Mes chers collègues, mesdames et messieurs, je suis heureux d'ouvrir cette première audition qui inaugure nos travaux relatifs aux financements extrabudgétaires de la recherche et de l'enseignement supérieur. Le financement extrabudgétaire est une source de préoccupation, voire de perplexité pour la commission des Finances, dans la mesure où, à côté de dépenses clairement identifiées en loi de finances – et gérées de façon stricte –, les financements extrabudgétaires pourraient couvrir des dépenses qui, elles, pourraient ne pas avoir le même souci de la maîtrise.
L'environnement de la recherche et de l'université, modifié par les lois de 2006 et 2007 qui lui ont donné l'autonomie, et, au-delà du plan Campus, par l'apport du grand emprunt, est extrêmement évolutif. C'est la raison pour laquelle le bureau de la commission des Finances a jugé utile de saisir de cette question la Mission d'évaluation et de contrôle.
Le mode de financement extrabudgétaire d'une manière générale est l'une de nos préoccupations majeures, puisque le bureau de la commission des Finances a également demandé à la MEC de s'intéresser aux financements des politiques culturelles par des ressources affectées.
Quel est le véritable impact des financements extrabudgétaires sur les finances publiques ? Comment sont-ils pris en compte au regard des critères de Maastricht ? Nous avons bien vu, lors du dernier débat budgétaire, que ces dépenses n'étaient pas comptabilisées dans le total des dépenses publiques « au sens de Maastricht », alors qu'elles représentent pourtant un débours, mais un débours partiel. C'est le cas, très concrètement dans le domaine universitaire, avec la distinction entre les dépenses consomptibles et celles qui ne le sont pas. Pour ces dernières, seul le montant des intérêts produits sera dépensé au fil des ans par les opérateurs.
Nos travaux porteront également sur un enjeu de gouvernance puisque la loi de 2007 a donné l'autonomie aux universités après différents regroupements. La Cour des comptes a réalisé un excellent travail pour mettre en évidence à la fois les forces et les faiblesses des différents dispositifs à l'issue de ces premières années de mise en oeuvre. Un de nos objectifs sera de voir comment organiser le contrôle budgétaire. Comment pourra-t-on agréger, au-delà de la mission, ces dépenses extrabudgétaires pour avoir une vision réaliste de l'engagement public sur ces différentes politiques ?
Dans le cadre de nos travaux, les deux rapporteurs spéciaux de la commission des Finances sur les crédits de la recherche, MM. Jean-Pierre Gorges et Alain Claeys, seront associés à M. Pierre Lasbordes, rapporteur pour avis de la commission des Affaires économiques.
Selon l'usage de la MEC, nous serons accompagnés par des magistrats de la Cour des comptes, et je salue aujourd'hui la présence de M. Jacques Tournier, conseiller-maître.
Nous accueillons M. Ronan Stephan, directeur général pour la Recherche et l'innovation du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Catherine Gaudy, directrice générale adjointe, et M. Alain Neveü, responsable du service « Grands projets immobiliers ».
Merci monsieur le Président. Vous avez rappelé l'objet de nos travaux et je pense que nous avons trois ou quatre sujets principaux à examiner : peut-être, monsieur le directeur général, pourriez-vous rappeler les dispositifs de financement des crédits extra budgétaires qui sont alloués à la recherche et à l'enseignement supérieur. Ensuite, pourriez-vous analyser les deux grands blocs aujourd'hui concernés par ces crédits, à savoir d'une part le plan Campus et d'autre part les Investissements d'avenir.
Le plan Campus, sur lequel je souhaiterais entrer dans le détail, a été lancé en 2008, suite à la loi sur l'autonomie et, en principe, les crédits devraient être mis à disposition des universités ou des pôles de recherche et d'enseignement supérieur – PRES – en 2011. Or il s'avère, semble-t-il, que nous avons pris un certain retard. Il me semble important de connaître les raisons de ce retard. Le président, à juste titre, a abordé les problèmes de gouvernance, thème évoqué par la Cour des comptes. Je souhaiterais donc que vous entriez dans le détail de ces sujets et que vous nous indiquiez, notamment, les difficultés auxquelles vous êtes confrontés au niveau des PRES.
Les financements relatifs au plan Campus doivent être mis en parallèle avec le Programme des investissements d'avenir. Peut-être pouvez-vous déjà présenter un bilan ? Il est important de bien comprendre l'articulation existant entre le plan Campus et le Programme d'investissements d'avenir. Le dernier sujet est l'évaluation du montant de ces crédits extrabudgétaires : nous sommes demandeurs d'information.
Pour ouvrir la discussion, nous pourrions commencer par les deux thèmes suivants : d'une part le rappel du dispositif des crédits extrabudgétaires dans le domaine de la recherche et de l'enseignement supérieur et, d'autre part, l'articulation entre le plan Campus et le Programme investissements d'avenir. Nous souhaiterions obtenir des éclaircissements sur les raisons du retard du plan Campus et sur les solutions envisagées pour ne pas créer sur le terrain trop d'inquiétudes.
Le plan Campus est une opération qui est surtout portée par la direction générale de l'Enseignement supérieur et celle de l'insertion professionnelle. Je laisserai donc Alain Neveü, qui est en charge d'un service commun entre ces deux directions, d'apporter un certain nombre de réponses.
Pour ce qui concerne les Investissements d'avenir, souhaitez-vous que nous commencions par lister les différents programmes de ces investissements ou préférez-vous d'abord que nous abordions le plan Campus ?
Avant même d'aborder le détail du plan Campus, pourriez-vous rappeler quels sont les crédits extrabudgétaires mobilisés sur ce plan et sur le Programme d'investissements d'avenir et nous dire si ces crédits extrabudgétaires viennent se substituer à des crédits qui avaient été « fléchés » sur la recherche et l'enseignement supérieur ?
Dans ce cas, je vais d'abord vous parler brièvement des actions qui vont être financées dans le cadre des Investissements d'avenir, soit typiquement deux grandes actions : une action sur les pôles d'excellence et une action sur les projets thématiques d'excellence.
Il s'agit d'une présentation liminaire. Je ne m'attarderai pas sur ces différentes rubriques et ensuite M. Neveü pourra apporter tous les compléments sur le plan Campus.
Dans l'action Pôles d'excellence, nous avons une dotation de 7,7 milliards d'euros qui concerne les initiatives d'excellence, une dotation de 1,3 milliard d'euros qui vient compléter l'opération Campus pour finaliser un certain nombre d'opérations lancées ; nous avons également une opération spécifique d'un montant d'un milliard d'euros qui concerne le plateau de Saclay ; une opération de valorisation des Instituts de recherche technologique à hauteur de 2 milliards d'euros ; le fonds national de valorisation qui va abonder trois sous-dispositifs : les sociétés d'accélération du transfert de technologie à hauteur de 900 millions d'euros, France Brevet à hauteur de 50 millions d'euros et les consortiums thématiques de valorisation à hauteur de 50 millions d'euros également.
Il y a ensuite les instituts Carnot qui font déjà partie de la programmation générale. Cette fois, il s'agit d'un complément destiné à accompagner l'ouverture de la recherche publique vers les petites et moyennes entreprises et à pousser l'internationalisation de la diffusion des résultats de recherche obtenus dans nos laboratoires. Leur dotation s'élève à 500 millions d'euros.
Pour être bien précis, pour les crédits ouverts sur les Investissements d'avenir, les 7,7 milliards…
…qui sont non consomptibles…
…concernent les Campus d'excellence ? Et les opérations Campus correspondent à 1,3 milliard d'euros, n'est-ce pas ?
Oui, tout à fait.
Et est-ce que ce montant reprend des crédits budgétaires qui avaient été annoncés en investissements ?
L'opération Campus, c'est 5 milliards, dont 3,7 milliards issus de la vente d'actions EDF auxquels ont été ajoutés 1,3 milliard d'euros issus du Grand emprunt.
Le financement par voie extrabudgétaire est brutal. Pour redonner du sens, il faut reconstituer l'ensemble des crédits dont dispose chacun des domaines d'opérations.
Dans ce cas, consolidé entre les Investissements d'avenir et l'opération Campus, l'ensemble des moyens revient à 5 milliards d'euros. 3,7 milliards d'euros mobilisés au départ et 1,3 milliard d'euros mobilisés dans le cadre de ces Investissements d'avenir.
Les 3,7 milliards d'euros sont inscrits au budget de l'État en autorisations d'engagement. Où apparaissent les 1,3 milliard d'euros supplémentaires ?
L'opérateur est l'ANR.
Ils sont également inscrits à l'ANR.
L'ensemble des deux sources de financement est confié à l'ANR depuis le début d'août 2010.
Il convient quand même de préciser qu'il s'agit de dotations non consomptibles. À la différence du milliard d'euros consacré à Saclay qui, lui, est consomptible. Dans les Investissements d'avenir, il faudrait que vous précisiez, chaque fois, quels sont les crédits consumptibles et quels sont ceux qui ne le sont pas.
Souvenons-nous que lorsque les titres EDF ont été vendus, l'État espérait engranger 5 milliards de recettes. Mais, le cours de l'action ayant baissé, les recettes ne se sont élevées qu'à 3,7 milliards d'euros. Or, il était admis que le plan Campus n'avait de sens qu'à hauteur de 5 milliards d'euros. On a donc profité de l'opération Investissements d'avenir pour compléter le fameux plan Campus originel. C'est une espèce de masse sui generis à 5 milliards non consomptibles.
Dans ce cas, je précise brièvement les montants et leur nature :
– les initiatives d'excellence ou Campus d'excellence : 7,7 milliards d'euros non consomptibles ;
– le plateau de Saclay : 1 milliard d'euros consomptibles ;
– les instituts de recherche technologique : 2 milliards d'euros dont 1,5 non consomptibles et 500 millions consomptibles ;
– le fonds national de valorisation, comprenant les trois éléments déjà évoqués (les sociétés accélératrices du transfert de technologie, France Brevet et les consortiums nationaux de valorisation) : un milliard d'euros consomptibles ;
– Les instituts Carnot, orientés vers les PME et l'international : 500 millions d'euros non consomptibles ;
– les laboratoires d'excellence : un milliard d'euros dont 900 millions non consomptibles et 100 consomptibles ;
– les instituts hospitalo-universitaires : 850 millions d'euros, dont 680 millions non consomptibles et 177 consomptibles.
Voilà dans ce premier programme intitulé Pôles d'excellence la répartition ainsi que le mode de consommation. Le deuxième grand programme est celui relatif aux Projets thématiques d'excellence dans lequel on va trouver les actions suivantes :
– les équipements d'excellence : un milliard d'euros dont 600 millions sont non consomptibles et 400 millions consomptibles ;
– la santé et les biotechnologies : 1,550 milliard d'euros dont 450 millions d'euros consomptibles et 1,1 milliard d'euros non consomptibles ;
– l'espace : 500 millions d'euros consomptibles mais dont l'opérateur n'est pas l'ANR, mais le CNES (Centre national d'études spatiales).
Si je fais la somme, nous aboutissons à une dotation non consomptible de 14,280 milliards d'euros et à une dotation consomptible de 4,120 milliards d'euros. A l'ensemble de ces sommes, il convient d'ajouter les 3,7 milliards d'euros correspondant à la phase initiale de l'opération Campus.
22,1 milliards d'euros exactement.
En ce qui concerne l'opération Campus, l'ensemble du projet concerne à la fois les dix sites qui bénéficient du label Campus et des financements des 5 milliards d'euros extrabudgétaires, mais également un ensemble de onze sites retenus par la ministre après l'appel à projets qui bénéficient eux, de financements budgétaires. L'action du ministère pour la gestion globale de l'opération Campus porte sur ces vingt-et-un sites.
Les dix sites bénéficiant des 5 milliards d'euros de financements extrabudgétaires ont été sélectionnés courant 2008 dans le cadre d'un appel à projets, sur proposition d'un comité d'évaluation constitué de personnalités françaises et internationales. La sélection s'est effectuée en deux vagues sur la base de notes d'intention sommaires qui ont permis de retenir six sites en mai 2008 : Bordeaux, Grenoble, Lyon, Montpellier, Strasbourg et Toulouse. En juillet 2008, quatre sites complémentaires ont été retenus : Aix-Marseille, Condorcet Paris-Aubervilliers, Paris et Saclay. Soit au total, sept sites en régions et trois sites en Île de France.
Après la sélection sur ces notes d'intention sommaires, les sites sélectionnés ont eu cinq à six mois pour présenter de véritables projets. Ces projets ont également été soumis au comité d'évaluation.
Qui portait les projets de ces dix sites ? Les universités ou les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) ?
Les situations étaient variées. Lorsque les PRES existaient, ils portaient le projet. En leur absence, dans certains cas il s'est agi d'universités inscrites dans une perspective de fusion comme à Strasbourg, dans d'autres cas de groupements informels d'établissements, comme par exemple à Grenoble ou à Montpellier.
Quels ont été les problèmes concrets rencontrés, notamment en ce qui concerne la gouvernance de ces projets au regard de ce que prévoyait la loi ? Pourquoi a-t-on pris du retard ?
Je ne pense pas que l'ensemble de l'opération Campus puisse être stigmatisée pour un retard général. Les programmes demandés étaient très ambitieux, notamment en matière immobilière, ce dont les différents porteurs de projets n'avaient pas jusqu'à présent l'expérience. Si l'on s'attache à l'échelle des projets en régions, la taille des campus s'échelonne entre 40 hectares et 260 hectares. Il ne s'agissait pas seulement, par ailleurs, de projets scientifiques et pédagogiques d'une part et de projets immobiliers d'autre part. Il s'agissait également de projets urbains. Or un projet urbain ne s'élabore pas en quatre à cinq mois.
De plus ces sites ont tous présenté des projets très ambitieux dont le montant cumulé excédait très largement l'espérance mathématique moyenne résultant de la capacité d'investissement attachée à 5 milliards d'euros divisés par dix. Lorsque ces sites ont eu connaissance des moyens qui leur étaient alloués par l'État et par les collectivités territoriales, ils ont dû passer du projet proposé au projet financé, en intégrant la nature non seulement immobilière mais également urbaine du projet. Cela demande du travail et des compétences. Le choix a été fait de ne pas confier la mise en oeuvre de l'opération Campus à un établissement public national, dans le respect de la loi sur l'autonomie des universités.
Le ministère avait-il la possibilité de piloter ces opérations ? Quelle est votre réponse à l'absence d'outil de pilotage constatée par la Cour des comptes ?
Le ministère s'est doté d'une structure de pilotage à partir de la fin de la période de l'appel à projets. Mon recrutement date d'octobre 2008. J'ai constitué l'équipe devenue le service des grands projets immobiliers entre la fin 2008 et le début 2009. Le service a été formellement créé dans le cadre de la réorganisation de l'administration centrale en mars 2009.
Par ailleurs, un certain nombre d'outils ont été développés pour mettre en place un cadre conventionnel de relations avec les établissements. Des outils d'accompagnement leur ont été fournis pour les aider à acquérir les compétences nécessaires pour mener des projets de ce type. Des moyens ont également été mis à la disposition des établissements dans le cadre du Plan de relance : 72,5 millions d'euros sur le programme 315 ont été alloués à l'ensemble des sites des opérations Campus, financements budgétaires et extrabudgétaires hors Paris, soit 20 sites. Ces moyens leur ont permis de recruter les personnes compétentes et de s'attacher les services d'assistants leur permettant de mener à bien leur projet.
Le directeur général pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle pourra détailler plus précisément l'ensemble des mesures de la performance des établissements avec lesquels des contrats quadriennaux et prochainement quinquennaux ont été passés, notamment en ce qui concerne leur modèle d'allocation des moyens et leur financement. Les indicateurs de performance évaluent pour l'essentiel le coeur de métier de ces établissements et ne concernent pas les projets immobiliers de grande taille.
On comprend effectivement que les moyens dévolus à ces établissements leur offrent des perspectives de création de filières ou d'aménagement de laboratoires. Cependant, la plupart des plans ont été contractualisés au cours du premier semestre 2009, et même s'il faut relativiser les retards, pouvez-vous nous indiquer si des plans d'investissements ont été effectivement programmés ? Estimez-vous que les financements prévus, environ 200 millions d'euros de dotation annuelle, sont suffisants pour alimenter une source d'autofinancement permettant effectivement une logique d'investissement en phase avec les ambitions ? Les moyens sont-ils en adéquation avec les perspectives et les besoins des sites ?
L'ensemble des sites, à de rares exceptions près, au regard des dossiers déposés en 2008, avaient des espérances de moyens d'action qui se sont révélés nettement supérieurs aux moyens dont ils ont réellement disposé, compte tenu des dotations en capital fournies par l'État d'une part, et de l'engagement réel des collectivités territoriales d'autre part. Une fois le cadre financier précisé et connu, entre janvier et septembre 2009, à l'exception de Paris dont le calendrier a été décalé, les préfets ont été mandatés au cours de l'été 2009 pour faire aboutir dans les meilleurs délais les conventions partenariales de site et concrétiser les engagements de l'ensemble des financeurs, dont les collectivités territoriales, autour des porteurs de projet. Les signatures de ces conventions se sont échelonnées entre le mois de décembre 2009 et le mois de mai de cette année.
Pour une raison simple qui tient à l'existence de contrats de projets entre l'État et les collectivités locales. En quoi ces nouveaux crédits extrabudgétaires sont-ils venus modifier les contrats de projets ?
Dans la plupart des sites, les porteurs de projets ont opéré une disjonction entre le CPER et l'opération Campus. Ils ont présenté dans l'opération Campus des opérations qui n'étaient pas inscrites aux contrats de projets.
Sur d'autres sites ont été présentées des opérations partiellement inscrites aux CPER pour des montants jugés insuffisants au regard de l'ampleur que devaient atteindre ces opérations. Dans le cadre de la mise au point des conventions partenariales de site, certains ajustements ont pu être opérés dans les CPER, en maintenant l'ensemble des engagements initiaux des contrats de projets en en ajoutant les engagements des opérations Campus.
Les porteurs de projets rencontrent encore des difficultés concrètes en Île de France, du fait de l'absence d'engagement ferme et définitif de la part des collectivités territoriales. Le contexte y est plus difficile qu'en régions.
Les porteurs de projets ont avancé dans la mise au point de leur projet au fur et à mesure de la clarification des engagements de l'État. Le principe du montant des dotations a été annoncé entre janvier et septembre 2009. Les modalités de transfert des dotations et de leur rémunération ont été fixées au cours du premier semestre 2010, et n'ont été explicitées aux porteurs de projets qu'en juin 2010.
Les règles financières et les enveloppes ont donc été connues par l'État et les collectivités territoriales au cours du premier semestre 2010. Est-ce le cas pour l'ensemble des projets ?
Il demeure, en Île de France, une situation particulière où les porteurs de projets ne connaissent pas clairement les engagements des collectivités.
Je vous remercie de ces réponses qui concernent l'aspect financier, mais êtes-vous par ailleurs confrontés à des problèmes de gouvernance qui retardent les projets ? Tout en approuvant évidemment le principe d'autonomie des universités, n'a-t-on pas sous-estimé les difficultés en raison de l'absence d'outils de gouvernance à disposition des universités ou des PRES, pour tel ou tel projet ?
Je pense que nous avons tous collectivement sous-estimé la charge de travail que représentent la définition et le suivi de tels projets. Le poids de la collaboration à mettre en oeuvre avec les collectivités territoriales sur la dimension urbaine notamment, a été sous-estimé. L'aménagement complet de campus représentant plusieurs dizaines d'hectares et définissant des quartiers entiers à l'échelle d'une ville implique nécessairement un dialogue approfondi avec les collectivités territoriales. Ce dialogue prend forcément du temps notamment du fait du manque d'expérience des porteurs de projets, qui apprennent en marchant. Nous nous attachons à les assister au travers d'une aide au recrutement de professionnels expérimentés et de bureau d'études compétents. La mise en oeuvre de ces projets appelle aussi des arbitrages, parfois délicats, entre les présidents d'université au sein d'un PRES et l'apprentissage du fonctionnement d'une gouvernance politique réactive assumant les arbitrages et la gestion des aléas.
Pour les opérations Campus, les crédits de paiement délégués aux sites comportent les 72,5 millions d'euros du Plan de relance, soit 58,879 millions d'euros pour les dix sites bénéficiant de financements extrabudgétaires ; s'y ajoute le cas de Toulouse qui présente la spécificité de combiner un financement extrabudgétaire du plan Campus et un financement budgétaire pour le contrat de partenariat pour la reconstruction du campus du Mirail (752 000 euros de crédits d'ingénierie sur le programme 150).
Sur l'enveloppe globale de Campus, quels sont les crédits de paiement versés au 31 décembre 2010 ? Pour 2010, il n'y aurait eu aucun versement de crédits extrabudgétaires ? Et en 2011 ?
Effectivement, les crédits versés en 2010 ont tous été des crédits budgétaires : pour les dix sites, 59,731 millions d'euros issus des programmes 315 et 150 ont été versés. Pour 2011, les intérêts des crédits du plan Campus perçus par l'Agence nationale de la recherche lui sont versés à trimestre échu depuis août 2010. Les intérêts versés pour le 3ème trimestre 2010 ont servi à combler la différence entre les 4,986 milliards et 5 milliards pour aboutir à 5 milliards d'euros comme prévu.
On arrive donc à des intérêts de 270 millions d'euros pour 2010 et 2011. Ils ont fait l'objet d'une programmation en novembre 2010 avec répartition entre les différents sites : ils financent des acquisitions foncières, des travaux préparatoires aux PPP ainsi que des opérations de vie étudiante et d'aménagement des campus, et les premières conventions ont été transmises à l'ANR. L'évaluation à ce stade est que 150 millions d'euros sur les 270 pourront être délégués aux établissements dans le courant de l'année 2011, en tenant compte des calendriers de paiement prévisionnels.
les actions EDF ont été vendues en décembre 2007. Les crédits ont été versés à l'été 2010 mais les intérêts correspondant à cette période intermédiaire ont–ils été conservés dans le giron de l'État ou sont-ils un à-valoir pour financer l'université également ? C'était la volonté des législateurs de voir ces intérêts profiter dès l'origine aux universités.
Les sommes ont été qualifiées d'« intérêts notionnels » par le ministère du Budget et n'ont pas été inscrits au budget de l'État ; ils forment une « dette morale ».
La totalité du capital a été transférée à l'ANR en août 2010.
Cependant entre 2007 et 2010, le produit de la vente était bien dans la trésorerie de l'État ? Il a contribué à réduire le déficit mais le législateur avait prévu que la vente générerait des intérêts au profit des universités dès le premier euro : la consolidation peut certainement en être trouvée dans les documents budgétaires. Ce n'est pas seulement une dette morale. Ces produits financiers étaient « fléchés ». Il y a là un élément à prendre en compte.
On peut s'interroger sur la justesse de nos choix consistant à financer des investissements par les intérêts de l'argent placé que nous n'avons pas et que nous empruntons sur le marché à des taux plus élevés. Donc ces sommes ne vous ont pas été attribuées. Comment avez-vous pu faire face aux dépenses ?
Je suis d'accord, néanmoins c'est une autre question. La MILOLF avait souligné cet élément dans son rapport de juillet 2010 et a recommandé que soient précisées les conditions d'un éventuel retour aux universités de l'équivalent de la rémunération de ce capital (sur cette période intermédiaire entre la vente et le transfert à l'ANR).
Pour cette première période, les besoins de financement consistaient en études, et étaient donc encore peu élevés. Les crédits du programme 150 et du plan de relance y ont pourvu.
Pour 2011, les crédits extrabudgétaires en crédits de paiement s'élèveraient à quel montant ?
Pour 2011, ces crédits extrabudgétaires seront de 270 millions programmés dont 50 correspondant au 4ème trimestre 2011 qui ne seront versés qu'au 1er trimestre 2012. La masse disponible d'ici le 31 décembre 2011 serait donc de 220 millions d'euros. Un versement de l'ordre de 150 millions d'euros aux porteurs de projets devrait être opéré si les calendriers de ceux-ci sont tenus.
Les choses sont bien plus complexes qu'on le pense, ce que les maires savent bien, constatant que la rénovation d'un quartier peut prendre dix ans. Il y a une programmation budgétaire qui a été optimiste ou euphorique eu égard à l'ambition de projets d'aménagement de 40 à 260 hectares et pas en phase avec la réalité des opérations, car actuellement les établissements ne sont pas encore sortis des phases d'étude.
Cela dépend des sites : certains sont encore en phase d'étude, d'autres sont déjà dans la phase d'attribution de contrats ; pour tous les sites, on a demandé aux établissements de présenter, de manière anticipée, des opérations de travaux préparatoires, des acquisitions foncières et des travaux légers de rénovation, d'équipements sportifs ou autres. Cela a pu donner lieu à cette programmation de 270 millions d'euros.
Le PRES est-il un outil approprié pour porter ce genre de projets, d'autant que les PRES ont été jusqu'à présent ignorés par les grands organismes de recherche, sans vouloir aborder les sujets qui fâchent ?
Il y aussi la question des fondations, où l'argent non consomptible pouvait jouer un effet de levier, comme à Toulouse qui avait mis en place une fondation.
Il n'y a pas de différence fondamentale entre une opération menée par une université et une opération menée par un PRES, dès lors que le PRES accepte de jouer ce rôle de porteur de projet et s'en donne les moyens. Il y a peu de relations entre les fondations créées dans le monde universitaire et les opérations Campus. Les porteurs de projets Campus sont généralement des établissements publics : universités ou établissements publics de coopération scientifique. Quelques-uns ont choisi la formule de fondation de coopération scientifique (cas de Saclay et Condorcet) mais Condorcet a voulu aller finalement vers le statut d'établissement public de coopération scientifique pour avoir une meilleure capacité d'agir pour un projet de ce genre.
Comment s'articulent les décisions prises au niveau de Campus et au niveau des investissements d'avenir ? Quelle est la stratégie de l'État ? En termes d'efficacité et d'efficience, comment cela se passe t-il ?
Les Investissements d'avenir, et en particulier ceux en connivence avec Campus (les Initiatives d'excellence) visent à faire apparaître une dizaine de sites universitaires pour une visibilité au plus haut niveau international. Nous anticipions un certain recouvrement entre les sites retenus pour les deux opérations, avec une dimension infrastructure dans Campus et une dimension plus immatérielle avec les Investissements d'avenir. La difficulté pour la mise en place de Campus a été de constituer des équipes rompues à la gestion de projets de cette envergure et à la négociation dans un système mixte mêlant public et privé, ce qui n'était pas l'habitude antérieure. Il y a donc aussi une réforme des profils nécessaires pour mener à bien les opérations (y compris quelques partenariats publics privés), et les équipes se sont constituées jusqu'à l'été 2010.
Le principe de base du plan Campus est que les financements sous forme de revenus d'une dotation en capital servent à payer les redevances d'un contrat de partenariat public privé, qui est l'outil privilégié. Tous les sites développent en effet des projets de contrats de partenariats.
Il y a donc une dynamique entre les deux types d'opérations. Ceux qui sont fléchés « Campus » ont de grandes chances d'être aussi « Investissement d'avenir » ? La carte des équipes éligibles montre t-elle un recoupement ?
Il y aurait une cohérence et une logique à ce que les deux types de projets se rejoignent, puisque les choix ont été fondés sur la qualité des projets et le socle sur lequel ils s'appuyaient. On peut donc prévoir une proportion importante de sites qui émargeront aux deux types d'initiatives. Il est trop tôt pour le constater cependant et il existe des surprises, avec des équipes dont on n'avait pas anticipé la présence au sein des lauréats.
Les sites supplémentaires du plan Campus sont financés par des crédits budgétaires, ce que j'ai du mal à comprendre. Les projets de la partie infrastructures auront lieu essentiellement sous la forme de PPP. Selon le principe du PPP, les loyers doivent être versés à l'issue des travaux d'investissement, et sont donc des crédits de fonctionnement, mais avant il n'y a rien à verser. Donc pourquoi évoque-t-on de l'investissement alors qu'à terme les charges seront du fonctionnement ?
Le capital de 5 milliards d'euros va produire des intérêts de 4 % par an soit environ 200 millions d'euros. Si on les répartit entre dix sites, on obtient en moyenne 20 millions d'euros par an. On ne finance donc pas d'investissement en dur car on n'en a pas les moyens budgétaires, mais ces 20 millions plus l'apport des collectivités locales permettront de financer des investissements massifs d'opérations de centaines de millions d'euros. Le recours au PPP consistera à financer sur 20 ans un loyer de 20 ou 25 millions d'euros par an.
On parle donc d'investissement pour des sommes qui vont être destinées à payer du fonctionnement. Or les masses financières que l'on évoque ne sont pas les mêmes.
Les masses financières sont celles du montant de la dotation affectée aux 10 projets allant de 325 millions d'euros à Montpellier à 850 millions à Saclay. On a affecté à la dotation une durée de vie d'environ 20 à 25 ans. La masse de chaque projet consiste en les intérêts capitalisés à 25 ans d'une somme placée à 4 %, soit le montant de la dotation de chacun des projets. On est sur des profils de projets dont on peut comprendre la volumétrie en regardant la dotation qui leur est affectée.
Les décaissements de trésorerie ne porteront que sur les loyers des PPP soit 4 à 5 % (les 4 % de l'État plus la part des collectivités qui viendra s'ajouter), les PPP permettant de cumuler les sommes.
Quel est le mode d'intervention des collectivités territoriales ?
Les interventions des collectivités se font sur forme de subvention d'investissement ou de maîtrise d'ouvrage traditionnelle. Les revenus paient des loyers qui comprennent l'amortissement de l'investissement, les frais financiers du titulaire du contrat, le gros entretien-renouvellement. Le fonctionnement et l'exploitation resteront pris en charge par le budget des établissements sur leurs crédits de fonctionnement courant.
La Cour s'est inquiétée dans son référé concernant la politique de regroupement et de coopération dans l'enseignement supérieur de « l'empilement des labels et des structures induites par le plan Campus et les investissements d'avenir ». La réponse de l'administration a été qu'elle souhaitait « simplifier le paysage ». Comment allez-vous y procéder ?
Ces différents dispositifs se superposent à ce qui était mis en place précédemment. On peut craindre en effet que des entités bénéficient de labels variés, et les gouvernances pourraient pêcher par trop de complexité.
Les appels à projet ont indiqué que la simplicité de la gouvernance serait un facteur prépondérant. Les jurys y ont été très sensibles, ont voulu éviter la superposition et partant, la difficulté de prendre des décisions. Les organismes ont contribué à cela en évitant (ce fut le cas par exemple du CNRS), de faire du redécoupage des unités en équipes ; on a voulu éviter la reconfiguration plus fine des acteurs actuellement existants et pertinents.
Les services de l'État au sens large ont un rôle d'accompagnement des porteurs et développeurs de projets. Le message de simplification est passé en permanence.
L'ANR est chargée de l'évaluation, au fil des étapes qui vont se suivre. L'accent y est mis sur la simplicité et la lutte contre la redondance. L'ANR recense sur une base trimestrielle la mise en oeuvre et le développement des projets. La fluidité de la gouvernance est essentielle à tous ces stades.
Quel est le rôle du ministère de la Recherche dans le Grand emprunt, étant donné qu'il s'agit de décisions interministérielles pour une part, de décisions prises par un comité de sélection présidé par M. Ricol d'autre part : êtes-vous dessaisi de certaines choses ?
Je n'ai pas le sentiment d'être dessaisi de quoi que ce soit. Les projets concernent également l'Industrie, l'Environnement, l'Energie ; ils impliquent d'accélérer l'ouverture entre public et privé, ce qui permet d'espérer une dynamique exceptionnelle, de même que l'articulation entre nos budgets récurrents et les crédits exceptionnels dont il s'agit aujourd'hui. Après les recommandations émises par les comités de pilotage par action, le Commissariat général à l'investissement forme une proposition qu'il soumet à la signature du Premier ministre. Le processus, qu'on pouvait craindre complexe, est parfaitement maîtrisable et vertueux. C'est donc l'occasion accélérée de mieux articuler les relations interministérielles sur des sujets d'avenir.
Comme membre du comité de surveillance sur le Grand emprunt, présidé par M. René Ricol, je me trouve confronté à des inquiétudes similaires sur l'usage des fonds. Car le comité craint à l'inverse d'être dessaisi de la réalité du suivi au profit de l'ANR.
En ce domaine, notre ministère doit également assumer toutes ses responsabilités.