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Intervention de Eric Lucas

Réunion du 8 octobre 2009 à 9h00
Commission des affaires économiques

Eric Lucas, président national de la Coordination rurale :

Président de la Coordination rurale depuis 1999, j'ai déjà connu la loi d'orientation du 9 juillet 1999, la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux et la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006. Que peut-on encore attendre d'une quatrième loi ? En réalité, énormément de choses.

Le ministère de l'agriculture, lorsqu'il nous a sollicités, nous a d'abord dit que cette loi devait être ramassée, mais il nous a néanmoins invités à balayer l'ensemble des problèmes.

Puisqu'il s'agit de moderniser, la première chose à faire nous paraît être de s'interroger sur l'âge des dispositifs existants. Certaines organisations ont dépassé l'âge légal de la retraite, et sans doute notre agriculture a-t-elle quelque peu changé depuis 1946.

En ce qui concerne les chambres d'agriculture, nous ne sommes pas de ceux qui, dans le cadre de la RGPP et d'une démarche de rationalisation, défendent l'idée d'une régionalisation, en considérant que l'existence d'une chambre par département est devenue un luxe. Pour nous, la chambre d'agriculture doit rester une instance de proximité ; or une région est toujours grande, et qui plus est, toujours assez mal découpée. Nous sommes tout à fait d'accord pour que les chambres d'agriculture réfléchissent à la possibilité de mutualiser certains de leurs services au niveau régional, mais la base de la représentation professionnelle doit rester départementale.

Par ailleurs, le rôle des chambres d'agriculture doit être clarifié. Ces chambres ont une mission de service public ; dès lors, elles ne doivent pas empiéter sur le secteur marchand, lequel doit être laissé à des organisations privées. Dans le cadre de leur mission de service public, elles doivent se remettre en cause ; on a en effet assisté à un mouvement de ciseau, la réduction du nombre d'agriculteurs s'accompagnant d'une inflation des services des chambres, au point que l'on ne sait plus très bien si la chambre d'agriculture est toujours l'interface entre l'administration et les producteurs, concourant à la simplification de leurs relations, ou si elle s'accommode bien volontiers d'une complexité qui lui permet de vendre ses prestations de service.

Concernant le mode de scrutin et la représentation des collèges, nous considérons que ce qui fonde le droit de vote des élus à la chambre d'agriculture est le statut d'agriculteur. Il est intéressant d'associer des représentants de caisses de Crédit agricole à la réflexion, mais leur voix doit rester consultative. Nous avons des propositions à ce sujet.

Nous en avons aussi pour moderniser le dialogue social en agriculture, sujet qu'avait évoqué le Président de la République pendant sa campagne et auquel nous avons sensibilisé un certain nombre de parlementaires en janvier dernier. La première question à traiter est celle de la représentativité, au niveau des élections professionnelles et dans la négociation collective ; actuellement, le seul syndicat habilité à la négociation collective est la FNSEA, et, parallèlement, nul ne sait nous dire sur quel texte nous pourrions nous appuyer pour, nous aussi, nous voir reconnaître cette représentativité.

Nous souhaitons par ailleurs une réforme des interprofessions, dont l'actualité accentue les défauts, et qu'il faut rendre légitimes tant aux yeux de nos compatriotes que vis-à-vis des institutions européennes. Aujourd'hui, leur statut est hybride : on nous dit qu'il est privé, mais un accord avalisé par l'État devient obligatoire ; quant aux sommes considérables versées au titre des « cotisations volontaires obligatoires », il n'est pas possible de connaître leur utilisation au motif que l'on est dans un domaine privé… Il en résulte que beaucoup de producteurs ne reconnaissent plus la légitimité des interprofessions, et c'est dommage. Sans doute la Coordination rurale les aurait-elle inventées si elles n'avaient pas existé, mais encore faut-il qu'elles soient dotées de tous les attributs nécessaires.

Autre sujet très important : l'installation. Dans ce domaine, on nous avait annoncé des simplifications, et on n'a fait que rendre le parcours du combattant encore plus ardu. Il faut absolument revenir à une approche pragmatique.

La première politique d'installation est une politique de revenu agricole : on ne peut pas prétendre installer des agriculteurs sans faire en sorte qu'il ne faille pas, du fait de la baisse du revenu unitaire, un nombre d'unités de production de plus en plus grand pour arriver à un revenu décent. Sur ce point, il faut d'abord agir au niveau de la politique agricole commune.

Par ailleurs, c'est à nos yeux le fait de s'installer qu'il faut considérer, et non pas l'âge de celui qui s'installe. Nous sommes attachés à la définition européenne du « nouvel installé », sans critère d'âge. On peut devenir agriculteur dans le cadre de parcours professionnels très différents.

Enfin, il nous paraît essentiel de simplifier le système des aides à l'installation. Lorsqu'une personne a un projet d'installation, il est normal de lui apporter des aides publiques – bonifications de prêts, exonération de charges pendant les premières années ; il faut en finir avec les filtres qui aboutissent parfois à exclure les meilleurs, ce qui les oblige à prendre encore plus de risques. La modernisation, c'est aussi le nettoyage des textes.

Quant à la fiscalité, elle est de plus en plus complexe. Les agriculteurs se désintéressent de leur comptabilité, et donc de leur gestion, parce qu'ils n'y comprennent plus rien. On n'a pas cessé d'obscurcir les règles comptables en agriculture. Ce faisant, on a créé une dépendance des agriculteurs à l'égard de leurs organismes de gestion. Alors qu'il s'agissait, disait-on, de leur donner plus de visibilité sur l'état de leur exploitation, sur ses points forts et ses points faibles, finalement ils se retrouvent soumis aux avis d'un conseiller pas toujours éclairé. Nous considérons donc qu'à l'instar de certains pays européens, il faudrait avoir un système très souple, en réexaminant la question de l'imposition forfaitaire. Le seuil de passage au bénéfice agricole réel n'a jamais été actualisé depuis quarante ans ; une réactualisation correcte le ferait passer de 76 300 euros à environ 450 000 euros. Un système de forfait intelligent serait d'un grand soutien pour les agriculteurs, à qui l'on éviterait la tentation d'investir uniquement pour échapper à l'impôt. Par ailleurs, il faudrait mettre fin à cette curiosité que, aucun forfait n'ayant été calculé pour l'élevage ovin, on impose les revenus des éleveurs à partir d'une grille céréalière...

En ce qui concerne la taxe sur le foncier non bâti, nous souhaiterions que l'on tienne compte du fait que les cultures pérennes ne peuvent pas donner de production les premières années ; qu'il s'agisse d'un verger ou d'une vigne, il faudrait une exonération systématique tant qu'il n'y a pas de production.

Nous prônons par ailleurs le développement des circuits courts. Actuellement, le code des douanes taxe l'huile végétale brute lorsqu'elle n'est pas utilisée sur l'exploitation ; en termes d'autonomie énergétique, mieux vaudrait permettre à un agriculteur d'en vendre à son voisin comme carburant.

Quant aux crédits d'impôt aujourd'hui destinés au bio, il faudrait à notre sens les étendre à d'autres démarches, en particulier celles qui visent à économiser l'énergie. De plus, si l'on veut que le bio se développe, il ne faut pas considérer qu'il doit rester l'apanage de petites exploitations.

Mais je vous invite aussi à réfléchir à l'évolution actuelle vers deux agricultures parallèles, destinées à ne jamais se rencontrer. Un camion cloisonné ramassant du lait conventionnel ne peut pas transporter du lait bio, alors qu'on n'empêche pas un camion de carburants de transporter du fuel lourd, du gazole et de l'essence… L'Histoire jugera cette époque où l'on aura institué deux agricultures au lieu d'une seule : l'une des deux, parée de toutes les vertus, mais à la production réservée à des personnes au pouvoir d'achat relativement élevé ; l'autre, soumise en fait à quantité de normes et de contraintes, mais néanmoins chargée de toutes les suspicions. On devrait plutôt chercher à faire converger les deux modèles, en considérant l'agriculture biologique comme un laboratoire d'essais, sans doute coûteux mais susceptible de transférer des connaissances vers l'agriculture conventionnelle ; on pourrait se donner une quinzaine d'années pour revenir à une agriculture unifiée. Mais telle n'est pas, semble-t-il, la voie choisie.

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