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Intervention de William Villeneuve

Réunion du 8 octobre 2009 à 9h00
Commission des affaires économiques

William Villeneuve, président des Jeunes agriculteurs :

La loi de modernisation agricole n'a effectivement pas à répondre à nos problèmes conjoncturels, qui doivent être réglés par ailleurs, mais nous permettre d'avancer sur des sujets comme les prix, le foncier, l'installation, et ouvrir de nouvelles perspectives à l'agriculture et au secteur agroalimentaire. Nous, Jeunes agriculteurs, avons pour objectif que les exploitations soient à la fois viables – du point de vue du revenu - et vivables – du point de vue des conditions de travail. Nous voulons aussi promouvoir le modèle de l'agriculture à la française, c'est-à-dire des structures à taille humaine, une exploitation familiale, la diversité des produits dans une exploitation et la diversité des activités sur un territoire, alors que l'engagement de l'Europe dans une guerre de la productivité et de la compétitivité pousse à la spécialisation. Nos propositions pour la LMA s'organisent autour de quatre axes : l'installation et la transmission, l'organisation des filières, la rentabilité et la stabilité des exploitations, la gestion du foncier agricole.

Pour ce qui est de l'installation, nous proposons tout d'abord la création d'un statut du créateur d'entreprise agricole. Maintenant que le dispositif de l'installation a été rénové, les hommes et les femmes qui viennent au métier d'exploitant agricole sont d'origines de plus en plus diverses. Pendant la période où, sortant de l'école ou d'une autre activité professionnelle, ils complètent leur formation ou peaufinent leur projet d'installation, ils se retrouvent dans une situation bancale en termes de couverture sociale et de rémunération. Un statut spécifique, inspiré du statut de créateur d'entreprise, permettrait de mieux les accompagner et de leur donner accès à certains dispositifs, par exemple des financements par les collectivités.

Bien entendu, ce qui existe déjà en matière d'aide à l'installation doit perdurer. Or j'ai fait remarquer aux responsables gouvernementaux que la priorité habituellement donnée à cette question paraissait avoir disparu dans le projet de loi de finances pour 2010 ; j'attends une réponse précise du ministre à ce sujet car, quel que soit l'effort consenti pour des mesures conjoncturelles, qui constitueront bien sûr un volet important du PLF, il n'est pas question de négliger l'installation des agriculteurs de demain.

Pour faciliter l'accès au foncier, qui est la principale cause de cessation d'activité dans les dix ans après l'installation, les Jeunes agriculteurs souhaitent une amélioration du système de portage du foncier. Un crédit d'impôt pour les GFA (groupements fonciers agricoles), notamment, permettrait d'attirer vers eux des fonds nouveaux, extérieurs, afin d'aider les jeunes à accéder au métier. Par ailleurs, un système d'avance au fermage, c'est-à-dire une aide au financement des cinq premières années de fermage, donnerait aux jeunes agriculteurs un avantage comparatif par rapport à ceux qui sont déjà installés et ont les moyens de payer, voire de surpayer le fermage.

Revient aussi le vieux débat sur le fonds agricole et le bail cessible, qui sont indissociables. L'objectif est d'éviter le démantèlement des exploitations agricoles au moment de la cessation d'activité, d'inciter à une transmission globale de l'entreprise. Dans l'artisanat ou le commerce, la transmission d'une entreprise se fait sur la base de son activité économique. Dans l'agriculture, le prix prend en compte le patrimoine, l'activité économique, toute l'histoire de l'exploitation… Compte tenu de la rentabilité actuelle du secteur, ce n'est pas viable. Le fonds agricole et le bail cessible permettent d'essayer de transmettre les exploitations à leur juste prix, leur valeur économique. Cela suppose un schéma des structures efficace, ce qui n'est plus le cas dans bon nombre de départements. Cela suppose aussi que les droits à produire ou droits à paiement ne soient pas inscrits dans le fonds agricole, puisqu'ils ne sont pas marchands. Car théoriquement, les quotas par exemple ne sont pas marchands, même si dans la réalité, une terre avec des quotas vaut bien plus cher qu'une terre sans quotas… Nous avions à une époque proposé d'instituer, comme pour la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA), un prix de rachat et un prix de revente du DPU. L'Europe n'a pas accepté, mais c'était de loin la meilleure solution. La PMTVA, ainsi, vaut aujourd'hui exactement le même prix à la cession de l'exploitation qu'à l'installation. Elle est marchande, mais son coût est connu. Cela évite l'inflation des coûts de reprise.

Nos propositions en faveur de la transmission se divisent en deux volets : l'accompagnement économique et humain des cédants et les mesures incitatives. L'idée est tout d'abord d'arriver à gérer les départs à la retraite avec suffisamment d'anticipation car au moment du départ, il est trop tard pour s'inquiéter du choix du cédant. Il faut donc travailler en amont, notamment avec la création de « Points info transmission » au niveau du département. Quant aux mesures incitatives en faveur des cédants, elles sont diverses. Il faudrait exonérer la succession en cas de transmission à un jeune, et créer un système de cautionnement solidaire des prêts. On pourrait aussi imaginer un plan crédit transmission qui éviterait aux jeunes de passer par un prêt avec intérêts pour payer l'exploitation au cédant qui lui-même retourne ensuite à la banque pour placer son argent : ce système permettrait une meilleure rémunération de son capital pour le cédant et éviterait l'inflation du coût de la reprise pour celui qui s'installe.

Troisième priorité : supprimer l'obligation faite à celui qui veut entrer dans une société de lui apporter l'équivalent d'une demi SMI (surface minimum d'installation) – une activité, un atelier par exemple. Si la société compte déjà suffisamment de surface par membre, le nouvel arrivé ne met pas sa viabilité en péril. Le système actuel oblige souvent les jeunes qui veulent entrer à attendre que quelqu'un parte de la société. Une période d'essai dans la société est aussi envisageable et permettrait de fluidifier l'arrivée dans le métier. Enfin, les outils pédagogiques des programmes de formation des jeunes doivent être adaptés à la perspective de leur installation.

Bref, une politique de renouvellement des générations en agriculture nécessite des moyens à la hauteur de ses ambitions. Ce n'est pas parce que le contexte budgétaire est difficile que l'installation ne doit pas demeurer une priorité.

Sur le plan économique, il faut reconnaître les interprofessions comme des acteurs incontournables dans l'organisation des filières. Les interprofessions doivent fixer un cadre, en matière de relations commerciales ou de volumes produits par exemple. Pour cela, il faut renforcer leurs missions, et surtout leurs obligations. Elles doivent établir des contrats types pour chaque filière et en définir les éléments obligatoires – volumes, fourchettes de prix, coûts de production, durée, modalités de mise en oeuvre, cahier des charges… Cela permettra aux exploitations d'avoir une meilleure lisibilité des politiques. Des références doivent également être établies sur les coûts de production et les prix. Par exemple, 280 euros la tonne de lait n'est pas un mauvais prix, puisque c'est le niveau de 2006 ou 2007, mais c'est devenu insuffisant compte tenu de la hausse de 40 % des charges de production - engrais, soja, aliments pour bétail, coûts de collecte… Enfin, il faut prévoir des modalités de contrôle et de sanction – car il ne sert à rien d'édicter des règles si elles ne sont pas respectées.

Par ailleurs, il faut reconnaître aux producteurs la possibilité de s'organiser – en organisation de producteurs (OP) avec transfert de propriété, en interprofession de première mise en marché, en AOP (association d'OP)… – l'impératif étant de regrouper l'offre. La contractualisation collective permet aux producteurs d'acquérir plus de poids face à leurs interlocuteurs. Un petit producteur qui est à 70 km de la première laiterie en zone de montagne a intérêt à appartenir à une organisation qui représente 3 millions de litres de lait…

En troisième lieu, nous proposons de redonner de la rentabilité et de la lisibilité aux exploitations agricoles. L'un des principaux moyens serait la reconnaissance des associés dans le cadre de l'EARL. Aujourd'hui, quel que soit le nombre de ses associés, l'EARL n'en reconnaît qu'un. Le GAEC, lui, reconnaît les différents associés mais ne peut, contrairement à l'EARL, être constitué entre mari et femme. Mais nos exploitations n'existent que parce que des actifs y travaillent ; il faut donc reconnaître tous les associés, quelle que soit leur structuration juridique.

Un autre moyen est l'institution d'une déduction pour aléas spécifiques au bénéfice des jeunes agriculteurs. Beaucoup considèrent la DPA comme un outil de défiscalisation, mais la défiscalisation n'est pas le principal souci d'un jeune agriculteur ! En revanche, il a besoin de pouvoir surmonter les coups durs. La DPA pour les jeunes vaudrait donc pour ces cinq ou dix premières années où l'exploitation reste très vulnérable et n'a pas assez de trésorerie pour faire face à une sécheresse ou une crise des prix.

Je reviens au fonds agricole et au bail cessible, issus de la dernière loi d'orientation, qui ne remportent pas un vif succès. Il faut moderniser le système pour arriver à transmettre les exploitations en fonction des seuls critères économiques. Tant que le prix ne sera pas déconnecté d'autres aspects, patrimonial ou historique par exemple, nous aurons des problèmes tant de succession que de nombre de nouveaux arrivants. Enfin, une exploitation encourt différents risques, le risque économique se réalisant aujourd'hui plus fréquemment que les aléas climatiques par exemple. Il faut parvenir à ce qu'ils ne mettent pas sa vie en péril. Pour cela, il faut élaborer des outils de gestion des risques, comme l'ont fait les Américains avec le Farm Bill.

J'en arrive enfin au volet foncier. La France connaît une surconsommation du foncier de l'ordre de 70 000 hectares. A croissance égale, l'Allemagne n'est qu'à 20 000. Ce sont les meilleures terres qui disparaissent. C'est pourquoi nous souhaitons une fixation du zonage agricole. Je sais qu'il sera très difficile de retirer aux maires des responsabilités dans la gestion de leur territoire – et je suis le fils d'un maire de petite commune – mais je pense que la vision dans ce domaine doit être plus large – de niveau départemental, ou au moins intercommunal. Par ailleurs, nous devrons travailler en cohérence avec les outils actuels, comme les SAFER, et toujours garder à l'esprit qu'à l'origine de la montée des prix et de la disparition des terres agricoles, il y a des agriculteurs qui vendent…

Je finirai, dans le domaine du foncier, par un point évoqué par le Grenelle : la production d'électricité photovoltaïque. Il y a suffisamment de surfaces couvertes en France pour ne pas développer cette activité sur les sols, sans quoi l'activité agricole sera un jour mise en concurrence avec la production électrique. Il ne faut pas en arriver à la situation des pays du nord de l'Europe, qui ont vu disparaître leur production laitière au profit de la méthanisation.

Pour conclure, les sujets abordés par la loi de modernisation sont d'une telle ampleur qu'on peut regretter que le calendrier d'élaboration soit si serré. J'espère qu'elle ne deviendra pas une loi fourre-tout. Il aurait en tout cas été préférable d'effectuer au préalable un « bilan de santé » de nos agriculteurs, comme il vient d'y en avoir un pour la PAC, car une loi qui prépare l'avenir doit s'attacher à répondre précisément à leurs besoins. Enfin, la modernisation structurelle ne pourra avoir lieu que s'il existe une véritable volonté de régulation au niveau européen. L'une ne se fera pas sans l'autre.

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