M. Gaubert, il me paraîtrait en effet difficile de fusionner en une seule chambre économique départementale les chambres d'agriculture, de l'artisanat et du commerce et de l'industrie. En revanche, je crois souhaitable de renforcer l'action interconsulaire : certaines missions pourraient être mutualisées, dans un cadre moins informel qu'aujourd'hui.
Sur la représentativité syndicale, la négociation collective et les interprofessions, nous avons déjà rédigé il y a deux ans, en commun avec la Confédération paysanne, des propositions précises.
On ne peut pas parler de politique d'installation tant que l'on est dans système qui rend cette installation impossible ou dangereuse. Si la situation ne s'éclaircit pas, notamment en ce qui concerne la PAC, on va assister à un effondrement du nombre d'installations car plus personne n'osera prendre ce risque, faute même de pouvoir faire la moindre prévision économique. Les banquiers sont parfois frileux, parfois un peu inconscients ; c'est d'autant plus vrai quand la conjoncture est déstabilisée.
Quant à la contractualisation, il faut d'abord s'entendre sur ce qu'elle signifie. Si l'on s'en tient à la définition du contrat comme accord sur la chose et sur son prix, pour un terme donné, il devient un peu difficile de parler de contractualisation collective ou sous contrôle de l'État. Dans la région de Cognac, LVMH comme Martell, du groupe Pernod-Ricard, passent des contrats avec des viticulteurs ; il y a quelques années, LVMH a souhaité optimiser ses approvisionnements et a fait savoir que les contrats – de trois ans – ne seraient renouvelés qu'avec ceux d'entre eux qui disposaient d'au moins dix hectares : il en est résulté que certains ont dû cesser leur activité et vendre. C'est ce à quoi peuvent aboutir les contrats - en dépit de l'existence d'une interprofession du cognac.
Dans le cas du lait, on a expliqué aux producteurs qu'on allait arrêter la régulation de la production et du marché en Europe, mais qu'on allait lui substituer la contractualisation. Pour nous, il est clair que vingt-sept types de contrat différents ne font pas une régulation. Le système que nous proposons, défendu également par l'Association des producteurs de lait indépendants (APLI), consiste à conserver une régulation européenne, via le CNIEL (Centre national interprofessionnel de l'économie laitière) – interprofession dans laquelle il faudrait introduire la distribution et assurer la représentation de l'ensemble des producteurs. Celui-ci assurerait une répartition entre les CRIEL et servirait d'instance d'arbitrage.
Dès lors que la légitimité des interprofessions est reconnue, des dispositions que l'on envisageait dans un cadre contractuel redeviennent du domaine interprofessionnel, en particulier les réfactions et majorations. Pour que la régulation laitière soit effective, il faut bien sûr que le rapport entre le producteur et le transformateur, sous l'égide du CRIEL, soit formalisé ; nous proposons qu'il s'agisse de « conventions », formule plus souple que le contrat, permettant en cas de litige d'avoir recours à un simple arbitrage.
L'agriculture de montagne mérite, c'est vrai, un traitement particulier, en particulier pour l'installation, puisqu'il y a cumul de handicaps.
En ce qui concerne la politique agricole, nous ne sommes pas favorables à une renationalisation. Cette politique doit être européenne. L'agriculture a été le ciment de l'Europe ; renationaliser, ce serait dissoudre l'Europe, en opposant à nouveau les agriculteurs des différents pays entre eux.
La politique agricole commune doit évidemment être lisible et simplifiée. Mais il faut commencer par se demander ce que l'on en attend.
Actuellement, la PAC est en premier lieu un outil de restructuration sociale ; mais on ne s'est pas interrogé sur le bien-fondé de cette restructuration sociale, à laquelle on ne voit pas d'autre logique que celle du libre-échange. D'autre part, depuis 1992, on a eu pour objectif que la PAC soit « GATT-compatible » puis « OMC-compatible » ; mais tant que l'on ne le dit pas, cela la rend évidemment illisible.
Pour notre part, nous parlons depuis 1993 d'« exception agriculturelle ». Elle mérite d'être reconnue au même titre que l'exception culturelle : l'agriculture a encore plus de raisons que la culture d'échapper à certaines logiques. L'Europe doit être capable de la protéger à l'extérieur, et à l'intérieur de mener une politique agricole tournée vers l'autosuffisance. C'est sur cette base que nous voulons aborder 2013 : ne commençons pas par le budget, mais par la définition des objectifs – et cela coûtera sans doute beaucoup moins cher. Nous pensons en effet qu'il faut remettre l'agriculture dans le marché européen, avec un cadre européen, des règles européennes, des agriculteurs européens en mesure de vivre leur diversité.
Rendre l'agriculture au marché, c'est d'abord s'interroger sur les coûts de production – notamment dans le cas de l'agriculture de montagne. Pour nous, l'agriculture doit fonctionner dans la plupart des cas selon l'orthodoxie économique : le consommateur doit financer la production de ce qu'il achète. Mais nous savons aussi que certaines régions, marquées par des handicaps naturels lourds, ont besoin d'un soutien particulier. C'est pourquoi, au lieu comme aujourd'hui de gérer la pénurie budgétaire au détriment de tous, il faudrait pouvoir concentrer les moyens sur les agricultures qui en ont besoin – agriculture de montagne, mais aussi agriculture des pays entrés dans l'Union européenne avec un énorme retard. Aux agriculteurs de Roumanie, par exemple, la PAC actuelle n'apporte aucune réponse.
Permettez-moi d'évoquer encore quelques points que je n'avais pas eu le temps d'aborder dans mon propos introductif.
En ce qui concerne les calamités agricoles, nous souhaitons le développement de la prévention et l'utilisation de la fiscalité, en permettant aux agriculteurs de constituer des provisions les bonnes années ; mais nous considérons qu'il ne faut pas mélanger les systèmes : nous avons déploré la mise en place d'une assurance récolte multirisques, qui sera vraisemblablement fatale à certains assureurs traditionnels comme les assureurs contre le risque grêle et dont le défaut majeur est de lier la déduction pour aléa climatique (DPA) à la souscription d'une telle assurance. Ce lien conduit en effet à des assurances au rabais, pas chères et avec des franchises très élevées – mais permettant à leurs souscripteurs de pratiquer la déduction pour aléa.
Sur les moyens de prévention, nous regrettons de ne pas avoir été entendus. J'ai toujours dit que la meilleure assurance sécheresse, quand il y a de l'eau, c'est l'irrigation, et que la meilleure assurance grêle, c'est, quand elle est possible, l'installation de filets. Nous aimerions que la loi apporte en ce domaine les correctifs nécessaires.
Autre proposition : la suppression de l'agrément pour les collecteurs de céréales. Aujourd'hui, un producteur de céréales ne peut pas vendre directement à un consommateur-éleveur le produit de sa récolte ; il doit passer par un intermédiaire agréé par l'ONIGC (Office national interprofessionnel des grandes cultures), qui a pris le relais de l'ONIC (Office national interprofessionnel des céréales). Un amendement avait été déposé sur le projet de loi d'orientation agricole par M. Le Fur pour supprimer ce système, mais il n'avait pas abouti. En le supprimant, on supprimerait du même coup trois ou quatre pages du code rural…
Sur le plan social, nous considérons que la TVA sociale serait en agriculture un moyen de réduire les distorsions de compétitivité. De plus, l'agriculture pourrait être dans ce domaine un laboratoire d'essai ; nous avons en effet la chance d'avoir un système de protection sociale complètement cloisonné et un taux de TVA en général limité à 5,5 %. Les agriculteurs sont prêts à tenter cette expérience.
En ce qui concerne le foncier, force est de constater le divorce entre la société et les agriculteurs. La détention du foncier par une minorité de personnes pose problème. Je n'en tire pas la conclusion qu'il faut nationaliser les terres… En revanche, je rappelle que dans les années soixante-dix, on a institué un système de portage de foncier dématérialisé, sous la forme de parts de société, en particulier de GFA (groupement foncier agricole). L'idée était novatrice, et l'on pensait que ces parts pourraient s'échanger sur un marché fluide et seraient nantissables par les banques. En fait, les personnes extérieures sont peu attirées par le revenu des parts et craignent leur non-fluidité ; par voie de conséquence, il y a peu de transactions, on ne sait pas combien valent les parts, et le nantissement devient impossible.
C'est pourquoi nous proposons une incitation fiscale à l'acquisition de parts foncières – qui me paraîtrait au moins aussi justifiée que beaucoup de défiscalisations actuelles –, ainsi qu'une fluidification, c'est-à-dire une organisation, du marché des parts de foncier, avec la création d'une sorte de bourse nationale d'échange des parts. L'organisation de ce marché permettrait de savoir quelle est la valeur des parts ; par voie de conséquence, les banques accepteraient le nantissement.
Permettre ainsi à tout citoyen d'acquérir une part du territoire agricole serait un moyen de réconcilier la société avec l'agriculture. De cette manière, on réglerait aussi le problème que pose le coût du foncier aux jeunes qui souhaitent s'installer. Enfin, ce système permettrait d'aborder d'une tout autre manière la protection du foncier agricole ; actuellement, certaines idées en la matière me paraissent très attentatoires au droit de propriété.