mettre en place un dispositif fonctionnant à l'échelle du marché. Un système de régulation purement français est voué à l'échec. Le cas de la volaille en est une bonne illustration : chez les acouveurs, la régulation consiste à adapter chaque année la production au marché tel qu'on le connaît, mais cela conduit le plus souvent à réduire la production parce que les producteurs étrangers ont augmenté la leur. Ce type de régulation nous conduirait à abandonner nos positions. Il faut donc porter la question au niveau européen, tout en sachant que certains de nos voisins ont fait le choix d'une agriculture industrielle qui s'accommodera très bien de la baisse des prix.
Permettez-moi tout de même de regretter la simplicité du système antérieur : soutien aux prix et contrôle des quantités. Le soutien aux prix seul nous a conduits aux montagnes de beurre et de poudre de lait du début des années quatre-vingt. Un système de quotas ne peut pas, lui non plus, fonctionner seul. C'est la combinaison des deux qui pouvait être efficace.
En ce qui concerne les dispositions de la LME, je dirai que ce n'est pas parce qu'on dispose d'un observatoire des étoiles que l'on déplace les étoiles ! La question est aujourd'hui de savoir quels moyens on accepte de prendre pour aboutir à de réels changements.
Enfin, chacun doit balayer devant sa porte. Il y a deux ans, lorsque le prix du lait a beaucoup augmenté, la profession n'a pas fait grand-chose pour les éleveurs de veaux. Autre exemple : autant on a dénoncé la spéculation sur les marchés boursiers, autant le monde agricole ne s'est guère interrogé sur l'action des spéculateurs, parfois rémunérés par la profession, sur le marché des céréales au printemps 2008. Les gens qui couraient la campagne acheter des céréales à 250 euros la tonne ont fait plaisir aux céréaliers, mais ils ont coûté très cher aux éleveurs dans les régions comme la mienne ! À l'automne 2008, il a fallu payer leurs bêtises, et personne n'a rien dit. Comme certains spéculateurs sur les marchés boursiers, ils avaient imaginé que les cours continueraient de monter.
Il faudra bien aussi que, chez certains professionnels, on en revienne à une démarche de gestion, en s'interrogeant sur la constitution du prix de revient. Incontestablement, toute la fiscalité agricole est à revoir : apprendre dans une enquête que 30 % des éleveurs laitiers avaient acheté du matériel dans le seul but de s'endetter pour ne pas payer d'impôts laisse quand même rêveur…
Nous sommes bien conscients que, dans la conjoncture actuelle, nous serions difficilement audibles par les agriculteurs si nous débattions dès à présent du texte de la LMA.
Notre réflexion sur cette future loi doit s'articuler avec celle portant sur la nécessaire réforme de la politique agricole commune. N'oublions pas en effet que les souhaits que nous pouvons avoir pour notre agriculture doivent tenir compte du contexte européen.
Par ailleurs, cette loi ne devra pas être « agricolo-agricole », mais être destinée à l'ensemble de la société française : tout en traitant différents points importants pour l'agriculture, il s'agit de lancer un message à la nation, en soulignant l'importance de la profession agricole, comme celle des questions relatives à l'alimentation – quantité et qualité, gustative et sanitaire -, et en faisant comprendre que l'océan de nourriture dans lequel nous vivons n'est ni naturel, ni éternel, et qu'il n'est pas le lot de tous les pays du monde.
En ce qui concerne le foncier, dossier difficile, la commission départementale dont vous proposez la création devrait-elle être consultative ou avoir un pouvoir décisionnel ? Par la composition que vous envisagez, vous remettez en cause le système électoral des chambres d'agriculture – qui ne représentent pas les territoires. Ne pourrait-on envisager de modifier ce système afin de faire siéger dans ces chambres des élus territoriaux ?
En matière de revenu, il conviendra d'expliquer aux agriculteurs que l'introduction d'un système assuranciel est inévitable car, même si l'on réinstaure des mécanismes de régulation européenne, ils seront très en deçà du système antérieur. Ces assurances devront-elles être obligatoires ? A mon avis oui, car c'est la condition de leur efficacité.
La fiscalité doit davantage servir de levier pour accroître la compétitivité des agriculteurs. Les centres de gestion peuvent également jouer à cet égard un rôle très utile.
Il me paraît assez facile d'expliquer que la contractualisation n'est pas l'intégration. Mais est-elle compatible avec le statut de la coopérative, qui est une forme d'intégration ? Cette discussion devra avoir lieu filière par filière, car les relations commerciales entre les producteurs et les coopératives sont très différentes selon les productions. Ainsi, 95 % des producteurs de céréales sont aujourd'hui adhérents de coopérative et pleinement intégrés.
S'agissant enfin des transmissions, il faut avoir à l'esprit que les petites fermes individuelles sont plus vulnérables que les sociétés qui, d'année en année, assurent sans dommage le renouvellement de leurs associés.
Un mot tout d'abord de l'organisation économique. En tant qu'ancien producteur de poulets labellisés, je connais bien le système du Label rouge. Ce qui fait la différence avec un système intégré, c'est l'existence d'une association regroupant l'ensemble des acteurs de la filière et d'un organisme certificateur indépendant. C'est un dispositif dont on pourrait s'inspirer.
Les agriculteurs de Mayenne à qui j'ai récemment tenté d'exposer le contenu de la loi de modernisation de l'économie en ont, comme la plupart des agriculteurs, retenu les dispositions relatives à la négociabilité des prix, beaucoup plus que celles qui concernent la possibilité de dénoncer d'éventuelles pratiques frauduleuses ou de demander des contrôles. Au demeurant, on sait bien que 60 nouveaux contrôleurs ne peuvent suffire pour couvrir l'ensemble du territoire. L'autocontrôle, par l'intermédiaire d'organismes certificateurs indépendants, est donc une voie à explorer.
Autre piste que je retiens des travaux que j'ai pu faire sur le commerce équitable : l'existence de contrats pluriannuels, gages de visibilité, est un véritable atout.
S'agissant du foncier, ne serait-il pas opportun d'inscrire dans la loi de modernisation agricole, pour lui donner le soutien législatif nécessaire, le mode de calcul du fermage, qui a donné lieu l'an dernier à des négociations entre les organisations agricoles et les propriétaires fonciers sous l'égide du ministère de l'agriculture ?
Enfin, l'ancien président du COPA que vous êtes a-t-il un avis sur le nom du prochain commissaire européen chargé de l'agriculture ?
Le premier problème, c'est le revenu. La régulation est indispensable, mais dans l'immédiat des décisions doivent être prises en direction des agriculteurs.
Je partage ce qui a été dit sur la contractualisation, sur la compétitivité, sur le coût du travail dans le contexte européen. Je suggère de travailler aussi sur la question de l'étiquetage. Enfin, la question du foncier me paraît devoir être traitée en lien avec les problèmes d'environnement et le Grenelle 2.
M. le président Lemétayer, vous avez dit tout à l'heure que le terrain n'entendait plus. Si les choses allaient si mal, pourquoi avoir attendu si longtemps pour faire entendre votre voix ?
Je rappelle par ailleurs que la LME, déjà évoquée, a aussi des conséquences sur le foncier, puisqu'elle permet notamment l'installation de grandes surfaces de 1 000 mètres carrés sans autorisation – pour ne rien dire de la circulaire d'août 2008.
En matière de consommation, la philosophie générale qui, depuis deux ans, fait de la baisse des prix le moyen d'augmenter le pouvoir d'achat pousse à la guerre des prix, dont on voit aujourd'hui les conséquences.
Enfin, alors qu'on prévoit à l'horizon 2020-2030 une forte baisse du nombre de producteurs, notamment laitiers, le projet de loi de finances pour 2010 n'affiche plus l'installation de nouveaux exploitants comme une priorité.
Concernant la viticulture, M. le président, j'ai cru comprendre que vous vous inquiétiez de l'interdiction de plantation à partir de 2015.
J'évoquais au contraire la suppression des droits de plantation qui régulent aujourd'hui la viticulture en Europe. Après une sécurité peut-être excessive des débouchés à un prix déconnecté du marché mondial, qui a pu conduire à des surproductions, nous avons basculé dans un système inverse, qui n'offre plus de garantie. Depuis 1992, l'Europe est entrée dans l'ère de la dérégulation. À partir de 2015, la fin des droits de plantation permettra à qui voudra de planter de la vigne où il voudra – le réchauffement climatique aidant, peut-être le ferai-je moi-même sur les coteaux de ma commune de Bretagne !
En tant que rapporteur de l'OCM Vin au Parlement européen, je déplorais pour ma part l'impossibilité de planter, à laquelle a remédié la réforme de 1998. Cependant, les limites fixées par cette réforme n'ont pas été respectées au niveau des États, ce qui a donné lieu à une surproduction de vins – lesquels, de surcroît, étaient parfois d'une qualité insuffisante. De toute évidence, Bruxelles souhaite aujourd'hui insister sur la qualité et sur le respect de l'environnement.
Toujours dans le domaine de la viticulture, qu'attendez-vous du législateur quant au renforcement des interprofessions ? Qu'en est-il, à ce propos, des mesures prises l'an dernier par le ministre de l'agriculture en vue d'une gestion par les bassins ?
Quel est à votre avis l'avenir du bioéthanol et quelles mesures souhaitez-vous en direction des producteurs de betteraves ?
Pour ce qui concerne les maraîchers, pour lesquels la concurrence sur les salaires est vive, l'abaissement du coût du travail à 9 euros annoncé par le ministre, qui le situerait à un niveau comparable à celui qui prévaut en Allemagne ou en Espagne, vous paraît-elle suffisante ou d'autres mesures seront-elles nécessaires ?
L'ennemi n° 1 du producteur, c'est la course aux prix bas : le prix de vente doit au moins couvrir le prix de revient. Sur ces questions, nous devrions auditionner les centres comptables agricoles. Je rencontre pour ma part de nombreux acteurs dans ma circonscription de Normandie, qui compte notamment l'une des meilleures laiteries de France, les Maîtres laitiers du Cotentin, coopérative qui gagne beaucoup d'argent depuis qu'elle a décidé d'investir dans l'usine la plus moderne d'Europe.
Les centres d'économie rurale indiquent que la proportion de foncier par vache est trop importante et les charges trop élevées. En outre, l'attribution des rares parcelles libres donne lieu à une course aux prix que la SAFER ne parvient pas à réguler. La commission départementale évoquée sera-t-elle une deuxième SAFER et la fracture s'élargira-t-elle entre les agriculteurs et le reste de la population ?
La gestion française du lait est incompréhensible. Certains producteurs qui manifestent produisent 80 000 litres de moins que ce qui leur est autorisé, d'autres protestent parce qu'ils ont dépassé leur quota de 50 000 litres et se voient imposer des amendes très importantes. Comment se fait-il qu'on ne soit pas capable d'équilibrer la production et que l'Europe soit contrainte d'importer du lait ?
Pour ce qui concerne les fruits et légumes, la distorsion est grande entre les pays européens, et les modes de production adoptés en Belgique et en Hollande nous mettent en position de faiblesse. Le problème des produits phytosanitaires doit être résolu, l'interdiction de certains produits efficaces réduisant parfois dans des proportions considérables la production – je pense par exemple au poireau ou au colza.
Enfin, quelle sortie honorable peut-on imaginer pour les agriculteurs – 300 au moins en Basse-Normandie – qui ne voient pas de solution et perdent espoir ?
Quelle est, à l'échelle nationale et européenne, notre capacité de contrôle de la qualité des produits ? Cette question pose notamment celle de la traçabilité, en particulier pour les importations. Il s'agit aussi de savoir quels doivent être les points de contrôle et par qui ces contrôles doivent être effectués, afin de permettre une concurrence correcte en Europe et avec les autres pays du monde.
De nombreuses questions posées portent sur les conséquences de l'évolution de la politique agricole commune. Tous les paysans voudraient vivre de la vente de leurs produits, et cela d'autant plus qu'ils craignent une forte baisse des crédits européens consacrés aux aides directes - qui, faute d'une politique propre à améliorer les prix pratiqués sur les marchés, sont leur seul filet de sécurité. La loi doit apporter des éléments de sécurité : c'est tout le débat sur l'organisation économique des filières, la contractualisation, le rôle des interprofessions. Celles-ci pourraient par exemple prendre en charge la question des volumes, comme dans le cas des volailles labellisées, évoqué par M. Herth. Mais, parallèlement, il faut éviter la dévalorisation des labels. Sur un tel marché, essentiellement français, l'interprofession pourrait être chargée de réguler les volumes, afin d'éviter la chute des prix.
La suppression des quotas laitiers, prévue dès 1999 avec l'Agenda 2000 et contre laquelle nous avons lutté, si elle a été retardée, est désormais une réalité, voulue par une majorité de pays européens. Nous y opposer pour plaire aux agriculteurs ne nous mènerait à rien. Les quotas et, faute de prix d'intervention, la baisse des prix nous soumettent à une double peine. Mais face au discours simple de ceux qui incriminent le président de la FNSEA et promettent des prix de 400 euros la tonne, il est difficile de convaincre le terrain que l'accord signé le 3 juin a au moins le mérite de sécuriser un prix, même si ce prix est insuffisant. Il reste que j'ai le sens de mes responsabilités, et l'on ne me fera pas dire aux producteurs autre chose que la vérité, en particulier à propos de l'Europe. Alors que, pour les trois premiers mois de la campagne laitière, la France a connu une baisse de 2 % de sa production de lait, l'Allemagne, qui a fait la grève du lait l'an dernier, a vu la sienne augmenter de 8,7 % pour la même période, et cette augmentation a été de 4,5 % au Danemark et de 3,7 % aux Pays-Bas.
Il nous faut regarder les réalités en face, sous peine de perdre du potentiel agricole. Nous ne pourrons pas régler les problèmes de la France en ignorant nos voisins. Ainsi, l'Allemagne a doublé sa production de porc en quinze ans, tandis qu'en France elle restait stable - et les producteurs ne gagnent pas leur vie.
Cela nous amène à la question du coût du travail et des charges en France. La loi doit sécuriser les producteurs aussi sur ce point. Chaque pays applique son propre droit social : pendant que la France applique le sien pour l'emploi des saisonniers, l'Allemagne peut, conformément à son propre droit, employer des saisonniers polonais ou bulgares aux conditions en vigueur dans leur pays d'origine. Pour l'arboriculture, la viticulture ou la production de légumes, la question est grave. De même, la position dure que j'ai adoptée sur la taxe carbone s'explique par le fait que nous risquons d'être, dès le 1er janvier prochain, en concurrence avec des pays où les charges sont bien inférieures. Le Grenelle nous handicape, sur un marché européen totalement libéralisé où le litre de lait de nos fermes est en concurrence avec celui des mêmes vaches Prim Holstein en Allemagne, tout comme les tomates bretonnes le sont avec les tomates identiques des serres hollandaises. Nous devons nous attaquer à ce problème.
Il faudrait aller plus loin dans l'exonération de la taxe typiquement française sur le foncier non bâti, qui touche lourdement les viticulteurs et empêche une concurrence équitable avec nos voisins. Comme le montre la crise actuelle, il aurait mieux valu que la fiscalité encourage une épargne de précaution, pour nous éviter de devoir quémander aujourd'hui de l'argent public pour sauver notre agriculture.
Il nous faut donc travailler dans les prochaines semaines à mettre au point des solutions d'organisation économique, de fiscalité, d'encouragement à l'épargne et de gestion du foncier qui permettront à notre pays d'avoir une agriculture performante. Et pour répondre à M. Herth, il serait bien que le portefeuille de l'agriculture ne revienne pas à un commissaire néerlandais !
Nous vous aiderons autant que nous le pourrons pour l'allègement des charges, mais celles-ci ne doivent pas être confondues avec la taxe carbone, dont M. Borloo nous a confirmé hier qu'elle serait entièrement compensée ; nous trouverons les moyens de cette compensation.
Il semble en effet normal que l'agriculture ne soit pas moins bien traitée que les autres secteurs en la matière. Pour l'agriculture, la consommation d'énergie n'est pas linéaire, mais dépend des productions. Le monde agricole est favorable à l'approche du paquet énergie-climat. Du reste, l'agriculture capture du carbone et l'on devrait même payer les agriculteurs pour ce rôle. Mais la position que j'ai exprimée au Président de la République et au Premier ministre est très simple : il n'est pas possible que, dès le 1er janvier prochain, on trouve côte à côte, dans les mêmes linéaires de magasin, des produits français taxés et des produits d'autres pays qui ne subiraient pas la même taxe.
La Commission entend ensuite M. William Villeneuve, président des Jeunes agriculteurs.
M. le président, nous sommes heureux de vous accueillir. Nous aimerions savoir ce que vous attendez de la loi de modernisation agricole, non pas dans le domaine conjoncturel, puisque ce n'est pas son objet, mais dans le domaine structurel. Nous souhaitons connaître vos propositions concrètes sur tous les sujets concernés.
La loi de modernisation agricole n'a effectivement pas à répondre à nos problèmes conjoncturels, qui doivent être réglés par ailleurs, mais nous permettre d'avancer sur des sujets comme les prix, le foncier, l'installation, et ouvrir de nouvelles perspectives à l'agriculture et au secteur agroalimentaire. Nous, Jeunes agriculteurs, avons pour objectif que les exploitations soient à la fois viables – du point de vue du revenu - et vivables – du point de vue des conditions de travail. Nous voulons aussi promouvoir le modèle de l'agriculture à la française, c'est-à-dire des structures à taille humaine, une exploitation familiale, la diversité des produits dans une exploitation et la diversité des activités sur un territoire, alors que l'engagement de l'Europe dans une guerre de la productivité et de la compétitivité pousse à la spécialisation. Nos propositions pour la LMA s'organisent autour de quatre axes : l'installation et la transmission, l'organisation des filières, la rentabilité et la stabilité des exploitations, la gestion du foncier agricole.
Pour ce qui est de l'installation, nous proposons tout d'abord la création d'un statut du créateur d'entreprise agricole. Maintenant que le dispositif de l'installation a été rénové, les hommes et les femmes qui viennent au métier d'exploitant agricole sont d'origines de plus en plus diverses. Pendant la période où, sortant de l'école ou d'une autre activité professionnelle, ils complètent leur formation ou peaufinent leur projet d'installation, ils se retrouvent dans une situation bancale en termes de couverture sociale et de rémunération. Un statut spécifique, inspiré du statut de créateur d'entreprise, permettrait de mieux les accompagner et de leur donner accès à certains dispositifs, par exemple des financements par les collectivités.
Bien entendu, ce qui existe déjà en matière d'aide à l'installation doit perdurer. Or j'ai fait remarquer aux responsables gouvernementaux que la priorité habituellement donnée à cette question paraissait avoir disparu dans le projet de loi de finances pour 2010 ; j'attends une réponse précise du ministre à ce sujet car, quel que soit l'effort consenti pour des mesures conjoncturelles, qui constitueront bien sûr un volet important du PLF, il n'est pas question de négliger l'installation des agriculteurs de demain.
Pour faciliter l'accès au foncier, qui est la principale cause de cessation d'activité dans les dix ans après l'installation, les Jeunes agriculteurs souhaitent une amélioration du système de portage du foncier. Un crédit d'impôt pour les GFA (groupements fonciers agricoles), notamment, permettrait d'attirer vers eux des fonds nouveaux, extérieurs, afin d'aider les jeunes à accéder au métier. Par ailleurs, un système d'avance au fermage, c'est-à-dire une aide au financement des cinq premières années de fermage, donnerait aux jeunes agriculteurs un avantage comparatif par rapport à ceux qui sont déjà installés et ont les moyens de payer, voire de surpayer le fermage.
Revient aussi le vieux débat sur le fonds agricole et le bail cessible, qui sont indissociables. L'objectif est d'éviter le démantèlement des exploitations agricoles au moment de la cessation d'activité, d'inciter à une transmission globale de l'entreprise. Dans l'artisanat ou le commerce, la transmission d'une entreprise se fait sur la base de son activité économique. Dans l'agriculture, le prix prend en compte le patrimoine, l'activité économique, toute l'histoire de l'exploitation… Compte tenu de la rentabilité actuelle du secteur, ce n'est pas viable. Le fonds agricole et le bail cessible permettent d'essayer de transmettre les exploitations à leur juste prix, leur valeur économique. Cela suppose un schéma des structures efficace, ce qui n'est plus le cas dans bon nombre de départements. Cela suppose aussi que les droits à produire ou droits à paiement ne soient pas inscrits dans le fonds agricole, puisqu'ils ne sont pas marchands. Car théoriquement, les quotas par exemple ne sont pas marchands, même si dans la réalité, une terre avec des quotas vaut bien plus cher qu'une terre sans quotas… Nous avions à une époque proposé d'instituer, comme pour la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA), un prix de rachat et un prix de revente du DPU. L'Europe n'a pas accepté, mais c'était de loin la meilleure solution. La PMTVA, ainsi, vaut aujourd'hui exactement le même prix à la cession de l'exploitation qu'à l'installation. Elle est marchande, mais son coût est connu. Cela évite l'inflation des coûts de reprise.
Nos propositions en faveur de la transmission se divisent en deux volets : l'accompagnement économique et humain des cédants et les mesures incitatives. L'idée est tout d'abord d'arriver à gérer les départs à la retraite avec suffisamment d'anticipation car au moment du départ, il est trop tard pour s'inquiéter du choix du cédant. Il faut donc travailler en amont, notamment avec la création de « Points info transmission » au niveau du département. Quant aux mesures incitatives en faveur des cédants, elles sont diverses. Il faudrait exonérer la succession en cas de transmission à un jeune, et créer un système de cautionnement solidaire des prêts. On pourrait aussi imaginer un plan crédit transmission qui éviterait aux jeunes de passer par un prêt avec intérêts pour payer l'exploitation au cédant qui lui-même retourne ensuite à la banque pour placer son argent : ce système permettrait une meilleure rémunération de son capital pour le cédant et éviterait l'inflation du coût de la reprise pour celui qui s'installe.
Troisième priorité : supprimer l'obligation faite à celui qui veut entrer dans une société de lui apporter l'équivalent d'une demi SMI (surface minimum d'installation) – une activité, un atelier par exemple. Si la société compte déjà suffisamment de surface par membre, le nouvel arrivé ne met pas sa viabilité en péril. Le système actuel oblige souvent les jeunes qui veulent entrer à attendre que quelqu'un parte de la société. Une période d'essai dans la société est aussi envisageable et permettrait de fluidifier l'arrivée dans le métier. Enfin, les outils pédagogiques des programmes de formation des jeunes doivent être adaptés à la perspective de leur installation.
Bref, une politique de renouvellement des générations en agriculture nécessite des moyens à la hauteur de ses ambitions. Ce n'est pas parce que le contexte budgétaire est difficile que l'installation ne doit pas demeurer une priorité.
Sur le plan économique, il faut reconnaître les interprofessions comme des acteurs incontournables dans l'organisation des filières. Les interprofessions doivent fixer un cadre, en matière de relations commerciales ou de volumes produits par exemple. Pour cela, il faut renforcer leurs missions, et surtout leurs obligations. Elles doivent établir des contrats types pour chaque filière et en définir les éléments obligatoires – volumes, fourchettes de prix, coûts de production, durée, modalités de mise en oeuvre, cahier des charges… Cela permettra aux exploitations d'avoir une meilleure lisibilité des politiques. Des références doivent également être établies sur les coûts de production et les prix. Par exemple, 280 euros la tonne de lait n'est pas un mauvais prix, puisque c'est le niveau de 2006 ou 2007, mais c'est devenu insuffisant compte tenu de la hausse de 40 % des charges de production - engrais, soja, aliments pour bétail, coûts de collecte… Enfin, il faut prévoir des modalités de contrôle et de sanction – car il ne sert à rien d'édicter des règles si elles ne sont pas respectées.
Par ailleurs, il faut reconnaître aux producteurs la possibilité de s'organiser – en organisation de producteurs (OP) avec transfert de propriété, en interprofession de première mise en marché, en AOP (association d'OP)… – l'impératif étant de regrouper l'offre. La contractualisation collective permet aux producteurs d'acquérir plus de poids face à leurs interlocuteurs. Un petit producteur qui est à 70 km de la première laiterie en zone de montagne a intérêt à appartenir à une organisation qui représente 3 millions de litres de lait…
En troisième lieu, nous proposons de redonner de la rentabilité et de la lisibilité aux exploitations agricoles. L'un des principaux moyens serait la reconnaissance des associés dans le cadre de l'EARL. Aujourd'hui, quel que soit le nombre de ses associés, l'EARL n'en reconnaît qu'un. Le GAEC, lui, reconnaît les différents associés mais ne peut, contrairement à l'EARL, être constitué entre mari et femme. Mais nos exploitations n'existent que parce que des actifs y travaillent ; il faut donc reconnaître tous les associés, quelle que soit leur structuration juridique.
Un autre moyen est l'institution d'une déduction pour aléas spécifiques au bénéfice des jeunes agriculteurs. Beaucoup considèrent la DPA comme un outil de défiscalisation, mais la défiscalisation n'est pas le principal souci d'un jeune agriculteur ! En revanche, il a besoin de pouvoir surmonter les coups durs. La DPA pour les jeunes vaudrait donc pour ces cinq ou dix premières années où l'exploitation reste très vulnérable et n'a pas assez de trésorerie pour faire face à une sécheresse ou une crise des prix.
Je reviens au fonds agricole et au bail cessible, issus de la dernière loi d'orientation, qui ne remportent pas un vif succès. Il faut moderniser le système pour arriver à transmettre les exploitations en fonction des seuls critères économiques. Tant que le prix ne sera pas déconnecté d'autres aspects, patrimonial ou historique par exemple, nous aurons des problèmes tant de succession que de nombre de nouveaux arrivants. Enfin, une exploitation encourt différents risques, le risque économique se réalisant aujourd'hui plus fréquemment que les aléas climatiques par exemple. Il faut parvenir à ce qu'ils ne mettent pas sa vie en péril. Pour cela, il faut élaborer des outils de gestion des risques, comme l'ont fait les Américains avec le Farm Bill.
J'en arrive enfin au volet foncier. La France connaît une surconsommation du foncier de l'ordre de 70 000 hectares. A croissance égale, l'Allemagne n'est qu'à 20 000. Ce sont les meilleures terres qui disparaissent. C'est pourquoi nous souhaitons une fixation du zonage agricole. Je sais qu'il sera très difficile de retirer aux maires des responsabilités dans la gestion de leur territoire – et je suis le fils d'un maire de petite commune – mais je pense que la vision dans ce domaine doit être plus large – de niveau départemental, ou au moins intercommunal. Par ailleurs, nous devrons travailler en cohérence avec les outils actuels, comme les SAFER, et toujours garder à l'esprit qu'à l'origine de la montée des prix et de la disparition des terres agricoles, il y a des agriculteurs qui vendent…
Je finirai, dans le domaine du foncier, par un point évoqué par le Grenelle : la production d'électricité photovoltaïque. Il y a suffisamment de surfaces couvertes en France pour ne pas développer cette activité sur les sols, sans quoi l'activité agricole sera un jour mise en concurrence avec la production électrique. Il ne faut pas en arriver à la situation des pays du nord de l'Europe, qui ont vu disparaître leur production laitière au profit de la méthanisation.
Pour conclure, les sujets abordés par la loi de modernisation sont d'une telle ampleur qu'on peut regretter que le calendrier d'élaboration soit si serré. J'espère qu'elle ne deviendra pas une loi fourre-tout. Il aurait en tout cas été préférable d'effectuer au préalable un « bilan de santé » de nos agriculteurs, comme il vient d'y en avoir un pour la PAC, car une loi qui prépare l'avenir doit s'attacher à répondre précisément à leurs besoins. Enfin, la modernisation structurelle ne pourra avoir lieu que s'il existe une véritable volonté de régulation au niveau européen. L'une ne se fera pas sans l'autre.
Merci de toutes ces propositions très concrètes, sur lesquelles nous pourrons travailler ensemble. Le Gouvernement et le ministre de l'agriculture sont pleinement engagés en faveur de la régulation européenne. C'est d'ailleurs la France qui mène la vingtaine de pays européens qui sont d'accord sur ce sujet, et qui cherche actuellement à convaincre la présidence suédoise. Pour ma part, j'ai bien compris les enjeux de la contractualisation collective et la nécessité pour les producteurs de davantage peser face aux autres acteurs de filières, mais il ne faut pas oublier que, dans un contexte de concurrence internationale, les coûts de production sont un élément clef : qu'il y ait regroupement ou non, si les coûts de production individuels sont plus élevés qu'à l'étranger, comment gagner des marchés ?
Merci pour toutes ces propositions, que nous partageons en grande partie, même si les modalités de fonctionnement et les systèmes de financement restent à déterminer. La dernière loi d'orientation avait déjà souffert d'un défaut de financement et la conjoncture actuelle me fait craindre qu'il en soit de même cette fois encore. Bien sûr, il est toujours tentant de solliciter les collectivités locales. J'ai d'ailleurs cru comprendre que dans votre esprit, il suffirait que nous adoptions un statut pour les aspirants à l'installation (plan local d'urbanisme) pour que les collectivités paient. Mais celles-ci ne supporteront plus longtemps de voir leurs charges augmenter sans cesse tout en se faisant reprocher d'augmenter les impôts. Quant au budget de l'agriculture, il est dans une période de baisse continue et le ministère n'a plus les moyens d'assumer certaines lignes politiques fortes qu'il continue pourtant à afficher.
Pour ce qui est du foncier, notre pays connaît des difficultés évidentes. Le gaspillage des terres pour l'urbanisation est sans doute réel, mais je tombe des nues lorsque j'entends que de nombreuses communes n'ont pas de documents d'urbanisme, ou seulement une carte communale. En Bretagne, presque toutes les communes disposent d'un PLU discuté avec les acteurs concernés, dont les chambres d'agriculture. Tout n'est pas parfait, mais nous disposons au moins d'éléments clairs sur la répartition des sols. Il faudra aller plus loin, en particulier avec les schémas de cohérence territoriale, mais les textes existent déjà : il suffit de les appliquer. Reste, comme vous l'avez proposé, à garantir une plus grande influence de la profession agricole sur la destination des sols. Non loin de chez moi par exemple, il vient d'être décidé qu'aucun terrain à construire n'excéderait 700 mètres carrés.
Quant au dispositif de l'avance fermage, il me paraît quelque peu inflationniste. En effet, à supposer que le jeune agriculteur bénéficie de cinq ans d'avance – et là encore, qui paie ? – il risque d'alimenter lui aussi la spéculation. Il me semble préférable de contrôler les prix du fermage, comme cela a déjà existé. C'est une mesure de régulation parfaitement acceptable dans un cadre libéral. Un artisan peut toujours trouver un endroit pour créer un atelier, mais le foncier, lui, n'est pas extensible. Or si un jeune ne trouve pas de terre, il ne peut pas être paysan : cela justifie des règles particulières.
Pour ce qui est de la transmission, nous sommes en grande partie d'accord. Je ferai simplement remarquer que les exonérations sur la succession n'ont jamais fait baisser un prix de vente : c'est la loi de l'offre et de la demande qui fixe les prix. Le vendeur sera l'unique bénéficiaire de l'exonération. Je préférerais encore une subvention pour l'acheteur.
Il ne s'agit que d'un avantage comparatif. Il n'y a jamais eu autant d'installations qu'avec le dispositif de préretraite.
La préretraite était conditionnelle ! Je vous invite à bien y réfléchir. Songez que le prix des pompes à chaleur a doublé depuis le crédit d'impôt, et que ce sont les vendeurs de pompes qui empochent l'argent !
La suppression du critère de la demi SMI est une mesure que j'avais proposée dans le dernier projet de loi. J'espère qu'elle connaîtra un meilleur sort cette fois-ci. Il en est de même pour ce qui est de l'EARL. Enfin, je rêve moi aussi d'un Farm Bill à la française, mais ce n'est absolument pas compatible avec les règles de Bruxelles, ni sans doute avec l'OMC (Organisation mondiale du commerce) qui ne fait que le tolérer aux États-Unis. Le Farm Bill est un système de soutien non pas aux prix, mais aux revenus. Il est tout sauf libéral.
En tout état de cause, la profession doit aller beaucoup plus loin dans sa réflexion. Dans l'agriculture comme ailleurs, la culture du prix de revient doit s'installer. Dans la logique du marché libéral, que je condamne par ailleurs, ce n'est pas le prix de revient qui fait le prix de vente mais la confrontation de l'offre et de la demande. Certes, il faut améliorer cette confrontation, notamment en autorisant les producteurs à se regrouper aussi bien que les acheteurs, mais cela ne réglera pas tout. La France n'est pas isolée, les autres pays lui font concurrence. Elle doit remettre en question ses modèles agricoles. On sait que quand certaines exploitations sont reprises, les prix de revient baissent. Un agriculteur m'a récemment expliqué qu'il n'achèterait jamais de robot de traite parce que cela exigerait de donner des aliments aux vaches même lorsqu'elles n'en ont pas besoin – ce qui augmenterait le prix de revient. Pour ma part, lorsque j'étais producteur, c'est au moment des crises porcines que je m'intéressais à mon prix de revient : j'arrivais alors à le baisser, – en regrettant de ne pas l'avoir fait plus tôt… Les charges des agriculteurs sont sans doute trop élevées, mais certains doivent balayer dans leur propre cour. L'année dernière, 30 % des éleveurs laitiers ont acheté du matériel agricole dont ils n'avaient pas besoin, juste pour ne pas payer d'impôt. Certaines des exploitations qui sont en difficulté aujourd'hui ont commis de réelles erreurs d'investissement. La solution n'est donc pas que du côté des politiques. Quand la situation est aussi grave qu'aujourd'hui, il faut se rappeler que chacun a sa part de responsabilité.
Je suis tout à fait d'accord : il y a certes des leviers européen et français, mais il faut aussi agir au niveau des exploitations. Il faut se servir pour cela des organismes concernés, à commencer par les centres de gestion, et du mode d'organisation de la profession. Votre syndicat essaye d'utiliser au mieux ces outils, mais il y a encore des progrès à faire.
Durant tout le processus d'élaboration de la loi, nous devrons être très attentifs aux questions de compatibilité européenne. Le ministre devra notamment prendre son bâton de pèlerin pour que l'Europe nous autorise à améliorer les organisations de producteurs. Par ailleurs, on entend souvent parler d'exploitations « à taille humaine » ou « familiales », mais leur définition reste assez vague. Il nous faudra reparler des formules juridiques les plus susceptibles de favoriser la transmission.
A propos du foncier, vous avez évoqué l'idée d'un crédit d'impôt pour les GFA. Je suis très favorable à une réflexion sur ce sujet. Jean Gaubert disait que le crédit d'impôt ne bénéficie pas à l'acheteur mais au vendeur : sauf si l'on s'en sert pour modifier les habitudes ! Or le GFA est l'un des seuls outils susceptibles de rendre les exploitations agricoles plus solides. C'est également un outil pratique pour les successions, qui permet aux jeunes d'acquérir du foncier petit à petit, sous forme de parts. L'organisation sociétaire est un des meilleurs leviers en matière de foncier et il faut creuser toutes les idées dans ce domaine.
L'autre levier fiscal en matière de succession concerne les cédants. Quoi de plus ridicule qu'un jeune agriculteur qui se saigne auprès de la banque pour donner de l'argent à un cédant qui va ensuite le placer à la banque ? Je connais de près ces difficultés, puisque je n'ai pas encore reçu un centime pour l'exploitation que j'ai vendue parce que le repreneur, un ancien salarié, ne peut pas payer. Je sais aussi que le dispositif fiscal prévu par la dernière loi d'orientation n'est pas très efficace. Il faut l'affiner. Ce sont parfois de petits réglages qui débloquent des situations.
Je suis d'accord pour améliorer la transparence dans les sociétés, même si nous sommes limités dans ce domaine par les règles européennes. La transparence avait été acceptée pour les GAEC, soumis à un certain nombre de contraintes qui n'existent pas dans les autres sociétés. On peut envisager d'aller plus loin, notamment pour les EARL. Par ailleurs, au-delà des associés, il faudrait parler des salariés.
Pas plus en matière de taille que de modèles d'exploitation, nous ne pouvons ignorer ce qui se fait dans les autres pays. Il faut se mettre d'accord à 27 – même si un producteur en appellation d'origine contrôlée dans le Haut-Doubs n'a pas besoin des mêmes économies d'échelle qu'un producteur de lait de l'ouest de la France, soumis aux prix européens… En revanche, il faut continuer à défendre nos territoires, quelle que soit l'évolution de la politique agricole européenne : nous devons trouver des leviers dans la LMA pour garantir la couverture agricole du pays.
J'adhère volontiers à l'idée, pour les sociétés, d'une période d'essai, dont il faudra préciser les modalités. C'est un sujet très important car la forme de société présente nombre d'intérêts par rapport aux petites exploitations familiales, mais pour éviter des séparations douloureuses au bout de quelques années, mieux vaut vérifier que les associés peuvent s'entendre.
Enfin, concernant les interprofessions et la contractualisation, il n'y a pas deux filières qui se ressemblent. Et il faut également se pencher sur le fonctionnement des coopératives. Je considère par exemple qu'un producteur de céréales adhérant à une coopérative est intégré, puisqu'il n'a le choix ni de sa semence ni de ses engrais, ni même parfois de son programme de traitement, et ne sait pas combien il sera payé. Ce sont là des questions complexes, sur lesquelles nous devrons avoir des discussions approfondies.
Plusieurs de vos propositions, sur la fiscalité ou la contractualisation par exemple, expriment le souhait des jeunes agriculteurs que le secteur fasse preuve de réalisme économique. Qu'on le veuille ou non, c'est le marché qui commande. Le libéralisme est indispensable et votre approche contractuelle relève du même esprit de liberté.
Pour ce qui est de la relation entre le fermier le propriétaire, avez-vous pensé à un mécanisme inspiré des assurances loyers qui existent dans le domaine immobilier ? Et pour ce qui est du foncier, je suis toujours surpris de la bagarre que déclenche la vente de la moindre parcelle. Dans ce domaine, il faudra aussi revoir les règles d'urbanisme.
À propos des contrats, je voudrais souligner la difficulté qu'il y a à établir des règles, notamment en matière de prix de revient et de revenu. Dans la Manche, on estime que pour couvrir le prix de revient d'une ferme laitière, le lait doit être vendu au minimum à 305 euros la tonne – 371 pour dégager un SMIC. Mais les situations sont très différentes selon qu'on est installé depuis cinq ans ou en fin de carrière ! Il faut donc se montrer très prudent.
Pour ce qui est de la maîtrise de la compétitivité, je vous suis sur plusieurs points. S'il est un investissement qui doit être encouragé, c'est bien pour l'amélioration des conditions de travail – on travaille soixante heures par semaine dans une ferme – qui passe notamment par la robotisation. Il n'empêche qu'il faut freiner la défiscalisation exagérée que conseillent certains centres d'économie rurale. Et, toujours en matière de compétitivité, je suis affolé par les contraintes issues du Grenelle. Si le Grenelle 1 était une loi d'orientation, le Grenelle 2 sera une loi d'application et nous devrons être extrêmement prudents dans sa rédaction. Je suis prêt à m'investir dans la réflexion, notamment pour ce qui est des produits phytosanitaires.
Enfin, je souligne que nous nous apprêtons à débattre d'une loi de modernisation, mais que la situation sera très différente après 2013, et surtout 2015. Puisque les quotas vont disparaître, comment faire en sorte, dans la conjoncture actuelle, que le producteur qui produit 60 000 litres de lait de moins que son quota puisse en revendre une part à celui qui paie une lourde amende pour avoir produit 50 000 litres de trop ?
Ainsi que vous l'avez dit, la priorité à l'installation n'est plus affichée dans le projet de loi de finances pour 2010. J'imagine que les moyens ont été reportés vers les mesures conjoncturelles qui sont nécessaires. Mais cette décision coïncide avec une période où beaucoup d'entreprises, en particulier laitières, sont menacées. Négliger l'aide à l'installation n'est-il pas dès lors une façon d'encourager la concentration ? De cette concentration, les élus bretons ne veulent pas.
Lorsque j'ai soulevé la question auprès du ministère de l'agriculture, on ne m'a pas répondu que les crédits de l'installation étaient transférés sur d'autres postes, sans quoi je vous assure que nous aurions déjà réagi ; j'attends confirmation qu'ils ne sont pas touchés.
Le rôle de l'interprofession est d'établir un cadre et de le faire respecter, un cadre qui permette aux gens de se parler, de s'entendre sur les volumes, de s'organiser. C'est là que se trouve l'enjeu. Les agriculteurs français ne doivent pas entrer dans la bataille des coûts de production, ils iraient au massacre. En revanche, ils peuvent améliorer leur régulation ou développer des spécificités. Est-il bien nécessaire de mettre 10 % de ses volumes de blé sur le marché mondial, qui ne rapporte rien à personne, juste pour exister alors qu'on importe 80 % de ses protéines pour animaux ? Nous avons déjà posé la question dans le cadre du bilan de santé de la PAC. C'est un système aberrant. Le sujet est inter-filières : si la France veut des bases plus sereines, il faut moins d'importations et plus d'autosuffisance. Si la balance commerciale de notre pays est positive pour l'agriculture, ce n'est pas grâce au blé et autres matières premières mais au vin, au fromage ou au foie gras. Cela suppose une régulation européenne mais dans ce domaine comme dans d'autres, avoir raison le premier n'est pas souhaitable. Nous sommes les seuls par exemple à refuser un prix du lait à 280 euros. Les autres arriveront à produire à ce prix-là, mais pas nous.
Parler d'un financement des collectivités locales à propos du statut de créateur d'entreprise agricole n'était qu'un exemple des possibilités qu'il pourrait ouvrir. Ce qui est essentiel, c'est d'assurer une couverture sociale à des gens qui sortent de l'école et qui n'ont jamais travaillé. C'est à cela qu'il doit servir.
Pour ce qui est de l'urbanisation, il est bel et bon que chaque commune dispose de sa carte communale, mais l'enjeu n'est pas purement local ! Il s'agit aussi de reconstituer une activité agricole dans des zones industrielles désaffectées, par exemple, ce qui implique de faire disparaître amiante et béton. Il s'agit également de peser l'utilité des zones d'activité : toutes les intercommunalités veulent la leur, mais chez moi par exemple, elle pourra attendre les industries longtemps, faute d'autoroute ! Il faut veiller à la cohérence du territoire.
Je suis d'accord avec ce qui a été dit sur le contrôle du prix des fermages, sauf pour ce qui concerne la défiscalisation. Nous souhaitons offrir la défiscalisation la plus haute possible à ceux qui traitent avec un jeune agriculteur, pour donner à celui-ci un avantage comparatif face à ceux qui ont plus de moyens. Mais cela n'empêchera jamais les gens de proposer plus : certains ont bien acheté des quotas à 400 euros la tonne pour agrandir leur exploitation ! C'est l'offre et la demande qui font le marché. La défiscalisation permet seulement à un agriculteur qui va toucher 700 euros par mois, comme mon père en partant à la retraite, de ne pas être imposé lorsqu'il transmet à un jeune. S'il vend plus cher à un exploitant installé, il doit aussi être plus lourdement imposé.
Je me suis mal exprimé à propos du Farm Bill. Il s'agit d'une politique de soutien qui donne des garanties sur les volumes, les prix ou une part d'aide alimentaire par exemple. Je n'en demande pas tant. En revanche, disposer de garanties sur les volumes me permettrait de beaucoup mieux gérer mon exploitation, alors qu'elle me coûte de l'argent depuis deux ans. Certes, certains font des investissements surdimensionnés mais pour ma part, le problème est le manque de production. On a parlé d'une augmentation des rendements céréaliers mais chez moi, la moyenne est de quatre tonnes et demie par hectare. À 90 euros la tonne, il n'y aura pas de bénéfices ! Il y a des exploitants qui ont été payés 400 euros les mille litres de lait, mais d'autres qui n'ont pas assez de revenus et à qui un filet de sécurité serait bien utile.
Pour ce qui est du prix de revient, je suis d'accord avec ce qui a été dit, mais j'insiste sur l'importance d'une diversité de productions sur les exploitations. Cela reste la première des assurances. Par ailleurs, pour répondre à M. Raison, l'organisation de la profession et la réglementation européenne sont deux problématiques différentes. Vouloir s'organiser, c'est constater, comme l'ont fait nos prédécesseurs en créant les coopératives, que l'on pèse plus lourd face aux intermédiaires quand on vend deux mille tonnes que lorsqu'on en vend deux cents. C'est un contrat collectif.
Pour ce qui est de la reconnaissance du salarié, étant toujours dans l'optique d'encourager l'installation des jeunes, je ne peux pas concevoir qu'il puisse être considéré de la même façon qu'un associé en termes de taille de l'exploitation. Il peut devenir un associé, raison pour laquelle il faut faire un geste, mais pas à la même hauteur : on change plus vite de salarié que d'associé !
Enfin, les normes issues du Grenelle sont une problématique à elles seules. Elles nous ramènent à la question de la compétitivité et des distorsions de concurrence. Dans ce domaine, l'harmonisation européenne est absolument nécessaire. La taxe carbone, qui n'est pas souhaitable en l'état actuel, serait bénéfique si elle nous permettait d'éviter, comme le font les États-Unis, que les produits qui ne respectent pas le même cahier des charges entrent chez nous.
Merci, M. le président. Nous aurons certainement l'occasion d'approfondir avec vous l'ensemble de vos propositions.
La Commission auditionne ensuite M. François Lucas, président de la Coordination rurale.
M. le président, soyez le bienvenu.
Nous sommes tous, bien sûr, conscients de la situation conjoncturelle de l'ensemble des filières agricoles, mais nous voudrions aujourd'hui échanger avec vous sur les questions structurelles et sur les propositions que vous pourriez nous faire au sujet du projet de loi de modernisation agricole. Je vous laisse commencer par une présentation générale.
Président de la Coordination rurale depuis 1999, j'ai déjà connu la loi d'orientation du 9 juillet 1999, la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux et la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006. Que peut-on encore attendre d'une quatrième loi ? En réalité, énormément de choses.
Le ministère de l'agriculture, lorsqu'il nous a sollicités, nous a d'abord dit que cette loi devait être ramassée, mais il nous a néanmoins invités à balayer l'ensemble des problèmes.
Puisqu'il s'agit de moderniser, la première chose à faire nous paraît être de s'interroger sur l'âge des dispositifs existants. Certaines organisations ont dépassé l'âge légal de la retraite, et sans doute notre agriculture a-t-elle quelque peu changé depuis 1946.
En ce qui concerne les chambres d'agriculture, nous ne sommes pas de ceux qui, dans le cadre de la RGPP et d'une démarche de rationalisation, défendent l'idée d'une régionalisation, en considérant que l'existence d'une chambre par département est devenue un luxe. Pour nous, la chambre d'agriculture doit rester une instance de proximité ; or une région est toujours grande, et qui plus est, toujours assez mal découpée. Nous sommes tout à fait d'accord pour que les chambres d'agriculture réfléchissent à la possibilité de mutualiser certains de leurs services au niveau régional, mais la base de la représentation professionnelle doit rester départementale.
Par ailleurs, le rôle des chambres d'agriculture doit être clarifié. Ces chambres ont une mission de service public ; dès lors, elles ne doivent pas empiéter sur le secteur marchand, lequel doit être laissé à des organisations privées. Dans le cadre de leur mission de service public, elles doivent se remettre en cause ; on a en effet assisté à un mouvement de ciseau, la réduction du nombre d'agriculteurs s'accompagnant d'une inflation des services des chambres, au point que l'on ne sait plus très bien si la chambre d'agriculture est toujours l'interface entre l'administration et les producteurs, concourant à la simplification de leurs relations, ou si elle s'accommode bien volontiers d'une complexité qui lui permet de vendre ses prestations de service.
Concernant le mode de scrutin et la représentation des collèges, nous considérons que ce qui fonde le droit de vote des élus à la chambre d'agriculture est le statut d'agriculteur. Il est intéressant d'associer des représentants de caisses de Crédit agricole à la réflexion, mais leur voix doit rester consultative. Nous avons des propositions à ce sujet.
Nous en avons aussi pour moderniser le dialogue social en agriculture, sujet qu'avait évoqué le Président de la République pendant sa campagne et auquel nous avons sensibilisé un certain nombre de parlementaires en janvier dernier. La première question à traiter est celle de la représentativité, au niveau des élections professionnelles et dans la négociation collective ; actuellement, le seul syndicat habilité à la négociation collective est la FNSEA, et, parallèlement, nul ne sait nous dire sur quel texte nous pourrions nous appuyer pour, nous aussi, nous voir reconnaître cette représentativité.
Nous souhaitons par ailleurs une réforme des interprofessions, dont l'actualité accentue les défauts, et qu'il faut rendre légitimes tant aux yeux de nos compatriotes que vis-à-vis des institutions européennes. Aujourd'hui, leur statut est hybride : on nous dit qu'il est privé, mais un accord avalisé par l'État devient obligatoire ; quant aux sommes considérables versées au titre des « cotisations volontaires obligatoires », il n'est pas possible de connaître leur utilisation au motif que l'on est dans un domaine privé… Il en résulte que beaucoup de producteurs ne reconnaissent plus la légitimité des interprofessions, et c'est dommage. Sans doute la Coordination rurale les aurait-elle inventées si elles n'avaient pas existé, mais encore faut-il qu'elles soient dotées de tous les attributs nécessaires.
Autre sujet très important : l'installation. Dans ce domaine, on nous avait annoncé des simplifications, et on n'a fait que rendre le parcours du combattant encore plus ardu. Il faut absolument revenir à une approche pragmatique.
La première politique d'installation est une politique de revenu agricole : on ne peut pas prétendre installer des agriculteurs sans faire en sorte qu'il ne faille pas, du fait de la baisse du revenu unitaire, un nombre d'unités de production de plus en plus grand pour arriver à un revenu décent. Sur ce point, il faut d'abord agir au niveau de la politique agricole commune.
Par ailleurs, c'est à nos yeux le fait de s'installer qu'il faut considérer, et non pas l'âge de celui qui s'installe. Nous sommes attachés à la définition européenne du « nouvel installé », sans critère d'âge. On peut devenir agriculteur dans le cadre de parcours professionnels très différents.
Enfin, il nous paraît essentiel de simplifier le système des aides à l'installation. Lorsqu'une personne a un projet d'installation, il est normal de lui apporter des aides publiques – bonifications de prêts, exonération de charges pendant les premières années ; il faut en finir avec les filtres qui aboutissent parfois à exclure les meilleurs, ce qui les oblige à prendre encore plus de risques. La modernisation, c'est aussi le nettoyage des textes.
Quant à la fiscalité, elle est de plus en plus complexe. Les agriculteurs se désintéressent de leur comptabilité, et donc de leur gestion, parce qu'ils n'y comprennent plus rien. On n'a pas cessé d'obscurcir les règles comptables en agriculture. Ce faisant, on a créé une dépendance des agriculteurs à l'égard de leurs organismes de gestion. Alors qu'il s'agissait, disait-on, de leur donner plus de visibilité sur l'état de leur exploitation, sur ses points forts et ses points faibles, finalement ils se retrouvent soumis aux avis d'un conseiller pas toujours éclairé. Nous considérons donc qu'à l'instar de certains pays européens, il faudrait avoir un système très souple, en réexaminant la question de l'imposition forfaitaire. Le seuil de passage au bénéfice agricole réel n'a jamais été actualisé depuis quarante ans ; une réactualisation correcte le ferait passer de 76 300 euros à environ 450 000 euros. Un système de forfait intelligent serait d'un grand soutien pour les agriculteurs, à qui l'on éviterait la tentation d'investir uniquement pour échapper à l'impôt. Par ailleurs, il faudrait mettre fin à cette curiosité que, aucun forfait n'ayant été calculé pour l'élevage ovin, on impose les revenus des éleveurs à partir d'une grille céréalière...
En ce qui concerne la taxe sur le foncier non bâti, nous souhaiterions que l'on tienne compte du fait que les cultures pérennes ne peuvent pas donner de production les premières années ; qu'il s'agisse d'un verger ou d'une vigne, il faudrait une exonération systématique tant qu'il n'y a pas de production.
Nous prônons par ailleurs le développement des circuits courts. Actuellement, le code des douanes taxe l'huile végétale brute lorsqu'elle n'est pas utilisée sur l'exploitation ; en termes d'autonomie énergétique, mieux vaudrait permettre à un agriculteur d'en vendre à son voisin comme carburant.
Quant aux crédits d'impôt aujourd'hui destinés au bio, il faudrait à notre sens les étendre à d'autres démarches, en particulier celles qui visent à économiser l'énergie. De plus, si l'on veut que le bio se développe, il ne faut pas considérer qu'il doit rester l'apanage de petites exploitations.
Mais je vous invite aussi à réfléchir à l'évolution actuelle vers deux agricultures parallèles, destinées à ne jamais se rencontrer. Un camion cloisonné ramassant du lait conventionnel ne peut pas transporter du lait bio, alors qu'on n'empêche pas un camion de carburants de transporter du fuel lourd, du gazole et de l'essence… L'Histoire jugera cette époque où l'on aura institué deux agricultures au lieu d'une seule : l'une des deux, parée de toutes les vertus, mais à la production réservée à des personnes au pouvoir d'achat relativement élevé ; l'autre, soumise en fait à quantité de normes et de contraintes, mais néanmoins chargée de toutes les suspicions. On devrait plutôt chercher à faire converger les deux modèles, en considérant l'agriculture biologique comme un laboratoire d'essais, sans doute coûteux mais susceptible de transférer des connaissances vers l'agriculture conventionnelle ; on pourrait se donner une quinzaine d'années pour revenir à une agriculture unifiée. Mais telle n'est pas, semble-t-il, la voie choisie.
Si vous le voulez bien, M. le président, je vais dès maintenant donner la parole à mon collègue Michel Raison, futur rapporteur du projet de loi de modernisation, pour ouvrir une phase de questions.
En ce qui concerne les chambres d'agriculture, que penseriez-vous d'une réforme de l'élection du collège « exploitants » pour remplacer le scrutin de liste par l'élection de conseillers territoriaux, représentatifs de l'ensemble du terrain ?
Concernant l'installation, l'argent public dépensé doit servir de levier, faute de quoi ce n'est que du gaspillage : je suis très défavorable à l'idée d'accorder les mêmes aides quels que soient l'âge, le niveau de formation et les conditions d'installation. On voit bien que dans les PME et l'artisanat, le pourcentage d'échecs au bout de trois ans est très élevé ; en agriculture, au contraire, le taux de réussite est de 99 % dix ans après l'installation.
S'agissant de la fiscalité, il me paraît très important de ne pas marginaliser l'agriculture par rapport aux autres secteurs. C'est le premier effet qu'aurait le relèvement de seuil que vous proposez. Et imaginez le rôle que pourraient avoir les conseillers, dont vous contestiez tout à l'heure le mode d'intervention, s'ils intervenaient désormais auprès d'exploitants ayant 450 000 euros de chiffre d'affaires et pas de comptabilité… Le régime du réel simplifié me paraît une meilleure formule que celui du forfait : la comptabilité est aussi un outil de gestion, et par ailleurs la profession sera mieux comprise par la population si elle est plus transparente. Je ferais donc plutôt la proposition inverse : mieux vaudrait abaisser encore le seuil de l'imposition au réel.
Les énormes difficultés rencontrées aujourd'hui par les organisations professionnelles pour recruter des gens compétents et disponibles posent problème pour la représentation territoriale. Cela étant, lorsque ces organisations constituent leurs listes, elles essaient de répartir les représentants tant entre les productions qu'entre les territoires. Quant à un système de conseillers territoriaux, je n'y suis pas favorable. Je suis conseiller général et je ne souhaite pas que l'on étende ce mode de fonctionnement aux chambres d'agriculture.
S'agissant de l'installation, je renvoie au banquier le soin d'examiner la pertinence des dossiers : si un dossier peut être soutenu par la banque, c'est sans doute qu'il mérite aussi de recevoir des aides publiques ; dès lors que celles-ci ne seront accordées que sur la base d'un dossier complet, donc approuvé par la banque, elles ne seront pas gaspillées. Le fait que certaines installations bénéficient d'aides publiques et d'autres non pose un problème d'équité.
Concernant le lien entre fiscalité et comptabilité, il ne faut pas oublier que les exploitations ont presque toujours une comptabilité TVA – qui d'ailleurs, avec la chute des prix, fait en général apparaître une situation créditrice –, assortie de contrôles fiscaux. On ne peut donc pas dire que l'imposition au forfait entraîne la suppression de toute comptabilité. Vous parlez d'éviter la marginalisation, mais le fait qu'aujourd'hui huit agriculteurs sur dix soient incapables de s'y retrouver dans leur comptabilité n'est pas la meilleure manière de donner une bonne image de l'agriculture. Par ailleurs, le choix d'un régime de forfait n'empêche pas d'avoir des logiciels de gestion. J'observe qu'en Belgique et en Allemagne, on peut très facilement passer d'un régime à l'autre, sans qu'il y ait pour autant suspicion d'évasion fiscale.
Le rôle des chambres d'agriculture me paraît être un sujet très important, au-delà de la question du mode de désignation. La structuration des territoires est en effet en jeu. J'ai d'ailleurs déjà songé à la création d'une chambre économique départementale, couvrant l'ensemble des activités, mais sans doute est-il trop difficile d'y parvenir.
En ce qui concerne la représentativité, je crois qu'un piège s'est refermé sur la FNSEA. Elle s'est longtemps battue contre la reconnaissance d'autres organisations, et aujourd'hui, étant seule, elle apparaît comme complice du pouvoir. Qui aurait admis que la CGT, au motif qu'elle était majoritaire, soit le seul syndicat ouvrier habilité à négocier ? Dans un pays démocratique, il faut des seuils de représentativité, qui soient les mêmes partout.
Sur l'aide à l'installation, je suis d'accord avec vous pour faire sauter le verrou de l'âge. La situation actuelle a aussi pour inconvénient de conduire des jeunes qui se sont installés tôt, désireux de consommer tous leurs crédits de DJA, à faire des erreurs d'investissement ; il faut donc également plus de souplesse dans le temps de consommation de ces crédits. Au sujet des banquiers, je vous suis jusqu'à un certain point ; force est de constater qu'ils ont parfois financé sans précaution quand les cours étaient élevés, et à l'inverse, fait preuve d'un excès de précautions quand les cours étaient bas. Cela étant, le système actuel mérite incontestablement d'être revu.
Enfin, j'aimerais vous entendre sur la contractualisation, sujet dont on voit bien, après ce qui s'est passé avec la DGCCRF sur le prix du lait, qu'il devra faire l'objet de dispositions dans la loi. Il faut permettre aux vendeurs de se regrouper, comme le font les acheteurs.
Il y a une ligne de partage entre l'agriculture bio et l'agriculture non bio, mais il y en a aussi entre différents types d'agriculture. Les zones de montagne souffrent particulièrement ; quelle est la position de la Coordination rurale sur ce sujet ?
Par ailleurs, hier à Bruxelles, au Comité des régions, nous avons débattu sur le thème « Une PAC simplifiée, un gain pour tous », l'idée étant notamment que la PAC doit être lisible et compréhensible par tous. Une renationalisation des aides à l'agriculture n'a évidemment pas été évoquée, mais y seriez-vous éventuellement favorable ? Tous les pays aident leur agriculture, à commencer par les États-Unis.
M. Gaubert, il me paraîtrait en effet difficile de fusionner en une seule chambre économique départementale les chambres d'agriculture, de l'artisanat et du commerce et de l'industrie. En revanche, je crois souhaitable de renforcer l'action interconsulaire : certaines missions pourraient être mutualisées, dans un cadre moins informel qu'aujourd'hui.
Sur la représentativité syndicale, la négociation collective et les interprofessions, nous avons déjà rédigé il y a deux ans, en commun avec la Confédération paysanne, des propositions précises.
On ne peut pas parler de politique d'installation tant que l'on est dans système qui rend cette installation impossible ou dangereuse. Si la situation ne s'éclaircit pas, notamment en ce qui concerne la PAC, on va assister à un effondrement du nombre d'installations car plus personne n'osera prendre ce risque, faute même de pouvoir faire la moindre prévision économique. Les banquiers sont parfois frileux, parfois un peu inconscients ; c'est d'autant plus vrai quand la conjoncture est déstabilisée.
Quant à la contractualisation, il faut d'abord s'entendre sur ce qu'elle signifie. Si l'on s'en tient à la définition du contrat comme accord sur la chose et sur son prix, pour un terme donné, il devient un peu difficile de parler de contractualisation collective ou sous contrôle de l'État. Dans la région de Cognac, LVMH comme Martell, du groupe Pernod-Ricard, passent des contrats avec des viticulteurs ; il y a quelques années, LVMH a souhaité optimiser ses approvisionnements et a fait savoir que les contrats – de trois ans – ne seraient renouvelés qu'avec ceux d'entre eux qui disposaient d'au moins dix hectares : il en est résulté que certains ont dû cesser leur activité et vendre. C'est ce à quoi peuvent aboutir les contrats - en dépit de l'existence d'une interprofession du cognac.
Dans le cas du lait, on a expliqué aux producteurs qu'on allait arrêter la régulation de la production et du marché en Europe, mais qu'on allait lui substituer la contractualisation. Pour nous, il est clair que vingt-sept types de contrat différents ne font pas une régulation. Le système que nous proposons, défendu également par l'Association des producteurs de lait indépendants (APLI), consiste à conserver une régulation européenne, via le CNIEL (Centre national interprofessionnel de l'économie laitière) – interprofession dans laquelle il faudrait introduire la distribution et assurer la représentation de l'ensemble des producteurs. Celui-ci assurerait une répartition entre les CRIEL et servirait d'instance d'arbitrage.
Dès lors que la légitimité des interprofessions est reconnue, des dispositions que l'on envisageait dans un cadre contractuel redeviennent du domaine interprofessionnel, en particulier les réfactions et majorations. Pour que la régulation laitière soit effective, il faut bien sûr que le rapport entre le producteur et le transformateur, sous l'égide du CRIEL, soit formalisé ; nous proposons qu'il s'agisse de « conventions », formule plus souple que le contrat, permettant en cas de litige d'avoir recours à un simple arbitrage.
L'agriculture de montagne mérite, c'est vrai, un traitement particulier, en particulier pour l'installation, puisqu'il y a cumul de handicaps.
En ce qui concerne la politique agricole, nous ne sommes pas favorables à une renationalisation. Cette politique doit être européenne. L'agriculture a été le ciment de l'Europe ; renationaliser, ce serait dissoudre l'Europe, en opposant à nouveau les agriculteurs des différents pays entre eux.
La politique agricole commune doit évidemment être lisible et simplifiée. Mais il faut commencer par se demander ce que l'on en attend.
Actuellement, la PAC est en premier lieu un outil de restructuration sociale ; mais on ne s'est pas interrogé sur le bien-fondé de cette restructuration sociale, à laquelle on ne voit pas d'autre logique que celle du libre-échange. D'autre part, depuis 1992, on a eu pour objectif que la PAC soit « GATT-compatible » puis « OMC-compatible » ; mais tant que l'on ne le dit pas, cela la rend évidemment illisible.
Pour notre part, nous parlons depuis 1993 d'« exception agriculturelle ». Elle mérite d'être reconnue au même titre que l'exception culturelle : l'agriculture a encore plus de raisons que la culture d'échapper à certaines logiques. L'Europe doit être capable de la protéger à l'extérieur, et à l'intérieur de mener une politique agricole tournée vers l'autosuffisance. C'est sur cette base que nous voulons aborder 2013 : ne commençons pas par le budget, mais par la définition des objectifs – et cela coûtera sans doute beaucoup moins cher. Nous pensons en effet qu'il faut remettre l'agriculture dans le marché européen, avec un cadre européen, des règles européennes, des agriculteurs européens en mesure de vivre leur diversité.
Rendre l'agriculture au marché, c'est d'abord s'interroger sur les coûts de production – notamment dans le cas de l'agriculture de montagne. Pour nous, l'agriculture doit fonctionner dans la plupart des cas selon l'orthodoxie économique : le consommateur doit financer la production de ce qu'il achète. Mais nous savons aussi que certaines régions, marquées par des handicaps naturels lourds, ont besoin d'un soutien particulier. C'est pourquoi, au lieu comme aujourd'hui de gérer la pénurie budgétaire au détriment de tous, il faudrait pouvoir concentrer les moyens sur les agricultures qui en ont besoin – agriculture de montagne, mais aussi agriculture des pays entrés dans l'Union européenne avec un énorme retard. Aux agriculteurs de Roumanie, par exemple, la PAC actuelle n'apporte aucune réponse.
Permettez-moi d'évoquer encore quelques points que je n'avais pas eu le temps d'aborder dans mon propos introductif.
En ce qui concerne les calamités agricoles, nous souhaitons le développement de la prévention et l'utilisation de la fiscalité, en permettant aux agriculteurs de constituer des provisions les bonnes années ; mais nous considérons qu'il ne faut pas mélanger les systèmes : nous avons déploré la mise en place d'une assurance récolte multirisques, qui sera vraisemblablement fatale à certains assureurs traditionnels comme les assureurs contre le risque grêle et dont le défaut majeur est de lier la déduction pour aléa climatique (DPA) à la souscription d'une telle assurance. Ce lien conduit en effet à des assurances au rabais, pas chères et avec des franchises très élevées – mais permettant à leurs souscripteurs de pratiquer la déduction pour aléa.
Sur les moyens de prévention, nous regrettons de ne pas avoir été entendus. J'ai toujours dit que la meilleure assurance sécheresse, quand il y a de l'eau, c'est l'irrigation, et que la meilleure assurance grêle, c'est, quand elle est possible, l'installation de filets. Nous aimerions que la loi apporte en ce domaine les correctifs nécessaires.
Autre proposition : la suppression de l'agrément pour les collecteurs de céréales. Aujourd'hui, un producteur de céréales ne peut pas vendre directement à un consommateur-éleveur le produit de sa récolte ; il doit passer par un intermédiaire agréé par l'ONIGC (Office national interprofessionnel des grandes cultures), qui a pris le relais de l'ONIC (Office national interprofessionnel des céréales). Un amendement avait été déposé sur le projet de loi d'orientation agricole par M. Le Fur pour supprimer ce système, mais il n'avait pas abouti. En le supprimant, on supprimerait du même coup trois ou quatre pages du code rural…
Sur le plan social, nous considérons que la TVA sociale serait en agriculture un moyen de réduire les distorsions de compétitivité. De plus, l'agriculture pourrait être dans ce domaine un laboratoire d'essai ; nous avons en effet la chance d'avoir un système de protection sociale complètement cloisonné et un taux de TVA en général limité à 5,5 %. Les agriculteurs sont prêts à tenter cette expérience.
En ce qui concerne le foncier, force est de constater le divorce entre la société et les agriculteurs. La détention du foncier par une minorité de personnes pose problème. Je n'en tire pas la conclusion qu'il faut nationaliser les terres… En revanche, je rappelle que dans les années soixante-dix, on a institué un système de portage de foncier dématérialisé, sous la forme de parts de société, en particulier de GFA (groupement foncier agricole). L'idée était novatrice, et l'on pensait que ces parts pourraient s'échanger sur un marché fluide et seraient nantissables par les banques. En fait, les personnes extérieures sont peu attirées par le revenu des parts et craignent leur non-fluidité ; par voie de conséquence, il y a peu de transactions, on ne sait pas combien valent les parts, et le nantissement devient impossible.
C'est pourquoi nous proposons une incitation fiscale à l'acquisition de parts foncières – qui me paraîtrait au moins aussi justifiée que beaucoup de défiscalisations actuelles –, ainsi qu'une fluidification, c'est-à-dire une organisation, du marché des parts de foncier, avec la création d'une sorte de bourse nationale d'échange des parts. L'organisation de ce marché permettrait de savoir quelle est la valeur des parts ; par voie de conséquence, les banques accepteraient le nantissement.
Permettre ainsi à tout citoyen d'acquérir une part du territoire agricole serait un moyen de réconcilier la société avec l'agriculture. De cette manière, on réglerait aussi le problème que pose le coût du foncier aux jeunes qui souhaitent s'installer. Enfin, ce système permettrait d'aborder d'une tout autre manière la protection du foncier agricole ; actuellement, certaines idées en la matière me paraissent très attentatoires au droit de propriété.
La création d'un marché de parts foncières n'entraînerait-elle pas un risque de spéculation ?
Aujourd'hui, le risque est que des groupes, éventuellement multinationaux, viennent acquérir les terres. Le marché de parts foncières que je propose ne serait qu'une bourse d'échanges, et dès lors que l'activité agricole ne me paraît pas susceptible de créer beaucoup de milliardaires, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de risques de spéculation.
Parmi les autres sujets que nous aimerions voir traiter, il y a celui des rapports entre vin et société. Il y a aussi celui de la coopération, la réforme opérée dans le cadre de la dernière loi d'orientation agricole n'étant pas allée dans le sens que nous souhaitions. Il nous paraît nécessaire de clarifier la définition de la coopérative ; lorsque le chiffre d'affaires s'établit en milliards d'euros, il me semble que l'on ne peut plus parler de coopérative.
M. le président, merci beaucoup pour cet échange très intéressant. Nous aurons l'occasion d'en avoir d'autres dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de modernisation agricole.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du jeudi 8 octobre 2009 à 9 heures
Présents. - M. Thierry Benoit, M. Claude Gatignol, M. Jean Gaubert, M. Antoine Herth, Mme Laure de La Raudière, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Claude Lenoir, M. Philippe Armand Martin, M. Patrick Ollier, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, M. Jean Proriol, M. Michel Raison
Excusé. - M. Henri Jibrayel
Assistait également à la réunion. - M. Jean-Pierre Dupont